LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC, LE 23 JUIN 1998
RÉGION: DEVANT LA COMMISSAIRE: Ginette Godin, avocate
Québec
ASSISTÉE DES MEMBRES: Alexandre Beaulieu,
Associations d'employeurs
Pierrette Giroux,
Associations syndicales
DOSSIER:
94935-03-9803
DOSSIER CSST:
112511449
AUDITION TENUE LE: 1er juin 1998
DOSSIER BRP:
62642584
À: Québec
MONSIEUR DENIS CARON
420, rue Vanier
Charlesbourg (Québec)
G1H 4P6
PARTIE APPELANTE
et
PRÉVOST CAR INC.
35, boul. Gagnon
Sainte-Claire (Québec)
G0R 2V0
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Bien que l'appel de monsieur Denis Gagnon, le travailleur ait été déposé à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel), la présente décision est rendue par la Commission des lésions professionnelles conformément à l'article 52 de la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives (L.Q. 1997, c. 27) entrée en vigueur le 1er avril 1998. En vertu de l'article 52 de cette loi, les affaires pendantes devant la Commission d'appel sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.
La présente décision est rendue par la soussignée en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles.
Le 24 mars 1998, le travailleur dépose auprès de la Commission d’appel une déclaration d’appel à l’encontre d’une décision unanime du Bureau de révision rendue le 23 février 1998.
La décision dont appel est interjeté déclare que le travailleur n’a pas droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 19 juillet au 10 août 1997.
OBJET DE L’APPEL
Le travailleur demande à la Commission d’appel d’infirmer la décision du Bureau de révision pour déclarer qu’il a droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 19 juillet au 10 août 1997.
LES FAITS
En 1996, le travailleur occupe un emploi de préparateur peintre chez Prévost Car inc., l’employeur.
Le 6 décembre 1996, il est victime d’une lésion professionnelle reconnue comme telle par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) en vertu d’un diagnostic de tendinite de la longue portion du biceps latérale.
Le 16 décembre 1996, l’employeur offre au travailleur une assignation temporaire à titre de préposé à l’entretien du matériel.
Le 15 avril 1997, l’assignation temporaire du travailleur fut modifiée pour celle de préposé à l’assemblage des petites pièces.
Le 7 juillet 1997, le médecin ayant charge du travailleur déclare que la lésion professionnelle du travailleur n’est pas consolidée et qu’il doit y avoir poursuite de l’assignation temporaire pour au moins un mois.
La convention collective régissant les relations de travail entre les travailleurs et l’employeur prévoit des périodes fixes de vacances.
Pour l’année qui nous occupe, ces vacances prévues par convention collective s’échelonnaient du 19 juillet au 10 août 1997.
Le 18 août 1997, le travailleur demande à l’employeur de reporter ses vacances conformément à l’article 13.06 D de la convention collective dont la teneur est la suivante :
«13.06 D) L’employé qui est atteint d’incapacité suite à un accident de travail ou maladie professionnelle pendant la période de fermeture des vacances d’été prévue à la clause 19.06, peut demander à la compagnie de reprendre ses vacances en partie ou en totalité, dans la mesure où la période de convalescence se poursuit au-delà de la période de vacances et que son invalidité l’empêche de bénéficier de sa période de vacances. Sa convalescence doit être confirmée par un certificat médical avec diagnostic.
L’employé qui veut se prévaloir de cette clause devra en informer la compagnie, par écrit, au plus tard deux (2) semaines après la période des vacances d’été et la reprise des vacances, devra se faire avant le 31 décembre de l’année en cours.»
Par ailleurs, cette convention collective permet le report de vacances en cas d’activité chez l’employeur et ce report s’effectue par ancienneté des travailleurs dans des secteurs où ils oeuvrent.
Le 19 août 1997, l’employeur refuse la demande du travailleur.
Par la suite, le travailleur demande à la CSST de lui verser une indemnité de remplacement du revenu pour la période en litige, ce que refuse la CSST dans une décision du 30 septembre 1997.
Le travailleur se prévaut de son droit à révision.
Le 23 février 1998, le Bureau de révision rend la décision objet du présent litige.
Lors de son témoignage devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur précise que l’indemnité de vacances qui lui fut versée à l’été 1997 correspond à un pourcentage du salaire gagné pendant la période de référence du 1er mai 1996 au 31 avril 1997, le tout conformément à la convention collective.
ARGUMENTATION
Le travailleur soutient qu’une assignation temporaire ne fait que suspendre le droit à une indemnité de remplacement du revenu lequel renaît lorsque l’employeur n’est plus en mesure d’offrir ladite assignation temporaire.
Comme l’employeur a cessé de lui offrir l’opportunité d’occuper un emploi en assignation temporaire pour la période visée par le présent litige, son droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour ladite période doit être reconnu.
Il fut privé de jouir pleinement de ses vacances et la Commission des lésions professionnelles ne peut sanctionner cet état de fait.
Pour le travailleur, il y a lieu de ne pas confondre le droit à une indemnité de remplacement du revenu et des vacances accumulées lesquelles sont un acquis distinct du salaire.
Pour l’employeur, un travailleur en assignation temporaire non contestée doit être traité comme s’il exerçait un emploi régulier.
Des vacances doivent être considérées comme un avantage lié à cet emploi et le travailleur a bénéficié de cet avantage prévu par convention collective.
Si la Commission des lésions professionnelles faisait droit à l’appel du travailleur, la conséquence serait la reconnaissance du droit à une double rémunération, ce qui serait discriminatoire par rapport aux autres travailleurs.
AVIS DES MEMBRES
Les membres issus des associations des employeurs et syndicales sont d’avis d’accueillir l’appel du travailleur car l’assignation temporaire a cessé pendant la période visée, que le travailleur n’a pu jouir pleinement de ses vacances et que l’octroi d’une indemnité de remplacement du revenu ne constitue pas une double rémunération car une prime de vacances ne constitue pas du salaire.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 19 juillet au 10 août 1997.
L’article 44 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) reconnaît le droit d’un travailleur à une indemnité de remplacement du revenu lorsqu’une lésion professionnelle engendre une incapacité à effectuer son travail pré-accidentel. Le libellé de cet article est le suivant :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
L’article 46 de cette même loi présume qu’un travailleur est incapable d’exercer son travail pré-accidentel tant que sa lésion professionnelle n’est pas consolidée. Cet article se lit ainsi :
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
L’article 57 de la loi détermine les cas d’extinction du droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Il se lit comme suit :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants:
1 lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
2 au décès du travailleur; ou
3 au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
Il est loisible à un employeur de contrer les conséquences d’imputation d’une lésion professionnelle par le biais d’une assignation temporaire laquelle est prévue à l’article 179 de la loi :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1E le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2E ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3E ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., c. S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
Ce faisant, l’employeur s’engage à substituer le salaire et les avantages prévus à l’article 180 à l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle a droit le travailleur. La teneur de cet article est la suivante :
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
De ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles retient que le droit à une indemnité de remplacement du revenu subsiste tant qu’une lésion professionnelle n’est pas consolidée et qu’en cas d’assignation temporaire, ce droit est suspendu au profit du salaire et des avantages liés à l’emploi pré-accidentel.
Le droit à des vacances est un droit reconnu par la Loi sur les normes du travail et ce droit peut être aménagé par entente entre employeurs et travailleurs.
Tel est le cas dans la présente cause.
Les travailleurs et l’employeur ont convenu une période fixe de vacances à laquelle doivent se conformer les travailleurs.
Par contre, des dérogations sont possibles en cas de travaux devant être exécutés pendant cette période et le report de vacances est alors fonction d’ancienneté dans le secteur où oeuvre le travailleur qui désire voir reporter ses vacances.
Un travailleur en assignation temporaire ne peut certes bénéficier de cet avantage en regard de son travail pré-accidentel car il est incapable de l’exercer.
Le report n’est donc possible qu’en fonction du travail offert en assignation temporaire pour lequel le travailleur a, la plupart du temps, moins d’ancienneté que les travailleurs réguliers.
En raison de ce qui précède, le travailleur est donc privé d’un avantage lié à l’emploi qu’il occupait lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle, soit le droit à un report de vacances dans son secteur habituel d’activité.
L’article 180 précité se substitue au droit à une indemnité de remplacement du revenu lorsque ce dernier est suspendu quand un employeur offre une assignation temporaire, mais cet article ne peut recevoir application si un employeur n’est pas en mesure de verser le salaire et les avantages liés à l’emploi préaccidentel.
Dans la présente cause, l’employeur ne verse pas au travailleur son salaire car une prime de vacances ne peut être assimilée à du salaire.
Pour la soussignée, une prime de vacances relève d’un cumul de temps en vertu duquel un employeur est tenu de compenser un travailleur pour du travail déjà accompli et en raison d’un droit reconnu à des vacances.
Qu’un travailleur consente à recevoir ce dû en argent plutôt qu’en temps non travaillé n’influe en rien sur la nature même du droit à des vacances.
La Commission des lésions professionnelles considère donc que pendant la période visée par le présent appel, l’employeur n’a pu verser au travailleur son salaire ni les avantages liés au travail que le travailleur occupait au moment de sa lésion professionnelle.
Puisque l’employeur n’était pas en mesure de maintenir l’assignation temporaire et de se conformer à l’article 180 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il s’ensuit que le droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu, qui n’était que suspendu, reprend et que ce droit doit être respecté.
La Commission des lésions professionnelles ne croit pas qu’il s’agisse là d’une double rémunération car, tel que dit précédemment, une prime de vacances ne peut être assimilée à du salaire.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE l’appel de monsieur Denis Caron;
INFIRME la décision rendue par le Bureau de révision du 23 février 1998;
et
DÉCLARE que monsieur Caron a droit à une indemnité de remplacement du revenu pour la période du 19 juillet au 10 août 1997.
GINETTE GODIN
Commissaire
T.C.A. (Local 1044)
(M. Daniel Déry)
5000, boul. des Gradins
Bureau 110
Québec (Québec)
G2J 1N3
Représentant de la partie appelante
LAVERY, DE BILLY
(Me Christian R. Drolet)
925, chemin St-Louis
Bureau 500
Québec (Québec)
G1S 1C1
Représentant de la partie intéressée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.