Monette et Association des travailleurs(euses) de Marché Sabrevois |
2016 QCTAT 4231 |
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Le 17 décembre 2015, Patrice Monette (le demandeur) dépose une
plainte à la Commission des relations du travail en vertu de l’article
[2] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[2] est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.
[3] Le demandeur est commis d’épicerie et il travaille pour l’employeur depuis 13 ans, de nuit, du lundi au vendredi. Durant l’été 2015, son horaire de travail est modifié et s’ajoute le samedi de 21 h à 6 h.
[4] Il soutient que son gérant tolérait qu’il parte avant la fin de son quart le samedi si le travail était terminé. Il a usé de ce droit en partant parfois à 2 h ou à 3 h. À chaque fois, il pointait au moment de partir. Bien que la preuve ne soit pas claire sur ce point, il semble que le samedi, le gérant ne travaillait pas et que le demandeur était seul avec un collègue.
[5] Le demandeur affirme que ses payes reflétaient les heures travaillées, jusqu’à l’automne, où elles n’ont pas été ajustées lors de ses départs hâtifs. Il ne l’a pas mentionné à son gérant.
[6] Le 4 novembre 2015, deux enquêteurs d’une firme privée rencontrent le demandeur au nom de l’employeur. Aucun représentant syndical ne l’accompagne. La rencontre dure environ une demi-heure.
[7] On lui reproche d’avoir quitté le travail avant la fin son quart de travail depuis septembre, sans l’autorisation de son supérieur immédiat, le gérant. Il n’aurait pas indiqué à son employeur avoir été payé en trop, pour un total de 32 heures entre le 5 septembre et le 4 novembre.
[8] Le demandeur signe une déclaration faite aux enquêteurs, qui se lit comme suit :
Q : Depuis quand travaillez-vous pour Métro Messier?
R : 13 ans
Q : à titre?
R : commis d’épicerie
Q : Notre enquête montre que vous quitter la nuit, avant la fin de vos quarts. Est-ce vrai?
R : Oui
Q : Depuis quand?
R : 7 semaine, début septembre
Q : Avez-vous été payé pour les heures non travaillées?
R : oui
Q : le disiez-vous à votre superviseur que vous partiez?
R : C’est arrivé, il m’a dit que je devais faire mes quarts jusqu’au bout.
Q : Mais vous avez continué à quitter plus tôt?
R : oui
Q : pourquoi?
R : c’est très démotivant et morbide la nuit
Q : pourquoi ne pas avoir informé la comptabilité que vous avez été payé pour des heures non travaillés?
R : je n’y pense jamais
Q : saviez-vous que c’était du vol?
R : oui
Q : voulez-vous relire et signer ceci?
R :oui
Qui a eu l’idée de quitter plus tôt que la fin des quarts de travail, vous ou Jean-François?
R : moi, j’ai eu l’idée
Q :Avez-vous autre chose à ajouter?
R : à l’avenir, je vais respecter mes heures.
(reproduit tel quel)
[9] À cette même rencontre, le demandeur signe aussi une reconnaissance de dette à l’employeur pour l’équivalent de 32 heures de salaire. Bien que la déclaration ne précise pas qu’il ait toujours pointé en partant, le demandeur affirme l’avoir mentionné. C’est d’ailleurs pourquoi, selon lui, les enquêteurs ont pu établir précisément le nombre d’heures payées en trop. Il n’est pas contredit sur ce point.
[10] Le demandeur est suspendu sans traitement immédiatement aux fins d’enquête par le directeur de l’épicerie. Il ne reçoit aucun document à ce moment-là.
[11] Le 10 novembre 2015, le demandeur est convoqué à une rencontre par le directeur. La déléguée syndicale, Lise Sirois, est déjà dans la salle. Elle est revenue de vacances la veille. Le demandeur n’a encore eu aucun contact avec elle. Elle explique avoir pris connaissance du dossier avant la rencontre - il faut entendre par là le dossier de l’employeur.
[12] À cette rencontre, on remet au demandeur un document portant sur la rencontre du 4 novembre, qui se lit comme suit :
Les faits suivants ont été discutés avec l’employé(e) mentionné(e) :
Le 04 novembre 2015, nous vous avons rencontré pour vous signifier votre suspension pour fin d’enquête suite aux évènements qui ce sont produit entre la semaine finissant le 5 septembre jusqu’à la semaine finissant le 7 novembre 2015. Vous vous êtes permis de vous absenter de votre quart de travail sans permission, vous avez été payé pour 40 heures sans les faires et vous n’avez pas avertie votre supérieur des heures payés en trop. L’enquête suivra son cours et nous communiquerons avec vous pour vous signifier notre décision sur votre comportement.
(reproduit tel quel)
[13] Il est précisé que « [ce] rapport fut remis le 10-nov-15 ». Il est signé par la direction et par madame Sirois à titre de « [témoin] ou représentant syndical ». Celle-ci explique qu’elle a signé pour attester la remise du document et non son contenu, puisqu’elle n’a pas assisté à cette rencontre.
[14] De plus, le demandeur apprend qu’il est congédié en raison du bris du lien de confiance. On lui remet une lettre reprenant essentiellement les éléments de la déclaration qu’il a signée le 4 novembre précédent, soit qu’il a été payé selon ses heures normales, mais sans les avoir effectuées. Il ne l’a pas mentionné à son gérant. Il savait que c’était du « vol de temps ».
[15] Le demandeur n’a pas l’occasion de s’expliquer lors de cette rencontre. Madame Sirois n’intervient pas, sauf pour lui dire, en présence du directeur, « qu’il n’y a rien à faire avec cela ».
[16] Le jour même, le demandeur téléphone à madame Sirois pour lui demander de déposer un grief. Elle lui réitère « qu’il n’y a rien à faire avec cela », sans le questionner sur sa version des faits. Comme il insiste, elle lui suggère d’en informer le conseiller syndical, Claude Langlais.
[17] Monsieur Langlais, contacté par le demandeur, lui répond être au courant de son dossier et qu’à moins qu’il n’ait de nouveaux faits à apporter, il n’y a pas matière à grief. Il ne le questionne pas sur sa version et celui-ci ne pense pas à préciser qu’il a toujours pointé en quittant les lieux.
[18] Le jeudi suivant, le demandeur va chercher son dernier chèque de paye. Le directeur l’encaisse sur-le-champ et déduit une somme égale à 32 heures de salaire, en lui remettant le solde, sans autre pièce justificative.
[19] Le demandeur rappelle monsieur Langlais afin qu’il dépose un grief. Celui-ci lui répond que la cause est perdue d’avance.
[20] En décembre, le demandeur téléphone de nouveau à monsieur Langlais, qui lui dit cette fois que le délai pour déposer un grief est dépassé. En effet, la convention collective prévoit que le grief doit être déposé dans les 21 jours de l’évènement y donnant lieu.
[21] Le demandeur dépose alors la présente plainte.
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Le devoir de juste représentation syndicale est prévu à l’article
47.2 Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.
[23] Dans l’arrêt Noël c. Société de la Baie-James[3], la Cour suprême du Canada décrit ainsi les quatre types de conduites interdites par l’article 47.2 :
[48] Cette obligation interdit quatre types de conduite : la mauvaise foi, la discrimination, le comportement arbitraire et la négligence grave. Cette obligation de comportement s’applique aussi bien au stade de la négociation collective que pendant son administration (voir Gagnon, op. cit. p. 308). L’article 47.2 sanctionne d’abord une conduite empreinte de mauvaise foi qui suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile […]. En pratique, cet élément seul serait difficile à établir […].
[49] La loi interdit aussi les comportements discriminatoires. Ceux-ci comprennent toutes les tentatives de défavoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations de travail dans l’entreprise ne le justifie. Ainsi, une association ne saurait refuser de traiter le grief d’un salarié ou de le mener de façon différente au motif qu’il n’appartient pas à l’association, ou pour toute autre raison extérieure aux relations de travail avec l’employeur […].
[50] Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible. On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier.
[51] Le quatrième élément
retenu dans l’art.
[52] Mauvaise foi et discrimination impliquent toutes deux un comportement vexatoire de la part du syndicat. L’analyse se concentre alors sur les motifs de l’action syndicale. Dans le cas du troisième ou du quatrième élément, on se trouve devant des actes qui, sans être animés par une intention malicieuse, dépassent les limites de la discrétion raisonnablement exercée. La mise en œuvre de chaque décision du syndicat dans le traitement des griefs et de l’application de la convention collective implique ainsi une analyse flexible, qui tiendra compte de plusieurs facteurs.
[53] L’importance du
grief pour le salarié est l’un de ces facteurs. Indéniablement, l’abandon ou
l’échec d’un grief de congédiement aura des effets plus sérieux pour le salarié
qu’un débat sur une date de congé ou sur les modalités d’indemnisation d’une
période de temps supplémentaire. On impose une intensité plus grande à
l’obligation du syndicat dans pareil cas. Ainsi, dans l’affaire Haley et
l’Association canadienne des employés du transport aérien (1981), 41 di
311, p. 316, le Conseil canadien des relations de travail avait souligné que
les griefs de congédiement provoqueraient un examen plus serré du devoir de
juste représentation, sans toutefois que les salariés possèdent un droit absolu
à ce que la procédure de grief soit entamée ou portée à son terme dans ce type
de dossier. (Voir sur la question Guilde de la marine marchande,
précitée, p. 527, Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail,
[54] Dans ce contexte, les chances de succès du grief seront aussi pesées. L’abandon rapide après un traitement sommaire d’un grief de congédiement apparemment sérieux, sinon bien fondé, peut permettre de conclure, à première vue, à une violation du devoir de représentation. Encore là, une marge de discrétion subsiste. L’abandon de certains griefs, en principe bien fondés, s’impose parfois en raison des intérêts de l’unité de négociation dans son ensemble, comme cette Cour l’a reconnu sous la plume de Madame le juge L’Heureux-Dubé dans Centre hospitalier Régina, précité, p. 1349-1350.
[55] Les intérêts concurrents des autres salariés dans l’unité de négociation constituent un facteur important dans l’évaluation de la conduite syndicale. Cet élément reflète la nature collective des relations de travail, y compris dans l’administration de la convention collective. Les intérêts de l’ensemble de l’unité pourront justifier des comportements du syndicat par ailleurs désavantageux pour certains salariés en particulier. Un syndicat peut décider de faire des concessions ou de développer une politique d’application de la convention pour ne pas nuire à d’autres salariés ou pour maintenir de bonnes relations avec l’employeur en vue de négociations futures […].
(soulignement ajouté)
[24] Ainsi, un salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage. Cependant, le Syndicat a l’obligation de mener une enquête sérieuse. L’intensité de ses obligations variera selon la gravité des conséquences de la décision de l’employeur sur le salarié. En matière de congédiement, le Syndicat se doit donc d’être particulièrement diligent.
[25] En l’espèce, le demandeur a 13 ans d’ancienneté et un dossier disciplinaire vierge. Il a quitté son quart de travail, plus tôt, sans permission, mais en poinçonnant à chaque fois.
[26] Ce comportement méritait-il le congédiement? Peut-être, mais ce n’est pas au Tribunal d’en décider.
[27] Le Syndicat a conclu, quant à lui, et ce dès le début, qu’il n’y avait pas matière à grief. Pourtant, il n’a conduit aucune enquête. Il n’a pas assisté à la rencontre du 4 novembre 2015. Il n’a pas rencontré le demandeur ni avant ni après son congédiement. Madame Sirois est revenue de vacances la veille de la rencontre du 10 novembre et n’a pris connaissance que de ce que l’employeur a bien voulu lui transmettre.
[28] Certes, le demandeur a signé une déclaration le 4 novembre 2015. Mais cela ne dispensait pas le Syndicat de faire enquête, ne serait-ce qu’en questionnant le demandeur sur sa version et en l’informant du contenu du dossier de l’employeur. De plus, il aurait dû s’enquérir des circonstances dans lesquelles cette déclaration a été écrite, puisque le demandeur n’était pas accompagné. Enfin, le fait que le demandeur a toujours pointé en partant hâtivement n’est pas connu du Syndicat alors qu’il s’agit d’un élément significatif dans l’analyse du dossier.
[29] Le demandeur a requis à plusieurs reprises qu’un grief soit déposé. Le Syndicat a maintenu son refus sans avoir accompli ne serait-ce qu’un début d’enquête. Sa décision est donc arbitraire et constitue de la négligence grave.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la plainte;
AUTORISE Patrice Monette à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le ministre du Travail, aux frais de l’Association des travailleurs(euses) de Marché Sabrevois, pour décision selon la convention collective comme s’il s’agissait d’un grief.
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Irène Zaïkoff |
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M. Patrice Monette |
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Pour lui-même |
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M. Claude Langlais |
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Pour la partie défenderesse |
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M. Denis Méthé |
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Pour la mise en cause |
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Date de l’audience : 20 juin 2016 |
aml/amm
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