Touchette et Airboss Produits d'Ingénierie inc. |
2007 QCCLP 6828 |
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[1] Le 23 janvier 2007, madame Mélanie Touchette (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 9 janvier 2007 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, entre autres, la CSST confirme la validité de la base salariale qu’elle a utilisée pour le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu (IRR) et déclare qu’il n’y a pas lieu de la modifier.
[3] À l’audience tenue le 28 août 2007, la travailleuse est présente, accompagnée de son représentant. Par lettre datée du 28 août 2007, le représentant de l’employeur a avisé le tribunal de son absence.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande l’application de l’article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis de rejeter la contestation de la travailleuse. Ils considèrent qu’il n’y a pas lieu de réviser la base de calcul de l’IRR, en application des dispositions de l’article 76 de la loi, puisque les circonstances qu’elle invoque ne lui sont pas « particulières », ne lui sont pas personnelles.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a droit à une révision de la base salariale ayant servi au calcul de son indemnité de remplacement du revenu, et ce, en fonction de l’article 76 de la loi, lequel se lit comme suit :
76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.
Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.
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1985, c. 6, a. 76.
[7] La travailleuse fonde sa demande sur le fait que le jour de son accident du travail, elle était rémunérée à la pièce pour 95 paires de chaussures par jour et que, deux jours plus tard, le quota a augmenté à 110 paires de chaussures par jour, ce qui, par le fait même, a augmenté la rémunération des travailleurs. La travailleuse estime que, n’eût été de son accident du travail, elle aurait bénéficié de ce gain salarial, tout comme ses collègues. C’est pourquoi elle demande une révision sur la base de l’article 76 de la loi.
[8] D’abord, la Commission des lésions professionnelles établit que la demande de la travailleuse respecte le délai prévu à l’article 76.
[9] En effet, tout comme dans l’affaire Akkari et Les Entreprises Deland 2000 inc.[2], la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la demande de révision de la base salariale prévue à l’article 76 n’est soumise à aucun délai particulier, si ce n’est qu’elle doit être présentée de façon diligente, et ce, dès qu’elle remplit les conditions d’application de cet article.
[10] En l’espèce, la travailleuse a fait diligence en soumettant sa demande, le 14 novembre 2006.
[11] Toutefois, pour bénéficier des dispositions de cet article, la travailleuse doit démontrer deux conditions, soit qu’elle est incapable, depuis plus de deux ans, d’exercer son emploi et que, n’eût été de circonstances particulières, elle aurait occupé, au moment de la lésion professionnelle, un emploi plus rémunérateur[3].
[12] Ici, il ne fait nul doute que la première condition est satisfaite, considérant que la lésion professionnelle est survenue le 2 novembre 2004 et qu’en date du 3 novembre 2006, soit après deux ans, la travailleuse demeure toujours incapable d’exercer son emploi.
[13] Subsiste la deuxième exigence, soit la présence de circonstances particulières.
[14] Afin de bénéficier de l’application de l’article 76 de la loi, la travailleuse doit alors démontrer, que n’eut été de circonstances particulières, elle aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur.
[15] Dans l’affaire Léonard et Vitrerie Bellefeuille enr.[4], les commentaires du commissaire Daniel résume bien la position du tribunal sur cette question :
[160] Une brève revue de la jurisprudence permet de dégager que la Commission des lésions professionnelles a appliqué les dispositions de l’article 76 lorsque la preuve démontre que le travailleur aurait pu occuper un autre emploi plus rémunérateur au moment de la survenance de la lésion professionnelle et que cette condition prévalait à ce moment précis.
[161] Dans le cas d’un travailleur occupant le même emploi, la Commission des lésions professionnelles a appliqué les dispositions de cet article 76 pour une travailleuse qui occupait un emploi de serveuse trois jours/semaine pour un motif personnel qui, au moment de la survenance de la lésion professionnelle, n’avait plus cours alors qu’elle devait à ce moment occupé son emploi cinq jours/semaine. Dans cette circonstance, il a été décidé que l’emploi occupé cinq jours/semaine est plus rémunérateur que celui de trois jours/semaine . Il en a été décidé de même pour une travailleuse qui aurait pu obtenir un emploi à temps complet chez son employeur n’eût été de son arrêt de travail pour maladie professionnelle , bien que dans une requête en révision pour cause, la Commission des lésions professionnelles a repris le principe que l’expression « circonstances particulières » mentionnée à l’article 76 de la loi ne vise pas la situation où l’incapacité d’un travailleur privé d’un revenu plus rémunérateur découle de la lésion professionnelle elle-même.
[162] Dans toutes autres circonstances, la Commission des lésions professionnelles a conclu que les dispositions de l’article 76 de la loi ne s’appliquaient pas puisqu’il n’était pas démontré la présence de circonstances particulières autre que la survenance de la lésion professionnelle. Ainsi, la progression salariale en emploi , la possibilité d’occuper un poste permanent , l’application des dispositions d’une convention collective majorant les salaires , un emploi qui devient avec le cours du temps plus rémunérateur , un emploi disponible à la fin d’une formation en cours , le choix personnel du travailleur d’occuper le même emploi alors qu’un autre emploi plus rémunérateur était disponible , une nomination à un emploi plus rémunérateur , la simple possibilité d’avoir pu occuper un autre emploi ne constitue pas des circonstances particulières justifiant de modifier la base salariale, la justification de cette conclusion découlant du fait que seule la survenance de la lésion professionnelle avait empêché le travailleur de bénéficier d’une majoration de sa base salariale.
[16] En l’espèce, la preuve démontre-t-elle la présence de circonstances particulières?
[17] À la lumière de la jurisprudence de notre tribunal, il y a lieu de conclure qu’il y a absence de circonstances particulières.
[18] En effet, le tribunal est d’avis que la travailleuse n’a pas fait la démonstration qu’elle aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur, lorsque s’est manifestée la lésion professionnelle, n’eut été de circonstances particulières, autres que l’accident du travail.
[19] Dans une situation semblable[5], un travailleur a aussi fait valoir que d’autres travailleurs qui sont demeurés à l’emploi de son employeur ont gagné un revenu annuel supérieur à celui qui a été retenu par la CSST. Il a alors été décidé qu’en ce faisant, le travailleur avait simplement démontré la progression salariale qu’il aurait pu connaître s’il avait poursuivi l’exercice de son emploi et que l’article 76 n’avait pas pour but de pallier les conséquences d’une lésion professionnelle.
[20] L’article 76 vise plutôt à protéger la capacité de gain sur laquelle le travailleur pouvait concrètement compter au moment de la survenance, compte tenu d’un emploi plus rémunérateur qu’il aurait pu occuper et dont il a été privé en raison de circonstances particulières hors de son contrôle.
[21] Dans une autre affaire[6], il a été décidé que les circonstances invoquées doivent être « particulières » au travailleur concerné, en ce qu’elles doivent lui être personnelles. Si alors un travailleur se plaint de dispositions d’une nouvelle convention collective qui sont applicables à un ensemble de salariés, et non pas à lui seul, il ne s’agissait pas là de circonstances particulières au sens de l’article 76, faisant en sorte qu’il ne pouvait s’appliquer. Il s’agit de la situation de la travailleuse puisqu’elle demande l’application d’une augmentation de salaire applicable à tous les employés et non à elle seule.
[22] Pour toutes ces raisons, le tribunal conclut que l’article 76 de la loi ne trouve pas application et il n’y a pas lieu de retenir un salaire brut plus élevé que celui retenu par la CSST aux fins du calcul de l’IRR.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la travailleuse, madame Mélanie Touchette;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 janvier 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il n’y a pas lieu de modifier la base salariale retenue pour le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu.
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Nicole Blanchard |
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Commissaire |
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Monsieur Jacques Fleurent |
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R.A.T.T.A.C.Q. |
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Représentant de la partie requérante |
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Jean-Frédéric Bleau, avocat |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] 156435-62-0103, 18 juin 2001, S. Mathieu
[3] Boudreault et Établissements de détention du Québec, 152376-02-0012, 8 mai 2001, C. Bérubé ; Akkari et Les Entreprises Deland 2000 inc., 156435-62-0103, 18 juin 2001, S. Mathieu ; Bériault et Transport Jean-Louis Allaire et Fils inc., 144182-08-0008, 17 janvier 2002, Monique Lamarre.
[4] 255544-64-0502, 13 octobre 2006, R. Daniel
[5] Létourneau et Automobile Transport inc., 126297-61-9911, 26 février 2001, G. Morin; Racine et Les Couvertures Confort 2000 enr., 153826-64-0101, 15 juin 2001, R. Daniel
[6] Roy et Molson Canada, 164091-64-0101, 7 février 2006, J. F. Martel
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