Robichaud c. Vallée |
2018 QCCS 1608 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-17-011788-154 |
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DATE : |
18 avril 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
BENOÎT MOORE, J.C.S. |
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JEAN-PIERRE ROBICHAUD |
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Demandeur |
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c. |
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BENOÎT VALLÉE DESJARDINS ASSURANCES GÉNÉRALES INC. |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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APERÇU
[1] Jean-Pierre Robichaud (« Robichaud »)[1] réclame des dommages-intérêts pour un préjudice corporel subi lors d’une chute sur de la glace, recouverte de neige, alors qu’il visitait un immeuble avec ses clients.
[2] Les défendeurs, le propriétaire de l’immeuble d’une part, Benoît Vallée (« Vallée ») et son assureur d’autre part, Desjardins assurances générales inc. (« Desjardins »), refusent d’indemniser le demandeur au motif que Vallée n’a pas commis de faute dans l’entretien de son immeuble. Les défendeurs invoquent de plus la faute de la victime au motif qu’elle s’est aventurée sur un amoncellement de neige et un chemin de traverse.
CONTEXTE
[3] Robichaud, après avoir fait carrière dans l’industrie alimentaire, se lance dans la restauration à Sainte-Agathe. Il s’implique alors de manière importante dans la communauté, le hockey mineur, le soccer, le club optimiste et la chambre de commerce. Cela lui amène un large réseau de contacts.
[4] Dans le but de réorienter sa carrière, il complète le cours au collège d’enseignement en immobilier le 4 juin 2010 et obtient sa licence de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (« OACIQ ») le 15 septembre 2010.
[5] Il débute dans le courtage immobilier en mars 2011 avec Re/Max Sainte-Agathe et Saint-Donat. Le 1er mars 2012, il quitte pour Sutton.
[6] La première année se déroule bien. Il travaille fort, apprend beaucoup et développe une pratique tant de courtier inscripteur que de courtier collaborateur. Un client ontarien, Even Orrel (« Orrel »), recherche une fermette. Robichaud lui envoie sept inscriptions. Orrel en retient quatre, dont celle située au 3029, chemin de Val-des-Lacs, propriété de Vallée.
[7] Robichaud contacte les courtiers inscripteurs des quatre immeubles et fixe des visites pour le 10 mars 2012. Pour l’immeuble de Vallée, le contact est Mathieu Beaudoin (« Beaudoin »). Robichaud témoigne qu’on ne lui fait part d’aucune directive particulière quant à la visite éventuelle, ce que Beaudoin corrobore.
[8] À la date convenue, Robichaud visite les immeubles avec Orrel, son épouse et leur enfant d’environ cinq ans. Ils arrivent, selon Robichaud, vers 15 heures à la propriété de Vallée. C’est la première fois que Robichaud voit cet immeuble.
[9] Il stationne son véhicule et rencontre Normand Bédard (« Bédard ») qui se présente à lui comme étant l’aidant naturel de Vallée, ce dernier étant handicapé depuis un arrêt cardiovasculaire subi en 2008.
[10] Selon Robichaud, lorsqu’il arrive avec ses clients, Bédard lui dit qu’il rentre les chiens dans la maison et qu’ils commencent la visite par les deux bâtiments de ferme. Bédard part alors en tête de groupe avec l’épouse d’Orrel et leur enfant en direction du bâtiment de ferme no 1. Pour y arriver, ils prennent un sentier de neige battue d’une largeur de deux pieds sur une distance de 60 à 80 pieds.
[11] Robichaud reste alors près de la voiture avec Orrel, le temps que celui-ci fume une cigarette et embrasse du regard l’ensemble de la propriété. Ils partent ensuite en direction du bâtiment no 1 et arrivent, près de celui-ci, en haut d’une faible pente qui mène vers les larges portes du bâtiment de ce dernier ouvertes et visiblement prises dans la neige. Robichaud y voit Bédard, l’épouse d’Orrel et son fils à l’intérieur.
[12] C’est alors que Robichaud descend la faible pente qui, comme le reste du sentier, est recouverte de neige. On n’y voit aucune trace de glace. Lorsqu’il arrive au niveau du bâtiment, son pied droit glisse jusqu’à ce qu’il soit arrêté par la surface du plancher. Sous le choc, le pied se retourne. La douleur est vive. Les ambulanciers sont requis.
[13] Robichaud attend sur place durant 45 minutes. Il réalise que sous la neige, il y a une plaque de glace. D’ailleurs, dit-il, celle-ci rendra difficile l’intervention des ambulanciers.
[14] Bédard présente les événements de manière toute différente. Il témoigne que lorsqu’il rencontre Robichaud à l’avant de la maison, les clients se trouvent déjà en direction du bâtiment de ferme no 1. Ce dernier lui annonce qu’ils souhaitent commencer la visite par cet endroit.
[15] Bédard crie alors à Orrel, son épouse et leur fils d’utiliser la petite porte à la gauche du bâtiment. Après que Robichaud lui ait dit que ses clients sont anglophones, Bédard répète l’information en anglais. Il donne cette directive, car même si le sentier de neige battue mène naturellement vers la porte de gauche, qu’il déneige quotidiennement, et qu’un monticule de neige face aux grandes portes décourage le promeneur à s’y aventurer, ces dernières sont exceptionnellement ouvertes, du moins en partie, depuis une chute de neige survenue la veille.
[16] Bédard rentre par la suite dans la maison informer Vallée que la visite commence par le bâtiment de ferme. Le temps qu’il ressorte, l’accident a eu lieu.
[17] Suivant l’accident, on diagnostique à Robichaud une fracture de la cheville pour laquelle il subit une première intervention chirurgicale le 13 mars 2012 où on lui insère deux plaques d’acier et des vis. On lui fait une attelle. Il quitte l’hôpital le lendemain.
[18] Le 16 mars, il rentre de nouveau à l’hôpital de Sainte-Agathe parce que sa jambe est enflée et douloureuse. Comme on suspecte une phlébite, on lui change son attelle plâtrée et lui donne la médication appropriée. Le 18 mars, les résultats d’examens démontrent qu’il n’y a pas de phlébite profonde.
[19] Le 17 avril 2012, on lui enlève l’attelle plâtrée et Robichaud utilise une botte de marche. Le 24 juillet, Docteur Wang, son médecin traitant, indique que la fracture est consolidée et recommande le retour au travail[2].
[20] Les parties produisent des expertises[3]. Elles s’entendent pour fixer le D.A.P. à 4 %.
[21] Robichaud réclame une indemnisation de 100 565,70 $ ainsi ventilée :
Chefs de dommages |
Montant réclamé |
Pertes pécuniaires - Pertes de rétributions Sous-total : |
30 153.00$ |
Pertes non pécuniaires
Sous-total : |
67 500.00$
97 653.00$ |
Déboursés - Frais de physiothérapie - Frais d’expertise Dr Sébastien G. Simard - Frais d’expert Dr Sébastien G. Simard - Frais divers - […] - Transport ambulancier - Centre d’enquête civile
Sous-total : |
460.00$ 1 149.75$ 373.67$ 760.28$ […]$ 146.00$ 23.00$
2 912,70$ |
Total réclamé : |
100 565,70$ |
PRÉTENTIONS DES PARTIES
· Demandeur
[22] Robichaud soumet que Vallée, à titre de propriétaire, doit veiller à la sécurité de sa propriété. Or, ne pouvant entretenir son immeuble et le terrain en raison de son handicap, c’est Bédard qui y veille. Comme Bédard gère la visite de Robichaud, il devient à ce moment le représentant de Vallée sur qui l’éventuelle faute de Bédard doit être imputée. En l’espèce, Bédard connait le danger puisqu’il a lui-même chuté la veille à l’endroit précis où tombe Robichaud. Il devait donc poser des gestes afin de sécuriser le lieu ou encore indiquer le danger.
· Défendeurs
[23] Les défendeurs soumettent que le demandeur n’établit pas de faute ni à l’égard du propriétaire Vallée ni à l’égard de Bédard. Dans l’esprit de ce dernier, l’ouverture des grandes portes du bâtiment de ferme ne crée pas de situation dangereuse puisque le chemin de neige battue amène directement à la porte usuelle et déneigée. De même, selon Bédard, il dit à Robichaud et à ses clients de passer par cette porte.
[24]
Dans l’éventualité où le Tribunal retenait la faute de Bédard, ils
soumettent que l’on ne peut pas l’imputer à Vallée, les conditions quant à la
responsabilité du commettant pour le fait de son préposé aux termes de
l’article
[25] Dans l’éventualité où le Tribunal retenait une faute de Vallée ou imputait à celui-ci une faute de Bédard, les défendeurs soutiennent que le quantum réclamé est exagéré et fixe celui-ci à 30 000 $. Notamment, ils soumettent que le demandeur n’a pas fait la preuve de sa perte de revenus.
QUESTIONS EN LITIGE
1) Vallée a-t-il commis une faute dans l’entretien de son immeuble?
2) Bédard a-t-il commis une faute en ne sécurisant pas les lieux adéquatement ou en ne dénonçant pas une situation dangereuse? Dans l’affirmative, cette faute peut-elle être imputée à Vallée?
3) Dans l’hypothèse où le Tribunal retient une faute, Robichaud a-t-il commis une faute contributoire?
4) Quel est le quantum des dommages?
ANALYSE
1) Vallée a-t-il commis une faute dans l’entretien de son immeuble?
[26] Les parties, s’appuyant sur certaines autorités qu’elles ont soumises, réfèrent à la responsabilité découlant de la présence d’un piège. Le Tribunal, suivant ainsi un mouvement doctrinal[4] et jurisprudentiel[5], ne fera pas référence à cette notion la jugeant tout à la fois étrangère à l’économie du droit civil et superfétatoire à la notion de faute. En droit québécois, le propriétaire ou l’occupant d’un lieu est responsable du défaut de sécurité de celui-ci lorsque le danger causant le préjudice découle d’une faute dans la conception ou l’entretien du lieu ou, encore, dans le fait de ne pas avoir dénoncé un danger. Le fait que les circonstances de l’incident rencontrent ou non les critères de la notion de piège, telle que développée en common law dans le cadre du tort de trespass, ne modifie en rien l’analyse. En droit civil, il peut exister une faute sans la présence d’un piège tout comme il peut exister un piège sans la présence d’une faute.
[27] Rappelons que Vallée, propriétaire de l’immeuble, subit en 2008 un arrêt cardiovasculaire qui le laisse handicapé. Le jour de l’accident de Robichaud sa mobilité est encore fortement réduite. Il se déplace à l’aide d’une marchette ou encore en chaise roulante et, selon le témoignage de Bédard, ne sort pas l’hiver. Si Vallée s’occupe de certaines tâches dans la maison, il ne peut évidemment pas entretenir l’extérieur.
[28] Pour ce faire, Vallée engage un déneigeur qui déblaie l’entrée de la maison. Il décide de ne pas faire déblayer l’accès aux deux bâtiments de ferme situés à l’arrière de la maison, puisqu’ils ne sont pas utilisés. Quant au reste, Bédard voit à déneiger le balcon. Il témoigne que, tous les jours, il se rend au bâtiment de ferme no 1 pour nourrir deux poules. Il déneige et met du foin afin de déglacer l’accès de la porte située à gauche de ce bâtiment. Aucun autre endroit du terrain de 48 acres ne fait l’objet d’entretien hivernal. C’est la campagne.
[29] Le Tribunal ne peut trouver ici aucune faute à l’encontre de Vallée. À l’évidence, celui-ci ne peut pas lui-même s’assurer de l’entretien et de la sécurité du terrain. Il engage pour ce faire un entrepreneur afin de déneiger l’accès de la maison et laisse Bédard s’occuper du reste en fonction de ce qu’il croit nécessaire de faire. Il s’agit de décisions raisonnables afin de s’assurer de l’entretien et de la sécurité des lieux en fonction de ceux-ci. Les bâtiments de ferme étant inutilisés, il n’apparait pas déraisonnable de ne pas en assurer l’accès comme s’ils l’étaient.
[30] L’entretien général des lieux n’est donc pas fautif et, dès lors, l’analyse quant à l’existence d’une faute en l’espèce doit se tourner vers les événements des 9 et 10 mars 2012. Or, comme Vallée en ignore essentiellement la teneur, on ne peut lui reprocher aucune faute personnelle. Il s’agit alors d’évaluer le comportement de Bédard et de voir si son éventuelle faute peut être imputée à Vallée.
2) Bédard a-t-il commis une faute en ne sécurisant pas les lieux adéquatement ou en ne dénonçant pas une situation dangereuse? Dans l’affirmative, cette faute peut-elle être imputée à Vallée?
[31] Il importe donc de déterminer si Bédard commet une faute lors de la visite du 10 mars 2012. Pour cela, le Tribunal doit revenir sur les versions de Robichaud et Bédard qui, nous l’avons vu, se révèlent très différentes quant aux circonstances entourant l’accident. Le Tribunal, face à des témoignages aussi contradictoires, se doit d’en évaluer la crédibilité. Il tient d’abord à souligner qu’il ne met aucunement en doute la bonne foi de Robichaud et de Bédard. Toutefois, le Tribunal préfère la version de Robichaud pour les raisons qui suivent.
[32] La mémoire de Bédard n’apparait ni précise ni fiable sur plusieurs éléments. Ainsi, il témoigne ne pas se souvenir clairement si et quand il rencontre Beaudoin, l’agent souscripteur. Or, celui-ci témoigne qu’il rencontre Bédard à deux reprises, une première fois au restaurant Tim Hortons et une seconde fois, le lendemain, à la résidence avec Vallée.
[33] De même, Bédard témoigne d’abord qu’il y a deux enfants présents lors de la visite de Robichaud et de ses clients pour ensuite dire ne pas se souvenir du nombre. Il déclare aussi que Robichaud et ses clients arrivent dans deux voitures différentes, alors que ce dernier témoigne qu’il n’y avait qu’une seule voiture, ce que le Tribunal retient. Certes, ce sont là des faits sans conséquence pour le dossier, mais qui soulèvent des doutes quant à la fiabilité de la mémoire de Bédard.
[34] De plus, le témoignage de Bédard semble comporter une incohérence. Ainsi, il soutient que lorsque Robichaud et ses clients arrivent, il rentre les chiens dans la maison et rejoint les visiteurs. Ceux-ci partent immédiatement vers le bâtiment de ferme et, selon lui, Robichaud lui dit qu’ils commenceront la visite à cet endroit. Il crie alors aux clients d’utiliser la petite porte sur le côté gauche puis entre dans la maison afin d’aviser Vallée que la visite commencera non pas dans la maison, mais dans les bâtiments de ferme. Le Tribunal peine à comprendre la logique de cette séquence d’événements. Pourquoi Bédard rentre-t-il les chiens dans la maison à l’arrivée des clients, s’il compte commencer la visite par cet endroit? Aucune explication à cette incohérence apparente n’a pu être apportée par les défendeurs lors de l’audition.
[35] En bref, le Tribunal constate que la mémoire de Bédard semble sélective. Les faits sont flous quant à plusieurs éléments périphériques, mais deviennent précis lorsqu’il témoigne avec insistance avoir crié aux clients d’utiliser la porte de gauche. Pour cette raison, le Tribunal retient plutôt le témoignage de Robichaud.
[36] Le Tribunal est-il d’avis pour autant que Bédard a commis une faute?
[37] En l’espèce, deux fautes peuvent éventuellement être reprochées à Bédard : celle de ne pas sécuriser un lieu qu’il savait dangereux et celle de ne pas dénoncer l’existence d’un tel danger aux visiteurs.
[38] Bédard témoigne qu’il tente, la veille, de refermer les portes du bâtiment de ferme, lesquelles s’étaient ouvertes par l’effet d’une chute de neige. En ce faisant, il crée un sentier menant à ces portes pouvant ainsi laisser penser à un visiteur que là se situe le chemin à suivre, d’autant que les portes demeurent entrouvertures.
[39] Bédard admet que l’état des lieux peut donc donner l’impression que l’entrée habituelle du bâtiment de ferme est celle-ci. Le Tribunal conclut, dans la mesure où Bédard est lui-même tombé sur une plaque de glace à cet endroit et qu’il savait que d’éventuels acheteurs venaient visiter et que l’état des lieux pouvait inciter ceux-ci à s’aventurer par ce chemin, qu’il se devait, soit de sécuriser les lieux, ce qu’il essaie en vain de faire, soit de les baliser afin d’indiquer clairement le chemin à prendre ou, encore, minimalement, d’informer verbalement les invités de faire attention à ne pas escalader le monticule et de passer par la porte déblayée située à la gauche du bâtiment. Le défaut pour lui de ce faire constitue donc une faute.
[40] Maintenant, peut-on imputer cette faute à Vallée?
[41]
Le Tribunal rappelle que Robichaud poursuit Vallée et son assureur. Il
ne poursuit pas personnellement Bédard. Or, sous réserve des régimes des
articles
[42] Il existe deux possibilités pour ce faire : la responsabilité du commettant pour le fait de son préposé et celle du mandant pour la faute de son mandataire.
[43] Quant au fondement du mandat, le Tribunal ne peut le retenir. Aucune preuve ne démontre que Bédard agit à titre de mandataire de Vallée. Le Tribunal rappelle que le mandat est un contrat bien spécifique, dont le sens juridique s’avère d’ailleurs plus restreint que le sens courant dans la mesure où il implique un pouvoir de représentation du mandant dans l’accomplissement d’un acte juridique[6]. Le Tribunal rappelle ce qu’écrit le professeur Adrian Popovici dans son remarquable ouvrage sur le mandat[7] :
Malheureusement, l’utilisation du mot « mandat » à mauvais escient n’est pas l’apanage du non-juriste : que de « mandats » donnés à un notaire ou même à un avocat, qui n’en sont pas!
Le mandat donne au mandataire le pouvoir de le représenter dans un acte juridique avec un tiers. Sont de l’essence du mandat, il convient de le souligner et de le répéter :
- le pouvoir de représentation;
- l’accomplissement d’un acte juridique.
Le pouvoir de représentation explique l’effet essentiel du mandat : le mandant est lié par contrat avec le tiers, de telle sorte que naissent directement dans son patrimoine des droits et obligations du contrat conclu avec le tiers, avec les recours réciproques directs contractuels résultant de ce contrat (KT). Lorsque tout fonctionne normalement, le but et l’effet du mandat coïncident. Qui mandat ipse fecisse videtur.
[44] Ici, il ressort de la preuve que Bédard n’agit aucunement à titre de mandataire de Vallée. En aucun temps n’est-il le représentant légal pour conclure un contrat au nom de Vallée. Par exemple, Beaudoin témoigne que le contrat de courtage concernant la propriété a été conclu avec Vallée et non Bédard, les rencontres avec celui-ci n’ayant pour but que de préparer le dossier.
[45]
Au surplus, même dans l’éventualité où le Tribunal concluait que Bédard est
le mandataire de Vallée, l’article
2164. Le mandant répond du préjudice causé par la faute du mandataire dans l’exécution de son mandat, à moins qu’il ne prouve, lorsque le mandataire n’était pas son préposé, qu’il n’aurait pas pu empêcher le dommage.
[46] Or, sous réserve de l’existence d’un lien de préposé, sur lequel le Tribunal reviendra ci-dessous, il ressort clairement de la preuve que Vallée ne pouvait pas empêcher le dommage dans la mesure où, de l’aveu même de Bédard, ce dernier n’informe pas Vallée des événements de la veille. Ce dernier ne connait donc pas le risque de chute et ne rencontre même pas les clients.
[47]
L’autre fondement potentiel invoqué découle de la responsabilité du
commettant pour la faute de son proposé prévu à l’article
1463. Le commettant est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l’exécution de leurs fonctions; il conserve, néanmoins, ses recours contre eux.
[48] Cette disposition permet de tenir le commettant responsable sur le seul fondement de la faute de son préposé. Afin que ce régime dérogatoire aux principes de l’imputation personnelle de la faute s’applique, il incombe à celui qui l’invoque[8] d’établir le respect de trois conditions : la faute du préposé, l’existence d’un lien de préposition entre celui-ci et le commettant et, enfin, que le préjudice survient dans le cadre de l’exécution des fonctions du préposé.
[49]
Ici, Robichaud ne tente aucunement d’établir l’existence d’un lien de
subordination entre Bédard et Vallée. D’ailleurs, ce n’est en fait que lors de
la plaidoirie des défendeurs que le fondement de la responsabilité du fait du
préposé est soulevé. En l’absence de preuve probante à cet égard, le Tribunal
ne peut conclure au respect de cette condition et le régime de l’article
[50] Le Tribunal ajoute que, bien au contraire, il ressort de la preuve que Bédard n’est pas un préposé de Vallée. Bien que le lien de préposition n’implique pas nécessairement une relation contractuelle ou une rémunération[9], il importe toutefois que le commettant donne des instructions précises à son préposé s’apparentant à des ordres. Un tel élément de subordination n’existe aucunement dans la preuve. À ce sujet, Bédard témoigne qu’il fixe lui-même les limites du support qu’il apporte à Vallée sur une base purement volontaire et en raison des liens étroits qui les lient.
[51] Dans ce contexte, le Tribunal ne trouve aucune apparence de lien de préposition duquel découlerait une dynamique d’ordre et d’exécution. Ce fondement ne peut donc aider le demandeur afin de lui permettre d’imputer à Vallée la faute de Bédard de ne pas avoir sécurisé ou dénoncé une situation dangereuse.
[52] Le Tribunal ne pouvant ni reconnaître une faute personnelle à Vallée ni lui imputer celle de Bédard, Robichaud ne rencontre pas la première condition du recours en responsabilité, soit l’existence d’un fait générateur de responsabilité et doit rejeter le recours.
3) Dans l’hypothèse où le Tribunal retient une faute, Robichaud a-t-il commis une faute contributoire?
[53] Dans l’éventualité où le Tribunal concluait qu’il pouvait imputer à Vallée la faute de Bédard, le Tribunal serait venu à la conclusion que Robichaud doit supporter une part de responsabilité de sa chute.
[54] En effet, la preuve montre que l’immeuble est un domaine fermier de 48 acres qui n’est plus exploité depuis quelques années et dont seule la résidence principale est utilisée par les occupants. Le chemin pour se rendre aux bâtiments de ferme constitue un simple sentier de neige battue créé par les passages quotidiens de Bédard et de ses chiens afin de déneiger la porte d’accès et nourrir les deux seules poules qui s’y trouvent.
[55] Lors de la journée de l’accident, un passage avait été créé, lequel partait d’un petit monticule d’une hauteur d’environ trois pieds et descendait vers les grandes portes du bâtiment de ferme entrouvertes par l’effet d’une chute de neige survenue la veille. Ce mince sentier était tracé par le passage de Bédard la veille et le matin de l’accident afin de tenter, sans succès, de refermer les portes du bâtiment de ferme.
[56] Le Tribunal rappelle que Robichaud, comme toute personne, possède un devoir général de prudence et que l’intensité de ce devoir dépend des circonstances. Ici, plusieurs facteurs se conjuguent afin d’alourdir ce devoir de prudence. Tout d’abord, Robichaud ne connait pas les lieux. Il doit donc demeurer attentif d’autant qu’il perçoit bien qu’il emprunte un passage improvisé et qu’il doit grimper puis descendre un monticule de neige afin d’arriver aux portes du bâtiment de ferme. Tout cela devait l’amener à une plus grande prudence, laquelle aurait dû lui permettre de constater l’existence d’une autre porte déneigée à gauche de ce bâtiment.
[57] De surcroit, il n’est pas inhabituel que, dans de telles circonstances, la neige puisse cacher une plaque de glace. Il revient dès lors à l’usager d’être particulièrement vigilant dans ses décisions et ses actions[10].
[58] Pour toutes ces raisons, dans l’éventualité où le Tribunal avait conclu à l’existence d’une faute personnelle ou imputable à Vallée, il aurait retenu une faute contributoire de Robichaud de l’ordre de 50 %.
4) Quel est le quantum des dommages?
[59] Le demandeur réclame la somme de 100 565,70 $. Dans l’éventualité où le Tribunal avait retenu une faute personnelle ou imputée à Vallée, voici ce qu’il aurait accordé.
[60] Quant aux déboursés réclamés de 2 912,70 $, le Tribunal les aurait accordés. Ceux-ci comportent un lien direct avec la faute, car il s’agit, notamment, de frais d’expertise, de physiothérapie et de transport en ambulance.
[61] Quant à la réclamation pour pertes non pécuniaires, compte tenu du pourcentage d’incapacité permanente admis à 4 %, des valeurs jurisprudentielles dans des cas similaires dont plusieurs invoqués par le demandeur lui-même[11], lesquelles constituent une indication utile[12], considérant également les circonstances particulières propres à ce dernier, le fait qu’il a subi deux interventions chirurgicales et qu’il était une personne très active pratiquant plusieurs sports, le Tribunal aurait octroyé à ce chapitre la somme de 30 000 $.
[62] Quant aux pertes de revenus, le demandeur réclame 30 153 $ calculée sur la base d’une moyenne des rétributions annuelles pour 2011, 2012 et 2013[13]. Les défendeurs s’opposent à cette réclamation au motif que la preuve se révèle insuffisante. Ils soutiennent que le demandeur aurait notamment dû faire témoigner des clients ou des collègues afin d’établir l’annulation ou le transfert de ses mandats suite à l’accident.
[63] Il s’avère plus difficile pour une personne recevant une rémunération variable, tel qu’un courtier immobilier, de faire la preuve de ses pertes. À cet égard, le Tribunal est d’avis qu’une preuve établie en fonction d’une moyenne de quelques années constitue en l’espèce une indication fiable. Toutefois, en fonction de cette indication et de la prise en compte également des revenus de 2014, le Tribunal fixe plutôt à 20 000 $ la somme qu’il aurait octroyée à titre de perte de rétribution pour les cinq mois non travaillés en 2012.
[64] En conclusion, les dommages subis par le demandeur se chiffreraient à 52 912,70 $ pour lesquels il devrait supporter 50 % de la responsabilité, ce qui totalise une indemnité de 26 456,35 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[65] REJETTE la demande;
[66] Avec frais de justice.
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__________________________________BENOÎT MOORE, j.c.s. |
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Me Nicole Giguère |
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Debkoski, Giguère avocats |
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Avocate du demandeur |
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Me Mayra Lara-Rodriguez |
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Desjardins assurances générales inc. |
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Avocate des défendeurs |
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Dates d’audience : |
26 et 27 février 2018 |
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[1] L’utilisation des seuls noms de famille a pour but d’alléger le texte. On voudra bien n’y voir là aucune discourtoisie.
[2] Pièce P-4.
[3] Pièces P-5 et D-1.
[4]
Maurice TANCELIN, Daniel GARDNER et Frédéric LÉVESQUE,
[5]
Éthier c. Centres d'achat Beauward ltée (Galeries Joliette),
[6]
Article
[7]
Adrian POPOVICI,
[8]
Zurich Canada inc. c. Services transport André Marcoux ltée,
[9]
Guay inc. c. I.C.I. Canada inc.,
[10]
Dionne c. Canada (Procureur général),
[11]
Gagné c. Hudon (Dépanneur Monsieur Fromage),
[12]
Stations de la Vallée de St-Sauveur inc. c. M.A.,
[13] Pièces P-18, P-19 et P-20.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.