99011579
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-09-000724-922
(500-53-000002-913)
Le 16 septembre 1999
CORAM: LES HONORABLES BAUDOUIN
PROULX
DESCHAMPS, JJ.C.A.
FRED HABACHI,
APPELANT - (défendeur/demandeur
reconventionnel)
c.
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU
QUÉBEC,
-et-
MONICA HACHEY,
-et-
LINDA LANGLOIS,
INTIMÉES - (demanderesses/défenderesses
reconventionnelles)
_____LA COUR
, statuant sur le pourvoi de l'appelant contre
un jugement du Tribunal des droits de la personne du district
de Montréal prononcé le 26 mars 1992 par l'honorable Michèle
Rivet qui le condamnait à payer 3 730,09 $ à l'intimée Monica
Hachey et 1 609,03 $ à l'intimée Linda Langlois ainsi qu'une somme additionnelle de 3 000 $ à chacune à titre de dommages
moraux, avec intérêts et les dépens.
Après étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exprimés dans l'opinion écrite du
juge Baudouin auxquels souscrit le juge Proulx:
ACCUEILLE partiellement le pourvoi à la seule fin de
biffer les ordonnances concernant Linda Langlois;
Le tout sans frais, vu le sort mitigé du litige;
Pour les motifs exprimés dans son opinion, la juge
Deschamps aurait rejeté le pourvoi avec dépens.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.
MICHEL PROULX, J.C.A.
MARIE DESCHAMPS, J.C.A.
Me Vonnie Rochester
Procureur de l'appelant
Me Béatrice Vizkelety
Procureure des intimées
Audition: 28 octobre 1998
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-09-000724-922
(500-53-000002-913)
CORAM: LES HONORABLES BAUDOUIN
PROULX
DESCHAMPS, JJ.C.A.
FRED HABACHI,
APPELANT - (défendeur/demandeur
reconventionnel)
c.
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU
QUÉBEC,
-et-
MONICA HACHEY,
-et-
LINDA LANGLOIS,
INTIMÉES - (demanderesses/défenderesses
reconventionnelles)
OPINION DE LA JUGE DESCHAMPS
Pour la Commission des droits de la personne
du Québec, le comportement de l'appelant constitue de la discrimination et du harcèlement sexuel. Pour l'appelant, il
s'agit d'un simple problème de relations interpersonnelles.
En janvier 1988, les intimées Monica Hachey
et Linda Langlois s'inscrivent à un cours de technologie de
microprocesseur et d'électronique à l'Institut Frehab.
L'appelant est directeur de l'école et professeur. À compter
de février 1988, l'intimée Hachey travaille à temps partiel
comme secrétaire de l'appelant pour payer une partie de ses
frais de scolarité. Vers la mi-avril, un premier incident
survient. Voici comment le résume la juge de première
instance:
Tout semble bien se dérouler pour
Monica Hachey jusqu'à la mi-avril
alors que, se retrouvant seule avec M.
Habachi, puisque les élèves ont alors
tous quitté, celui-ci lui indique
qu'il écrit un livre sur le
comportement des jeunes et qu'il
désire lui poser un certain nombre de
questions. «Pourquoi les jeunes
filles sont-elles attirées par des
garçons jeunes, pourquoi vont-elles
vers des hommes plus âgés?» «Il me dit
alors», nous dit-elle, «qu'il a peur de
moi parce que je suis trop jeune, il
me demande comment je me sentirais si
j'étais dans ses bras (...) je reste
bloquée, je ne réponds pas». «Le
lendemain, ajoute-t-elle, alors que je
suis à l'école avec M. Habachi, il me prend la main et me demande: «So?» Je
réponds: «I don't think it will be a
good idea». Je voulais qu'on s'en
tienne à des relations
professionnelles. Il ajoute: «You
never know».
Après ces échanges, l'intimée Hachey continue
de travailler pour l'appelant mais, selon son témoignage, elle
ne veut plus se retrouver seule avec lui.
Environ un mois plus tard, un autre incident
survient. L'appelant dit à l'intimée Hachey de cesser «ses
jeux de séduction». De plus, il lui demande de dire à
l'intimée Langlois qu'elle aussi doit cesser «ses petits jeux».
Lors d'une visite des intimées Hachey et Langlois, l'appelant
mentionne à l'intimée Langlois «de cesser ses jeux de
séduction, d'agir comme une étudiante et que tout va aller
pour le mieux». L'intimée Hachey décide alors de cesser de
travailler pour l'appelant et l'évite le plus possible.
Toutes deux prennent la résolution, pour éviter de nouvelles
accusations, de s'adresser aux étudiants plutôt qu'à
l'appelant pour obtenir des explications sur le contenu des
cours.
Le premier juillet, l'intimée Langlois doit
reprendre un examen. L'appelant la convoque à son bureau
avant la fin de l'examen. Il insiste, malgré ses
protestations, pour qu'elle le suive. Dans son bureau, il lui
fait part des prétendus jeux de séduction de l'intimée Hachey,
lui reprochant le même comportement, mais à un degré moindre.
À la suite d'une journée d'école manquée, la
mère de l'intimée Hachey entre en communication avec
l'appelant. S'ensuivent plusieurs rencontres impliquant les
parents des jeunes filles et même les trois seuls autres
étudiants de la classe, des garçons, pour déterminer si, à
leur avis, elles leur font des avances. De l'avis des
garçons, ce n'est pas le cas.
Se disant incapable de tolérer la situation,
l'intimée Langlois quitte l'école le 7 juillet 1988. Malgré
les réserves exprimées par ses parents, l'intimée Hachey
laisse aussi le même jour.
Dans un premier temps, les jeunes filles
consultent un avocat de l'aide juridique dans le but de réclamer le remboursement des frais de scolarité. Elles sont
ensuite dirigées vers la Commission des droits de la personne
qui, après enquête, dépose le 13 mai 1991 une demande au
Tribunal des droits de la personne.
L'appelant a soutenu devant le Tribunal avoir
lui-même été victime de harcèlement sexuel. Pour lui, les
intimées Hachey et Langlois portaient des vêtements provocants
et l'utilisaient pour rendre jaloux les compagnons de classe
qu'elles courtisaient. L'intimée Hachey aurait, en février et
en avril, mis sa main sur son bras puis son bras autour de son
épaule. De février à juillet, selon son témoignage, en raison
du comportement des intimées Hachey et Langlois, un climat de
sexualité aurait été omniprésent et elles auraient cherché
continuellement à l'attiser et à le rendre jaloux. Il ne nie
nullement leur avoir dit de cesser leurs jeux de séduction.
Le Tribunal de première instance conclut que
l'appelant a harcelé sexuellement les intimées Hachey et
Langlois et le condamne à payer des dommages matériels de
3 730,09 $ dans le cas de l'intimée Hachey et de 1 609,03 $ dans le cas de l'intimée Langlois ainsi que des dommages
moraux de 3 000 $ à chacune.
La question qui se pose est de savoir si le
comportement de l'appelant constitue de la discrimination ou
du harcèlement sexuel.
J'écarte tout de suite le moyen de l'appelant
fondé sur l'interprétation des faits. Force est de constater
que la juge de première instance a identifié certains gestes
là où la preuve était contradictoire. Elle a estimé que
l'appelant était à l'origine du climat de sexualité qui
prévalait à l'école. Ses constatations sont ainsi consignées
au jugement:
Fred Habachi reproche à Monica Hachey
de s'être frôlée sur lui, de n'avoir
en tête que de la musique et des
vidéos pornographiques, de faire des
avances à tous les garçons, de
s'habiller comme Madonna, de faire des
jeux de séduction, de lui avoir
demandé d'avoir des relations
sexuelles avec lui, etc, etc. Tous
les reproches de Fred Habachi à
l'endroit de Monica Hachey à partir
d'avril jusqu'en juillet ont conduit
celle-ci à complètement éviter de
demander, pendant les cours ou en
laboratoire, quelque explication que ce soit à Fred Habachi, et finalement
l'ont amenée, en juillet, à abandonner
les cours. Lorsque Linda Langlois a
quitté, Monica Hachey a estimé qu'elle
ne se sentait pas capable de continuer
à suivre ses cours seule à l'Institut
Frehab.
Encore une fois, ce sont les faits
tels que décrits par Monica Hachey et
les explications données par Fred
Habachi lui-même qui nous permettent
de conclure que celui-ci a eu un
comportement indésiré, basé sur le
sexe, un comportement vexatoire à
connotation sexuelle. À l'école,
c'est pour Fred Habachi, dans ses
relations avec Monica Hachey et Linda
Langlois, un climat où la sexualité
est largement présente, où Monica
Hachey cherche constamment à
l'attiser, à le rendre jaloux. Ce
sont des préoccupations d'ordre
sexuel, répétons le, qui sont pour
Fred Habachi la trame qui permet
d'expliquer l'ensemble des
comportements de Monica Hachey.
De plus, ajoutons que tant au niveau
du travail qu'au niveau des relations
dans le cadre de l'enseignement,
Monica Hachey n'a accepté ces gestes,
ces commentaires, ou n'a endossé ces
attitudes de Fred Habachi. Au
contraire, elle a quitté l'emploi à la
mi-mai et elle a tenté d'éviter le
plus complètement possible quelque
échange verbal que ce soit avec Fred
Habachi.
Pour la juge de première instance, les
intimées Hachey et Langlois ne souscrivent pas au comportement
de l'appelant. Ce sont elles les victimes et non l'appelant.
Il s'agit là d'une appréciation de la crédibilité des témoins
et de l'ensemble de la preuve. D'ailleurs, le dossier soumis
par l'appelant ne supporte aucunement ses accusations voulant
que les jeunes filles aient eu une tenue vestimentaire ou une
attitude de nature à lui laisser croire qu'elles voulaient le
séduire ou qu'elles cherchaient à charmer leurs compagnons de
classe. La confrontation avec les étudiants corrobore à cet
égard la version des intimées. En somme, sur la question
factuelle, l'appelant n'a pas fait voir d'erreur dans
l'appréciation de la juge de première instance.
Que reste-t-il des motifs d'appel?
L'appelant plaide que les faits ne seraient pas constitutifs
de discrimination ou de harcèlement puisqu'il ne s'agirait que
d'un conflit interpersonnel. Les dispositions pertinentes
sont les articles
4
,
10
et
10.1
de la Charte des droits et
libertés de la personne du Québec (L.R.Q. c. C-12) (Charte
québécoise). Elles se lisent comme suit:
4. Toute personne a droit à la
sauvegarde de sa dignité, de son
honneur et de sa réputation.
. . .
10. Toute personne a droit à la
reconnaissance et à l'exercice, en
pleine égalité, des droits et libertés
de la personne, sans distinction,
exclusion ou préférence fondée sur la
race, la couleur, le sexe, la
grossesse, l'orientation sexuelle,
l'état civil, l'âge sauf dans la
mesure prévue par la loi, la religion,
les convictions politiques, la langue,
l'origine ethnique ou nationale, la
condition sociale, le handicap ou
l'utilisation d'un moyen pour pallier
ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu'une telle
distinction, exclusion ou préférence a
pour effet de détruire ou de
compromettre ce droit.
10.1. Nul ne doit harceler une
personne en raison de l'un des motifs
visés dans l'article 10.
Tant notre Cour que la Cour suprême ont
analysé les dispositions québécoises traitant de la
discrimination. Nous disposons de l'éclairage de l'arrêt
C.S.R. de Chambly c.
Bergevin,
[1994] 2 R.C.S. 525
qui reprend
les trois éléments établissant l'existence de la
discrimination, tels que formulés dans
Johnson c.
Commission des affaires sociales,
[1984] C.A. 61
et repris dans les
arrêts
Forget c.
Québec (Procureur général),
[1988] 2 R.C.S.
90
, 98;
Ford c.
Québec (Procureur général),
[1988] 2 R.C.S.
712
, 783 et 784 et
Devine c.
Québec (Procureur général),
[1988] 2 R.C.S. 790
, 817. Dans
Chambly, le juge Cory les
énonce ainsi (p. 538):
Notre Cour a conclu qu'un demandeur
doit établir l'existence des trois
éléments suivants pour qu'il y ait
discrimination:
(1) qu'il existe une «distinction,
exclusion ou préférence»,
(2) que cette «distinction, exclusion
ou préférence» est fondée sur l'un des
motifs énumérés au premier alinéa de
l'art.
10
de la Charte québécoise, et
(3) que la «distinction, exclusion ou
préférence a pour effet de détruire ou
de compromettre» le «droit à la pleine
égalité dans la reconnaissance et
l'exercice d'un droit ou d'une liberté
de la personne».
Par ailleurs, pour ce qui est du harcèlement
sexuel, ni la Cour suprême ni notre Cour ne se sont penchées
sur l'article
10.1
de la Charte québécoise. Le juge en chef
Dickson a cependant, dans l'affaire
Janzen c.
Platy
Enterprises,
[1989] 1 R.C.S. 1252
, qui portait sur l'interprétation du
Code des droits de la personne du
Manitoba, défini le harcèlement sexuel en milieu de travail
(p. 1284) d'une façon qui demeure pertinente:
Sans chercher à fournir une
définition exhaustive de cette
expression, j'estime que le
harcèlement sexuel en milieu de
travail peut se définir de façon
générale comme étant une conduite de
nature sexuelle non sollicitée qui a
un effet défavorable sur le milieu de
travail ou qui a des conséquences
préjudiciables en matière d'emploi
pour les victimes du harcèlement.
La juge de première instance a fait porter
son analyse sur le volet harcèlement sexuel de la demande
(article 10.1) plutôt que sur l'aspect discrimination (article
10). À mon avis, les faits en l'instance peuvent être
examinés en fonction des deux atteintes. J'en traiterai
successivement.
A - DISCRIMINATION
1. Existe-t-il une distinction, exclusion ou préférence?
Il faut d'abord préciser ce qui est reproché
à l'appelant. Certains incidents sont facilement identifiables
car ils consistent en des paroles et en un geste.
À la mi-avril dans le bureau de l'appelant,
ce dernier questionne l'intimée Hachey sur les relations entre
les jeunes filles et les hommes plus âgés pour ensuite lui
déclarer qu'il a peur d'elle parce qu'elle est trop jeune. Il
lui demande ensuite comment elle se sentirait s'il la prenait
dans ses bras. Le lendemain, il lui prend la main et lui
demande: «So?». Près d'un mois plus tard, l'appelant lui dit
de cesser «ses jeux de séduction». L'intimée Langlois devient
alors impliquée car l'appelant demande à l'intimée Hachey de
lui faire le message qu'elle aussi doit cesser «ses petits
jeux». Lorsque les deux jeunes filles rencontrent l'appelant
pour obtenir des explications sur ses propos, l'appelant
réitère ses insinuations. Bien que les jeunes filles décident
de l'éviter et de ne plus lui demander d'explication sur le
contenu des cours, l'appelant revient à la charge lorsque, le
premier juillet suivant, l'intimée Langlois reprend un examen.
Ce ne sont cependant pas les paroles
prononcées non plus que le geste posé qui, avec le recul,
prennent le plus d'importance. Le pivot de la décision des
jeunes filles de cesser de fréquenter l'Institut Frehab repose
plutôt sur le climat de sexualité qui y régnait alors.
Ces circonstances peuvent-elles servir de
fondement à une plainte de discrimination? Quoique portant
sur le
Code des droits de la personne de l'Ontario, la
décision rendue dans
Bell c.
Ladas (1980) 1 C.H.R.R. D/155,
première grande affaire canadienne portant sur le harcèlement
sexuel et reprise avec approbation par le juge Dickson dans
Janzen, me paraît très pertinente. L'arbitre Shime y
identifie des formes de comportement subtil pouvant engendrer
de la discrimination. Il s'exprime ainsi (l.1389):
The forms of prohibited conduct
that, in my view, are discriminatory
run the gamut from overt gender based
activity, such as coerced intercourse
to unsolicited physical contact to
persistent propositions to more subtle
conduct such as gender based insults
and taunting, which may reasonably be
perceived to create a negative
psychological and emotional work
environment.
L'existence d'un climat de sexualité résulte,
à mon avis, d'un comportement qui, dans certains cas, peut
être subtil ou, dans d'autres cas, flagrant, comme des gestes
ouverts ou des paroles claires.
Les faits de l'espèce, c'est-à-dire les
incidents identifiés ci-haut et le climat de sexualité,
constituent-ils une distinction au sens du premier critère
d'analyse de la discrimination?
Seules les intimées Hachey et Langlois ont
fait l'objet de reproches au sujet de leur attitude
séductrice. Les questions au sujet de l'attitude des femmes
à l'égard des hommes n'ont été posées qu'à l'intimée Hachey.
Seule cette dernière a fait l'objet d'avances et de reproches
à l'égard de sa tenue vestimentaire. Seules les deux jeunes
filles ont ressenti l'effet du climat de sexualité et seules
elles se sont senties incapables de continuer leur cours dans
ce contexte. Il n'était pas reproché aux étudiants de se
vêtir de façon provocante, non plus qu'il leur était reproché
d'avoir une attitude séductrice ou de créer un environnement
empreint de sexualité.
La distinction entre le traitement accordé
aux jeunes étudiantes et celui fait aux étudiants est, selon
la conclusion de fait de la juge de première instance,
palpable. J'en conclus que les intimées Hachey et Langlois
ont fait l'objet d'un traitement distinctif de celui fait aux
garçons de la classe.
Réduire les faits à un problème
interpersonnel rappelle la défense d'attrait physique
historiquement invoquée pour contrer les accusations de
discrimination fondée sur le sexe. Le juge en chef Dickson
dans
Janzen disait d'ailleurs que (p. 1290);
Soutenir que le seul facteur à la base
de l'acte discriminatoire résidait
dans l'attrait sexuel des appelantes
et affirmer que leur sexe était sans
importance met la crédulité à
l'épreuve.
2. La distinction est-elle fondée sur l'un des motifs
énumérés au premier alinéa de la Charte québécoise, soit le
sexe?
Selon le texte même de l'article 10, toute
distinction n'est pas susceptible d'être sanctionnée par la Charte. La distinction doit être fondée sur des motifs y
énumérés. Pour déterminer si une distinction est fondée sur
un motif interdit, il faut non seulement examiner la nature
apparente de la distinction mais aussi son effet (
Ford, p.
786). Cependant, dans le cas présent, la distinction est
indubitablement fondée sur le sexe, caractéristique
essentielle de la personne spécifiquement énumérée.
J'estime donc que les faits démontrent
amplement que l'appelant a fait montre, à l'égard des intimées
Hachey et Langlois, de distinction fondée sur le sexe. Cette
distinction, pour être qualifiée de discriminatoire, doit
cependant satisfaire un troisième élément.
3. La distinction a-t-elle pour effet de compromettre le
droit à la reconnaissance ou à l'exercice en pleine égalité
d'un droit de la personne?
L'article
10
de la Charte québécoise ne fait
pas de l'égalité un droit autonome. L'égalité n'est qu'une
modalité de particularisation d'un autre droit [
Commission
scolaire St-Jean-sur-Richelieu c.
Commission des droits de la
personne
[1994] R.J.Q. 1227
, 1243, P. CARIGNAN, «L'égalité dans le droit: une méthode d'approche appliquée à l'article
10
de la Charte des droits et libertés de la personne», (1987)
21,
R.J.T. 491, 507]. Selon le texte même de l'article 10,
toute distinction n'est pas susceptible d'être sanctionnée par
la Charte.
Cette étape implique donc l'identification
d'un droit protégé par la Charte et l'examen de l'atteinte,
destruction ou compromission, de ce droit.
Les faits reprochés à l'appelant sont des
paroles, un geste et des attitudes. Deux droits fondamentaux
sont, à mon avis, en cause. Il s'agit du droit à l'intégrité
de la personne et du droit à la dignité. L'analyse en
fonction de l'atteinte à la dignité me paraît suffisante. Ce
dernier droit est d'ailleurs le seul auquel ait fait allusion
la juge de première instance.
La dignité est ainsi définie par Edith
DELEURY et Dominique GOUBAU dans l'ouvrage
Le droit des
personnes physiques, 2e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
1997, (p. 155):
La notion de dignité s'entend
généralement comme l'estime de soi, du
sentiment que l'on a de mériter de la
considération, ce qui est aussi le
propre de l'honneur.
Une personne qui subit un traitement
distinctif en raison de son sexe voit son estime d'elle-même
atteinte. Elle subit une atteinte à la dignité.
Étant acquis qu'une distinction fondée sur le
sexe peut porter atteinte à la dignité, il convient de se
demander si les faits reprochés compromettent la
reconnaissance ou l'exercice de ce droit des intimées Hachey
et Langlois. En d'autres mots, peuvent-elles prétendre que
les paroles, le geste de l'appelant et le climat qu'il faisait
régner portent atteinte à leur dignité. Ce ne sont pas toutes
les manifestations à connotation sexuelle qui sont prohibées
par la Charte. Les mots de l'arbitre Shime dans
Bell sont à
nouveau très pertinents (l.1390 et 1391):
The prohibition of such conduct
is not without its dangers. One must
be cautious that the law not inhibit
normal social contact between
management and employees or normal
discussion between management and employees. It is not abnormal, nor
should it be prohibited, activity for
a supervisor to become socially
involved with an employee. An
invitation to dinner is not an
invitation to a complaint. The danger
or the evil that is to be avoided is
coerced or compelled social contact
where the employee's refusal to
participate may result in a loss of
employment benefits. Such coercion or
compulsion may be overt or subtle but
if any feature of employment becomes
reasonably dependent on reciprocating
a social relationship proffered by a
member of management, then the
overture becomes a condition of
employment and may be considered to be
discriminatory.
Again, The Code ought not to be
seen or perceived as inhibiting free
speech. If sex cannot be discussed
between supervisor and employee
neither can other values such as race,
colour or creed, which are contained
in The Code, be discussed. Thus,
differences of opinion by an employee
where sexual matters are discussed may
not involve a violation of The Code;
it is only when the language or words
may be reasonably construed to form a
condition of employment that The Code
provides a remedy.
Ce ne sont donc que les gestes ou conduites
qui compromettent ou détruisent la reconnaissance ou
l'exercice d'un droit qui sont sanctionnés. Mais quel type
d'atteinte est donc sanctionnée?
Dans
Chambly, la Cour suprême a rejeté l'idée
voulant que lorsque la discrimination est minime, il ne soit
pas nécessaire de prendre des mesures d'accommodement (p.
543):
On ne saurait non plus accepter
l'idée qu'il n'est pas nécessaire de
prendre des mesures d'accommodement
raisonnables si l'effet de la
discrimination est minime. L'objet
même des lois en matière de droits de
la personne est d'empêcher la
discrimination. S'il peut y avoir
discrimination sans conséquence, c'est
l'objet même de la loi qui se trouve
contrecarré.
En d'autres termes, toute atteinte, même
minime, doit être reconnue comme telle. C'est au stade de la
mesure de réparation que la gravité de l'atteinte est prise en
considération. À cet égard, un parallèle intéressant peut
être fait avec le droit criminel où toute agression sexuelle
doit être qualifiée d'acte criminel lorsque les éléments de
l'infraction sont présents. Le juge, saisi de la preuve de la
commission de l'infraction, ne peut acquitter au motif que les
gestes sont anodins ou ne sont posés que pour jouer. Le degré
de gravité des gestes ne peut être pris en considération qu'à
l'étape de la peine (
R. c.
Bernier, C.A. Montréal, n
o 200-10-000189-949, 27 août 1997, jj. Tourigny, Rousseau-Houle,
Deschamps).
S'il est évident que les intimées Hachey et
Langlois n'ont pas considéré que les interventions de
l'appelant se situaient à l'intérieur du cadre de relations
sociales acceptables et qu'elles ne relevaient pas du pouvoir
disciplinaire du directeur de l'école, il demeure que, tout en
maintenant l'approche minimale soutenue dans
Chambly, il n'est
pas prudent de s'arrêter au subjectivisme des victimes.
Le test objectif est maintenant généralement
accepté en matière de harcèlement sexuel (Aggarwal. Arjun P.,
Sexual Harrassment in the Workplace, 2
nd ed. Butterworth,
Toronto, 1992, (p. 70) et Drapeau, Maurice,
Le harcèlement
sexuel au travail, Ed. Yvon Blais Inc. Cowansville, 1991. 212,
90 et ss.) et devrait aussi prévaloir pour écarter les gestes
ou attitudes qui, pour une personne raisonnable, ne
compromettraient pas la reconnaissance ou l'exercice du droit
à la dignité.
Dans le présent cas, les faits ne laissent
place à aucune hésitation au sujet de la qualification des
gestes comme discriminatoires. Si le résumé de la juge de
première instance est révélateur, la description par
l'appelant du climat qui prévalait l'est plus encore:
At times, we went up to the
third floor, where we had books; I had
to bring in books, because we had just
moved, and the same thing, she would
come close, etc.. I will show her
that I do not want this sort of
things. Eventually, she came to
understand that. She came to
understand that.
Okay? And also, when I was in
the office and she had to bring me a
few things, she would come too close
and I told her, you know, body
language sort of thing, and she
understood all of that.
. . .
Just try to imagine a forty- five (45) year old woman, Director of
a school, and a nineteen (19) or a
twenty (20) or a twenty-three (23)
year old boy coming close to her, you
know, and trying to touch her or
something.
How do you think she would
react? And that's exactly the same
with me. I mean, I did not want this.
Not because there is something wrong
with me, except that I had already in
my hands a very, very... (one or two indecipherable words) what I was doing
and I was not going to go and allow
anything to tempt me when I had put my
whole life into the school and it had
to work or, if I lose, I lose
everything.
. . .
There was one student whom I
knew a little later on she tried to
take him to another school and she
promised him - let's go to another
school, it's going to be better, etc.,
etc. - but she would come and call me
and then, she would walk in front of
me, like that, and as soon as he looks
at us, he would be working in the lab
- as soon as he looks at us, she's -
you know, she slows down a bit and
then, she makes it look like she - I
am coming with her in the lab with my
arm around her.
She could do that about twelve
(12), thirteen (13), fourteen (14),
fifteen (15) times in one (1)
afternoon. Every two (2) minutes,
sometimes.
Not only that, but she would
come and tell me - Monica needs you
too in the lab. And then, she would
do the same thing.
And I understood, eventually,
that what she was trying to do was to
use me to make that other boy jealous
and I don't know what she was trying
to do after that, with him take him to
another school, what else,I don't know
but eventually, I made the connection
and I said - that's what she was doing
with this boy.
. . .
Eventually, the discussion
went on and on and on, and we got to
discuss young women and older men, and
as she said, she was talking from
personal experience.
She came to a point and she
openly asked for sex, and she tied
that with the Oedipus Complex herself.
At that point, I'll tell you the
truth, I got scared.
Selon la version même de l'appelant le climat
a atteint un niveau de tension sexuelle pratiquement tangible.
De façon évidente, il s'agit d'un climat d'une intensité telle
qu'il ne pouvait échapper à une personne raisonnable.
Le comportement de l'appelant est
difficilement explicable. La correspondance versée au dossier
indique cependant que son contact avec la réalité est ténu.
Ainsi, dans une lettre adressée à un membre du cabinet du
ministre de la Justice, il se plaint de maux sociaux qui,
selon lui, auraient pris des proportions épidémiques. Il y
relate la rencontre qu'il a eue avec les parents des intimées.
L'un des passages de la lettre se lit comme suit:
As the discussion progressed,
however, in a meeting that lasted more
than two hours, the father grew
progressively distraught. At one
point he even had tears in his eyes.
Of the dozens of hints and
demonstrations given that the
situation was serious, what did it was
the fact that every time that Linda
thought I was put on the defensive,
she rose to assert that I had no right
to be offended by one behavior or
another committed by herself or
Monica. One of those moments was the
time when she rose to re-enact the
rubbing of her vagina against my elbow
as I sat at my desk. I had to
forcefully fight her off as I had to
do the two girls before, while she
lamented "what's wrong with that?"
Another thing that touched the father
was the casual manner with which his
daughter handled the part of the
discussion during which I was revealed
that her reason for wanted to sleep
with me was that she saw in me the
father she never had.
Avec le recul, le dérapage de l'appelant
ressort clairement.
Le fait que les intimées aient quitté l'école
est une indication de l'intensité de l'impact des faits et
gestes de l'appelant, de l'atteinte à leur dignité. Je n'ai
donc aucune hésitation à relier les faits à une atteinte au droit des intimées Hachey et Langlois à la reconnaissance de
leur dignité en pleine égalité avec les étudiants de la
classe.
La juge de première instance aurait donc pu,
sur la base des faits, conclure que le comportement de
l'appelant était discriminatoire. Sa conclusion sur le
harcèlement sexuel mérite tout de même d'être étudiée.
B - LE HARCÈLEMENT SEXUEL
L'article 10.1, et à cet égard, je suis
d'accord avec la juge de première instance, énonce le droit de
ne pas être harcelé comme étant un droit distinct de celui de
ne pas être discriminé. Cette distinction est cependant bien
théorique puisque le harcèlement sexuel implique
nécessairement une atteinte à la dignité (
Janzen, p. 1284).
Il est maintenant établi que le harcèlement
sexuel est une forme de discrimination (
Janzen, p. 1290). À
ce sujet, plusieurs des facteurs qui sont pris en
considération sont les mêmes, qu'il s'agisse de discrimination ou de harcèlement. Toute discrimination n'implique cependant
pas harcèlement.
Du texte de l'article 10.1, je retiens, outre
le fait que le motif prohibé doit être prouvé, que les gestes
et actes doivent constituer du harcèlement. Y a-t-il ici
harcèlement ?
Au sens commun, l'action de harceler, et je
fais référence au dictionnaire (Petit Larousse 1998) est
«soumettre à des actions incessantes»; tourmenter avec
obstination; soumettre à des critiques, à des moqueries
répétées. L'aspect répétitif, importun et continu est
d'ailleurs un élément essentiel du harcèlement criminel
prohibé à l'article 264 du Code criminel (
R. c.
Lamontagne,
C.A. Montréal, n
o 500-10-000470-961, 24 août 1998, jj. Proulx,
Forget et Pidgeon). La norme du droit criminel ne doit
cependant pas nécessairement être transposée au recours fondé
sur la Charte québécoise. Les stigmates attachés au droit
criminel ne se retrouvent pas en matière de droit de la
personne où la mesure de réparation est soit une injonction,
soit une compensation monétaire ou des dommages exemplaires. D'ailleurs, en droit criminel, l'intention doit être prouvée,
alors que ce n'est pas le cas pour les recours fondés sur la
Charte. La Cour suprême dans
Robichaud c.
Canada (Conseil du
trésor)
[1987] 2 R.C.S. 84
a clairement éliminé la nécessité
de prouver l'intention ou les motifs de l'auteur du
harcèlement. Par ailleurs, la notion de harcèlement dénote
certainement une conduite plus grave que celle qui ne
produirait qu'une atteinte minimale telle que requise pour
conclure à la discrimination.
L'étude de cette question nous ramène à
Janzen qui demeure l'arrêt de référence en matière de
harcèlement sexuel en milieu de travail. Selon la définition
du juge Dickson (citée ci-haut), le harcèlement sexuel en
milieu de travail comporte trois éléments: une conduite de
nature sexuelle, une conduite non sollicitée et un effet
défavorable ou des conséquences préjudiciables pour les
victimes. Cette définition paraît se démarquer du sens commun
des mots, surtout en ce qui concerne la connotation répétitive
du harcèlement qui semble délaissée au profit du critère de
l'effet défavorable. Avant d'élaborer sur cette distinction,
il y a lieu de commenter le critère de la conduite non sollicitée puisque le fondement sexuel des actes ne fait pas
de doute.
Conduite non sollicitée
L'appréciation du caractère non désiré de la
conduite fait appel à certains des éléments effleurés lors de
l'étude du volet discrimination du dossier. Il peut, en
effet, se présenter des circonstances où un comportement est
perçu négativement par une victime sans que l'auteur de la
conduite ne puisse se faire reprocher de harceler.
L'expression «conduite non sollicitée»
utilisée par le juge Dickson semble faire référence uniquement
à la perception de la victime. Pourtant, tel que déjà
mentionné, il ne serait pas prudent de prendre comme baromètre
la perception subjective des victimes.
Tout en écartant la motivation du harceleur
ou son intention, les faits reprochés doivent pouvoir être
objectivement perçus comme non désirables. La jurisprudence
des tribunaux des droits de la personne n'est pas uniforme en ce qui a trait au modèle à adopter. Mon collègue Jean-Louis
Baudouin, sous sa plume d'auteur (
La responsabilité civile, 5e
éd., Éditions Yvon Blais, 1998, No 466), approuve l'approche
adoptée par la juge de première instance qui est celle de la
«tolérance qu'une personne raisonnable aurait à l'endroit d'un
acte posé envers une femme qui lui est proche telle sa soeur,
sa fille ou sa mère». J'estime, quant à moi, qu'il n'est pas
pertinent d'ajouter un facteur subjectif - un proche - là où
la recherche vise justement à déterminer le caractère
objectivement acceptable d'une conduite donnée.
Comme le critère est objectif, il devrait y
avoir convergence de perspectives, que l'étude soit faite en
fonction de la personne raisonnable placée dans les mêmes
circonstances que la victime ou suivant celles de l'auteur du
comportement reproché. L'évaluation de la conduite devrait
être la même. Je ne vois donc pas l'utilité de se reporter,
comme point de repère, à la réaction d'une personne vis-à-vis
une victime qu'elle chérit. Seules les attitudes et les
gestes qui peuvent être perçus comme non désirés par une
personne raisonnable, soit un modèle neutre et abstrait,
devraient être sanctionnés.
Comme question de faits, la juge de première
instance a conclu que la conduite de l'appelant n'était ni
sollicitée ni désirée par les étudiantes. Même en revoyant
ses conclusions à la lumière d'une norme purement objective,
la conclusion doit être maintenue.
Effet défavorable ou conséquences préjudiciables
C'est à cette étape que la caractérisation du
harcèlement se démarque de la discrimination. En effet, pour
conclure à la discrimination, une atteinte minime est
suffisante. Le test de l'atteinte minimale se heurte
cependant à la notion de harcèlement et ne peut être retenu
pour y conclure. Quel sera donc le test applicable au
harcèlement?
En matière de recours sur la Charte dans un
contexte de relations employeur/employé, les tribunaux et les
auteurs n'exigent pas, contrairement au droit criminel et au
sens commun des mots, qu'il y ait répétition. Ainsi, dans
Bell, l'arbitre Shime dit (l. 1392):
However, persistent and frequent
conduct is not a condition for an
adverse finding under The Code because
a single incident of an employee being
denied equality of employment because
of sex is also prohibited activity.
De même, dans
Janzen, le juge Dickson ne fait
pas de la répétition un facteur essentiel du harcèlement.
Nulle part cet élément ne paraît à la définition qui y est
proposée. Les auteurs sont unanimes à ce sujet (AGGARWAL,
déjà cité, p. 80; DRAPEAU déjà cité p. 103; Viateur LAROUCHE,
Le harcèlement sexuel au travail «Définition et mesure du
phénomène» (1988), 43 Relat. Ind. 509, 512).
Dans le cas du harcèlement sexuel en milieu
de travail, le critère de la répétition a cédé le pas au
critère de l'effet défavorable. Plus la conduite est grave,
moins grande sera l'exigence de la répétition. Ainsi,
lorsqu'une victime subit un viol physique au travail, elle en
subit certainement des conséquences défavorables, profondes et
prolongées. Dans un tel contexte, il est facile d'expliquer
la mutation du critère de la répétition. Plus les gestes
seront graves, plus ils sont susceptibles d'engendrer des
conséquences défavorables. Moins les gestes seront graves et plus grande sera la nécessité de chercher une notion de
répétition avant de conclure à une atteinte qui constitue du
harcèlement.
Cet assouplissement du critère de la
répétition est justifié par le contexte de captivité et de
dépendance de l'employé qui doit fournir sa prestation de
travail même après avoir été l'objet d'un assaut grave, bien
qu'il continue nécessairement à en subir les contrecoups.
J'hésiterais à importer cet élargissement à toutes les formes
de harcèlement ou à tous les contextes. Dans le cas de la
relation professeur/étudiant, cependant, l'analogie s'impose.
La relation d'autorité entre un patron et ses employés
comporte suffisamment de similitude avec celle existant entre
un professeur et ses étudiants pour que les principes
applicables en milieu de travail soient transposés dans le
contexte de l'éducation. Dans les deux cas, les victimes sont
captives et dépendantes de l'auteur du comportement reproché.
En l'espèce, l'intimée Hachey a démissionné
de son emploi en raison du comportement de l'appelant. Pour
elle, point n'est besoin de faire de transposition car il s'agit d'une relation employeur/employé. Quant à l'intimée
Langlois, les règles énoncées pour le harcèlement en milieu de
travail s'imposent en raison de la dépendance dans laquelle
elle se trouvait en sa qualité d'étudiante.
Les paroles prononcées et le geste posé à
l'égard de l'intimée Hachey ne se situent pas au plus haut
dans l'échelle de gravité. À plus forte raison, dans le cas
de l'intimée Langlois, qui n'est interpellée que deux fois.
Si on isolait les paroles et le geste, il serait difficile de
conclure au harcèlement sexuel. Cependant, ces faits doivent
être replacés dans le contexte du climat sexuel qui a prévalu
pendant trois mois. Les faits reprochés, l'intensité du
climat, la période de temps pendant laquelle le comportement
a été subi, font en sorte que je ne peux conclure autrement
que ne l'a fait la juge de première instance sur la question
du harcèlement.
Je ne vois pas, dans l'attitude des parents,
de fondement pour minimiser la conduite de l'appelant. À la
sortie de leur rencontre avec l'appelant en juillet, les
parents de l'intimée Hachey ne bénéficiaient pas d'un juste recul ni de la vision d'ensemble de la situation. Ils
pouvaient ne pas se rendre compte de l'acuité du climat
lorsqu'ils ont manifesté à leur fille qu'ils préféraient
qu'elle finisse son terme. Il faut accepter leur désir
légitime de ne pas voir réduits à rien les efforts et l'argent
investis par la jeune fille depuis le début de l'année. Il ne
faut pas percevoir dans leur attitude une raison pour diminuer
l'impact qu'a pu avoir la conduite de l'appelant. Je ne vois
pas non plus, dans le délai mis entre juillet 1988 et la
démarche à la Commission des droits de la personne, cause de
minimisation des faits. Les jeunes filles ont d'abord pensé
simplement à récupérer leur investissement. Elles ont par la
suite été orientées vers le forum approprié et y ont connu un
délai passablement long.
La conclusion de la juge de première instance
sur le harcèlement était donc, avec égards pour l'opinion
contraire, bien fondée.
L'absence de remise en cause de la mesure de
réparation et le fait que le harcèlement sexuel comporte discrimination font en sorte qu'il n'y a pas lieu d'intervenir
quant à l'évaluation des dommages.
Pour ces motifs, je propose de rejeter
l'appel avec dépens.
MARIE DESCHAMPS, J.C.A.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-09-000724-922
(500-53-000002-913)
CORAM: LES HONORABLES BAUDOUIN
PROULX
DESCHAMPS, JJ.C.A.
FRED HABACHI,
APPELANT - (défendeur/demandeur
reconventionnel)
c.
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC
-et-
MONICA HACHEY
-et-
LINDA LANGLOIS,
INTIMÉES -(demanderesses/défenderesses
reconventionnelles)
OPINION DU JUGE BAUDOUIN
J'ai pris connaissance de l'opinion de ma
collègue, madame la juge Marie Deschamps. Avec respect, je ne
puis souscrire à certaines parties de son analyse, non plus
qu'au résultat proposé dans le cas d'une des intimées.
Quelques remarques préliminaires doivent être
faites.
La première est que, d'une façon générale, je
ne remets aucunement en cause l'appréciation que fait le
Tribunal des droits de la personne de la crédibilité des
protagonistes de cette affaire. Monica Hachey et Linda
Langlois ont, d'après les traductions versées au dossier,
témoigné avec franchise, d'une façon directe et sans
réticence. Tel n'est, au contraire, manifestement pas le cas
de l'appelant. Sa personnalité, son profil psychologique, son
éducation peuvent peut-être permettre d'expliquer en partie le
caractère souvent inattendu et bizarre de son témoignage et,
à mon avis, une certaine perte de contact avec la réalité.
Lorsque confronté, il accuse, au lieu de s'expliquer et de
donner des éclaircissements; il attaque au lieu de se défendre
et donne ainsi l'impression d'une personne qui serait portée
à la fabulation, à la mythomanie et à certains dérapages.
Bref, je crois les deux intimées et n'accorde que très peu de
poids au témoignage de l'appelant. Il faut noter cependant
qu'il s'est représenté seul devant le tribunal, ce qui peut
peut-être expliquer certaines choses. Je remarque également que l'on retrouve au dossier certains documents postérieurs
aux faits reprochés, par exemple, des lettres de plainte
adressées au ministre de la Justice dans lesquelles il se
porte lui-même accusateur, documents qui, d'une façon
générale, contribuent à donner un éclairage négatif de sa
personnalité. On y voit, par exemple, plusieurs références par
métaphore à la célèbre Lady Godiva...
La seconde est qu'au-delà du cas d'espèce et
donc de la personnalité même des parties, il m'a paru que ce
dossier posait un problème de droit strict sérieux, soit la
définition jurisprudentielle de la notion de harcèlement
sexuel.
La troisième est que, contrairement à ma
collègue qui regroupe en un seul tout les deux réclamations de
Monica Hachey et de Linda Langlois, je suis d'avis, au
contraire, que les deux doivent être nettement distinguées.
Il me paraît, et je le dis en toute déférence, qu'une lecture
attentive du dossier et des témoignages ne permet pas de
traiter les deux réclamations comme identiques et comme
procédant d'un seul et même événement, uniquement parce que les deux intimées sont des amies. À mon avis, la preuve
montre, au contraire, clairement que le comportement de
l'appelant à l'endroit des deux intimées est loin d'avoir été
le même. Je m'en expliquerai plus loin.
La quatrième est que ma collègue, madame la
juge Marie Deschamps, tranche le pourvoi sur la base de deux
moyens, soit le harcèlement et la discrimination. Or, en
première instance, seul le harcèlement a servi de base à la
condamnation de l'appelant. Je pense cependant que ma
consoeur a parfaitement raison d'aborder les deux problèmes
puisque, même si la juge de première instance a estimé qu'il
était suffisant à la solution du litige de se prononcer
uniquement sur le harcèlement, la demande introductive
d'instance repose sur les deux motifs. En outre, les droits
protégés par la Charte étant des droits fondamentaux donc
d'ordre public, les tribunaux sont libres, à cet égard, de ne
pas s'en tenir aux seules allégations des parties (Voir, à cet
égard, l'opinion du Juge en chef Antonio Lamer dans Forget c.
Québec,
[1988] 2 R.C.S. 90
p. 98).
Ces remarques préliminaires étant faites,
j'aborderai maintenant les problèmes de droit qui sont au
centre de ce litige.
I. LE HARCÈLEMENT
L'article
10.1
de la Charte québécoise des
droits et libertés de la personne, L.Q., c. C-12, a été ajouté
en 1982, pour renforcer la réprobation de comportements
inacceptables, trop longtemps tolérés dans notre société,
principalement, est-il nécessaire d'ajouter, à l'endroit des
femmes et des homosexuels. Il a ajouté donc à la prohibition
générale de la discrimination prévue à l'article 10, une
interdiction de harceler, pour l'un des mêmes motifs à
l'endroit desquels la discrimination est interdite. Il
entendait donc manifestement séparer discrimination et
harcèlement et en faire deux motifs particuliers de grief,
donc deux réalités juridiques distinctes. Avec le
harcèlement, il visait plus qu'un simple comportement sexiste
discriminatoire.
Depuis cet ajout, tant la doctrine(1) que la
jurisprudence(2) ont éprouvé des difficultés évidentes à définir
cette notion.
On doit aussi, bien évidemment, se référer à la
doctrine et à la jurisprudence des autres provinces(3).
Toutefois, même si les concepts fondamentaux sont évidemment les mêmes, on doit tenir compte du fait que, d'une part, la
Charte québécoise, contrairement à certaines législations
provinciales, ne définit pas le terme «harcèlement» et que,
d'autre part, certaines différences législatives pourraient
justifier des solutions dissemblables (ce qui, soit dit en
passant, ne me paraît toutefois pas être le cas en l'espèce).
En outre, le harcèlement prohibé par le Code
criminel (art. 264(3)a C.cr.) est une notion dont le concept
même et l'application pratique sont différents et donc toute
comparaison analogique ne serait d'aucun secours ici(4).
En 1987, la Commission des droits de la
personne définissait le harcèlement de la façon suivante,
définition qui, avec le passage du temps, semble désormais
trop restrictive:
Il s'agit d'une conduite se manifestant,
entre autres, par des paroles, ou des
gestes répétés, à caractère vexatoire ou
méprisant, à l'égard d'une personne ou
d'un groupe de personnes en raison de
l'un des motifs énumérés à l'article 10
de la Charte.
Cette définition, bien que linguistiquement parfaitement
exacte, est devenue trop limitative, parce que la
jurisprudence dominante a décidé depuis, avec raison, qu'il
pouvait y avoir harcèlement sans la présence nécessairement de
«...paroles ou de gestes répétés...» (le soulignement est le
mien).
En droit, les mots d'usage courant peuvent
avoir un tout autre sens. Dans la langue française ordinaire,
«harceler» comporte nécessairement l'idée d'une répétition de
certains actes dans la poursuite d'un but défini. Ainsi,
dira-t-on, les guérilleros vont harceler les forces
gouvernementales par des attaques répétées. Par contre, on ne
parlera pas de harcèlement pour désigner une simple bataille
entre deux armées.
Par la suite, tant la jurisprudence de common
law que la jurisprudence québécoise (je réfère ici à l'étude
de Me Tessier, précitée) ont reconnu qu'un seul acte, à
condition cependant qu'il soit particulièrement grave et
sérieux, puisse constituer du harcèlement. Ainsi, en est-il
d'un viol, d'une agression sexuelle ou de tentatives à cet
égard.
En 1989, dans l'affaire Janzen c. Platy
Enterprises Ltd.,
[1989] 1 R.C.S. 1252
, le juge en chef Brian
Dickson s'est prononcé sur la notion de harcèlement. Une
relecture attentive de ses motifs me persuade toutefois que la
réduction du harcèlement à un seul et même acte ne fait pas
partie de la ratio decidendi de l'arrêt, puisque tous les
exemples cités portent sur des paroles, des incidents ou des
gestes répétitifs. Le juge en chef a, en effet, utilisé dans
ses exemples la forme du pluriel à chaque fois. Cependant, il
cite avec approbation le passage suivant de la remarquable
étude de C. BACKHOUSE et L. COHEN, The Secret Oppression:
Sexual Harassment of the Working Women, Toronto, MacMillan,
1978:
In its milder form, it can involve verbal
innuendo and inappropriate affectionate gestures. It can however escalate to
extreme behaviour amounting to attempted
rape and rape.
(p. 1280)
Subséquemment, la Commission des droits de la
personne a, dans plusieurs documents postérieurs, tenté de
mieux cerner cette notion.
En 1989, dans un document intitulé, Politique
visant à contrer le harcèlement sexuel au travail, elle le
redéfinissait ainsi:
[...] une conduite se manifestant par des
paroles, des actes ou des gestes à
connotation sexuelle, répétés et non
désirés, et qui est de nature à porter
atteinte à la dignité ou à l'intégrité
physique ou psychologique de la personne
ou de nature à entraîner pour elle des
conditions de travail défavorables ou un
renvoi.
(Le soulignement est le mien.)
On notera l'insistance mise sur le caractère
répétitif de la conduite, que, dans le document de 1987, la
Commission relativisait toutefois en fonction de la gravité
exceptionnelle d'un seul acte:
En général un acte isolé ne constitue pas
du harcèlement au sens de la Charte.
Toutefois, il arrive qu'un seul acte soit
susceptible d'engendrer une crainte
raisonnable d'une détérioration des
conditions de travail. Il arrive aussi
qu'un acte isolé s'accompagne de menaces
directes ou implicites. Dans ces cas,
l'acte reproché n'est pas vraiment isolé
puisque ses effets nocifs continuent de
se perpétrer et de se répéter dans le
temps. C'est pourquoi un seul acte grave
qui engendre un effet nocif continu
pourra exceptionnellement être qualifié
de harcèlement.
([1987] D.L.Q. 491, p. 495)
On retiendra également qu'une des
caractéristiques du harcèlement, selon cette définition, est
le prolongement dans le temps de l'impact engendré sur la
personne par l'acte unique, mais qui revêt un caractère
manifeste de gravité.
Sur le plan linguistique et logique, il eut
probablement été plus facile pour le législateur de prévoir,
dans la Charte, une autre prohibition de «sexisme», de
«provocation sexuelle», ou encore de «harcèlement sexiste», de
façon à permettre de mieux séparer l'acte unique des actes
répétitifs.
Quoi qu'il en soit, et au-delà de la magie des
mots, je tiens pour acquis, comme les auteurs précités, qu'en
droit du moins, contrairement à la linguistique, un seul acte,
à condition qu'il soit grave et produise des effets continus
dans l'avenir, puisse effectivement constituer du harcèlement.
J'endosse donc, à cet égard, les conceptions larges proposées
par certains auteurs, notamment Maurice Drapeau, Catherine
MacKinnon et A. Aggarwal.
Cependant, à moins de vider complètement le
concept de harcèlement de tout son sens, de le banaliser et de
réduire ainsi l'impact que voulait donner le législateur à cet
acte, il faut pour qu'un seul acte puisse ainsi être qualifié,
que celui-ci présente un certain degré objectif de gravité.
Les auteurs précités parlent de viol ou de tentative de viol,
donc d'agression sexuelle. On peut probablement ajouter à
ceux-ci la sollicitation insistante d'obtenir des faveurs
sexuelles sous menace, par exemple, de congédiement dans le
cas d'une employée. Alors, en effet, l'acte ne reste pas
véritablement isolé puisque son impact (la menace de
congédiement) se perpétue dans le temps.
Je ne pense pas par contre que l'on puisse, en
droit, qualifier de harcèlement une simple blague, un simple
geste, une simple parole, une simple tentative de flirt ou une
simple insinuation à connotation sexuelle, à moins évidemment,
hypothèse toujours possible, que ceux-ci soient d'une
exceptionnelle gravité. La présence d'une protection
législative contre des abus qui, sans aucun doute, méritent
sanction ne doit pas être banalisée et, pour autant, empêcher
les contacts sociaux tolérables et courants. Le rôle de la
loi n'est pas de réprimer le mauvais goût, mais seulement les
conduites socialement intolérables. Elle ne doit pas non plus
empêcher les gens de discuter sur les motifs mêmes de
discrimination potentielle comme les opinions politiques, la
couleur, l'orientation sexuelle ou le sexe pour ne prendre que
quelques exemples. Tout est question de fait et de jugement.
Par contre, et il me paraît important de le souligner, il
n'est pas exclu, pour autant, que ces mêmes agissements,
objectivement peu graves, et qui ne sauraient donc se
qualifier de harcèlement, puissent, par ailleurs, constituer
une atteinte de type différent aux droits de la personne, par
exemple, une discrimination portant atteinte à la dignité de
celle-ci. Ainsi, l'individu qui fait une remarque grossière et désobligeante sur la couleur de la peau de son
interlocuteur peut violer les droits de ce dernier et porter
atteinte à sa dignité, mais n'est pas, pour autant, coupable
de harcèlement.
En outre, je conçois tout à fait que la
présence d'un «climat de sexualité», que mentionne à plusieurs
reprises ma collègue dans son opinion, puisse constituer un
élément important dans la démonstration de l'existence d'un
harcèlement sexuel. Il me paraît cependant très important
d'être prudent à cet égard et ce pour deux raisons. La
première est que l'existence d'un «climat» relève d'une
perception essentiellement subjective et peut, à l'extrême
limite, ne reposer sur aucune réalité objective. La
fabulation que révèlent le témoignage de l'appelant et sa
lettre au ministre de la Justice m'en paraît un exemple
frappant. La seconde est que l'existence d'un «climat sexuel»
peut être la conséquence, l'effet ou le résultat de bien
d'autres choses que du harcèlement.
Ces quelques règles étant posées, examinons
maintenant leur application au cas d'espèce.
Il me faut toutefois faire une distinction,
comme l'a d'ailleurs fait le Tribunal des droits de la
personne, entre le cas des deux intimées.
II. L'APPLICATION À L'INSTANCE
__________A. Le cas de Linda Langlois
_______________1] Le harcèlement
Si l'on reprend une analyse complète et serrée
de la preuve retenue par le tribunal de première instance et
de celle transcrite au dossier d'appel, le harcèlement dont
l'intimée se plaint est fondé sur trois incidents.
Le premier, de nature très générale, a lieu
durant un cours donné par l'appelant en mai 1988, après que
Monica Hachey eut prévenu Linda Langlois que l'appelant lui
reprochait aussi des «jeux de séduction», donc au mois de mai.
L'intimée s'exprime ainsi (Je cite au long et probablement
plus que nécessaire son témoignage, pour bien donner le
contexte.):
Q.
Est-ce que nous pouvons conclure de cela que depuis
le mois de janvier, février, etc., jusqu'au mois de
mai, vous n'aviez jamais eu de discussion
particulière avec Monsieur Habachi?
R. Non.
Q. Rien qui vous mettait mal à l'aise?
R. Non.
Q. Ça allait passablement bien?
R. Oui.
Q. Oui. Alors on se situe au mois de mai. Et après
cela, vous avez continué à suivre les cours?
R. Oui, on a continué. Quand on est sorties de la
discussion qu'on avait eue avec Monsieur Habachi,
moi et Monica on s'est dit - on va continuer le
cours, puis on ne lui demandera pas - on va lui
demander le moins d'explications possibles, pour
pas qu'y nous reproche encore qu'on faisait des
jeux de séduction.
Puis je me souviens, moi j'étais en classe théorie,
puis je le regardais pas. Je regardais mes
papiers, que j'avais devant moi. Je prenais des
notes, beaucoup de notes, mais je le regardais pas.
Puis lui, y passait des commentaires comme quoi je
dormais dans les cours théoriques.
(M.A. p. 317-318)
Le second prend place peu de temps après.
Voici comment l'intimée le relate:
Q. Donc, vous avez continué à suivre les cours. Est-
ce que -autrement, donc, vous dites que vous
essayiez de ne pas le regarder.
Est-ce que - à la suite de cette rencontre et
l'échange que vous aviez eu avec Monsieur Habachi,
est-ce que ça a changé d'autres choses dans le
cours et les ... (interrompue)
R. Bien le laboratoire là.
Q. ... conditions en classe?
R.
En laboratoire, une fois, on y avait demandé de
nous aider, puis Monsieur Habachi avait pour
habitude de s'asseoir puis de régler notre
problème, au lieu de nous l'expliquer là comme tel.
Puis nous, on s'était assis - y avait une fenêtre,
puis y avait un rebord, puis on s'était assis
toutes les deux (2) sur le rebord de la fenêtre.
C'était juste à côté de la table où était Monsieur
Habachi, puis y a pas aimé ça. Y s'est levé, puis
y s'est mis à crier - comment vous voulez que je
vous explique quelque chose, vous êtes même pas là
pour voir qu'est-ce que j'ai à vous expliquer?
Q. Et pourquoi est-ce que vous étiez assises à cet
endroit, au juste?
R. Bien j'avais pas l'intention d'aller me mettre par-
dessus son épaule pour voir qu'est-ce qu'y faisait,
parce que je me disais - si je m'approche trop de
lui, y va me dire que j'essaye - je fais des
avances, d'une façon ... (interrompue)
Q.
Est-ce que vous compreniez qu'est-ce ...
(interrompue) ... subtile ... (fin de phrase
indéchiffrable)
Je m'excuse. Est-ce que vous compreniez qu'est-ce
qu'il vous reprochait, quand il disait que - vous
deviez cesser vos jeux?
R. Non.
Le troisième incident date du 1er juillet, alors
que l'intimée reprend un examen qu'elle a antérieurement raté.
Son témoignage est à l'effet suivant:
R.
Puis on était dans l'examen, puis Monsieur Habachi
avait été expliquer à tout le monde c'était quoi la
question. Moi, je comprenais absolument rien dans
sa question. Puis, y était pas venu me voir pour
m'aider.
Ça fait que j'avais fini la dernière, ça fait que
j'avais eu, donc, la note la plus basse, parce que
y fonctionnait - dans les laboratoires, le premier
qui finissait avait la meilleure note; puis après,
ça allait en descendant. Donc, c'est la seule
chose qu'y a eue, à aller jusqu'au 1er juillet.
Q. Qu'est-ce qui s'est passé, le 1er juillet?
R. Okay. Dans la semaine de fin juin, Monsieur
Habachi nous a annoncé qu'on avait un examen.
C'était le 30 juin, je crois. Puis moi, je pouvais
pas me présenter à l'examen, j'avais une entrevue
pour un emploi de fin de semaine. Ça fait que
donc, j'ai ... (interrompue)
Q. Où est-ce que vous aviez une entrevue?
R. C'était dans un restaurant, comme «waitress».
Q. Comme «waitress»?
R. Oui. Ça fait que donc, j'ai demandé à Monsieur
Habachi si je pouvais reprendre l'examen plus tard.
Q. Oui.
R. Puis lui, y m'a conseillé de venir le 1er juillet,
parce que c'était un congé. Donc, y m'a dit -
viens le 1er juillet, mais appelle-moi avant, vers
dix heures (10:00 hrs.), pour voir si je vais être
à l'école.
Donc, le 1er juillet, je l'ai appelé, il était à
l'école. J'ai donc été pour passer mon examen.
Là, rendue à l'école, je me suis assise, j'ai
commencé mon examen.
Là, Monsieur Habachi m'a dit qu'y avait une
question dans l'examen qu'y avait pas parlé en
classe. Donc, les étudiants avaient pas pu y
répondre, sauf un qui avait répondu.
Ça fait qu'y m'avait dit - je vais te donner les
notes que j'ai sur cette question, puis tu vas
répondre à la question dans ton examen.
Donc, moi je fais mon examen, puis j'étais rendue à
la deuxième question, Monsieur Habachi est venu me
voir, y m'a dit - Linda, je vais chercher deux (2)
cafés au restaurant, je veux que tu viennes dans
mon bureau, je veux te parler.
Là j'ai dit - bien je peux pas, je suis en train de
faire un examen - je peux pas lâcher mon examen
comme ça puis aller dans votre bureau avec vous.
- Y faut que je te parle.
Donc, y a été chercher deux (2) cafés, j'ai été
avec lui dans son bureau. Là, je me suis assise
puis y m'a dit -là, Monica là, ses jeux de
séduction là, c'est trop là.
Puis moi, j'ai dit - je comprends pas. - Je vois
pas comment - quels jeux de séduction qu'elle vous
fait, Monica.
Puis là, j'y ai demandé - j'y ai dit - puis moi? Y
m'a dit - toi, y dit, c'est des jeux de séduction, mais c'est moins pire que Monica. Y dit - Monica,
c'est grave.
Là j'ai dit - en tout cas, moi j'ai un examen à
finir, je vais aller le finir, puis je veux rien
savoir de cette histoire-là. Je suis sortie.
J'ai été pour finir mon examen, mais j'étais pas
capable de répondre aux deux (2) autres questions
que j'avais. Puis là, Monsieur Habachi est arrivé
... (interrompue)
Q.
Pourquoi vous n'étiez pas capable de répondre aux
deux (2) questions?
R. J'arrivais pas à me concentrer.
Q. Hmm, hmm.
R. Puis Monsieur Habachi est rentré, puis y m'a amené
les feuilles pour répondre à la question que y
avait pas parlé en classe, y m'a donné les feuilles
puis y est parti; puis là, j'ai lu ça, puis
finalement, j'ai pas répondu grand-chose à cette
question.
Puis y est rentré dans le cours, puis y m'a dit -
t'as l'air à avoir des problèmes. Bien j'ai dit -
écoutez, après qu'est-ce que vous venez de me dire,
c'est sûr que j'ai des problèmes.
Ça fait que là, y a vu que je bloquais sur un
numéro, il l'a fait au tableau puis il a dit -
marque-le dans ton examen - puis y est parti. J'ai
marqué le numéro dans mon examen puis après, j'ai
été porter l'examen, puis je suis partie.
(M.A. p. 322 à 326)
Seul, dans le troisième événement me paraît-il,
peut-on voir une quelconque connotation sexuelle, puisqu'il y est question d'une accusation de «jeux de séduction». Certes,
l'appelant choisit un bien mauvais moment pour faire une
remarque qu'il qualifie de disciplinaire. Il s'agit d'un
geste sûrement déstabilisant pour l'intimée. En tout respect
cependant, même si ce geste peut être qualifié d'inapproprié,
de cavalier, d'inconvenant ou de tout autre épithète, je ne
peux me résoudre à y voir du harcèlement sexuel, eu égard au
fait qu'il ne répond à aucun des deux critères soit, d'une
part, sa répétitivité et, d'autre part, la présence manifeste
et claire d'une gravité objective. Le seul fait pour
l'appelant d'avoir, cette fois-ci, directement et non par
l'intermédiaire d'un tiers, réitéré un avertissement (qu'il
qualifie, encore une fois, de disciplinaire), mais qui ne
révèle en rien une conduite visant à séduire l'intimée, à lui
faire des propositions de nature sexuelle, des offres ou
menaces, ne me paraît pas suffisant pour constituer du
harcèlement sexuel au sens que le législateur et la
jurisprudence donnent à ce terme.
On est bien loin, pour ce seul acte, des
exemples cités par les auteurs, soit le viol, l'agression
sexuelle ou de leurs tentatives, ou même de simples menaces de congédiement. En outre, le témoignage cité plus haut ne révèle
aucunement l'existence d'un climat irrespirable à caractère
sexuel, mais davantage d'une atmosphère de malaise dans une
relation maître-élève.
Sur ce point, je concours donc entièrement à la
jurisprudence constante du Tribunal des droits de la personne(5)
qui exige la présence des deux éléments ci-haut mentionnés.
2) La discrimination
Comme le souligne, avec justesse, le Tribunal
des droits de la personne dans le jugement dont appel, il
existe une interrelation étroite entre l'interdiction de
discriminer pour l'un des motifs prévus à l'article 10 et la
prohibition du harcèlement sexuel. Dans certains cas, des
gestes identiques peuvent constituer les deux infractions.
Dans d'autres cas, une conduite qui ne peut être qualifiée de harcèlement peut toutefois être discriminatoire en portant
atteinte, par exemple, à la dignité de la personne.
Cependant, harcèlement sexuel et discrimination
restent des notions et concepts différents et les critères
d'analyse de leurs éléments constitutifs doivent être
distingués.
Pour qu'il y ait discrimination, selon la
jurisprudence citée par ma collègue, et à laquelle je souscris
bien évidemment, il faut prouver l'existence d'une
distinction, exclusion ou préférence fondée sur l'un des
motifs prévus par l'article 10 de la Charte. Il faut ensuite
que celle-ci compromette ou détruise le droit à une pleine
égalité dans la reconnaissance d'un droit ou d'une liberté de
la personne. En bref, subit une discrimination la personne
qui n'est pas traitée avec égalité dans l'exercice de ses
droits fondamentaux législativement reconnus.
Avec beaucoup d'égards, je ne peux me résoudre
à voir dans l'unique fait qu'un reproche (très certainement
injuste) ait été adressé à Linda Langlois, un acte caractérisé de discrimination basé sur le sexe (donc la condition
féminine). Le fait que le reproche soit adressé par un homme
à une femme n'est pas en soi discriminatoire. En outre, son
caractère finalement relativement banal, sa non-répétitivité,
le fait qu'il n'ait pas été accompagné d'autres gestes,
commentaires, reproches, propos ou même innuendos, ne
suffisent pas, à mon avis, à satisfaire les critères
jurisprudentiels ci-haut mentionnés. Même si, comme je m'en
suis expliqué au début, la conduite de l'appelant postérieure
à l'acte reproché est, pour employer un euphémisme, pour le
moins douteuse et curieuse, il n'est pas dans notre rôle de le
condamner, pour ainsi dire pour....«l'ensemble de son oeuvre».
Le seul fait qu'il s'est créé, en raison de conflits de
perception et de personnalité, une situation difficile ne
suffit pas, à moins de banaliser la notion même de
discrimination. Je dois, en effet, m'en tenir strictement,
même si j'éprouve de la sympathie pour l'intimée, aux seuls
faits prouvés et objectifs au moment où le geste reproché a
été posé. Je ne peux, pour ainsi dire, me baser sur son
attitude postérieure pour faire rétroagir une accusation de
discrimination et de comportement sexiste.
Pour ces raisons donc, je suis d'avis
d'accueillir le pourvoi dans le cas de Linda Langlois.
B. Le cas de Monica Hachey
Le cas de Monica Hachey, tout en restant à mon
avis très limite, est plus complexe. Deux événements
importants servant de base à l'accusation de harcèlement
sexuel sont relatés par elle dans son témoignage.
Le premier se situe à la mi-avril 1988.
L'intimée est alors dans le bureau de l'appelant et celui-ci,
qui prétend être en train d'écrire un livre sur le
comportement des jeunes, demande s'il peut lui poser certaines
questions. Rappelons que l'intimée travaillait alors aussi
comme réceptionniste à l'école et donc qu'entre elle et
l'appelant existait un double lien d'employeur-employé et de
maître-élève. Je cite, encore au long et sans interruption,
le témoignage de l'intimée:
R. Puis Monsieur Habachi est rentré dans le
bureau, m'a dit que j'avais comme terminé pour
la journée, si je voulais, mais que y aimerait
ça me parler, si je voulais aller nous chercher chacun un café au petit restaurant du
coin.
C'était quelque chose qu'on faisait quand même
assez souvent, aller se chercher un café au
restaurant. Puis de lui en ramener un et un
pour moi, parce qu'y aimerait ça discuter de
quelque chose avec moi.
C'est ce que j'ai fait. J'ai été nous
chercher un café. Puis, quand je suis
revenue, y m'a demandé de m'asseoir et puis,
il a ouvert la conversation en me disant qu'il
écrivait un livre sur le comportement des
jeunes - je me rappelle plus si y avait nommé
un titre là, mais sur le comportement des
jeunes, «Young Behaviorism», puis qu'il voulait
me poser des questions, en général là, que je
donne mon opinion en général.
C'était quelque chose qu'il avait stipulé, «en
général», et non pas mes expériences
personnelles, qu'il avait quelques questions à
me poser sur le comportement.
Puis je dois dire qu'y a plus ou moins juste
deux (2) questions qui me sont restées
vraiment dans l'esprit, depuis ce temps-là.
C'était que - y m'avait posé la question à
savoir - pourquoi que les jeunes filles
étaient souvent plus attirées vers un jeune
homme, dans une classe, qui était plus
bouffon, plutôt que d'être attirées vers un
garçon qui était un peu plus sérieux envers
les études, envers lui-même, qui était plus
sérieux - peut-être moi j'ai pris ça pour être
un peu plus gêné.
Puis j'ai répondu, comme y m'avait demandé,
généralisé, que c'était parce qu'une jeune
fille qui est le moindrement gênée elle-même
n'ira pas chercher le garçon qui est gêné ou
qui est sérieux; elle va être plus attirée vers un bouffon, parce que y est, comme on dit
en anglais «outgoing», «easygoing».
Puis à ce moment-là, c'est resté comme ça,
jusqu'au moment où y m'a posé la question à
savoir pourquoi les jeunes filles étaient
souvent attirées vers un homme plus âgé.
Puis encore là, j'ai répondu des statistiques.
Y m'avait demandé mon opinion en général, et
j'ai répondu ce que j'avais vu dans les
magazines, ce que je connaissais des
statistiques. C'était - plus souvent
qu'autrement, y recherchaient un père.
Et puis, à ce moment-là, quand que la question
était venue, j'avais (j'étais) resté un peu
frappée là, mais à ce moment-là - je voulais
pas - à ce moment-là, je me doutais pas,
t'sais - je savais pas qu'est-ce qu'y allait
s'ensuivre dans la conversation.
Alors j'ai continué avec la conversation, avec
la discussion, jusqu'au moment où il m'a dit
qu'il avait peur de moi, parce que j'étais
trop jeune.
Puis j'ai essayé, à ce moment-là, de
comprendre qu'est-ce qu'y voulait dire, puis
j'ai pas parlé, j'ai pas rien dit. J'étais
encore un peu abasourdie, puis après ça, y m'a
demandé comment je me sentirais s'il me
prenait dans ses bras.
Puis j'ai dit - wow! minute - dans ma tête là,
j'ai pas - j'ai pas dit tout haut - y a
quelque chose qui se passe ici que je suis pas
confortable avec, à l'aise.
Puis j'ai - mais j'ai pas - j'ai resté
bloquée. J'étais très surprise de la
discussion qui suivait, puis j'étais très
surprise, j'ai resté bloquée, puis j'ai pas
rien dit, j'ai pas parlé.
Puis ensuite, Monsieur Habachi m'a demandé
d'aller prendre une marche avec lui, et puis
je lui ai dit - je me suis levée, je lui ai
dit - non, je m'en vais à la maison.
Et puis, c'est ce que j'ai fait. Je me suis -
j'ai mis mon manteau et je suis partie, je me
suis en allée à la maison. Puis ça, c'était
la discussion du mois d'avril
(M.A. p. 150 à 154)
Le second incident a eu lieu le lendemain.
Q. Est-ce que vous êtes revenue sur cette discussion,
dans les jours qui ont suivi?
R. Le lendemain, je me suis retrouvée, encore une
fois, seule à l'école avec Monsieur Habachi.
J'étais dans le laboratoire et puis, Monsieur
Habachi est venu près de moi, il m'a pris la main,
il m'a dit - so? Et moi, j'ai pris ça pour vouloir
dire - so, have you thought about it?
T'sais, comme - est-ce que vous y avez pensé, avez- vous pris une décision? Puis moi, je lui ai dit
que quelque chose comme ça n'était pas une bonne
idée.
Q. Dans quelle langue est-ce que vous l'avez dit?
R. En anglais.
Q. Qu'est-ce que vous avez dit?
R. J'ai dit - I don't think it would be a good idea.
Q. Hmm, hmm.
R. Et puis, j'ai - à ce moment-là, c'était peut-être
pas clair. Moi, je savais que ce que je voulais
dire, c'est que je voulais qu'on s'en tienne à des
relations de professeur-étudiante, puis je voulais
continuer son cours, puis j'avais pas l'intention
de revenir sur ce sujet-là.
Puis là, y m'a répondu que - you never know. J'ai
pris ça pour dire, en voulant dire - on ne sait
jamais ce qui peut se passer, tu peux changer
d'idée.
Q. Mais ses paroles étaient, à Monsieur Habachi?
R. - You never know.
Q. - You never know. Est-ce que la discussion a
continué?
R. À ce moment-là, non, parce que y arrivait proche de
l'heure de mon cours de l'après-midi, puis les
autres élèves sont arrivés, puis on a commencé - on
a débuté notre cours.
(M.A. p. 155-156)
On comprend fort bien la réaction de l'intimée,
qui déclare avoir continué à travailler comme réceptionniste
et à fréquenter les cours, tout en se sentant mal à l'aise
lorsqu'elle se trouvait seule en présence de l'appelant. Ici,
à mon avis, on peut parler de climat ambigu à caractère
sexuel.
Le troisième événement est survenu en mai,
lorsque l'appelant l'a convoquée dans son bureau pour lui reprocher d'avoir un comportement à son égard et à l'endroit
des autres étudiants qu'il qualifiait d'équivalent à des «jeux
de séduction». C'est alors qu'elle a pris la décision de
cesser de travailler comme réceptionniste.
Q. Et vous avez dit que vous avez continué à
travailler jusqu'à ...?
R. Jusqu'à - excusez - vers la mi-mai.
Q. Et qu'est-ce que - est-ce qu'il y avait une raison
particulière pour laquelle vous avez cessé de
travailler?
R. Oui. Pour une raison très particulière. Comme je
vous disais, j'avais manqué un peu le travail, des
fois puis, un matin que je suis arrivée en retard,
Monsieur Habachi était déjà dans sa classe en train
de donner un cours de théorie.
Puis je suis arrivée, je suis rentrée dans le
bureau, puis ça faisait pas tellement longtemps que
j'étais rendue dans le bureau que - Monsieur
Habachi est venu dans le bureau en coup de vent et
puis, il m'a dit qu'il voulait me parler.
Puis, à ce moment-là, moi j'ai pensé - de quoi,
cette fois-ci? - La dernière fois qu'y a voulu me
parler, c'était la grande discussion qu'on avait
eue.
Puis là, je savais pas trop de quoi qu'y voulait me
parler. Puis y m'a dit que je devais cesser mes
jeux de séduction. Alors j'ai resté très surprise,
je savais pas de quoi il parlait.
Je lui ai dit - je lui ai posé la question, à
savoir de quoi il parlait, et il m'a dit - je veux que tu cesses tes jeux de séduction avec Gaston -,
Gaston étant un des étudiants dans mon cours.
Je lui ai dit que je m'étais pas obligée d'accepter
les accusations qu'il faisait et que je finirais ma
journée de travail et que je reviendrais pour mon
cours, l'après-midi, mais qu'il ne m'attende pas le
lendemain matin, pour travailler, que j'avais - que
je cessais de travailler pour lui, mais que je
continuerais mes cours.
Et puis, il a dit - fine - je sais pas - il me
semble que c'est le mot qu'il a dit, à ce moment- là. Il s'est levé pour sortir du bureau. Juste
avant de sortir, il s'est retourné et il m'a dit -
tu diras à Linda qu'elle cesse ses petits jeux,
elle aussi.
Et à ce moment-là, j'avais - je venais de dire que
j'étais pour continuer ma journée, de finir ma
journée de travail, puis après ça, j'ai changé
d'idée là; je me sentais pas capable de continuer
mon travail, cette journée-là.
Donc, j'ai - je me suis levée, puis je suis partie.
Puis je me suis en allée chez moi, jusqu'à - tant
que ce soit le temps de partir pour mon cours, dans
l'après-midi.
Q. Est-ce que vous avez à quoi faisait allusion
Monsieur Habachi?
R. Sur le coup, non. C'est - depuis le temps, je
crois que j'ai peut-être compris là, mais à ce
moment-là, je savais pas du tout de quoi il voulait
parler.
(M.A. p. 158 à 161)
En fin de compte, il est clair que l'élément
déclencheur du départ des deux intimées a été l'accusation portée contre elles par l'appelant de se livrer à des «jeux de
séduction».
L'appréciation détaillée et bien motivée qu'a
fait le Tribunal des droits de la personne sur cette question,
de même que son analyse juridique, est irréprochable. Il
n'existe pas un iota de preuve de la véracité et de la réalité
de ce reproche. Celui-ci est d'abord nié avec vigueur par les
intimées. Il est démenti également par les autres étudiants
lors de la rencontre houleuse au cours de laquelle Linda
Langlois a d'ailleurs menacé de frapper l'appelant. Enfin, le
témoignage des parents confirme ce fait et est aussi éloquent
à cet égard. Il m'est donc strictement impossible d'accorder
sur ce point une quelconque crédibilité à la version de
l'appelant, qui me paraît avoir carrément pris ses désirs pour
des réalités.
En somme, dans le cas de Monica Hachey, il y a
eu d'abord une tentative à peine déguisée, pour employer une
expression consacrée, de «draguer» une jeune femme qui a la
moitié de son âge. Ce geste seul et isolé, même s'il reste
condamnable, eu égard à la fin de non-recevoir opposée par celle-ci, n'aurait pas eu, en soi, un caractère suffisamment
grave pour constituer du harcèlement sexuel. Par contre, ce
geste joint ensuite aux faux reproches adressés à l'intimée
(qui ressemblent à une vengeance pour faveurs non obtenues),
constitue un ensemble et révèle l'existence d'une «trame». Là
encore, j'aurai normalement trouvé cet autre incident, même
joint au premier et même s'il a une connotation clairement
sexiste, insuffisant pour justifier un verdict de harcèlement.
Par contre et même si, à mon avis, il s'agit là d'un cas tout
à fait limite, deux raisons m'ont convaincu de conclure comme
ma collègue.
La première est que ces événements doivent être
appréciés dans le contexte particulier de l'espèce, soit le
fait que l'appelant exerçait sur l'intimée une double relation
d'autorité en tant qu'employeur et enseignant. L'impact
psychologique de ces agissements sur une personne qui se
trouve dans un double lien de subordination ne peut faire
autrement que d'être maximisée par l'existence même de celui- ci et d'avoir un effet continu dans le temps. En d'autres
termes, ce qui n'aurait pu se qualifier de harcèlement dans un
autre contexte, peut l'être en raison de liens de dépendance qui créent chez la personne subordonnée un climat
psychologique ambigu, malsain, équivoque, persistant et donc
inquiétant.
Des propos, des gestes, un comportement qui,
dans le cadre d'une relation ordinaire homme-femme, peuvent
paraître vulgaires, de mauvais goût, déplacés ou même
grossiers et donc sexistes, ne sauraient constituer
automatiquement du harcèlement. La loi n'est pas faite pour
imposer la politesse, l'affabilité, le savoir-vivre, ou la
rectitude politique. Ils peuvent cependant le devenir, s'il
y a une certaine répétitivité (qui, faut-il le redire, reste
quand même limite dans ce cas), et surtout s'il existe un
contexte de relation de dépendance. Il convient cependant
d'être prudent à cet égard pour ne pas banaliser une atteinte
que le législateur a voulu particulière et distincte de la
simple discrimination.
La seconde est une lecture attentive du
témoignage de l'appelant lui-même. Cette lecture est
révélatrice des sous-entendus de nature sexuelle de propos
qui, dans un autre contexte, auraient pu paraître innocents, neutres ou simplement déplacés. N'eût été de ce témoignage
révélant un malaise palpable, j'aurais eu beaucoup de
difficultés à conclure, comme le fait ma collègue.
Je ne veux surtout pas passer pour affirmer
qu'un employeur ou un enseignant qui constate chez une
employée ou une élève un problème de comportement qu'il juge
trop familier, est coupable de harcèlement sexuel uniquement
parce qu'il s'interpose pour y mettre fin: il en a
parfaitement le droit. Encore faut-il cependant, d'une part,
que ces reproches aient une certaine apparence de réalité et,
d'autre part, qu'ils ne s'insèrent pas dans un contexte
préalable de tentative de séduction.
Quant aux dommages, l'appelant ne m'a fait voir
aucun motif sérieux qui permettrait de modifier les sommes
accordées par le Tribunal des droits de la personne.
Pour ces raisons donc, je suis d'avis dans le
cas de Monica Hachey de rejeter le pourvoi.
JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.
1.
En doctrine, voir: M. DRAPEAU, Le harcèlement sexuel au
travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991; D.
SAVOIE et V. LAROUCHE, «Le harcèlement sexuel au
travail», (1988) 43 Rel. Ind. 509; S. TOUPIN, «Le
harcèlement sexuel en milieu de travail», (1988) 43 Rel.
Ind. 531; J. BOUCHARD, «L'indemnisation des victimes de
harcèlement sexuel au Québec»,
(1995) 36 C. de D. 125
;
j'attire une attention toute particulière sur l'excellent
article de Me HÉLÈNE TESSIER, «Le harcèlement en
éducation: responsabilité légale et problèmes éducatifs»,
dans Développements récents en droit de l'éducation,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, p. 297.
2.
En jurisprudence, je réfère tout simplement aux décisions
citées dans l'article de Me HÉLÈNE TESSIER,
principalement aux notes 4, 14 et 16, et aussi à la
décision récente en matière d'emploi de la Commission du
Travail: Richard c. Lefebvre ltée, dossier E09726 du 14
mai 1999.
3.
Voir en doctrine principalement: C. BACKHOUSE et L.
COHEN, The Secret Oppression: Sexual Harassment of
Working Women, Toronto, MacMillan, 1978; C. MacKINNON,
Sexual Harassment of Working Women: A Case of Sex
Discrimination, London, University Press, 1979; A.
AGGARWAL, Sexual Harassment in the Workplace, 2nd ed.,
Toronto, Butterworths, 1992; en jurisprudence: Robichaud
c. Canada,
[1989] 1 R.C.S. 1252
.
4.
Voir: W. SCHABAS, Les infractions d'ordre sexuel,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995; J. NÉRON,
L'agression sexuelle et le droit criminel canadien,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, et l'opinion de
mon collègue, Michel Proulx, dans Lamontagne c. La Reine,
C.A.M. 500-10-000470-961 du 24 août 1998.
5.
Voir: Gervais c. Vaillancourt,
J.E. 93-1148
; Bertrand c.
Hôpital Général Juif,
[1994] R.J.Q. 2087
; Commission des
droits de la personne c. Allard,
J.E. 95-986
, et
Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse c. Zervakis,
D.T.E. 97T-1047
.