Astenjohnson inc. (Div. Toiles Montréal) et Lajeunesse |
2007 QCCLP 3226 |
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Dossier 250543-71-0412
[1] Le 8 décembre 2004, Astenjohnson inc. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue le 25 novembre 2004, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 8 juillet 2004 et déclare que madame Pierrette Lajeunesse (la travailleuse) a subi, le 26 mai 2004, une lésion professionnelle et qu’elle a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
Dossier 268048-71-0507
[3] Le 28 juillet 2005, l’employeur dépose une seconde requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue le 6 juillet 2005 par la CSST, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 25 avril 2005, à la suite de l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 13 avril 2005, lequel retient les diagnostics d’épicondylite du coude droit et de tendinite bicipitale distale et déclare qu’il y a relation entre le nouveau diagnostic de tendinite bicipitale distale du coude droit et l’événement du 26 mai 2004 et que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la loi en regard de ce nouveau diagnostic. Elle déclare également que la CSST doit cesser de payer les soins après le 17 mars 2005 puisqu’ils ne sont plus justifiés. La lésion est consolidée à cette date.
[5] L’employeur est présent et représenté à l’audience tenue à Montréal, le 3 novembre 2005. La travailleuse est présente et représentée. L’audience est ajournée aux 18 mai 2006, 14 septembre 2006 et 16 février 2007. Les parties étaient présentes lors de ces ajournements. La semaine précédant le dernier ajournement, la soussignée a communiqué par télécopieur avec le procureur de l’employeur afin qu’il demande à son médecin expert de fournir de la littérature médicale afin d’éclairer le tribunal relativement à la biomécanique de la tendinite bicipitale et des tendons épicondyliens. Lors de la dernière journée, le médecin de l’employeur a produit divers extraits de littérature médicale[2].
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[6] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse n’a pas subi, le 26 mai 2004, une lésion professionnelle lui donnant droit aux prestations prévues par la loi.
[7] L’employeur demande également à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’épicondylite du coude droit n’est pas reliée au travail effectué par la travailleuse. Il demande également à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la tendinite bicipitale n’est pas non plus reliée au travail effectué par la travailleuse. Elle n’a donc pas droit aux prestations prévues par la loi.
[8] L’employeur a reconnu, lors du second ajournement, qu’il ne contestait plus les diagnostics retenus par le membre du Bureau d’évaluation médicale. Il estime simplement qu’il ne peut s’agir d’une maladie professionnelle ou d’une autre forme de lésion professionnelle. Lors du troisième ajournement, l’employeur a indiqué au tribunal qu’en relation avec les diagnostics, il est d’avis que l’épicondylite n’est pas une épicondylite mécanique du type « tennis elbow », mais plutôt une tendinopathie dégénérative sans lien avec le travail. Pour ce qui est de la tendinite bicipitale, il est plutôt d’avis qu’il s’agit dans les faits d’une autre tendinopathie d’origine personnelle sans lien avec le travail effectué par la travailleuse.
L’AVIS DES MEMBRES
[9] Le membre issu des associations d’employeurs, monsieur Sarto Paquin, est d’avis de faire droit à la requête de l’employeur. Il estime que la preuve médicale offerte le convainc que les lésions dont est porteuse la travailleuse ne peuvent être considérées comme des lésions professionnelles. La travailleuse n’a donc pas subi, en mai 2004, une lésion professionnelle.
[10] Le membre issu des associations syndicales, monsieur Claude Bouthillier, est d’avis de rejeter les requêtes de l’employeur et de maintenir les décisions rendues. Il estime que la preuve soumise démontre des gestes à risques pour causer les deux lésions en cause, soit l’épicondylite du coude droit et la tendinite bicipitale distale. Il estime que les facteurs de risques pour développer de telles lésions sont présents dans le travail exercé par la travailleuse, plus particulièrement lors du travail de « clipping ». On retrouve une fréquence élevée de mouvements susceptibles de causer de telles lésions. De plus, on retrouve également des efforts importants et suffisants sollicitant ces structures anatomiques. L’épicondylite droite et la tendinite bicipitale sont donc reliées aux risques particuliers de son travail. Elle a donc subi une maladie professionnelle lui donnant droit aux prestations prévues par la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[11] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi, le 26 mai 2004, une lésion professionnelle et si elle a droit aux prestations prévues par la loi.
[12] La loi définit ainsi l’accident du travail, la lésion professionnelle et la maladie professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
[13] Afin de faciliter la preuve de la travailleuse, le législateur a édicté diverses présomptions qui dispensent la travailleuse d’avoir à prouver chacun des éléments de la définition d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Ces présomptions se retrouvent aux articles 28 et 29 de la loi qui se lisent comme suit :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
[14] Lorsque les présomptions ne trouvent pas application, la travailleuse peut démontrer qu’elle a subi un accident du travail, au sens de l’article 2 de la loi. Elle peut démontrer également que les conditions prévues à l’article 30 de la loi sont rencontrées, à savoir que sa maladie est caractéristique ou reliée aux risques particuliers de son travail.
[15] Cet article se lit comme suit :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
[16] En l’espèce, le tribunal est d’avis que les éléments du dossier ne permettent pas l’application de la présomption de lésion professionnelle visée à l’article 28 de la loi. Pas plus qu’ils ne permettent au tribunal de conclure que la travailleuse a subi un accident du travail.
[17] Par contre, le tribunal est d’avis, après avoir entendu l’ensemble de la preuve, que la travailleuse a présenté, en mai 2004, des maladies professionnelles.
[18] Il est d’avis de rejeter les requêtes de l’employeur parce que la preuve démontre que l’épicondylite droite et la tendinite bicipitale droite dont a souffert la travailleuse en mai 2004 sont caractéristiques ou reliées aux risques particuliers du travail exercé par la travailleuse et plus particulièrement lors du travail de « clipping », qu’elle effectue depuis 33 ans pour l’employeur. Elle a donc droit aux prestations prévues par la loi.
[19] Voyons maintenant les raisons qui motivent cette conclusion.
[20] Le tribunal retient les éléments suivants.
[21] La travailleuse est âgée de 63 ans lors des événements en cause. Elle travaille depuis 33 ans pour l’employeur, au moment de la réclamation. À l’audience, elle mentionne qu’elle ne travaille plus pour l’employeur ayant été congédiée en juillet 2004. Le congédiement ne fait pas partie du présent litige puisqu’un grief est en cours.
[22] Le 3 juin 2004, la travailleuse remplit une réclamation à la CSST dans laquelle elle allègue avoir été victime d’un événement le 26 mai 2004 et avoir présenté des douleurs au bras, en coupant les terminaisons des toiles « clipping ».
[23] Le 3 juin 2004, le docteur Renida Sam pose un diagnostic d’épicondylite du coude droit à la suite de surtemps et de mouvements répétitifs. Il recommande un travail sans mouvement répétitif ou un arrêt de travail complet.
[24] Le 10 juin 2004, le docteur Sam reprend son diagnostic d’épicondylite externe du coude droit. Il note une détérioration de l’état de la travailleuse malgré les travaux légers. Il prescrit un arrêt de travail complet.
[25] Le 17 juin 2004, le docteur Sam indique, dans ses notes de consultations, que la travailleuse accuse des douleurs aux mouvements contrariés d’extension et de pronation-supination. De plus, à l’aide de schémas, il précise le site des douleurs accusées par la travailleuse, soit à la face latérale externe du coude droit, de même qu’au pli du coude droit. Il reprend son diagnostic d’épicondylite externe du coude droit. Il prolonge l’arrêt de travail, il prescrit de la physiothérapie et il réfère la travailleuse en physiatrie.
[26] Le 17 juin 2004, le docteur François Le Bire examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Le médecin est d’avis que la travailleuse ne présente pas d’épicondylite mais plutôt un syndrome du canal radial. Dans la note médico-administrative accompagnant cette expertise et obtenue à la demande du tribunal, le docteur Le Bire estime que ce syndrome peut être en relation avec le surcroît de travail qu’a exercé la travailleuse dans les semaines précédant son arrêt de travail. Son opinion sera reprise plus loin dans la présente décision.
[27] Le 19 juin 2004, le docteur Renida Sam note une légère amélioration. Il recommande de la physiothérapie trois fois par semaine. Il dirige la travailleuse au docteur Chan, physiatre. Il prolonge l’arrêt de travail.
[28] Lors de la visite du 2 juillet 2004, le docteur Sam précise, croquis à l’appui, que les douleurs sont à la face latérale externe du coude droit de même qu’au tendon, au pli du coude droit, face antérieure. Elle présente une douleur au moindre mouvement du coude, de la main et des doigts droits. Il augmente la fréquence des traitements de physiothérapie.
[29] Lors de la visite du 16 juillet 2004, le docteur Sam rapporte que la travailleuse a vu le docteur Chan, physiatre, qui a confirmé le diagnostic d’épicondylite du coude droit. Il mentionne que les notes de physiothérapie font état d’une diminution de l’inflammation. L’état de la travailleuse demeure fragile dès qu’elle force un peu. Les mouvements de flexion et d’extension du coude sont normaux. Cependant, il rapporte une faiblesse lorsque ces mouvements sont faits contre-résistance ainsi qu’une douleur importante.
[30] Le 28 juillet 2004, le docteur Chan, physiatre, rapporte une amélioration de l’état de la travailleuse. Celle-ci ne se plaint plus de douleur au rachis cervical ni à l’avant-bras droit. La douleur est centrée sur l’épicondyle externe du coude droit. Il n’y a plus de douleur à l’épicondyle interne.
[31] Le tribunal retient que, entre juillet 2004 et janvier 2005, plusieurs diagnostics seront posés. Le tribunal tient cependant à préciser que dans les notes cliniques du docteur Sam, du 17 juillet 2004, le médecin précise davantage, croquis à l’appui, le site des douleurs accusées par la travailleuse. Il indique deux sites précis, soit la partie latérale externe du coude droit, qu’il écrit être le site de la douleur maximale, et le tendon du pli du coude droit, à la face antérieure. Le médecin indique également que la travailleuse accuse des douleurs le long de l’avant-bras droit, lors des mouvements de déviation cubitale. Il donne, comme impression diagnostic, une épicondylite et une tendinite du poignet droit.
[32] Ces diagnostics ont d’ailleurs fait l’objet d’une contestation devant le Bureau d’évaluation médicale puisque le docteur Le Bire, médecin de l’employeur, s’opposait au diagnostic d’épicondylite droite posé par le médecin traitant. Cependant, au fil des mois, la position de l’employeur s’est modifiée puisqu’il ne conteste plus les diagnostics qui seront finalement retenus par le membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Wiltshire, à savoir les diagnostics d’épicondylite du coude droit et de tendinite bicipitale du membre supérieur droit.
[33] Le 13 août 2004, le docteur Sam rapporte une nette amélioration de l’état de la travailleuse depuis qu’elle porte une attelle et qu’elle effectue du travail allégé. Il reprend son diagnostic d’épicondylite du coude droit.
[34] Il faut aussi noter que le 15 août 2004, la travailleuse se fait mordre par un chien à la main droite et elle reçoit des points de suture. Elle est par la suite suivie pour cette blessure à la main du 26 août 2004 au 9 septembre 2004 où on change son pansement et on désinfecte sa plaie. Le tribunal note que lors de ces visites, on ne mentionne pas de douleurs au coude ou au pli du coude droit. Toutefois, le 19 août 2004, le docteur Sam recommande un arrêt de travail complet en raison de la morsure de chien, et ce, jusqu’au 27 août 2004.
[35] Lors de la visite du 4 septembre 2004, le docteur Sam indique, dans ses notes de consultations, que la travailleuse présente une bonne amplitude articulaire du coude. Il précise toutefois que le travail allégé effectué par la travailleuse a sensibilisé son poignet droit. Il rapporte une diminution de la douleur au niveau de l’épicondyle externe. Il note une sensibilité lors de la supination et la pronation.
[36] Le 24 septembre 2004, le docteur Sam pose un diagnostic d’épicondylite du coude droit. Il note que la travailleuse présente des douleurs irradiant au poignet lors des mouvements de pronation et de supination répétitifs. Il recommande de poursuivre le travail allégé à temps plein.
[37] Le 7 octobre 2004, le docteur Sam recommande un retour progressif au travail régulier. Il indique, dans ses notes de consultations, que la travailleuse présente toujours une douleur à la face latérale externe du coude droit. Elle présente une douleur à la pression ainsi qu’à la pronation-supination.
[38] Le 1er novembre 2004, le docteur Sam note que la douleur se situe au niveau du tendon du long fléchisseur lors des mouvements de pronation et de supination. Il recommande un travail allégé avec retour progressif au travail régulier.
[39] Le 17 novembre 2004, le docteur Sam dirige la travailleuse au docteur Chan ou à un autre spécialiste. Il rapporte une exacerbation des douleurs selon ce que mentionne la physiothérapeute.
[40] Le 9 décembre 2004, le docteur François Le Bire examine la travailleuse à la demande de l’employeur. La travailleuse lui rapporte que l’état de son coude n’est pas plus douloureux qu’en juin 2004. Elle a encore des douleurs au poignet droit lorsqu’elle tente de forcer en supination. Il note qu’elle n’a pas de douleurs à l’épicondyle mais plutôt à la tête radiale, ainsi que sur la face antérieure de l’avant-bras, dans le pli du coude. Il note une perte de supination de 35 degrés. Il estime que si elle est porteuse d’une épicondylite, celle-ci est consolidée. Selon lui, la travailleuse n’a jamais présenté d’épicondylite. Il recommande une résonance magnétique en précisant qu’elle a un autre problème sous-jacent. Dans son rapport, le médecin est d’avis que la travailleuse présente un syndrome du canal radial.
[41] Le 16 décembre 2004, une résonance magnétique du coude droit démontre une importante anomalie au niveau du tendon du biceps de même que des signes d’une épicondylite au coude droit. On fait mention d’œdème au niveau du tendon du biceps ainsi qu’une déchirure partielle de ce tendon.
[42] Le 13 janvier 2005, le docteur Le Bire produit un rapport complémentaire dans lequel il réitère que lors de son examen de juin 2004, il ne retrouvait pas de signes évidents d’épicondylite. Il parlait d’une épicondylalgie droite faisant référence à une douleur à la tête radiale en allant vers le pli du coude droit. Il a suggéré des examens complémentaires. À la suite de la résonance magnétique, il est d’avis que la travailleuse ne présente pas d’épicondylite clinique, mais plutôt un problème important de son tendon bicipital, au pli du coude droit. Il rappelle que l’épicondylite est avant tout un diagnostic clinique. Il s’agit d’une enthésopathie et/ou tendinopathie qui peuvent résulter de plusieurs causes. Il est normal que plus on avance en âge, plus les tendons épicondyliens présentent des signes de tendinopathie. Ces signes ont été retrouvés lors de la radiographie de juin 2004 et de la résonance magnétique de décembre 2004. Lors de son examen de juin 2004, il ne retrouvait pas de signes d’une enthésopathie mécanique. Il est d’avis que les signes notés à son examen en décembre 2004 peuvent s’expliquer par les découvertes faites à la résonance magnétique. Il poursuit en disant : « Je rappelle qu’effectivement, le biceps est le premier supinateur de l’avant-bras et qu’il se trouve bel et bien au milieu du pli du coude. Tout cela correspondait effectivement au tableau clinique présenté par madame. »
[43] Il poursuit en disant que la travailleuse n’a jamais révélé d’événement qui puisse expliquer l’état de son tendon bicipital. Il croit que cet état ne peut provenir uniquement d’un processus de vieillissement. Il est aussi d’avis que le travail dénoncé par la travailleuse comme étant responsable de son état n’a rien à voir avec ce tendon. Il suggérait que le dossier soit dirigé au Bureau d’évaluation médicale sur la question du diagnostic.
[44] Le 20 janvier 2005, le docteur Cirkovic, chirurgien-orthopédiste, examine la travailleuse et pose les diagnostics de tendinite bicipitale et d’épicondylite du coude droit.
[45] Ces diagnostics seront repris par la suite et seront retenus plus tard par le membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Wiltshire.
[46] Le 28 janvier 2005, le docteur Sam produit un rapport complémentaire, à la suite de l’évaluation du docteur Le Bire, dans lequel il maintient ces diagnostics d’épicondylite du coude droit et de tendinite bicipitale droite.
[47] Le 17 mars 2005, le docteur Cirkovic retient un diagnostic de tendinopathie chronique et déchirure bicipitale distale droite et épicondylite droite. Il consolidait la lésion à cette date, sans atteinte permanente mais avec des limitations fonctionnelles. Il réfère la travailleuse au docteur Tohmé afin qu’il remplisse le rapport d’évaluation médicale.
[48] Le 18 mars 2005, le docteur Sam pose un diagnostic d’épicondylite externe droite et de tendinite bicipitale distale secondaire à une rupture à l’insertion du tendon du biceps. Il consolide également la lésion en date du 17 mars 2005 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles tout en dirigeant la travailleuse au docteur Tohmé pour l’évaluation des séquelles.
[49] Puis, le dossier est soumis au Bureau d’évaluation médicale, à la demande de l’employeur qui conteste la question du diagnostic et de la date de consolidation.
[50] Le 7 avril 2005, le docteur Wiltshire, chirurgien-orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine la travailleuse. La travailleuse lui rapporte des douleurs au pli antécubital du coude droit et à la face externe du même coude. Lors de son examen, il note une supination limitée à droite à 30 degrés. Il y a une douleur à la palpation de l’insertion du biceps au radius, lors de la tension du biceps contre-résistance et lors de la supination contre-résistance. Il note une sensibilité à l’épicondyle droite et à la palpation du tendon commun des extenseurs, sans réelle enflure, mais avec une douleur provoquée à la palpation et à la mise sous tension des épicondyliens lors de la dorsiflexion du poignet contre-résistance et lors de la dorsiflexion du majeur droit contre-résistance. À la suite de son examen, ce dernier conclut à un diagnostic d’épicondylite du coude droit, mais surtout à une tendinite bicipitale distale du coude droit, sans signe d’un canal radial.
[51] Le 8 juillet 2005, le docteur Sam produit un rapport d’évaluation médicale dans lequel il accorde un déficit anatomo-physiologique de 7 %, soit 2 % pour la rupture du biceps, 5 % pour une épicondylite externe du coude droit et pour une limitation de la supination à 30 degrés.
[52] Le 17 août 2005, le docteur Le Bire examine à nouveau la travailleuse et produit un rapport dans lequel il maintient qu’il n’y a pas de trace d’épicondylite mécanique comme telle. Il retrouve des signes d’enthésopathie du biceps. Il accorde un déficit anatomo-physiologique de 5 % pour cette pathologie compte tenu des limitations d’amplitudes articulaires du coude.
[53] Les séquelles des ces lésions seront contestées par l’employeur au Bureau d’évaluation médicale.
[54] Le 20 décembre 2005, le docteur Danielle Desloges, chirurgienne orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine la travailleuse. Elle note à son examen, une douleur à la palpation du tendon distal du biceps au pli antécubital et une légère sensibilité à l’épicondyle externe. L’épitrochlée n’est pas douloureuse tout comme le coude gauche. L’amplitude articulaire des deux coudes est symétrique sauf la supination du coude droit qui est limitée de 30 degrés. La force segmentaire est conservée, sauf qu’elle accuse une douleur à la supination contre-résistance et la flexion contre-résistance du coude droit. La dorsiflexion contre-résistance du poignet, la pression sur le troisième doigt et la flexion palmaire contre-résistance sont négatives à droite et à gauche. Elle rapporte que la travailleuse travaille depuis 34 ans comme tisseuse. Elle a développé, en quelques jours, des douleurs importantes à la face antérieure du coude et à l’épicondyle. Le diagnostic initial était épicondylite externe et il a été maintenu par la suite. La physiothérapeute a noté un œdème et des douleurs au pli antérieur du coude. La résonance magnétique a montré une légère inflammation des épicondyliens mais surtout une rupture partielle de haut grade avec bursite du tendon du biceps distal. Cette dernière ne retrouve que des douleurs résiduelles au niveau de l’épicondyle. Elle n’accorde aucun déficit anatomo-physiologique pour cette lésion. Elle accorde, par ailleurs, pour la tendinite bicipitale distale droite, un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour atteinte des tissus mous et de 3 % pour une perte de supination du coude droit. Elle attribue des limitations fonctionnelles pour cette tendinite bicipitale distale avec rupture partielle de haut grade.
[55] L’employeur et la travailleuse ont contesté la décision qui entérinait ces conclusions du Bureau d’évaluation médicale. Par la suite, ils se sont désistés de ces contestations.
[56] Le tribunal retient que les contestations de l’employeur reposent sur l’absence de relation entre les diagnostics de tendinite bicipitale et d’épicondylite droite et le travail effectué par la travailleuse. L’employeur remet en question l’origine professionnelle de ces lésions au motif que le travail effectué par la travailleuse, bien que présentant des mouvements répétitifs, n’impose pas de cadence, ni d’efforts suffisants et ne peut donc être la cause des lésions diagnostiquées chez la travailleuse.
[57] L’essentiel du témoignage du docteur Le Bire a reposé sur le fait que, de par sa connaissance du poste de travail occupé par la travailleuse, qu’il tire des visites qu’il a effectuées dans l’usine entre 1987 et 1998, il est d’avis que ce travail ne nécessite pas d’efforts suffisants pour avoir occasionné les lésions en cause. Pour lui, ces lésions sont d’origine dégénérative sans lien avec le travail.
[58] Le tribunal ne partage pas ce point de vue. Il estime au contraire que les lésions diagnostiquées, à savoir l’épicondylite et la tendinite bicipitale distale du coude droit, sont directement reliées aux risques particuliers du travail effectué par la travailleuse. Le tribunal expliquera plus avant ses conclusions.
[59] L’employeur est une entreprise de fabrication de toiles pour le transport et le drainage de la pâte de papier. Ces toiles sont utilisées dans les entreprises papetières. Ces toiles sont tissées avec des fils d’une variété particulière de fibres de plastique. Ces toiles sont utilisées en continu, ce qui signifie que les deux extrémités doivent être rassemblées (retissées) selon un processus de tissage particulier faisant en sorte que la toile soit sans fin. Ces diverses étapes de tissage varient selon le type de toile qui est confectionné. Cette étape est appelée le tissage du joint. La travailleuse était affectée à cette tâche depuis de nombreuses années.
[60] L’employeur a fait entendre un superviseur de la production au tissage du joint, monsieur Desjardins, lequel a longuement témoigné concernant les diverses étapes de travail. Le tribunal a pu visionner deux enregistrements numériques reprenant ces étapes et processus de tissage. Il n’entend pas les reprendre en détail. Ce qui importe de savoir ce sont les diverses sollicitations du membre supérieur droit, lors de chacun de ces processus. Le tribunal décrira donc, pour chacune de ces étapes, les mouvements effectués par le membre supérieur droit lors de ces diverses tâches.
[61] Le tribunal retient de ce témoignage que depuis environ l’année 2002, l’entreprise a beaucoup de travail. Ce surcroît de travail a amené une surcharge au niveau du tissage de joint, poste de travail occupé par la travailleuse. Cette surcharge a fait en sorte que la travailleuse a effectué beaucoup de temps supplémentaire, particulièrement en 2003 et même jusqu’en mai 2004, lors de l’apparition des douleurs au bras droit.
[62] Le tribunal retient que le temps supplémentaire s’effectue normalement par bloc de quatre heures, à la fin ou avant le début du quart de travail ou également le samedi. La travailleuse effectuait régulièrement des semaines de travail de 50 ou même 60 heures durant toute l’année précédant son arrêt de travail.
[63] Le tissage du joint se fait selon différentes méthodes soit le tissage conventionnel, effectué à l’aide d’une pédale qui fait remonter les fils de chaîne de façon à ce qu’on puisse y faire passer le nouveau fil à tisser. On utilise un pic de métal dans la main droite afin de placer les brins. La main droite tient le pic dans un mouvement de pince, le poignet effectuant des pronations-supinations et des flexions extensions.
[64] La travailleuse peut également utiliser un bâton de bois afin de séparer les fils. La main droite est alors en pronation et effectue des mouvements de pronation supination afin de bien séparer les fils.
[65] La seconde méthode est appelée celle du peigne automatique dans laquelle on doit séparer les fils avec les doigts afin de pouvoir insérer le brin à tisser.
[66] La troisième méthode « stream line » est celle par laquelle on effectue un tissage mécanique du joint. Ce travail se fait à l’aide d’un peigne automatique qui sépare les fils. La travailleuse n’a pas travaillé souvent à ce poste parce d’implantation récente.
[67] Monsieur Desjardins a également décrit l’opération qui consiste à préparer les bords de la toile (Edging Ripe out). Il a aussi décrit le poste de « clipping » qui consiste à couper et à retirer les fils excédentaires qui demeurent une fois les deux extrémités de la toile rassemblées.
[68] Le tribunal retient que la travailleuse a commencé à ressentir des douleurs à son membre supérieur droit, alors qu’elle occupait précisément ce poste.
[69] Cette tâche implique de couper les deux fils qui demeurent après le tissage du joint, avec une pince coupante. La travailleuse doit, par la suite, tirer sur les fils afin de pouvoir les enlever. Cette opération du coupage nécessite l’usage d’une pince coupante de la main droite. La main droite est en pronation et elle tient le manche de la pince par un mouvement de préhension des doigts. Contrairement à ce qu’on voit sur la bande vidéo, alors que la travailleuse vue utilise un pic de métal afin d’écarter et d’aller chercher les fils à couper, la travailleuse précise au tribunal utiliser son index droit, qui est maintenu en extension, afin d’écarter les fils. Durant cette opération, alors qu’elle doit faire ressortir les fils, la travailleuse tient la pince entre ses doigts, dans un mouvement de préhension. Elle ne dépose jamais sa pince durant ce travail, ce qui signifie qu’elle exerce une pression constante sur la pince afin de la retenir. La travailleuse travaille la main en pronation, le coude fléchi à près de 90 degrés. Elle effectue de légers mouvements de prosupination du coude afin d’enlever les fils qu’elle a coupés ou afin de les isoler avant de les couper, le bras droit en abduction et en élévation d’environ 30 à 45 degrés dépendant de l’endroit où elle travaille sur la toile.
[70] Monsieur Desjardins a aussi décrit les autres différentes tâches effectuées lors du tissage du joint.
[71] Pour ce qui est du « Edging Ripe out », l’opération implique que la travailleuse, à l’aide d’un pic de métal, descend les fils de chaîne un à un, afin de pouvoir ensuite les couper et à l’aide d’une pince, les tirer un à un dans un mouvement de flexion/extension complète du coude, combiné à une abduction du bras, afin de l’enlever complètement de la toile. La main droite est en pronation et tient la pince dans un mouvement de pince pentadigitale.
[72] Le tribunal tient à préciser que les fils sont de fibres synthétiques. La travailleuse a précisé que l’effort à déployer pour les tirer était important étant donné la densité du tissage. Elle vaporise d’ailleurs une solution de vaseline sur la toile afin de rendre le travail moins difficile. Il faut exercer alors une plus grande pression sur la pince afin de bien tenir le fil à tirer parce que le matériel est plus glissant étant donné la vaseline vaporisée.
[73] Une autre étape de travail consiste à insérer une férule de métal afin de relier ensemble les deux extrémités des fils de la chaîne. Il s’agit d’un travail de minutie qui s’effectue à l’aide des doigts et d’une pince qui est tenue de la main droite, dans un mouvement de préhension pentadigitale. Chaque fil de la chaîne doit être apparié avec son semblable et inséré dans la férule de métal, laquelle est écrasée à l’aide de la pince afin d’unifier les deux extrémités des fils.
[74] Le tribunal retient aussi, à partir des différents rapports de production confectionnés pour l’audition des présentes requêtes, que la travailleuse a, durant l’année 2003-2004, effectué 13 % de son temps de travail au poste de « clipping », alors que les autres travailleurs étaient affectés, en moyenne 5 % de leur temps de travail, cette année-là, à ce poste. Cette différence s’explique par le fait que le « clipping » s’effectue en temps supplémentaire, que la travailleuse en faisait beaucoup et qu’elle était efficace dans ce travail.
[75] Le tribunal retient également que l’entreprise avait établi clairement des objectifs de production pour le tissage de joint. Les autres opérations n’avaient pas d’objectifs de production préétablis. Bien que monsieur Desjardins ait affirmé que les travailleurs affectés au tissage de joint n’avaient pas de cadence imposée, le tribunal retient que les travailleurs devaient satisfaire ou, du moins, tenter de rencontrer certains objectifs de production. Ces objectifs étaient fixés par quart de travail. Même si, dans les faits, ils n’étaient jamais atteints, selon le témoignage de monsieur Desjardins, le tribunal est d’avis que l’établissement de ces objectifs pouvaient ajouter à la charge de travail de la travailleuse parce qu’imposant un certain rythme de production. Monsieur Desjardins a d’ailleurs reconnu que même s’il n’y avait pas de cadence imposée, l’entreprise n’aurait pas toléré un employé qui ne rencontrait pas un minimum de production.
[76] Le tribunal retient donc que si madame Lajeunesse a travaillé 33 ans pour l’entreprise, c’est que nécessairement, elle satisfaisait aux exigences de l’employeur quant à la qualité et quant à la quantité de travail accompli. D’ailleurs, le superviseur de la travailleuse a reconnu que celle-ci dépassait les attentes en ce qui a trait au poste de « clipping ». Elle travaillait plus vite que les autres à ce poste.
[77] Lors de l’ajournement du 14 septembre 2006, le docteur François Le Bire a témoigné à la demande de l’employeur. Il explique avoir une certaine connaissance de cette entreprise puisqu’il en est le médecin désigné depuis 1987. Il a visité cette usine à l’époque. Sa dernière visite remonte toutefois avant 2000, vers les années 1997 ou 1998. Il connaît le travail de tissage du joint et de « clipping » puisqu’il l’a déjà observé sur place. Depuis que la travailleuse n’est plus au travail, il y a eu des changements dans l’usine, mais du temps où elle était en poste, il a vu les outils et le travail fait par la travailleuse.
[78] Le tribunal note cependant que le docteur Le Bire n’a pas observé de façon précise la méthode de travail de la travailleuse lors de ses visites, du moins pas durant la période contemporaine à la réclamation, puisque sa dernière visite dans l’usine remonte aux années 1997-1998.
[79] Lors de son témoignage, il a repris les constatations faites lors de sa première expertise du 17 juin 2004. Dans cet examen, le médecin rapporte les symptômes alors ressentis par la travailleuse. Elle se plaint de douleurs lors de la rotation et la supination du poignet ainsi que d’engourdissements du pouce droit. Elle présente une douleur dans le pli du coude lorsqu’elle contracte le poing. Lors de son examen, il note des amplitudes complètes du coude. La palpation du condyle huméral est indolore, mais il perçoit certaines granulations.
[80] Le docteur Le Bire explique les mouvements qui mettent sous tension les épicondyliens. Le tendon commun des épicondyliens participe à l’extension de la main et des doigts et amène la main en supination. L’extension résistée du poignet et du troisième doigt ainsi que la déviation radiale du poignet et la prosupination de l’avant-bras contre-résistance sont des manœuvres qui viennent solliciter les épicondyliens.
[81] Il précise que ces mouvements effectués lors de son examen de juin 2004 ne réveillent pas de douleurs chez la travailleuse. Étant donné les plaintes de la travailleuse, il s’attendait à retrouver une tendinite bicipitale. Cependant, son examen n’est pas concluant.
[82] Il explique que pour que le biceps soit en action, l’avant-bras et la main doivent être en supination. Il explique que pour effectuer un effort alors que l’avant-bras est en pronation, le biceps doit être inhibé. Comme il recherchait une problématique au niveau du biceps, il a fait des tests pour solliciter son biceps. Il n’a rien retrouvé à son examen.
[83] De plus, comme la force est bien conservée à la préhension, il estime que la travailleuse n’a pu présenter une épicondylite. Il explique que les épicondyliens participent à l’extension de la main et des doigts. Ils amènent la main en supination. Les mouvements qui viennent contrarier les épicondyliens sont l’extension résistée du poignet et du troisième doigt, de même que la déviation radiale du poignet et la prosupination du poignet contre-résistance. Il explique que ces manœuvres n’étaient pas douloureuses chez la travailleuse.
[84] Il explique qu’une autre façon de solliciter les épicondyliens consiste à effectuer un mouvement de préhension des doigts avec force. Cet effort de préhension à pleine main met à contribution les épicondyliens. Il explique que la mesure obtenue de 25 kilos à droite est un effort qui met à contribution les épicondyliens. Or, si on a une épicondylite, on ne peut forcer sans éprouver une douleur et un relâchement de l’effort. Ce qui n’a pas été le cas chez la travailleuse lors de son expertise de juin 2004. La mesure qu’il obtient au dynamomètre pour la main gauche est de 20 kilos, pour un effort combiné des deux mains de 45 kilos.
[85] C’est cet élément qui l’a amené à conclure que la travailleuse ne pouvait présenter une épicondylite du type « tennis elbow » ou mécanique parce que sa force de préhension était conservée. Il explique que le diagnostic d’épicondylalgie n’explique pas l’étiologie de la douleur.
[86] Il explique également avoir pensé au diagnostic de canal radial étant donné les symptômes présentés par la travailleuse, soit la douleur au pli du coude.
[87] Le tribunal note par contre que le docteur Le Bire ne précise pas, dans son expertise de juin 2004, si la travailleuse accuse des douleurs lors de la mesure de la force au dynamomètre. Il ne précise pas non plus si l’effort effectué par la travailleuse est optimal ou non.
[88] Le tribunal note par ailleurs que dans les notes médico-administratives produites à l’audience à la demande du tribunal, tant pour l’expertise de juin 2004 que pour celle de décembre 2004, le docteur Le Bire est d’opinion qu’il y a relation entre le diagnostic qu’il retenait alors à l’époque, à savoir un canal radial et le travail effectué par la travailleuse. Il motive cette relation étant donné le surcroît de travail dans l’entreprise et le surtemps effectué par la travailleuse dans la période contemporaine à sa réclamation. Il explique ainsi son opinion dans la note de juin 2004 :
- Considérant les positions adoptées par madame Lajeunesse dans son travail lorsqu’elle effectue le « clipping »;
- Considérant que cela suppose une flexion constante du coude, avec l’avant-bras en pronation et de légers mouvements de prosupination également tout aussi fréquents;
- Comme de tels mouvements sollicitent effectivement la musculature de la région du canal radial;
Il est possible qu’il se soit effectué une compression sur le nerf en question. Cela pourrait alors expliquer les engourdissements et les impressions que madame a eus au niveau de son poignet, de son avant-bras et au pli du coude. […]
[…]
Le diagnostic de syndrome du canal radial provient probablement du travail et du surtemps qu’a effectués madame Lajeunesse au mois de mai 2004.
En ce sens, le lien de causalité devrait être accepté.
[89] Le docteur Le Bire explique que la radiographie du coude avait démontré, à cette époque, des calcifications au niveau des épicondyliens. Il avait également demandé une échographie du coude. Il estime que le reste de son expertise ne tient plus compte tenu que la résonance magnétique subie par la travailleuse démontre autre chose que ce qu’il notait. Il explique aussi les raisons qui l’ont motivé à reconnaître une relation entre le canal radial et le travail.
[90] Le docteur Le Bire a examiné la travailleuse une seconde fois, le 9 décembre 2004. À cette date, la situation est identique à celle observée en juin. La travailleuse présente toujours une douleur au pli du coude, mais elle présente en plus une bosse à ce niveau. Son examen est superposable à celui de juin, mis à part le fait qu’elle présente une douleur du côté des fléchisseurs et une douleur au pli du coude. Elle ne peut plus faire la supination complète de l’avant-bras droit. Il note par ailleurs que la travailleuse a été mordue par un chien, au bras droit, le 15 août 2004.
[91] Il est du même avis qu’en juin, à savoir que la travailleuse ne présente pas une épicondylite mécanique de type « tennis elbow ». Elle accuse une problématique au niveau de la supination. Il demande une résonance magnétique qui a eu lieu le 16 décembre 2004. Cet examen démontre des signes d’une légère tendinopathie du tendon commun des extenseurs (épicondyliens) ainsi qu’une anomalie importante au niveau du tendon du biceps qui est déchiré, ce qui peut expliquer, selon lui, le problème de la travailleuse au niveau de la supination en flexion du coude, qui est limitée. Le docteur Le Bire explique que lorsque le bras est en extension, le biceps n’est pas mis à contribution. Le coude doit être fléchi pour que le biceps soit sollicité lors du mouvement de supination. Il est d’avis que les muscles épicondyliens sont sollicités davantage lors de la supination, si le bras est en extension plutôt qu’en flexion puisqu’en flexion, c’est le biceps qui est mis à contribution.
[92] Selon lui, la travailleuse présentait une enthésopathie des épicondyliens, laquelle a été confirmée par la résonance magnétique. On rapporte également une problématique de dégénérescence au niveau du tendon du biceps, une déchirure partielle du tendon et un œdème à la face antérieure de l’avant-bras, lequel témoigne d’un processus évolutif encore actif. Il estime également que la note de physiothérapie du 7 décembre 2004, rapportant un œdème ainsi que l’augmentation des symptômes, concourt avec l’épisode du chien. Il estime que les constatations tirées de la résonance magnétique montre une image d’une lésion en phase subaiguë. Selon lui, il y a eu des changements entre le mois de mai et le mois de décembre 2004 qui ne s’expliquent que par l’épisode du chien.
[93] À cet égard, le tribunal retient, du témoignage de la travailleuse, qu’à la suite de l’épisode du chien, ses symptômes sont restés les mêmes. Elle a indiqué au tribunal qu’il n’y avait pas eu d’augmentation de ses symptômes à la suite de cet incident. Son témoignage est d’ailleurs corroboré par les notes cliniques des consultations à la suite de l’épisode du chien, puisqu’on ne rapporte aucune douleur au niveau du pli du coude droit.
[94] Par ailleurs, le docteur Le Bire a expliqué les différences qu’il fait entre les enthésopathies qu’il associe à un phénomène de dégénérescence et les épicondylites de type « tennis elbow » qui sont de nature mécanique.
[95] Il a déposé de la littérature médicale faisant référence à ces deux notions.[3] Pour lui, la vraie épicondylite est attribuable à des mouvements vigoureux et répétitifs du coude comme ceux effectués par les joueurs de tennis.
[96] La blessure au niveau du tendon bicipital retrouvée à la résonance magnétique ne peut s’expliquer par un seul phénomène d’enthésopathie. Ce ne peut être une enthésopathie qui entraîne une déchirure du tendon comme celle rapportée à cet examen.
[97] Il estime que lors du « clipping », la travailleuse travaille la plupart du temps, la main en pronation. Elle n’est donc pas en supination. De ce fait, son biceps est inhibé tout le temps. Ce ne peut être son travail qui soit la cause de la déchirure observée. Pour cela, il faut un événement violent telle la morsure,
[98] Il explique que l’enthésopathie des épicondyliens est d’origine dégénérative puisqu’on a retrouvé des calcifications à ce niveau. De plus, le travail de la travailleuse n’implique pas de sollicitation des épicondyliens.
[99] Selon lui, son examen clinique de juin 2004 démontrait une enthésopathie des épicondyliens d’origine dégénérative. De plus, l’enthésopathie notée au niveau du biceps n’est pas reliée au travail fait par la travailleuse, mais bien à l’épisode du chien.
[100] Le docteur Le Bire a aussi précisé que lors du tissage du joint avec la spatule de bois, bien qu’il y ait une préhension des doigts afin de tenir l’outil, il précise que cet outil n’a pas besoin d’être serré; il s’agit d’une préhension légère, sans force. Il n’y a pas de mouvement d’extension du poignet ni d’effort pour relever les doigts, le tout contre-résistance.
[101] Il nuance son propos en reconnaissant que lorsqu’on se sert de la main, il y a nécessairement une stabilisation du poignet qui implique une stabilisation entre les muscles extenseurs et les muscles fléchisseurs, lesquels sont donc sollicités.
[102] Par contre, il estime que le biceps n’est pas sollicité dans ces mouvements parce que la main est en pronation. Il n’y a pas d’efforts de flexion de l’avant-bras, sur le bras.
[103] Le docteur Le Bire a précisé, en réponse aux questions du représentant de la travailleuse, que le biceps participe à la supination. Selon lui, le biceps est sollicité, lorsque le coude est fléchi, lors des derniers degrés de la supination, si on doit effectuer ce mouvement contre une résistance importante. Plus le bras est étendu, moins le biceps participe à la supination.
[104] Lorsqu’on lui rappelle la méthode de travail de la travailleuse lors du « clipping », alors qu’elle utilise son index droit pour isoler les fils qu’elle coupe, tout en tenant la pince, il est d’avis que l’effort ainsi effectué n’est pas contributif car le tendon du biceps est l’un des plus gros du corps. Il admet que même si les épicondyliens sont sollicités lors de ce mouvement, l’effort n’est pas suffisant pour causer une épicondylite mécanique.
[105] Il admet que les mouvements effectués lors du tissage du joint et lors du « clipping » comportent des répétitions. Il s’agit de mouvements répétitifs. Mais, il n’y a pas d’efforts suffisants pour avoir causé les lésions diagnostiquées. Il n’y a pas de mouvements violents de la main pour causer une lésion au niveau des épicondyliens. Selon lui, la répétition de mouvements n’est pas suffisante. Il faut un effort significatif. Il faut amener l’insertion de ces tendons à la limite de leur résistance.
[106] Dans le travail de tissage, il n’y a pas cet effort lors des mouvements d’extension des doigts et du poignet. L’effort est également insuffisant, selon lui, pour atteindre la plaque d’ancrage des épicondyliens. Il n’y a pas ce type d’effort, lorsque la travailleuse tient la spatule de bois. Pour les mouvements faits en préhension pleine main, il estime que l’effort n’est pas suffisant pour avoir occasionné l’épicondylite. Il estime que même si la prise d’outil est très fréquente, la force nécessaire pour tenir l’outil est en deçà d’une limite confortable. L’effort nécessaire pour tenir les outils n’est pas suffisant, selon lui, pour atteindre les épicondyliens.
[107] Il est aussi d’avis que lors du « clipping », l’effort de préhension n’est pas suffisant pour avoir causé l’épicondylite. Il y a, selon lui, une sollicitation des épicondyliens lors du geste de préhension de la pince, mais l’effort est insuffisant pour avoir causé l’épicondylite. De plus, pour ce travail, le coude est fléchi et la main est en pronation, ce qui implique que le biceps n’est pas sollicité.
[108] Pour l’installation des férules de métal autour des fils, il est d’avis qu’il s’agit d’un travail de minutie. Il n’y a pas de supination contre-résistance ni de préhension avec force. Il n’y a pas de sollicitation de type microtraumatismes répétitifs.
[109] L’enthésite bicipitale, soit une enthésite à la tubérosité radiale n’est pas décrite souvent dans la littérature. Pour causer une pathologie professionnelle, il faut des mouvements qui sollicitent et qui vont au-delà de la résistance du tendon. Il estime que les sollicitations impliquent un effort pour fléchir l’avant-bras sur le bras alors que la main est en supination. L’effort doit être important étant donné la grosseur du tendon du biceps qui est le deuxième tendon le plus gros du corps. Il faut des efforts suffisants pour causer des microtraumatismes au niveau du tendon.
[110] Dans le poste de travail, appelé le « Edging Ripe out », l’effort qui est fait par la travailleuse se fait alors que la main est en pronation et effectue une extension du coude. Ce mouvement sollicite le triceps et non le biceps. Il estime par contre que lors de ces mouvements, les épicondyliens sont sollicités par le mouvement de préhension pentadigitale des doigts sur la pince et par l’effort qui doit être fait pour tirer le fil. Cependant, il estime qu’on est loin, là aussi, de l’effort du joueur de tennis.
[111] Avant le dernier ajournement tenu en février 2007, le tribunal avait requis, du médecin de l’employeur, afin qu’il joue pleinement son rôle de médecin expert et ainsi éclairer le tribunal, qu’il dépose de la littérature médicale expliquant la biomécanique des structures anatomiques impliquées, à savoir le biceps de même que les muscles épicondyliens, lors des différents mouvements du bras, de l’avant-bras, du poignet et de la main.
[112] Le docteur Le Bire a fourni au tribunal divers articles de doctrine médicale[4].
[113] À ce moment, le docteur Le Bire a rappelé sa position, à savoir que les diagnostics en cause étaient deux enthésopathies qui, selon lui, ne peuvent être reliées au travail exercé par la travailleuse. Il est d’avis que même s’il y a sollicitation des structures concernées, cette sollicitation n’est pas suffisante ou faite avec suffisamment d’efforts pour avoir entraîné les deux lésions.
[114] Il a décrit la biomécanique du biceps ou le rôle du biceps lors de la supination.
[115] Lors de la supination faite lorsque le coude est en extension, le biceps n’est pas sollicité. Lors de la supination sans effort, c’est plutôt le court supinateur qui s’insère à l’épicondyle, qui est alors sollicité, et ce, peu importe qu’on soit en extension ou en flexion du coude.
[116] Lors d’un effort en supination alors que le coude est fléchi, le biceps est mis à contribution. Plus le coude est en flexion près de 90 degrés, plus le biceps est mis à contribution lors de l’effort fait en supination. Il a soumis un tableau qui illustre cette affirmation.
[117] Il a également soumis de la littérature médicale reprenant l’étiologie et les mécanismes de production des tendinites. Le tribunal note par ailleurs que dans le document déposé par le docteur Le Bire, intitulé Tendinitis : its etiology and treatment, l’auteur inclut, au titre des tendinites, l’épicondylite.[5] Au titre des causes possibles de cette forme de tendinite, l’auteur croit que l’étiologie est probablement multifactorielle. Parmi ces facteurs, il cite :
[…] However, there is agreement, that the etiology is probably multifactorial, including, one or more of the following :
· massive overload of the flexor-pronator or extensor muscles
· multiple repetition of movement
· quality of tissue
· age
· potential hormonal imbalance (in females)
· strength
· endurance
· flexibility
· mechanics of joint design
· equipment
· skill level.
As in the other cases of chronic tendinites, the basic etiology of the lesion is the application of forces that exceed the tensile strength of the common extensor or flexor tendons. These forces are produced by the wrist extensors or flexors, so any repeated movements involving marked flexion or extension movements of the wrist may be responsible. If the tendon is weakened because of previous injury, inflammation, hormonal imbalance, or nutritional deficiency, then it may be more susceptible to damage. Age-related changes may be classified as previous injury, since they are degenerative changes related to repeated microtraumas. [...]
[118] Par ailleurs, dans un autre extrait déposé, tiré de Orthopedic Physical Assessment[6], l’auteur donne, sous forme de tableau, le rôle des divers muscles de l’avant-bras, du poignet et de la main.
[119] L’auteur a également compilé, sous forme de tableau, la force combinée de « grasping » des deux mains, selon les différents groupes d’âge.
Normal Values by Age Group (Years) and Gender for Combined Right and Left Hand Grip Strength (kg)
Ages 60 to 69
|
Male |
Female |
Excellent |
≥ 102 |
≥ 60 |
Above average |
93 - 101 |
54 - 59 |
Average |
86 - 92 |
51 - 53 |
Below average |
79 - 85 |
48 - 50 |
Poor |
≤ 78 |
≤ 47 |
[120] Selon ce tableau, chez une femme entre 60 et 69 ans, la force de « grasping » des deux mains mesurée au dynamomètre s’échelonne de moins de 47 à plus de 60. La force à moins de 47 est qualifiée de pauvre, alors que lorsqu’elle est de plus de 60, on la qualifie d’excellente.
[121] Le tribunal retient par ailleurs qu’avec les mesures prises au dynamomètre, par le docteur Le Bire, on obtient pour la travailleuse, une force combinée de «grasping» de 45 kilos pour les deux mains. Cette force de «grasping», si on la reporte dans le tableau précédent, peut être qualifiée de pauvre chez la travailleuse. Le tout en fonction du résultat obtenu et de son groupe d’âge.
[122] Selon le docteur Le Bire, lors du « clipping », que la travailleuse effectue à raison de 13 % de son temps de travail dans l’année précédant sa réclamation, elle travaille avec la pince, ce qui met à contribution ses épicondyliens. Cependant, pour entraîner une épicondylite, il faut un effort marqué qu’il ne retrouve pas.
[123] Dans ce travail, il estime que le tendon du biceps n’est pas mis à contribution parce que la travailleuse travaille la main en pronation. Il n’y a pas de supination avec effort marqué.
[124] Le docteur Le Bire a produit divers extraits de littérature médicale afin d’expliquer le point de rupture d’un tendon et la force nécessaire pour y arriver. Selon ces documents, la force maximale d’un muscle ne peut étirer un tendon plus de 4 % de sa longueur initiale. Il conclut que dès qu’on ne dépasse pas ce 4 %, on peut considérer que le tendon est quasiélastique. Par ailleurs, le bris d’un tendon se produit lorsqu’on l’étire entre 8 et 10 % de sa longueur initiale. La force maximale d’un muscle ne peut donc pas étirer un tendon suffisamment pour entraîner une déchirure telle celle retrouvée chez la travailleuse.
[125] En argumentation, le procureur de l’employeur a repris, pour l’essentiel, les arguments défendus par le docteur Le Bire, à l’effet qu’il n’y a pas de signes objectifs réels d’une épicondylite, que les mouvements faits au travail, bien que sollicitant les épicondyliens, n’étaient pas faits avec suffisamment de force pour causer une lésion professionnelle. Il soumet que ce n’est pas le type de mouvement qui est important, mais l’effort nécessaire qui doit être important afin que l’on puisse qualifier de professionnelle une telle épicondylite.
[126] Pour la tendinite bicipitale, le dossier médical ne fait état que d’une douleur au pli du coude. Entre juin et décembre 2004, date de la résonance, il y a eu un événement traumatique important, soit l’épisode avec le chien. Pour déchirer un tendon, cela prend un effort important. Or, dans le travail fait par la travailleuse, on ne retrouve pas d’effort important fait en supination. La preuve ne démontre donc pas que la travailleuse a subi une lésion professionnelle en mai 2004. La requête de l’employeur devrait être accueillie. Il a soumis diverses décisions de jurisprudence[7] à l’appui de ses prétentions.
[127] Le représentant de la travailleuse a soumis que les requêtes devraient être rejetées.
[128] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal estime que la travailleuse a bel et bien présenté deux lésions professionnelles, à savoir l’épicondylite et la tendinite bicipitale droites.
[129] Le tribunal retient les propos du docteur Le Bire à l’effet que le travail effectué par la travailleuse comporte des mouvements répétitifs exécutés sur des périodes de temps prolongées.
[130] L’épicondylite n’étant pas énumérée spécifiquement à l’annexe, la travailleuse ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle.
[131] Cependant, étant donné les gestes accomplis durant les différentes étapes du tissage du joint, le tribunal est d’avis que les gestes de préhension effectués par la travailleuse, lors du « ripe out » et lors du « clipping » en particulier, sont de nature à solliciter les tendons épicondyliens.
[132] Dans le « ripe out », la travailleuse tient sa pince de la main droite et doit exercer une pression assez forte sur les manchons de la pince afin de pouvoir tirer les fils. Le tribunal retient que cette force qu’elle doit déployer est, contrairement à ce qu’affirme le docteur Le Bire, importante. La travailleuse précise devoir même vaporiser de la vaseline afin de rendre le travail moins difficile.
[133] Par ailleurs, lorsqu’elle effectue le « clipping », la travailleuse exerce une préhension constante sur les manchons de la pince puisque, contrairement à la travailleuse vue sur le film du poste de travail, elle ne dépose jamais sa pince pour prendre un pic de métal. Elle indique utiliser son index pour séparer les fils qu’elle doit couper. Ce faisant, elle doit maintenir une pression constante sur sa pince afin de la retenir. Cette pression des doigts met ainsi à contribution les muscles épicondyliens.
[134] Cette méthode de travail n’amène aucun temps de repos, dans la musculature de l’avant bras et du bras. Les structures concernées sont donc constamment sollicitées, ne permettant pas de repos.
[135] Le tribunal note également que lorsque la travailleuse fait du temps supplémentaire dans l’année précédant son arrêt de travail, elle l’effectue presque uniquement dans la tâche de « clipping ». Elle excelle à ce poste et on l’utilise davantage pour cela. Dans l’entreprise, l’essentiel du temps supplémentaire est d’ailleurs fait à ce poste.
[136] Le docteur Le Bire a indiqué au tribunal que la force n’était pas suffisante, selon lui, dans ce travail, pour avoir occasionné l’épicondylite diagnostiquée. Le tribunal ne partage pas ce point de vue.
[137] Le tribunal retient que cette affirmation du docteur Le Bire n’est appuyée d’aucune donnée ou mesure quantitative. Il s’agit d’une opinion qui n’est pas démontrée. De plus, le docteur Le Bire, contrairement à la travailleuse qui fait ce travail depuis 33 ans, n’a jamais effectué la tâche en question. Son opinion sur la force nécessaire n’est donc pas prépondérante en l’espèce.
[138] Par ailleurs, concernant la force de la travailleuse en particulier, le tribunal retient que selon les données recueillies au dynamomètre par le docteur Le Bire, la travailleuse a une force de préhension «grasping», combinée des deux mains de 45 kilos. Si on reporte cette mesure dans le tableau produit par le médecin de l’employeur, contenu dans la pièce E-19, cette force chez une personne de l’âge de la travailleuse est qualifiée de pauvre, selon l’étude déposée.
[139] Le tribunal retient, de cela, que de par sa constitution, la travailleuse a une force bien en deçà de la moyenne. Il est donc logique de penser que l’effort qu’elle doit déployer pour faire un travail nécessitant des mouvements de préhension, est nécessairement plus important pour elle, compte tenu qu’elle est moins forte, qu’une autre personne du même âge, dotée d’une force moyenne.
[140] De cela, il est possible d’inférer qu’il faille, à la travailleuse, faire un effort moins important qu’une autre personne de son âge, pour causer des lésions à ses tendons sollicités de manière répétitive depuis de nombreuses années.
[141] Le tribunal retient la combinaison des mouvements répétitifs, effectués par la travailleuse sur une longue période de temps puisqu’ils sont faits également en temps supplémentaire après la journée de travail,. De plus, ces mouvements sollicitent les structures lésées, que ce soit lors du « Ripe out », lors du travail de tissage du joint, ou lors du « clipping ». Ces gestes de préhension de la main, lors de ces tâches, sont de nature à avoir causé l’épicondylite droite diagnostiquée chez la travailleuse.
[142] L’employeur propose, en s’appuyant sur la jurisprudence déposée, dont la décision rendue dans l’affaire Marché Fortier, qu’un seul des facteurs de risques identifiés par la littérature médicale (répétition, force, posture) n’est pas suffisant pour causer la maladie. Selon cette interprétation, il faut une combinaison de ces facteurs pour que la probabilité de relation entre une maladie et le travail soit démontrée.
[143] Sans vouloir remettre en question cette affirmation qui mériterait certaines nuances, de l’avis de la soussignée, la preuve démontre qu’il y a effectivement une combinaison de ces trois facteurs, à savoir une répétition de mouvements, dans des postures à risque et avec une force relative suffisante pour avoir occasionné l’épicondylite diagnostiquée.
[144] Le tribunal estime donc que l’épicondylite est caractéristique ou reliée aux risques particuliers du travail exercé par la travailleuse. Il y a donc lieu de confirmer la décision rendue le 25 novembre 2004.
[145] Pour ce qui est de la tendinite bicipitale, le tribunal retient que ce diagnostic permet l’application de la présomption de maladie professionnelle puisque la tendinite est une maladie énumérée à l’annexe I de la loi.
[146] Pour bénéficier de cette présomption, la travailleuse devait démontrer avoir exercé un travail nécessitant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées.
[147] La preuve offerte démontre effectivement que la travailleuse a effectué des répétitions de mouvements et de pressions sur des périodes de temps prolongées.
[148] Le docteur Le Bire a reconnu que le travail exercé par la travailleuse comportait des mouvements répétitifs. Il a expliqué que le biceps participe à la supination, particulièrement lorsque le coude est fléchi. Il a également confirmé que lors du « clipping », bien que la travailleuse ait principalement la main en pronation, elle effectue néanmoins des mouvements de prosupination du poignet. De plus, il a également reconnu que le biceps est un des muscles supinateurs, particulièrement lorsque le coude est fléchi. On peut donc conclure que lors du travail en question, le biceps est sollicité. Le tribunal note également que lors des autres tâches exercées pour le tissage du joint, la travailleuse effectue aussi des prosupinations du poignet afin de passer la spatule de bois ou d’insérer le pic de métal, selon la méthode utilisée.
[149] Le docteur Le Bire soumet cependant que la force nécessaire pour causer une tendinite bicipitale distale est insuffisante dans le travail effectué par la travailleuse, que ce soit lors du tissage du joint ou lors du « clipping », puisque la travailleuse, dans ce dernier travail, n’effectue que de légères supinations.
[150] Encore là, le tribunal estime que l’appréciation de la force nécessaire dans le travail fait par la travailleuse ne repose sur aucune donnée scientifique. Le docteur Le Bire ne peut être qualifié d’expert en ce domaine. Il n’a jamais effectué lui-même le travail. De plus, selon les mesures qu’il a lui-même effectuées de la force de préhension de la travailleuse, celle-ci a une force, qualifiée de pauvre, selon le tableau précité.
[151] Encore une fois, il est donc possible d’affirmer qu’étant donné cette force qualifiée de pauvre, la travailleuse doit déployer un effort plus important que la moyenne des femmes de son âge, pour faire un travail donné. Il est donc logique, dans ces circonstances, de penser qu’il lui faille un effort moins grand pour causer des dommages à ses tendons.
[152] Au surplus, étant donné qu’elle exerce ce travail depuis 33 ans, qu’il s’agit d’un travail impliquant des mouvements répétitifs et des pressions sur des périodes de temps prolongées, on peut penser que la tendinite bicipitale constitue également une maladie professionnelle.
[153] La présomption de maladie professionnelle s’applique et le tribunal estime que la preuve offerte par l’employeur ne permet pas son renversement.
[154] Le docteur Le Bire a soumis que les constatations notées, lors de la résonance magnétique de décembre 2004, ne pouvaient pas toutes découler de changements d’ordre dégénératif, qu’elles découlaient nécessairement d’un événement traumatique. Il a soumis que le tendon du biceps est le deuxième plus gros du corps humain, que ça prend un traumatisme important pour causer une déchirure de ce tendon. Il a également expliqué la force nécessaire pour causer une rupture tendineuse.
[155] Le tribunal, bien que partageant certaines de ces hypothèses, notamment quant à la force nécessaire pour amener une rupture tendineuse, est d’avis que ces affirmations doivent être nuancées, dans un cas comme celui sous étude. En effet, si, en absolu, les données fournies par le docteur Le Bire peuvent être retenues dans un cas de rupture traumatique d’un tendon, il en est tout autre, lorsqu’il s’agit d’analyser les dommages tendineux pouvant résulter de microtraumatismes attribuables à des mouvements répétitifs, comme ceux du présent dossier.
[156] D’ailleurs, à ce propos, le tribunal ne partage pas les distinctions apportées par le docteur Le Bire, entre l’épicondylite de type « tennis elbow », qu’il attribue à une cause mécanique, et celle qu’il appelle l’enthésopathie épicondylienne, qu’il relie à un processus dégénératif uniquement.
[157] En effet, si au seul plan clinique, le tribunal doute qu’on puisse faire une telle distinction entre les deux appellations proposées par le médecin de l’employeur, le tribunal est convaincu que l’analyse proposée par le docteur Le Bire ne peut être retenue pour écarter la relation entre l’épicondylite diagnostiquée et le travail exercé par la travailleuse.
[158] Parmi les facteurs causals proposés par la doctrine médicale pour expliquer l’étiologie d’une tendinite, le vieillissement est énoncé. Cet élément doit donc être pris en considération dans l’étude de la relation, mais pas uniquement pour la nier.
[159] Le tribunal considère que dans le contexte d’une travailleuse, âgée de 63 ans au moment de la réclamation et qui effectue, depuis 33 ans, un travail impliquant des mouvements répétitifs sur des périodes de temps prolongées, on peut penser que l’appareil tendineux ne soit pas d’une intégrité complète. Ce faisant, l’effort nécessaire pour causer une lésion tendineuse du type de celle retrouvée chez la travailleuse peut être nécessairement moins important que celui nécessaire chez une travailleuse moins âgée. Cet élément doit être pris en compte dans l’analyse de la relation, ce qu’a fait le présent tribunal.
[160] Cet élément doit être également pris en compte en considérant la stature de la travailleuse et son niveau de force par rapport à des personnes de son âge.
[161] Le docteur Le Bire a évoqué l’incident de la morsure du chien pour expliquer la déchirure du tendon du biceps retrouvée à la résonance magnétique, en supposant que le chien a exercé une traction importante sur le bras droit de la travailleuse. Cette affirmation n’est que pure hypothèse. Le tribunal note que la travailleuse n’a nullement décrit l’incident du chien de la sorte. De plus, lors des examens contemporains à la morsure, on ne retrouve aucune mention de douleur particulière au niveau du pli du coude ou d’une aggravation des douleurs à ce niveau, à la suite de l’incident avec le chien.
[162] Le tribunal note également que, tant dans son témoignage à l’audience que lors de l’examen du docteur Le Bire de décembre 2004, la travailleuse précise que ses douleurs au pli du coude sont les mêmes après l’incident du chien, que celles qu’elle accusait déjà à ce site, au moment de son arrêt de travail de mai 2004.
[163] D’ailleurs, le tribunal comprend, des croquis effectués par le docteur Sam, en juillet 2004, que l’un des sites des douleurs alléguées par la travailleuse à ce moment est précisément le site de la tendinite bicipitale reconnue par la suite. Le docteur Sam identifie précisément la région du pli du coude, endroit où se situe le tendon bicipital distal de la travailleuse, comme étant le site des douleurs accusées par la travailleuse. On peut dès lors conclure qu’avant même l’épisode du chien, la travailleuse accusait des douleurs importantes à cet endroit.
[164] S’il est possible, comme semble l’évoquer le docteur Le Bire, que l’incident avec le chien ait aggravé l’état de la travailleuse, cette affirmation mérite toutefois d’être prouvée.
[165] Le seul fait que la travailleuse ait présenté en décembre 2004 une perte d’amplitude au niveau de la supination, alors qu’en juin 2004, selon le docteur Le Bire, elle n’en accusait pas, ne constitue pas une preuve concluante que l’épisode du chien soit nécessairement l’explication de ce déficit dans l’amplitude articulaire du coude. Le tribunal retient en cela le fait que la travailleuse ait exercé, après juin 2004, des travaux légers qui ont sollicité son membre supérieur droit et qui ont amené une augmentation de ces symptômes à son membre supérieur droit.
[166] Au surplus, lors de l’évaluation en physiothérapie en juin 2004, le thérapeute rapporte une diminution des amplitudes articulaires du membre supérieur droit de l’ordre de 20 %. On peut donc penser que la travailleuse avait, avant l’épisode du chien, des déficits d’amplitudes articulaires au niveau de son bras droit.
[167] Pour tous ces motifs, le tribunal est d’avis de rejeter les requêtes de l’employeur et de confirmer les décisions rendues par la CSST, à la suite de la révision administrative.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossiers 250543-71-0412 et 268048-71-0507
REJETTE les requêtes de Astenjohnson inc. (l’employeur);
CONFIRME la décision rendue le 25 novembre 2004, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative,
CONFIRME la décision rendue le 6 juillet 2005, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que les diagnostics d’épicondylite du coude droit et de tendinite bicipitale du coude droit reconnus par le membre du Bureau d’évaluation médicale du 13 avril 2005 constituent des lésions professionnelles, à savoir des maladies caractéristiques ou reliées aux risques particuliers du travail exercé par la travailleuse.
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en conséquence.
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Lucie Couture, avocate |
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Commissaire |
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Jean-François Martin, avocat |
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DUFRESNE HÉBERT COMEAU |
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Représentant de la partie requérante |
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Jacques Morency |
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CSN |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] La liste de ces références sera reprise plus avant dans la présente décision.
[3] L. G. JOZSA et P. KANNUS, Human Tendons : Anatomy, Physiology, and Pathology, Champaign (Illinois), Human Kinetics, 1997, 243 p.; Ikka KUORINKA, Lina FORCIER, Mats HAGBERG, Barbara SILVERSTEIN, Richard WELLS, Michael J. SMITH, Hal W. HENDRICK, Pascale CARAYON, Michel PÉRUSSE, Les lésions attribuables au travail répétitif (LATR): ouvrage de référence sur les lésions musculo-squelettiques liées au travail, Sainte-Foy, Éditions MultiMondes, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, Paris, Éditions Maloine, 1995, 60 p.; J. C. SEMPLE, « Tenosynovitis, Repetitive Strain Injury, Cumulative Trauma Disorder, and Overuse Syndrome, et cetera », (1991) 73 Journal of Bone and Joint Surgery : British Volume 536, p.; J. V. BASMAJIAN, Muscles Alive : Their Functions Revealed by Electromyography, 4e éd., Baltimore, Williams and Wilkins, 1979, 189 p.; David W. STOLLER, MRI, Arthroscopy and Surgical Anatomy of the Joints, Philadelphie, Lippincott Raven, 1999, 686 p.
[4] David J. MAGEE, Orthopedic Physical Assessment, 3e éd., Philadelphie, Montréal, W. B. Saunders, 1997, 805 p.; L. G. JOZSA et P. KANNUS, Human Tendons : Anatomy, Physiology, and Pathology, Champaign (Illinois), Human Kinetics, 1997, 100 p.; K.-N. AN, W. P. COONEY III et B. F. MORREY, chap. 10 : « The Relationship Between Upper Limb Load Posture and Tissue Loads at the Elbow », dans S. L. GORDON, S. J. BLAIR et L. J. FINE, Repetitive Motion Disorders of the Upper Extremity, Rosemont (Illinois), American Academy of Orthopaedic Surgeons, 1995, p. 133-143
[5] (Le tribunal tient à souligner que cette classification pourrait servir à l’application de la présomption de maladie professionnelle aux cas d’épicondylites, puisque cette littérature semble s’écarter de l’opinion exprimée par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, dans la décision Société canadienne des Postes et Grégoire-Larivière qui avait tranché de cette question).
[6] David J. MAGEE, Orthopedic Physical Assessment, 3e éd., Philadelphie, Montréal, W. B. Saunders, 1997, 805 p.
[7] Jurisprudence pour l’épicondylite : Marché Fortier Ltée et Fournier, C.L.P. 133258-64-0003, 14 janvier 2002, J.F. Martel; Tourangeau et Bombardier Aéronautique inc. et A.I.M.T.A., C.L.P. 200837-64-0302, 252721-64-0501, 12 juin 2006, R. Daniel; Cascade Groupe Tissu inc. et Paquette, C.L.P. 173546-64-0111, 21 juin 2002, A. Vaillancourt; Eloquin-Charlebois et Robin Hood Multifoods inc., C.L.P. 170195-64-0110, 8 février 2002, R. Daniel;
Jurisprudence pour la tendinite bicipitale : Sonoco et Gibouleau, C.L.P. 210285-62B-0306, 219002-62B-0310, 21 décembre 2004, M.D. Lampron; Deshaies et Northern Telecom Canada ltée, C.L.P. 100408-62C-9804, 30 décembre 1999. R. Hudon; Société canadienne des Postes et Ouimet, C.A.L.P. 00098-60-8603, 30 septembre 1994, É. Harvey
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