Hydro-Technologies Canada inc. et Noël

2012 QCCLP 5979

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

19 septembre 2012

 

Région :

Québec

 

Dossier :

468299-31-1204

 

Dossier CSST :

138975453

 

Commissaire :

Jean-Luc Rivard, juge administratif

 

Membres :

Claude Jacques, associations d’employeurs

 

Nicole Deschênes, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Hydro-Technologies Canada inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Steven Noël

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 13 avril 2012, Hydro-Technologies Canada inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 mars 2012 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST infirme la décision rendue le 7 février 2012 et déclare qu’il n’y a pas lieu de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu à monsieur Steven Noël (le travailleur) à compter du 6 février 2012. Cette décision fut émise dans le contexte de l’application de l’article 142.2.e de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           À l’audience tenue à Québec le 18 septembre 2012, l’employeur était présent et représenté par monsieur Simon Dumas, le travailleur était également présent.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande de déclarer que les conclusions de la révision administrative étaient erronées lorsqu’elle décidait que l’assignation temporaire consignée sur le formulaire du 19 janvier 2012 n’était pas conforme à la loi en raison de l’absence de description de tâches. L’employeur demande de déclarer que cette assignation temporaire était valable conformément aux prescriptions de l’article 179 de la loi.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations d'employeurs et la membre issue des associations syndicales sont tous deux d’avis que l’assignation temporaire effectuée le 19 janvier 2012 était conforme aux dispositions de l’article 179 de la loi. Au-delà du formalisme de la CSST, il y a lieu de considérer que l’assignation temporaire du 19 janvier 2012 reprenait, dans l’intégralité, la description des tâches qui figurait déjà dans le formulaire détaillé du 30 novembre 2011.

[6]           D’ailleurs, les membres constatent que le médecin du travailleur, soit le docteur Guy Côté, a produit au tribunal une lettre datée du 5 avril 2012 qui confirme sa compréhension à l’effet que les tâches auxquelles on faisait allusion dans l’assignation du 19 janvier 2012 référaient clairement à celles déjà détaillées dans le formulaire du 30 novembre 2011. Dans ce contexte, la CSST avait la possibilité d’utiliser son pouvoir de réduire ou de suspendre le paiement d’une indemnité en vertu de l’article 142.2.e de la loi.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le tribunal doit décider du bien-fondé de la décision de la révision administrative du 27 mars 2012 qui se prononce sur l’application ou non de l’article 142.2.e de la loi qui se lit comme suit :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

[nos soulignements]

 

 

[8]           Le tribunal souligne que cet article 142 permet à la CSST de suspendre ou de réduire le paiement d’une indemnité si le travailleur, sans raison valable, omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu’il est tenu de faire conformément à l’article 179 de la loi.

[9]           L’article 179 de la loi se lit comme suit :

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

[nos soulignements]

 

 

[10]        Le tribunal rappelle au chapitre des faits que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 30 novembre 2011. La même journée, son médecin traitant, le docteur Guy Côté, autorise sur un formulaire d’assignation temporaire, que ce dernier a effectué des tâches très bien décrites dans un document remis par l’employeur.

[11]        Par la suite, le 19 janvier 2012, le docteur Côté qui a charge du travailleur autorise à nouveau une nouvelle assignation temporaire suite à la demande de l’employeur de la renouveler.

[12]        La CSST, dans le cadre de sa décision rendue en révision administrative, énonce que cette assignation temporaire du 19 janvier 2012 n’est pas conforme à la loi puisque celle-ci ne comporte aucune description de tâches. Le tribunal est d’avis qu’il s’agit là d’une conclusion erronée qui s’appuie sur un formalisme qui n’a pas sa place.

[13]        Le tribunal rappelle que le formalisme dans la rédaction des formulaires d’assignation temporaire n’est pas une difficulté insurmontable dans la mesure où tous les intervenants, soient le médecin, le travailleur et son employeur ont bien compris la nature des tâches assignées et le fait que le médecin ait, en toute connaissance de cause, répondu valablement et positivement aux trois questions posées par l’article 179 de la loi. D’ailleurs, le soussigné rappelait l’importance de ne pas insister sur le formalisme dans l’affaire C.S.S.S. Québec-Nord et C.S.S.T[2] :

[18]      Le tribunal est d’avis que l’absence de formulaire officiel d’assignation temporaire n’est pas un obstacle, dans le présent dossier, à l’application de l’article 326 de la loi.

 

[19]      La jurisprudence de la Commission est à l’effet que cette lacune (absence de document officiel d’assignation temporaire) ne peut faire en sorte de priver un employeur de l’application de l’article 326 la loi.

 

[20]      Une décision de la juge administrative Ann Quigley2 énonce ce qui suit:

 

« […]

 

[21] En l’espèce, le tribunal constate que ledit formulaire n’a pas été complété par le docteur Gourdeau au moment où il a autorisé un retour au travail dans des travaux légers de type clérical. La CSST, dans le cadre de la décision rendue à la suite de la révision administrative, a considéré que les tâches allégées autorisées par le docteur Gourdeau ne constituaient pas une assignation temporaire conforme à la loi puisque le médecin n’avait pas complété un formulaire prescrit par la CSST.

 

[22] Est-ce que l’omission de compléter le formulaire d’assignation temporaire conçu par la CSST a pour effet d’invalider une assignation temporaire ?

 

[23] Le tribunal ne le croit pas pour les motifs ci-après exposés.

 

[24] En effet, le tribunal partage la position reprise dans plusieurs décisions du présent tribunal selon laquelle la procédure d’assignation temporaire, pour être valide, n’exige pas un tel niveau de formalisme.

 

[…]

 

[28] Le tribunal poursuit en réitérant un principe fondamental d’interprétation des lois comme suit :

 

« […]

 

[60] Le tribunal ne peut non plus avoir une interprétation de la loi d’une rigidité telle que l’on ne doive plus que se plier à sa lettre et non à son esprit et se plier à la lettre des formulaires et non à l’avis y clairement exprimé. En l’occurrence, il apparaît plus que probable que le médecin du travailleur ait approuvé les assignations proposées et jugé qu’elles respectaient les critères de l’article 179 de la loi, et ce, même s’il n’a pas coché les réponses à ces questions spécifiques.

 

[…] »

 

[29] La soussignée partage l’interprétation de l’article 179 de la loi proposée par ces décisions.

 

[30] En appliquant les principes établis par la jurisprudence citée, le tribunal doit s’assurer que le médecin qui autorise des travaux légers respecte les trois conditions d’application de l’article 179.

 

[31] En l’espèce, le tribunal est d’avis que le docteur Gourdeau, lorsqu’il a autorisé un retour au travail dans des travaux légers de type clérical, était convaincu que le travailleur était raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail sans quoi il n’aurait pas fait cette recommandation. Ce faisant, il était évidemment d’accord avec le fait que le travail ne comportait pas de dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique du travailleur sans quoi il n’aurait pas, de sa propre initiative, proposé de tels travaux.

 

[32] Quant au fait que cette assignation était favorable à la réadaptation, rien dans la preuve offerte ne permet d’en douter. D’autant plus que le docteur Davidson, qui est le premier médecin à poser le diagnostic de fracture, autorise tout de même des travaux légers malgré le constat médical qu’il fait.

 

[33] Dans ces circonstanes, le tribunal est d’avis que les tâches allégées autorisées par le docteur Gourdeau à compter du 26 mai 2008 constituent une assignation temporaire de travail valide au sens de l’article 179 de la loi.

 

[…] »

 

(nos soulignements)

 

[21]      Une autre décision du juge Prégent3 est au même effet :

 

« […]

 

[51] Il n’est pas contredit que le docteur R. Adam, considéré comme médecin qui a charge du travailleur, autorise une assignation à des travaux légers le 1er octobre 2004. Au moment de compléter le questionnaire, il ne coche pas les trois cases du formulaire de la CSST afin de préciser que le travailleur est raisonnablement en mesure d’effectuer le travail proposé, que ce travail est sans danger pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique compte tenu de sa lésion et que ce travail est favorable à sa réadaptation. En aucun moment, le docteur Adam ne s’exprime de façon explicite sur ces trois aspects.

 

[52] Malgré cette lacune, la Commission des lésions professionnelles considère que l’esprit de la loi est rencontré. Le docteur Adam connaît bien la condition physique du travailleur au 1er octobre 2004 et les tâches assignées ne nécessitent pas une description exhaustive. Son consentement ne fait aucun doute.

 

[53] La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il faut éviter le formalisme rigoureux dans une telle situation et favoriser davantage la reprise d’activités professionnelles allégées en attendant le retour à la santé. Des décisions en ce sens ont déjà été rendues par le tribunal.

 

[54] Dans Ville de Laval et Lalonde, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) conclut que l’esprit de la loi est rencontré même si le médecin, qui a charge du travailleur, ne se prononce pas spécifiquement sur les trois éléments mentionnés à l’article 179 de la loi. Elle considère qu’il faut favoriser l’utilisation de la loi et éviter de paralyser son application par un formalisme rigoureux.

 

[55] Dans Manning et Premier Horticulture ltée, la Commission des lésions professionnelles considère que l’interprétation de la loi ne doit pas être rigide au point que l’on doive se plier à sa lettre et non à son esprit, à la lettre des formulaires et non à l’avis qui y est clairement exprimé.

 

[56] Dans Bastar inc. et Lapierre, la Commission des lésions professionnelles considère que le médecin qui a charge approuve l’assignation temporaire proposée par l’employeur même s’il ne coche pas les cases reliées aux critères énumérés à l’article 179 de la loi. Elle retient surtout qu’il ne faut pas imposer au médecin un formalisme sévère alors qu’il connaît les composantes du travail assigné et que son consentement ne fait aucun doute.

 

[…] »

 

(nos soulignements)

 

[22]      Une autre décision, plus récente encore, C.H.U.Q. (pavillon Hôtel-Dieu)4 de la juge Monique Lamarre conclut aussi en ce sens dans le cadre de l’application de l’article 326 :

 

« […]

 

[24] Or, sur cette question, la jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises que le fait, pour un employeur de ne pouvoir assigner temporairement un travailleur à cause d’une maladie personnelle intercurrente, donne droit à un transfert d’imputation au motif qu’il est obéré injustement2.

 

[25] Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve prépondérante que la travailleuse est en arrêt de travail complet du 17 octobre 2005 jusqu’au 26 février 2006. À partir du 27 février 2006, la travailleuse est assignée à des travaux légers. La CSST retient que la travailleuse n’est pas alors en assignation temporaire puisqu’il n’y a aucune preuve d’assignation temporaire et qu’en outre, aucun formulaire n’a été rempli à cet égard.

 

[26] L’article 179 de la loi prévoit ce qui suit concernant l’assignation temporaire  :

 

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

[27] Or, tel que le soumet l’employeur, dans le passé, la Commission des lésions professionnelles a déjà décidé que même en l’absence de ce formulaire, une assignation temporaire peut être considérée comme valide si la preuve démontre, par ailleurs, que le médecin traitant était convaincu que la travailleuse était raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail et que de ce fait, il répondait aux différentes conditions prévues à l’article 179 de la loi. En outre, dans l’affaire Transylve inc. et Lavictoire3, la Commission des lésions professionnelles était appelée à se prononcer sur la validité d’une assignation temporaire en l’absence du formulaire prévu à cet effet. Voici comment s’exprime la commissaire :

 

« […]

 

[22]         Est-ce que l’omission de compléter le formulaire d’assignation temporaire conçu par la CSST a pour effet d’invalider une assignation temporaire?

[23]         Le tribunal ne le croit pas pour les motifs ci-après exposés.

 

[24]         En effet, le tribunal partage la position reprise dans plusieurs décisions du présent tribunal selon laquelle la procédure d’assignation temporaire, pour être valide, n’exige pas un tel niveau de formalisme.

 

[25]         Dans l’affaire Brisebois et Volailles Grenville inc.3, la Commission des lésions professionnelles a eu à se prononcer sur la validité d’une assignation temporaire, tout comme dans le présent dossier. Bien que la travailleuse était informée du consentement du médecin traitant à l’assignation temporaire que proposait l’employeur, elle refusait de s’y conformer tant que le formulaire signé par son médecin ne serait pas déposé chez l’employeur pour qu’elle puisse le voir de ses propres yeux.

 

[26]         Le tribunal s’exprime ainsi sur le niveau de formalisme requis pour conclure à la validité d’une assignation temporaire :

 

« […]

 

[39] L’article précité ne soumet l’expression de la volonté de l’employeur d’assigner le travailleur à un travail déterminé et celle du consentement du médecin qui en a charge à aucun formalisme particulier, en termes de libellé, de document écrit ou de formulaire prescrit3. L’important c’est que les composantes pertinentes du travail assigné (en regard des trois critères énumérés au premier alinéa de l’article 179) soient connues et que l’accord du médecin traitant ne fasse pas de doute. Exiger en cette matière un formalisme à outrance, comme le voudrait la travailleuse, aurait pour conséquence d’entraver indûment l’application concrète et pratique de la loi4.

 

 

[40] Rien dans la preuve administrée ne démontrant en quoi l’assignation temporaire à du travail de bureau faite le 23 mai 2000 ne respectait pas les exigences de fond de la loi, le tribunal ne peut conclure que la travailleuse avait un motif raisonnable de refuser ou d’omettre de s’en acquitter dès à compter du lendemain. La CSST était donc justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu payable à la travailleuse à compter du 24 mai 2000. En conséquence, la contestation doit être rejetée à cet égard.

 

[…] »

 

(nos soulignements)

_________

3                      Bourassa et Hydro-Québec, 111311-04-9903, 00-09-22, M. Carignan

4                      Ville de Laval et Lalonde, 22936-61-9011, 91-06-20, J.-M. Duranceau, (J3-13-18).

 

 

[27]         De même, dans l’affaire Manning et Premier horticulture ltée4, une cause comportant des faits similaires au présent dossier, la Commission des lésions professionnelles s’est prononcée comme suit :

 

[52] En outre, il est généralement reconnu qu’un employeur doit préciser au médecin le travail spécifique qu’il entend assigner au travailleur, afin que le médecin puisse se prononcer à savoir si ce travail rencontre les critères énoncés à l’article 179 de la loi5. Par contre, on n’exige pas toujours que l’avis du médecin soit consigné sur le formulaire administratif prévu par la CSST, ni qu’il soit écrit, ni même qu’il comporte une réponse spécifique à chacune des trois questions reliées aux critères de l’article 1796.

_________

5                     Société canadienne des postes et Thibault, [1987] C.A.L.P. 377 ;  Mueller Canada inc. et Lavoie, [1987] C.A.L.P. 506Jonquière et Corneau, [1989] C.A.L.P. 14Bourgault et Marcel Lauzon inc. [1992] C.A.L.P. 188Bombardier inc. et Côté, C.A.L.P. 35904-60-9201, 17 novembre 1993, M. Lamarre; J.M. Asbestos inc. et Marcoux, C.A.L.P. 72559-05-9508, 26 juillet 1996, C. Demers;  Métallurgie Brasco inc. et Jomphe, C.L.P. 114861-01B-9904, 16 juin 2000, C. Bérubé;  Permafil ltée et Fournier, C.L.P. 148090-03B-0010, 28 février 2001, M. Cusson.

6                     Ville de Laval et Lalonde, C.A.L.P. 22936-61-9011, 20 juin 1991, M. Duranceau; Bourassa et Hydro-Québec, C.L.P. 111311-04-9903, 22 septembre 2000, M. Carignan.

 

 

[28]         Le tribunal poursuit en réitérant un principe fondamental d’interprétation des lois comme suit :

 

« […]

 

[60] Le tribunal ne peut non plus avoir une interprétation de la loi d’une rigidité telle que l’on ne doive plus que se plier à sa lettre et non à son esprit et se plier à la lettre des formulaires et non à l’avis y clairement exprimé. En l’occurrence, il apparaît plus que probable que le médecin du travailleur ait approuvé les assignations proposées et jugé qu’elles respectaient les critères de l’article 179 de la loi, et ce, même s’il n’a pas coché les réponses à ces questions spécifiques.

 

[…] »

 

(Notre soulignement)

 

 

[29]         La soussignée partage l’interprétation de l’article 179 de la loi proposée par ces décisions.

 

[30]         En appliquant les principes établis par la jurisprudence citée, le tribunal doit s’assurer que le médecin qui autorise des travaux légers respecte les trois conditions d’application de l’article 179.

_____________

3              C.L.P. 157910, 29 novembre 2002, J-F Martel.

4              C.L.P. 181536-09-0203, 10 mars 2003, L. Desbois. Voir au même effet : Bestar inc. et Lapierre, C.L.P. 200160-03B-0302, 30 mai 2003, R. Savard, Pointe-Nor inc. et Drolet, C.L.P. 252054-08-0501, 06 mai 2005, P. Prégent.

 

 

[28] Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve que, malgré l’absence du formulaire à cet effet, la travailleuse a dûment été assignée temporairement à des travaux légers conformément à l’article 179 de la loi.

 

[29] En effet, il ressort clairement des rapports médicaux et des notes évolutives de la CSST, que la travailleuse a été assignée à des travaux légers à compter du 27 février 2006. De plus, à l’audience, l’employeur dépose un formulaire d’assignation temporaire, signé après coup par le docteur du Tremblay, qui confirme que lorsqu’il a autorisé des travaux légers à compter du 27 février 2006, ce médecin était convaincu que la travailleuse était raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail. De ce fait, le tribunal estime que le médecin considérait que le travail ne comportait pas de danger pour la santé et la sécurité de la travailleuse et qu’il était utile à sa réadaptation, sinon il n’aurait pas recommandé la reprise des travaux légers.

[30] Par ailleurs, il ressort des notes évolutives que, le 17 mai 2006, l’employeur informe la CSST que, depuis le 11 mai 2006, la travailleuse a été mise en arrêt de travail pour une maladie intercurrente d’anxiété situationnelle à la suite d’un deuil. La CSST a donc repris le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Par conséquent, la preuve démontre que, à partir de cette date jusqu’au 20 juin 2006 , la travailleuse a reçu de l’indemnité de remplacement du revenu alors qu’elle n’était pas disponible pour son assignation temporaire pour une raison autre que sa lésion professionnelle.

 

[31] Entre le 21 juin et le 16 juillet 2006, la travailleuse est en arrêt de travail à la suite de l’exérèse de plaque et vis. Durant cette période, la travailleuse reçoit donc de l’indemnité de remplacement du revenu en raison de sa lésion professionnelle.

 

[32] Puis, la preuve démontre que, à partir du 17 juillet 2006, le docteur du Tremblay autorise un retour au travail qui est vraisemblablement du travail léger puisque la lésion n’est toujours pas consolidée. Cependant, la travailleuse est toujours en arrêt de travail pour sa condition personnelle et elle ne reprendra le travail que le 18 septembre 2006. Ainsi, la preuve prépondérante démontre que, entre le 17 juillet et le 18 septembre 2006, la travailleuse reçoit de l’indemnité de remplacement du revenu et elle n’est pas disponible pour de l’assignation temporaire étant donné une condition autre que sa lésion professionnelle.

 

[33] La Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur a démontré avoir été obéré injustement au regard de l’indemnité de remplacement du revenu versée durant ces deux périodes puisque la travailleuse n’était pas disponible pour de l’assignation temporaire en raison d’une maladie intercurrente.

_____________

2                     Voir notamment : CSSS de la Côte de Gaspé, 316188-01B-0704, 30 août 2007, J.-F. Clément; Hôpital Laval et CSST, 76351-03-9601, 10 octobre 1997, B. Roy; Collège Notre-Dame de l’assomption, 126608-04B-9911, 24 mai 2000, A. Gauthier; Ballin inc., 176607-62B-0201, 11 octobre 2002, Y. Ostiguy; Industries Maibec inc., 257704-03B-0503, 6 janvier 2006, M. Cusson; Provigo Distributions, 156025-63-0102, 25 février 2002, J.-M. Charrette; Isolation Algon 2000 inc., 248669-71-0411, 7 juin 2005, C. Racine.

3              C.L.P. 357176-04B-0808, 11 décembre 2008, A. Quigley.

 

( nos soulignements)

 

[23]      Le tribunal conclut que l’absence du formulaire d’assignation temporaire officiel de la CSST ne peut être considéré comme une fin de non recevoir à la présente demande de partage de coûts.

 

[24]      Le tribunal est d’avis que le médecin de la travailleuse, en utilisant l’expression « travaux légers », voulait clairement permettre à la travailleuse de poursuivre un certain travail pour son employeur, malgré la survenance de sa lésion professionnelle. Manifestement, cet objectif rencontre l’intention du législateur derrière l’article 179 de la loi. Le but de cet article est de permettre l’assignation, de façon temporaire, d’un travailleur ou d’une travailleuse à un nouveau poste de travail, en attendant qu’il redevienne capable d’exercer son emploi habituel ou éventuellement, un emploi convenable.

 

[25]      Par ailleurs, l’employeur permet ainsi de mitiger ses coûts auprès de la CSST puisqu’aucune indemnité de remplacement du revenu n’est versée durant cette période, la travailleuse recevant son salaire habituel.

 

[26]      Dans le présent dossier, c’est précisément ce qui s’est produit. La travailleuse a bénéficié d’un travail adapté à sa condition suite à sa lésion professionnelle et l'a occupé, dans les faits, pendant une certaine période, pour ensuite être interrompue en raison d’une maladie personnelle. À la fin de cette période de convalescence en raison d’une maladie personnelle, la travailleuse poursuit alors les travaux légers.

 

[27]      Le tribunal est d’avis qu’on ne peut se formaliser de l’utilisation, par un médecin, de l’expression « travail léger » qui, dans le langage courant, peut correspondre, dans les faits, à la notion d’assignation temporaire. La communauté médicale et les parties de même que leur représentant, d’ailleurs, utilisent souvent le terme « travail léger » pour désigner ce qui correspond dans la réalité à une « assignation temporaire » au sens de la loi. Le terme « travail léger » est utilisé depuis fort longtemps, tel que le démontre le texte de la « Loi annotée sur les accidents du travail et les maladies professionnelles » publié en 1986, au sujet de l’article 179 :

 

« Commentaire :

Cet article, de droit nouveau, permet l’assignation temporaire d’un nouveau poste de travail à un travailleur en attendant qu’il redevienne capable d’exercer son emploi ou un emploi convenable. Les intérêts du travailleur sont protégés du fait des responsabilités qu’exerce en la matière le médecin qui a charge. D’autre part, il est expressément mentionné que ce travail doit être favorable à la réadaptation du travailleur.

 

En grande partie, cet article correspond à une politique antérieure de la Commission concernant le « travail léger ». Une exception : cette politique exigeait, comme condition essentielle, l’accord du travailleur, alors qu’en vertu du présent article c’est l’avis du médecin qui a charge du travailleur qui est déterminant.

 

[…] »

 

(notre soulignement)

 

[28]      La finalité de l’article 179 ayant été rencontrée, le tribunal croit qu’il serait formaliste à outrance d’exiger qu'un médecin produise un formulaire standardisé simplement pour dire la même chose. On peut présumer que le médecin, en utilisant l'expression « travail léger » et le fait que la travailleuse ait effectué les tâches pour l’employeur d’un travail plus léger rencontraient, dans les faits, les objectifs de la loi.

 

[29]      Le tribunal est d’avis qu’il s’agit essentiellement d’une question factuelle qui doit être analysée dans chaque dossier. Le seul fait qu’un formulaire standardisé n’a pas été rempli en cochant chacune des cases n’est pas un élément déterminant. Il s’agit d’analyser, dans l'ensemble, les éléments factuels du dossier et de s’assurer simplement que les objectifs de l’assignation temporaire ont été rencontrés. C'est le cas dans le présent dossier.

_____________

2              Transylve inc. et Lavictoire, 2008 QCCLP 7168 . (annexe 2).

3              Pointe-Nor inc. (Gravier) et Drolet, C.L.P. 252054-08-0501, le 6 mai 2005, (annexe 2).

4           C.L.P. 349341-31-0805, 7 mai 2009, M. Lamarre; Voir aussi  Levinoff-Colbex, C.L.P. 366333-04B-0812, 31 mars 2009, A. Quigley.

 

 

[14]        Dans le présent dossier, il est manifeste que l’assignation temporaire du 19 janvier 2012 a été valablement autorisée par le médecin traitant du travailleur, soit le docteur Guy Côté, en toute connaissance de cause. Le médecin comprenait bien que ce sont les tâches énoncées dans le formulaire du 30 novembre 2011 qui étaient visées par cette nouvelle assignation. D’ailleurs, l’employeur a déposé une lettre signée de la main du docteur Côté qui confirme l’évidence de cette information lorsqu’il écrit :

Docteur Côté,

 

Vous avez été médecin traitant de M. Steven Noël dès son accident de travail survenu le 30 novembre 2011. À cette occasion, vous aviez complété une Attestation médicale où vous autorisiez l’assignation temporaire. Pour ce faire, vous aviez alors rempli le formulaire officiel de la CSST d’Assignation temporaire d’un travail ainsi que celui de l’employeur (formulaire maison) où vous deviez alors coché des cases correspondant à des tâches proposées par l’employeur et l’assignation temporaire fut autorisée pour la période du 30 novembre au 11 décembre 2011. (Voir ci-joint les formulaires et rapports médicaux dont il est question.)

 

Par la suite, le 23 décembre 2012, vous avez reçu M. Noël et vous aviez alors autorisé les travaux légers tel qu’en fait foi votre rapport médical de cette date.

 

Le 19 janvier 2012, vous reconduisiez l’assignation temporaire telle qu’elle apparaît sur votre rapport médical de cette date et vous preniez l’initiative de compléter un formulaire « CSST » et nous vous en remercions pour la période du 19 janvier au 20 février 2012.

 

De ce que nous comprenons, à partir de la première assignation temporaire du 30 novembre dernier, c’est que vous avez reconduit les 23 décembre 2011 et 19 janvier 2012 la même assignation temporaire que celle que vous complétiez le 30 novembre 2011 qui comprenait les tâches proposées par l’employeur apparaissant sur son formulaire « maison » et par le fait même vous reconduisiez les mêmes tâches que celles proposées et autorisées par vous le 30 novembre 2011.

 

Conséquemment, par la présente, nous désirons donc que vous nous confirmiez si notre compréhension est exacte à l’effet que tous les rapports subséquents à l’assignation temporaire initiale reconduisaient votre autorisation à accomplir les mêmes tâches autorisées le 30 novembre 2011. Si tel était le cas, nous vous saurions gré de bien vouloir nous le confirmer en datant et signant ici-bas et nous retourner, par télécopieur au […], le présent document.   [sic]

 

 

[15]        Dans ce contexte, le tribunal est d’avis que l’assignation temporaire effectuée le 19 janvier 2012 était bonne et valable et conforme en tout point aux prescriptions de l’article 179 de la loi.

[16]        Lorsqu’une assignation temporaire est valablement autorisée par le médecin du travailleur, ce dernier ne peut simplement refuser d’effectuer le travail de son propre chef en ne se présentant pas au travail. Si le travailleur n’est pas d’accord avec son médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue à l’article 179 de la loi en transmettant à la CSST une contestation en bonne et due forme.

[17]        Dans le présent dossier, l’assignation temporaire autorisée par le médecin du travailleur le 19 janvier 2012 étant valable, la CSST pouvait utiliser son pouvoir prévu à l’article 142.2.e de la loi pour réduire ou suspendre l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur, s’il y a lieu.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation de Hydro-Techonologies Canada inc. déposée le 13 avril 2012;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 27 mars 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’assignation temporaire autorisée par le médecin traitant de monsieur Steven Noël le 19 janvier 2012 était conforme à l’article 179 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail pouvait utiliser son pouvoir de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu conformément à l’article 142.2.e. de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

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Jean-Luc Rivard

 

 

 

 

M. Simon Dumas

SST GROUPE CONSEIL

            Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           C.L.P. 369830-31-0902, 30 juillet 2009, J.-L. Rivard.

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