Décision

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99011579 COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL

No: 500-09-000724-922
(500-53-000002-913)

Le 16 septembre 1999


CORAM: LES HONORABLES BAUDOUIN
PROULX
DESCHAMPS, JJ.C.A.



FRED HABACHI,

APPELANT - (défendeur/demandeur reconventionnel)

c.

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC,
-et-
MONICA HACHEY,
-et-
LINDA LANGLOIS,

INTIMÉES - (demanderesses/défenderesses reconventionnelles)



_____
LA COUR , statuant sur le pourvoi de l'appelant contre un jugement du Tribunal des droits de la personne du district de Montréal prononcé le 26 mars 1992 par l'honorable Michèle Rivet qui le condamnait à payer 3 730,09 $ à l'intimée Monica Hachey et 1 609,03 $ à l'intimée Linda Langlois ainsi qu'une somme additionnelle de 3 000 $ à chacune à titre de dommages moraux, avec intérêts et les dépens.

     Après étude du dossier, audition et délibéré;

     Pour les motifs exprimés dans l'opinion écrite du juge Baudouin auxquels souscrit le juge Proulx:

ACCUEILLE partiellement le pourvoi à la seule fin de biffer les ordonnances concernant Linda Langlois;

Le tout sans frais, vu le sort mitigé du litige;


     Pour les motifs exprimés dans son opinion, la juge Deschamps aurait rejeté le pourvoi avec dépens.


JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.


MICHEL PROULX, J.C.A.


MARIE DESCHAMPS, J.C.A.


Me Vonnie Rochester
Procureur de l'appelant

Me Béatrice Vizkelety
Procureure des intimées
Audition: 28 octobre 1998
COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL

No: 500-09-000724-922
(500-53-000002-913)



CORAM: LES HONORABLES BAUDOUIN
PROULX
DESCHAMPS, JJ.C.A.



FRED HABACHI,

APPELANT - (défendeur/demandeur reconventionnel)

c.

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC,
-et-
MONICA HACHEY,
-et-
LINDA LANGLOIS,

INTIMÉES - (demanderesses/défenderesses reconventionnelles)



OPINION DE LA JUGE DESCHAMPS


               Pour la Commission des droits de la personne du Québec, le comportement de l'appelant constitue de la discrimination et du harcèlement sexuel. Pour l'appelant, il s'agit d'un simple problème de relations interpersonnelles.

               En janvier 1988, les intimées Monica Hachey et Linda Langlois s'inscrivent à un cours de technologie de microprocesseur et d'électronique à l'Institut Frehab. L'appelant est directeur de l'école et professeur. À compter de février 1988, l'intimée Hachey travaille à temps partiel comme secrétaire de l'appelant pour payer une partie de ses frais de scolarité. Vers la mi-avril, un premier incident survient. Voici comment le résume la juge de première instance:

      Tout semble bien se dérouler pour Monica Hachey jusqu'à la mi-avril alors que, se retrouvant seule avec M. Habachi, puisque les élèves ont alors tous quitté, celui-ci lui indique qu'il écrit un livre sur le comportement des jeunes et qu'il désire lui poser un certain nombre de questions. «Pourquoi les jeunes filles sont-elles attirées par des garçons jeunes, pourquoi vont-elles vers des hommes plus âgés?» «Il me dit alors», nous dit-elle, «qu'il a peur de moi parce que je suis trop jeune, il me demande comment je me sentirais si j'étais dans ses bras (...) je reste bloquée, je ne réponds pas». «Le lendemain, ajoute-t-elle, alors que je suis à l'école avec M. Habachi, il me prend la main et me demande: «So?» Je réponds: «I don't think it will be a good idea». Je voulais qu'on s'en tienne à des relations professionnelles. Il ajoute: «You never know».


               Après ces échanges, l'intimée Hachey continue de travailler pour l'appelant mais, selon son témoignage, elle ne veut plus se retrouver seule avec lui.

               Environ un mois plus tard, un autre incident survient. L'appelant dit à l'intimée Hachey de cesser «ses jeux de séduction». De plus, il lui demande de dire à l'intimée Langlois qu'elle aussi doit cesser «ses petits jeux». Lors d'une visite des intimées Hachey et Langlois, l'appelant mentionne à l'intimée Langlois «de cesser ses jeux de séduction, d'agir comme une étudiante et que tout va aller pour le mieux». L'intimée Hachey décide alors de cesser de travailler pour l'appelant et l'évite le plus possible. Toutes deux prennent la résolution, pour éviter de nouvelles accusations, de s'adresser aux étudiants plutôt qu'à l'appelant pour obtenir des explications sur le contenu des cours.

               Le premier juillet, l'intimée Langlois doit reprendre un examen. L'appelant la convoque à son bureau avant la fin de l'examen. Il insiste, malgré ses protestations, pour qu'elle le suive. Dans son bureau, il lui fait part des prétendus jeux de séduction de l'intimée Hachey, lui reprochant le même comportement, mais à un degré moindre.

               À la suite d'une journée d'école manquée, la mère de l'intimée Hachey entre en communication avec l'appelant. S'ensuivent plusieurs rencontres impliquant les parents des jeunes filles et même les trois seuls autres étudiants de la classe, des garçons, pour déterminer si, à leur avis, elles leur font des avances. De l'avis des garçons, ce n'est pas le cas.

               Se disant incapable de tolérer la situation, l'intimée Langlois quitte l'école le 7 juillet 1988. Malgré les réserves exprimées par ses parents, l'intimée Hachey laisse aussi le même jour.

               Dans un premier temps, les jeunes filles consultent un avocat de l'aide juridique dans le but de réclamer le remboursement des frais de scolarité. Elles sont ensuite dirigées vers la Commission des droits de la personne qui, après enquête, dépose le 13 mai 1991 une demande au Tribunal des droits de la personne.

               L'appelant a soutenu devant le Tribunal avoir lui-même été victime de harcèlement sexuel. Pour lui, les intimées Hachey et Langlois portaient des vêtements provocants et l'utilisaient pour rendre jaloux les compagnons de classe qu'elles courtisaient. L'intimée Hachey aurait, en février et en avril, mis sa main sur son bras puis son bras autour de son épaule. De février à juillet, selon son témoignage, en raison du comportement des intimées Hachey et Langlois, un climat de sexualité aurait été omniprésent et elles auraient cherché continuellement à l'attiser et à le rendre jaloux. Il ne nie nullement leur avoir dit de cesser leurs jeux de séduction.

               Le Tribunal de première instance conclut que l'appelant a harcelé sexuellement les intimées Hachey et Langlois et le condamne à payer des dommages matériels de 3 730,09 $ dans le cas de l'intimée Hachey et de 1 609,03 $ dans le cas de l'intimée Langlois ainsi que des dommages moraux de 3 000 $ à chacune.

               La question qui se pose est de savoir si le comportement de l'appelant constitue de la discrimination ou du harcèlement sexuel.

               J'écarte tout de suite le moyen de l'appelant fondé sur l'interprétation des faits. Force est de constater que la juge de première instance a identifié certains gestes là où la preuve était contradictoire. Elle a estimé que l'appelant était à l'origine du climat de sexualité qui prévalait à l'école. Ses constatations sont ainsi consignées au jugement:

Fred Habachi reproche à Monica Hachey de s'être frôlée sur lui, de n'avoir en tête que de la musique et des vidéos pornographiques, de faire des avances à tous les garçons, de s'habiller comme Madonna, de faire des jeux de séduction, de lui avoir demandé d'avoir des relations sexuelles avec lui, etc, etc. Tous les reproches de Fred Habachi à l'endroit de Monica Hachey à partir d'avril jusqu'en juillet ont conduit celle-ci à complètement éviter de demander, pendant les cours ou en laboratoire, quelque explication que ce soit à Fred Habachi, et finalement l'ont amenée, en juillet, à abandonner les cours. Lorsque Linda Langlois a quitté, Monica Hachey a estimé qu'elle ne se sentait pas capable de continuer à suivre ses cours seule à l'Institut Frehab.


      Encore une fois, ce sont les faits tels que décrits par Monica Hachey et les explications données par Fred Habachi lui-même qui nous permettent de conclure que celui-ci a eu un comportement indésiré, basé sur le sexe, un comportement vexatoire à connotation sexuelle. À l'école, c'est pour Fred Habachi, dans ses relations avec Monica Hachey et Linda Langlois, un climat où la sexualité est largement présente, où Monica Hachey cherche constamment à l'attiser, à le rendre jaloux. Ce sont des préoccupations d'ordre sexuel, répétons le, qui sont pour Fred Habachi la trame qui permet d'expliquer l'ensemble des comportements de Monica Hachey.


      De plus, ajoutons que tant au niveau du travail qu'au niveau des relations dans le cadre de l'enseignement, Monica Hachey n'a accepté ces gestes, ces commentaires, ou n'a endossé ces attitudes de Fred Habachi. Au contraire, elle a quitté l'emploi à la mi-mai et elle a tenté d'éviter le plus complètement possible quelque échange verbal que ce soit avec Fred Habachi.


               Pour la juge de première instance, les intimées Hachey et Langlois ne souscrivent pas au comportement de l'appelant. Ce sont elles les victimes et non l'appelant. Il s'agit là d'une appréciation de la crédibilité des témoins et de l'ensemble de la preuve. D'ailleurs, le dossier soumis par l'appelant ne supporte aucunement ses accusations voulant que les jeunes filles aient eu une tenue vestimentaire ou une attitude de nature à lui laisser croire qu'elles voulaient le séduire ou qu'elles cherchaient à charmer leurs compagnons de classe. La confrontation avec les étudiants corrobore à cet égard la version des intimées. En somme, sur la question factuelle, l'appelant n'a pas fait voir d'erreur dans l'appréciation de la juge de première instance.

               Que reste-t-il des motifs d'appel? L'appelant plaide que les faits ne seraient pas constitutifs de discrimination ou de harcèlement puisqu'il ne s'agirait que d'un conflit interpersonnel. Les dispositions pertinentes sont les articles 4 , 10 et 10.1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (L.R.Q. c. C-12) (Charte québécoise). Elles se lisent comme suit:

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.


. . .


10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.


          Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.


10.1. Nul ne doit harceler une personne en raison de l'un des motifs visés dans l'article 10.


               Tant notre Cour que la Cour suprême ont analysé les dispositions québécoises traitant de la discrimination. Nous disposons de l'éclairage de l'arrêt C.S.R. de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525 qui reprend les trois éléments établissant l'existence de la discrimination, tels que formulés dans Johnson c. Commission des affaires sociales, [1984] C.A. 61 et repris dans les arrêts Forget c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 90 , 98; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712 , 783 et 784 et Devine c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 790 , 817. Dans Chambly, le juge Cory les énonce ainsi (p. 538):

Notre Cour a conclu qu'un demandeur doit établir l'existence des trois éléments suivants pour qu'il y ait discrimination:


(1) qu'il existe une «distinction, exclusion ou préférence»,


(2) que cette «distinction, exclusion ou préférence» est fondée sur l'un des motifs énumérés au premier alinéa de l'art. 10 de la Charte québécoise, et


(3) que la «distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre» le «droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne».


               Par ailleurs, pour ce qui est du harcèlement sexuel, ni la Cour suprême ni notre Cour ne se sont penchées sur l'article 10.1 de la Charte québécoise. Le juge en chef Dickson a cependant, dans l'affaire Janzen c. Platy Enterprises, [1989] 1 R.C.S. 1252 , qui portait sur l'interprétation du Code des droits de la personne du Manitoba, défini le harcèlement sexuel en milieu de travail (p. 1284) d'une façon qui demeure pertinente:

      Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j'estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes du harcèlement.


               La juge de première instance a fait porter son analyse sur le volet harcèlement sexuel de la demande (article 10.1) plutôt que sur l'aspect discrimination (article 10). À mon avis, les faits en l'instance peuvent être examinés en fonction des deux atteintes. J'en traiterai successivement.

A - DISCRIMINATION

1. Existe-t-il une distinction, exclusion ou préférence?

               Il faut d'abord préciser ce qui est reproché à l'appelant. Certains incidents sont facilement identifiables car ils consistent en des paroles et en un geste.

               À la mi-avril dans le bureau de l'appelant, ce dernier questionne l'intimée Hachey sur les relations entre les jeunes filles et les hommes plus âgés pour ensuite lui déclarer qu'il a peur d'elle parce qu'elle est trop jeune. Il lui demande ensuite comment elle se sentirait s'il la prenait dans ses bras. Le lendemain, il lui prend la main et lui demande: «So?». Près d'un mois plus tard, l'appelant lui dit de cesser «ses jeux de séduction». L'intimée Langlois devient alors impliquée car l'appelant demande à l'intimée Hachey de lui faire le message qu'elle aussi doit cesser «ses petits jeux». Lorsque les deux jeunes filles rencontrent l'appelant pour obtenir des explications sur ses propos, l'appelant réitère ses insinuations. Bien que les jeunes filles décident de l'éviter et de ne plus lui demander d'explication sur le contenu des cours, l'appelant revient à la charge lorsque, le premier juillet suivant, l'intimée Langlois reprend un examen.

               Ce ne sont cependant pas les paroles prononcées non plus que le geste posé qui, avec le recul, prennent le plus d'importance. Le pivot de la décision des jeunes filles de cesser de fréquenter l'Institut Frehab repose plutôt sur le climat de sexualité qui y régnait alors.

               Ces circonstances peuvent-elles servir de fondement à une plainte de discrimination? Quoique portant sur le Code des droits de la personne de l'Ontario, la décision rendue dans Bell c. Ladas (1980) 1 C.H.R.R. D/155, première grande affaire canadienne portant sur le harcèlement sexuel et reprise avec approbation par le juge Dickson dans Janzen, me paraît très pertinente. L'arbitre Shime y identifie des formes de comportement subtil pouvant engendrer de la discrimination. Il s'exprime ainsi (l.1389):

The forms of prohibited conduct that, in my view, are discriminatory run the gamut from overt gender based activity, such as coerced intercourse to unsolicited physical contact to persistent propositions to more subtle conduct such as gender based insults and taunting, which may reasonably be perceived to create a negative psychological and emotional work environment.


               L'existence d'un climat de sexualité résulte, à mon avis, d'un comportement qui, dans certains cas, peut être subtil ou, dans d'autres cas, flagrant, comme des gestes ouverts ou des paroles claires.

               Les faits de l'espèce, c'est-à-dire les incidents identifiés ci-haut et le climat de sexualité, constituent-ils une distinction au sens du premier critère d'analyse de la discrimination?

               Seules les intimées Hachey et Langlois ont fait l'objet de reproches au sujet de leur attitude séductrice. Les questions au sujet de l'attitude des femmes à l'égard des hommes n'ont été posées qu'à l'intimée Hachey. Seule cette dernière a fait l'objet d'avances et de reproches à l'égard de sa tenue vestimentaire. Seules les deux jeunes filles ont ressenti l'effet du climat de sexualité et seules elles se sont senties incapables de continuer leur cours dans ce contexte. Il n'était pas reproché aux étudiants de se vêtir de façon provocante, non plus qu'il leur était reproché d'avoir une attitude séductrice ou de créer un environnement empreint de sexualité.
               La distinction entre le traitement accordé aux jeunes étudiantes et celui fait aux étudiants est, selon la conclusion de fait de la juge de première instance, palpable. J'en conclus que les intimées Hachey et Langlois ont fait l'objet d'un traitement distinctif de celui fait aux garçons de la classe.

               Réduire les faits à un problème interpersonnel rappelle la défense d'attrait physique historiquement invoquée pour contrer les accusations de discrimination fondée sur le sexe. Le juge en chef Dickson dans Janzen disait d'ailleurs que (p. 1290);

Soutenir que le seul facteur à la base de l'acte discriminatoire résidait dans l'attrait sexuel des appelantes et affirmer que leur sexe était sans importance met la crédulité à l'épreuve.


2. La distinction est-elle fondée sur l'un des motifs énumérés au premier alinéa de la Charte québécoise, soit le sexe?

               Selon le texte même de l'article 10, toute distinction n'est pas susceptible d'être sanctionnée par la Charte. La distinction doit être fondée sur des motifs y énumérés. Pour déterminer si une distinction est fondée sur un motif interdit, il faut non seulement examiner la nature apparente de la distinction mais aussi son effet (Ford, p. 786). Cependant, dans le cas présent, la distinction est indubitablement fondée sur le sexe, caractéristique essentielle de la personne spécifiquement énumérée.

               J'estime donc que les faits démontrent amplement que l'appelant a fait montre, à l'égard des intimées Hachey et Langlois, de distinction fondée sur le sexe. Cette distinction, pour être qualifiée de discriminatoire, doit cependant satisfaire un troisième élément.

3. La distinction a-t-elle pour effet de compromettre le droit à la reconnaissance ou à l'exercice en pleine égalité d'un droit de la personne?

               L'article 10 de la Charte québécoise ne fait pas de l'égalité un droit autonome. L'égalité n'est qu'une modalité de particularisation d'un autre droit [Commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu c. Commission des droits de la personne [1994] R.J.Q. 1227 , 1243, P. CARIGNAN, «L'égalité dans le droit: une méthode d'approche appliquée à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne», (1987) 21, R.J.T. 491, 507]. Selon le texte même de l'article 10, toute distinction n'est pas susceptible d'être sanctionnée par la Charte.

               Cette étape implique donc l'identification d'un droit protégé par la Charte et l'examen de l'atteinte, destruction ou compromission, de ce droit.

               Les faits reprochés à l'appelant sont des paroles, un geste et des attitudes. Deux droits fondamentaux sont, à mon avis, en cause. Il s'agit du droit à l'intégrité de la personne et du droit à la dignité. L'analyse en fonction de l'atteinte à la dignité me paraît suffisante. Ce dernier droit est d'ailleurs le seul auquel ait fait allusion la juge de première instance.

               La dignité est ainsi définie par Edith DELEURY et Dominique GOUBAU dans l'ouvrage Le droit des personnes physiques, 2e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, (p. 155):

La notion de dignité s'entend généralement comme l'estime de soi, du sentiment que l'on a de mériter de la considération, ce qui est aussi le propre de l'honneur.


               Une personne qui subit un traitement distinctif en raison de son sexe voit son estime d'elle-même atteinte. Elle subit une atteinte à la dignité.

               Étant acquis qu'une distinction fondée sur le sexe peut porter atteinte à la dignité, il convient de se demander si les faits reprochés compromettent la reconnaissance ou l'exercice de ce droit des intimées Hachey et Langlois. En d'autres mots, peuvent-elles prétendre que les paroles, le geste de l'appelant et le climat qu'il faisait régner portent atteinte à leur dignité. Ce ne sont pas toutes les manifestations à connotation sexuelle qui sont prohibées par la Charte. Les mots de l'arbitre Shime dans Bell sont à nouveau très pertinents (l.1390 et 1391):

The prohibition of such conduct is not without its dangers. One must be cautious that the law not inhibit normal social contact between management and employees or normal discussion between management and employees. It is not abnormal, nor should it be prohibited, activity for a supervisor to become socially involved with an employee. An invitation to dinner is not an invitation to a complaint. The danger or the evil that is to be avoided is coerced or compelled social contact where the employee's refusal to participate may result in a loss of employment benefits. Such coercion or compulsion may be overt or subtle but if any feature of employment becomes reasonably dependent on reciprocating a social relationship proffered by a member of management, then the overture becomes a condition of employment and may be considered to be discriminatory.


Again, The Code ought not to be seen or perceived as inhibiting free speech. If sex cannot be discussed between supervisor and employee neither can other values such as race, colour or creed, which are contained in The Code, be discussed. Thus, differences of opinion by an employee where sexual matters are discussed may not involve a violation of The Code; it is only when the language or words may be reasonably construed to form a condition of employment that The Code provides a remedy.


               Ce ne sont donc que les gestes ou conduites qui compromettent ou détruisent la reconnaissance ou l'exercice d'un droit qui sont sanctionnés. Mais quel type d'atteinte est donc sanctionnée?
               Dans Chambly, la Cour suprême a rejeté l'idée voulant que lorsque la discrimination est minime, il ne soit pas nécessaire de prendre des mesures d'accommodement (p. 543):

On ne saurait non plus accepter l'idée qu'il n'est pas nécessaire de prendre des mesures d'accommodement raisonnables si l'effet de la discrimination est minime. L'objet même des lois en matière de droits de la personne est d'empêcher la discrimination. S'il peut y avoir discrimination sans conséquence, c'est l'objet même de la loi qui se trouve contrecarré.


               En d'autres termes, toute atteinte, même minime, doit être reconnue comme telle. C'est au stade de la mesure de réparation que la gravité de l'atteinte est prise en considération. À cet égard, un parallèle intéressant peut être fait avec le droit criminel où toute agression sexuelle doit être qualifiée d'acte criminel lorsque les éléments de l'infraction sont présents. Le juge, saisi de la preuve de la commission de l'infraction, ne peut acquitter au motif que les gestes sont anodins ou ne sont posés que pour jouer. Le degré de gravité des gestes ne peut être pris en considération qu'à l'étape de la peine (R. c. Bernier, C.A. Montréal, no 200-10-000189-949, 27 août 1997, jj. Tourigny, Rousseau-Houle, Deschamps).

               S'il est évident que les intimées Hachey et Langlois n'ont pas considéré que les interventions de l'appelant se situaient à l'intérieur du cadre de relations sociales acceptables et qu'elles ne relevaient pas du pouvoir disciplinaire du directeur de l'école, il demeure que, tout en maintenant l'approche minimale soutenue dans Chambly, il n'est pas prudent de s'arrêter au subjectivisme des victimes.

               Le test objectif est maintenant généralement accepté en matière de harcèlement sexuel (Aggarwal. Arjun P., Sexual Harrassment in the Workplace, 2nd ed. Butterworth, Toronto, 1992, (p. 70) et Drapeau, Maurice, Le harcèlement sexuel au travail, Ed. Yvon Blais Inc. Cowansville, 1991. 212, 90 et ss.) et devrait aussi prévaloir pour écarter les gestes ou attitudes qui, pour une personne raisonnable, ne compromettraient pas la reconnaissance ou l'exercice du droit à la dignité.

               Dans le présent cas, les faits ne laissent place à aucune hésitation au sujet de la qualification des gestes comme discriminatoires. Si le résumé de la juge de première instance est révélateur, la description par l'appelant du climat qui prévalait l'est plus encore:

     At times, we went up to the third floor, where we had books; I had to bring in books, because we had just moved, and the same thing, she would come close, etc.. I will show her that I do not want this sort of things. Eventually, she came to understand that. She came to understand that.


     Okay? And also, when I was in the office and she had to bring me a few things, she would come too close and I told her, you know, body language sort of thing, and she understood all of that.


. . .


     Just try to imagine a forty- five (45) year old woman, Director of a school, and a nineteen (19) or a twenty (20) or a twenty-three (23) year old boy coming close to her, you know, and trying to touch her or something.


     How do you think she would react? And that's exactly the same with me. I mean, I did not want this. Not because there is something wrong with me, except that I had already in my hands a very, very... (one or two indecipherable words) what I was doing and I was not going to go and allow anything to tempt me when I had put my whole life into the school and it had to work or, if I lose, I lose everything.


. . .


     There was one student whom I knew a little later on she tried to take him to another school and she promised him - let's go to another school, it's going to be better, etc., etc. - but she would come and call me and then, she would walk in front of me, like that, and as soon as he looks at us, he would be working in the lab - as soon as he looks at us, she's - you know, she slows down a bit and then, she makes it look like she - I am coming with her in the lab with my arm around her.


     She could do that about twelve (12), thirteen (13), fourteen (14), fifteen (15) times in one (1) afternoon. Every two (2) minutes, sometimes.


     Not only that, but she would come and tell me - Monica needs you too in the lab. And then, she would do the same thing.


     And I understood, eventually, that what she was trying to do was to use me to make that other boy jealous and I don't know what she was trying to do after that, with him take him to another school, what else,I don't know but eventually, I made the connection and I said - that's what she was doing with this boy.

. . .


     Eventually, the discussion went on and on and on, and we got to discuss young women and older men, and as she said, she was talking from personal experience.


     She came to a point and she openly asked for sex, and she tied that with the Oedipus Complex herself. At that point, I'll tell you the truth, I got scared.


               Selon la version même de l'appelant le climat a atteint un niveau de tension sexuelle pratiquement tangible. De façon évidente, il s'agit d'un climat d'une intensité telle qu'il ne pouvait échapper à une personne raisonnable.

               Le comportement de l'appelant est difficilement explicable. La correspondance versée au dossier indique cependant que son contact avec la réalité est ténu. Ainsi, dans une lettre adressée à un membre du cabinet du ministre de la Justice, il se plaint de maux sociaux qui, selon lui, auraient pris des proportions épidémiques. Il y relate la rencontre qu'il a eue avec les parents des intimées. L'un des passages de la lettre se lit comme suit:

     As the discussion progressed, however, in a meeting that lasted more than two hours, the father grew progressively distraught. At one point he even had tears in his eyes. Of the dozens of hints and demonstrations given that the situation was serious, what did it was the fact that every time that Linda thought I was put on the defensive, she rose to assert that I had no right to be offended by one behavior or another committed by herself or Monica. One of those moments was the time when she rose to re-enact the rubbing of her vagina against my elbow as I sat at my desk. I had to forcefully fight her off as I had to do the two girls before, while she lamented "what's wrong with that?" Another thing that touched the father was the casual manner with which his daughter handled the part of the discussion during which I was revealed that her reason for wanted to sleep with me was that she saw in me the father she never had.


               Avec le recul, le dérapage de l'appelant ressort clairement.

               Le fait que les intimées aient quitté l'école est une indication de l'intensité de l'impact des faits et gestes de l'appelant, de l'atteinte à leur dignité. Je n'ai donc aucune hésitation à relier les faits à une atteinte au droit des intimées Hachey et Langlois à la reconnaissance de leur dignité en pleine égalité avec les étudiants de la classe.

               La juge de première instance aurait donc pu, sur la base des faits, conclure que le comportement de l'appelant était discriminatoire. Sa conclusion sur le harcèlement sexuel mérite tout de même d'être étudiée.

B - LE HARCÈLEMENT SEXUEL

               L'article 10.1, et à cet égard, je suis d'accord avec la juge de première instance, énonce le droit de ne pas être harcelé comme étant un droit distinct de celui de ne pas être discriminé. Cette distinction est cependant bien théorique puisque le harcèlement sexuel implique nécessairement une atteinte à la dignité (Janzen, p. 1284).

               Il est maintenant établi que le harcèlement sexuel est une forme de discrimination (Janzen, p. 1290). À ce sujet, plusieurs des facteurs qui sont pris en considération sont les mêmes, qu'il s'agisse de discrimination ou de harcèlement. Toute discrimination n'implique cependant pas harcèlement.

               Du texte de l'article 10.1, je retiens, outre le fait que le motif prohibé doit être prouvé, que les gestes et actes doivent constituer du harcèlement. Y a-t-il ici harcèlement ?

               Au sens commun, l'action de harceler, et je fais référence au dictionnaire (Petit Larousse 1998) est «soumettre à des actions incessantes»; tourmenter avec obstination; soumettre à des critiques, à des moqueries répétées. L'aspect répétitif, importun et continu est d'ailleurs un élément essentiel du harcèlement criminel prohibé à l'article 264 du Code criminel (R. c. Lamontagne, C.A. Montréal, no 500-10-000470-961, 24 août 1998, jj. Proulx, Forget et Pidgeon). La norme du droit criminel ne doit cependant pas nécessairement être transposée au recours fondé sur la Charte québécoise. Les stigmates attachés au droit criminel ne se retrouvent pas en matière de droit de la personne où la mesure de réparation est soit une injonction, soit une compensation monétaire ou des dommages exemplaires. D'ailleurs, en droit criminel, l'intention doit être prouvée, alors que ce n'est pas le cas pour les recours fondés sur la Charte. La Cour suprême dans Robichaud c. Canada (Conseil du trésor) [1987] 2 R.C.S. 84 a clairement éliminé la nécessité de prouver l'intention ou les motifs de l'auteur du harcèlement. Par ailleurs, la notion de harcèlement dénote certainement une conduite plus grave que celle qui ne produirait qu'une atteinte minimale telle que requise pour conclure à la discrimination.

               L'étude de cette question nous ramène à Janzen qui demeure l'arrêt de référence en matière de harcèlement sexuel en milieu de travail. Selon la définition du juge Dickson (citée ci-haut), le harcèlement sexuel en milieu de travail comporte trois éléments: une conduite de nature sexuelle, une conduite non sollicitée et un effet défavorable ou des conséquences préjudiciables pour les victimes. Cette définition paraît se démarquer du sens commun des mots, surtout en ce qui concerne la connotation répétitive du harcèlement qui semble délaissée au profit du critère de l'effet défavorable. Avant d'élaborer sur cette distinction, il y a lieu de commenter le critère de la conduite non sollicitée puisque le fondement sexuel des actes ne fait pas de doute.

Conduite non sollicitée

               L'appréciation du caractère non désiré de la conduite fait appel à certains des éléments effleurés lors de l'étude du volet discrimination du dossier. Il peut, en effet, se présenter des circonstances où un comportement est perçu négativement par une victime sans que l'auteur de la conduite ne puisse se faire reprocher de harceler.

               L'expression «conduite non sollicitée» utilisée par le juge Dickson semble faire référence uniquement à la perception de la victime. Pourtant, tel que déjà mentionné, il ne serait pas prudent de prendre comme baromètre la perception subjective des victimes.

               Tout en écartant la motivation du harceleur ou son intention, les faits reprochés doivent pouvoir être objectivement perçus comme non désirables. La jurisprudence des tribunaux des droits de la personne n'est pas uniforme en ce qui a trait au modèle à adopter. Mon collègue Jean-Louis Baudouin, sous sa plume d'auteur (La responsabilité civile, 5e éd., Éditions Yvon Blais, 1998, No 466), approuve l'approche adoptée par la juge de première instance qui est celle de la «tolérance qu'une personne raisonnable aurait à l'endroit d'un acte posé envers une femme qui lui est proche telle sa soeur, sa fille ou sa mère». J'estime, quant à moi, qu'il n'est pas pertinent d'ajouter un facteur subjectif - un proche - là où la recherche vise justement à déterminer le caractère objectivement acceptable d'une conduite donnée.

               Comme le critère est objectif, il devrait y avoir convergence de perspectives, que l'étude soit faite en fonction de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la victime ou suivant celles de l'auteur du comportement reproché. L'évaluation de la conduite devrait être la même. Je ne vois donc pas l'utilité de se reporter, comme point de repère, à la réaction d'une personne vis-à-vis une victime qu'elle chérit. Seules les attitudes et les gestes qui peuvent être perçus comme non désirés par une personne raisonnable, soit un modèle neutre et abstrait, devraient être sanctionnés.
               Comme question de faits, la juge de première instance a conclu que la conduite de l'appelant n'était ni sollicitée ni désirée par les étudiantes. Même en revoyant ses conclusions à la lumière d'une norme purement objective, la conclusion doit être maintenue.

Effet défavorable ou conséquences préjudiciables

               C'est à cette étape que la caractérisation du harcèlement se démarque de la discrimination. En effet, pour conclure à la discrimination, une atteinte minime est suffisante. Le test de l'atteinte minimale se heurte cependant à la notion de harcèlement et ne peut être retenu pour y conclure. Quel sera donc le test applicable au harcèlement?

               En matière de recours sur la Charte dans un contexte de relations employeur/employé, les tribunaux et les auteurs n'exigent pas, contrairement au droit criminel et au sens commun des mots, qu'il y ait répétition. Ainsi, dans Bell, l'arbitre Shime dit (l. 1392):

However, persistent and frequent conduct is not a condition for an adverse finding under The Code because a single incident of an employee being denied equality of employment because of sex is also prohibited activity.


               De même, dans Janzen, le juge Dickson ne fait pas de la répétition un facteur essentiel du harcèlement. Nulle part cet élément ne paraît à la définition qui y est proposée. Les auteurs sont unanimes à ce sujet (AGGARWAL, déjà cité, p. 80; DRAPEAU déjà cité p. 103; Viateur LAROUCHE, Le harcèlement sexuel au travail «Définition et mesure du phénomène» (1988), 43 Relat. Ind. 509, 512).

               Dans le cas du harcèlement sexuel en milieu de travail, le critère de la répétition a cédé le pas au critère de l'effet défavorable. Plus la conduite est grave, moins grande sera l'exigence de la répétition. Ainsi, lorsqu'une victime subit un viol physique au travail, elle en subit certainement des conséquences défavorables, profondes et prolongées. Dans un tel contexte, il est facile d'expliquer la mutation du critère de la répétition. Plus les gestes seront graves, plus ils sont susceptibles d'engendrer des conséquences défavorables. Moins les gestes seront graves et plus grande sera la nécessité de chercher une notion de répétition avant de conclure à une atteinte qui constitue du harcèlement.

               Cet assouplissement du critère de la répétition est justifié par le contexte de captivité et de dépendance de l'employé qui doit fournir sa prestation de travail même après avoir été l'objet d'un assaut grave, bien qu'il continue nécessairement à en subir les contrecoups. J'hésiterais à importer cet élargissement à toutes les formes de harcèlement ou à tous les contextes. Dans le cas de la relation professeur/étudiant, cependant, l'analogie s'impose. La relation d'autorité entre un patron et ses employés comporte suffisamment de similitude avec celle existant entre un professeur et ses étudiants pour que les principes applicables en milieu de travail soient transposés dans le contexte de l'éducation. Dans les deux cas, les victimes sont captives et dépendantes de l'auteur du comportement reproché.

               En l'espèce, l'intimée Hachey a démissionné de son emploi en raison du comportement de l'appelant. Pour elle, point n'est besoin de faire de transposition car il s'agit d'une relation employeur/employé. Quant à l'intimée Langlois, les règles énoncées pour le harcèlement en milieu de travail s'imposent en raison de la dépendance dans laquelle elle se trouvait en sa qualité d'étudiante.

               Les paroles prononcées et le geste posé à l'égard de l'intimée Hachey ne se situent pas au plus haut dans l'échelle de gravité. À plus forte raison, dans le cas de l'intimée Langlois, qui n'est interpellée que deux fois. Si on isolait les paroles et le geste, il serait difficile de conclure au harcèlement sexuel. Cependant, ces faits doivent être replacés dans le contexte du climat sexuel qui a prévalu pendant trois mois. Les faits reprochés, l'intensité du climat, la période de temps pendant laquelle le comportement a été subi, font en sorte que je ne peux conclure autrement que ne l'a fait la juge de première instance sur la question du harcèlement.

               Je ne vois pas, dans l'attitude des parents, de fondement pour minimiser la conduite de l'appelant. À la sortie de leur rencontre avec l'appelant en juillet, les parents de l'intimée Hachey ne bénéficiaient pas d'un juste recul ni de la vision d'ensemble de la situation. Ils pouvaient ne pas se rendre compte de l'acuité du climat lorsqu'ils ont manifesté à leur fille qu'ils préféraient qu'elle finisse son terme. Il faut accepter leur désir légitime de ne pas voir réduits à rien les efforts et l'argent investis par la jeune fille depuis le début de l'année. Il ne faut pas percevoir dans leur attitude une raison pour diminuer l'impact qu'a pu avoir la conduite de l'appelant. Je ne vois pas non plus, dans le délai mis entre juillet 1988 et la démarche à la Commission des droits de la personne, cause de minimisation des faits. Les jeunes filles ont d'abord pensé simplement à récupérer leur investissement. Elles ont par la suite été orientées vers le forum approprié et y ont connu un délai passablement long.

               La conclusion de la juge de première instance sur le harcèlement était donc, avec égards pour l'opinion contraire, bien fondée.

               L'absence de remise en cause de la mesure de réparation et le fait que le harcèlement sexuel comporte discrimination font en sorte qu'il n'y a pas lieu d'intervenir quant à l'évaluation des dommages.

               Pour ces motifs, je propose de rejeter l'appel avec dépens.


MARIE DESCHAMPS, J.C.A.
COUR D'APPEL



PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL

No: 500-09-000724-922
(500-53-000002-913)




CORAM: LES HONORABLES BAUDOUIN
PROULX
DESCHAMPS, JJ.C.A.



FRED HABACHI,

APPELANT - (défendeur/demandeur
reconventionnel)

c.

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC
-et-
MONICA HACHEY
-et-
LINDA LANGLOIS,

INTIMÉES -(demanderesses/défenderesses   reconventionnelles)



OPINION DU JUGE BAUDOUIN


               J'ai pris connaissance de l'opinion de ma collègue, madame la juge Marie Deschamps. Avec respect, je ne puis souscrire à certaines parties de son analyse, non plus qu'au résultat proposé dans le cas d'une des intimées.
               Quelques remarques préliminaires doivent être faites.

               La première est que, d'une façon générale, je ne remets aucunement en cause l'appréciation que fait le Tribunal des droits de la personne de la crédibilité des protagonistes de cette affaire. Monica Hachey et Linda Langlois ont, d'après les traductions versées au dossier, témoigné avec franchise, d'une façon directe et sans réticence. Tel n'est, au contraire, manifestement pas le cas de l'appelant. Sa personnalité, son profil psychologique, son éducation peuvent peut-être permettre d'expliquer en partie le caractère souvent inattendu et bizarre de son témoignage et, à mon avis, une certaine perte de contact avec la réalité. Lorsque confronté, il accuse, au lieu de s'expliquer et de donner des éclaircissements; il attaque au lieu de se défendre et donne ainsi l'impression d'une personne qui serait portée à la fabulation, à la mythomanie et à certains dérapages. Bref, je crois les deux intimées et n'accorde que très peu de poids au témoignage de l'appelant. Il faut noter cependant qu'il s'est représenté seul devant le tribunal, ce qui peut peut-être expliquer certaines choses. Je remarque également que l'on retrouve au dossier certains documents postérieurs aux faits reprochés, par exemple, des lettres de plainte adressées au ministre de la Justice dans lesquelles il se porte lui-même accusateur, documents qui, d'une façon générale, contribuent à donner un éclairage négatif de sa personnalité. On y voit, par exemple, plusieurs références par métaphore à la célèbre Lady Godiva...

               La seconde est qu'au-delà du cas d'espèce et donc de la personnalité même des parties, il m'a paru que ce dossier posait un problème de droit strict sérieux, soit la définition jurisprudentielle de la notion de harcèlement sexuel.

               La troisième est que, contrairement à ma collègue qui regroupe en un seul tout les deux réclamations de Monica Hachey et de Linda Langlois, je suis d'avis, au contraire, que les deux doivent être nettement distinguées. Il me paraît, et je le dis en toute déférence, qu'une lecture attentive du dossier et des témoignages ne permet pas de traiter les deux réclamations comme identiques et comme procédant d'un seul et même événement, uniquement parce que les deux intimées sont des amies. À mon avis, la preuve montre, au contraire, clairement que le comportement de l'appelant à l'endroit des deux intimées est loin d'avoir été le même. Je m'en expliquerai plus loin.

               La quatrième est que ma collègue, madame la juge Marie Deschamps, tranche le pourvoi sur la base de deux moyens, soit le harcèlement et la discrimination. Or, en première instance, seul le harcèlement a servi de base à la condamnation de l'appelant. Je pense cependant que ma consoeur a parfaitement raison d'aborder les deux problèmes puisque, même si la juge de première instance a estimé qu'il était suffisant à la solution du litige de se prononcer uniquement sur le harcèlement, la demande introductive d'instance repose sur les deux motifs. En outre, les droits protégés par la Charte étant des droits fondamentaux donc d'ordre public, les tribunaux sont libres, à cet égard, de ne pas s'en tenir aux seules allégations des parties (Voir, à cet égard, l'opinion du Juge en chef Antonio Lamer dans Forget c. Québec, [1988] 2 R.C.S. 90 p. 98).

               Ces remarques préliminaires étant faites, j'aborderai maintenant les problèmes de droit qui sont au centre de ce litige.

I. LE HARCÈLEMENT

               L'article 10.1 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, L.Q., c. C-12, a été ajouté en 1982, pour renforcer la réprobation de comportements inacceptables, trop longtemps tolérés dans notre société, principalement, est-il nécessaire d'ajouter, à l'endroit des femmes et des homosexuels. Il a ajouté donc à la prohibition générale de la discrimination prévue à l'article 10, une interdiction de harceler, pour l'un des mêmes motifs à l'endroit desquels la discrimination est interdite. Il entendait donc manifestement séparer discrimination et harcèlement et en faire deux motifs particuliers de grief, donc deux réalités juridiques distinctes. Avec le harcèlement, il visait plus qu'un simple comportement sexiste discriminatoire.

               Depuis cet ajout, tant la doctrine(1) que la jurisprudence(2) ont éprouvé des difficultés évidentes à définir cette notion.

               On doit aussi, bien évidemment, se référer à la doctrine et à la jurisprudence des autres provinces(3). Toutefois, même si les concepts fondamentaux sont évidemment les mêmes, on doit tenir compte du fait que, d'une part, la Charte québécoise, contrairement à certaines législations provinciales, ne définit pas le terme «harcèlement» et que, d'autre part, certaines différences législatives pourraient justifier des solutions dissemblables (ce qui, soit dit en passant, ne me paraît toutefois pas être le cas en l'espèce).

               En outre, le harcèlement prohibé par le Code criminel (art. 264(3)a C.cr.) est une notion dont le concept même et l'application pratique sont différents et donc toute comparaison analogique ne serait d'aucun secours ici(4).

               En 1987, la Commission des droits de la personne définissait le harcèlement de la façon suivante, définition qui, avec le passage du temps, semble désormais trop restrictive:

Il s'agit d'une conduite se manifestant, entre autres, par des paroles, ou des gestes répétés, à caractère vexatoire ou méprisant, à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de l'un des motifs énumérés à l'article 10 de la Charte.


Cette définition, bien que linguistiquement parfaitement exacte, est devenue trop limitative, parce que la jurisprudence dominante a décidé depuis, avec raison, qu'il pouvait y avoir harcèlement sans la présence nécessairement de «...paroles ou de gestes répétés...» (le soulignement est le mien).

               En droit, les mots d'usage courant peuvent avoir un tout autre sens. Dans la langue française ordinaire, «harceler» comporte nécessairement l'idée d'une répétition de certains actes dans la poursuite d'un but défini. Ainsi, dira-t-on, les guérilleros vont harceler les forces gouvernementales par des attaques répétées. Par contre, on ne parlera pas de harcèlement pour désigner une simple bataille entre deux armées.

               Par la suite, tant la jurisprudence de common law que la jurisprudence québécoise (je réfère ici à l'étude de Me Tessier, précitée) ont reconnu qu'un seul acte, à condition cependant qu'il soit particulièrement grave et sérieux, puisse constituer du harcèlement. Ainsi, en est-il d'un viol, d'une agression sexuelle ou de tentatives à cet égard.

               En 1989, dans l'affaire Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252 , le juge en chef Brian Dickson s'est prononcé sur la notion de harcèlement. Une relecture attentive de ses motifs me persuade toutefois que la réduction du harcèlement à un seul et même acte ne fait pas partie de la ratio decidendi de l'arrêt, puisque tous les exemples cités portent sur des paroles, des incidents ou des gestes répétitifs. Le juge en chef a, en effet, utilisé dans ses exemples la forme du pluriel à chaque fois. Cependant, il cite avec approbation le passage suivant de la remarquable étude de C. BACKHOUSE et L. COHEN, The Secret Oppression: Sexual Harassment of the Working Women, Toronto, MacMillan, 1978:

In its milder form, it can involve verbal innuendo and inappropriate affectionate gestures. It can however escalate to extreme behaviour amounting to attempted rape and rape.

                                              (p. 1280)

               Subséquemment, la Commission des droits de la personne a, dans plusieurs documents postérieurs, tenté de mieux cerner cette notion.

               En 1989, dans un document intitulé, Politique visant à contrer le harcèlement sexuel au travail, elle le redéfinissait ainsi:

[...] une conduite se manifestant par des paroles, des actes ou des gestes à connotation sexuelle, répétés et non désirés, et qui est de nature à porter atteinte à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychologique de la personne ou de nature à entraîner pour elle des conditions de travail défavorables ou un renvoi.


          (Le soulignement est le mien.)

               On notera l'insistance mise sur le caractère répétitif de la conduite, que, dans le document de 1987, la Commission relativisait toutefois en fonction de la gravité exceptionnelle d'un seul acte:

En général un acte isolé ne constitue pas du harcèlement au sens de la Charte. Toutefois, il arrive qu'un seul acte soit susceptible d'engendrer une crainte raisonnable d'une détérioration des conditions de travail. Il arrive aussi qu'un acte isolé s'accompagne de menaces directes ou implicites. Dans ces cas, l'acte reproché n'est pas vraiment isolé puisque ses effets nocifs continuent de se perpétrer et de se répéter dans le temps. C'est pourquoi un seul acte grave qui engendre un effet nocif continu pourra exceptionnellement être qualifié de harcèlement.


                              ([1987] D.L.Q. 491, p. 495)

               On retiendra également qu'une des caractéristiques du harcèlement, selon cette définition, est le prolongement dans le temps de l'impact engendré sur la personne par l'acte unique, mais qui revêt un caractère manifeste de gravité.

               Sur le plan linguistique et logique, il eut probablement été plus facile pour le législateur de prévoir, dans la Charte, une autre prohibition de «sexisme», de «provocation sexuelle», ou encore de «harcèlement sexiste», de façon à permettre de mieux séparer l'acte unique des actes répétitifs.
               Quoi qu'il en soit, et au-delà de la magie des mots, je tiens pour acquis, comme les auteurs précités, qu'en droit du moins, contrairement à la linguistique, un seul acte, à condition qu'il soit grave et produise des effets continus dans l'avenir, puisse effectivement constituer du harcèlement. J'endosse donc, à cet égard, les conceptions larges proposées par certains auteurs, notamment Maurice Drapeau, Catherine MacKinnon et A. Aggarwal.

               Cependant, à moins de vider complètement le concept de harcèlement de tout son sens, de le banaliser et de réduire ainsi l'impact que voulait donner le législateur à cet acte, il faut pour qu'un seul acte puisse ainsi être qualifié, que celui-ci présente un certain degré objectif de gravité. Les auteurs précités parlent de viol ou de tentative de viol, donc d'agression sexuelle. On peut probablement ajouter à ceux-ci la sollicitation insistante d'obtenir des faveurs sexuelles sous menace, par exemple, de congédiement dans le cas d'une employée. Alors, en effet, l'acte ne reste pas véritablement isolé puisque son impact (la menace de congédiement) se perpétue dans le temps.

               Je ne pense pas par contre que l'on puisse, en droit, qualifier de harcèlement une simple blague, un simple geste, une simple parole, une simple tentative de flirt ou une simple insinuation à connotation sexuelle, à moins évidemment, hypothèse toujours possible, que ceux-ci soient d'une exceptionnelle gravité. La présence d'une protection législative contre des abus qui, sans aucun doute, méritent sanction ne doit pas être banalisée et, pour autant, empêcher les contacts sociaux tolérables et courants. Le rôle de la loi n'est pas de réprimer le mauvais goût, mais seulement les conduites socialement intolérables. Elle ne doit pas non plus empêcher les gens de discuter sur les motifs mêmes de discrimination potentielle comme les opinions politiques, la couleur, l'orientation sexuelle ou le sexe pour ne prendre que quelques exemples. Tout est question de fait et de jugement. Par contre, et il me paraît important de le souligner, il n'est pas exclu, pour autant, que ces mêmes agissements, objectivement peu graves, et qui ne sauraient donc se qualifier de harcèlement, puissent, par ailleurs, constituer une atteinte de type différent aux droits de la personne, par exemple, une discrimination portant atteinte à la dignité de celle-ci. Ainsi, l'individu qui fait une remarque grossière et désobligeante sur la couleur de la peau de son interlocuteur peut violer les droits de ce dernier et porter atteinte à sa dignité, mais n'est pas, pour autant, coupable de harcèlement.

               En outre, je conçois tout à fait que la présence d'un «climat de sexualité», que mentionne à plusieurs reprises ma collègue dans son opinion, puisse constituer un élément important dans la démonstration de l'existence d'un harcèlement sexuel. Il me paraît cependant très important d'être prudent à cet égard et ce pour deux raisons. La première est que l'existence d'un «climat» relève d'une perception essentiellement subjective et peut, à l'extrême limite, ne reposer sur aucune réalité objective. La fabulation que révèlent le témoignage de l'appelant et sa lettre au ministre de la Justice m'en paraît un exemple frappant. La seconde est que l'existence d'un «climat sexuel» peut être la conséquence, l'effet ou le résultat de bien d'autres choses que du harcèlement.

               Ces quelques règles étant posées, examinons maintenant leur application au cas d'espèce.
               Il me faut toutefois faire une distinction, comme l'a d'ailleurs fait le Tribunal des droits de la personne, entre le cas des deux intimées.

II. L'APPLICATION À L'INSTANCE

__________
A. Le cas de Linda Langlois

_______________
1] Le harcèlement

               Si l'on reprend une analyse complète et serrée de la preuve retenue par le tribunal de première instance et de celle transcrite au dossier d'appel, le harcèlement dont l'intimée se plaint est fondé sur trois incidents.

               Le premier, de nature très générale, a lieu durant un cours donné par l'appelant en mai 1988, après que Monica Hachey eut prévenu Linda Langlois que l'appelant lui reprochait aussi des «jeux de séduction», donc au mois de mai. L'intimée s'exprime ainsi (Je cite au long et probablement plus que nécessaire son témoignage, pour bien donner le contexte.):

Q.   Est-ce que nous pouvons conclure de cela que depuis le mois de janvier, février, etc., jusqu'au mois de mai, vous n'aviez jamais eu de discussion particulière avec Monsieur Habachi?


     R.   Non.

     Q.   Rien qui vous mettait mal à l'aise?

     R.   Non.

Q.   Ça allait passablement bien?


     R.   Oui.

Q.   Oui. Alors on se situe au mois de mai. Et après cela, vous avez continué à suivre les cours?


R.   Oui, on a continué. Quand on est sorties de la discussion qu'on avait eue avec Monsieur Habachi, moi et Monica on s'est dit - on va continuer le cours, puis on ne lui demandera pas - on va lui demander le moins d'explications possibles, pour pas qu'y nous reproche encore qu'on faisait des jeux de séduction.


Puis je me souviens, moi j'étais en classe théorie, puis je le regardais pas. Je regardais mes papiers, que j'avais devant moi. Je prenais des notes, beaucoup de notes, mais je le regardais pas.


Puis lui, y passait des commentaires comme quoi je dormais dans les cours théoriques.


                                        (M.A. p. 317-318)

               Le second prend place peu de temps après. Voici comment l'intimée le relate:

Q.   Donc, vous avez continué à suivre les cours. Est- ce que -autrement, donc, vous dites que vous essayiez de ne pas le regarder.


Est-ce que - à la suite de cette rencontre et l'échange que vous aviez eu avec Monsieur Habachi, est-ce que ça a changé d'autres choses dans le cours et les ... (interrompue)


R.   Bien le laboratoire là.


Q.   ... conditions en classe?


R.   En laboratoire, une fois, on y avait demandé de nous aider, puis Monsieur Habachi avait pour habitude de s'asseoir puis de régler notre problème, au lieu de nous l'expliquer là comme tel.


Puis nous, on s'était assis - y avait une fenêtre, puis y avait un rebord, puis on s'était assis toutes les deux (2) sur le rebord de la fenêtre.


C'était juste à côté de la table où était Monsieur Habachi, puis y a pas aimé ça. Y s'est levé, puis y s'est mis à crier - comment vous voulez que je vous explique quelque chose, vous êtes même pas là pour voir qu'est-ce que j'ai à vous expliquer?


Q.   Et pourquoi est-ce que vous étiez assises à cet endroit, au juste?


R.   Bien j'avais pas l'intention d'aller me mettre par- dessus son épaule pour voir qu'est-ce qu'y faisait, parce que je me disais - si je m'approche trop de lui, y va me dire que j'essaye - je fais des avances, d'une façon ... (interrompue)


Q.   Est-ce que vous compreniez qu'est-ce ... (interrompue) ... subtile ... (fin de phrase indéchiffrable)


Je m'excuse. Est-ce que vous compreniez qu'est-ce qu'il vous reprochait, quand il disait que - vous deviez cesser vos jeux?

     R.   Non.

               Le troisième incident date du 1er juillet, alors que l'intimée reprend un examen qu'elle a antérieurement raté. Son témoignage est à l'effet suivant:

R.   Puis on était dans l'examen, puis Monsieur Habachi avait été expliquer à tout le monde c'était quoi la question. Moi, je comprenais absolument rien dans sa question. Puis, y était pas venu me voir pour m'aider.


Ça fait que j'avais fini la dernière, ça fait que j'avais eu, donc, la note la plus basse, parce que y fonctionnait - dans les laboratoires, le premier qui finissait avait la meilleure note; puis après, ça allait en descendant. Donc, c'est la seule chose qu'y a eue, à aller jusqu'au 1er juillet.


     Q.   Qu'est-ce qui s'est passé, le 1er juillet?

R.   Okay. Dans la semaine de fin juin, Monsieur Habachi nous a annoncé qu'on avait un examen. C'était le 30 juin, je crois. Puis moi, je pouvais pas me présenter à l'examen, j'avais une entrevue pour un emploi de fin de semaine. Ça fait que donc, j'ai ... (interrompue)


     Q.   Où est-ce que vous aviez une entrevue?

     R.   C'était dans un restaurant, comme «waitress».

     Q.   Comme «waitress»?

R.   Oui. Ça fait que donc, j'ai demandé à Monsieur Habachi si je pouvais reprendre l'examen plus tard.


     Q.   Oui.

R.   Puis lui, y m'a conseillé de venir le 1er juillet, parce que c'était un congé. Donc, y m'a dit - viens le 1er juillet, mais appelle-moi avant, vers dix heures (10:00 hrs.), pour voir si je vais être à l'école.


Donc, le 1er juillet, je l'ai appelé, il était à l'école. J'ai donc été pour passer mon examen. Là, rendue à l'école, je me suis assise, j'ai commencé mon examen.


Là, Monsieur Habachi m'a dit qu'y avait une question dans l'examen qu'y avait pas parlé en classe. Donc, les étudiants avaient pas pu y répondre, sauf un qui avait répondu.


Ça fait qu'y m'avait dit - je vais te donner les notes que j'ai sur cette question, puis tu vas répondre à la question dans ton examen.


Donc, moi je fais mon examen, puis j'étais rendue à la deuxième question, Monsieur Habachi est venu me voir, y m'a dit - Linda, je vais chercher deux (2) cafés au restaurant, je veux que tu viennes dans mon bureau, je veux te parler.


Là j'ai dit - bien je peux pas, je suis en train de faire un examen - je peux pas lâcher mon examen comme ça puis aller dans votre bureau avec vous.


- Y faut que je te parle.


Donc, y a été chercher deux (2) cafés, j'ai été avec lui dans son bureau. Là, je me suis assise puis y m'a dit -là, Monica là, ses jeux de séduction là, c'est trop là.


Puis moi, j'ai dit - je comprends pas. - Je vois pas comment - quels jeux de séduction qu'elle vous fait, Monica.


Puis là, j'y ai demandé - j'y ai dit - puis moi? Y m'a dit - toi, y dit, c'est des jeux de séduction, mais c'est moins pire que Monica. Y dit - Monica, c'est grave.


Là j'ai dit - en tout cas, moi j'ai un examen à finir, je vais aller le finir, puis je veux rien savoir de cette histoire-là. Je suis sortie.


J'ai été pour finir mon examen, mais j'étais pas capable de répondre aux deux (2) autres questions que j'avais. Puis là, Monsieur Habachi est arrivé ... (interrompue)


Q.   Pourquoi vous n'étiez pas capable de répondre aux deux (2) questions?


R.   J'arrivais pas à me concentrer.


     Q.   Hmm, hmm.

R.   Puis Monsieur Habachi est rentré, puis y m'a amené les feuilles pour répondre à la question que y avait pas parlé en classe, y m'a donné les feuilles puis y est parti; puis là, j'ai lu ça, puis finalement, j'ai pas répondu grand-chose à cette question.


Puis y est rentré dans le cours, puis y m'a dit - t'as l'air à avoir des problèmes. Bien j'ai dit - écoutez, après qu'est-ce que vous venez de me dire, c'est sûr que j'ai des problèmes.


Ça fait que là, y a vu que je bloquais sur un numéro, il l'a fait au tableau puis il a dit - marque-le dans ton examen - puis y est parti. J'ai marqué le numéro dans mon examen puis après, j'ai été porter l'examen, puis je suis partie.

                                    (M.A. p. 322 à 326)

               Seul, dans le troisième événement me paraît-il, peut-on voir une quelconque connotation sexuelle, puisqu'il y est question d'une accusation de «jeux de séduction». Certes, l'appelant choisit un bien mauvais moment pour faire une remarque qu'il qualifie de disciplinaire. Il s'agit d'un geste sûrement déstabilisant pour l'intimée. En tout respect cependant, même si ce geste peut être qualifié d'inapproprié, de cavalier, d'inconvenant ou de tout autre épithète, je ne peux me résoudre à y voir du harcèlement sexuel, eu égard au fait qu'il ne répond à aucun des deux critères soit, d'une part, sa répétitivité et, d'autre part, la présence manifeste et claire d'une gravité objective. Le seul fait pour l'appelant d'avoir, cette fois-ci, directement et non par l'intermédiaire d'un tiers, réitéré un avertissement (qu'il qualifie, encore une fois, de disciplinaire), mais qui ne révèle en rien une conduite visant à séduire l'intimée, à lui faire des propositions de nature sexuelle, des offres ou menaces, ne me paraît pas suffisant pour constituer du harcèlement sexuel au sens que le législateur et la jurisprudence donnent à ce terme.

               On est bien loin, pour ce seul acte, des exemples cités par les auteurs, soit le viol, l'agression sexuelle ou de leurs tentatives, ou même de simples menaces de congédiement. En outre, le témoignage cité plus haut ne révèle aucunement l'existence d'un climat irrespirable à caractère sexuel, mais davantage d'une atmosphère de malaise dans une relation maître-élève.

               Sur ce point, je concours donc entièrement à la jurisprudence constante du Tribunal des droits de la personne(5) qui exige la présence des deux éléments ci-haut mentionnés.

               2) La discrimination

               Comme le souligne, avec justesse, le Tribunal des droits de la personne dans le jugement dont appel, il existe une interrelation étroite entre l'interdiction de discriminer pour l'un des motifs prévus à l'article 10 et la prohibition du harcèlement sexuel. Dans certains cas, des gestes identiques peuvent constituer les deux infractions. Dans d'autres cas, une conduite qui ne peut être qualifiée de harcèlement peut toutefois être discriminatoire en portant atteinte, par exemple, à la dignité de la personne.

               Cependant, harcèlement sexuel et discrimination restent des notions et concepts différents et les critères d'analyse de leurs éléments constitutifs doivent être distingués.

               Pour qu'il y ait discrimination, selon la jurisprudence citée par ma collègue, et à laquelle je souscris bien évidemment, il faut prouver l'existence d'une distinction, exclusion ou préférence fondée sur l'un des motifs prévus par l'article 10 de la Charte. Il faut ensuite que celle-ci compromette ou détruise le droit à une pleine égalité dans la reconnaissance d'un droit ou d'une liberté de la personne. En bref, subit une discrimination la personne qui n'est pas traitée avec égalité dans l'exercice de ses droits fondamentaux législativement reconnus.

               Avec beaucoup d'égards, je ne peux me résoudre à voir dans l'unique fait qu'un reproche (très certainement injuste) ait été adressé à Linda Langlois, un acte caractérisé de discrimination basé sur le sexe (donc la condition féminine). Le fait que le reproche soit adressé par un homme à une femme n'est pas en soi discriminatoire. En outre, son caractère finalement relativement banal, sa non-répétitivité, le fait qu'il n'ait pas été accompagné d'autres gestes, commentaires, reproches, propos ou même innuendos, ne suffisent pas, à mon avis, à satisfaire les critères jurisprudentiels ci-haut mentionnés. Même si, comme je m'en suis expliqué au début, la conduite de l'appelant postérieure à l'acte reproché est, pour employer un euphémisme, pour le moins douteuse et curieuse, il n'est pas dans notre rôle de le condamner, pour ainsi dire pour....«l'ensemble de son oeuvre». Le seul fait qu'il s'est créé, en raison de conflits de perception et de personnalité, une situation difficile ne suffit pas, à moins de banaliser la notion même de discrimination. Je dois, en effet, m'en tenir strictement, même si j'éprouve de la sympathie pour l'intimée, aux seuls faits prouvés et objectifs au moment où le geste reproché a été posé. Je ne peux, pour ainsi dire, me baser sur son attitude postérieure pour faire rétroagir une accusation de discrimination et de comportement sexiste.

               Pour ces raisons donc, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi dans le cas de Linda Langlois.

          B. Le cas de Monica Hachey

               Le cas de Monica Hachey, tout en restant à mon avis très limite, est plus complexe. Deux événements importants servant de base à l'accusation de harcèlement sexuel sont relatés par elle dans son témoignage.

               Le premier se situe à la mi-avril 1988. L'intimée est alors dans le bureau de l'appelant et celui-ci, qui prétend être en train d'écrire un livre sur le comportement des jeunes, demande s'il peut lui poser certaines questions. Rappelons que l'intimée travaillait alors aussi comme réceptionniste à l'école et donc qu'entre elle et l'appelant existait un double lien d'employeur-employé et de maître-élève. Je cite, encore au long et sans interruption, le témoignage de l'intimée:

     R.   Puis Monsieur Habachi est rentré dans le bureau, m'a dit que j'avais comme terminé pour la journée, si je voulais, mais que y aimerait ça me parler, si je voulais aller nous chercher chacun un café au petit restaurant du coin.

     
C'était quelque chose qu'on faisait quand même assez souvent, aller se chercher un café au restaurant. Puis de lui en ramener un et un pour moi, parce qu'y aimerait ça discuter de quelque chose avec moi.


     
C'est ce que j'ai fait. J'ai été nous chercher un café. Puis, quand je suis revenue, y m'a demandé de m'asseoir et puis, il a ouvert la conversation en me disant qu'il écrivait un livre sur le comportement des jeunes - je me rappelle plus si y avait nommé un titre là, mais sur le comportement des jeunes, «Young Behaviorism», puis qu'il voulait me poser des questions, en général là, que je donne mon opinion en général.


     
C'était quelque chose qu'il avait stipulé, «en général», et non pas mes expériences personnelles, qu'il avait quelques questions à me poser sur le comportement.


     
Puis je dois dire qu'y a plus ou moins juste deux (2) questions qui me sont restées vraiment dans l'esprit, depuis ce temps-là.


     
C'était que - y m'avait posé la question à savoir - pourquoi que les jeunes filles étaient souvent plus attirées vers un jeune homme, dans une classe, qui était plus bouffon, plutôt que d'être attirées vers un garçon qui était un peu plus sérieux envers les études, envers lui-même, qui était plus sérieux - peut-être moi j'ai pris ça pour être un peu plus gêné.


     
Puis j'ai répondu, comme y m'avait demandé, généralisé, que c'était parce qu'une jeune fille qui est le moindrement gênée elle-même n'ira pas chercher le garçon qui est gêné ou qui est sérieux; elle va être plus attirée vers un bouffon, parce que y est, comme on dit en anglais «outgoing», «easygoing».


     
Puis à ce moment-là, c'est resté comme ça, jusqu'au moment où y m'a posé la question à savoir pourquoi les jeunes filles étaient souvent attirées vers un homme plus âgé.


     
Puis encore là, j'ai répondu des statistiques. Y m'avait demandé mon opinion en général, et j'ai répondu ce que j'avais vu dans les magazines, ce que je connaissais des statistiques. C'était - plus souvent qu'autrement, y recherchaient un père.


     
Et puis, à ce moment-là, quand que la question était venue, j'avais (j'étais) resté un peu frappée là, mais à ce moment-là - je voulais pas - à ce moment-là, je me doutais pas, t'sais - je savais pas qu'est-ce qu'y allait s'ensuivre dans la conversation.


     
Alors j'ai continué avec la conversation, avec la discussion, jusqu'au moment où il m'a dit qu'il avait peur de moi, parce que j'étais trop jeune.


     
Puis j'ai essayé, à ce moment-là, de comprendre qu'est-ce qu'y voulait dire, puis j'ai pas parlé, j'ai pas rien dit. J'étais encore un peu abasourdie, puis après ça, y m'a demandé comment je me sentirais s'il me prenait dans ses bras.


     
Puis j'ai dit - wow! minute - dans ma tête là, j'ai pas - j'ai pas dit tout haut - y a quelque chose qui se passe ici que je suis pas confortable avec, à l'aise.


     
Puis j'ai - mais j'ai pas - j'ai resté bloquée. J'étais très surprise de la discussion qui suivait, puis j'étais très surprise, j'ai resté bloquée, puis j'ai pas rien dit, j'ai pas parlé.

     
Puis ensuite, Monsieur Habachi m'a demandé d'aller prendre une marche avec lui, et puis je lui ai dit - je me suis levée, je lui ai dit - non, je m'en vais à la maison.


     
Et puis, c'est ce que j'ai fait. Je me suis - j'ai mis mon manteau et je suis partie, je me suis en allée à la maison. Puis ça, c'était la discussion du mois d'avril


                                         (M.A. p. 150 à 154)

          Le second incident a eu lieu le lendemain.

Q.   Est-ce que vous êtes revenue sur cette discussion, dans les jours qui ont suivi?


R.   Le lendemain, je me suis retrouvée, encore une fois, seule à l'école avec Monsieur Habachi. J'étais dans le laboratoire et puis, Monsieur Habachi est venu près de moi, il m'a pris la main, il m'a dit - so? Et moi, j'ai pris ça pour vouloir dire - so, have you thought about it?


T'sais, comme - est-ce que vous y avez pensé, avez- vous pris une décision? Puis moi, je lui ai dit que quelque chose comme ça n'était pas une bonne idée.


     Q.   Dans quelle langue est-ce que vous l'avez dit?

     R.   En anglais.

     Q.   Qu'est-ce que vous avez dit?

     R.   J'ai dit - I don't think it would be a good idea.

     Q.   Hmm, hmm.

R.   Et puis, j'ai - à ce moment-là, c'était peut-être pas clair. Moi, je savais que ce que je voulais dire, c'est que je voulais qu'on s'en tienne à des relations de professeur-étudiante, puis je voulais continuer son cours, puis j'avais pas l'intention de revenir sur ce sujet-là.


Puis là, y m'a répondu que - you never know. J'ai pris ça pour dire, en voulant dire - on ne sait jamais ce qui peut se passer, tu peux changer d'idée.


Q.   Mais ses paroles étaient, à Monsieur Habachi?


     R.   - You never know.

Q.   - You never know. Est-ce que la discussion a continué?


R.   À ce moment-là, non, parce que y arrivait proche de l'heure de mon cours de l'après-midi, puis les autres élèves sont arrivés, puis on a commencé - on a débuté notre cours.

                                             (M.A. p. 155-156)

               On comprend fort bien la réaction de l'intimée, qui déclare avoir continué à travailler comme réceptionniste et à fréquenter les cours, tout en se sentant mal à l'aise lorsqu'elle se trouvait seule en présence de l'appelant. Ici, à mon avis, on peut parler de climat ambigu à caractère sexuel.

               Le troisième événement est survenu en mai, lorsque l'appelant l'a convoquée dans son bureau pour lui reprocher d'avoir un comportement à son égard et à l'endroit des autres étudiants qu'il qualifiait d'équivalent à des «jeux de séduction». C'est alors qu'elle a pris la décision de cesser de travailler comme réceptionniste.

Q.   Et vous avez dit que vous avez continué à travailler jusqu'à ...?


     R.   Jusqu'à - excusez - vers la mi-mai.

Q.   Et qu'est-ce que - est-ce qu'il y avait une raison particulière pour laquelle vous avez cessé de travailler?


R.   Oui. Pour une raison très particulière. Comme je vous disais, j'avais manqué un peu le travail, des fois puis, un matin que je suis arrivée en retard, Monsieur Habachi était déjà dans sa classe en train de donner un cours de théorie.


Puis je suis arrivée, je suis rentrée dans le bureau, puis ça faisait pas tellement longtemps que j'étais rendue dans le bureau que - Monsieur Habachi est venu dans le bureau en coup de vent et puis, il m'a dit qu'il voulait me parler.


Puis, à ce moment-là, moi j'ai pensé - de quoi, cette fois-ci? - La dernière fois qu'y a voulu me parler, c'était la grande discussion qu'on avait eue.


Puis là, je savais pas trop de quoi qu'y voulait me parler. Puis y m'a dit que je devais cesser mes jeux de séduction. Alors j'ai resté très surprise, je savais pas de quoi il parlait.


Je lui ai dit - je lui ai posé la question, à savoir de quoi il parlait, et il m'a dit - je veux que tu cesses tes jeux de séduction avec Gaston -, Gaston étant un des étudiants dans mon cours.


Je lui ai dit que je m'étais pas obligée d'accepter les accusations qu'il faisait et que je finirais ma journée de travail et que je reviendrais pour mon cours, l'après-midi, mais qu'il ne m'attende pas le lendemain matin, pour travailler, que j'avais - que je cessais de travailler pour lui, mais que je continuerais mes cours.


Et puis, il a dit - fine - je sais pas - il me semble que c'est le mot qu'il a dit, à ce moment- là. Il s'est levé pour sortir du bureau. Juste avant de sortir, il s'est retourné et il m'a dit - tu diras à Linda qu'elle cesse ses petits jeux, elle aussi.


Et à ce moment-là, j'avais - je venais de dire que j'étais pour continuer ma journée, de finir ma journée de travail, puis après ça, j'ai changé d'idée là; je me sentais pas capable de continuer mon travail, cette journée-là.


Donc, j'ai - je me suis levée, puis je suis partie. Puis je me suis en allée chez moi, jusqu'à - tant que ce soit le temps de partir pour mon cours, dans l'après-midi.


Q.   Est-ce que vous avez à quoi faisait allusion Monsieur Habachi?


R.   Sur le coup, non. C'est - depuis le temps, je crois que j'ai peut-être compris là, mais à ce moment-là, je savais pas du tout de quoi il voulait parler.


                                         (M.A. p. 158 à 161)

               En fin de compte, il est clair que l'élément déclencheur du départ des deux intimées a été l'accusation portée contre elles par l'appelant de se livrer à des «jeux de séduction».

               L'appréciation détaillée et bien motivée qu'a fait le Tribunal des droits de la personne sur cette question, de même que son analyse juridique, est irréprochable. Il n'existe pas un iota de preuve de la véracité et de la réalité de ce reproche. Celui-ci est d'abord nié avec vigueur par les intimées. Il est démenti également par les autres étudiants lors de la rencontre houleuse au cours de laquelle Linda Langlois a d'ailleurs menacé de frapper l'appelant. Enfin, le témoignage des parents confirme ce fait et est aussi éloquent à cet égard. Il m'est donc strictement impossible d'accorder sur ce point une quelconque crédibilité à la version de l'appelant, qui me paraît avoir carrément pris ses désirs pour des réalités.

               En somme, dans le cas de Monica Hachey, il y a eu d'abord une tentative à peine déguisée, pour employer une expression consacrée, de «draguer» une jeune femme qui a la moitié de son âge. Ce geste seul et isolé, même s'il reste condamnable, eu égard à la fin de non-recevoir opposée par celle-ci, n'aurait pas eu, en soi, un caractère suffisamment grave pour constituer du harcèlement sexuel. Par contre, ce geste joint ensuite aux faux reproches adressés à l'intimée (qui ressemblent à une vengeance pour faveurs non obtenues), constitue un ensemble et révèle l'existence d'une «trame». Là encore, j'aurai normalement trouvé cet autre incident, même joint au premier et même s'il a une connotation clairement sexiste, insuffisant pour justifier un verdict de harcèlement. Par contre et même si, à mon avis, il s'agit là d'un cas tout à fait limite, deux raisons m'ont convaincu de conclure comme ma collègue.

               La première est que ces événements doivent être appréciés dans le contexte particulier de l'espèce, soit le fait que l'appelant exerçait sur l'intimée une double relation d'autorité en tant qu'employeur et enseignant. L'impact psychologique de ces agissements sur une personne qui se trouve dans un double lien de subordination ne peut faire autrement que d'être maximisée par l'existence même de celui- ci et d'avoir un effet continu dans le temps. En d'autres termes, ce qui n'aurait pu se qualifier de harcèlement dans un autre contexte, peut l'être en raison de liens de dépendance qui créent chez la personne subordonnée un climat psychologique ambigu, malsain, équivoque, persistant et donc inquiétant.

               Des propos, des gestes, un comportement qui, dans le cadre d'une relation ordinaire homme-femme, peuvent paraître vulgaires, de mauvais goût, déplacés ou même grossiers et donc sexistes, ne sauraient constituer automatiquement du harcèlement. La loi n'est pas faite pour imposer la politesse, l'affabilité, le savoir-vivre, ou la rectitude politique. Ils peuvent cependant le devenir, s'il y a une certaine répétitivité (qui, faut-il le redire, reste quand même limite dans ce cas), et surtout s'il existe un contexte de relation de dépendance. Il convient cependant d'être prudent à cet égard pour ne pas banaliser une atteinte que le législateur a voulu particulière et distincte de la simple discrimination.

               La seconde est une lecture attentive du témoignage de l'appelant lui-même. Cette lecture est révélatrice des sous-entendus de nature sexuelle de propos qui, dans un autre contexte, auraient pu paraître innocents, neutres ou simplement déplacés. N'eût été de ce témoignage révélant un malaise palpable, j'aurais eu beaucoup de difficultés à conclure, comme le fait ma collègue.

               Je ne veux surtout pas passer pour affirmer qu'un employeur ou un enseignant qui constate chez une employée ou une élève un problème de comportement qu'il juge trop familier, est coupable de harcèlement sexuel uniquement parce qu'il s'interpose pour y mettre fin: il en a parfaitement le droit. Encore faut-il cependant, d'une part, que ces reproches aient une certaine apparence de réalité et, d'autre part, qu'ils ne s'insèrent pas dans un contexte préalable de tentative de séduction.

               Quant aux dommages, l'appelant ne m'a fait voir aucun motif sérieux qui permettrait de modifier les sommes accordées par le Tribunal des droits de la personne.

               Pour ces raisons donc, je suis d'avis dans le cas de Monica Hachey de rejeter le pourvoi.

JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.

1.    En doctrine, voir: M. DRAPEAU, Le harcèlement sexuel au travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991; D. SAVOIE et V. LAROUCHE, «Le harcèlement sexuel au travail», (1988) 43 Rel. Ind. 509; S. TOUPIN, «Le harcèlement sexuel en milieu de travail», (1988) 43 Rel. Ind. 531; J. BOUCHARD, «L'indemnisation des victimes de harcèlement sexuel au Québec», (1995) 36 C. de D. 125 ; j'attire une attention toute particulière sur l'excellent article de Me HÉLÈNE TESSIER, «Le harcèlement en éducation: responsabilité légale et problèmes éducatifs», dans Développements récents en droit de l'éducation, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, p. 297.
2.     En jurisprudence, je réfère tout simplement aux décisions citées dans l'article de Me HÉLÈNE TESSIER, principalement aux notes 4, 14 et 16, et aussi à la décision récente en matière d'emploi de la Commission du Travail: Richard c. Lefebvre ltée, dossier E09726 du 14 mai 1999.
3.    Voir en doctrine principalement: C. BACKHOUSE et L. COHEN, The Secret Oppression: Sexual Harassment of Working Women, Toronto, MacMillan, 1978; C. MacKINNON, Sexual Harassment of Working Women: A Case of Sex Discrimination, London, University Press, 1979; A. AGGARWAL, Sexual Harassment in the Workplace, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1992; en jurisprudence: Robichaud c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 1252 .
4.    Voir: W. SCHABAS, Les infractions d'ordre sexuel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995; J. NÉRON, L'agression sexuelle et le droit criminel canadien, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, et l'opinion de mon collègue, Michel Proulx, dans Lamontagne c. La Reine, C.A.M. 500-10-000470-961 du 24 août 1998.
5.    Voir: Gervais c. Vaillancourt, J.E. 93-1148 ; Bertrand c. Hôpital Général Juif, [1994] R.J.Q. 2087 ; Commission des droits de la personne c. Allard, J.E. 95-986 , et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Zervakis, D.T.E. 97T-1047 .

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.