Hôpital Rivière-des-Prairies |
2013 QCCLP 2365 |
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[1] Le 1er octobre 2012, l’Hôpital Rivière-des-Prairies (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 21 septembre 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 7 août 2012 déclare que l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par madame Émilie Bertler-Labelle (la travailleuse), le 23 janvier 2012, demeure inchangée.
[3] L’employeur renonce à la tenue d’une audience. La cause est mise en délibéré le 30 janvier 2013.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande que les coûts relatifs aux visites médicales des 2 février, 30 avril et des 7 et 14 mai 2012 ne lui soient pas imputés.
LA PREUVE
[5] La travailleuse subit une lésion professionnelle le 21 janvier 2012 dont le diagnostic une entorse cervicale.
[6] Le 23 janvier 2012, elle consulte le docteur Hébert qui remplit une attestation médicale dans laquelle il retient le diagnostic d’entorse cervicale. Il prévoit une consolidation de la lésion au 30 janvier 2012. Le même jour, il signe un formulaire autorisant l’assignation temporaire de travail. D’ailleurs, dans les notes évolutives d’admissibilité, la CSST indique que la travailleuse a effectivement exercé une assignation temporaire du 24 au 29 janvier 2012.
[7] Dans un document intitulé Relevé des prestations et des sommes imputées, daté du 7 août 2012, la CSST informe l’employeur qu’il est imputé des visites médicales des 21 janvier, 2 février, 20 avril ainsi que des 7 et 14 mai 2012 pour un montant de 333,96 $. Dans une lettre du 22 août 2012, l’employeur demande que les visites médicales du 30 avril ainsi que des 7 et 14 mai 2012 ne lui soient pas imputées parce qu’elles sont survenues après la consolidation de la lésion professionnelle de la travailleuse qu’il situe au 2 février 2012.
[8] Le dossier ne contient aucun rapport ou note médicale concernant les visites médicales des 2 février, 30 avril et des 7 et 14 mai 2012.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[9] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le coût des visites médicales postérieures à la date de consolidation de la lésion de la travailleuse, doit être imputé au dossier financier de l’employeur.
[10]
Le principe de base en matière d’imputation est édicté par l’alinéa
premier de l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
[…]
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[11] La règle première en matière d’imputation est donc d’imputer à l’employeur du travailleur victime d’un accident du travail tous les coûts résultants de cette lésion. Il doit donc y avoir un lien entre le coût de la prestation et l’accident du travail. La loi définit la notion de « prestation » de la façon suivante :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[12]
Les articles
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
__________
1985, c. 6, a. 188.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
[13] Cette question de l’imputation des coûts des visites médicales tenues postérieurement à la date de consolidation d’une lésion a fait l’objet d’une décision d’une formation de trois juges administratifs. Ainsi dans l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal-Pavillon Mailloux et Commission de la santé et de la sécurité du travail[2], les juges administratifs de la majorité ont décidé que dans le cas d’une lésion professionnelle consolidée sans atteinte permanente et sans limitation fonctionnelle, cela témoigne d’une guérison complète et qu’en conséquence les visites médicales postérieures à cette consolidation ne doivent pas être imputées au dossier de l’employeur.
[14] Les juges administratifs de la majorité retiennent cette solution car ils estiment que le fardeau de preuve de démontrer que ces visites médicales postconsolidation est trop lourd pour l’employeur. À cet égard, ils écrivent :
[406] En effet, les coûts relatifs aux visites médicales sont souvent imputés au dossier d’expérience d’un employeur plusieurs années après la date de la visite, parfois lorsque la RAMQ fait une mise à jour de ses dossiers57. De plus, il arrive qu’aucun rapport médical ne soit émis en regard de celle-ci.
[407] L’employeur apprend donc, plusieurs années plus tard, qu’une visite médicale a eu lieu et il ignore tout des motifs de celle-ci puisqu’aucun rapport médical n’est produit à l’appui de cette visite.
[408] Le tribunal peine à voir comment l’employeur peut démontrer que cette visite médicale particulière n’est pas reliée à la lésion professionnelle autrement qu’en établissant que cette lésion est consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et que, dans un tel contexte, les visites médicales postérieures à cette consolidation ne peuvent être effectuées en raison de cette lésion.
[…]
[413] Le tribunal est donc d’avis que le fardeau de preuve que doit respecter l’employeur se limite à démontrer que la lésion découlant de l’accident du travail est consolidée sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et que des coûts générés après cette date de consolidation sont imputés à son dossier d’expérience.
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57 Voir le dossier 405775-71-1003, Entrepôt Non-périssable (Montréal), où la CSST allègue des remboursements faits à la RAMQ en 2009 pour des services rendus entre 2004 et 2008.
[15] En révision judiciaire[3], la Cour supérieure affirme que cette interprétation de la Commission des lésions professionnelles n’est pas déraisonnable. Le juge Claude Bouchard écrit :
[85] Le tribunal est d'avis qu'il est n'est pas
déraisonnable, au stade de l'imputation, de considérer que des visites
médicales effectuées après la consolidation, sans atteinte permanente ni
limitation fonctionnelle, ne soient pas en relation avec la lésion et par
conséquent, que leur coût ne soit pas imputé au dossier d'un employeur, car
c'est ce que prévoit le premier alinéa de l'article
[16] Par ailleurs, la décision Centre hospitalier de l’Université de Montréal-Pavillon Mailloux et Commission de la santé et de la sécurité du travail[4], comporte une dissidence. La juge administrative dissidente exprime l’opinion que bien que la lésion professionnelle soit consolidée sans atteinte permanente et sans limitation fonctionnelle, l’employeur doit néanmoins démontrer que les visites médicales postérieures à la consolidation ne sont pas en relation avec la lésion professionnelle pour obtenir un transfert d’imputation. À cet égard, la juge dissidente écrit :
[476] Avec respect pour l’opinion contraire, je suis donc d’avis que l’on ne peut conclure à l’absence de relation entre des services de professionnels de la santé et un accident du travail pour la seule raison qu’une lésion professionnelle est consolidée sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle. Cela explique ma dissidence avec les conclusions émises par le tribunal aux paragraphes i) et j).
[477] À mon avis, il y a toujours lieu d’examiner si la visite médicale est bel et bien effectuée « en raison de la lésion » pour déterminer si son coût peut être imputé à l’employeur parce qu’il est alors dû « en raison de l’accident du travail ».
[17] En somme, la distinction, dans le cas des lésions professionnelles consolidées sans atteinte permanente et sans limitation fonctionnelle, entre les juges administratifs de la majorité et la juge administrative dissidente, réside dans le fardeau de preuve qui incombe à l’employeur pour démontrer qu’il ne doit pas être imputé des coûts reliés aux visites médicales postconsolidation. Pour les juges administratifs de la majorité, l’employeur doit démontrer que la consolidation de la lésion, sans atteinte permanente et sans limitation fonctionnelle et les visites médicales générant des coûts surviennent après cette date. Pour la juge administrative dissidente, l’employeur doit démontrer que ces visites médicales ne sont pas en relation avec la lésion professionnelle.
[18] Par ailleurs, en révision judiciaire, le juge Bouchard retient que l’opinion de la juge administrative dissidente est raisonnable puisqu’elle constitue une solution possible à la question soulevée par le fardeau de preuve. Le juge Bouchard écrit :
[75] Cela étant, le tribunal doit donc déterminer, au sens de l'arrêt Dunsmuir, si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité, le caractère raisonnable tenant principalement à la justification de la décision, à sa transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[76] Le tribunal est d'avis que tel est le cas de la décision de la CLP qui possède ces attributs, et ce, malgré la dissidence qu'elle contient. En effet, la dissidence ne porte que sur un aspect du dossier, à savoir le fardeau de preuve requis de l'employeur et en ce sens, celle-ci ne représente qu'une issue possible acceptable pouvant aussi se justifier au regard des faits et du droit.
(nos soulignements)
[19] Dans cette perspective, étant donné que la décision Centre hospitalier de l’Université de Montréal-Pavillon Mailloux et Commission de la santé et de la sécurité du travail[5], rendue par une formation de trois juges, comporte une opinion dissidente, la Commission des lésions professionnelles estime qu’une certaine controverse jurisprudentielle demeure quant à la question de l’imputation du coût des visites médicales tenues après la date de consolidation d’une lésion professionnelle.
[20] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles privilégie l’approche retenue par l’opinion de la juge administrative dissidente. En effet, le tribunal estime que l’employeur doit faire la preuve que les visites médicales postérieures à la consolidation de la lésion professionnelle ne sont pas en relation avec celle-ci. En effet comme l’énonce l’affaire Entrepôt Non-périssable Montréal[6], plusieurs situations peuvent justifier des visites médicales après la date de consolidation d’une lésion professionnelle :
[19] À titre d’exemple, même si une lésion professionnelle est consolidée sans atteinte objective, un travailleur peut avoir des douleurs et devoir consulter son médecin pour vérifier si un nouveau plan de traitements peut amener un soulagement différent des douleurs ou symptômes. Aussi, il peut arriver que malgré la consolidation d’une lésion professionnelle, un médecin recommande la poursuite de traitements pour quelque temps. Des visites médicales peuvent avoir lieu afin de valider la recommandation de poursuivre les modalités thérapeutiques. Elles peuvent également avoir pour objet de documenter une éventuelle réclamation pour récidive, rechute ou aggravation.
[20] Par ailleurs, selon la Commission des lésions professionnelles, tant que le médecin qui a charge n’a pas consolidé la lésion et qu’un processus de contestation au Bureau d'évaluation médicale est entamé, les visites médicales au médecin qui a charge ou à des consultants sont nettement en relation avec la lésion professionnelle. Peut-être que le fait de déterminer une date antérieure de consolidation par la suite signifie que la nécessité de ces visites étaient discutables, mais il n’en demeure pas moins qu’elles ont été faites en relation avec la lésion professionnelle et le législateur n’exige pas la démonstration du bien-fondé ou non des visites médicales.
[21] Bien que le tribunal privilégie ce courant jurisprudentiel, il peut arriver que dans un même dossier certaines visites médicales postconsolidation soient en relation avec la lésion professionnelle alors que d’autres ne le sont pas. Il importe donc que chacune des visites médicales soit analysée, à son mérite.
[22] Dans le dossier sous étude, l’employeur demande que les visites médicales des 2 février, 30 avril et des 7 et 14 mai 2012 ne lui soient pas imputées. Or, il ne présente aucune preuve quant au fait que ces visites médicales ne sont pas relation avec la lésion professionnelle. En effet, le dossier ne contient aucun rapport médical ou note clinique correspondant à ces visites. Or, selon les prétentions de l’employeur, il appert que la travailleuse aurait été consolidée le 2 février 2012. Le tribunal estime donc que la visite médicale du 2 février 2012 est en lien avec la lésion professionnelle puisque c’est lors de cette visite qu’il y aurait eu consolidation de la lésion.
[23] Quant aux visites des 30 avril, 7 et 14 mai 2012, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il y a des faits graves, précis et concordants qui lui permettent de conclure que celles-ci ne sont pas en lien avec la lésion professionnelle survenue le 23 janvier 2012. D’une part, le tribunal retient que la lésion initiale est de peu de gravité puisqu’elle n’entraîne aucun arrêt de travail et que dans son attestation médicale du 24 janvier 2012, le médecin traitant prévoit une consolidation rapide de la lésion. D’autre part, il ressort du dossier que l’assignation temporaire de la travailleuse a été de courte durée. Enfin, le délai de presque trois mois entre la date de consolidation et les autres visites médicales permet au tribunal d’inférer que celles-ci n’étaient pas en lien avec la lésion professionnelle.
[24] Le tribunal conclut donc que la visite médicale du 2 février 2012 est en relation avec la lésion professionnelle alors que celles du 30 avril, 7 et 14 mai 2012 ne le sont pas.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de l’Hôpital Rivière-des-Prairies, l’employeur;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 21 septembre 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût de la visite médicale du 2 février 2012 doit être imputé à l’employeur;
DÉCLARE que le coût des visites médicales des 30 avril, 7 et 14 mai 2012 ne doit pas être imputé à l’employeur.
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Philippe Bouvier |
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