LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC MONTRÉAL, le 1er mars 1993 DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE: Me Monique Billard DE MONTRÉAL RÉGION:LAURENTIDES AUDIENCE TENUE LE: 14 janvier 1993 DOSSIER:33853-64-9110 DOSSIER CSST:0986 82545 A: Montréal DOSSIER BRP:6040 8327 ANDRÉ MILLETTE 755, Montpellier Saint-Laurent (Québec) H4L 4R1 PARTIE APPELANTE et I. GUINDON & CIE LTÉE 26, rue Brissette Sainte-Agathe (Québec) J8C 1T4 PARTIE INTÉRESSÉE et COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL 1000, rue Labelle Saint-Jérôme (Québec) J7Z 5N6 PARTIE INTERVENANTE D É C I S I O N Le travailleur, monsieur André Millette, en appelle auprès de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) le 8 octobre 1991 d'une décision unanime du bureau de révision de Saint-Jérôme rendue le 19 septembre 1991.Par cette décision le bureau de révision infirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 19 juillet 1989 et déclare que la Commission ne peut réclamer de façon rétroactive le montant de 28 832,65 $ en vertu de l'article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) (la Loi). Le bureau de révision confirme également par cette même décision la décision rendue par la Commission le 7 juillet 1989 par laquelle cette dernière suspend le versement de l'indemnité de remplacement du revenu en date du 7 juillet 1989 au motif que le travailleur exécutait des activités pour lesquelles il a reçu une rémunération et qu'il a fait défaut d'informer la Commission du changement intervenu dans sa situation, changement qui influençait le montant des indemnités versées par la Commission.
OBJET DU LITIGE Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du bureau de révision rendue le 19 septembre 1991 et qui confirme la décision rendue par la Commission le 7 juillet 1989 à l'effet de suspendre à compter de cette date le droit du travailleur aux indemnités de remplacement du revenu, le litige ne portant que sur cette question.
LES FAITS Le travailleur subit une lésion professionnelle le 5 février 1988 alors qu'il s'inflige une déchirure méniscale interne au genou gauche en descendant d'une échelle.
La réclamation du travailleur produite auprès de la Commission le 16 février 1988 est acceptée par la Commission.
Le travailleur subit une arthroscopie du genou gauche le 25 mai 1988 au cours de laquelle on a réalisé une méniscectomie partielle pour déchirure méniscale. Par la suite, le travailleur reçoit des traitements de physiothérapie et une arthrographie du genou gauche effectuée le 11 novembre 1988 révèle une déchirure impliquant la corne moyenne et s'étendant jusqu'à la corne postérieure dans le plan transversal ainsi que la présence d'un plica supra-patellaire incomplet et une forte possibilité d'un plica médio-patellaire. Le 8 juin 1989, le travailleur subit une méniscectomie interne par arthrotomie.
En date du 5 février 1988, date de la survenance de la lésion professionnelle, le travailleur est à l'emploi de la compagnie I.
Guindon & Cie Ltée depuis deux semaines à titre de journalier.
Il y exerce des travaux d'entretien. Son salaire annuel se chiffre à 29 955,00 $.
En date du 5 février 1988, date de la survenance de la lésion professionnelle, le travailleur reçoit, en sus du salaire ci- dessus mentionné qu'il reçoit de la compagnie I. Guindon & Cie Ltée, un revenu d'environ 25 000,00 $ par année provenant de deux contrats intervenus entre le travailleur et, d'une part, la Société canadienne des postes et, d'autre part, la Commission scolaire des Laurentides.
Le travailleur est détenteur de ces contrats depuis environ 1980 et à cette époque il détenait également un deuxième contrat avec la Société canadienne des postes qui a pris fin le 30 juin 1987.
Les deux contrats dont le travailleur était détenteur à la date de la lésion professionnelle survenue le 5 février 1988 ont toujours été exécutés par l'épouse du travailleur bien que les contrats aient été consentis à son nom personnel, que les chèques étaient également émis à son nom personnel et que le nom du conducteur du véhicule servant au transport scolaire apparaissant en annexe au contrat de transport scolaire ait été celui de son épouse, madame Rita Millette.
Le travailleur déclare de plus lors de l'audience avoir perçu des revenus annuels supplémentaires de l'ordre d'environ 2 000,00 $ en travaillant au noir entre 1983 et 1987.
Au cours des années 1985 et 1986 uniquement, il a versé à son épouse un salaire annuel d'environ 7 000 $.
Le travailleur admet qu'à deux reprises il a aidé son épouse à effectuer le travail relatif aux deux contrats, soit celui de la Société canadienne des postes et celui du transport scolaire.
Le premier épisode est survenu après le 24 octobre 1988, date à laquelle son épouse a eu un accident d'automobile et a subi un choc nerveux. Ce premier épisode a duré environ deux à trois semaines et le deuxième épisode s'est produit vers le 7 février 1989 alors que son épouse a souffert de vertiges. Le deuxième épisode a duré environ deux semaines. Par la suite, le travailleur a dépanné son épouse une dizaine de fois.
Le travailleur admet également avoir été en vacances en Floride avec son épouse, du 22 décembre 1988 au 6 janvier 1989, alors qu'il était en attente d'une deuxième intervention chirurgicale.
C'est le fils du travailleur qui a alors exécuté les fonctions découlant des deux contrats.
Monsieur Millette témoigne à l'effet qu'il a produit sa réclamation auprès de la Commission sur le formulaire de la Commission et qu'il a répondu alors à toutes les questions. Il affirme qu'il ignorait qu'il devait informer la Commission au moment de sa réclamation des revenus tirés d'autres sources que ceux tirés de son emploi chez l'employeur, I. Guindon & Cie Ltée.
Enfin, le travailleur affirme qu'à compter du 1er avril 1990, il a exécuté lui-même les contrats dont il était détenteur.
L'épouse du travailleur, madame Rita Côté-Millette, témoigne également lors de l'audience. Son témoignage corrobore celui du travailleur en tout point.
MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider si la Commission était justifiée de suspendre le droit et le versement des indemnités de remplacement du revenu au travailleur à compter du 7 juillet 1989, date de sa décision qui a été confirmée par la décision rendue par le bureau de révision de Saint-Jérôme le 19 septembre 1991, décision dont appel, le tout conformément aux dispositions des articles 142 et 278 de la Loi, particulièrement au motif que le travailleur exécutait des activités pour lesquelles il a reçu une rémunération et ce, sans avoir informé la Commission de cet état de fait.
Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent comme suit : 44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité: 1o si le bénéficiaire: a) fournit des renseignements inexacts; b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention; 2o si le travailleur, sans raison valable: a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave; b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon l'arbitre, empêche ou retarde sa guérison; c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, l'arbitre, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur; d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation; e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180; f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.
268. L'employeur tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60 avise la Commission que le travailleur est incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée la lésion professionnelle et réclame par écrit le montant qui lui est remboursable en vertu de cet article.
L'avis de l'employeur et sa réclamation se font sur le formulaire prescrit par la Commission.
Ce formulaire porte notamment sur: 1 les nom, prénom et adresse du travailleur, de même que ses numéros d'assurance sociale et d'assurance-maladie; 2 les nom et adresse de l'employeur et de son établissement, de même que le numéro attribué à chacun d'eux par la Commission; 3 la date du début de l'incapacité ou du décès du travailleur; 4 l'endroit et les circonstances de l'accident du travail, s'il y a lieu; 5 le revenu brut prévu par le contrat de travail du travailleur; 6 le montant dû en vertu de l'article 60; 7 les nom et adresse du professionnel de la santé que l'employeur désigne pour recevoir communication du dossier médical que la Commission possède au sujet du travailleur; et 8 si l'employeur conteste qu'il s'agit d'une lésion professionnelle ou la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion, les motifs de sa contestation.
270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.
L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.
Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
278. Un bénéficiaire doit informer sans délai la Commission de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité.
Les revenus tirés par le travailleur des deux contrats qu'il détenait en son nom personnel avec la Société canadienne des postes et la Commission scolaire des Laurentides n'ont pas été pris en considération pour le calcul du versement de l'indemnité de remplacement du revenu, à juste titre d'ailleurs, puisque le travailleur n'était pas inscrit auprès de la Commission à titre de travailleur autonome et ne pouvait bénéficier de la protection accordée par la Loi, les revenus tirés de ces contrats n'étant pas assurés par la Commission. S'il en avait été autrement, les versements de l'indemnité de remplacement du revenu versés au travailleur auraient été plus élevés et calculés en fonction du maximum assurable de 36 500,00 $ pour l'année 1988.
Les dispositions de l'article 142 de la Loi pertinentes au cas sous étude, sont les sous-paragraphes a et b du paragraphe 1o de cet article.
La Commission d'appel doit donc déterminer si le travailleur a fourni des renseignements inexacts à la Commission ou s'il a refusé ou négligé de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention et si le travailleur a fait défaut d'informer la Commission de tout changement dans sa situation qui peut influer sur le droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité.
La Commission d'appel est d'opinion que le travailleur n'a fourni aucun renseignement inexact à la Commission et n'a pas négligé ou refusé de fournir les renseignements qu'elle requérait, conformément aux dispositions de l'article 142 de la Loi ci- dessus stipulé, puisque la Commission n'a demandé au travailleur aucun renseignement concernant sa situation financière avant de prendre la décision de lui verser les indemnités de remplacement du revenu ni avant de rendre sa décision du 7 juillet 1989. De plus, l'enquête dont il est fait mention aux notes évolutives en date du 1er janvier 1989 n'a donné lieu à aucun rapport écrit se retrouvant au dossier.
L'article 270 de la Loi, CHAPITRE VIII, intitulé «PROCÉDURE DE RÉCLAMATION ET AVIS» prévoit que «le travailleur ..., produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas».
La Commission d'appel estime que le travailleur en produisant sa réclamation sur le formulaire prescrit par la Commission conformément aux dispositions de la Loi et en répondant aux questions apparaissant sur ce formulaire, s'est dégagé de ses obligations vis-à-vis de la Commission.
Le formulaire de réclamation produit par le travailleur et prescrit par la Commission ne contient aucune demande de renseignements concernant quelques revenus que ce soit. C'est à l'employeur, dans le formulaire prescrit à cet effet, que la Commission impose l'obligation de divulguer le revenu brut prévu par le contrat de travail du travailleur pour l'emploi exercé chez lui au moment de la survenance de la lésion professionnelle en vertu des dispositions de l'article 268, 3o alinéa, paragraphe 6o de la Loi.
De plus, la Commission d'appel est d'avis que le travailleur n'a pas contrevenu aux dispositions de l'article 278 de la Loi ci- dessus relaté en omettant d'informer sans délai la Commission de tout changement dans sa situation pouvant influer sur un droit conféré par la loi ou sur le montant d'une indemnité.
En effet, aucun changement n'est survenu dans la situation du travailleur qui existait bien avant la date de la lésion professionnelle du 5 février 1988 et qui a perduré après cette date. Au surplus, dès que le travailleur a été informé par téléphone par la Commission qu'une plainte avait été formulée à son égard et sans que la Commission ne lui demande d'information, le travailleur a fait parvenir à la Commission, en date du 25 février 1989, une longue lettre explicative concernant les contrats litigieux et informe également la Commission qu'il est en attente d'une chirurgie.
Enfin, la Commission d'appel est d'avis que la Commission eut- elle été informée dès le 5 février 1988 des revenus supplémentaires tirés des deux contrats détenus par le travailleur, qu'elle n'aurait pu conclure que ces derniers aient pu influer sur un droit conféré par la loi ou sur le montant d'une indemnité, puisque seul le revenu d'emploi versé par l'employeur a servi au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu.
Il reste donc pour la Commission d'appel à déterminer si les deux périodes au cours desquelles le travailleur a dépanné son épouse pour l'exécution des deux contrats dont il est question, justifient la sanction exercée par la Commission à l'endroit du travailleur de suspendre le paiement de l'indemnité de remplacement du revenu. L'article 44 de la Loi édicte que le travailleur a droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de la lésion professionnelle subie et l'article 46 de la Loi introduit la présomption qu'il est incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle n'est pas consolidée.
Il n'a pas été mis en preuve que le travailleur était incapable de conduire un véhicule automobile ni d'effectuer temporairement le travail pour lequel il était rémunéré par les contrats qu'il détenait d'autres sources que de l'emploi indemnisé.
La Commission d'appel estime utile également de préciser que le fait que le travailleur ait conduit un véhicule automobile et ait aidé son épouse pendant les deux périodes ci-dessus mentionnées n'implique pas que le travailleur était capable d'exercer l'emploi pour lequel il était indemnisé, ce qui n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucune preuve devant elle et ce dont la Commission d'appel ne peut présumer. La preuve démontre au contraire que le travailleur était en attente d'une chirurgie consécutivement à la lésion professionnelle du 5 février 1988, chirurgie qui a effectivement eu lieu le 8 juin 1989. La présomption d'incapacité d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle n'est pas consolidée prévue à l'article 46 de la Loi n'a donc pas été repoussée.
La Commission d'appel décide que le fait de conduire une voiture et d'aider son épouse à exécuter ses fonctions, tout en percevant la rémunération pour les contrats exécutés par son épouse, n'équivaut pas à fournir des renseignements inexacts à la Commission, ni au défaut d'informer la Commission d'un changement de situation, et encore moins à démontrer que le travailleur était capable d'exercer l'emploi pour lequel il a été indemnisé.
La Commission d'appel réitère qu'il n'est survenu aucun changement dans la situation du travailleur après la survenance de la lésion professionnelle du 5 février 1988.
En conséquence, la Commission d'appel décide que c'est à tort que la Commission a rendu la décision du 7 juillet 1989, décision qui suspendait les versements de l'indemnité de remplacement du revenu au travailleur et que cette décision doit être infirmée et il en résulte que la Commission doit verser au travailleur les versements de l'indemnité de remplacement du revenu à compter de la date où elle a suspendu lesdits versements jusqu'à la date de consolidation de la lésion professionnelle du travailleur.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES : ACCUEILLE l'appel du travailleur; INFIRME la décision rendue par le bureau de révision le 19 septembre 1991; DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n'avait le 7 juillet 1989 aucun motif de suspendre le paiement des indemnités de remplacement du revenu et que le travailleur avait droit de continuer de recevoir les versements d'indemnité de remplacement du revenu pour la lésion professionnelle subie le 5 février 1988.
Monique Billard commissaire GUYOT & BERTRAND, AVOCATS Me Ginette Bertrand 972, rue Ouimet Case postale 1210 Saint-Jovite (Québec) J0T 2H0 Représentant de la partie appelante CHAYER, PANNETON, LESSARD Me Francine Legault 1000, rue Labelle Saint-Jérôme (Québec) J7Z 5N6 Représentante de la partie intervenante
AVIS :
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