Martin c. Harvey
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2019 QCCAI 87 |
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Dossier : 1018884-J |
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Date : Le 11 février 2019 |
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Membre: Me Guylaine Giguère |
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cynthia martin |
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Demanderesse |
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c. |
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Benoit Harvey, psychologue |
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Entreprise |
DÉCISION |
DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[1].
[1] La demanderesse s’adresse à Grap clinique de psychologie au travail inc. (la Clinique) afin d’obtenir une copie du dossier psychologique de son défunt conjoint. Ce dernier a consulté Benoit Harvey, psychologue (le psychologue), lequel était à l’emploi de la Clinique. Elle justifie son droit d’accès à titre d’héritière et de liquidatrice de la succession.
[2] La Clinique lui refuse
l’accès aux renseignements contenus dans le dossier du psychologue aux motifs
que les règles de confidentialité demeurent après le décès d’une personne et
que la demanderesse ne peut avoir droit qu’aux renseignements relatifs à la
cause de son décès en vertu de l’article
[3] À l’audience, la Clinique présente un moyen préliminaire par lequel elle demande la substitution de la partie impliquée par le psychologue.
[4] La Clinique présente une requête afin qu’elle soit substituée à titre de partie impliquée par le psychologue qui exerçait ses fonctions au sein de la Clinique au moment du décès du conjoint de la demanderesse. La demande d’accès est adressée au psychologue et c’est ce dernier qui a répondu à la demande.
[5] Elle soutient que le psychologue a une main mise sur la clientèle qu’il traite. De plus, il n’est plus à l’emploi de la Clinique et c’est uniquement lui qui peut autoriser ou non la levée du secret professionnel. Elle soutient qu’elle n’a pas l’autorité de s’immiscer dans les dossiers tenus par le psychologue même si ce dernier était à son emploi, puisque le contenu d’un dossier psychologique est protégé par le secret professionnel. Par conséquent, elle soumet qu’elle ne peut faire partie du litige.
[6] Questionnée par la soussignée, la Clinique s’engage à donner accès sans condition au dossier psychologique, puisqu’elle déclare détenir les dossiers psychologiques.
[7] Le procureur de la demanderesse ne s’oppose pas à cette demande.
[8] La Commission est d’avis que la Clinique peut être une partie impliquée au litige. Cependant, puisque le psychologue est présent à l’audience, qu’il peut témoigner, que la partie demanderesse ne s’oppose pas à la demande de substitution et que la Clinique s’engage à donner accès au dossier psychologique de la personne décédée, le cas échéant, la demande est accordée.
[9] Par conséquent, la Commission autorise la substitution de la partie impliquée, Grap clinique de psychologie au travail inc., par Bruno Harvey, psychologue.
QUESTIONS EN LITIGE
[10] Est-ce que les articles
[11] Dans l’affirmative,
est-ce que les motifs de la demande d’accès au dossier du psychologue rencontrent
les critères de recevabilité des articles
EST-CE QUE les articles
[12] La demanderesse exerce
un droit prévu à l’article
30. Une demande d’accès ou de rectification ne peut être considérée que si elle est faite par écrit par une personne justifiant de son identité à titre de personne concernée, à titre de représentant, d’héritier, de successible de cette dernière, à titre de liquidateur de la succession, à titre de bénéficiaire d’assurance-vie ou d’indemnité de décès ou à titre de titulaire de l’autorité parentale même si l'enfant mineur est décédé.
Le présent article ne restreint pas la communication à une personne d'un renseignement personnel la concernant ou sa correction résultant de la prestation d'un service à lui rendre.
[Nos soulignements]
[13] Elle demande une copie du dossier détenu par le psychologue que consultait son conjoint décédé, lequel contient des renseignements personnels.
[14] L’article
10. Toute personne qui exploite une entreprise doit prendre les mesures de sécurité propres à assurer la protection des renseignements personnels collectés, utilisés, communiqués, conservés ou détruits et qui sont raisonnables compte tenu, notamment, de leur sensibilité, de la finalité de leur utilisation, de leur quantité, de leur répartition et de leur support.
[15] L’article
41. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit refuser de donner communication d’un renseignement personnel au liquidateur de la succession, au bénéficiaire d’une assurance-vie ou d’une indemnité de décès, à l’héritier ou au successible de la personne concernée par ce renseignement, à moins que cette communication ne mette en cause les intérêts et les droits de la personne qui le demande à titre de liquidateur, de bénéficiaire, d’héritier ou de successible.
[Nos soulignements]
[16] Dans sa réponse, le
psychologue invoque que le dossier en litige est protégé par le secret
professionnel. Il invoque également l’article
[17] L’article
31. Le conjoint, les ascendants ou les descendants directs d’une personne décédée ont le droit de recevoir communication, selon les modalités prévues à l’article 30, des renseignements relatifs à la cause de son décès et contenus dans son dossier de santé, à moins que la personne décédée n’ait consigné par écrit à son dossier son refus d’accorder ce droit d’accès.
Malgré le premier alinéa, les personnes liées par le sang à une personne décédée ont le droit de recevoir communication de renseignements contenus dans son dossier de santé dans la mesure où cette communication est nécessaire pour vérifier l’existence d’une maladie génétique ou d’une maladie à caractère familial.
[18] Il ressort de la preuve que la personne décédée n’a pas autorisé la divulgation des renseignements confidentiels contenus à son dossier et n’a pas non plus consigné son refus.
[19] Lors de l’audience, le psychologue refuse de confirmer s’il détient un dossier concernant la personne décédée ni partager quelques informations que ce soit, puisque le contenu d’un dossier psychologique d’une personne décédée est protégé par le secret professionnel, lequel est prévu à l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne[2].
[20] Conformément à
l’article
[21] Selon la preuve faite à l’audience, la Commission a des indices qui permettent de croire qu’un dossier concernant la personne défunte est détenu par le psychologue et qu’il est requis de le relever du secret professionnel afin d’examiner les documents en litige et démontrer l’existence de confidences :
55. La Commission a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa compétence; elle peut rendre toute ordonnance qu’elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider de toute question de fait ou de droit.
Elle peut notamment ordonner à une personne exploitant une entreprise de donner communication ou de rectifier un renseignement personnel ou de s’abstenir de le faire.
[22] Le psychologue est donc relevé de son obligation de protéger le secret professionnel et confirme qu’il détient un dossier psychologique concernant la personne décédée.
[23] La soussignée entend le psychologue lors d’un huis clos et sans la présence de la demanderesse, et ce, en vertu de l’article 20 des Règles de preuves et de procédure de la Commission[3]. Il explique le contenu du dossier en litige qui contient au total neuf pages :
· Page 1 : l’ordonnance de communication du dossier au bureau du Coroner;
· Page 2 : une fiche indiquant les dates des interventions;
· Pages 3 à 9 : les notes d’entrevue du psychologue lors de ses rencontres avec le conjoint de la demanderesse. Ces notes font état des communications faites par ce dernier au psychologue.
[24] La protection relative au secret professionnel est prévue par l’article 9 de la Charte :
9. Chacun a droit au respect du secret professionnel.
Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.
[25] Cette protection est
applicable à l’égard des professionnels qui y sont tenus. Les membres des ordres
professionnels soumis au Code des professions[4], dont font partie les psychologues, y sont
tenus en vertu de l’article
60.4. Le professionnel doit respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l’exercice de sa profession.
Il ne peut être relevé du secret professionnel qu’avec l’autorisation de son client ou lorsque la loi l’ordonne ou l’autorise par une disposition expresse.
Le professionnel peut en outre communiquer un renseignement protégé par le secret professionnel, en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu’il a un motif raisonnable de croire qu’un risque sérieux de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiable et que la nature de la menace inspire un sentiment d’urgence. Toutefois, le professionnel ne peut alors communiquer ce renseignement qu’à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou aux personnes susceptibles de leur porter secours. Le professionnel ne peut communiquer que les renseignements nécessaires aux fins poursuivies par la communication.
Pour l’application du troisième alinéa, on entend par «blessures graves» toute blessure physique ou psychologique qui nuit d’une manière importante à l’intégrité physique, à la santé ou au bien-être d’une personne ou d’un groupe de personnes identifiable.
[26] Plus spécifiquement, le psychologue est tenu au secret professionnel en ce qu’il ne divulgue aucun renseignement sur son client selon le Code de déontologie des psychologues[5]:
15. Le psychologue, aux fins de préserver le secret professionnel:
1 ne divulgue aucun renseignement sur son client à l’exception de ce qui a été autorisé formellement par le client par écrit, ou verbalement s’il y a urgence, ou encore si la loi l’ordonne;
2 avise le client qu’il a l’intention d’autoriser la communication de renseignements confidentiels le concernant à un tiers, des conséquences de cette divulgation et de ses réserves, le cas échéant;
3 ne révèle pas qu’un client fait ou a fait appel à ses services professionnels ou qu’il a l’intention d’y recourir;
4 ne mentionne aucun renseignement factuel susceptible de permettre d’identifier le client ou encore modifie, au besoin, certains renseignements pouvant permettre d’identifier le client lorsqu’il utilise des renseignements obtenus de celui-ci à des fins didactiques, pédagogiques ou scientifiques;
5 obtient préalablement du client une autorisation écrite pour faire un enregistrement audio ou vidéo d’une entrevue ou d’une activité; cette autorisation spécifie l’usage ultérieur de cet enregistrement ainsi que les modalités de révocation de cette autorisation;
6 ne dévoile pas, sans autorisation, l’identité d’un client lorsqu’il consulte ou se fait superviser par un autre professionnel.
[27] La Commission a statué à de nombreuses reprises sur la portée de la protection accordée par le secret professionnel[6]:
[74] Selon le professeur Ducharme, deux conditions doivent être satisfaites pour que la protection liée au secret professionnel trouve application. D’abord, une loi doit imposer une obligation au silence à une personne. Ensuite, cette obligation doit prendre sa source dans une relation d’aide. L’étanchéité vise à faciliter une communication complète et franche entre le client et le professionnel qui fournit les conseils ou reçoit l’information privilégiée. Les membres des ordres professionnels régis par le Code des professions sont en mesure de respecter ces exigences.
[75] Dans tous les cas, selon le même auteur, l’information transmise doit avoir un caractère confidentiel, impliquant que la transmission de l’information soit faite dans l’intérêt primordial de permettre au confident de bien connaître les besoins du client afin qu’il soit en mesure d’y satisfaire pleinement. En d’autres termes, l’objectif consiste à préserver le lien de confiance établi afin, dans le cas de l’avocat, de bien servir les intérêts supérieurs de la justice.
[…]
[79] L’article 9 de la Charte édicte que le privilège du secret professionnel ne souffre que de deux exceptions : la divulgation est autorisée par le détenteur du secret (renonciation) ou par une disposition expresse de la loi. Dans ce dernier cas, un texte législatif limitant la portée du privilège sera interprété restrictivement.
[80] Par ailleurs, la renonciation peut être explicite ou implicite. Néanmoins, dans tous les cas, un consentement éclairé est requis pour que cette renonciation soit valide. Par ses actes, le détenteur du secret peut autoriser tacitement la divulgation dans la mesure où sa volonté est exprimée clairement et volontairement. À l’inverse, le dévoilement par inadvertance ne s’assimile pas à une renonciation.
[28] En 2016, la Cour du Québec[7] a résumé les composantes du secret professionnel comme suit :
[…]- un client (bénéficiaire de la protection);
- un professionnel (tenu par la Loi à une obligation de confidentialité à l’égard de son client);
- un échange d’informations secrètes entre le client et le professionnel, soit des communications voulues confidentielles;
- une relation professionnelle d’aide et de conseils (en lien avec la profession); […].
[29] Ce droit fondamental vise à faciliter la communication complète et franche entre un client qui consulte un professionnel et le professionnel qui reçoit de l’information de son client et le conseille. Ce droit est conféré au client du professionnel et seul le client peut y renoncer.
[30] Qu’en est-il du secret professionnel du psychologue dans un contexte extrajudiciaire lorsque le demandeur d’accès désire obtenir des renseignements concernant une personne décédée?
[31] L’auteur Léo Ducharme[8] s’explique comme suit lorsqu’il traite de la renonciation au secret médical, lequel pose le problème de savoir si le droit de renoncer se transmet aux héritiers :
471. la thèse de
l’intransmissibilité du secret médical est en contradiction avec le droit d’accès
que l’article
[Nos soulignements]
[32] Il mentionne plus loin qu’il y a lieu de reconnaître la transmissibilité du droit d’accès aux héritiers d’une personne décédée :
Selon nous, en vertu de la nécessaire cohérence des règles de droit, les règles précitées ne doivent pas être restreintes aux seuls renseignements contenus dans le dossier d’un usager décédé, mais doivent être étendues à toute information confidentielle relevant du secret médical concernant cette personne. Il y a donc lieu, en conséquence, de reconnaître qu’il y a transmissibilité aux héritiers et représentants légaux d’une personne décédée, du droit d’accès à toute information médicale relevant du secret médical, dans la mesure où cet accès est nécessaire à l’exercice de leurs droits à ce titre.
[Nos soulignements]
[33] En traitant de la levée du secret médical, il mentionne que « cette règle s’applique avec évidence au secret professionnel du psychologue vu la similitude qui existe entre la nature de ce secret et celle du secret du psychiatre ».
[34] Pour sa part, l’auteur Jean-Claude Royer[9] est du même avis que l’auteur précédent et précise que le législateur a accordé aux héritiers le droit à la communication de renseignements contenus au dossier médical du défunt lorsqu’il a édicté l’article 23 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[10] qui prévoit que :
Le législateur québécois a expressément accordé aux héritiers et représentants légaux d’un défunt ou d’une défunte le droit de recevoir communication de renseignements contenus dans son dossier médical, dans la mesure où cette communication est nécessaire à l’exercice de leurs droits à ce titre.
[Notre emphase]
[35] De même, il ajoute que les héritiers doivent être reconnus comme étant aptes à renoncer au secret professionnel de leur auteur :
À notre avis, même en l’absence d’une disposition législative expresse à ce sujet, les héritiers et légataires universels ou à titre universel, lesquels sont les continuateurs de la personne juridique du défunt, doivent être reconnus aptes à renoncer au secret professionnel de leur auteur, sauf si celui-ci a manifesté une volonté contraire ou si une telle volonté contraire résulte de la nature du secret ou des circonstances.
[36] Ces auteurs ne
traitent pas des articles
[37] L’article
23. Les héritiers, les légataires particuliers et les représentants légaux d’un usager décédé ont le droit de recevoir communication de renseignements contenus dans son dossier dans la mesure où cette communication est nécessaire à l’exercice de leurs droits à ce titre. Il en est de même de la personne ayant droit au paiement d’une prestation en vertu d’une police d’assurance sur la vie de l’usager ou d’un régime de retraite de l’usager.
Le conjoint, les ascendants ou les descendants directs d’un usager décédé ont le droit de recevoir communication des renseignements relatifs à la cause de son décès, à moins que l’usager décédé n’ait consigné par écrit à son dossier son refus d’accorder ce droit d’accès.
Le titulaire de l’autorité parentale a le droit de recevoir communication des renseignements contenus au dossier d’un usager âgé de moins de 14 ans même si celui-ci est décédé. Ce droit d’accès ne s’étend toutefois pas aux renseignements de nature psychosociale.
Malgré le deuxième alinéa, les personnes liées par le sang à un usager décédé ont le droit de recevoir communication de renseignements contenus dans son dossier dans la mesure où cette communication est nécessaire pour vérifier l’existence d’une maladie génétique ou d’une maladie à caractère familial.
[Notre emphase]
[38] L’article
[39] Pour sa part,
l’article 41 de cette loi permet notamment à l’héritier et au liquidateur
d’avoir accès aux renseignements personnels du défunt dans la mesure où la
communication de ces renseignements met en cause leurs intérêts et leurs droits
à ce titre, et ce, tel que le prévoit l’alinéa 1 de l’article
[40] Il n’est pas exigé à l’article 41 de cette loi que les renseignements soient nécessaires à l’exercice de son droit, mais qu’ils mettent en cause les intérêts et les droits de la personne.
[41] En effet, à la lumière de ces deux dispositions, une personne identifiée à ces articles qui souhaite avoir accès à des renseignements personnels au sujet d’une personne décédée doit démontrer à quel titre elle demande l’accès au dossier.
[42] Cependant, pour
l’application de l’article
[43] On constate que
l’article
[44] Par ailleurs, la
Commission a consulté les travaux parlementaires relativement à l’adoption
des articles
[45] Il ressort de l’étude détaillée du projet de loi 68 - Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[11], que les parlementaires ont indiqué relativement à l’article 27, lequel est devenu l’article 31 de la loi actuelle, qu’il est « l’équivalent d’un article de la Loi sur les services de santé et services sociaux » qui permet aux ascendants et descendants directs d’avoir accès à la cause du décès d’une personne décédée. Plus loin il mentionne que « le conjoint, les ascendants et descendants doivent formuler une demande d’accès par écrit et justifier de leur identité. »
[46] Dans l’affaire Roy
c. CISSS de Chaudière-Appalaches[12],
l’honorable juge Michaud de la Cour supérieure analyse l’article
[29]
L’article
[Notre soulignement]
[47] Considérant que les
renseignements pouvant être accessibles en vertu des articles
[48] Lues ensembles, la Commission ne peut pas voir autrement l’intention du législateur lorsqu’il a édicté ces deux dispositions.
[49] Comme l’a mentionné la Commission dans l’affaire J. T. c. CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean[13], l’interprétation d’une loi doit favoriser l’exercice d’un droit :
[8] La Cour d’appel rappelle les quatre outils interprétatifs à la disposition des tribunaux: le contexte législatif, le sens grammatical des mots, le rôle de la loi et l’objet de celle-ci.
[9] Le soussigné n’a pas à adopter une méthode d’interprétation restrictive comme le propose le CIUSSS, au point de nier le droit des personnes visées à l’article 23 de la Loi. La Commission doit simplement adopter une interprétation qui favorisera l’exercice d’un droit, en tenant compte du contexte de la Loi et de l’objectif voulu par le Législateur de conférer un haut degré de confidentialité au dossier d’usager, dans les paramètres qui y sont prévus.
[50] En conséquence, la
soussignée estime qu’en soupesant le droit de la personne défunte, le droit au
respect de sa vie privée et à la confidentialité de son dossier psychologique
et à l’intérêt de la demanderesse à titre de conjointe, d’héritière et de
liquidatrice, que l’intérêt de la demanderesse permet de lever le secret
professionnel dans la mesure où elle établit les conditions prévues aux
articles
[51] Maintenant, voyons si la demanderesse respecte les conditions prévues à ces deux articles.
Est-ce que les motifs de la demande d’accès au
dossier du psychologue rencontrent les conditions de recevabilité des
articles
[52] Trois conditions sont
édictées par l’article
1. Avoir l’une des qualités indiquées :
a. liquidateur de la succession,
b. bénéficiaire d’une assurance-vie,
c. héritier, ou
d. successible de la personne concernée;
2. Qui met en cause ses intérêts et ses droits à ce titre;
3. Afin d’obtenir des renseignements personnels.
[53] En ce qui a trait à
l’application de l’article
1. Avoir l’une des qualités indiquées :
a. conjoint,
b. ascendant, ou
c. descendant direct du défunt;
2. Afin d’obtenir des renseignements relatifs à la cause du décès.
La qualité de liquidatrice de la succession, d’héritière et de conjointe (articles 31 et 41)
[54] Lors de la demande d’examen de mésentente, la demanderesse a déposé à la Commission une copie du jugement la nommant liquidatrice de la succession du défunt ainsi qu’une copie de l’acte de déclaration d’hérédité établissant qu’elle est la conjointe de ce dernier et l’héritière, avec ses enfants, de la succession.
[55] La preuve
documentaire démontre que la demanderesse possède toutes les qualités requises
pour avoir accès au document en litige tant en vertu de l’article 31 que
de l’article
Détenir les intérêts et les droits à ce titre (article 41)
[56] La demanderesse explique qu’elle a besoin du dossier de son conjoint détenu par le psychologue afin de pouvoir prendre une décision quant à des recours au civil contre des tiers.
[57] Elle déclare également qu’elle a entamé des démarches auprès de la CNESST afin de faire valoir les droits de son conjoint, puisqu’il était en arrêt de travail au moment de l’événement.
[58] Elle a besoin de connaître les états d’âme de la personne défunte qui ont été exprimés au psychologue. Ces renseignements lui permettront d’exercer ses droits à titre de conjointe, d’héritière et de liquidatrice de la succession.
[59] Pour soutenir ses propos, elle dépose sous pli confidentiel le dossier médical de la personne défunte et la réclamation qu’elle a présentée à la CNESST. Elle dépose également le rapport du Coroner.
[60] De plus, la demanderesse a joint à sa demande d’accès l’annexe 2 qui fait état de ses intentions à ce moment :
En tant que représentante de la succession, héritière et liquidatrice de la succession de (…), je désire obtenir ces renseignements afin d’évaluer l’opportunité d’entreprendre des recours civils et/ou administratifs afin de faire valoir mes droits à ce titre.
Les informations recherchées me sont particulièrement importantes afin de me permettre d’analyser adéquatement la possible responsabilité civile de l’ancien employeur de feu (…) dans le décès de celui-ci ainsi que la possible responsabilité professionnelle et civile du psychologue mandaté par cet employeur. Le coroner a dénoncé, dans son rapport, certains manquements de la part de l’employeur et du professionnel en question, mais, sans l’obtention de ces renseignements, je ne suis pas en mesure d’évaluer correctement si les divers éléments soulevés par le coroner peuvent constituer des fautes susceptibles d’engager la responsabilité de leur auteur.
[61] Lors de l’audience, la demanderesse a mis en preuve que le psychologue avait transmis une copie du dossier de son conjoint au bureau du Coroner. Elle mentionne qu’elle savait que son conjoint consultait un psychologue et que quelques jours avant son décès, il a eu un rendez-vous avec ce dernier. Elle déclare que son mari lui faisait un retour à la suite de la consultation. De plus, il lui a mentionné qu’il avait eu des discussions concernant son travail. Elle savait qu’il y avait eu des contacts et de la pression avec son employeur. C’est pourquoi elle a besoin de consulter le dossier du psychologue.
[62] Dans l’affaire J.T. précitée, la Commission reprend les propos des auteurs Baudoin et Deslauriers concernant le recours de l’héritier :
[23] Le principe général de ce recours est énoncé ainsi par les auteurs Baudouin et Deslauriers :
L'héritier légal ou
testamentaire continue la personnalité juridique du défunt. À ce titre, il peut
exercer les mêmes droits patrimoniaux que celui-ci, sur la base de
l'article
[63] La Commission partage l’avis du juge Michaud lorsqu’il mentionne dans l’affaire Roy précitée, où le demandeur désirait avoir accès au dossier hospitalier de son épouse, que « le fait de vouloir faire la lumière sur les causes du décès constitue en soi l’exercice d’un droit ».
[49] Par ailleurs, il n’est écrit nulle part que l’exercice d’un droit par un héritier doive nécessairement mener à l’institution de procédures judiciaires. De l’avis du Tribunal, le fait de vouloir faire la lumière sur les causes précises du décès, dans des circonstances exceptionnelles comme celles du présent dossier, constitue en soi l’exercice d’un droit par un liquidateur, celui-ci ayant une obligation de diligence dans l’exécution de sa charge.
[Nos soulignements]
[64] Pour ces motifs la
Commission est d’avis que la preuve effectuée par la demanderesse démontre la
nature de ses intentions quant à divers recours possibles au moment de la
demande d’accès. Elles mettent en cause ses intérêts et ses droits à titre de
conjointe, d’héritière et de liquidatrice de la succession de son conjoint, tel
que le prévoit les articles
[65] La Commission est d’avis que les neuf pages contenues au document en litige doivent être communiquées à la demanderesse, puisqu’ils contiennent des renseignements qui sont nécessaires à l’exercice de ses droits.
[66] En effet, à la suite de la lecture des documents en litige la soussignée est d’avis que les renseignements contenus au dossier du conjoint de la demanderesse et la preuve présentée sont en lien avec les intérêts et les droits de la demanderesse à titre de conjointe, d’héritière et de liquidatrice de la succession de son conjoint. En effet, c’est ce qui ressort des paragraphes 56 à 61, mais tout particulièrement du paragraphe 60 de la présente décision qui contient un extrait contenu à la demande d’accès qui est de l’essence d’une recherche d’information.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :
[67] ACCUEILLE la demande d’examen de mésentente;
[68] ORDONNE au psychologue de donner accès à la demanderesse, dans les trente jours de la réception de la présente décision, des neuf pages contenues dans le dossier du conjoint de la demanderesse lequel est détenu par le psychologue.
Simard Boivin Lemieux
(Me Alexis Gauthier-Turcotte)
Procureurs de la demanderesse
Date de la dernière audience : 8 novembre 2018
[1] RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.
[2] RLRQ, c. C-12, la Charte.
[3] RLRQ, c. A-2.1, r 6.
[4] RLRQ, c. C-26.
[5] RLRQ c.26, r.212.
[6] D.G. c. Québec (Ministère
du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs),
[7] Green c. Québec (Ministère du Développement durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs), 2016 QCCQ 456.
[8]Léo Ducharme. L’administration de la preuve, 4e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2010.
[9] Jean-Claude Royer, La preuve civile, 5e édition, Éditions Yvon Blais, p.1182.
[10] RLRQ, c. S-4, la LSSSS.
[11] Journal des débats, Assemblée nationale, Commission parlementaire, Étude détaillée du projet de loi 68 - Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, Le jeudi 13 mai 1993 - No 23.
[12] 2017, QCCS 3243, l’affaire Roy.
[13] 2017, QCCAI 237.
AVIS :
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