Décision

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Bonenfant c. 8490201 Canada inc.

2020 QCCQ 12200

 COUR DU QUÉBEC

«division des petites créances»

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

ST-JÉRÔME

« Chambre civile »

N° :

700-32-701942-185

 

 

 

DATE :

29 DÉCEMBRE 2020

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

FRANCINE LAUZÉ, J.C.Q.

 

 

 

SONIA BONENFANT

Demanderesse

c.

8490201 CANADA INC.

Défenderesse

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

[1]         Le 16 février 2018, Madame Sonia Bonenfant (Mme Bonenfant) chute dans le stationnement d’un centre commercial, situé près de chez elle. Celle-ci réclame à 8490201 Canada inc. (la Compagnie), la somme de 12 500,00 $ en dommages, pour perte de salaire, douleurs, dommages moraux et inconvénients subis.

 

[2]         La Compagnie agit à titre de sous-traitant pour J.R. Donato inc., laquelle est mandatée par le propriétaire de l’immeuble, Crofton Moore Property Services inc. afin de procéder au déneigement et à l’entretien des trottoirs et du stationnement du centre commercial.

 

Questions en litige :

[3]         Dans le cadre de son analyse, le Tribunal doit décider des questions en litige suivantes :

 

 

 

a)    Est-ce que la Compagnie a commis une faute dans l’entretien du stationnement?

b)    Est-ce que la présence de glace ayant causé la chute de Mme Bonenfant constitue un piège dans les circonstances?

c)    Le cas échéant, quels sont les dommages subis par Mme Bonenfant?

 

 

CONTEXTE :

 

[4]         En fin d’après-midi, le 16 février 2018, Mme Bonenfant quitte sa résidence accompagnée de son père, pour aller faire quelques courses. Ils se dirigent vers le centre commercial situé à proximité de leur résidence, à Blainville.

[5]         Comme il peut arriver au Québec en période hivernale, la météo est exécrable. Au courant de la journée, il y a des précipitations de pluie, de grêle et de neige.

[6]         Mme Bonenfant fait un premier arrêt à l’un des commerces situé à l’extrémité du centre commercial et son père la dépose à la porte. Par la suite, ils se dirigent vers l’épicerie qui se trouve à l’autre extrémité. Encore fois, il la dépose à la porte.

[7]         Après avoir complété ses achats, elle sort du commerce par la porte du guichet automatique, cet accès étant plus rapide selon elle.

[8]         En se dirigeant vers le véhicule de son père qui est stationné à proximité et au moment où elle descend du trottoir et dépose son pied sur le pavé, elle glisse sur une plaque de glace et elle tombe vers l’arrière. Son dos heurte la bordure du trottoir et elle demeure immobilisée au sol, jusqu’à l’arrivée des ambulanciers.

[9]         Après avoir effectué une batterie de tests, on lui diagnostique une entorse/ contusion lombaire. Aucun traitement n’est requis, seul le temps peut en permettre la guérison. Elle est donc mise en arrêt de travail pour une période d’un (1) mois[1]. Aujourd’hui elle en est complètement rétablie.

[10]       Le 3 avril 2018, Mme Bonenfant met en demeure le commerce alimentaire où se sont produits les évènements, leur réclamant la somme de 30 000,00 $, pour dommages corporels et moraux[2].

[11]       Le 17 août 2018, l’assureur du propriétaire de l’immeuble, Crawford & Compagnie (Canada) inc. nie couverture et refuse d’indemniser Mme Bonenfant, alléguant qu’il s’agit d’un malheureux incident et qu’ils n’ont pas été en mesure d’établir la responsabilité de leur assurée[3].

[12]       Ces derniers réfèrent Mme Bonenfant à la compagnie ayant effectué la maintenance et le déneigement à cet endroit.

[13]       Celle-ci intente donc le présent recours contre la Compagnie, laquelle s’était vu octroyer le contrat de déneigement des lieux concernés.

 

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[14]       En vertu des règles de preuve prévues au Code civil du Québec, il appartient à la demanderesse de faire la preuve de tous les faits au soutien de sa réclamation[4].

[15]       Le Tribunal doit également apprécier la preuve présentée de part et d’autre par les parties, afin de conclure que l’existence d’un fait est plus probable et plausible que son inexistence[5].

[16]       Il n’est pas contesté que Mme Bonenfant a chuté.

[17]       Par ailleurs, pour que le Tribunal retienne la responsabilité de la Compagnie, il doit être démontré qu’une faute a été commise par celle-ci dans l’entretien du stationnement concerné.

[18]       En effet, le recours de la demanderesse repose sur l’article 1457 du Code civil du Québec, lequel énonce ce qui suit :

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

 

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.

[19]       Une compagnie de déneigement ne peut donc être responsable de toutes les chutes survenues sur les lieux où ses services sont retenus pour l’entretien.

[20]       Dans la présente affaire, la preuve révèle que la chute est survenue vers 17h00. Il s’agit de l’une de ces journées au Québec où la température est médiocre. Les relevés météo démontrent que durant cette journée, la température a oscillé entre 2.6 et -9.2 degrés celsius[6]. La température a donc changé drastiquement.

[21]       Mme Bonenfant et son père confirment par leur témoignage que les routes sont glacées et enneigées. Malgré tout, ils choisissent d’aller faire quelques courses.

[22]       Les rapports de déneigement[7] de la Compagnie démontrent que cette journée du 16 février 2018, le stationnement du centre commercial a fait l’objet d’un épandage d’abrasifs à deux reprises.

[23]        D’ailleurs, le représentant de la Compagnie, M. Marco Raposo, explique que dès que des précipitations de pluie se transforment en verglas, il procède à un important épandage de sel pour éviter la formation de glace, ce qu’il confirme avoir fait durant la journée, à 4h40 et 13h40.

[24]       Le Tribunal retient de la preuve que le déneigement du stationnement et l’entretien des trottoirs ont été faits, cette même journée, en fin d’après-midi et durant la nuit. M. Raposo réfère le Tribunal à un échange de messages textes confirmant leur présence sur les lieux, peu de temps avant l’accident[8]. Au surplus, son témoignage est appuyé des rapports internes, lesquels confirment les travaux exécutés[9].

[25]       La Cour d’Appel dans l’arrêt Castro c. 4258649 Canada inc.[10] nous enseigne les principes applicables et devant guider le Tribunal lors d’une réclamation en responsabilité, suite à une chute sur une surface glacée :

[…]

[3] La juge rappelle ensuite les règles applicables en la matière :

[30] Or, la Cour suprême du Canada nous enseigne qu'il ne suffit pas qu'il y ait de la glace pour conclure à la faute du propriétaire des lieux. Dans une affaire où on poursuivait la municipalité à la suite d'une chute sur une surface glacée, la Cour s'exprime ainsi[2][11] :

La présente action ne peut réussir, à moins qu'il ne soit démontré qu'il y a eu négligence de la part de la cité ou de ses employés, et que c'est de cette négligence que le dommage a résulté. Dans notre pays, où les intempéries de nos saisons sont fréquentes, où la température hivernale présente de soudaines variations, on ne peut évidemment pas s'attendre sur nos trottoirs à la sécurité dont bénéficient ceux qui vivent sous des ciels plus cléments. Ces changements climatiques offrent toujours des dangers subits, dont ne peuvent dans tous les cas, être tenues responsables les municipalités.

Ce que l'on exige de ces dernières, ce n'est pas un standard de perfection. Elles ne sont pas les assureurs des piétons, et on ne peut leur demander de prévoir l'incertitude des éléments. La vigilance simultanée de tous les moments, dans tous les endroits de leur territoire, serait leur imposer une obligation déraisonnable. Il peut arriver, et il arrive, malheureusement des accidents où s'exerce cependant très bien la surveillance municipale, qui résultent d'aucune négligence et pour lesquels il n'y a pas de compensation sanctionnée par la loi civile. Lorsque la municipalité fait preuve de soin et de diligence raisonnables, lorsqu'elle agit « en bon père de famille », lorsqu'elle prend les précautions que prendraient des personnes prudentes dans des circonstances identiques, elle ne peut être recherchée devant les tribunaux civils.

 

(Nos soulignements.)

[31]  En appliquant ce principe à une chute sur la glace dans un centre commercial, notre cour a décidé, à maintes reprises, qu'il n'est pas suffisant d'établir que la chute résulte de la glace sur la chaussée pour établir la faute qui engage la responsabilité du propriétaire d'un centre commercial. Il faudra établir la négligence de celui-ci.

(Référence omise)

[4] La juge retient que pour la journée du 15 mars 2008, la preuve révèle que l'entretien est effectué conformément aux procédures habituelles, qui ont été bien expliquées :

[…]

[9] En l'espèce, la juge conclut que l'appelant ne s'est pas déchargé de son fardeau d'établir la faute de l'intimée, c'est-à-dire le défaut d'entretien du stationnement le 15 mars 2008. L'appelant ne fait voir ni erreur de droit ni erreur de fait manifeste et dominante à cet égard.

[10] D'une part, la juge n'a pas erré au chapitre du fardeau de preuve. Le renversement de fardeau dont prétend bénéficier l'appelant n'existe pas et aucune présomption légale ne découle de la seule présence de glace sur un terrain de stationnement. Il a été établi depuis longtemps que la responsabilité du propriétaire en cette matière ne peut résulter que d'une faute commise par lui ou ses préposés. Il appartient au demandeur de faire la preuve d'un lien de causalité entre la faute et l'accident dont il est victime[5][12]. Cette preuve, comme le rappelle la jurisprudence, n'est pas facile à faire dans un contexte comme celui de l'hiver québécois.

[…]

[26]       Conformément à la jurisprudence, seule une preuve de négligence dans l’entretien d’un stationnement ou d’un trottoir, peut mener à une condamnation.

[27]       Or, l’ensemble de la preuve ne permet pas au Tribunal de conclure que la Compagnie, laquelle était chargée du déneigement, a commis une faute ou a été négligente dans le cadre de l’entretien du stationnement.

[28]       Le Tribunal retient du témoignage de son représentant que la Compagnie a mis en place une procédure très rigoureuse dans l’exécution de ses contrats, procédure qui permet de s’assurer que tous les clients sont desservis dans un certain délai.

[29]       Au surplus, la preuve ne permet pas non plus d’établir que la plaque de glace sur laquelle Mme Bonenfant a chuté constituait un piège. Celle-ci était consciente des conditions météorologiques et de la présence de glace et de neige.

[30]       Pour avoir gain de cause, Mme Bonefant devait démontrer une faute au niveau de l’entretien du stationnement à l’endroit où elle a fait sa chute, le 16 février 2018, ce qu’elle n’a pas réussi.

[31]       Le Tribunal conclut que la Compagnie n’a pas commis de faute et que par conséquent, il s’agit d’un malheureux accident.

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[32]       REJETTE la demande de la demanderesse, Sonia Bonenfant;

[33]       SANS FRAIS DE JUSTICE.

 

__________________________________FRANCINE LAUZÉ, J.C.Q.

date d’audience :

le 4 DÉCEMBRE 2020.

 

 

 



[1]     Pièce P-3

[2]     Pièce P-1

[3]     Pièce P-8

[4]     Art. 2803 C.c.Q.

[5]     Art. 2804 C.c.Q.

[6]     Pièce D-2

[7]     Pièce D-3

[8]     Pièce D-5

[9]     Pièces D-3 et D-9

[10]    Castro c. 4258649 Canada inc., 2013 QCCA 997

[11]    Garberi c. Montréal (Cité de), [1961] R.C.S. 408 p. 409-410

[12]    Sévigny c. Arguin [1990], R.R.A.764, par. 19 et suivants (C.A.); J.E. 90-1291

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