Brousseau c. Laboratoires Abbott ltée |
2016 QCCS 5083 |
|||||||
JH-5116 |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
QUÉBEC |
|||||||
|
||||||||
N° : |
200-06-000107-089 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
19 octobre 2016 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
EN PRÉSENCE DE : |
L’HONORABLE |
SUZANNE HARDY-LEMIEUX, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
«Toutes les personnes physiques domiciliées et résidant dans la province de Québec et ayant subi, soit à titre de victimes directes, soit à titre de victimes par ricochet, des dommages découlant des effets secondaires de troubles psychiatriques induits par le médicament Biaxin (clarithromycine) fabriqué, commercialisé et distribué par la défenderesse.
All natural persons living and residing in the province of Quebec having sustained, either as direct victims or as indirect victims, damages resulting from secondary effects of psychiatric troubles inducted by Biaxin, (clarithromycin) medicine manufactured, commercialised and distributed by respondent.»
Le Groupe -et- |
||||||||
|
||||||||
ANGÈLE BROUSSEAU -et- JEAN-CLAUDE PICARD
|
||||||||
Requérants |
||||||||
c.
|
||||||||
LABORATOIRES ABBOTT LTÉE
|
||||||||
Intimée |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
J U G E M E N T |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] Madame Brousseau s’adresse, comme représentante du groupe, à la Cour pour obtenir de celle-ci la détermination de l’intensité du devoir d’information de la Laboratoires Abbott Ltée (Abbott) quant aux effets secondaires psychiatriques causés aux patients à qui l’on prescrit le médicament Biaxin®.
[2] Elle soutient qu’Abbott doit informer les patients et non seulement les professionnels de la santé, des risques notamment de psychoses, d’hallucinations et de confusion qui peuvent survenir suite à la prise de ce médicament. Cette action collective se fonde sur les articles 1468 et suivants C.c.Q. ainsi que sur le deuxième alinéa de l’article 53 de la Loi de la protection du consommateur[1].
[3] Monsieur Picard fait le même reproche à Abbott en raison des dommages indirects qu’il subit suite à l’hospitalisation de sa conjointe, madame Brousseau. Il note que depuis, cette dernière ne peut plus travailler. Il devient ainsi le seul soutien financier familial.
[4] Selon Abbott, la prépondérance de la preuve révèle l’absence d’un lien de causalité entre le médicament qu’elle fabrique et les effets psychiatriques secondaires dont les membres du groupe se plaignent.
[5] Abbott considère qu’elle se décharge de son obligation d’information quant aux risques d’effets secondaires de nature psychiatrique lorsqu’elle en informe les médecins et professionnels de la santé. Il appartient à ces derniers d’en informer les patients, d’une part et d’utiliser leur jugement pour prescrire, d’autre part, le médicament au bon patient.
[6] Elle ajoute que la teneur de la monographie qu’elle soumet à Santé Canada est conforme, dans un premier temps, aux résultats des essais cliniques et, par la suite, aux informations «post-marketing» qu’elle obtient[2].
[7] Selon Abbott, on ne peut rechercher sa responsabilité en raison d’un manquement à son devoir d’information ni conformément au deuxième alinéa de l’article 53 LPC.
[8] Les prétentions des parties requièrent l’examen des questions suivantes :
· la preuve ou non du lien de causalité entre la consommation du médicament et les effets psychiatriques subis;
· s’il y a lieu, l’intensité du devoir d’information du fabricant d’un produit pharmaceutique quant à ses effets secondaires possibles;
· s’il y a lieu, les critères d’évaluation pour les dommages.
[9] Lors de l’audience, six membres du groupe dont madame Brousseau et son conjoint, monsieur Picard, rendent témoignage. À la même occasion, par souci de protection de la vie privée de chacune de ces personnes autres que les requérants, les avocats conviennent d’utiliser, dans le présent jugement, les initiales de chacune d’elles tout comme celles des personnes qui seraient victimes par ricochet des événements litigieux. Finalement, tous conviennent qu’il est approprié d’ordonner la conservation sous scellé des dossiers médicaux et pharmaceutiques de tous.
[10] Le Tribunal ne peut qu’abonder dans le sens de cette suggestion commune qui est respectueuse des droits de tous.
[11] Dans un premier temps, le Tribunal doit disposer de la demande d’irrecevabilité verbale formulée par Abbott à l’encontre de la réclamation de madame F.Be.
1.- La présence ou non d’un lien de droit entre Abbott et madame F.Be.
[12] Le 3 juin 2011, madame F.Be. souffrant de toux depuis près d’un mois, consulte un médecin à la clinique sans rendez-vous. Celui-ci diagnostique la présence d’une bronchite et lui prescrit du Biaxin®. Elle ne lui pose aucune question concernant ce médicament.
[13] Le même jour, madame se rend à la pharmacie. Le pharmacien ou la pharmacienne lui remet plutôt le médicament «RATIO-Clarithromycine». Il s’agit de la formule générique du Biaxin®. Le même professionnel de la santé lui remet également un feuillet explicatif concernant les principaux effets secondaires. Aucun de ceux-ci ne mentionne des problèmes de santé mentale possibles.
[14] Le 6 juin 2011, le conjoint de madame la fait transporter par ambulance à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus en raison de son comportement totalement anormal. Le médecin traitant arrête la prise de RATIO-Clarithromycine[3]. Madame quitte l’hôpital le 7 juin 2011.
[15] Le 8 juin 2011, madame doit de nouveau être hospitalisée. Le 9 juin 2011, au cours de la soirée, elle est transférée au Centre Hospitalier Robert-Giffard[4].
[16] Le lendemain, 10 juin 2011, madame rencontre le psychiatre Roch-Hugo Bouchard qui l’interroge. Selon lui, la psychose qui affecte madame est causée par le RATIO-Clarithromycine. Il libère madame de l’hôpital le 11 juin 2011 et elle demeure en congé-maladie jusqu’au 20 juin 2011.
[17] Depuis ce moment, madame Be. n’a jamais repris de Biaxin® sous aucune forme. Elle n’a aucun problème de santé mentale. Aucun signe de dépression, d’anxiété ou de psychose ne l’affecte depuis.
[18] Madame Be. attribue la cause de ses problèmes à l’absorption du Biaxin®.
[19] Dr Reder, en charge de la sécurité après la mise en marché de ce médicament chez Abbott à cette période, précise au Tribunal que le «RATIO-Clarithromycine» n’est pas fabriqué par Abbott[5]. Cette preuve n’est pas contredite.
[20] Abbott soutient que la consommation par madame Be. d’une forme générique d’un médicament qu’elle ne fabrique pas, constitue l’absence de lien de droit qui empêche d’accueillir sa réclamation.
[21] Qu’en est-il?
[22] Il est un principe bien reconnu en droit que pour accueillir un recours légal contre une autre personne, un lien de droit doit exister. En l’absence de celui-ci, un recours juridique ne peut être exercé.
[23] En l’espèce, le Tribunal est d’avis que la preuve non-contredite révèle qu’Abbott n’est pas le fabricant de RATIO-Clarithromycine. Dans ces circonstances, madame Be. ne peut faire partie du présent groupe pour réclamer des dommages à Abbott alors que cette dernière n’est pas l’auteure du médicament générique qu’elle consomme.
[24] Le Tribunal accueille donc la demande d’irrecevabilité formulée par Abbott et déclare que cette dernière n’a aucune responsabilité à l’égard de madame Be. pour les événements décrits dans le cadre du présent litige.
[25] Il convient maintenant de relater les faits pertinents aux autres membres du groupe qui rendent témoignage lors de l’audience.
2.- Les faits
[26] Les dénominateurs communs du témoignage de chacun des membres du groupe sont les suivants :
· chacun de ceux-ci reçoit une prescription de Biaxin® de la part d’un médecin;
· ils souffrent tous d’une infection pour laquelle le Biaxin® est une médication appropriée;
· ils font tous compléter rapidement leur prescription et reçoivent du Biaxin®;
· la plupart d’entre eux reçoivent sur une feuille 8 ½ x 11 des informations du pharmacien concernant le Biaxin®[6];
· aucun effet secondaire relatif aux troubles psychiatriques n’y est mentionné;
· aucune mise en garde relative à des effets secondaires de nature psychiatrique pouvant être induit par le Biaxin® n’est donnée à ces personnes ni par le médecin, ni par le pharmacien;
· après une ou quelques doses de Biaxin®, selon le cas, ces personnes ressentent différents phénomènes qui affectent leur comportement et/ou leur capacité de fonctionnement. Les éléments plus particuliers seront décrits pour chacune des personnes;
· elles continuent toutes à prendre régulièrement leurs doses de Biaxin®, tel que prescrit jusqu’à ce qu’elles soient hospitalisées ou qu’elles consultent de nouveau un médecin qui change ou cesse la médication;
· après les premières doses de Biaxin® consommées, plusieurs des personnes expliquent être alors incapables de contrôler leur corps sachant que ce qu’elles disent ou font, selon le cas, n’a pas de bon sens dans une réalité usuelle;
· elles ne souffrent pas de problème physique, outre l’infection pour laquelle ce médicament est prescrit, ni de récent problème psychique ou psychologique avant la prise de Biaxin®;
· elles accomplissent toutes leur travail avec plaisir, n’ont aucun stress particulier susceptible de causer une psychose, ont une vie professionnelle, amicale et familiale très satisfaisante;
· les victimes par ricochet de ces personnes, soit leur conjoint et conjointe, décrivent les événements dont celles-ci ne se souviennent plus, confirment comme un profane le lien de causalité entre la consommation de Biaxin® et les troubles psychiatriques subis par leur conjointe ou conjoint. Elles expliquent aussi les conséquences de ces événements sur la vie de ces derniers et la leur;
· les membres du groupe expliquent les conséquences des gestes qu’ils posent dans le contexte de leur consommation de Biaxin® sur leur vie à ce moment ainsi que sur leur vie professionnelle ensuite.
[27] Le Tribunal procède maintenant à la relation des faits pertinents au témoignage de chaque membre du groupe.
2.1 Madame Angèle Brousseau
[28] Madame Brousseau est, en 2005, couturière à temps plein depuis 35 ans. Elle mène une vie active avec son conjoint, monsieur Picard. Elle n’est pas malade, n’a jamais éprouvé de problème psychique et s’absente extrêmement rarement de son travail.
[29] Au point de vue médication, elle ne prend que du Premarin, soit un type d’hormone suite à la ménopause.
[30] Le 19 septembre 2005, elle débute une grippe dont elle ressent des effets musculaires avec fièvre, ce qui l’empêche, selon elle, de travailler tant le 20 que le 21 septembre.
[31] Le 21 septembre 2005, elle consulte Dr Faucher vers 11h15 à la Clinique médicale Duchâtel[7]. Celui-ci soupçonne la présence d’une pneumonie. Il lui prescrit l’antibiotique Biaxin® dont elle doit prendre deux comprimés de 500mg en même temps, deux fois par jour, en mangeant.[8]. Il lui prescrit également un examen de radiographie des poumons.
[32] Madame Brousseau s’inquiète d’une possible interaction médicamenteuse entre le Biaxin® et le Premarin. Dr Faucher la rassure à ce sujet lui disant qu’il n’y a pas de problème. Quant aux effets secondaires du Biaxin®, il lui parle de possibles nausées, diarrhée, crampes d’estomac ou maux de tête.
[33] En sortant du bureau du médecin, toujours le 21 septembre 2005, madame se dirige avec son conjoint pour l’examen de radiographie du poumon[9]. Son conjoint se présente ensuite avec sa prescription à la pharmacie pour obtenir le Biaxin®. Le pharmacien remet alors à monsieur M. Picard un document d’information concernant le Biaxin® ainsi que celui-ci[10].
[34] Les effets secondaires possibles qui y sont décrits sont les suivants :
«BROUSSEAU, ANGÈLE
Ordonnance : 6747067 : Biaxin XL
Pourquoi :
· Pour traiter des infections bactériennes.
Quand :
· Si prescrit 2 fois par jour, prenez-le au déjeuner et au souper.
· Si prescrit 1 fois par jour, prenez-le avec nourriture à la même heure chaque jour.
Comment :
· Biaxin (md) comprimés réguliers et Biaxin (md) suspension liquide : peut être pris avec ou sans nourriture. Si le médicament vous occasionne des dérangements d’estomac, prenez-le avec de la nourriture.
· Biaxin XL (md) : prenez avec de la nourriture.
· Comprimé - Prenez avec un grand verre d’eau.
· Forme liquide - Conservez-la à la température de la pièce, NE PAS réfrigérer. Utilisez dans les 14 jours. Il existe des cuillères spéciales pour mesurer la quantité. Demandez à votre pharmacien(ne).
Instructions :
· Prenez cette médication à la même heure chaque jour pour maintenir une concentration constante dans votre corps. Ne passez AUCUNE DOSE.
· Poursuivez le traitement jusqu’à la fin, même si vous vous sentez mieux.
· Si vos symptômes ne s’améliorent pas d’ici quelques jours ou s’ils s’aggravent, communiquez avec votre médecin ou votre pharmacien(ne).
En cas d’oubli :
· Si vous oubliez une prise, prenez-la dès que possible. S’il est l’heure de la prise suivante, n’en tenez pas compte et NE DOUBLEZ PAS la dose.
Effets secondaires possibles :
· La plupart des personnes ne ressentent PEU ou PAS d’effets indésirables, mais les effets suivants ont déjà été observés : nausées, goût altéré, maux d’estomac, diarrhée, maux de tête.
· Si ces effets secondaires s’aggravent ou persistent ou encore si vous ressentez d’autres effets indésirables, avisez votre pharmacien(ne).
Précautions à considérer :
· Si vous êtes allergique à un médicament, avisez votre pharmacien(ne).
· Avisez votre médecin ou votre pharmacien(ne) avant de prendre ce médicament si vous êtes enceinte ou prévoyez le devenir.
· Présence dans le lait maternel inconnue. Consultez votre pharmacien(ne).
· Ce médicament peut diminuer l’effet de certaines pilules contraceptives.
· Ce médicament pourrait interférer avec d’autres produits. Consultez-nous!»[11]
[35] En arrivant chez elle à l’heure du midi le 21 septembre 2005, madame prend les deux comprimés avec un verre d’eau et de la soupe. Elle passe le reste de la journée au lit.
[36] Le 22 septembre 2005, madame sent une certaine amélioration du côté de sa respiration même si elle fait encore de la fièvre et se sent grippée. À l’heure du dîner, elle prend son médicament avec le repas.
[37] À compter du 22 septembre 2005 vers 19h00, madame a l’impression qu’«elle marche sur un nuage». Elle continue à prendre sa médication tel que prescrite. À 18h00 le même jour, Dr Faucher lui téléphone pour lui confirmer le diagnostic de pneumonie et lui mentionner qu’elle doit faire un suivi avec son médecin de famille.
[38] Le 23 septembre 2005, madame voit son médecin de famille, Dr Godin, à 20h00. À l’heure du midi, elle prend les comprimés de Biaxin® avec son repas, sent toujours qu’«elle marche sur un nuage» ainsi que, tout comme depuis la veille, qu’elle a la gorge enflée.
[39] Lors de la rencontre avec Dr Godin, madame Bousseau lui parle de ses sensations. Dr Godin lui mentionne que le dosage prescrit est adéquat pour une pneumonie. Madame et son conjoint rentrent à la maison pensant tous deux que les sensations bizarres que madame décrit sont causées par la pneumonie.
[40] Toujours le 23 septembre 2005, madame se couche vers 21h00 et ne reprend conscience des événements qu’à compter du 24 septembre 2005 en après-midi quand elle se réveille au CHUL. Elle ne comprend pas ce qu’elle fait à l’hôpital.
[41] Son seul souvenir est celui de désirer se faire un sandwich aux tomates le 23 septembre 2005 vers minuit.
[42] Monsieur Picard, conjoint de madame Brousseau, fait la lumière sur les événements auxquels il assiste.
[43] Vers minuit et quart, madame Brousseau décide de descendre de leur chambre à la cuisine. Contrairement à son habitude, elle le fait sans allumer la lumière dans l’escalier.
[44] Elle passe à côté de monsieur et lui mentionne que «ça va bien». Elle se dirige immédiatement au tiroir de couteaux.
[45] Monsieur Picard n’entend pas madame crier. Il entend simplement un bruit «BANG» de quelqu’un qui tombe à terre. Il se lève immédiatement du salon, distant d’une vingtaine de pieds de la cuisine. Il y trouve sa conjointe à terre baignant dans le sang. Son poignet gauche saigne énormément car il est complètement ouvert.
[46] Madame Brousseau se relève. Elle veut reprendre le couteau pour continuer à s’ouvrir le poignet. Monsieur Picard le lui enlève et lui pose des questions. Elle ne répond pas.
[47] Monsieur Picard appelle le 911. Il accompagne dans l’ambulance sa conjointe qui est conduite au CHUL.
[48] Selon monsieur Picard, madame Brousseau perd connaissance lorsqu’il l’emmène à la porte pour l’ouvrir aux ambulanciers. Elle ne reprend conscience que vers 14h00 ou 15h00 le 24 septembre 2005[12].
[49] Une fois arrivée au CHUL vers 01h00 du matin le 24 septembre 2005, madame Brousseau est confiée à l’équipe médicale d’urgence de cette institution.
[50] Vers le milieu de la nuit, le médecin de l’urgence informe monsieur Picard que madame est sauvée et qu’elle va dormir le reste du temps. Il quitte et va coucher chez des amis. Il ne retourne à la résidence que le samedi matin, le 24 septembre, pour nettoyer en compagnie de ses amis, toutes les traces de sang dans la cuisine.
[51] Lorsqu’il retourne au CHUL, monsieur Picard demande aux médecins s’il est possible que le Biaxin® ait causé l’état de sa conjointe. Dans un premier temps, le médecin de garde lui répond non. Par la suite, il revient voir monsieur Picard. Il lui dit avoir consulté sur Internet et avoir découvert qu’il est possible que le Biaxin® cause des hallucinations et des psychoses. Cependant, personne ne peut dire ce qui s’est passé dans la tête de madame.
[52] Ce n’est que dans l’après-midi du dimanche 25 septembre 2005, selon monsieur Picard, que madame Brousseau est plus en contact avec la réalité et consciente du mal qu’elle s’est fait.
[53] Le 26 septembre 2005, madame est opérée à la main et au poignet gauche. Dès lors, elle ne peut plus travailler comme couturière.
[54] Le 1er octobre 2005, elle sort de l’hôpital comprenant que le Biaxin® cause les hallucinations et provoque chez elle une psychose.
[55] Le 3 décembre 2005, madame Brousseau rencontre Dr Jean-Pierre Bernatchez, psychiatre au CHUL, pour une évaluation psychiatrique. Celui-ci conclut que madame est normale et que la psychose dont elle souffre au mois de septembre 2005 est probablement causée par le Biaxin®[13].
[56] Madame n’a jamais pris du Biaxin® depuis. Elle ne souffre pas de problèmes psychiatriques depuis.
[57] Au mois de juillet 2007, madame se voit prescrire un médicament connu sous le nom de Flagyl®[14]. La pharmacie lui remet la formule générique de ce médicament, soit de «APO-Metronidazole». Madame Brousseau ne demande pas alors à consulter le compendium des produits pharmaceutiques (CPS) ni la monographie de ce médicament car, selon elle, elle sait qu’elle ne peut pas y avoir accès. Elle n’est pas informée par le médecin ni le pharmacien que ce médicament peut causer de la confusion, des hallucinations ni des troubles psychiatriques. Elle ne fait pas de recherche à ce sujet[15].
[58] Le 11 janvier 2008, madame Brousseau consulte Dr Godin pour un problème de grippe[16]. Dr Godin lui prescrit alors du «Avelox». Elle ne demande pas à voir la teneur du CPS ni la monographie de ce médicament. Elle demande simplement si celui-ci peut avoir des effets avec la Premarin. Le pharmacien ne lui donne pas d’information particulière concernant des effets secondaires graves de ce médicament. Or, celui-ci est susceptible de causer de la confusion, des hallucinations et de la dépression[17].
[59] Il convient maintenant d’examiner la description faite par madame M. L. des événements qui la concernent.
2.2- Madame M.L.
[60] Au mois de septembre 2005, elle est étudiante en soins infirmiers au Cégep Maisonneuve. Elle effectue des stages en milieu hospitalier et travaille à temps partiel à un restaurant St-Hubert.
[61] Tout va bien dans sa vie, elle n’a aucun problème de santé physique ni mental. Elle n’a en fait aucun problème particulier et vit chez ses parents.
[62] Le 3 septembre 2005, madame constate qu’elle a des râles bronchiques, qu’elle a de la toux et des expectorations colorées depuis quelques jours. Elle décide de consulter à une clinique médicale au service du sans rendez-vous.
[63] Le médecin diagnostique une bronchite et lui prescrit du Biaxin® et du Ventolin. Madame L., se sachant allergique à plusieurs médicaments, mentionne au médecin que le Zithromax agit mieux pour elle par rapport au Biaxin® en raison de ses allergies médicamenteuses. Le médecin prescrit le Biaxin® et ne parle pas du tout d’effets secondaires.
[64] Madame se rend à la pharmacie. Le pharmacien lui remet une fiche pharmaceutique indiquant les effets secondaires usuels de la prise de Biaxin®, soit la présence de nausées, de diarrhée et de problèmes de nature gastro-entérologique. Aucune mention n’est faite de problèmes d’ordre psychiatrique.
[65] Madame lit donc cette fiche en compagnie du pharmacien. Elle la relit une fois rendue chez elle. Elle a déjà pris du Biaxin® précédemment en 2003 sans effet secondaire d’ordre psychologique. En 1995, elle en aurait pris mais elle ne s’en rappelle pas.
[66] Madame L. vérifie dans son Guide des médicaments quant aux effets secondaires possibles du Biaxin®. Celui-ci ne comporte aucune mention concernant des effets secondaires de la nature des psychoses ou des problèmes de santé mentale.
[67] La seule médication qu’elle prend à ce moment, consiste en des anovulants. Elle prend donc le Biaxin® au souper avec de la nourriture dès le 3 septembre 2005.
[68] Les 4, 5 et 6 septembre 2005, elle prend régulièrement ses doses de Biaxin®. Elle constate une amélioration des symptômes de sa bronchite.
[69] À compter du 7 septembre 2005, madame va moins bien sur le plan psychologique : elle fait de l’insomnie, elle est plus émotive même un peu agressive. Elle précise que «les idées vont plus vite dans sa tête et fluctuent», elle parle très vite et note que ses idées n’ont pas de sens. Ces symptômes persistent entre le 7 et le 10 septembre 2005 mais augmentent en cadence. Elle se demande ce qui se passe mais n’a pas le temps de s’en occuper.
[70] Le 10 septembre 2005, elle rencontre son médecin de famille à la clinique en raison de l’insomnie et de ses problèmes de concentration. Dr Côté lui dit d’arrêter ses cours mais de continuer ses stages et son travail. Dr Côté lui suggère tout simplement une meilleure hygiène de vie.
[71] Du 10 au 14 septembre 2005, les mêmes symptômes continuent d’être présents mais augmentent en quantité. Elle continue la prise de Biaxin®.
[72] Le 14 septembre 2005, alors que madame effectue un stage en psychiatrie à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, son professeur de stage lui recommande de voir un psychiatre à cette institution.
[73] Elle consulte le Dr Perrin[18]. Elle lui décrit ses symptômes. Dr Perrin décide de l’hospitaliser à l’urgence de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Il lui prescrit du Zyprexa et de l’Ativan. Il suspend le stage de madame L.
[74] Le 15 septembre 2005, Dr Perrin libère de l’hôpital madame L. avec une prescription pour le Zyprexa ainsi qu’un suivi en externe. Elle ne connaît pas le diagnostic du médecin.
[75] Madame L. est revue à 3 ou 4 reprises avec Dr Perrin. Elle lui explique ne pas aimer les effets secondaires du Zyprexa. Finalement, elle reconnaît qu’au cours de cette période jusqu’au mois d’octobre 2005, elle ment à Dr Perrin pour que celui-ci arrête le Zyprexa.
[76] Le 29 octobre 2005, elle consulte de nouveau son médecin de famille, Dr Côté. Elle lui mentionne l’augmentation de ses symptômes, la présence d’hallucinations visuelles, le fait que ses parents la surveillent ainsi que son problème d’insomnie.
[77] Dr Côté lui prescrit de l’Immovane pour dormir ainsi que des tests en externe. Ceux-ci donnent des résultats non-concluants.
[78] Le 8 novembre 2005, madame L. retourne à une consultation prévue avec le Dr Perrin, en compagnie de sa mère et de sa grand-mère, lesquelles sont toutes les deux présentes dans le bureau du médecin.
[79] Madame L. se décrit alors comme étant fébrile, ne pas aller bien du tout, être désorganisée et incohérente. Dr Perrin l’hospitalise alors à l’Hôpital Louis-H. Lafontaine.
[80] À l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, madame L. sera sous les soins de Dre Maryse Gervais du 8 novembre 2005 au 5 décembre 2005[19]. Elle a une médication constituée de Zyprexa, Lithium, Ativan et Benadryl.
[81] Madame L. mentionne très clairement lors de l’audience, qu’il y a des événements ou des périodes dont elle ne se rappelle pas.
[82] Elle ressent une amélioration de sa condition par la diminution de ses symptômes à compter de la mi-novembre ou de la fin-novembre 2005. Elle se sent fatiguée et dort environ 14 heures par jour.
[83] Le 8 novembre 2005, madame tousse de nouveau et on lui recommande le sirop Balmynil. Madame sent qu’elle a les idées plus claires.
[84] Le 5 décembre 2005, elle obtient son congé de l’hôpital. Comme elle a encore de la toux et qu’il y a présence de râles bronchiques, le médecin lui prescrit du Biaxin® à raison d’un comprimé de 500mg deux fois par jour pendant 8 jours. Au sortir de l’hôpital, elle se rend à la pharmacie et la pharmacienne révise rapidement avec elle les mises en garde concernant le Biaxin® puisqu’elle en a déjà eu.
[85] À la résidence de ses parents, madame L. prend la médication telle que prescrite.
[86] Dès le 7 décembre 2005, ses symptômes antérieurs apparaissent de nouveau : de l’insomnie, des problèmes de concentration, des idées qui fluctuent rapidement, une augmentation de son irritabilité et de son agressivité ainsi que la présence d’hallucinations auditives et visuelles.
[87] Dans la nuit du 9 au 10 décembre 2005, ses parents la convainquent de retourner à l’hôpital Louis-H. Lafontaine car l’importance de ses symptômes augmente rapidement.
[88] Elle y est de nouveau hospitalisée mais, cette fois, aux soins intensifs en isolement avec les deux jambes et les deux bras en contention. Elle hallucine.
[89] Lors de l’audience, madame L. mentionne qu’il y a beaucoup d’éléments ou d’événements qui surviennent au cours de cette période dont elle n’a aucun souvenir.
[90] Du 10 décembre 2005 au 13 janvier 2006, madame L. demeure hospitalisée à l’Hôpital Louis-H. Lafontaine.
[91] Le Biaxin® est pris du 5 décembre 2005 au 15 décembre 2005. Madame commence à sentir un début d’amélioration de son état le 17 ou le 18 décembre 2005. Elle a même la permission de passer la soirée de Noël chez ses parents.
[92] À ce moment, elle va beaucoup mieux mais le médecin désire la garder à l’hôpital plus longtemps pour être certaine que la situation ne se reproduira pas.
[93] Madame L. ne consomme aucune drogue. Comme le médecin le lui mentionne, une psychose toxique est soit induite par la consommation de drogue ou encore par un médicament. Mais le médecin ne comprend d’où ça vient.
[94] À la fin de l’hospitalisation, Dre Gervais mentionne à madame L. qu’il est possible que le Biaxin® soit en cause[20].
[95] Les consultations en externe continuent avec madame L. au cours de l’année 2006. Finalement, le 2 mai 2006, le diagnostic est connu : un trouble de l’humeur avec des caractéristiques maniaques et psychotiques induites par le Biaxin®[21].
[96] Madame L. mentionne être soulagée de ne pas avoir un diagnostic de bipolaire tout en étant frustrée qu’on lui ait prescrit du Biaxin® à deux reprises.
[97] En raison de ces prescriptions répétitives de Biaxin® et des psychoses subies par madame L., celle-ci perd son année scolaire 2005-2006. Elle reproche à Abbott de ne pas informer les consommateurs ni les professionnels de la santé des effets psychiatriques possibles causés par le Biaxin®, d’une part ni la recommandation d’arrêter le Biaxin® si des psychoses se produisent, d’autre part.
[98] Au cours de son contre-interrogatoire, plusieurs éléments contenus à son dossier hospitalier sont mentionnés à madame L. À plusieurs reprises, celle-ci mentionne que pendant cette période, elle ne se rappelle pas de ce qu’elle dit au médecin ni si ce qu’elle leur dit est vrai ou pas car elle est complètement déconnectée de la réalité[22].
[99] Au mois de décembre 2006, madame doit prendre du Cipro. Personne ne lui mentionne que cette médication peut causer des psychoses toxiques, des hallucinations ni de la confusion. Elle n’éprouve pas, heureusement, d’effet secondaire[23].
[100] Il convient maintenant de relater le cas de madame E.M.
2.3 Madame E.M.
[101] Madame travaille, au mois d’août 2009, à temps plein dans le monde de la restauration. Elle vit avec son copain depuis 2008. Elle est très près de sa famille. Elle n’a aucun problème ni de santé, ni financier, ni psychologique.
[102] Au mois d’août 2009, elle a un mal de gorge avec des picots blancs situés dans la gorge. Après 3 à 5 jours de cette situation, elle consulte le 4 août 2009 un médecin. Il diagnostique une pharyngite et lui prescrit du Biaxin®[24]. Il lui mentionne qu’il s’agit d’un médicament qui est relativement nouveau sur le marché et ne lui parle d’aucun effet secondaire.
[103] Elle se rend à la pharmacie où on lui remet un feuillet décrivant des possibles effets secondaires comme des maux d’estomac, diarrhée et étourdissements. On lui précise qu’elle doit prendre un comprimé matin et soir avec de la nourriture[25].
[104] Elle retourne à la maison et, le 4 août 2009, prend un comprimé avec une collation et son deuxième comprimé le soir au souper.
[105] Le 5 août 2009, elle prend une troisième dose de Biaxin® au déjeuner et ensuite une 4e dose au souper.
[106] Dans la nuit du 5 au 6 août 2009, elle fait des rêves très violents et se réveille en sueurs.
[107] Le 6 août 2009, madame M. se sent complètement confuse, elle ne comprend pas ce qui se passe et a l’impression que «son corps est sorti d’elle-même». Elle a peur et son cœur bat très vite.
[108] Elle prend une 5e dose du Biaxin® avec une collation. Elle ne travaille pas cette journée-là. Au souper, elle prend une 6e dose de Biaxin®.
[109] Madame M. constate qu’elle ne va pas bien, elle se sent perdue. Toujours le 6 août 2009, vers 21h00 ou 22h00, elle va sur le balcon de son appartement au 7e étage d’un édifice. La première idée qui lui vient est celle de se jeter en bas du balcon parce qu’elle pense qu’elle va devenir folle… Heureusement, elle a le réflexe de téléphoner à son père qui habite le même édifice.
[110] Son père vient chez elle. Il fait des recherches sur Internet et trouve qu’il est possible que les problèmes soient causés par le Biaxin®. Il convainc sa fille d’arrêter le Biaxin®.
[111] Le vendredi, 7 août, madame va au CLSC entre 8h00 et 10h00. Elle décrit ses symptômes au médecin qui ne la prend pas au sérieux. Cependant, il vérifie et mentionne qu’il est possible que 3% des gens aient des problèmes psychiatriques induits par le Biaxin®. Il arrête donc le Biaxin® et lui prescrit plutôt de la pénicilline[26].
[112] Comme elle le mentionne elle-même lors de l’audience «this medicine is taking my sanity away». Madame est déconnectée de la réalité, elle sent qu’elle devient folle mais elle ne sait pas que le problème est causé par le Biaxin®.
[113] Lorsque madame M. se rend à la pharmacie pour obtenir la prescription de pénicilline, elle mentionne à la pharmacienne les réactions qu’elle a eues au Biaxin®. Cette dernière lui dit n’avoir jamais entendu parler d’effets secondaires psychiatriques causés le Biaxin®.
[114] Aussitôt le Biaxin® cessé, l’état de santé de madame M. s’améliore de jour en jour. Elle redevient elle-même. Madame n’a jamais repris de Biaxin® depuis et n’a jamais revécu de tels problèmes non plus.
[115] Il y a maintenant lieu de relater le cas de monsieur M.A.
2.4 Monsieur M.A.
[116] Il travaille pendant 33 ans comme civil sur la base militaire de Valcartier. Il est maintenant retraité.
[117] Entre les mois de mai 2005 et 2006, il n’a aucun problème dans sa vie de couple, ni amicale, ni professionnelle. Il n’a pas de problème particulier de santé ni psychologique.
[118] Au cours de l’hiver 2006, monsieur souffre de rhumes à répétition qu’il tente de contrôler avec du Tylenol.
[119] Le samedi 6 mai 2006, éprouvant des difficultés respiratoires et de la congestion, monsieur A. consulte un médecin à la Clinique médicale Val-Bélair. Le diagnostic est une bronchite asthmatique. Le médecin lui prescrit des antibiotiques, soit le Biaxin® avec deux pompes pour le soulager[27]. Le médecin lui mentionne que le Biaxin® est un excellent médicament même s’il s’agit d’un «remède de cheval». On ne lui parle pas d’effets secondaires.
[120] À la pharmacie où monsieur A. se rend directement, le pharmacien lui explique les effets secondaires du Biaxin®, soient la diarrhée, les maux de tête, les maux de ventre et des étourdissements possibles. Aucune discussion ne concerne des troubles psychologiques possibles[28].
[121] Monsieur A. doit consommer deux comprimés de 500mg une fois par jour pendant 7 jours avec de la nourriture.
[122] Monsieur A. commence la consommation du Biaxin® au repas du midi du 6 mai 2006. Il le prend à la même heure le 7 mai 2006 et à un moment, durant l’après-midi, il devient incohérent.
[123] Comme il l’explique, pendant quelques secondes, il «s’entend parler et ne sait pas pourquoi il dit ce qu’il dit», soit qu’il n’aime plus sa femme, ni le camping, ni son boulot.
[124] La nuit du 7 au 8 mai 2006 est plutôt faite d’insomnie pour monsieur A. Il se sent excité, agité et très nerveux.
[125] Il se lève vers 04h00 du matin, il court autour de la table de la cuisine en disant qu’il va mourir à 48 ans.
[126] Il va ensuite prendre une marche avec son épouse dans le quartier et décide de ne pas aller travailler cette journée-là. Il reste à la maison et son épouse fait de même.
[127] Ils décident de jouer au jeu de cartes «solitaire» sur l’ordinateur avec son épouse, comme il le fait normalement. Il se sent engourdi, anxieux et éprouve des problèmes de concentration.
[128] Avec son épouse, il va dehors, il ne sait pas quoi faire avec un balai à feuilles. Ils rentrent de nouveau tous deux dans la maison et font une sieste d’une quinzaine de minutes.
[129] Monsieur se lève brusquement. Il se rappelle se blesser avec des morceaux de verres dans le cou à plusieurs reprises mais comme il l’explique lors de l’audience, «il n’est comme pas dans son corps, tout en entendant des petits bouts» avant de devenir inconscient. Il n’a plus aucun contrôle sur son corps. Il ne pense pas avoir pris le Biaxin® le 8 mai au midi parce qu’ils n’ont pas encore mangé à la maison car ils sont partis à l’hôpital.
[130] Monsieur se réveille le 9 mai 2006 aux soins intensifs à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Il ne sait pas pourquoi il est à l’hôpital[29].
[131] Il demande à madame de se rendre à la base militaire de Valcartier et de rencontrer une personne en particulier pour l’assurance-invalidité, de rencontrer son supérieur ainsi qu’un de ses amis pour avoir les documents dont il peut avoir besoin en raison de son état de santé.
[132] L’épouse de monsieur A. complète le témoignage de celui-ci quant aux événements du 8 mai 2006.
[133] Elle constate que son mari est nerveux et qu’il a des problèmes de concentration.
[134] Après la sieste, madame voit son mari se lever pour aller dans la cuisine. Elle l’entend ouvrir le tiroir des ustensiles et y fouiller pendant un certain temps.
[135] Madame se lève et se rend dans la cuisine. Elle constate que monsieur est occupé à se donner des coups de couteaux sur le corps. D’ailleurs, il se perfore un poumon en raison de ses coups.
[136] Madame réussit à lui enlever le couteau et à le jeter dehors. Monsieur en prend un autre. Madame jette tous les couteaux dehors par la porte-patio et referme celle-ci.
[137] Monsieur va alors dans leur chambre et essaie de passer à travers la fenêtre de celle-ci. Il ne réussit pas.
[138] Il essaie ensuite de passer au travers la porte-patio sans plus de succès. Finalement, monsieur se lance à travers la fenêtre du salon, passe à travers et tombe.
[139] Madame va dehors et s’assoit sur lui pour l’empêcher de bouger. Monsieur tasse son épouse entre de nouveau dans le salon pour passer à travers une deuxième fenêtre.
[140] Madame s’assoit de nouveau sur lui. Elle parle à son mari qui ne lui répond pas. Il prend des morceaux de verre et se blesse dans le cou.
[141] Voyant une voisine à l’extérieur, madame lui crie à l’aide pour qu’elle appelle le 911. Monsieur part en ambulance pour l’Hôpital de l’Enfant-Jésus où il subit une chirurgie.
[142] Monsieur A. est hospitalisé aux soins intensifs de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus du 8 mai 2006 au 12 mai 2006. Il est libéré de l’hôpital le 13 mai 2006 à l’heure du dîner[30]
[143] Finalement, après une certaine période de convalescence, monsieur A. et son épouse décident de vendre leur maison même à perte car ils considèrent que les voisins les regardent bizarrement depuis cet événement. Ils arrêtent leur implication dans les clubs de camping et de vélos de montagne dans lesquels ils sont jusqu’alors très actifs. En fait, leur vie sociale disparaît.
[144] Finalement, il y a lieu de résumer les témoignages de monsieur M. P.
2.5 Monsieur M. P.
[145] En 2010, monsieur est âgé de 19 ans. Il a des amis et d’excellents liens avec sa famille. Il en est à sa première année de travail en apprentissage pour devenir charpentier-menuisier.
[146] Il n’a pas de problème financier. Il possède son logement à Joliette. Il n’a jamais éprouvé de problème de santé physique ni psychologique.
[147] Au mois de février 2011, il fait une bronchite et après plusieurs jours, son entourage lui dit de consulter. Le 10 février 2011, il consulte effectivement au sans rendez-vous d’une clinique médicale.
[148] La consultation avec le médecin dure à peine 10 minutes[31]. Il ressort de celle-ci avec une prescription de Biaxin® et pour une pompe également. Le médecin ne lui mentionne rien au sujet de ce médicament.
[149] Il va directement à la pharmacie. La pharmacienne ne lui mentionne rien au sujet du Biaxin®. Elle lui explique comment se servir de la pompe.
[150] Il doit prendre le Biaxin®, deux comprimés par jour, avec de la nourriture. Arrivé chez lui, il prend un comprimé avec des sushis et se repose. Il prend le deuxième comprimé à l’heure du souper avec son repas.
[151] Le 11 février 2011, monsieur M. P. va au travail même s’il se sent bizarre avec un peu de mal au cœur et étourdi. Il prend vers 9h30 son comprimé avec de la nourriture lors de la pause du matin. Selon son père, il agit de façon plus «lunatique» que d’habitude.
[152] Il finit sa journée de travail et décide de ne pas sortir le vendredi soir à cause des «effets bizarres» qu’il ressent. Il prend la 4e dose en soupant.
[153] Le samedi, 12 février, il se réveille avec des pensées anormales de nature religieuse. Il devient alors conscient qu’il a une «révélation». Il tourne en rond dans son appartement. Il pense que tout ce à quoi il réfléchit, est vrai.
[154] Il prend ses doses de Biaxin® normalement cette journée-là. Il sort pour aller boire une bière avec un de ses amis qui le ramène chez lui après une heure car il ne le trouve pas normal.
[155] Dans la nuit du 12 au 13 février 2011, monsieur fait de l’insomnie. Son cerveau est en marche continuellement et il pense tout le temps.
[156] Le dimanche, 13 février 2011, monsieur M. P. est dans le même état que le samedi. Il prend son comprimé du matin avec de la nourriture. Il décide dans l’après-midi d’aller voir ses amis pour leur livrer «la bonne nouvelle». Il pleure.
[157] Il mentionne, lors de l’audience, se rappeler de segments des événements mais ne pas se souvenir de tout. Il se rappelle qu’il parle à voix très forte et que ses amis sont inquiets au point où ils téléphonent à ses parents.
[158] Il prend son comprimé le soir avec le souper et il couche chez ses amis. Il ne dort pas beaucoup ou pas du tout, il ne s’en souvient pas.
[159] Le 14 février 2011, il se présente au travail mais n’a pas pris ses bottes de travail. Il est toujours en mode «révélation». Il n’est plus connecté avec la réalité et selon lui, il est incohérent sur plusieurs sujets.
[160] À un certain moment, les inspecteurs de la CSST se présentent sur le chantier. Comme il n’a pas ses bottes de chantier, son père lui dit de se sauver avant que les inspecteurs entrent.
[161] Même s’il fait -15°C ou -20°C dehors, monsieur M. P. sort en t-shirt. Il dépose sa ceinture de travail dans le camion de son père. Il se met à courir dans la rue pour rentrer chez lui à pied.
[162] Selon lui, il devient alors «un danger pour lui-même et pour les autres». Il ressent des palpitations intenses et dit être en état de panique.
[163] Il arrive à un dépanneur. Il y voit un corbeau et il se demande s’il pourrait voler comme lui. Il entre dans le dépanneur pour faire des provisions mais n’y achète que des bonbons.
[164] Une fois dehors, il voit un véhicule qui ressemble à celui de sa mère. Il essaie d’y entrer pour prendre l’auto. Il se bat avec le propriétaire de l’auto qui lui demande ce qu’il fait là.
[165] Les policiers arrivent et le font transporter en ambulance à l’Hôpital de Saint-Eustache où, une fois rendu à l’urgence, monsieur tremble énormément.
[166] Monsieur M. P. n’est pas conscient de ce qui se passe et il interprète tout ce qui lui est dit de manière différente.
[167] Il essaie de dormir durant la nuit, ce qui est fort difficile.
[168] Le 15 février 2011, monsieur va mieux[32]. L’hôpital le transfère en autobus accompagné d’un bénévole à l’Hôpital de Joliette en psychiatrie[33].
[169] Il dit qu’il va un peu mieux car il se sent «moins sur le nerf» même s’il part de très loin.
[170] Il demeure à l’hôpital de Joliette jusqu’au 16 février 2011. Selon lui, il est revenu normal quand il arrive chez ses parents. Il ne sait pas pourquoi il a agi comme il le fait. Au fil des jours, il récupère ses esprits.
[171] Le 20 ou le 21 février 2011, il décide de retourner à son appartement. Sa mère lui téléphone pour lui rappeler de reprendre son traitement de Biaxin®.
[172] Le jour même, il prend un comprimé avec un repas et de nouveau il «se sent bizarre». Il arrête donc de prendre le Biaxin® le soir même. Il jette les comprimés restant.
[173] Par la suite, il voit un reportage télévisé sur les effets secondaires qui peuvent être causés par le Biaxin®. Il comprend alors ce qui s’est passé pour lui et considère finalement qu’il «n’était pas fou» mais qu’il a plutôt très mal réagi à la prise de Biaxin®. Pourtant, personne ne l’a mis en garde contre une possibilité d’une telle situation.
[174] Il souffre alors de détresse psychologique et manque un mois et demi de travail.
[175] Monsieur n’a jamais repris de Biaxin® depuis. Il ne souffre pas de problèmes psychologiques non plus[34].
[176] Comme on le sait, monsieur M. P. situe l’incident grave qui conduit à son hospitalisation au 14 février 2011. Cependant, les dossiers médicaux établissent qu’il s’agit plutôt du 16 février 2011[35].
[177] Cette confusion dans le temps n’est pas, de l’avis du Tribunal, de nature à miner la crédibilité d’une personne qui témoigne de façon sincère, franche et honnête sur des événements qu’il subit et qui sont visiblement pour lui très pénibles à raconter.
[178] Il y a maintenant lieu de procéder à l’analyse de la présence ou non d’un lien de causalité entre les problèmes psychiatriques soufferts par les différents membres du groupe et les dommages qu’ils allèguent avoir subis.
3.- La présence ou non d’un lien de causalité
[179] Les membres du groupe qui témoignent lors de l’audience font tous une association entre la consommation de Biaxin® et les problèmes psychiatriques qu’ils subissent. Selon eux, il ne s’agit pas d’une coïncidence. C’est plutôt la démonstration, par l’application de «l’algorithme de Naranjo», que ce médicament cause les problèmes psychiatriques qu’ils décrivent. Ceci suffit à établir, selon eux, la présence d’un lien de causalité évident entre leur consommation de ce médicament et les effets psychiatriques négatifs qui les affectent et dont personne ne les informe avant le début de la prise du médicament.
[180] Abbott soutient plutôt que la prépondérance de la preuve établit que, d’une part, l’utilisation du «l’algorithme de Naranjo» n’est pas appropriée en l’espèce. D’autre part, elle précise que la prépondérance de la preuve révèle plutôt que la «Clarithromycine», molécule contenue dans le médicament Biaxin®, ne peut franchir la barrière hémato-encéphalique du cerveau. Dans ces circonstances, selon elle, il ne saurait y avoir preuve d’un lien de causalité entre la consommation de Biaxin® et les problèmes psychiatriques que subissent les membres du groupe qui témoignent lors de l’audience.
[181] Avant de procéder à l’analyse du témoignage des nombreux experts, le Tribunal examinera les principes pertinents. Ensuite, il y aura lieu de les appliquer au présent litige.
3.1 Les principes pertinents
[182] Il est bien établi que la procédure d’action collective, anciennement connue sous le nom de recours collectif, ne modifie pas les règles de droit substantives ni les règles de preuve pertinentes en matière civile[36].
[183] Ainsi, comme pour tout recours civil, les demandeurs ont le fardeau de prouver les faits qui soutiennent leurs prétentions en établissant, selon les règles de la prépondérance de la preuve, la présence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre ces éléments[37].
[184] Les requérants reprochent l’absence d’indication suffisante concernant les risques d’effets secondaires psychiatriques lorsqu’ils doivent consommer le Biaxin®. Or, le Code civil du Québec énonce les principes suivants :
« 1468. Le fabricant d’un bien meuble, même si ce bien est incorporé à un immeuble ou y est placé pour le service ou l’exploitation de celui-ci, est tenu de réparer le préjudice causé à un tiers par le défaut de sécurité du bien.
Il en est de même pour la personne qui fait la distribution du bien sous son nom ou comme étant son bien et pour tout fournisseur du bien, qu’il soit grossiste ou détaillant, ou qu’il soit ou non l’importateur du bien.
1469. Il y a défaut de sécurité du bien lorsque, compte tenu de toutes les circonstances, le bien n’offre pas la sécurité à laquelle on est normalement en droit de s’attendre, notamment en raison d’un vice de conception ou de fabrication du bien, d’une mauvaise conservation ou présentation du bien ou, encore, de l’absence d’indications suffisantes quant aux risques et dangers qu’il comporte ou quant aux moyens de s’en prémunir.»
(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)
[185] En matière de produits pharmaceutiques, la Cour suprême rappelle dans l’arrêt Hollis c. Dow Corning Corporation[38] que le fabricant d’un tel produit doit mettre les consommateurs en garde «contre les dangers inhérents à son utilisation, dont il est ou devrait être au courant».
[186] Le deuxième alinéa de l’article 53 de la Loi sur la protection du consommateur prévoit que :
«Il en est ainsi pour le défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte.»[39]
[187] La faute reprochée à Abbott consiste essentiellement à ne pas avoir mis à la disposition des consommateurs de Biaxin® l’information que sa consommation est susceptible de causer des effets secondaires d’ordre psychiatrique.
[188] Quant aux dommages subis, les requérants mentionnent qu’ils sont déjà encourus en raison des effets psychiatriques qu’ils subissent. Cependant, tel recours ne peut être reçu que si la preuve d’un lien de causalité existe entre la faute et les dommages qui sont l’objet d’allégations.
[189] À ce sujet, monsieur le juge Gonthier précise, pour la Cour suprême, dans l’arrêt Laferrière c. Lawson[40] que :
«Les règles de la responsabilité civile exigent la preuve de la faute, de la causalité et du préjudice.
Les actes et les omissions peuvent constituer une faute et les deux sont soumis à la même analyse pour ce qui a trait à la causalité.
[…]
Il faut analyser la preuve avec soin pour déterminer la nature exacte de la faute ou du manquement à un devoir et ses conséquences de même que la nature particulière du préjudice subi par la victime.
Si, après considération de tous les facteurs, le juge n’est pas convaincu, d’après son évaluation de la prépondérance des probabilités, que la faute a causé un préjudice réel quelconque, il doit rejeter la demande d’indemnisation.
(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)
[190] La possibilité d’un lien de causalité ne suffit pas. Selon les règles de droit civil, cette causalité doit être probable. Comme le rappelle la Cour suprême :
«[106] Je ne suis pas bien convaincu que la Cour d’appel a commis une erreur dans l’interprétation de la preuve et en concluant que, compte tenu du préjudice initial causé par l’accident, la causalité ne peut être attachée aux fautes de l’intimé. La Cour d’appel conclut qu’une immobilisation précoce et une diminution de l’œdème dans la moelle épinière offraient des chances de rétablissement qui étaient plus que de simples possibilité, mais qu’elles n’étaient pas suffisamment importantes compte tenu de l’ampleur du préjudice initial causé par l’accident. La Cour d’appel touchait là la question de la probabilité que le traitement ait empêché le rétablissement. Elle conclut que le traitement prescrit par l’intimé n’a pas causé le préjudice subi. En utilisant les expressions «plus que de simples possibilités» et «pas assez significatif», la Cour d’appel conclut fondamentalement que la notion qu’une immobilisation précoce aurait permis un rétablissement se situation quelque part dans la gamme allant de possibilité à probabilité : la notion dépassait le domaine du simplement possible, mais n’atteignait pas le seuil de la probabilité.»[41]
(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)
[191] Selon les requérants, la mention de troubles psychiatriques possibles dans la partie I et la partie III de la monographie d’Abbott[42] suffit à établir la preuve d’un lien de causalité.
[192] Le Tribunal ne peut être d’accord avec cette position car la mention dans une monographie de certains effets secondaires indésirables ne permet pas, à elle seule, de conclure qu’il s’agit là d’un lien de causalité reconnu par le fabricant[43].
[193] Pour déterminer la présence ou non d’un lien de causalité, il y a lieu d’analyser celui-ci à la lumière du critère de la «rationalité subjective». À ce sujet, la Cour d’appel, dans l’arrêt Lacasse c. Lefrançois[44] précise que :
[79] La règle de la causalité liée à l’absence de consentement en matière de responsabilité médicale a fait l’objet de nombreux débats. La Cour suprême a posé le principe d’une causalité objective modifiée selon laquelle le patient doit faire la preuve qu’une personne raisonnable convenablement informée et placée dans les mêmes circonstances que lui aurait refusé le traitement auquel il n’a pas librement consenti. (…) Notre Cour a également exprimé des doutes quant à l’appréciation, en droit civil, de la chaîne causale par rapport à un patient abstrait. Elle applique, aujourd’hui, un critère de subjectivité rationnelle ou rationalité subjective «qui consiste à apprécier, en fonction de la nature du risque et de la preuve, qu’elle aurait été la réponse raisonnable probable du patient en l’instance, et non de l’homme raisonnable dans l’abstrait au sens de Reibl c. Hughes».
[194] Puis, dans l’arrêt Ferland c. Ghosn[45], la Cour d’appel précise que :
«[49] Il faut toutefois envisager que dans un contexte d’incertitude jurisprudentiel, un autre juge aurait pu conclure qu’il y a eu en l’espèce violation du devoir d’information. Toutefois, cela ne suffit pas. (…) Le lien de causalité entre la violation du devoir d’information et les souffrances endurées par l’appelante doit être établi en fonction d’une norme qui ne se veut pas purement subjective. On peut en effet s’attendre à ce que la patiente, maintenant aux prises avec les malheurs qui l’accablent, témoigne avec le recul qu’elle n’aurait pas consenti à l’intervention. D’où la norme à la fois objective et subjective dégagée par la jurisprudence. En l’espèce, tant objectivement, en comparant la décision de l’appelante avec un patient raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances que subjectivement, soit en déterminant la décision qu’aurait prise l’appelante en fonction de ses caractéristiques personnelles si elle avait connu le risque, il était raisonnable pour la première juge de conclure que l’appelante, dûment informée des séquelles connues d’une lésion à la branche sensitive du nerf musculo-cutané, aurait opté pour l’intervention.»
(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)
[195] Quant aux règles d’analyse de lien de causalité, monsieur le juge Gonthier, dans l’arrêt Laferrière c. Lawson[46], précise ce qui suit :
«Pour résumer, je formule les brèves observations générales suivantes :
· les règles de la responsabilité civile exigent la preuve de la faute, de la causalité et du préjudice.
· les actes et les omissions peuvent constituer une faute et les deux sont soumis à la même analyse pour ce qui a trait à la causalité.
· la causalité en droit n’est pas identique à la causalité scientifique.
· la causalité en droit peut être établie selon la prépondérance des probabilités compte tenu de toute la preuve, c’est-à-dire la preuve factuelle, la preuve statistique et les présomptions.
· dans certains cas, lorsqu’une faute comporte un danger manifeste et que ce danger se réalise, il peut être raisonnable de présumer l’existence du lien de causalité, sous réserve d’une démonstration ou d’une indication contraire.
· une preuve statistique peut être utile à titre indicatif, mais elle n’est pas déterminante. Plus précisément, lorsqu’une preuve statistique n’établit pas la causalité selon la prépondérance des probabilités, la causalité en droit peut quand même exister lorsque l’ensemble de la preuve étaye une telle conclusion.
· même si la preuve statistique et la preuve factuelle ne justifient pas de conclure à l’existence de causalité, selon la prépondérance des probabilités, à l’égard d’un préjudice particulier (c’est-à-dire le décès ou la maladie), ces mêmes preuves peuvent justifier de conclure à l’existence de causalité à l’égard d’un préjudice moindre (par exemple, un léger abrègement de la vie, une augmentation des souffrances).
· il faut analyser la preuve avec soin pour déterminer la nature exacte de la faute ou du manquement à un devoir et ses conséquences de même que la nature particulière du préjudice subi par la victime.
· si après considération de ces facteurs, le juge n’est pas convaincu, d’après son évaluation de la prépondérance des probabilités, que la faute a causé un préjudice réel quelconque, il doit rejeter la demande d’indemnisation.[47]
(Les caractères en surimpression sont ajoutés.)
[196] De l’analyse de ces principes, le Tribunal retient que les requérants ont le fardeau d’établir le lien de causalité entre la consommation de Biaxin® et les effets psychiatriques qu’ils en subissent. Ce fardeau ne peut être déchargé en se fondant sur de simples possibilités. Il doit l’être selon la prépondérance de la preuve.
[197] À cet effet, il convient maintenant d’analyser la preuve des différents experts.
3.2 Les témoignages d’experts
[198] D’entrée de jeu, le Tribunal tient à préciser qu’il est très redevable aux divers experts qui témoignent lors de l’audience pour l’avoir éclairé notamment sur les différents aspects médicaux et pharmaceutiques du présent litige
[199] Dans un premier temps, le Tribunal résumera les éléments pertinents des témoignages de chaque expert. Puis, le Tribunal déterminera, à la lumière de cet examen et des principes juridiques, la présence ou non d’un lien de causalité.
[200] Chacun des experts obtient, lors de l’audience, un statut d’expert dans sa spécialité. Voici donc le résumé des témoignages des experts de la demande.
3.2A Madame Karine Desharnais
[201] Madame Karine Desharnais œuvre comme pharmacienne au CHUL depuis 2000. Elle y côtoie sur une base quotidienne les patients hospitalisés en psychiatrie, pédopsychiatrie et gérontopsychiatrie. Elle effectue aussi le même travail en pédopsychiatrie à l’Hôtel-Dieu-du-Sacré-Cœur.
[202] Essentiellement, son travail consiste à gérer les effets secondaires des médicaments prescrits aux patients, tenir compte des problèmes physiques de ceux-ci et recommander aux psychiatres soit la modification du dosage du médicament ou son changement.
[203] Elle enseigne également à l’Université Laval comme chargée de cours et fait partie du regroupement des pharmaciens experts en psychiatrie.
[204] La preuve révèle que madame Desharnais ne connaît pas l’existence de problèmes psychiatriques induits à l’occasion de la consommation de Biaxin® avant que les avocats en demande dans le présent litige entrent en communication avec elle.
[205] Par la suite, elle fait des recherches à ce sujet et consulte notamment un site de pharmacovigilance ainsi que la banque de données de Santé Canada au sujet du Biaxin®. Elle découvre alors que 487 cas sont rapportés comme ayant eu des effets secondaires sur le système nerveux central[48]. Quarante-quatre de ces cas font état d’agitation, 43 d’hallucinations, 26 de manie et 52 de confusion.
[206] Pour madame Desharnais, ce type de statistiques représente la pointe de l’iceberg car tous les professionnels de la santé ne rapportent pas régulièrement à Santé Canada et/ou au fabricant du médicament, les effets secondaires que leurs patients leur mentionnent et ce, en raison de la documentation très importante qui est alors requise.
[207] Madame Desharnais fait donc venir les rapports de cas obtenus et elle consulte ceux-ci en les mettant en relation avec des études en double aveugle, avec l’évaluation postcommerciale ainsi que d’autres éléments, notamment l’algorithme de Naranjo[49].
[208] Elle consulte également tant la monographie publiée en 2009[50] que celle de 2015[51].
[209] Madame Desharnais explique qu’une monographie est l’objet de négociations quant à son contenu entre le fabricant et Santé Canada. Elle contient trois parties :
· la partie I est rédigée à l’intention des professionnels de la santé que sont des médecins et les pharmaciens;
· la partie II de la monographie concerne les études cliniques faites avant que le médicament me soit approuvé[52];
· la partie III de ce même document constitue des renseignements destinés aux patients[53].
[210] La partie I de la monographie comprend notamment les éléments suivants :
· à la page 4 : les indications d’utilisation de ce médicament telles qu’approuvées par Santé Canada;
· à la page 6 : les contre-indications à son utilisation y sont décrites;
· à la page 7 : on retrouve un encadré, connu dans le jargon médical comme étant une «black box». Cet encadré a pour but d’attirer immédiatement l’attention des professionnels de la santé sur des éléments particuliers du médicament qu’ils doivent connaître avant de le prescrire;
· à la page 12 : les effets secondaires reconnus y sont indiqués;
· à la page 15 : on y retrouve les effets secondaires d’ordre psychiatrique[54]. Quant aux troubles psychiatriques qui surviennent depuis la mise en marché de ce médicament, ce sont des troubles qualifiés de «post-commercialisation» que l’on retrouve plus loin dans la même section[55].
[211] Dans la partie III de la monographie, celle destinée aux patients, on y décrit dans un langage vulgarisé les effets secondaires graves et inattendus qui peuvent survenir. Aucune mention n’est faite, dans la version 2009, de problèmes psychiatriques[56].
[212] Madame Desharnais examine aussi la monographie du même produit publié en 2015[57]. Dans la partie III, Abbott mentionne, quant aux effets secondaires graves, la possibilité de «désorientation et confusion». Dans ce cas, Abbott recommande aux patients de ne pas conduire ni manipuler de la machinerie lourde. Le fabricant ne mentionne pas pour autant qu’il y a lieu que le patient arrête la consommation de Biaxin®.
[213] Madame Desharnais insiste sur l’importance du contenu du «black box» de la partie I de la monographie. Selon elle, il s’agit d’éléments essentiels que les médecins et les pharmaciens doivent connaître concernant chacun de ces médicaments avant de le prescrire ou de le remettre aux patients. De plus, le contenu de cet encadré intitulé d’ailleurs «WARNING» ou «AVERTISSEMENT ou PRÉCAUTION» est fondamental car celui-ci est reproduit dans tous les logiciels de pharmacologie utilisés quotidiennement.
[214] Selon elle, Abbott devrait modifier la teneur de son «Warning» pour modifier sa monographie et inclure ces effets secondaires graves possibles. Elle devrait faire approuver par Santé Canada cette monographie modifiée qui donnerait aussi accès à ces informations à tous les professionnels de la santé.
[215] Madame Desharnais précise qu’en cas de soupçons de toxicité d’un médicament pour un patient ou d’effets secondaires imprévus chez celui-ci, elle vérifie en premier la monographie du médicament administré, notamment le contenu de l’encadré, fait des recherches sur les banques de cas rapportés ainsi que dans des revues spécifiques. Elle doit, après ses recherches, être en mesure d’informer le psychiatre des effets secondaires graves connus et lui recommander la meilleure solution pour le patient, selon son appréciation clinique.
[216] Pour les fins de la présente expertise, madame Desharnais utilise la méthode d’analyse des cas rapportés et décrits dans des articles écrits par des médecins ou pharmaciens. Elle note alors que les revues scientifiques demandent d’inclure l’algorithme de Naranjo.
[217] Madame Desharnais applique l’algorithme de Naranjo à chacun des cas des membres du groupe qui témoignent lors de l’audience. Elle conclut que le lien de causalité entre la consommation de Biaxin® conformément à la posologie prescrite pour chacun d’eux et l’apparition de troubles psychiatriques est probable[58].
[218] Madame Desharnais compare la monographie du Biaxin®[59] avec celle produite pour le «APO-Metronidazole»[60]. Ce médicament est destiné à lutter contre les bactéries comme le Biaxin®. Pourtant, dans la partie I de celui-ci, on note la présence d’un avertissement mentionnant la possibilité pour les patients de subir de la confusion, des étourdissements, des hallucinations et des convulsions[61].
[219] Pour la monographie du Avelox de 2007, lequel est un antibiotique comme le Biaxin®, on y indique dans sa partie I qu’il peut causer des problèmes neurologiques et que si ceux-ci se produisent, il y a lieu d’arrêter immédiatement la consommation de ce produit[62].
[220] Il en est de même pour le Singulair pour ses monographies de 2005 et de 2010 où dans la partie I on indique des problèmes anticipés ou possibles[63].
[221] Dans le rapport des cas soumis par les membres du groupe, pour elle les éléments suivants apparaissent clairement :
· la présence de troubles psychiatriques est claire sans que ces personnes aient nécessairement des antécédents psychiatriques;
· les symptômes apparaissent après la prise de Biaxin® et cessent à l’arrêt du Biaxin®;
· quand une même personne est exposée de nouveau au Biaxin®, il y a réapparition des mêmes symptômes.
3.2B Docteur Jacques Bouchard
[222] Docteur Jacques Bouchard, aussi expert des requérants, est à la fois diplômé en neurologie ainsi qu’en psychiatrie. Il pratique en psychiatrie depuis 1979. Depuis 2004, il procède à plusieurs expertises mais, depuis 2010, il travaille aussi 10 à 12 semaines par année en psychiatrie générale à l’Hôpital de Chandler.
[223] Comme madame Desharnais, Dr Bouchard n’entend pas parler de problèmes de réaction neuropsychiatrique ou psychiatrique induite par le Biaxin® tant que les avocats des requérants n’entent pas en communication avec lui. Il procède alors à des recherches. Il découvre plusieurs rapports de cas à ce sujet, tout comme madame Desharnais. Ceux-ci font état de réactions psychotiques graves.
[224] Dr Bouchard analyse le dossier de madame Brousseau. Il la rencontre au mois de mai 2010. Il note que celle-ci n’a aucun problème psychiatrique avant de prendre du Biaxin® qui lui est prescrit pour sa pneumonie. Il remarque qu’elle lui dit se sentir étrange et qu’elle a la sensation de «marcher sur un nuage». Il prend connaissance des événements du 23 septembre 2005 ainsi que de l’absence de douleur qu’elle ressent lorsqu’elle se taillade le poignet gauche. Il remarque également l’amnésie partielle de madame quant à ces événements.
[225] Selon Dr Bouchard, les psychiatres traitant du CHUL font rapidement le lien avec le Biaxin® tout comme Dr Bernatchez le fait également. Pour lui, il est clair que les événements du 23 au 24 septembre 2005 constituent un épisode de psychose toxique induit par le Biaxin®. Il pose ce diagnostic en prenant en considération les éléments suivants[64] :
· madame ne fait pas une tentative de suicide, elle n’est pas dans un état neuropsychiatrique normal, elle n’a aucun stresseur sauf les symptômes de la pneumonie;
· les diagnostics des psychiatres compétents et contemporains constituent la meilleure information dont Dr Bouchard dispose. Ceux-ci font des démarches cliniques pour poser un diagnostic;
· l’épisode de psychose aigüe est complètement imprévu dans ces circonstances n’eut été de la consommation du Biaxin®;
· le facteur écoulement du temps, soit le délai entre le début des symptômes suite à la prise de Biaxin®, est caractéristique par rapport au moment du début de la prise de son médicament;
· la psychose peut être un symptôme de différents problèmes, soit induite de façon toxique, soit d’une maladie schizophrénique ou bipolaire;
· Dr Bouchard ajoute que «plus ça sort des symptômes d’une maladie courante, plus cet épisode fait penser à un épisode toxique»;
[226] Dr Bouchard, qui ne peut être présent lors du témoignage des membres du groupe, procède à l’écoute de ceux-ci. Pour lui, ils possèdent une trame commune :
· le caractère soudain, inusité et inexplicable de leur comportement qui débute deux à quatre jours après la prise de Biaxin® et qui se termine avec la fin de la prise de Biaxin®;
· la réaction toxique au Biaxin® et l’arrêt des problèmes aussitôt que le Biaxin® est cessé;
· l’absence de moment particulier où la psychose est induite;
· l’amnésie partielle de la période psychotique alors qu’à ce moment le fonctionnement du cerveau est compromis par la présence de la substance dans celui-ci.
[227] Lors de l’audience, Dr Bouchard mentionne qu’il y a deux façons d’aborder le présent litige : examiner la présence ou non d’une trame commune entre les membres du groupe ou plutôt examiner les différences entre chaque membre pour conclure à l’absence de facteur commun. Dr Bouchard privilégie la recherche d’une trame commune plutôt que l’autre méthode, solution retenue par Dr Stip[65].
[228] Dr Bouchard utilise l’algorithme de Naranjo[66]. Or, la question 5 est au cœur des préoccupations de tous les experts. Cette question se lit ainsi :
«5. Are there alternative causes that could on their own have caused the reaction?»[67]
[229] Cette question vise à déterminer si un facteur autre que celui retenu, en l’espèce la prise de ce médicament, peut causer les problèmes psychiatriques subis par une personne. Dr Bouchard insiste qu’un risque ou un facteur de susceptibilité ne constitue pas une cause alternative tel que le veut cette question.
[230] Dr Bouchard complète donc l’échelle de Naranjo pour chacun des membres du groupe qui témoigne[68]. Il conclut que pour madame Brousseau, messieurs M.A. et M.P. et mesdames M.L. et E.M., le degré de probabilité que la psychose soit induite par la consommation de Biaxin®, est assez élevé.
[231] Dans ces circonstances, Dr Bouchard note l’absence d’avertissement adéquat contenu dans l’encadré de la monographie de Biaxin®, d’une part. Il n’a aucune hésitation, d’autre part, à conclure que les psychoses toxiques subies par tous les membres du groupe qui témoignent lors de l’audience, sont causées par leur consommation prescrite de Biaxin®.
[232] Le Tribunal constate que les témoignages intègres et pondérés de madame Desharnais et de Dr Bouchard reposent sur des études de cas, d’une part et sur l’utilisation de l’algorithme de Naranjo, d’autre part[69].
[233] Il y a maintenant lieu à ce que le Tribunal procède au même résumé des experts de la défense.
3.3 Les experts de la défense
3.3A Docteur Frédéric Calon
[234] Dr Frédéric Calon est titulaire d’un doctorat en neuropharmacologie. Il travaille particulièrement sur les substances qui peuvent ou non franchir la barrière hémato-encéphalique. Il enseigne à l’Université Laval depuis 2003 et publie de nombreux articles dans les revues scientifiques.
[235] Dans une première étape, il explique le cheminement interne d’un comprimé de Biaxin® pris par la bouche :
· il se dirige dans l’estomac puis dans l’intestin;
· il est libéré dans le corps par la circulation sanguine;
· le foie le transforme pour rendre ces molécules plus solubles dans le sang;
· arrivé au cœur, ce médicament est distribué partout dans l’organisme par la circulation sanguine;
· malgré cette distribution dans tous les organes du corps par le flux sanguin, les molécules du médicament n’atteignent pas le cerveau en raison de sa protection par la barrière hémato-encéphalique.
[236] Au niveau particulièrement du cerveau, Dr Calon précise que les capillaires constituent l’endroit d’échange entre le sang et les tissus. Or, ces capillaires sont recouverts par une gaine (la cellule endothéliale) qui les rend étanches. Cette gaine empêche les molécules du médicament d’atteindre le cerveau[70]. Elle constitue la barrière hémato-encéphalique qui a pour objet d’assurer l’étanchéité du cerveau et de sélectionner, dans le sang, ce dont cet organe a besoin pour la protection du système nerveux et immunitaire.
[237] Selon Dr Calon, un autre facteur lui permet d’affirmer que la molécule de clarithromycine contenue dans le Biaxin® ne peut traverser la barrière hémato-encéphalique : sa taille. Celle-ci est trop grosse pour que le système des flux ainsi que la présence des ponts hydrogènes lui permettent de la franchir[71].
[238] Selon des tests dont il prend connaissance, Dr Calon affirme que pour l’homme, la concentration de clarithromycine au niveau du cerveau est tellement faible qu’elle ne peut avoir d’effet sur cet organe[72].
[239] Il examine d’ailleurs les rapports de cas et note que seulement dans un très faible pourcentage de ceux-ci, il y aurait eu pénétration de la barrière hémato-encéphalique.
[240] Dr Calon conclut que la clarithromycine ne peut avoir causé les troubles neuropsychiatriques dont témoignent les membres du groupe lors de l’audience parce que cette molécule chimique ne peut se rendre au cerveau.
3.3B Docteur Mitchell Levine
[241] Dr Levine est médecin interniste. Il est surspécialisé en pharmacologie et en épidémiologie.
[242] Dr Levine explique que, pour établir un lien de causalité, il doit y avoir, à partir d’une preuve scientifique, une association entre deux éléments qui se produisent au même moment ou encore l’un à la suite de l’autre. Cette association doit aussi être spécifique au médicament, c’est-à-dire qu’il n’y ait aucun autre facteur qui puisse contribuer à celle-ci.
[243] Si une association est probable, il doit alors examiner si elle se produit régulièrement dans différentes populations ainsi que prendre en considération le lien temporal entre l’association et la réaction.
[244] Dr Levine explique que le but de cette démarche est d’écarter des éléments qui surviendraient «par chance» et qui ne seraient pas en relation avec le médicament concerné.
[245] Quant à la qualité des diverses preuves scientifiques, Dr Levine mentionne que la méta-analyse est la meilleure preuve possible.
[246] Dr Levine prend connaissance des données de base qui servent à la rédaction du rapport d’Abbott à l’IMB (Irish Medicines Board)[73]. Il qualifie ce rapport de méta-analyse ce qui constitue la meilleure méthode pour procéder à de telles études[74].
[247] Selon Dr Levine, les résultats de cette méta-analyse établissent que la claritrhomycine n’accroît pas le risque d’effets neuropsychiatriques lorsqu’on compare les résultats de son administration avec d’autres médicaments comparables administrés à un autre groupe ainsi qu’avec le placebo administré à un troisième groupe[75].
[248] De cette analyse, Dr Levine conclut qu’il n’y a aucune association possible entre la clarithromycine et les effets de troubles neuropsychiatriques. Selon lui, en l’absence d’association, il ne peut y avoir de lien de causalité.
[249] Quant à la méthode d’utilisation des rapports de cas[76], selon Dr Levine, celle-ci ne peut servir pour établir une association ni un lien de causalité. Tout au plus, peut-il s’agir d’une première étape avant que des études supplémentaires soient faites[77].
[250] Quant aux conclusions d’Abbott à l’effet qu’aucune autre étude supplémentaire n’est requise dans le cas du Biaxin®, d’une part et qu’il n’y a pas lieu de modifier la monographie, d’autre part, Dr Levine est en accord avec celle-ci.
[251] Selon Dr Levine, le problème majeur de la clarithromycine est son interaction avec d’autres médications[78].
[252] Quant à l’utilisation par madame Desharnais et Dr Bouchard de l’algorithme de Naranjo[79], Dr Levine considère qu’il ne s’agit pas d’un outil qui permette d’établir un lien de causalité entre la prise d’un médicament et des effets secondaires qu’il est susceptible de produire. Selon lui, il s’agit plutôt d’un outil destiné aux médecins et pharmaciens pour prendre la décision d’arrêter le médicament, de changer celui-ci, d’en modifier le dosage ou de continuer à l’administrer.
[253] Quant à l’utilisation des rapports de cas, Dr Levine attache peu d’importance aux diagnostics posés par les médecins traitants car ceux-ci le font selon leur expérience, en l’absence d’élément objectif et selon leurs convictions personnelles. Pour lui, il ne s’agit pas de preuve de qualité scientifique suffisante.
[254] En conclusion, Dr Levine mentionne qu’il n’y a pas lieu selon lui de modifier la monographie du Biaxin® pour y inclure la possibilité de troubles neuropsychiatriques dans l’encadré de la partie I. Il ajoute que l’étude faite par Abbott à la demande de l’IMB n’établit pas la présence de troubles neuropsychiatriques causés par le Biaxin®[80].
[255] Dr Stip s’adresse aussi au Tribunal.
3.3C Docteur Emmanuel Stip
[256] Dr. Stip pratique la psychiatrie depuis 1986. Il détient une maîtrise en neuroscience et se spécialise en matière de troubles psychotiques et de schizophrénie. Il est d’ailleurs professeur titulaire de psychiatrie à l’Université de Montréal.
[257] Au cours de ses recherches, il travaille fréquemment avec des études méta-analyse portant sur différents sujets relatifs à ses champs d’intérêt.
[258] Dr Stip insiste sur le facteur génétique qui affecte chacun d’entre nous et, plus particulièrement, sur l’impact des violences subies pendant l’enfance qui peuvent modifier un gène hérité et faire en sorte que la personne qui la subit demeure, sa vie durant, avec une vulnérabilité beaucoup plus grande pour des troubles anxieux notamment[81]. Il remarque aussi que les antécédents de dépression ont un impact important quant à un risque ultérieur de suicide[82].
[259] Dr Stip mentionne que toute infection peut, dans son processus, causer outre la fièvre, aussi des psychoses que la médication prescrite soit toxique ou pas pour le patient concerné.
[260] Selon Dr Stip, le Biaxin® ne peut causer des effets neuropsychiatriques et ce, en prenant en considération la méta-analyse faite par Abbott pour l’IMB[83]. Il précise que selon l’analyse du type de molécule de ce médicament, la claritrhomycine, celle-ci ne peut franchir la barrière hémato-encéphalique. Elle ne se rend donc pas au cerveau et en conséquence, ne peut causer des troubles neuropsychiatriques.
[261] Dr Stip précise que la méthode de cas ne permet pas d’établir, de façon crédible, un lien de causalité entre le Biaxin® et le trouble neuropsychiatrique mentionné car, à ce moment, il y a seulement un côté de la médaille qui est fourni. Ce seul côté ne peut servir de démonstration pour établir un lien de causalité avec le Biaxin®.
[262] Par la suite, Dr Stip passe en revue le cas de plusieurs membres du groupe et notamment de ceux qui témoignent lors de l’audience. Il est d’ailleurs présent lors de ceux-ci.
[263] Pour madame Brousseau, il émet un diagnostic de parasomnie[84], soit du somnambulisme qui se produit au cours de la première phase du sommeil[85]. Il relève pour supporter son diagnostic, l’aspect très automatique du comportement de madame Brousseau, l’absence de dialogue entre madame et son mari, l’amnésie partielle des événements et le fait que pendant une telle période, madame ne ressent aucune douleur alors qu’elle se taillade le poignet gauche[86]. Il ajoute que pendant la jeunesse de madame, celle-ci remarque que son jeune frère, qui a à l’époque 6 ou 7 ans, souffre de somnambulisme pendant quelques semaines. Il s’agit, selon lui, d’un facteur génétique très important puisqu’il émane de la fratrie de madame.
[264] Selon Dr Stip, le fait que madame consomme du Biaxin® au même moment où surviennent ces événements, constitue une malheureuse cooccurrence entre la prise d’antibiotique et la pneumonie.
[265] Quant à monsieur M.A., Dr Stip relève un épisode d’épuisement professionnel antérieur en 1994. Par la suite, faute d’hydratation selon monsieur M.A., en 2012 il manifeste de nouveau des symptômes de dépression.
[266] Dr Stip précise que des épisodes antérieurs d’épuisement peuvent provoquer un dérèglement de l’humeur et que la personne qui est ainsi affectée est vulnérable pour des rechutes potentielles[87]
[267] Selon Dr Stip, monsieur M.A. subit une crise d’un caractère violent et soudain, ce qui n’exclut pas la possibilité d’une maladie affective de type bipolaire. C’est d’ailleurs le diagnostic qu’il retient.
[268] Quant à madame M.L.[88], Dr Stip note qu’elle prend à quelques reprises avant du Biaxin® sans avoir de problème. Il note aussi qu’elle consulte les urgences après avoir terminé la prise de Biaxin®. Pour lui, le processus de madame M.L. ne constitue qu’un seul épisode débutant en septembre 2005 pour se terminer le 13 janvier 2006. Il ajoute que la consommation de cannabis que madame aurait fait avant l’âge de 15 ans a des conséquences très graves sur le cerveau tout comme sa consommation d’alcool[89].
[269] Dans le cas de madame E.M.[90], Dr Stip note la présence d’une tante dépressive dans la famille de madame, ce qui peut augmenter ses risques dépressifs pour elle-même. Madame aurait aussi consommé de la drogue deux semaines avant la prise du Biaxin®. Selon lui, plusieurs facteurs militent pour exclure tout lien de causalité entre le Biaxin® et la psychose qu’elle fait.
[270] Pour monsieur M.P.[91], Dr Stip examine tout son dossier et conclut à une abondance de facteurs, dont la consommation de cannabis, qui peuvent causer les problèmes psychiatriques excluant une relation entre la consommation de Biaxin® et ceux-ci.
[271] Dr Stip considère qu’il ne peut accorder beaucoup de crédibilité aux diagnostics posés par les médecins traitants qui associent ces événements au Biaxin® car ceux-ci omettent généralement d’examiner la personne dans la perspective de sa globalité, c’est-à-dire en tenant compte de ses antécédents personnels antérieurs.
[272] Dr Stip précise que dans sa pratique personnelle, soit depuis 1986, il n’a jamais vu de patient dont les troubles neuropsychiatriques sont causés par la consommation de Biaxin®.
[273] Quant à l’utilisation de l’échelle de Naranjo, il mentionne connaître très bien cet outil et même l’enseigner. Il l’utilise à plusieurs reprises mais note qu’il peut produire des résultats trompeurs en raison de sa variabilité et de la place qu’elle donne à l’interprétation. Il ajoute que cette échelle comporte trop d’éléments subjectifs[92].
[274] Finalement, Dr Stip conclut qu’en raison de la très faible probabilité que la claritrhomycine puisse franchi la barrière hémato-encéphalique, celle-ci ne peut avoir causé les troubles neuropsychiatriques qui affectent les membres du groupe. Il ajoute que si l’on peut lui prouver scientifiquement que cette molécule peut franchir la barrière hémato-encéphalique, cela pourrait changer sa position quant au lien de causalité. En l’absence d’une telle démonstration, il maintient qu’elle ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique.
[275] Dr Stip insiste sur l’importance des méta-analyses qui portent chacune sur plusieurs milliers de patients[93].
[276] Il y a maintenant lieu de résumer le témoignage de Dr François Lamothe.
3.3D Docteur François Lamothe
[277] Dr Lamothe est médecin spécialisé en microbiologie et en infectiologie. Il est aussi professeur titulaire de ces spécialités à l’Université de Montréal.
[278] Dr Lamothe décrit l’importance de la présence des antibiotiques dans le traitement des maladies infectieuses et également leur volet préventif pour éviter la contagion dans certains cas.
[279] Dr Lamothe précise que la molécule du Biaxin®, soit la claritrhomycine, est une bactérie statique dont le but est d’éviter la propagation des bactéries dans le corps humain infecté. Il insiste sur l’importance d’avoir un traitement assez long avec ce médicament pour que tous les mécanismes de défense du corps s’en débarassent.
[280] Au cours de sa pratique, il n’a jamais vu de réaction neuropsychiatrique associée à la claritrhomycine. Il en a vu avec d’autres médicaments mais pas avec celui au cœur du litige. Il ajoute, en référant au rapport produit par Abbott à la demande l’IMB[94], que les statistiques exprimées dans ce rapport établissent que la claritrhomycine ne peut induire des troubles neuropsychiatriques.
[281] Quant au cas de madame Brousseau, Dr Lamothe est d’avis qu’il s’agit d’une cooccurrence entre sa maladie et la prise de Biaxin®[95].
[282] Dr Lamothe doit reconnaître que dans sa pratique, il n’a jamais vu un cas d’infection qui cause des problèmes neuropsychiatriques aussi importants que ceux qui affectent madame Brousseau[96].
[283] Il convient de résumer le témoignage de monsieur Frédéric Poitras.
3.3E Monsieur Frédéric Poitras
[284] Monsieur Poitras détient un baccalauréat en pharmacie et pratique depuis 2002. Il enseigne aussi à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval[97].
[285] Depuis 2013, il est membre du conseil d’administration de l’Ordre des pharmaciens du Québec. Il est aussi membre du comité d’inspection professionnel et du comité conjoint du Collège des médecins et de l’Ordre des pharmaciens du Québec. Il agit également comme pharmacien clinicien depuis 14 ans et ce, à raison de 25 à 35 heures par semaine.
[286] Monsieur Poitras explique que les conseils pharmaceutiques qu’il donne à ses clients constituent un élément essentiel de la pratique en pharmacie et ce, pour que le patient puisse bien utiliser le médicament prescrit et le prendre de façon sécuritaire[98]. À cet effet, il doit vérifier si le médicament prescrit est adéquat pour traiter la maladie, examiner le mode de prise du médicament avec ou sans nourriture par exemple, ainsi que l’interaction avec d’autres médicaments que prend le même patient. Il doit aussi vérifier les effets indésirables possibles ainsi que les solutions pour y pallier. Finalement, il doit évaluer le suivi du patient, soit répondre à ses questions, le conseiller sur le mode de conservation des médicaments ou sur les effets imprévus éventuels que le patient ressent.
[287] Monsieur Poitras précise que la remise d’une fiche d’information au patient n’est pas obligatoire selon le code de déontologie des pharmaciens. Il utilise, dans sa pratique, des fiches d’information provenant de «Med Expert», soit un système de vigilance santé[99].
[288] Au sujet de la claritrhomycine, la molécule du Biaxin®, monsieur Poitras précise que cela fait 20 ans qu’il en remet aux patients et qu’il n’a jamais, durant cette période, été informé que des patients subissent des troubles neuropsychiatriques en raison de sa consommation[100].
[289] En raison du mode de distribution du Biaxin®, soit que les comprimés lui soient livrés «en vrac» ou encore dans des paquets préemballés par le fabricant, les patients ont accès ou pas à la partie III de la monographie. Il ajoute que lorsque les comprimés lui sont livrés «en vrac», il n’y a pas de monographie qui est remise aux patients mais plutôt la fiche d’informations qui reproduit les effets secondaires majeurs[101].
[290] Selon lui, la majorité des patients à qui l’on remet la partie III de la monographie en raison du préemballage du Biaxin®, ne la lise pas. S’il fallait qu’il discute avec eux de problèmes neuropsychiatriques possibles, il considère qu’une certaine proportion de patients refuserait de prendre le médicament prescrit. Selon lui, il faut alors procéder à une évaluation du bénéfice du médicament pour traiter l’infection qui affecte le patient par rapport au risque de l’absence de traitement en raison de possibles troubles neuropsychiatriques. Quant à lui, il n’en parle pas.
[291] Monsieur Poitras fonde sa pratique selon les informations divulguées par Santé Canada en raison du processus de Pharmacovigilance auquel cet organisme procède et qui a pour effet de surveiller de près les compagnies pharmaceutiques.
[292] Avant de procéder à la détermination de la présence ou non d’un lien de causalité entre l’absorption de Biaxin® et les troubles d’ordre neuropsychiatrique ressentis par les membres du groupe, le Tribunal estime approprié de relater, à cette étape, le témoignage de Dr Robert F. Reder, chargé notamment au cours de sa carrière chez Abbott et dans une autre compagnie depuis, des rapports de sécurité post-marketing concernant le Biaxin®.
3.4 La preuve apportée par Docteur Robert F. Reder
[293] Dr Reder ne témoigne pas comme expert mais bien comme témoin de fait.
[294] Il est un médecin diplômé aux États-Unis depuis 1973. Il a une formation particulière cardiologie pédiatrique.
[295] Depuis les années 1980, il travaille dans le monde pharmaceutique et, plus particulièrement, depuis 2008 pour la compagnie Abbott.
[296] Lors de l’audience, Dr Reder explique toutes les phases de développement d’un médicament au sein de la compagnie Abbott ainsi que le processus d’approbation de Santé Canada.
[297] Il note que Santé Canada approuve Biaxin® pour la première fois en 1992[102]. Il précise également qu’à chaque fois que l’on veut modifier un médicament ou en étendre son application ou modifier sa monographie, une nouvelle approbation est requise de Santé Canada[103].
[298] Une monographie est révisée à plusieurs reprises[104].
[299] Pour la période de 1992 à 2011, un résumé des cas canadiens est présenté. Il concerne les effets psychiatriques subis en conjonction avec la prise du médicament Biaxin®. Pendant cette période, on recense 29 957 666 prescriptions pour ce médicament[105]. Seulement 8% des cas révéleraient la présence de psychose[106].
[300] Dr Reder précise que la présence d’un effet secondaire permet de suspecter une relation causale mais qu’elle ne constitue pas une preuve même du lien de causalité comme tel entre la prise du médicament et la réaction subie[107].
[301] Au cours de l’année 2006, l’Irlande, pays membre de la communauté européenne, reçoit de celle-ci la responsabilité de surveiller la sécurité du médicament Biaxin®. Dans les faits, c’est l’IMB qui exécute cette surveillance[108]. Les personnes concernées du IMB écrivent à Abbott concernant des cas de suicide potentiels causés par la consommation de Biaxin®, dans un premier temps. En fait, leur demande concerne le Klacid, soit le nom européen sous lequel Abbott commercialise le Biaxin® en Europe[109]. Puis, l’IMB demande des questions concernant la dépression et, à compter du mois de mai 2008, tout problème psychiatrique relié à la consommation de cette molécule.
[302] Au mois de décembre 2008, Abbott envoie le rapport complet à l’IMB[110]. Depuis, aucun autre renseignement n’est demandé par cet organisme à Abbott.
[303] Le document remis par Abbott à l’IMB constitue la méta-analyse de toutes les données scientifiques concernant le Biaxin® basée sur des études cliniques et postmarketing[111]. Il s’agit de celle à laquelle réfère Dr Levine. Celle-ci regroupe 126 études où 14 032 patients ont reçu le Biaxin® et 8 541 ont plutôt reçu un placebo[112]. Les effets secondaires considérés incluent la dépression ainsi que les troubles neuropsychiatriques[113].
[304] Il y a lieu de noter que dans cette méta-analyse, celle-ci examine toutes les causes de la maladie pour laquelle le Biaxin® est approuvé par les organismes gouvernementaux concernés, soit le Hpilory, les infections respiratoires et les cas de MAC qui concernent les patients atteints du sida ou HIV.
[305] Dans une telle analyse, les facteurs confondants permettent d’éliminer des cas. Il s’agit de facteurs qui, basés sur l’histoire médicale des patients, la médication consommée, la présence d’autres maladies, peuvent affecter un lien possible de causalité entre la prise du Biaxin® et la présence de troubles neuropsychiatriques[114].
[306] Une fois l’élimination des patients affectés par des facteurs confondants, Abbott procède à refaire l’évaluation des évaluations faites par les médecins traitants, lesquelles ne sont pas en soi concluantes.
[307] Comme Dr Reder l’explique, il s’agit d’une pièce du casse-tête. Il y a donc lieu de procéder de nouveau à cette évaluation et ce, en prenant en considération la preuve scientifique qu’ils détiennent.
[308] Selon Dr Reder, l’examen des différentes recherches et analyses faites en relation avec la consommation de claritrhomycine par rapport au nombre de prescriptions faites de ce médicament sur la période donnée, lui permet de conclure qu’un seul patient sur 5M éprouve des effets secondaires d’ordre psychiatrique en prenant du Biaxin®.
[309] Dans ces circonstances, Abbott conclut à l’absence de lien de causalité entre la prise de Biaxin® et les effets secondaires d’ordre neuropsychiatrique. Il ajoute que même si certains des problèmes sont soulignés dans l’encadré, cela ne constitue pas une reconnaissance de l’existence d’un lien de causalité entre l’effet secondaire décrit et la prise de Biaxin®[115].
[310] Pour Dr Reder, il appartient aux médecins de prendre la décision de prescrire ou non ce médicament à leurs patients. Quant aux éléments qui doivent être inclus ou non dans l’encadré contenu dans la partie I d’une monographie, cette décision appartient au jugement médical et scientifique des gens de Santé Canada et de ceux d’Abbott.
[311] Le Tribunal procède maintenant à déterminer si, selon les règles de la prépondérance de la preuve et à la lumière des principes pertinents, il y a ou non présence d’un lien de causalité entre la prise du médicament Biaxin® et les troubles d’ordre psychiatrique et/ou neuropsychiatrique dont témoignent les membres du groupe.
3.5 La détermination de l’existence ou non du lien de causalité
[312] D’entrée de jeu, le Tribunal tient à préciser qu’il ne saurait, pour quelque raison que ce soit, remettre en doute la bonne foi de chacun des membres du groupe qui témoigne lors de l’audience. Ces personnes sont sincères et franches. Elles relatent avec difficulté les effets psychiatriques négatifs qu’elles subissent. Le Tribunal tient d’ailleurs à les remercier pour être venues rendre témoignage lors des audiences.
[313] Par ailleurs, le Tribunal ne peut ignorer que tout médicament peut être bénéfique pour la vaste majorité des patients auxquels il est destiné. En même temps, il peut s’avérer inapproprié pour d’autres personnes qui font partie du même groupe.
[314] La franchise et la sincérité des membres du groupe ne peuvent toutefois, en soi, constituer une preuve prépondérante du lien de causalité entre la consommation du Biaxin® et les effets psychiatriques ressentis.
[315] Comme on le sait, ce lien de causalité doit être analysé à l’aulne des probabilités et non de simples possibilités.
[316] Là où le bât blesse pour les requérants est que la prépondérance de la preuve révèle, de l’avis du Tribunal, que leurs experts, madame Desharnais et Dr Bouchard, utilisent une méthode d’analyse non appropriée pour conclure à la présence d’un lien de causalité.
[317] En effet, l’abondante littérature scientifique déposée par les experts d’Abbott convainc le Tribunal que l’utilisation de l’algorithme de Naranjo conjuguée à l’analyse de la méthode de cas ne constitue pas la méthode appropriée en l’espèce pour établir un lien de causalité.
[318] Les experts d’Abbott convainquent le Tribunal que la fièvre dont souffrent les personnes qui sont infectées par une bactérie, comme les membres du groupe, peut certes amoindrir la protection de la barrière hémato-encéphalique du cerveau mais que la quantité de claritrhomycine qui pourrait alors s’y retrouver est une quantité infime. Elle ne peut provoquer les effets secondaires subis par les membres du groupe.
[319] Les explications de Dr Frédéric Calon et de Dr Michell Levine convainquent le Tribunal qu’en raison du mécanisme de la barrière hémato-encéphalique du cerveau et de la taille de la molécule de clarithromycine, les possibilités que cette molécule pénètre le cerveau et induise les effets secondaires décrits par les membres du groupe, sont infimes.
[320] Le Tribunal tient à mentionner qu’il accorde peu d’importance au témoignage de Dr Stip pour les raisons suivantes :
· il n’examine aucunement la trame commune des membres du groupe mais cherche plutôt à les dissocier;
· il attribue à chacune des personnes qui témoignent lors de l’audience un autre facteur qui puisse induire les troubles psychiatriques subis. De l’avis du Tribunal, ces facteurs sont peu crédibles;
· pour madame Brousseau, il pose un diagnostic de parasomnie en se basant sur le fait que génétiquement, dans la famille de madame Brousseau, son jeune frère en souffre pendant quelques semaines alors qu’il est âgé de 6 ou 7 ans sans en souffrir par la suite;
· pour monsieur M.A., ses épisodes antérieurs d’épuisement professionnel l’affaiblissent et le rendent plus vulnérable à des troubles psychiatriques;
· pour madame M.L., il attribue ses problèmes à une consommation de cannabis faite en jeune âge, d’une part et à sa consommation d’alcool, d’autre part. Or, certaines des déclarations apparaissant dans le dossier médical sont contredites de façon crédible lors de l’audience. De plus, il ajoute à madame M.L. un facteur génétique héréditaire, soit la présence d’une tante alcoolique sans pour autant savoir et sans que la preuve ne l’établisse d’ailleurs, si celle-ci est une tante en ligne directe du sang ou est plutôt une tante par alliance… Lors de l’audience, il doit reconnaître que si la tante concernée est une tante par alliance, ceci n’a aucune incidence pour madame M.L.;
· dans le cas de madame E.M. et de monsieur M.P., il attribue à la consommation de drogue récente, les troubles psychiatriques subis.
[321] De l’avis du Tribunal, cette façon de procéder n’est pas crédible. Elle se fonde sur des facteurs de division et non sur des facteurs pertinents pour chacune des personnes concernées.
[322] Le Tribunal accorde aussi peu d’importance au témoignage de Dr Robert Reder. Celui-ci œuvre pendant la plus grande partie de sa carrière pour des compagnies pharmaceutiques. Dès le départ, pour lui tout rapport de cas, bien qu’intégré initialement dans la base de données d’Abbott, est suspect. Après avoir enlevé les facteurs confondants qui peuvent affecter différents patients, Abbott procède à une nouvelle évaluation des rapports de cas en prenant en considération la preuve scientifique dont elle dispose.
[323] En d’autres termes, le témoignage de Dr Reder révèle que la méthode d’analyse d’Abbott est celle de la «dilution des plaintes signalées» par rapport au nombre de prescriptions faites et complétées en Amérique du Nord, en Europe et, de façon générale, dans le monde. Ceci ne saurait convaincre le Tribunal de l’absence de lien de causalité.
[324] Un dernier mot doit être dit quant au témoignage de madame Anne Tomalin, experte d’Abbott qui est spécialisée dans la soumission de documents requis par les organismes de régulation qui approuvent de nouveaux médicaments ou qui autorisent une modification à la monographie de produits déjà sur le marché[116].
[325] Son témoignage a essentiellement pour but de démontrer qu’Abbott agit conformément à toutes les règles et normes imposées par Santé Canada. Dans ces circonstances, une modification à la monographie d’Abbott pour inclure, dans l’encadré de celle-ci, la possibilité de troubles psychiatriques, n’est pas nécessaire. La monographie actuelle est conforme à la réalité selon elle[117].
[326] Le Tribunal n’accorde pas d’importance au témoignage de madame Tomalin car, en l’absence de preuve prépondérante établissant un lien de causalité entre la consommation de Biaxin® et les effets secondaires subis, cette preuve n’est plus pertinente.
[327] De l’analyse de la preuve, le Tribunal conclut que les requérants ne se déchargent pas de leur fardeau de preuve, selon les règles de la prépondérance de la preuve, en rendant plus probable les effets psychiatriques secondaires suite à la consommation de Biaxin®.
[328] Le Tribunal ne peut fonder sa décision sur des coïncidences qui constitueraient, tout au plus, de faibles possibilités de causalité par rapport à la prépondérance de la preuve qui établit, de façon très probable, l’absence d’un lien de causalité.
[329] Vu la conclusion à laquelle le Tribunal en arrive, il n’y a pas lieu de se prononcer sur le devoir d’information d’Abbott ni sur les critères pour l’attribution de dommages. Le deuxième alinéa de l’article 53 de la Loi sur la protection du consommateur requiert lui aussi un lien de causalité pour que le devoir d’information soit analysé. Or, en l’absence de tel lien de causalité, le Tribunal n’a pas à examiner cette situation.
[330] Une dernière question doit être déterminée, soit celle des frais de justice.
4.- Les frais de justice
[331] Comme on le sait, la règle veut que la partie qui succombe soit condamnée à payer les frais de justice de la partie adverse. Ceux-ci incluent notamment les frais d’experts[118].
[332] Le Tribunal possède cependant une discrétion en cette matière[119].
[333] Comme on peut s’en douter aisément, les moyens financiers des requérants sont infimes par rapport à ceux d’Abbott. Les condamner à payer les frais de justice d’Abbott leur causerait indéniablement un préjudice grave.
[334] Dans ces circonstances, le Tribunal conclut qu’il est approprié que chaque partie supporte ses propres frais de justice.
[335] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[336] REJETTE le présent recours;
[337] LE TOUT chaque partie payant ses frais de justice.
|
||
|
__________________________________ SUZANNE HARDY-LEMIEUX, J.C.S. |
|
|
||
|
||
Me David Bourgoin - casier 72 |
||
Me Alain Daigle - casier 204 |
||
Me Maxime Ouellette - casier 204 Procureurs des requérants |
||
|
||
Me Michel Gagné Me Emmanuelle Poupart Me Andrée-Anne Labbé Me Steeves Bujold McCarthy Tétrault 1000, rue de la Gauchetière Ouest, bureau 2500 Montréal, QC H3B 0AS2 Procureurs de l’intimée |
||
|
||
|
||
|
||
Date d'audience: |
14, 15, 16, 22, 23, 24, 29, 30 et 31 mars 2016 1er, 4, 5, 6, 7, 11, 12, 15, 18 et 21 avril 2016 |
|
TABLE DES MATIÈRES
Page
1.- La présence ou non d’un lien de droit entre
Abbott et madame F.Be. 3
2.- Les faits 5
2.1 Madame Angèle Brousseau 6
2.2- Madame M.L. 11
2.3 Madame E.M. 15
2.4 Monsieur M.A. 17
2.5 Monsieur M. P. 19
3.- La présence ou non d’un lien de causalité 22
3.1 Les principes pertinents 23
3.2 Les témoignages d’experts 28
3.2A Madame Karine Desharnais 28
3.2B Docteur Jacques Bouchard 32
3.3 Les experts de la défense 35
3.3A Docteur Frédéric Calon 35
3.3B Docteur Mitchell Levine 36
3.3C Docteur Emmanuel Stip 38
3.3D Docteur François Lamothe 41
3.3E Monsieur Frédéric Poitras 41
3.4 La preuve apportée par Docteur Robert F. Reder 43
3.5 La détermination de l’existence ou non du lien de causalité …...45
4.- Les frais de justice 48
[1] L.R.Q. c. P-40.1
[2] P-48
[3] D-36B, page 6
[4] Maintenant Institut Universitaire en santé mentale de Québec
[5] D-36D
[6] P-4, à titre d’exemple
[7] P-2; Voir aussi D-1
[8] P-2
[9] P-3 et P-1
[10] P-4
[11] P-4
[12] D-1A
[13] P-6
[14] D-1A, page 162
[15] D-65, page 8
[16] D-1B, page 6
[17] D-66, monographie du 15 février 2007, page 63
[18] D-44B
[19] D-44
[20] D-44A, pp. 131, 246, 273, 276, 278 et 282,
[21] D-44A, pages 273 et 282
[22] D-44A, pages 104-105
[23] D-69, monographie du Cipro
[24] D-48A
[25] D-48E, page 6
[26] D-48C, page 7
[27] D-35
[28] D-35H, boite qui contient le Biaxin® XL
[29] D-35, page 22
[30] D-35F, page du 10 mai 2006 où on parle de quelques cas répertoriés de problèmes causés par le Biaxin® et 1er juin 2006
[31] D-54A
[32] D-54A
[33] D-54B
[34] D-54F et D-54B
[35] D-54A et D-54B
[36] Bisaillon c. Université Concordia, [2006] 1 R.C.S. 666, aux par. 16 et 17
[37] Art. 2803 C.c.Q.; Voir à cet effet : Québec (Curateur public c. Syndicat national des employés de l’Hôpital Saint-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 33; Hotte c. Servier Canada Inc., 2002 CanLII 33243 (C.S.), par. 69
[38] [1995] 4 R.C.S. 634, pages 652 et 653
[39] L.R.Q. c. P-40.1
[40] [1991] 1 R.C.S. 541, pages 608 et 609
[41] Saint-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491, pages 528 et 529
[42] D-79. Au fil des ans, les informations contenues dans le CPS varient. De 2005 à 2007 : on décrit plutôt à la rubrique «Effets indésirables : Biaxin Bid» pour le système nerveux. À compter de 2008 jusqu’en 2011, l’encadré «Mise en garde et précautions» y apparaît (D-79). On y retrouve aussi des tableaux qui réfèrent aux troubles psychiatriques.
[43] Lebrassard c. Hoffmann-La Roche Ltée., 2013 QCCS 3024, aux par. 27 et 28; Voir au même effet : Lacasse c. Lefrançois, 2007 QCCA 1015, à la page 13; J.G. c. Taguchi, 2008 QCCS 417, par. 75
[44] 2007 QCCA 1015
[45] 2008 QCCA 797
[46] [1991] 1 R.C.S. 541
[47] Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541, aux pages 608 et 609
[48] P-47, page 10
[49] P-47, page 3
[50] P-12
[51] P-12A
[52] P-12, pages 64 et suivantes
[53] P-12, pages 147 et suivantes
[54] P-12, partie I, pages 12 et 15
[55] P-12, pages 30 et 31
[56] P-12, page 149
[57] P-12A
[58] P-47B et P-47
[59] P-12 et P-12A
[60] D-65
[61] D-65, page 8
[62] D-66, partie I, pages 6 et 9
[63] D-67, page 5
[64] P-7
[65] P-7C pour Dr Bouchard et D-60 pour Dr Stip
[66] P-7D, P-7B et P-47B
[67] P-7D, P-7B et P-47B
[68] P-7D
[69] P-47 et P-7
[70] D-58B, figure 1
[71] D-58C
[72] D-63
[73] P-35
[74] P-35, page 15.4.1
[75] P-35, page 27, tableau 15
[76] D-76, pages 1160, 1163 et 1164
[77] P-10
[78] P-16 et P-35, pages 315 et 317
[79] P-18 et D-76
[80] P-35, tableau 15
[81] D-60B, pages 667 et 669
[82] D-60C, pages 196 et 197
[83] D-60, page 7 et P-35
[84] D-60F
[85] D-60, page 13
[86] D-60, page 13 et D-60F, pages 469 à 473
[87] D-60D, pages 4 à 17
[88] D-60, pages 27 à 38
[89] D-60D, page 38
[90] D-60D, pages 39 à 43 et D-48 et D-49
[91] D-60D, pages 44 à 50 et D-54 et D-55
[92] P-18, page 240, D-60, pages 23 et 24 et D-60E, page 64
[93] D-60B et D-60C
[94] P-35, notamment page 27 et au tableau 15
[95] D-57, page 13
[96] D-57, pages 14 et 17
[97] D-62A
[98] D-62, pages 9 et 10
[99] D-62B
[100] D-62, pages 19 et suivantes
[101] D-62, pages 18 et 19 et D-62B, page 2
[102] D-2
[103] D-3, D-4 et D-5
[104] D-2, D-3, D-4, D-5, D-16 et D-79
[105] D-26
[106] D-25
[107] D-9, page 3, question 1.4
[108] P-30, IMB : Irish Medicines Board
[109] P-30, page 7 et D-63, pages 12 à 15
[110] P-34 et P-35
[111] P-35, page 15
[112] P-35, page 15
[113] P-35, page 25, tableau 15
[114] P-35, page 47, tableau 41
[115] D-8, page 12
[116] D-56
[117] D-56, pages 18 à 20
[118] Arts 339 et 340 C.p.c.
[119] Art. 341 C.p.c.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.