Décision

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Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copiebec) c. Université Laval

2017 QCCS 5417

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-06-000179-146

 

DATE :

27 novembre 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SIMON HÉBERT                    (JH  5462)

______________________________________________________________________

 

SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE DE GESTION COLLECTIVE DES DROITS DE REPRODUCTION (COPIBEC)

Représentante Demanderesse

-et-

GUY MARCHAND, connu sous le pseudonyme artistique GUY MARCHAMPS

Second représentant

-et-

JEAN-FRÉDÉRIC MESSIER

Troisième représentant

c.

UNIVERSITÉ LAVAL

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Demande de suspension de l’instance)

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1.            L’APERÇU

[1]           La Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) (« Copibec »), Guy Marchand et Jean-Frédéric Messier reprochent à Université Laval (l’« Université ») de violer les droits patrimoniaux et moraux des auteurs par la reproduction non autorisée de leurs œuvres, contrevenant ainsi à la Loi sur le droit d’auteur (« LDA »)[1].

[2]           Le 8 février 2017, la Cour d’appel autorise l’exercice d’une action collective et la demande introductive d’instance est signifiée à l’Université le 14 mars 2017.

[3]           Le 16 octobre 2017, l’Université demande la suspension de l’instance au motif que la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire York University c. The Canadian Copyright Licensing Agency[2], sera appelée à se pencher sur le moyen de défense qu’elle entend proposer dans cette affaire-ci, soit celui prévu à l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur (« LDA ») : l’utilisation équitable d’une œuvre.

[4]           Copibec s’oppose à cette demande alléguant qu’il n’existe aucun motif sérieux pour accepter une telle demande.

[5]           Le Tribunal est d’avis que Copibec a raison. Voici pourquoi.

2.            le contexte

[6]           La Cour d’appel (dans l’arrêt qui autorise l’exercice de cette action collective) décrit ainsi le contexte de cette affaire :

[18]       Copibec est une société constituée en vertu de la partie III de la Loi sur les compagnies. Elle agit à titre de société de gestion au sens où l’entend la LDA. En cette qualité, elle assure la gestion collective des droits d’auteur de plusieurs auteurs et associations regroupés sous sa direction.

[19]       Au nom de ses membres, elle offre à sa clientèle, notamment aux universités, la possibilité de recourir à une licence les autorisant à reproduire partiellement ou en totalité de répertoires d’œuvres moyennant le paiement de droits préétablis. Elle remet aux titulaires des droits d’auteur 86 % des sommes ainsi perçues et en conserve 14 % pour ses services de gestion.

[20]       Ce système de licence est celui qui a prévalu entre les parties de l’année 1999 à l’année 2014.

[21]       À la même époque, le législateur a amendé la LDA en vue de permettre « [l]’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur » sans que le titulaire de ce droit puisse exiger de compensation, mais à la condition toutefois que cette utilisation s’inscrive dans les paramètres de la loi.

[22]       Le 10 mars 2014, l’Université informe Copibec de son intention de ne pas renouveler sa licence globale se terminant le 31 mai suivant. Pour pallier ce système de licence, le 21 mai 2014, l’Université adopte une politique en faveur de ses étudiants et de son personnel enseignant en vue de favoriser une utilisation équitable du matériel de cours tiré d’œuvres protégées par la LDA (la « Politique »).

[…]

[23]       La Politique établit des normes administratives contraignantes à l’égard de l’Université et de ses usagers pour encadrer « l’utilisation équitable » d’une œuvre. Elle prévoit aussi une procédure d’autorisation dans les cas où les normes établies nécessiteraient un dépassement.

[24]       L’Université a également adopté un règlement pour faciliter l’accès aux œuvres protégées (le « Règlement »). Le Règlement prévoit notamment la mise en place d’un Bureau du droit d’auteur dont le « mandat principal est d’assurer le respect du droit d’auteur et de la Politique et de constituer une ressource privilégiée de première ligne à la disposition du Personnel enseignant afin d‘assurer le respect du Règlement et de la Politique ».

[25]       En dépit de l’adoption de la Politique et du règlement qui l’accompagne, Copibec soutient que les reproductions d’œuvres faites par l’Université contreviennent aux protections conférées par la LDA dont la règle générale est ainsi rédigée:

27(1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

[7]           La LDA présume aussi qu’une reproduction en totalité ou en partie d’une œuvre sans le consentement du titulaire du droit constitue une violation du droit d’auteur[3].

[8]           Il existe toutefois une exception à cette règle[4] et c’est d’ailleurs un moyen qu’entend soulever l’Université : il s’agit, dans les circonstances prévues à la loi, de permettre la reproduction de certaines œuvres en application de la notion de « [l]’utilisation équitable » à des fins d’enseignement, et ce, sans pour autant enfreindre la protection d’originalité et d’intégrité accordée aux œuvres par la LDA.

[9]           L’Université plaide que ses Politiques[5] reproduisent « essentiellement les mêmes modalités que celles […] adoptées par l’Université York ».

[10]        Or, l’Université York est impliquée dans une affaire qui soulève, selon l’Université, des questions similaires à celles que soulève le présent litige. En appel devant la Cour d’appel fédérale, l’Université York soulève que :

Fair Dealing

2. The Trial Judge erred in concluding that reproductions falling within York’s Fair Dealing Guidelines do not constitute fair dealing pursuant to sections 29, 29.1 and/or 29.2 of the Copyright Act. Specifically, he misconstrued the second part of the test for fair dealing (i. e. whether the dealing was fair) and/or altered that legal test in the course of its application. These errors included the following:

(a)            failing to recognize that fair dealing is a user's right of students enrolled at York; and

(b)            Conflating the fairness factors enumerated bv the Suprême Court of Canada and relying on the same considérations to support conclusions

                under multiple factors.

[11]        Ainsi, vu l’affaire portée devant la Cour d’appel fédérale, l’Université est d’avis que le jugement à intervenir dans cet autre dossier aura un impact direct sur son moyen de défense, d’où sa demande pour suspendre cette l’instance

3.            l’analyse et la décision

[12]        C’est l’article 49 C.p.c. qui confère au Tribunal le pouvoir d’appliquer le remède recherché par l’Université. Cet article prévoit que les tribunaux « peuvent rendre des ordonnances appropriées pour pourvoir au cas où la loi n’a pas prévu de solution ». C’est le cas en l’espèce.

[13]        Cet article fait maintenant partie du coffre à outils des juges afin de leur permettre d’insuffler, dans les affaires dont ils sont saisis, la philosophie mise de l’avant par le nouveau Code de procédure civile (en vigueur depuis l’année 2016) : célérité, efficacité, accessibilité, tout en favorisant une application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure et de l’exercice des droits des parties[6].

[14]        Le Tribunal est invité à choisir entre deux grands principes : celui de la célérité et celui de l’application proportionnée et économique.

[15]        Le Tribunal ne croit pas que les parties puissent tirer bien des économies du résultat qui pourrait émaner de la décision à être rendu par la Cour d’appel fédérale dans une affaire qui ne les implique pas. D’abord, les faits de cette affaire-ci permettent aux parties de la distinguer de celle mue devant l’autre instance.

[16]        Il suffit de lire la conclusion du juge Phelan, lorsqu’il rend le jugement pour la Cour fédérale :

[356]     En pesant le pour et le contre et en examinant toute la question de l’utilisation équitable dans le contexte des faits en l’espèce, la Cour conclut que les Lignes directrices sur l’utilisation équitable de York ne sont pas équitables. La déclaration demandée sera rejetée avec dépens à la demanderesse.

[17]        Le moyen de défense qu’entend soulever l’Université repose donc sur une analyse de la Politique eu égard à son application à l’Université. C’est d’ailleurs ce qu’écrit la Cour d’appel lorsqu’elle autorise Copibec à exercer cette action collective :

Pour établir qu’une utilisation était équitable au sens de l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur le défendeur doit prouver (1) qu’il s’agit d’une utilisation à des fins d’étude privée ou de recherche et (2) qu’elle était équitable.

[72]       Cette charge de preuve imputable à celui qui invoque le droit à l’utilisation équitable a été réitérée par la juge Abella dans l’arrêt Alberta rendu par la Cour suprême en 2012 :

[12]       […] Il incombe à la personne qui invoque l’« utilisation équitable » de satisfaire aux deux volets. Selon la Cour, un certain nombre d’éléments permettent de déterminer si une utilisation est « équitable » : le but, la nature et l’ampleur de l’utilisation, l’existence de solutions de rechange à l’utilisation, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre.

[73]       Il reviendra à l’Université et à personne d’autre de s’acquitter le moment venu du double fardeau de démontrer que son utilisation des œuvres se fait dans le respect de sa Politique et de son Règlement d’application et que ses outils de gestion sont eux-mêmes respectueux de la loi et des critères jurisprudentiels en la matière, c'est-à-dire qu’ils s’inscrivent dans un processus d’utilisation équitable des œuvres reproduites.

[18]        Ainsi, plusieurs aspects afférents à la situation factuelle propre à l’Université devront être examinés. À titre d’exemple, l’Université devra démontrer les efforts déployés pour vérifier ou voir au respect de sa Politique.

[19]        Le Tribunal n’a pas été convaincu que les « économies » susceptibles d’émaner de l’affaire mue devant la Cour fédérale seront importantes et déterminantes au point de suspendre cette action collective (dont la demande en autorisation remonte au 1er novembre 2014).

[20]        Dans ces circonstances, le Tribunal conclut que l’intérêt de la justice et des parties passe par la poursuite des démarches dans ce dossier.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[21]        REJETTE la demande de suspension de l’instance de l’Université Laval;

[22]        FRAIS DE JUSTICE À SUIVRE.

 

 

 

__________________________________

SIMON HÉBERT, j.c.s.

 

Me Daniel Payette

Cabinet Payette
47 rue Wolfe
Lévis QC G6V 3X6

Procureurs de Copibec

 

Me Frédérique Couette

Me Annie Massicotte

Copibec
606, rue Cathcart, bureau 810
Montréal (Québec)  H3B 1K9

 

Me Samuel Massicotte

Me David Ferland

Me Nicolas Moisan

Stein Monast S.E.N.C.R.L. Avocats

Casier 14

Procureurs de l’Université Laval

 

Me Sylvain Dufour, avocat-conseil

Université Laval
2345, Allée des Bibliothèques, Local 2183
Québec (Québec)  G1K 7P4

 

 

Date d’audience :

16 octobre 2017

 



[1]     Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42.

[2]     York University c. The Canadian Copyright Licensing Agency, 2017 CF 669 (CanLII), (déclaration d’appel, 22-09-2017, no A-25917).

[3]     Précité, note 1, art. 27(1).

[4]     CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, par. 48.

[5]     Politique et directives relatives à l’utilisation de l’œuvre d’autrui aux fins des activités d’enseignement, d’apprentissage, de recherche et d’étude privée à l’Université Laval, 21 mai 2014.

[6]     Lavigne c. 6040993 Canada Inc., 2016 QCCA 1755.

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