Grenier c. Québec (Procureure générale) |
2016 QCCS 1442 |
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COUR SUPÉRIEURE Chambre civile |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-17-022572-150 |
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DATE : |
4 avril 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
SIMON RUEL, j.c.s. |
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RAYNALD GRENIER |
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Requérant |
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c.
PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC
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Intimée |
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JUGEMENT (sur Requête en nullité des articles
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L’aperçu
[1] M. Grenier a été déclaré plaideur quérulent par la Cour supérieure.
[2]
Il a cependant été autorisé à déposer une contestation de la validité
constitutionnelle des règles de quérulence prévues aux articles
[3]
La contestation porte sur le droit d’accès à la justice, le droit à une
audition publique et impartiale par un tribunal indépendant, garanti par
l’article
[4]
Le Tribunal juge que les articles
[5] Les dispositions du Règlement offrent un cadre d’exercice des pouvoirs inhérents de la Cour supérieure lui permettant de contrôler les plaideurs abusifs. Il n’existe en effet aucun droit constitutionnel d’intenter des recours frivoles ou vexatoires. Il en va de la préservation de l’efficacité du système judiciaire et de l’accessibilité à la justice.
[6] La définition de ce que constitue un comportement quérulent, c'est-à-dire la personne qui « exerce son droit d’ester en justice de manière excessive et déraisonnable », n’est pas imprécise. La procédure d’autorisation d’exercer un recours offre toutes les garanties procédurales nécessaires à l’exercice des droits des personnes visées. Les déclarations de quérulence ne sont pas émises « à perpétuité », la Cour supérieure pouvant imposer un terme. Le plaideur quérulent peut également demander la révision de l’ordonnance en tout temps.
[7]
Les articles
[8]
L’article
Le contexte
[9] Faisant face à une longue saga procédurale entreprise par M. Grenier à la suite d’une décision du Tribunal administratif du Québec émise en août 2005 en matière d’expropriation, en novembre 2012, le Procureur général du Québec dépose une requête pour le faire déclarer plaideur quérulent.
[10] Le 8 mars 2013, la Cour supérieure déclare M. Grenier plaideur sujet à autorisation et lui interdit de déposer des demandes en justice et des procédures en Cour supérieure, en Cour du Québec ou devant tout tribunal ou organisme administratif relevant du pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure, sans avoir obtenu une autorisation au préalable du juge en chef associé de la Cour supérieure, du juge en chef de la Cour du Québec, ou du président du tribunal administratif concerné, le cas échéant.[2]
[11] Comme le souligne le Tribunal dans sa décision, la déclaration de quérulence ne vise pas à empêcher M. Grenier de faire valoir ses droits, mais bien à encadrer l’exercice de son droit d’ester en justice.[3]
[12] M. Grenier a épuisé tous ses recours à l’encontre de sa déclaration de quérulence, incluant une demande d’autorisation d’appel en Cour suprême et une demande de reconsidération de sa demande d’autorisation précédemment rejetée.[4]
[13] Malgré
la déclaration de quérulence émise à l’encontre de M. Grenier, le 10 juillet 2015,
le juge en chef associé de la Cour supérieure l’autorise à déposer une Requête
introductive d’instance en nullité constitutionnelle des articles
Les questions préliminaires
[14] M.
Grenier conteste les articles
[15] Se posent la question de la chose jugée et de la qualité de M. Grenier pour agir.
[16] Il appert des divers recours déposés par M. Grenier ainsi que de ses plaidoiries devant le Tribunal que l’objectif oblique de son recours est d’obtenir l’invalidation indirecte de sa déclaration de quérulence.
[17] Il ne peut être question ici de permettre à M. Grenier de remettre en question les décisions des tribunaux, incluant la Cour suprême du Canada, concernant la déclaration de quérulence.
[18] Cependant, les tribunaux ne se sont pas explicitement prononcés sur la validité constitutionnelle des dispositions du Règlement portant sur la quérulence dans les dossiers de M. Grenier. Il n’y a donc pas chose jugée à cet égard.
[19] De plus, il n’existe pas à la connaissance du Tribunal de jugement québécois comportant une analyse de la validité constitutionnelle des règles de quérulence prévues au Règlement.
[20] M. Grenier est directement visé par les règles de quérulence. La question soumise est sérieuse et d’intérêt public. Il s’agit en effet de tracer les limites du droit à l’accès à la justice, qui bénéficie d’une protection constitutionnelle. Le juge en chef associé a spécifiquement autorisé M. Grenier à déposer son recours constitutionnel et le Tribunal a entendu les arguments des parties au mérite.
[21] Le Tribunal reconnaît donc la qualité pour agir de M. Grenier dans la présente contestation constitutionnelle[5] et accepte de se prononcer sur la validité des dispositions portant sur les déclarations de quérulence du Règlement.
La détermination des questions en litige
[22] M. Grenier conteste les dispositions de quérulence du Règlement sur la base d’une multitude de dispositions juridiques, constitutionnelles et quasi constitutionnelles de la Loi constitutionnelle de 1867,[6] de la Charte canadienne des droits et libertés,[7] de la Charte des droits et libertés de la personne[8] (« Charte québécoise »), de la Déclaration canadienne des droits,[9] de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la Magna Carta.
[23] Le Tribunal doit faire un exercice d’élagage et retient trois fondements sur la base desquels les dispositions sur les déclarations de quérulence du Règlement peuvent être contestées :
· Les dispositions sur la judicature de la Loi constitutionnelle de 1867, l’article 96 en particulier, et le principe de la primauté du droit, qui garantissent l’accès à la justice;
·
L’article
·
En ce qui concerne le registre public des personnes sujettes à
une autorisation, le droit à la sauvegarde de l’honneur, de la dignité et de la
réputation, garanti par l’article
[24] Selon M. Grenier, les dispositions de quérulence du Règlement mettent en cause les garanties juridiques prévues à la Charte canadienne, notamment la présomption d’innocence. Il prétend que la déclaration de quérulence constitue une peine et qu’il aurait dû bénéficier d’un procès devant jury.
[25] Le Tribunal écarte ces motifs de contestation.
[26] La
contestation vise les articles
[27] Le processus menant à une déclaration de quérulence ne présente pas les caractéristiques de la procédure pénale ou criminelle.[10] Il s’agit d’un processus civil. Par ailleurs, la déclaration de quérulence n’entraîne pas de véritables conséquences pénales.[11] Il ne s’agit pas de punir le quérulent pour sa conduite, mais bien d’encadrer l’exercice de ses droits judiciaires pour le futur.
[28] Aussi, la déclaration de quérulence par la Cour supérieure n’empêche pas la personne sujette à autorisation de se défendre et de faire valoir ses droits dans le cadre de toute poursuite criminelle ou pénale entreprise contre lui.
[29] En
effet, selon l’article
[30] En ce qui concerne la Déclaration canadienne des droits, son alinéa 2(e) prévoit que toute « loi du Canada » ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme « privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations ».
[31] Cette disposition, qui aurait pu être pertinente dans le cadre du présent dossier, est cependant inapplicable. Le Règlement est adopté par la Province dans l’exercice de sa compétence constitutionnelle en matière d’administration de la justice.[12] Il ne s’agit pas d’une « loi du Canada ».
Les articles
Les considérations juridiques
[32] L’accès à la justice est implicitement garanti par les dispositions portant sur la judicature de la Loi constitutionnelle de 1867, l’article 96 en particulier, qui protège la compétence des cours supérieures au Canada.
[33] Dans l’arrêt Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur général), portant sur la contestation des règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique concernant les frais d’audience, la Cour suprême rappelle que les mesures ayant pour objet ou pour effet d’empêcher les membres du public de s’adresser aux tribunaux vont à l’encontre de la mission fondamentale des cours de justice de résoudre des différends de droit privé et de droit public.[13]
[34] Comme
le souligne la Cour dans cette affaire : « [e]mpêcher l’exercice de
ces activités attaque le cœur même de la compétence des cours supérieures que
protège l’art.
[35] Une règle de droit ne peut donc empêcher les justiciables ou nier leur droit de faire trancher leurs différends par une cour supérieure, sous peine d’invalidité constitutionnelle.[15]
[36] Par ailleurs, le principe de la primauté du droit garantit plus généralement l’accès à la justice devant tous les tribunaux judiciaires.[16]
[37] Le principe de la primauté du droit fait intégralement partie de notre structure constitutionnelle et en constitue l’un des piliers.[17]
[38] Dans l’arrêt B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (P.G.), la Cour suprême consacre le droit d'accès aux tribunaux comme corollaire du principe de la primauté du droit.[18] Comme le spécifie la Cour dans cette affaire : « [i]l ne peut y avoir de primauté du droit sans accès aux tribunaux, autrement la primauté du droit sera remplacée par la primauté d'hommes et de femmes qui décident qui peut avoir accès à la justice ».[19]
[39] Le préambule de la Charte canadienne reconnaît d’ailleurs spécifiquement la primauté du droit en tant que principe fondateur de la Constitution. Les droits et libertés garantis par les chartes n’auraient en effet pas de sens sans la possibilité que les personnes qui s’en réclament puissent les faire valoir devant un juge.[20]
[40] Le principe de la primauté du droit fournit donc aux justiciables un rempart contre l’arbitraire, en permettant l’adjudication de leurs différends par un tiers impartial en la personne d’un juge.[21]
[41] Il s’agit d’un droit qualifié d’« inaliénable » et qui ne peut être restreint que dans les cas les plus manifestes.[22]
[42] Ceci étant dit, la protection du droit d’accès à la justice n’a pas comme conséquence de constitutionnaliser le droit d’intenter des recours abusifs, déraisonnables ou dépourvus de tout fondement juridique.
[43] Ainsi, dans l’arrêt Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur général), la Cour suprême affirme qu’il « n’existe aucun droit constitutionnel d’intenter des recours frivoles ou vexatoires, et des mesures qui découragent l’exercice de tels recours peuvent en fait accroître l’efficacité du système judiciaire et améliorer globalement l’accès à la justice ».[23]
[44] Comme l’écrit la Cour suprême dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) :
[…] Il est essentiel d'établir un équilibre entre l'accès aux tribunaux et la nécessité d'économiser les ressources judiciaires. Il ne faut pas que les tribunaux deviennent complètement submergés en raison d'une prolifération inutile de poursuites insignifiantes ou redondantes intentées par des organismes bien intentionnés dans le cadre de la réalisation de leurs objectifs.[24]
[45] Dans le même esprit, dans l’arrêt United Nurses of Alberta c. Alberta (P.G.), la Cour suprême précise que « [l]a primauté du droit est directement tributaire de la capacité des tribunaux de faire observer leur procédure et de maintenir leur dignité et le respect qui leur est dû ».[25]
[46] Le droit d’accès à la justice n’est donc pas synonyme de droit indu ou illimité d’abuser des tribunaux, des ressources de l’État et de celles des justiciables.[26]
[47] Les personnes qui abusent de leur droit d’ester en justice de manière excessive et déraisonnable doivent s’attendre à ce que les tribunaux interviennent pour préserver l’intégrité du système judiciaire.[27]
[48] L’exercice des pouvoirs inhérents des tribunaux en vue d'assurer le déroulement juste et équitable des procédures et de maintenir l'intégrité de l'administration de la justice existe depuis plus d’un siècle en droit anglais.[28]
[49] Avec le temps, ces pouvoirs ont été exercés, tant en droit anglais qu’en droit canadien, pour contrôler et encadrer l’accès à la justice par les plaideurs abusifs.
[50] Dans un article, l’honorable Yves-Marie Morissette, alors professeur à la Faculté de droit de l’Université McGill, rapporte que soixante-quinze déclarations de contrôle par anticipation des abus de procédure par les plaideurs déraisonnables auraient été émises par la High Court of England entre 1925 et 1988.[29]
[51] Ce pouvoir aurait été exercé pour la première fois au Québec en 1996 dans l’affaire Yorke c. Paskell-Mede,[30] dans laquelle la Cour supérieure assujettit un justiciable à l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable à l’exercice d’un recours en justice.[31]
[52] Plusieurs ordonnances similaires ont été émises depuis par la Cour supérieure, tant en application de ses pouvoirs inhérents[32] qu’en application des règles sur les déclarations de quérulence contenues au Règlement.
[53] Dans l'affaire Barreau du Québec c. Srougi, l’honorable juge Wéry, alors juge en chef adjoint, écrit qu’« en vertu de ses pouvoirs inhérents, la Cour supérieure possède le pouvoir de redresser toute situation d’abus de procédures, d’acharnement judiciaire devant l’un ou l’autre des tribunaux qui sont assujettis à son pouvoir de contrôle et de surveillance ». (Notre soulignement)[33]
[54] Il faut noter que le pouvoir de la Cour supérieure de contrôler l’accès à la justice s’applique non seulement aux procédures qui sont mues devant elle, mais aussi devant les tribunaux et organismes administratifs qui relèvent de son pouvoir de surveillance et de contrôle, ainsi que devant la Cour du Québec.[34]
[55] La Cour supérieure a donc le pouvoir inhérent de baliser ou d’encadrer le droit d’accès à la justice, tant en demande qu’en défense,[35] dans les circonstances appropriées, dans une perspective de bonne administration de la justice.[36]
[56] Il en va également de l’accessibilité au système de justice par les justiciables.
[57] Les délais et les coûts liés à l’accès à la justice restent une préoccupation importante au Québec et partout au pays.
[58] Comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, l’intérêt de la justice « doit tenir compte de la proportionnalité, de la célérité et de l’accessibilité économique » au système de justice. (Notre soulignement)[37]
[59] Les procédures judiciaires abusives, répétées et interminables, ainsi que les coûts qui sont engendrés par de telles actions, créent des obstacles inacceptables à l’accès à la justice, non seulement pour les parties à ces litiges, mais également pour les justiciables en général, qui se voient privés de précieuses plages de disponibilité judiciaire pour l’adjudication des disputes les concernant.[38]
[60] Il faut dire que l’encadrement judiciaire profite non seulement aux justiciables en général, mais également au plaideur quérulent lui-même, qui pourra bénéficier d’une intervention judiciaire permettant de mieux cibler les questions en litige, d’élaguer les enjeux non pertinents et de réduire ainsi la durée et les coûts des procédures autorisées.[39]
[61] Les
articles
L’analyse des prétentions de M. Grenier
Les dispositions constituent un retrait du droit d’ester en justice
[62] M.
Grenier plaide que les articles
[63] Le Tribunal juge que ce n’est pas le cas.
[64] Comme
le démontre le présent recours, l’objet et l’effet d’une déclaration de
quérulence en application de l’article
[65] La déclaration de quérulence impose un mécanisme de filtrage des recours de la personne sujette à autorisation.[41] Elle vise à tempérer « un zèle procédural excessif et déraisonnable » chez le plaideur quérulent.[42]
[66] Le juge en chef ou son délégué peut alors émettre des balises pour s’assurer que le droit d’ester en justice de la personne quérulente soit utilisé à bon escient.[43]
[67] En somme, il s’agit d’un encadrement, non d’un empêchement d’ester en justice.
Les déclarations de quérulence sont émises à perpétuité
[68] M. Grenier plaide que les dispositions du Règlement ne prévoient pas de terme à un assujettissement à la procédure d’autorisation. Les déclarations de quérulence seraient donc émises « à perpétuité ».
[69] Il
est vrai que les articles
[70] Cependant, face à des comportements judiciaires abusifs, déraisonnables et comportant certaines caractéristiques de conditions psychiatriques, la possibilité d’une déclaration de quérulence pour une période indéfinie apparaît raisonnable et justifiable.
[71] À cet égard, l’honorable Yves-Marie Morissette, alors professeur, énonce dans un article que la quérulence, sans être qualifiée de maladie, présente plusieurs caractéristiques avec des conditions psychiatriques répertoriées, « dont la paranoïa et certains troubles de la personnalité (borderline personnality disorder), narcissisme, hypocondrie, érotomanie [conviction délirante d'être aimé] ».[44]
[72] À tout événement, si la Cour supérieure juge pertinent d’imposer un terme dans des circonstances appropriées, elle peut le faire dans l’exercice de ses pouvoirs inhérents.
[73] Rien n’empêche par ailleurs le plaideur quérulent de demander à tout moment une révision ou une terminaison de l’ordonnance d’assujettissement.
La définition du comportement quérulent est imprécise
[74] M.
Grenier plaide que la définition de ce que constitue un comportement quérulent
à l’article
[75] Selon M. Grenier, le Règlement ne spécifie pas ce qui constitue un comportement excessif ou déraisonnable, ce qui fait que les justiciables n’ont pas de balises claires quant à leur façon de se comporter devant les tribunaux.
[76] Comme indiqué, les pouvoirs de la Cour supérieure d’encadrer l’accès à la justice par les plaideurs déraisonnables sont inhérents et ont été exercés avant l’adoption des dispositions de quérulence du Règlement.
[77] Les pouvoirs inhérents ne doivent pas être exercés de manière arbitraire. Avec cette réserve, il apparaît cependant difficile de qualifier de constitutionnellement imprécis un pouvoir judiciaire inhérent qui comporte nécessairement une marge d’appréciation discrétionnaire.
[78] À
tout événement, le Tribunal juge que la définition du comportement quérulent à
l’article
[79] La théorie de l’imprécision, qui repose sur le principe de la primauté du droit, est principalement invoquée à titre de principe de justice fondamentale en application de l’article 7 de la Charte canadienne,[45] qui garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.
[80] Face à des conséquences pénales, les citoyens doivent être raisonnablement prévenus des règles juridiques régissant leur conduite et des conséquences qui peuvent en découler. Ils ont également le droit de ne pas être soumis à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire déraisonnable par l’État dans l’application de la loi.[46]
[81] La norme d’imprécision qui peut justifier une déclaration d’invalidité d’une loi ou d’un règlement en matière constitutionnelle est cependant exigeante.[47]
[82] En effet, la précision absolue des textes juridiques n’est pas possible ni souhaitable, en ce que le législateur ne peut raisonnablement prévoir tous les cas d’application. Le législateur doit fournir des critères législatifs suffisamment intelligibles et il revient aux tribunaux d’en préciser les cas d’application.[48]
[83] Dans ce contexte, une loi ne pourra être jugée constitutionnellement imprécise que si elle ne peut constituer un guide suffisant pour la tenue d’un débat judiciaire.[49]
[84] Le Tribunal ne peut transposer intégralement les règles régissant l’imprécision constitutionnelle visant à protéger les citoyens contre des pouvoirs coercitifs de l’État en matière criminelle et pénale. Cependant, compte tenu de l’importance capitale du droit d’accès à la justice, le Tribunal peut en importer les grandes lignes.
[85] Les
termes « excessif »[50]
et « déraisonnable »,[51]
contenus à l’article
[86] La jurisprudence et la doctrine ont d’ailleurs participé à l’effort de précision, de développement et d’encadrement des critères juridiques applicables aux déclarations de quérulence.
[87] Par
exemple, dans la décision Pogan c. Barreau du Québec (FARPBQ),
l’honorable juge Gascon, alors à la Cour supérieure, fait une synthèse de
certaines caractéristiques développées par les tribunaux qui permettent
d’identifier un plaideur quérulent, en application de l’article
1. Le plaideur quérulent est opiniâtre et narcissique;
2. Il se représente seul;
3. Il se manifeste généralement en demande;
4. Il est incapable et refuse de respecter l’autorité des tribunaux;
5. Il multiplie les recours vexatoires, y compris contre les auxiliaires de la justice, et réitère les mêmes questions par des recours successifs et ampliatifs;
6. Ses procédures sont souvent truffées d'insultes, d'attaques et d'injures;
7. Les arguments mis de l'avant se signalent à la fois par leur inventivité et leur incongruité;
8. Les échecs répétés des recours entraînent son incapacité à payer les frais de justice;
9. Les décisions adverses sont systématiquement portées en appel ou font l'objet de demandes de révision ou de rétractation;
10. La recherche de condamnations financières par le plaideur quérulent est démesurée par rapport au préjudice allégué et ses procédures contiennent des conclusions n'ayant aucune commune mesure avec l'enjeu véritable du débat.[52]
[88] La
définition de ce que constitue un comportement quérulent à l’article
Les dispositions violent les règles de justice naturelle
[89] L’article
[90] M. Grenier prétend que cette disposition constitue une violation aux règles de justice naturelle. Selon lui, la possibilité pour un plaideur déclaré quérulent de faire valoir ses arguments en audience sur une demande d’autorisation d’exercer un recours serait une composante essentielle du droit d’accès à la justice.
[91] Le Tribunal rejette la prétention de M. Grenier selon laquelle cette disposition contreviendrait aux règles de justice naturelle.
[92] Au stade de l’audition de la requête en déclaration de quérulence, le plaideur a la pleine opportunité de faire valoir ses arguments, en audience.
[93] Une fois la quérulence prononcée, l’ordonnance d’assujettissement opère un renversement de fardeau. Toute procédure déposée par le plaideur quérulent est présumée abusive. La personne sujette à autorisation a alors le fardeau de démontrer, prima facie, au juge en chef ou à son délégué le sérieux de son recours pour être autorisé à l’exercer.[53]
[94] À ce titre, toute demande d’autorisation d’exercer un recours en justice à la suite d’une déclaration de quérulence doit être accompagnée des affidavits, des preuves et des informations justifiant l’autorisation.[54]
[95] C’est donc au plaideur quérulent qu’il appartient de démontrer, par voie écrite, le bien-fondé de sa demande d’autorisation.
[96] De l’avis du Tribunal, la présentation obligatoire d’arguments en audience n’est pas d’emblée souhaitable.
[97] La possibilité pour le juge en chef ou son délégué d’instruire une demande d’autorisation sur vue des documents, sans audience, constitue une mesure pratique et nécessaire, considérant que l’une des caractéristiques du plaideur quérulent est justement la multiplication des procédures inutiles et vexatoires.
[98] De
toute manière, l’article
[99] La personne visée peut demander d’être entendue en audience par le juge en chef ou son délégué sur une demande d’autorisation. De plus, si des informations additionnelles sont requises ou pour tout motif suffisant, le juge en chef peut communiquer avec le plaideur quérulent ou le convoquer en vue de lui permettre de faire des représentations additionnelles ou même de l’entendre en audience.
[100] La procédure d’autorisation d’exercer un recours en justice offre donc toutes les garanties procédurales nécessaires à l’exercice des droits du plaideur quérulent.
La conclusion en ce qui concerne le droit d’accès à la justice
[101] En résumé, le Tribunal
juge que les articles
Les articles
[102] L’article
[103] Il faut tout d’abord souligner que les dispositions du Règlement portant sur la quérulence ne compromettent en rien l’indépendance et l’impartialité des tribunaux concernés par les déclarations de quérulence.
[104] La question se
pose cependant de savoir si l’article
[105] Le Tribunal ne
le croit pas. L’article
[106] Comme le
souligne la Cour d’appel dans l’arrêt Imperial Tobacco Canada Ltd. c. Québec
(Procureure générale) : « les
tribunaux n’interviendront à l’égard des droits procéduraux garantis par
l’article
[107] L’article
[108] Comme discuté,
tant au stade de la requête en déclaration de quérulence qu’au stade de
l’autorisation d’exercer un recours en justice, les articles
[109] Les articles
[110] À tout
événement, si l’article
L’article
[111] L’article
[112] M. Grenier plaide que son inscription au registre constitue une grave atteinte à son honneur, sa dignité et sa réputation, équivalant à une stigmatisation publique.
[113] L’article
[114] Il est acquis que tout justiciable doit utiliser le système judiciaire de manière raisonnable et responsable.[58]
[115] La justice et les jugements des tribunaux sont publics.
[116] Si un plaideur fait défaut de respecter les règles en déposant à répétition des recours abusifs, déraisonnables ou vexatoires, il doit pouvoir en répondre publiquement.
[117] La déclaration de quérulence par la Cour supérieure est donc publique et le jugement la prononçant est disponible pour le public et les médias sur demande au greffe de la Cour et électroniquement sur les moteurs de recherche juridique.
[118] Le plaideur quérulent ne peut donc se plaindre de quelque conséquence à sa dignité, son honneur ou sa réputation découlant d’un jugement public rendu par la Cour supérieure et émis en conséquence de sa conduite.
[119] Par ailleurs, l’addition d’une personne au registre des plaideurs sujets à autorisation s’inscrit dans une approche globale de renforcement de l’efficacité de l’administration de la justice.[59]
[120] Dans ce contexte, la publicisation des déclarations de quérulence est essentielle pour que les tiers qui ne sont pas parties au dossier puissent prendre connaissance de l’ordonnance et en demander le respect.
[121] À tout événement, selon la preuve versée par le Procureur général concernant la tenue du registre des plaideurs sujets à autorisation, le Tribunal constate que des mesures significatives ont été prises pour limiter l’accessibilité aux informations essentielles à la finalité du registre, minimisant ainsi les impacts possibles d’une déclaration de quérulence sur la personne concernée, par exemple :
121.1. La direction générale des services de justice effectue une validation juridique préalable afin d’assurer l’exactitude des informations qui seront inscrites au registre;
121.2. Les inscriptions au registre n’apparaissent pas sous forme de liste et les critères de recherche sont limités au numéro de dossier, au prénom et au nom de famille du plaideur quérulent;
121.3. Le registre n’est consultable que via un outil de recherche spécifique et les renseignements qu’il contient ne sont pas accessibles via des moteurs de recherche publics comme Google;
121.4. Le jugement intégral déclarant un plaideur quérulent n’apparaît pas au registre; seuls les paragraphes du dispositif s’y trouvent;
121.5. Un outil de rappel est mis en place afin que le gestionnaire du registre puisse retirer l’inscription à l’échéance prévue de la déclaration de quérulence, le cas échéant.
[122] Le Tribunal juge que ces mesures sont de nature à minimiser les impacts éventuels d’une déclaration de quérulence sur la personne visée.
[123] Le Tribunal juge
donc que l’article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[124] REJETTE
la Requête introductive d’instance en nullité des articles
[125] DÉCLARE que
les articles
[126] LE TOUT, avec frais de justice.
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__________________________________ SIMON RUEL, j.c.s. |
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M. Raynald Grenier […]Québec (Québec) […] Se représentant seul
Me Stéphanie Quirion-Cantin Chamberland Gagnon Casier 134 Procureure de la défenderesse |
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[1] Règlement de procédure civile de la Cour supérieure du Québec, RLRQ, c. C-25.01, r. 4, anciennement le C-25, r.11.
[2] Québec (Procureur général) c. Grenier,
[3] Ibid., paras 30 à 32.
[4] Grenier c. Québec (Procureur général),
[5] Canada (Procureur général) c. Downtown
Eastside Sex Workers United Against Violence Society,
[6] Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.).
[7] Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c .11 (R.-U.).
[10] Guindon c. Canada,
[11] Ibid., para. 46.
[12] Loi constitutionnelle de 1867, para. 92(14).
[13] Trial Lawyers Association
of British Columbia c. Colombie-Britannique
(Procureur général),
[14] Id.
[15] Ibid., para. 36.
[16] B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur
général),
[17] Renvoi relatif à la sécession du Québec,
[18] B.C.G.E.U., précité, note
16, paras 24, 25; Conseil
canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration),
[19] B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), précité, note 16, para. 25.
[20] Ibid., para. 24.
[21] Renvoi relatif à la sécession du Québec, précité, note 17, para. 70; Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur général), précité, note 13, paras 38, 39.
[22] Barreau du Québec c. Srougi,
[23] Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur general), précité, note 13, para. 47.
[24] Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité, note 18, 252.
[25] United
Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général),
[26] Morency c. Québec (Commission des affaires sociales), [1998] J.Q. no 655 (C.A.) (QL/LN), page 6; Barreau du Québec c. Siminski, [1999] J.Q. no 1568 (C.S.), para. 33 (QL/LN); Chutskoff v. Bonora, 2014 ABQB 628, para. 29.
[27] Barreau
du Québec c. Siminski, précité, note 27, para. 29; Pogan c.
Barreau du Québec,
[28] Denis FERLAND et Benoit EMERY, Traité de procédure civile, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, pages 172 à 178; Yves-Marie MORISSETTE, Pathologie et thérapeutique du plaideur trop belliqueux, (2002) 32 R.D.U.S. 252, page 268; Yves-Marie MORISSETTE, Abus de droit, quérulence et parties non représentées, (2003) 49 R.D. McGill 23, 47.
[29] Y.-M. MORISSETTE, Pathologie et thérapeutique du plaideur trop belliqueux, Ibid., page 268.
[30] Yorke c. Paskell-Mede,
[31] Y.-M. MORISSETTE, Abus de droit, quérulence et parties non représentées, précité, note 28, pages 27, 49.
[32] Id.
[33] Barreau du Québec c. Srougi, précité, note 22, para. 20.
[35] Grenier c. Lavery, de Billy, s.e.n.c.r.l.,
[36] Dobson v. Green, 2012 ONSC 4432, para. 55.
[37] Hryniak c. Mauldin,
[38] Ibid., paras 24, 25; Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur general)), précité, note 13, para. 47.
[40] Bellemare c. Abaziou,
[41] Wong v. Giannacopoulos,
[42] Dubé c. Commission des relations de travail, précité, note 39, para. 6.
[43] Pogan c. Barreau du Québec, précité,
note 27, paras 156, 158; Gratton c. Gatineau (Service de police de la Ville
de),
[44] Y.-M. MORISSETTE, Abus de droit, quérulence et parties non représentées, précité, note 28, pages 25, 26.
[45] R. c. Nova Scotia Pharmaceutical
Society,
[46] Ibid., page 632 ss.
[47] Ibid., page 632.
[48] Irwin Toy Ltée c. Procureur général du Québec,
[49] R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, précité, note 45, page 638.
[50] Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et
de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et
de l’Immigration),
[51] Dunsmuir c. Nouveau - Brunswick,
[52] Pogan c. Barreau du Québec, précité, note 27, paras 81 à 83.
[53] H.E. c. Lack, précité, note 34, paras 30, 31.
[54] Production Pixcom inc. c. Fabrikant, précité, note 34, para. 24.
[55] Imperial Tobacco Canada Ltd. c. Québec (Procureure
générale),
[56] Ibid., para. 52.
[57] Ibid., paras 51, 52.
[58] Ste-Monique (Municipalité de) c. Frappier,
[59] Canada (Attorney General) v. Mennes, 2012 ONSC 3918, par. 65.
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