Décision

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Rankin c. Rankin

2014 QCCQ 8981

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D'ABITIBI

 

LOCALITÉ D'AMOS

 

« Chambre civile »

NO :

605-22-002518-140

 

DATE :

10 septembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MADAME LA JUGE

LUCILLE CHABOT, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

STEVE RANKIN

Demandeur

 

c.

 

NANCY RANKIN

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le demandeur, monsieur Steve Rankin, réclame la somme de 20 000 $ en dommages et 10 000 $ à titre de dommages punitifs pour des propos tenus à son égard par la défenderesse Nancy Rankin.

[2]           On reproche à madame Rankin des propos tenus en plusieurs occasions que ce soit sur le réseau Facebook, sur la place publique ou lors d'assemblées publiques.

[3]           Les parties sont toutes deux membres de la communauté algonquine Abitibiwinni : monsieur habite Pikogan tandis que madame habite hors réserve. Plusieurs des membres de cette communauté ont aussi des racines cries. La défenderesse est la cousine de monsieur Steve Rankin.

[4]           Monsieur Rankin est impliqué au sein de sa communauté. Il a occupé un poste de conseiller au conseil de bande pendant deux termes successifs de trois ans chacun. Le 20 juin 2014, des élections pour ce poste de conseiller se tenaient.

[5]           Dans les us et coutumes de la Nation Abitibiwinni, une soirée de nominations lors de laquelle chaque candidat s'adresse aux membres de sa communauté se tient. Cette soirée a eu lieu le 29 mai 2014.

[6]           Madame est présente sur le réseau Facebook où ses messages peuvent être lus par environ 344 « amis ». Environ la moitié d'entre eux sont des résidents de la communauté de Pikogan. L'autre moitié est constituée de gens demeurant surtout à Amos, ville voisine de Pikogan, et Gatineau. On estime que la moitié d'entre eux sont aussi des membres de la Première Nation Abitibiwinni.

[7]           Le 7 mai, madame Rankin, s'adressant à ses « amis », y allait d'accusations envers monsieur Rankin. Elle écrit qu'il est un agresseur en puissance, qu'il a battu quelques femmes, fait de la prison, poussé une famille au deuil et même agressé une personne du troisième âge. Elle laisse entendre que des plaintes seront portées sous peu. Elle termine en disant :

« Quand je pense à grand-papa et grand-maman, j'ai honte de porter le nom qu'il salit »

[8]           Cette communication est clairement faite dans le cadre de la campagne électorale.

[9]           Ayant eu connaissance de ce texte, monsieur Rankin mandate un avocat afin que soit transmise une mise en demeure à madame Rankin. Cette mise en demeure lui a été personnellement signifiée le 12 mai 2014. On demandait alors à madame de se rétracter, et ce, dans un délai de 24 h. Ce court délai s'explique par l'assemblée de présentation et les élections qui sont imminentes.

[10]        Non seulement madame Rankin ne s'est pas rétractée, elle récidive quelques jours plus tard. Dans une première communication, elle traite le demandeur de « sale con » et renvoie clairement à la mise en demeure qui lui est parvenue le 12 mai précédent. Elle l'accable de diverses accusations. Elle lui intime l'ordre de demander pardon à tous ceux qu'il a blessés en le traitant de « crisse de sauvage ». Elle ajoute que « Kitci papa et kitci mama te voient » référant aux grands-parents communs des parties. Elle le traite de « pourriture », s'interroge à savoir s'il verse une pension pour ses fils et sur l'identité des personnes qui paient son avocat.

[11]        Il convient ici de préciser que, dans la culture propre aux Premières Nations, les aînés (elders) sont respectés de tous et qu'on leur reconnaît bonté et sagesse. Faire ainsi référence aux grands-parents prend une connotation particulière en raison de la culture propre des parties.

[12]        Dans une troisième communication, elle réfère à la mère du demandeur indiquant qu'elle a mis au monde « un bâtard ». Elle suggère à tous de faire sortir les dossiers criminels de monsieur Rankin et lui suggère d'aller payer son avocat.

[13]        Dans une autre communication, elle accuse monsieur d'avoir traité une personne du troisième âge de « sale Crie » et de lui avoir dit de s'en aller chez elle à Waskaganish. Elle lui dira : « Ce n'est pas parce que tu n'as pas de père que tu dois écœurer ceux des autres. » Elle ajoute : « Si t'as des couilles lâche ton esti d'avocat pis fait face à TA musique !!!!! » Elle termine en indiquant à ses amis de ne pas voter pour lui car il est raciste et contre les Cris.

[14]        Suivent d'autres conversations où madame est interpellée par certains de ses « amis ». Elle finira par attaquer de basse manière la fille de monsieur Steve Rankin.

[15]        Par ces derniers échanges, on peut voir que les propos de madame ont été lus et que certains y ont réagi de manière favorable et d'autres de manière défavorable.

[16]        Dans une communication du 29 mai, elle fait état des condamnations passées de monsieur Rankin, lesquelles remontent à 1992, 2001 et 2005. Elle termine en disant : « Tout l'monde m'a dit fait attention à lui c'est un malade!!!!! »

[17]        Madame s'est aussi présentée à la réunion de nominations le 29 mai où elle a continué ses esclandres, à tel point que monsieur Rankin s'est senti attaqué et gêné de se présenter devant les gens de sa communauté.

[18]        Avant la journée des élections fixée au 29 juin, madame a pris position près des casiers postaux avec des pancartes de couleurs vives. Sur l'une d'elle on pouvait lire :

« Ne votez pas pour un criminel si vous votez pour Steve Rankin votre vote sera annulé parce qu'il ne peut être élu à  cause de son lourd passé criminel

-        Conduite avec facultés affaiblies (3 fois)

-        Voies de fait sur femmes

-        Voies de fait sur policiers

-        Tentatives de meurtres

-        Infractions contre policiers

Il ne peut pas nous représenter - Destitution

[19]        Sur une deuxième pancarte était écrit le message suivant :

« Vous voulez être bien représentés???

Ne votez pas pour un batteur de femmes et de policiers. Donnons nous de bons représentants respectueux des règles, lois et personnes pas Steve Rankin »

[20]        Lorsqu'elle se tenait près des casiers postaux, elle interpellait les gens. 

[21]        Des personnes de la communauté sont venues témoigner et certaines ont même récupéré deux de ces pancartes, lesquelles ont été produites en preuve. Certains témoins indiquent qu'ils enlevaient les pancartes pour en voir réapparaître d'autres peu de temps après.

[22]        La défenderesse s'est aussi présentée aux assemblées publiques avec en main le dossier criminel de monsieur Rankin.

[23]        Il appert que même après les élections, madame a continué sa vendetta contre monsieur Rankin. Lors de funérailles d'un membre de la famille, madame s'est approchée de la mère de monsieur Rankin lui faisant des grimaces, se frottant après elle et lui pointant un doigt sur le côté du visage.

[24]        D'autres personnes de la communauté sont venues témoigner de l'implication de monsieur Rankin au sein de celle-ci.

[25]        La communauté de Pikogan est un très petit territoire d'environ un kilomètre carré dont la zone habitée fait à peu près 2000 pieds carrés. Nul doute que si quelqu'un se place près des casiers postaux et interpelle les passants, il peut rejoindre un grand nombre de personnes.

[26]        Monsieur Rankin n'a pas été réélu et n'a pu terminer les actions entreprises en matière de négociations de territoire et de négociations avec les entreprises minières et forestières.

[27]        Le demandeur a sept enfants et la plupart sont au courant des propos tenus par madame Nancy Rankin. Monsieur a été interpellé par de concitoyens qui lui demandaient ce qu'il ferait face aux actions de madame Rankin.

[28]        Encore à ce jour monsieur est affecté, se sent jugé, dévisagé. Il a vécu des périodes de grand stress où il avait de la difficulté à dormir et à se nourrir convenablement. Sa femme qui elle aussi a été affectée et ébranlée par les propos de madame Rankin l'a même questionné.

[29]        Monsieur Rankin veut que ces attaques cessent.

[30]        Bien que la procédure introductive d'instance ait dûment été signifiée à madame le 20 juin 2014, en mains propres, celle-ci n'a pas comparu d'où l'inscription pour jugement. Au jour de présentation de la requête introductive d'instance, madame a quand même été appelée et son absence notée au procès-verbal.

[31]        On informe la Cour que madame détient un emploi dans un garage de la région d'Amos.

[32]        Monsieur Rankin réclame la somme de 20 000 $ à titre de dommages et 10 000 $ à titre de dommages punitifs. Telle est la preuve reçue par le Tribunal.

Le Droit :

[33]        Les articles 3, 6, 7 et 10 du Code civil du Québec[1] énoncent :

« 3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

[…]

6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

[…]

10. Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité. Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé. »

[34]        L'article 35 prévoit :

« 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise. »

[35]        Le droit à la réputation est un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne[2]. Ainsi, l'article 4 énonce :

« 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. »

[36]        En cas d'atteinte à la dignité, l'honneur ou la réputation d'une personne, l'article 49 prévoit :

« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

[37]        Le litige met donc en cause deux valeurs fondamentales : le droit à la sauvegarde de sa réputation et la liberté d'expression. À propos du concept de réputation et de la Charte canadienne des droits et libertés[3], le juge Cory écrivait dans l'affaire Hill[4] :

« Bien qu'elle ne soit pas expressément mentionnée dans la Charte, la bonne réputation de l'individu représente et reflète sa dignité inhérente, concept qui sous-tend tous les droits garantis par la Charte.  La protection de la bonne réputation d’un individu est donc d’importance fondamentale dans notre société démocratique. »

[38]        La diffamation consiste dans la communication de propos, d'écrits qui sont de nature à faire perdre l'estime ou la considération de quelqu'un. Ils peuvent aussi susciter à son égard des sentiments défavorables, désagréables. Il s'agit d'une atteinte injuste à la réputation d'une personne l'exposant à la haine, au mépris ou au ridicule. La diffamation peut être des commentaires ou des critiques injustifiés ou malicieux. Elle peut aussi être la simple communication d'informations erronées ou sans intérêt, bien qu'exactes.

[39]        Le fondement du recours se retrouve à l'article 1457 du Code civil du Québec, article qui établit les règles applicables en matière de responsabilité civile :

« 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde. »

[40]        Ainsi, le régime général de la responsabilité s'applique et impose de démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ce préjudice et la faute commise.

[41]        Il incombe donc à la victime d'une pareille atteinte illicite de faire la démonstration par prépondérance de preuve de ces trois éléments.

[42]        Dans Charrette c. Lemoyre[5] :

« [51]    La faute sera examinée eu égard à la conduite du défendeur. Elle est souvent le premier élément examiné par le Tribunal qui, s'il en découle une réponse positive, entraîne l'examen du dommage que telle faute aurait engendré.

[52]              Dans l'arrêt Prud'homme, la Cour, après avoir indiqué que le fondement du recours en diffamation se trouve à l'article 1457 C.c.Q., mentionne :

« […] Ainsi, dans un recours en diffamation, le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité, comme dans le cas de toute autre action en responsabilité civile, délictuelle ou quasi délictuelle. »

[53]       Le Tribunal analysera les éléments de la responsabilité dans l'ordre suggéré par la Cour suprême.

2.         L'existence d'un préjudice

[54]        À cet égard, la Cour suprême émet les commentaires suivants :

« Pour démontrer le premier élément de la responsabilité civile, soit l’existence d’un préjudice, le demandeur doit convaincre le juge que les propos litigieux sont diffamatoires.  Le concept de diffamation a fait l’objet de plusieurs définitions au fil des années. De façon générale, on reconnaît que la diffamation « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables ». »

[55]       La Cour ajoute que la nature diffamatoire des propos s'analyse selon une norme objective.

[56]              Il faut se demander, nous rappelle la Cour suprême, si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation du plaignant. Même si les propos sont jugés diffamatoires, ils n'engageront pas nécessairement la responsabilité civile de leur auteur, sauf si on démontre en plus la commission d'une faute.

[57]        L'étude du dommage ou du préjudice est généralement analysée suivant huit critères dégagés par la jurisprudence :

         «  1. La gravité intrinsèque de l'acte diffamatoire ;

 2. Sa portée particulière relativement à celui qui en a été la victime ;

3. L'importance de la diffusion publique dont le libelle a été l'objet ;

4. Le genre de personnes qui, présumément, en ont pris connaissance et les conséquences que la diffamation a pu avoir sur leur esprit et sur leur opinion à l'égard de la victime ;

5. Le degré de la déchéance plus ou moins considérable à laquelle cette diffamation a réduit la victime par comparaison avec son statut antérieur ;

6. La durée éventuelle et raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie ;

7. La contribution possible de la victime par sa propre attitude ou sa conduite particulière, à la survenance du préjudice dont elle se plaint ;

8. Les circonstances extérieures qui auraient, de toutes façons et indépendamment de l'acte fautif du présent défendeur, constitué des causes probables du préjudice allégué, ou, au moins, d'une partie de ce préjudice. » »

[43]        L'analyse selon une norme objective consiste à se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble et dans le contexte dans lequel ils ont été prononcés, ont déconsidéré la réputation d'une autre personne.

[44]        Le Tribunal le répète, les propos diffamatoires peuvent être conformes à la vérité tout comme ils peuvent être faux. S'ils sont vrais, ils peuvent entraîner la responsabilité de celui qui les a tenus si l'auteur n'avait pas un intérêt légitime à les rapporter. S'ils sont faux, leur publication ou télédiffusion constitue en soi une faute.

[45]        Un propos diffamatoire peut adopter un style direct, soit l'affirmation ou un style indirect : allusion, insinuation, ironie, doute, supposition, sous-entendu. Ces derniers peuvent avoir le même effet dévastateur.

[46]        Ces affirmations, insinuations, suppositions ou sous-entendus visent à faire perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou de susciter à son égard des sentiments défavorables ou désagréables.

[47]        Cette faute peut résulter de la mauvaise foi, de l'intention de nuire. Elle peut aussi résulter d'un comportement dont la volonté de nuire n'est pas apparente ou présente, mais où on porte malgré tout atteinte à la réputation de la victime par sa négligence, son impertinence, son incurie ou sa témérité[6].

[48]        En ce qui concerne les dommages, la jurisprudence reconnaît qu'une certaine partie de l'évaluation de ceux-ci demeure du domaine du discrétionnaire bien que certains éléments seront évalués tels : gravité de l'acte, intention de l'auteur, diffusion de la diffamation, la condition des parties, la portée de la diffamation sur la victime et ses proches et la durée de l'atteinte et ses effets.

ANALYSE :

[49]        Les propos tenus par la défenderesse dépassent et excèdent largement les débats qui peuvent prendre place dans un cadre électoral. Les propos s'attaquent non pas au bilan des réalisations des deux termes où monsieur a servi la population de sa communauté, mais directement à la personne avec des qualificatifs qui constituent en soi une faute. Sans prétendre tous les relever, on peut mentionner :

-        Agresseur en puissance;

-        Sale con;

-        « Criss » de sauvage;

-        Pourriture;

-        Le bâtard (dit Steve Rankin);

-        Espèce d'illettré;

-        Raciste contre les Cris;

-        « Esti de chien sale qui a attaqué mon père ».

[50]        Elle l'accuse, sans preuve au soutien de ses allégations, de diverses actions ou comportements :

-        Qu'il n'a pas de père et qu'il s'en prend à ceux des autres;

-        Qu'il a transgressé les règles afin qu'un proche ait accès à une maison;

-        Qu'il a agressé une personne du troisième âge;

-        Qu'il est auteur de propos racistes;

-        Insinue qu'il tire des avantages de sa fonction en lui demandant « Quelle voiture tu as? »;

-        Qu'il ne respecte pas ses obligations en lui demandant : « Combien tu donnes de pension pour tes fils? »;

-        Qu'il ne travaille pas pour la communauté. Il travaille que pour lui!!! Rien que pour lui.

[51]        Sur l'une des pancartes posées près des casiers postaux, ont va même jusqu'à l'accuser de « tentatives de meurtres ».

[52]        Sur une autre pancarte qui était apposée sur une voiture, on le traitait de batteur de femmes et de policiers.

[53]        Objectivement, les propos tenus sont de nature à déconsidérer le demandeur, à attitrer sur lui l'opprobre, à lui faire perdre la confiance de ses concitoyens. Les propos tenus sont méprisants et contiennent des critiques injustifiées et même malicieuses. La preuve est ici prépondérante que des propos diffamatoires ont été tenus. Certains de ces propos sont inexacts, faux, d'autres le sont sans preuve à leur soutien. D'autres, bien qu'exacts, remontent à un passé lointain et ne concernent pas l'intérêt général. Des accusations remontant à 2005, soit neuf ans, peuvent êtres vrais mais de les ramener sans explication aucune fait fi de tout travail de réhabilitation qui peut être fait par un contrevenant. Manifestement, après six ans passés au sein du conseil de la Nation Abitibiwinni, la réhabilitation de monsieur Rankin était soit complétée ou en voie de l'être.

[54]        Le demandeur a perdu ses élections, et par le fait même son travail. On ne peut dire de manière certaine que c'est là l'effet exclusif des propos de madame Nancy Rankin bien qu'ils y aient sûrement contribués.

[55]        Ce n'est pas sur ce fait que le Tribunal doit indemniser l'accusé. C'est pour la honte subie, les regards que les gens de sa communauté ont posés sur lui, parce qu'influencés par les propos vitrioliques de la défenderesse, pour la gêne qu'il connaît encore à ce jour et le fait de devoir répondre à des questions de ses proches.

[56]        Monsieur a vécu des périodes de stress, d'insomnie et il y a tout lieu de croire que sa confiance en lui s'en est trouvée ébranlée. Cet état de fait est la conséquence directe des agissements de la défenderesse Rankin au cours des derniers mois. Alors que l'on aurait cru qu'elle cesserait ses attaques suite à la tenue des élections où monsieur a perdu son siège de conseiller, elle a récidivée attaquant la mère du demandeur. Ce geste est troublant notamment en ce qu'il est contraire aux valeurs de respect que l'on porte aux aînés de la communauté.

[57]        Les propos tenus par la défenderesse constituent une atteinte à l'image, à la réputation et à la compétence du demandeur et visaient clairement à lui faire perdre l'estime de ses concitoyens et de ses proches.

[58]        Il est bon de rappeler que l'étendue des dommages monétaires accordés est et doit être déterminée en fonction du préjudice subi et des conséquences sur monsieur Rankin et non pas en regard de la gravité de la faute de Mme Rankin. Ce dernier élément, la gravité de la faute, peut seulement être tenu en compte dans la détermination des dommages punitifs dont le but n'est pas de compenser le préjudice subi, mais bien de décourager toute personne d'agir de telle manière.

[59]        Le Tribunal tiendra compte du fait que la seule preuve en ce qui concerne le travail de madame donne à penser qu'elle n'est pas dans la catégorie des hauts-salariés.

[60]        Le Tribunal usant de sa discrétion judiciaire quant à l'octroi d'une réparation au préjudice posé au demandeur Steve Rankin par la défenderesse Nancy Rankin accorde les dommages suivants :

[61]        Pour atteinte à la réputation par les propos diffamants qu'elle a tenus 10 000 $.

[62]        Quant aux dommages punitifs l'article 1621 du Code civil du Québec[7]  stipule :

« 1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

 

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »

[63]        Est aussi énoncé à l'article 49 de la Charte Québécoise[8] un principe qu'en cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le Tribunal peut condamner l'auteur à des dommages punitifs.

[64]        Ici, clairement l'attaque est non seulement illicite, mais aussi intentionnelle et l'état d'esprit de l'auteure de ces propos demeure clairement un désir de causer des conséquences néfastes au demandeur avec un but précis, celui de lui faire perdre l'estime de ses concitoyens, de noircir sa réputation.

[65]        Ces dommages sont d'ordre punitif, mais ont aussi un caractère préventif visant à décourager quiconque d'agir de telle manière.

[66]        Ainsi, à titre de dommages punitifs la somme suivante sera accordée :

[67]        Dommages punitifs 3 000 $.

[68]        Pour ces motifs, le Tribunal :

[69]        ACCUEILLE la présente requête introductive d'instance;

[70]        CONDAMNE la partie défenderesse, madame Nancy Rankin, à payer au demandeur, monsieur Steve Rankin, la somme de 10 000 $ avec intérêts au taux légal plus l'indemnité prévue par l'article 1619 du Code civil du Québec[9] à compter du 12 mai 2014, date de signification de la mise en demeure;

[71]        CONDAMNE la partie défenderesse, madame Nancy Rankin, à payer au demandeur, monsieur Steve Rankin, la somme de 3 000 $ à titre de dommages punitifs avec intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle prévue par l'article 1619 du Code civil du Québec[10], le tout à compter du 12 mai 2014, date de la signification de la mise en demeure;

[72]        RÉSERVE au demandeur, monsieur Steve Rankin, le droit de demander à la juridiction concernée une ordonnance afin que cesse la publication par la défenderesse des propos diffamatoires sur sa page Facebook;

[73]        LE TOUT avec les entiers dépens.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

LUCILLE CHABOT, J.C.Q.

 

Me Louis Bigué

Bigué avocats

Procureur du demandeur

 

 

Date d’audience :

2 septembre 2014

 

 



[1] Code civil du Québec, L.R.Q. c. C-1991

[2] Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12

[3] Charte canadienne des droits et libertés, dans Loi de 1982 sur le Canada, L.R.C. (1985), App. II, no 44, annexe B, partie I.

[4] Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130

[5] Charrette c. Lemoyre, 2012 QCCQ 186

[6] Paul Sofio c. Daniel Messier,  2008 QCCS 56

[7] Code civil du Québec, L.R.Q. c. C-1991,

[8] Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12

[9] Code civil du Québec, L.R.Q. c. C-1991

[10] Id.

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