Champagne c. Hydro-Québec |
2011 QCCS 5796 |
|||||||
JM2364 |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
CHICOUTIMI |
|||||||
|
||||||||
N° : |
150-17-001650-099 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
31 octobre 2011 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ALAIN MICHAUD, j.c.s. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
WILBROD CHAMPAGNE |
||||||||
Demandeur |
||||||||
c. |
||||||||
HYDRO-QUÉBEC |
||||||||
Défenderesse |
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] Wilbrod Champagne réclame de son employeur Hydro-Québec la somme de 487 995,28 $ suite à son congédiement à titre d'officier de section en Sécurité industrielle, congédiement confirmé le 18 octobre 2006.
[2] Né à Port-Cartier, Wilbrod Champagne marie Rosanne Côté en 1972 et a trois enfants. Il entre sur le marché du travail en 1971 et oeuvre pour Protection Hydro-Québec à compter de juillet 1973, à la Sécurité industrielle des chantiers de construction de la défenderesse.
[3] Le demandeur transfère à la Division de l'exploitation en 1978, obtient sa permanence chez la défenderesse en 1981 et devient sergent en Sécurité industrielle en 1985. À l'automne 1999, il devient enquêteur en Subtilisation d'énergie, au même bureau de Chicoutimi.
[4] En janvier 2004, il obtient le poste d'officier de section en Sécurité industrielle et se prête ensuite à une évaluation des compétences clés[1] : il reçoit alors la confirmation de son assignation temporaire, d'environ dix-huit mois à compter du 3 mai 2004[2], comme officier de section au chantier de la Toulnustouc. À ce titre, il a un statut particulier et bénéficie des conditions de travail offertes au groupe des cadres RCTC (Répertoire des conditions des travailleurs de chantier), tout en conservant les avantages sociaux du groupe (syndiqué) des spécialistes du local 4250[3].
[5] En août 2005, comme le chantier de Toulnustouc est en voie d'achèvement, le demandeur est transféré dans les mêmes fonctions au chantier qui démarre à Rapide-des-Cœurs (associé au Camp Flamand), à environ 75 kilomètres de La Tuque.
[6] À partir de là, Wilbrod Champagne dirige un groupe d'environ 14 personnes chargées d'assurer la sécurité du chantier, constables-auxiliaires ou patrouilleurs-enquêteurs. Parmi elles se trouve L... V..., auxiliaire postée à la guérite du camp.
[7] À la suite de certains événements relatés plus loin, madame V... rédige une plainte le 13 mai 2006[4], accusant monsieur Champagne de harcèlement et soulignant les nombreux dénigrements qu'il ferait de ses collègues de travail.
[8] Le même jour, Wilbrod Champagne apprend de son supérieur immédiat Stéphane Charest qu'il fait l'objet d'une plainte de harcèlement et est invité à ne pas retourner au camp avant le mardi 16 mai suivant. Le 15 mai, il obtient de son médecin de famille un congé de maladie pour deux semaines, congé qui sera éventuellement prolongé jusqu'au 16 octobre 2006.
[9] Le 29 mai 2006, monsieur Champagne rencontre l'enquêteur Daniel Hamel aux bureaux d'Hydro-Québec à Chicoutimi, relate les principales étapes de sa carrière, se fait questionner quant aux reproches qui lui sont adressés et y répond.
[10] Le 21 juillet 2006, il rencontre son supérieur Stéphane Charest, qui lui confirme que l'enquête comme telle est terminée, mais que la sanction reste à confirmer, même si l'on se dirige vraisemblablement vers un congédiement.
[11] Convoqué le 18 octobre 2006 à une rencontre par Stéphane Charest, le demandeur s'y rend avec son procureur et reçoit en mains propres une lettre lui signifiant son congédiement[5], puisque l'enquête a révélé :
[…] que vous avez exercé à plusieurs reprises du harcèlement et avez eu une attitude intimidante envers une de vos employés. De plus, vous avez eu des gestes déplacés et inappropriés envers le personnel féminin de d'autres unités. Finalement, vous avez tenu des propos disgracieux, dénigrants et diffamatoires envers vos supérieurs et autres partenaires.
[12] Après une mise en demeure[6], le demandeur signifie le 15 avril 2009 à Hydro-Québec une réclamation de 414 829 $, qui est amendée au premier jour de l'audience à la somme de 487 995,28 $.
[13] Les principales questions en litige en cette affaire se résument à ce qui suit :
1- Les incidents de harcèlement et de dénigrement reprochés à Wilbrod Champagne se sont-ils réellement produits?
2- Le demandeur a-t-il été traité équitablement, dans l'étude de la plainte portée contre lui?
3- Le congédiement du demandeur, en date du 18 octobre 2006, était-il fondé sur un motif sérieux?
4- Si ce n'est pas le cas, quelle est la valeur des dommages subis par le demandeur, à la suite et comme conséquence de ce congédiement?
[14] Compte tenu de la nature de ce litige et des motifs au soutien du congédiement du demandeur, le traitement des faits relatés par les nombreux témoins revêt une importance déterminante, et il sera parfois nécessaire de citer le mot à mot de certaines expressions - même déplacées - qui ont été rapportées par les différents acteurs.
[15] Pour cerner plus rapidement les reproches de l'employeur - et puisque c'est lui qui a ici le fardeau de démontrer la justesse de sa décision - le Tribunal estime plus pratique d'examiner d'abord les déclarations les plus pertinentes des témoins de la défense. La position de la demande suivra.
1 - La position de la défense
[16] Les principaux faits ayant mené au congédiement de Wilbrod Champagne, le 18 octobre 2006, se trouvent d'abord à une plainte manuscrite de huit pages rédigée le 13 mai 2006 par Lo... V...[7], et ensuite au rapport d'enquête complété le 31 mai suivant par l'enquêteur Daniel Hamel[8].
[17] Lo... V... - 42 ans en mai 2005 - a travaillé quatre ans comme agente correctionnelle à la prison provinciale de Baie-Comeau. Elle quitte cet emploi en octobre 2004 pour suivre à Trois-Rivières son conjoint (C... F...), qui prévoit travailler au chantier de Rapide-des-Cœurs à l'été 2005. Wilbrod Champagne engage Lo... V... comme constable-auxiliaire, à la suite d'une entrevue passée à Baie-Comeau.
[18] Le travail commence le 30 mai 2005 par une rencontre au Motel le Gîte, à La Tuque; elle y logera d'ailleurs environ 45 jours, le temps que les dortoirs du Camp Flamand soient prêts à recevoir tous les travailleurs.
[19] Les familles de Lo... V... et de Wilbrod Champagne se connaissent, étant de la même région de la Côte-Nord. Le demandeur lui mentionne qu'il souhaite établir avec elle le même genre de relation d'amitié qu'il avait avec Dominic Larocque, ami de longue date de Lo... V....
[20] Les faits démontreront que cette proximité augmentera jusqu'aux environs de novembre 2005, et qu'elle s'estompera progressivement jusqu'au départ du demandeur du chantier, vers le 10 mai 2006.
[21] Lo... V... reproche au demandeur trois genres différents de comportement : le dénigrement, le harcèlement à connotation sexuelle et le harcèlement psychologique.
[22] Quant aux manifestations de dénigrement de la part du demandeur, Lo... V... rapporte les paroles suivantes de Wilbrod Champagne :
a) la secrétaire M... B... est « une frustrée », dont « le chum est gros »[9]; il les imagine en train de faire l'amour et en rit;
b) le président du syndicat, Claude Perron, « couche avec tout ce qui bouge »;
c) Stéphane Charest est un « batteur de femmes », et des commentaires dénigrants sont également faits à l'endroit de Mario Laprise, patron de Charest;
d) plus tard, le constable-auxiliaire Éric Durand est décrit comme un « bébé gâté par ses parents », que le demandeur veut mettre dehors; il ne peut pas le congédier, parce que Durand est protégé par Gaël Forget, un « ostie de crosseur »;
e) le nouveau conjoint de Lo... V..., à partir d'octobre 2005, est un « trou de cul »; ce J... R... est un simple plombier insignifiant, qui n'est pas à la hauteur de madame V...;
f) le patrouilleur-enquêteur Maurice Lacroix a commis l'erreur d'acheminer une information importante[10] - pendant la crise autochtone d'août 2005 - à un officier de section autre que lui; le demandeur dit qu'il « allait le mettre dehors », qu'il « ne faisait rien de bon, se devait le cul, devait payer une pension alimentaire à sa femme et allait crever pauvre »;
g) le constable-auxiliaire Michel De Carufel fait son « fait bien » devant les autres, particulièrement du côté des hauts gestionnaires, après avoir reçu des félicitations de Stéphane Charest et de Jean T...;
h) l'auxiliaire Guy Trudel regarde à l'occasion des films pornographiques pendant son quart de travail dans la guérite; il est un « vieux, pas vite, sourd, qui fait pitié et qui n'a jamais connu l'argent ».
[23] Madame V... conclut en mentionnant que les membres de la Sécurité industrielle en viennent à constater que monsieur Champagne parle très souvent contre l'un ou l'autre d'entre eux. Cela installe dans l'équipe un climat malsain, à compter de décembre 2005, de telle sorte que plusieurs des membres veulent alors démissionner.
[24] Madame V... rapporte également les principaux incidents qui seraient associés à du harcèlement à connotation sexuelle.
[25] Au cours des premières semaines de l'amitié que monsieur Champagne dit vouloir développer avec elle, ce dernier mentionne à Lo... V... qu'elle ne devrait pas se surprendre du fait que certaines personnes soient jalouses, et même qu'on les suspecte de coucher ensemble. Elle répond que cela ne la dérange pas, puisque ce n'est pas le cas.
[26] Après une marche en soirée avec elle vers le début d'août 2005, monsieur Champagne suggère de continuer leur discussion à la chambre de madame V..., pour parler de sécurité industrielle : elle accepte.
[27] Après un cognac, plutôt que de parler de travail, le demandeur mentionne qu'il a besoin de tendresse, de caresses et de sexe, puisqu'il n'a plus de relations sexuelles avec son épouse depuis quelques années. Lorsqu'il se rend aux réunions périodiques de gestion à Montréal (aux « COGE »), ajoute-t-il, il ne séjourne pas au même endroit que ses collègues, pour faire venir une prostituée et « se faire sucer ».
[28] Vers septembre 2005, alors qu'elle est seule à la guérite temporaire du campement en début de soirée, monsieur Champagne entre et se colle sur elle en la regardant dans les yeux, au point où elle sent son ventre sur elle. Lorsqu'il lui demande « qui est-ce qui va me sucer à soir? », elle lui répond « c'est certainement pas moi, monsieur Champagne », en s'éloignant de lui.
[29] Le 14 septembre 2005, son conjoint C... lui apprend qu'il ne viendra pas travailler au même chantier qu'elle. Elle en est grandement affectée, et monsieur Champagne - lors d'une de ses nombreuses et longues visites à la guérite - lui mentionne que son conjoint ne doit pas vraiment l'aimer, et qu'elle a plutôt besoin d'autre chose, à savoir d'écoute, de tendresse et d'affection.
[30] Fin octobre 2005, elle commence à fréquenter J... R...; le demandeur lui mentionne qu'elle devrait « se prendre une chambre toute seule, pour se retrouver » et déclare que son ami J... ne peut plus la voisiner dans le dortoir réservé à la Sécurité industrielle, pour des motifs de confidentialité.
[31] Novembre ou décembre 2005, il fait des commentaires déplacés à madame V... au sujet de certaines femmes se trouvant au camp. Il dit de Jo... C..., qui travaille à la cafétéria, « je la sauterais, elle devrait bien sucer »; un peu plus tard, il passe le même genre de commentaire à l'égard d'E... Co..., également employée à la cafétéria.
[32] Lorsque madame V... travaille la fin de semaine et que monsieur Champagne est en congé, il l'appelle souvent à la guérite. Il lui mentionne à l'occasion qu'il est sur son cellulaire et qu'il peut lui parler, puisque sa femme n'est pas à la maison.
[33] En janvier 2006, lorsque son ex-conjoint C... commence finalement à travailler au chantier, le demandeur passe à la guérite et suggère à madame V... qu'elle couche avec deux « chums » en même temps, dans des termes suffisamment vulgaires pour qu'on ne les rapporte pas ici.
[34] Madame conclut en mentionnant qu'elle a l'habitude du vocabulaire généralement adopté sur le chantier, et qu'elle y a déjà entendu des mentions un peu grivoises : elle ne se souvient toutefois pas d'avoir eu connaissance - sauf de la part du demandeur - de commentaires vraiment déplacés.
[35] Pour ce qui est des faits associés à du harcèlement d'ordre psychologique, on verra qu'ils évoluent en importance jusqu'en mai 2006.
[36] Madame V... est engagée au départ comme constable-auxiliaire, en poste à la guérite, mais souhaiterait devenir patrouilleur-enquêteur. À partir de juillet 2005, monsieur Champagne lui mentionne qu'elle serait bientôt promue, que cela s'en vient; l'échéance est toutefois reportée de mois en mois.
[37] Elle aime bien discuter une à deux heures par jour avec son patron, lorsqu'il passe à la guérite, mais elle comprend en décembre 2005 que ce traitement n'est réservé qu'à elle. Les visites de monsieur Champagne diminuent alors en nombre et en durée, ce qui correspond - selon elle - à la période où elle fréquente davantage J... T....
[38] Madame V... se sent de plus en plus isolée à partir de la fin de l'année 2005, et son supérieur ne lui parle presque plus. Ses collègues de travail font de même, puisqu'ils craignent - elle l'apprend plus tard - que leurs paroles soient rapportées à monsieur Champagne, vu sa proximité avec lui.
[39] Vers février 2006, alors qu'elle désespère d'obtenir le poste convoité de patrouilleur-enquêteur, elle apprend que D... D..., El... G..., E... Co... et Jo... C... se sont fait représenter par le demandeur qu'elles pourraient devenir, comme elle, auxiliaires à la guérite. Elle est de plus en plus triste au travail, et n'a plus le soutien de son supérieur.
[40] En avril 2006, pendant qu'elle effectue des heures supplémentaires de surveillance sur la Route 25, madame V... reçoit un appel de sa fille de Baie-Comeau, qui est mal en point. Elle informe alors Nicolas Gilbert, qui remplace alors Wilbrod Champagne, qu'elle ne sera pas en mesure d'effectuer des heures supplémentaires le soir même.
[41] Après que monsieur Gilbert lui ait dit en avoir parlé à monsieur Champagne et que cette absence « nous met dans la marde », elle change d'idée et confirme à monsieur Gilbert qu'elle va travailler le soir, plutôt que de se rendre à Baie-Comeau. Wilbrod Champagne lui dit le lendemain « avant que tu l'apprennes de d'autres, samedi, je te crissais dehors ».
[42] À la veille d'un retour au camp, le dimanche soir 7 mai, madame V... est déprimée et quitte l'urgence de l'hôpital de La Tuque vers 23 h 45 : elle décide de ne pas se rendre à une formation en décarcération le lendemain matin, d'autant plus qu'elle dit ne pas y avoir été spécifiquement convoquée. Monsieur Champagne l'appelle vers 9 h le lundi matin pour lui ordonner de monter tout de suite au camp, ce qu'elle fait pour suivre la formation de l'après-midi.
[43] Elle est convoquée par son patron vers la fin de la journée, et monsieur Champagne lui dit « tu vas avoir une lettre dans ton dossier », à cause de son absence du matin. Elle prend mal cette réprimande et lui mentionne « j'ai perdu un allié ». Elle se réfugie dans sa chambre, d'où elle demande une rencontre avec le chef de chantier Claude Lachapelle.
[44] Le lendemain 9 mai, monsieur Champagne a appris qu'une rencontre se prépare entre le chef de chantier et madame V..., et croise cette dernière au casse-croûte. Il s'approche d'elle pour la prendre par l'épaule et lui dire à l'oreille « t'en auras pas de lettre à ton dossier, ma chouette; je sais que tu n'es pas une menteuse ». Il ajoute qu'elle peut parler à monsieur Lachapelle parce que « j'ai rien à me reprocher ».
[45] La rencontre avec monsieur Lachapelle a lieu le 9 mai, et celui-ci lui suggère de préparer un écrit et de communiquer avec Stéphane Charest, patron immédiat de monsieur Champagne. Elle prend ainsi rendez-vous avec monsieur Charest, qui sera au camp le vendredi 12 mai.
[46] En poste à la guérite, le 10 ou le 11 mai en soirée, madame V... reçoit deux appels rapprochés du demandeur, qui lui mentionne entre autres « tu sais, Lo..., M... fait une campagne de salissage », ce qu'il lui avait déjà représenté. Il ajoute ce soir-là « fais attention à ce que tu dis, parce que ça pourrait se retourner contre toi ».
[47] Madame V... rencontre Stéphane Charest le vendredi soir et raconte son histoire. Elle lui fournit le lendemain sa déclaration manuscrite qu'elle avait déjà commencée[11]. L'enquêteur Daniel Hamel la rencontre le 18 mai à son domicile de La Tuque et recueille sa déclaration statutaire[12].
[48] Madame V... reprend le travail la semaine suivante, sans avoir revu monsieur Champagne. Elle quitte le campement le 2 juin 2006 pour un congé de maladie de 14 mois. Revenue ensuite au travail pendant deux mois - d'août 2007 à octobre 2007 - elle retourne en congé de maladie pour six mois et reprend ensuite quelque temps le travail.
[49] Madame V... quitte définitivement Hydro Québec le 29 novembre 2008[13]. Elle n'a pas travaillé depuis cette séquence d'événements.
[50] Jo... C..., Attikamek de 36 ans, travaille pour l'exploitant de la cafétéria du camp[14] à partir de juin 2005. Postée à l'entrée de la cafétéria, elle voit régulièrement Wilbrod Champagne, qui lui fait à l'occasion des clins d'œil et feint d'avoir de la difficulté à passer sa carte magnétique en passant près d'elle. Il lui avoue qu'il fait exprès, parce qu'il veut la regarder plus longtemps.
[51] À la suggestion de monsieur Champagne, Lo... V... invite un soir madame C... à une petite fête où il se trouve. Le demandeur discute 15 à 20 minutes avec elle, prend l'initiative de lui demander si elle serait intéressée à travailler à la guérite, et mentionne qu'il pourrait arranger quelque chose pour qu'elle entre au service de la Sécurité industrielle.
[52] Madame C... ne s'informe nullement des conditions requises pour obtenir l'emploi, mais se dit prête à envisager cette possibilité. Elle mentionne n'avoir jamais reçu, par la suite, de nouvelles de monsieur Champagne.
[53] E... Co..., 50 ans, travaille aussi à la cafétéria du Camp Flamand. Vers septembre 2005, monsieur Champagne lui propose d'aller travailler pour lui, à la surveillance de la guérite d'entrée. Il mentionne qu'il s'agit d'un programme spécial permettant de former quelques personnes pour ce travail. Elle est très intéressée par ce poste, et il va lui revenir bientôt pour lui donner des nouvelles.
[54] Madame Côté s'en informe périodiquement et monsieur Champagne lui mentionne que ce ne sera pas long et qu'il a des documents à compléter : à la fin de l'année 2005, l'offre ne s'est pas encore matérialisée.
[55] Début 2006, elle se fait offrir d'aller travailler à temps partiel à la Maison des visiteurs, sur le site du camp. Consulté par madame C[15], monsieur Champagne lui suggère alors d'accepter l'autre offre, puisque le dossier de sa candidature, comme auxiliaire, est plus compliqué que prévu.
[56] Lorsque monsieur Champagne la relance ensuite avec des clins d'œil et des signes de la main signifiant que son « petit coeur bat pour elle », elle constate que ses représentations n'étaient pas sérieuses. Elle considère que ces gestes de monsieur Champagne sont déplacés, pour un officier de section : il profite de ce statut pour offrir ainsi des emplois autour de lui.
[57] D... D... travaille au gardiennage de prison, au poste de police de La Tuque, lorsqu'elle sollicite de monsieur Champagne un poste d'auxiliaire, au Camp Flamand. Elle lui rapporte son expérience de travail pertinente à Montréal et à La Tuque; monsieur Champagne mentionne qu'il communiquera avec elle s'il constate des ouvertures à ce sujet.
[58] En octobre 2005, elle devient serveuse au restaurant Scarpino, sur le site du Camp Flamand. Elle s'informe de l'avancement de sa candidature à monsieur Champagne, qui lui dit que ce serait pour très bientôt.
[59] En janvier ou février 2006, madame D... est menacée de mort par un client du restaurant, alors qu'il est sous l'influence des drogues ou de la boisson. Monsieur Champagne lui demande alors de la voir après le travail, pour parler de ce dossier « Santerre ».
[60] À la suggestion de monsieur Champagne, ils se voient à la chambre de madame D..., pendant environ une heure. Il lui mentionne qu'elle devrait porter plainte contre l'individu, pour ne pas perdre sa crédibilité. Madame D... est nerveuse et ne se sent pas bien, du fait de cette visite à sa chambre. En quittant, le demandeur lui mentionne de ne dire à personne qu'il est venu à sa chambre ce soir-là.
[61] Lorsque madame D... relance monsieur Champagne quant à la possibilité pour elle d'obtenir un emploi à la guérite, le demandeur lui mentionne maintenant que cela va être très long : madame D... impute ce changement au fait qu'elle vient de se faire un copain sur le campement. Elle apprendra plus tard que son expérience de travail ne lui permettait pas d'espérer le poste d'auxiliaire à la guérite.
[62] El... G..., 37 ans, est elle aussi serveuse au casse-croûte du Scarpino, à partir de novembre 2005. À la longue, monsieur Champagne sait qu'elle aimerait travailler à la Sécurité industrielle - à la guérite ou à la patrouille - d'autant plus que quatre de ses proches parents travaillent dans les services policiers.
[63] Monsieur Champagne lui mentionne qu'il y aura bientôt quelque chose pour elle à la guérite, sans fixer de date précise. Elle s'en informe régulièrement.
[64] Après que le patrouilleur Maurice Lacroix lui ait mentionné que ce scénario serait impossible, madame G... confronte monsieur Champagne, qui mentionne maintenant avoir reçu un communiqué exigeant le cours de technique policière pour l'obtention de ce poste d'auxiliaire[16].
[65] Dans un autre ordre d'idée, elle dit avoir accepté l'offre de monsieur Champagne de lui enseigner les rudiments de la peinture, au début de mai 2006. Lors de la première leçon, madame G... se sent mal à l'aise du fait que le demandeur se colle à elle par derrière pour lui enseigner, au point où elle sent son ventre dans son dos. Elle quitte alors les lieux et ne revoit pas monsieur Champagne, qui partira du camp quelques jours plus tard.
[66] Nicolas Gilbert, 30 ans, est aujourd'hui policier à Laval. Il a travaillé comme patrouilleur-enquêteur au Camp Flamand, entre septembre 2005 et septembre 2006.
[67] Monsieur Gilbert avait une très bonne relation avec monsieur Wilbrod Champagne, qui lui faisait suffisamment confiance pour lui mentionner qu'il aimait moins le travail de certaines autres personnes. Il se rappelle entre autres l'épisode où sa collègue K... L... s'est fait reprocher par le demandeur d'avoir sa photo sur un calendrier commandité qui se trouvait dans l'aire de travail des employés.
[68] Il se souvient également du fait que monsieur Champagne n'appréciait pas les visites de son supérieur Stéphane Charest sur le chantier. Au fil du temps, l'atmosphère est devenue lourde et négative entre les agents : la zizanie commençait à s'installer entre eux, selon lui.
[69] Wilbrod Champagne disait à monsieur Gilbert que M... B... parlait dans son dos, et Lo... V... lui apprenait en même temps que le demandeur parlait contre lui, en mentionnant qu'il fallait le prendre par la main et qu'il n'avait pas d'initiative.
[70] Lo... V... a raconté à monsieur Gilbert l'incident au cours duquel elle avait été collée par monsieur Champagne dans la roulotte de la guérite; il a lui-même eu connaissance d'un autre épisode où monsieur Champagne a répété la même question vulgaire - relative à une fellation - devant Lo... V... et un autre patrouilleur.
[71] Contre-interrogé sur le fait que son témoignage en disait moins que sa déclaration statutaire fournie à l'enquêteur Daniel Hamel[17], monsieur Gilbert affirme à deux reprises que, si c'est inscrit dans sa déclaration, c'est qu'il l'a réellement constaté et mentionné à l'enquêteur Hamel.
[72] Michel De Carufel travaille un an comme constable-auxiliaire au Camp Flamand, à compter de juin 2005. Au départ, monsieur Champagne est content de son travail et lui offre de devenir éventuellement patrouilleur-enquêteur : il dit que cela serait possible grâce à son expérience de travail, même si le cours de technique policière est habituellement requis pour le poste.
[73] Quelques mois plus tard, le témoin apprend de Claude Perron et de Stéphane Charest que cette promotion ne pourrait pas fonctionner, à cause du prérequis en question. Monsieur De Carufel a été un peu insulté d'avoir ainsi été intéressé inutilement à l'emploi par son supérieur.
[74] Le témoin savait que le demandeur passait beaucoup de temps à la guérite, pendant le quart de travail de Lo... V.... Lui-même n'était visité par monsieur Champagne qu'une à deux fois par semaine[18]. Monsieur De Carufel a progressivement constaté la dégradation de la relation entre madame V... et le demandeur, simplement en écoutant les propos des deux intéressés.
[75] Ainsi, madame V... revenait souvent de souper en pleurant, disant regretter s'être confiée à son supérieur. D'autre part, monsieur Champagne a dit à quelques reprises, à propos de Lo..., qu'il était « tanné d'écouter ses problèmes, et qu'elle peut fourrer avec qui elle veut ».
[76] Selon le témoin, les agents au Camp Flamand se méfiaient beaucoup de Lo..., surtout au début, puisque chacun faisait attention à ce qu'il disait, de crainte que cela ne soit rapporté au patron.
[77] Monsieur De Carufel a constaté que le demandeur parlait contre bien des gens sur le site : entre autres, Claude Perron n'était pas bon et ne s'occupait pas du syndicat comme il faut. Il n'aimait pas non plus Stéphane Charest, qui appelait à l'occasion à la guérite pour le rejoindre; le plus souvent, monsieur Champagne lui demandait de répondre au patron qu'il était absent, pour ne pas lui parler.
[78] Quand monsieur de Carufel a su que le demandeur disait à d'autres qu'il voulait le « sacrer dehors », il a dit à son patron de ne pas parler contre lui : monsieur Champagne a nié.
[79] Quelques jours avant de quitter le chantier, monsieur Champagne mentionne au témoin que Lo... V... a demandé à rencontrer le chef de chantier Lachapelle : il était alors nerveux et disait que madame V... « n'aurait pas sa rencontre », en croisant les doigts pour signifier que monsieur Lachapelle et lui-même étaient très proches.
2 - La position de la demande
[80] Les principales étapes de la carrière du demandeur ont été relatées au chapitre des faits, et on trouve le détail de son expérience de travail à son curriculum vitae[19]. Aucune tache n'apparaît à son dossier professionnel, et 25 documents produits en liasse[20] font un étalage passablement complet des nombreuses nominations, attestations, recommandations et félicitations visant le demandeur.
[81] Monsieur Champagne est heureux d'être nommé officier de section en mai 2004[21] et de retourner ainsi dans le domaine de la construction : la rapidité de décision et d'exécution constitue un défi pour lui, en plus de lui donner l'occasion de transmettre son expérience aux plus jeunes.
[82] Lorsque le chantier de la Toulnustouc est sur le point de se terminer, un an plus tard, il commence à travailler à temps partiel au nouveau chantier de Rapide-des-Coeurs, qu'il rejoindra à temps plein à compter du mois d'août 2005. Madame M... B..., secrétaire de la Sécurité industrielle, le suivra au Camp Flamand quelques semaines plus tard.
[83] Le Camp Flamand abritera jusqu'à 1 000 employés, pendant la période la plus achalandée du chantier. Le demandeur y a environ 14 personnes sous ses ordres, dont six patrouilleurs, quatre auxiliaires, une secrétaire et un chef pompier.
[84] Il constate rapidement que Lo... V... est une auxiliaire efficace, qui a du « guts » et qui est bien servie par son expérience en milieu correctionnel. Comme elle a été élevée à Godbout, et lui à Baie-Trinité, il développe une amitié et un lien de confiance avec cette employée. Elle et lui ont les mêmes goûts (peinture, écriture, etc.) et ils échangent sur de nombreux sujets, même personnels; cela n'a rien à voir avec une attirance physique, dit-il.
[85] Madame V... aimerait obtenir le poste de patrouilleur-enquêteur, dont l'un des prérequis est le cours de technique policière. Son expérience à Baie-Comeau est pertinente, et monsieur Champagne lui mentionne que - sujet à certaines formations complémentaires - le poste lui est accessible et qu'elle allait l'obtenir éventuellement.
[86] Le demandeur est interrogé assez longuement par son procureur, en regard des reproches qui lui sont adressés par la plaignante Lo... V....
[87] Quant aux incidents relatifs au dénigrement de ses collègues, monsieur Champagne affirme qu'il n'a jamais déprécié ou dénigré les gens autour de lui. S'il avait des divergences de vues avec ses collègues, il l'exprimait bien poliment à son entourage. Il reconnaît toutefois que ses positions pouvaient être connues de bien du monde.
[88] Par exemple, dans le cas Claude Perron, « peut-être que j'ai dit qu'il faisait mal son travail, mais je ne l'ai pas dénigré, ni parlé contre lui ». Il nie du même souffle avoir mentionné que monsieur Perron était incompétent ou qu'il « sautait tout ce qui bouge ».
[89] La situation est un peu différente dans le cas de Stéphane Charest, alors qu'il admet avoir dit et répété qu'il était un « batteur de femmes », sur la foi de ce que M... B... et d'autres collègues de travail lui auraient dit.
[90] Le demandeur affirme qu'il n'a jamais employé les qualificatifs vulgaires qui lui sont reprochés quant à Maurice Lacroix, K... L...[22], le conjoint de M... B..., Gaël Forget et Guy Trudel.
[91] En ce qui concerne les incidents ayant une connotation sexuelle, monsieur Champagne affirme n'avoir jamais encouragé Lo... V... à lui faire quoi que soit, ni même y avoir pensé. Il admet avoir fait des blagues avec elle dans un contexte particulier, dans un milieu d'hommes et il nie - entre autres - lui avoir suggéré que leur entourage puisse penser qu'ils couchaient ensemble.
[92] Plus particulièrement, monsieur Champagne :
a) nie avoir mentionné à madame V..., alors dans sa chambre, qu'il était sans relations sexuelles depuis plusieurs années et qu'il en avait besoin;
b) nie l'épisode rapporté par Nicolas Gilbert[23], mais admet avoir dit à Marcel Picard, en présence de Lo... V..., « si on se faisait faire une pipe, à soir… »;
c) nie la survenance de l'épisode où il aurait posé la même question suggestive à Lo... V... en la collant, alors que les deux étaient seuls dans la guérite;
d) nie qu'il ait mentionné qu'il « sauterait » l'une et l'autre des employées de la cafétéria, admettant cependant qu'il disait « je lui ferais pas mal », lorsqu'il voyait une belle femme;
e) reconnaît qu'il ait pu dire qu'il était tanné d'entendre les plaintes de Lo... V..., mais nie qu'il ait alors ajouté qu'elle pouvait « fourrer avec qui elle veut »;
f) nie toute mention ou tout contact déplacé avec qui que ce soit sur le campement.
[93] Par ailleurs, il ne s'est jamais touché les parties génitales en présence de M... B..., ni devant Je... I... à Toulnustouc, et ne s'est pas sorti la langue en se léchant la lèvre supérieure[24]. Le demandeur explique la vision de madame B... par le fait qu'il a pu arriver qu'il remonte sa fermeture éclair en sortant de la salle de bain, près du bureau de la secrétaire. Il nie donc avoir été averti par madame B... de cesser de se toucher les parties.
[94] Sur la question des fréquentations successives de madame V..., monsieur Champagne affirme qu'il n'a jamais dit qu'elle avait deux « chums » en même temps, et nie avoir fait le commentaire particulièrement vulgaire visant ce supposé triangle amoureux. Il dit d'ailleurs qu'il n'avait aucune objection à ce que madame V... fréquente J... R..., sous réserve du principe de la confidentialité des dortoirs de la Sécurité industrielle.
[95] Quant aux possibilités d'engagement de quatre employés du campement, monsieur Champagne soumet qu'il ne refusait aucune candidature et qu'il se constituait en fait une banque de candidatures - femmes et hommes - qu'il conservait sous forme de notes personnelles.
[96] Il reconnaît que les quatre employées (Jo... C..., E... Co..., D... D... et El... G...) n'ont jamais rempli aucun formulaire ni subi aucun test préalable aux éventuels engagements; il n'a procédé à aucune vérification auprès des Ressources humaines, pour savoir comment les engager éventuellement.
[97] Monsieur Champagne mentionne qu'il avait avisé chacune de ces prospectes des prérequis que demandait la fonction d'auxiliaire, et qu'il attendait de voir si une ouverture se créerait pour faire avancer l'une ou l'autre de ces candidatures. Le témoin affirme qu'il n'a lui-même sollicité aucune de ces candidatures : Jo... C... lui était recommandée par Lo... V..., El... G... par Maurice Lacroix, alors que E... Co... et D... D... avaient pris l'initiative de lui demander ce travail à la guérite.
[98] Monsieur Champagne discute ensuite des événements d'avril et mai 2006, qui sont les plus récents incidents associés à la question du harcèlement psychologique.
[99] Lorsque Nicolas Gilbert l'a avisé verbalement que madame V... disait ne pas vouloir faire des heures supplémentaires en soirée, lors de la surveillance de la Route 25 en avril, monsieur Champagne admet avoir dit à son remplaçant et ensuite à madame V... « si elle ne se place pas, je vais la crisser dehors ». C'était là, dit-il, le seul événement justifiant cette menace de congédiement.
[100] Au sujet de la formation du 8 mai 2006, le demandeur confirme les circonstances exposées par madame V... ainsi que la menace qu'il lui faisait de déposer une lettre à son dossier, en fin d'après-midi. L'employée aurait dit « vous venez de perdre une alliée », plutôt que le contraire[25].
[101] Monsieur Champagne reconnaît toutefois que la demi-formation de l'après-midi « a fait la job quand même », quant aux connaissances de madame V.... Il dit avoir réfléchi à sa menace, pour confirmer à madame V... le lendemain matin, en plaçant son bras autour de son épaule, qu'elle n'aurait pas de lettre à son dossier et qu'il ne la considérait pas comme une menteuse. Cela n'avait rien à voir, dit-il, avec le fait qu'il savait maintenant qu'elle devait rencontrer le chef de chantier.
[102] Le lendemain, il n'a jamais mentionné devant un patrouilleur que madame V... ne réussirait pas à voir Claude Lachapelle, ni n'a été nerveux ou agressif à l'idée que son supérieur Stéphane Charest vienne la rencontrer sur le campement.
[103] Lorsqu'il a appelé madame V... à deux reprises le soir suivant, c’était pour vérifier si c'était monsieur Charest ou elle-même qui avait provoqué la rencontre, et pour lui demander si M... B... était mêlée à cette affaire, puisque cette dernière « faisait du salissage » et qu'il n'avait pas confiance en elle. Il admet avoir mentionné à madame V... « quand on part des choses, des fois, on perd le contrôle et ça va loin ».
[104] Plus généralement, c'est un concours de circonstances qui a fait qu'il parlait plus souvent à Lo... V... qu'aux autres auxiliaires postés à la guérite, puisqu'il souhaitait savoir rapidement ce qui se passait sur le campement, en son absence. Il ne s'est par ailleurs jamais isolé de sa famille pour appeler madame V....
* * *
[105] Le samedi 13 mai, en soirée, Stéphane Charest appelle le demandeur chez lui, pendant une fête de famille. Il lui mentionne qu'une plainte de harcèlement sexuel a été portée contre lui par Lo... V... et lui demande de ne rentrer au campement que le mardi suivant. Découragé et incapable de dormir les deux jours suivants, le demandeur se rend voir son médecin de famille le lundi matin et obtient un congé de maladie de quinze jours : il expédie le billet le jour même au camp.
[106] Quelques jours plus tard, Daniel Hamel l'appelle pour lui indiquer qu'il procède à une enquête et désire le rencontrer. La rencontre est fixée au 29 mai suivant, aux bureaux d'Hydro-Québec à Chicoutimi, et monsieur Hamel lui suggère d'être alors accompagné. Le demandeur vérifie cette possibilité auprès de son représentant syndical, qui dit ne pas pouvoir l'assister, vu son statut temporaire de cadre.
[107] Le demandeur arrive seul le 29 mai, et rencontre Daniel Hamel et Danielle Crevier, conseillère aux Ressources humaines d'Hydro-Québec. Monsieur Champagne a préparé et apporté deux documents manuscrits qui relatent respectivement les étapes de sa carrière[26] et certains éléments de faits associés à la plainte de madame V...[27].
[108] Monsieur Champagne explique que la rencontre - d'une durée de quatre heures et demie - se déroule bien dans l'ensemble. Après une trentaine de minutes où on le laisse exposer les faits marquants de sa carrière, Daniel Hamel lui demande carrément s'il est vrai qu'il se touchait les parties génitales devant la secrétaire à Toulnustouc : monsieur Champagne est assommé. Il mentionne au Tribunal qu'ils ont « balayé large » en fouillant ainsi dans sa vie personnelle.
[109] Malgré tout, monsieur Champagne ne demande pas à quitter la rencontre et accepte de répondre aux questions de l'enquêteur jusqu'à la fin. Il se fait offrir de signer une déclaration statutaire, mais préfère signer les deux récits manuscrits préparés par lui[28], pour les remettre à monsieur Hamel.
[110] Revenu chez lui, il mentionne qu'il songe à se pendre. Il ne dort pas de la nuit et se fait prolonger, dès le lendemain matin, son congé médical. Il fait également appel au programme d'aide aux employés (PAE) d'Hydro-Québec, qui lui revient le jour même et lui fournira cinq séances hebdomadaires de consultation auprès du psychologue Ghislain Dufour[29].
[111] Après diverses communications avec Stéphane Charest, en vue de la tenue d'une rencontre à quatre avec Mario Laprise - qui ne serait pas à l'aise avec ce scénario - il est convenu que Stéphane Charest le verra seul le 21 juillet 2006, dans un hôtel de Chicoutimi. Les deux hommes y échangent alors pendant 90 minutes sur un ton cordial et sans agressivité, et le demandeur en profite pour s'excuser à monsieur Charest des paroles prononcées à son endroit : Stéphane Charest semble accepter ces excuses.
[112] Monsieur Charest informe alors le demandeur que l'enquête a révélé une forme de harcèlement de sa part : l'autre admet avoir manqué de jugement et avoir été trop familier avec madame V.... La décision finale n'est pas prise, selon monsieur Charest, mais le scénario actuellement privilégié par le patron Mario Laprise est le congédiement : monsieur Champagne dit que cela lui apparaît démesuré.
[113] Les deux hommes se revoient au même hôtel le 18 octobre suivant, en compagnie de Gaël Forget et du procureur du demandeur. La rencontre dure cinq minutes et Stéphane Charest lui lit les quatre paragraphes d'une lettre de congédiement[30], alors remise de main à main.
[114] Monsieur Champagne provoque une rencontre avec Mario Laprise le 31 octobre suivant, aux bureaux d'Hydro-Québec à Lebourgneuf. Encore sur un ton cordial, on y discute du futur du demandeur et des choix monétaires à faire par lui, pour l'obtention des montants de son fonds de retraite.
[115] Monsieur Champagne reçoit son relevé d'emploi au début de novembre[31], en même temps que les derniers argents découlant de son emploi. La part d'Hydro-Québec de son fonds de pension (d'environ 400 000 $) lui sera versée à compter de janvier 2007. La valeur de ses contributions personnelles au fonds de pension (d'environ 275 000 $ nets) lui est également remise, pour être déposée dans un compte de placements.
* * *
[116] Monsieur Champagne mentionne que, depuis cinq ans, il ne dort pas toutes ses nuits. Il était auparavant un homme fier, capable de relever les défis et ayant de la facilité à s'exprimer et à prendre rapidement des décisions. Aujourd'hui, il est encore assommé par son congédiement, s'est retiré du monde et ne sera jamais plus le même à cause de cet échec important.
[117] Il a coupé presque tout lien avec ses anciens collègues d'Hydro-Québec, après trente-trois ans de travail. Il avait racheté quelques années pour bonifier sa retraite et pensait se retirer environ deux ans plus tard.
[118] Le psychologue Alain Simard fait de la consultation en pratique privée depuis janvier 1997[32]. Il a rencontré le demandeur le 21 avril 2009 pendant trois heures et demie et s'est vu remettre un recueil rédigé par le procureur du demandeur[33], ainsi qu'une lettre du psychologue chez qui le demandeur fut dirigé par le PAE d'Hydro-Québec[34].
[119] Le rapport P-9 rédigé par le témoin rapporte d'abord les faits générateurs (jusqu'à mai 2006) révélés par l'entrevue clinique, ainsi que les symptômes et problèmes relatés à l'entrevue structurée, faite dès après. Le consultant note que le médicament Celexa - antidépresseur particulièrement anxiolytique - n'est plus administré au demandeur depuis novembre 2008, ce qui démontre que les troubles d'anxiété ne sont plus traités à partir de cette date.
[120] Les questionnaires spécifiques utilisés par le docteur Simard démontrent que, au 21 avril 2009, le demandeur ne manifeste pas de symptôme d'anxiété, ni vraiment de symptômes de dépression. Monsieur Champagne a aussi tendance à se présenter sous un angle positif, pour minimiser ses symptômes dans sa présentation des faits. Le consultant qualifie ce comportement d'intelligent en ce qui concerne les allégations de harcèlement, mais en même temps de contre-productif quant à la réclamation monétaire présentée par le demandeur.
[121] L'objectif de l'expertise n'est pas d'établir un DAP (déficit anatomo-physiologique) comme tel, mais d'examiner le lien qui pourrait exister entre la condition du demandeur et les événements rapportés : le docteur Simard conclut à l'existence d'un tel lien direct :
[…] La présente expertise psychologique démontre la présence de symptômes anxieux qui semblent bien être apparus suite à une cascade d'événements qui aurait débuté lors du congédiement de monsieur et cette anxiété répond actuellement aux critères de trouble d'anxiété généralisée. Devant l'absence d'indice d'une condition préexistante, j'en conclue (sic) que ce trouble anxieux est une complication de son trouble d'adaptation avec humeur anxiodépressive qui avait été initialement diagnostiquée. (P-9, p. 5)
[122] La mention initialement diagnostiquée réfère à l'évaluation du 31 mai 2006 du psychologue Ghislain Dufour[35] ainsi qu'au certificat médical du médecin de famille Louis Simard, daté du 15 juin 2006[36].
[123] Contre-interrogé, le docteur Simard mentionne qu'il n'a pas demandé le dossier médical au travail de monsieur Champagne, n'ayant aucun doute ni indication voulant qu'il puisse exister chez le demandeur un problème antérieur pertinent à son examen[37]. Quant à l'incidence de l'exactitude des faits ou de la gravité objective des événements dans son évaluation de la condition finale du demandeur, le consultant explique que c'est la perception du patient qui compte davantage en cette matière.
[124] Le docteur Simard reconnaît également que la « conscience coupable » peut générer de l'anxiété - comme participant à la cause du problème - mais cela mènera au même résultat. Quant à lui, il n'a pas constaté de manifestation de conscience coupable chez le demandeur.
1 - Les incidents reprochés se sont-ils réellement produits?
[125] Les reproches adressés à Wilbrod Champagne se classent sous quatre postes différents :
1- Le dénigrement de ses collègues de travail;
2- Le harcèlement à connotation sexuelle à l'endroit de Lo... V...;
3- Le harcèlement psychologique visant cette dernière;
4- Le comportement déplacé auprès d'employées d'autres unités.
[126] D'un côté, Lo... V... est le témoin ayant fourni la majorité des détails au soutien des trois premiers tableaux. De l'autre, monsieur Champagne nie tous les reproches importants associés à ces quatre séries d'incidents.
[127] Les versions de ces deux principaux acteurs sont, comme on l'a vu, irréconciliables, et le Tribunal doit donc commencer son examen par l'appréciation de la crédibilité de ces deux témoins, ainsi que des autres entendus à l'occasion de cette preuve de huit jours.
[128] S'inspirant entre autres des critères développés par les tribunaux sur cette question de la crédibilité et de l'appréciation des témoignages[38], le Tribunal n'a pas d'hésitation à conclure que la version qui doit être privilégiée est celle de madame V... :
a) Lo... V... a témoigné de façon franche et sincère, sans hésitation aucune;
b) ce témoignage a été livré sans aucune exagération ni agressivité, malgré le fait que madame a été très affectée par les événements, au point de n'avoir pu reprendre son travail sur une base régulière;
c) madame V... voulait simplement faire cesser les agissements discutables de monsieur Champagne à son endroit, sans plus; elle n'a pas demandé son congédiement, a été surprise d'être appelée pour une rencontre avec l'enquêteur, et ne s'attendait pas à une investigation d'une telle ampleur;
d) il n'existe aucune contradiction entre les faits révélés par elle à la plainte manuscrite D-6, ceux ensuite rapportés à l'enquêteur Daniel Hamel[39] et la substance de son témoignage devant le Tribunal;
e) son témoignage a été corroboré en tous points par les déclarations de ses collègues de travail, ainsi que par les employées de Sodexo[40];
f) l'avocat du demandeur n'a d'ailleurs jamais prétendu que la plaignante mentait ou qu'il fallait écarter son témoignage pour retenir celui de monsieur Champagne.
[129] D'autre part, le témoignage de Wilbrod Champagne, dans son ensemble, est rempli d'hésitations, et ses dénégations - autant en interrogatoire principal qu'en contre-interrogatoire - sonnent bien faux.
[130] Parfois, il nie de façon tranchée. Souvent cependant, la dénégation est suivie d'une admission partielle, en autant que le fait le plus grave - ou le prononcé de la phrase la plus vulgaire - n'est pas reconnu :
a) il admet avoir eu des prises de position avec Gaël Forget, mais ne l'a pas traité « d'ostie de crosseur »;
b) il dit à Marcel Picard « si on se faisait faire une pipe, à soir… », mais nie avoir dit « qui est-ce qui va me sucer à soir? »;
c) il reconnaît avoir dit « qu'il ne ferait pas mal » aux belles femmes du camp, mais nie avoir dit, dans deux cas, qu'il « les sauterait »;
d) il admet avoir dit qu'il était tanné d'entendre des plaintes de Lo... V..., mais nie avoir prononcé le commentaire vulgaire qui suivait[41];
e) il nie avoir dit qu'il avait une maîtresse ou, s'il l'a dit, ne s'en souvient pas;
f) lorsqu'il fait un dernier commentaire à Lo... V... en lui disant de faire attention à ce qu'elle dit, il suggère que « des fois, on perd le contrôle et ça va loin », mais nie avoir dit « …parce que ça pourrait se retourner contre toi ».
[131] Parfois encore, les réponses de monsieur Champagne laissent voir des contradictions pures et simples, ou des invraisemblances :
a) il a peut-être dit de Claude Perron qu'il faisait mal son travail, mais mentionne en même temps qu'il ne l'a pas dénigré ni n'a dit qu'il était incompétent[42];
b) lorsqu'il raconte un conflit antérieur avec Guy Trudel, qui ne voulait pas lui donner une certaine information, il mentionne « c'était correct de ne pas me la donner », et soutient exactement le contraire quelques secondes plus tard;
c) lorsqu'il nie avoir voulu congédier Éric Durand, il le défend d'abord en mentionnant que « c'est normal d'avoir peur des ours », pour dire quelques secondes plus tard « je l'ai remis à sa place »;
d) il explique les plaintes de madame B..., à Toulnustouc, par le fait qu'elle n'aimait pas le voir remonter sa fermeture éclair en sortant des toilettes : l'explication est fantaisiste, lorsqu'on lit l'ensemble de la déclaration de madame B...[43].
[132] Monsieur Champagne assortit plusieurs de ses dénégations du commentaire « ce n'est pas moi, de faire ces choses-là ». Cette mention passe-partout, répétée comme elle l'est par le demandeur, ne convainc pas du tout le Tribunal.
[133] Lorsque confronté aux critiques faites par lui de ses collègues de travail, il répond le plus souvent qu'il n'avait pas intérêt à parler contre ces personnes : cette dernière affirmation est bien sûr exacte, mais n'efface pas ses manifestations de dénigrement.
[134] Quant aux deux incidents les plus pertinents au harcèlement psychologique, le demandeur reconnaît au moins les faits : il a voulu congédier Lo... V... en avril, et a eu l'intention - avant de changer d'idée - de déposer une lettre négative à son dossier en mai.
[135] De tout ce qui précède, le Tribunal conclut que monsieur Champagne fait bien peu de cas du serment et qu'il a maladroitement tenté d'ajuster son témoignage selon les besoins du moment. Cet exercice s'est révélé aussi peu efficace devant la Cour qu'à l'occasion de la rencontre tenue avec l'enquêteur Hamel, comme ce dernier a pu le constater et le noter[44].
[136] Wilbrod Champagne a conclu son témoignage en reconnaissant qu'il avait manqué de jugement en se liant d'amitié avec une employée, alors qu'il occupait un poste d'autorité. Il a bien raison d'identifier cette erreur comme source de problèmes, mais il nie malheureusement - du même souffle - toutes les manifestations concrètes que cette proximité a entraîné ou facilité : ce sont pourtant ces conséquences qui lui sont reprochées au dossier.
[137] Le tribunal constate donc que preuve prépondérante a été faite que les faits révélés par madame V... et les autres témoins, tels que rapportés par l'enquêteur Hamel à son rapport D-7, se sont réellement produits.
[138] La réponse produite par les procureurs de Wilbrod Champagne suggère que l'étude de la plainte portée contre ce dernier n'a pas été menée avec impartialité : entre autres, Stéphane Charest et Gaël Forget ont initié l'enquête et l'ont encadrée, alors qu'ils faisaient l'objet de commentaires négatifs de la part de monsieur Champagne, selon ce qu'en dit Lo... V....
[139] À la suite de l'appel que lui loge Lo... V... le 9 mai, Stéphane Charest se rend la rencontrer au Camp Flamand le 12 mai 2006. Le lendemain, il rencontre trois collègues de travail de la plaignante et constate que le problème est sérieux. Il en discute avec son patron Mario Laprise, qui lui demande de suspendre sans solde le demandeur : c'est ce que fait Stéphane Charest le soir-même.
[140] De fait, monsieur Champagne sera payé pendant la suspension, le billet de son médecin ayant été transmis au camp avant que la suspension ne soit traitée.
[141] Stéphane Charest rédige un résumé de la situation le 15 mai[45], et l'envoie à Mario Laprise et Gaël Forget. Il est décidé qu'une enquête plus approfondie est nécessaire pour contrôler les allégations de madame V... : telle enquête peut être réalisée par les Ressources humaines, par une personne extérieure ou par un membre de la DSI (direction de la Sécurité industrielle).
[142] Mario Laprise, directeur de la DSI, choisit de faire exécuter l'enquête par sa propre direction, et décide plus particulièrement de recourir aux services de monsieur Daniel Hamel : il est retraité de la SQ après 34 ans de services[46], n'est en poste que depuis trois mois et ne connaît pas Wilbrod Champagne.
[143] Daniel Hamel reçoit son mandat d'enquête le 17 mai, avec la lettre manuscrite de Lo... V...[47] et le résumé de situation de Stéphane Charest[48]. Il rencontre à partir du lendemain Lo... V... et dix autres témoins, la plupart sur le site du Camp Flamand.
[144] Après cette première série de démarches, Daniel Hamel rencontre longuement Wilbrod Champagne le 29 mai suivant, en compagnie de madame Danielle Crevier, de la direction des Ressources humaines d'Hydro Québec. Son rapport est complété le 31 mai 2006[49], pour être transmis à son supérieur immédiat Yvon Grenier, qui l'avait chargé de l'enquête.
* * *
[145] Sur cette question du mode d'enquête, la doctrine rappelle qu'il est souhaitable que l'employeur rencontre la personne accusée, avec témoin, pour connaître sa version détaillée[50]. C'est ce qui a été fait.
[146] Monsieur Champagne mentionne avoir été assommé par certaines questions directes de monsieur Hamel, mais il reste qu'il était pour lui tout à fait prévisible d'être alors confronté à la substance des reproches qui lui étaient adressés. D'ailleurs, toute personne raisonnable aurait choisi de se faire accompagner à cette occasion, même si ce n'était que par un ami.
[147] Quant à cette première étape du traitement de la plainte, le Tribunal estime que le choix de ce mode d'enquête était dans les circonstances approprié :
1- Monsieur Hamel est une personne neutre possédant beaucoup d'expérience dans le traitement des enquêtes; sa façon de procéder a été exposée par lui et examinée lors de l'audience, et ne soulève aucun questionnement ni inquiétude;
2- Son rapport d'enquête du 31 mai, comportant 21 pages, est très détaillé et passablement bien fait; les déclarations écrites obtenues des témoins sont fidèles aux déclarations verbales faites devant le Tribunal; au surplus, le rapport établit de nombreux liens de convergence et de divergence entre les différentes déclarations et versions obtenues par l'enquêteur, dont celle de monsieur Champagne;
3- Aux sections 19 et 21 du rapport, qui laissent beaucoup de place aux commentaires de monsieur Hamel, les interprétations et constats de ce dernier apparaissent raisonnables, et sont conformes à l'appréciation qu'a pu en faire le Tribunal, pour avoir entendu les mêmes témoins lors de l'audience.
[148] Après l'émission du rapport d'enquête, différentes étapes mènent à la prise de décision d'Hydro Québec, quant à la sanction qui sera imposée à monsieur Champagne. Des démarches parallèles ont ainsi lieu à la direction des Ressources humaines et à celle de la Sécurité industrielle.
[149] D'un côté, Danielle Crevier et Gaël Forget rapportent ce qui suit :
1- Madame Hélène Paradis, responsable de l'application de la politique « Tolérance zéro »[51] chez Hydro-Québec, réalise une étude de la jurisprudence applicable à ce genre de plainte, et fait ses commentaires à madame Crevier;
2- Madame Crevier en discute avec Gaël Forget, de même qu'avec sa patronne Marie-Josée Nadeau; cela mène à la recommandation écrite du 31 août 2006 de Gaël Forget :
Dans d'autres entreprises, pour les mêmes gestes posées (sic), il y aurait fort probablement un congédiement.
Considérant les facteurs atténuants et aggravants précédemment mentionnés, je suis d'avis de procéder à une mesure disciplinaire, soit au minimum à une suspension de six mois sans solde.
Ceci étant dit, la décision finale revient à la gestion.[52]
[150] De leur côté, le gestionnaire Stéphane Charest et son patron Mario Laprise, à la Sécurité industrielle, procèdent tel qu'il suit :
1- Stéphane Charest rencontre Wilbrod Champagne le 21 juillet 2006, pour lui mentionner que, bien que la décision ne soit pas encore définitive, la position de l'entreprise va dans le sens d'un congédiement;
2- Après la réception de la recommandation de Gaël Forget du 31 août[53], il est discuté de la détermination de la sanction, et Mario Laprise mentionne à Stéphane Charest qu'il désire congédier le demandeur;
3- Peu de temps après, Stéphane Charest rédige sa note interne du 12 septembre 2006[54], qui fait la chronologie des étapes de la plainte, résume celle-ci et les résultats de l'enquête, et conclut en recommandant le congédiement de Wilbrod Champagne;
4- Le 16 octobre 2006, une recommandation formelle de congédiement du demandeur est approuvée par les gestionnaires Mario Laprise, Robert Lapointe et Marie-Josée Nadeau[55]; la signature de cette dernière est requise, en sa qualité de gestionnaire référant directement au p.d.g. de l'entreprise;
5- Le 18 octobre 2006, Stéphane Charest et Gaël Forget rencontrent Wilbrod Champagne et son procureur, pour leur faire part du contenu de la lettre de congédiement P-5, alors remise au demandeur; c'est une rencontre de quelques minutes.
* * *
[151] Il est établi que la base de la détermination de la sanction imposée à monsieur Champagne se trouve dans une étude de jurisprudence réalisée par Hélène Paradis, avocate de formation. Cela mène à la recommandation D-23 de Gaël Forget, soumise à Mario Laprise et Stéphane Charest.
[152] Monsieur Laprise, en sa qualité de directeur, est celui chargé de faire connaître sa décision aux personnes concernées par la plainte, selon « La procédure » décrite à la règle de gestion pertinente d'Hydro-Québec[56]. Dès qu'il a appris l'histoire de Lo... V..., monsieur Laprise envisageait déjà le scénario d'un congédiement, dans la mesure où la survenance des faits allégués serait confirmée.
[153] Cinq mois plus tard, après le contrôle des faits par monsieur Hamel et la vérification des conséquences découlant de situations similaires, dans d'autres milieux de travail, les gestionnaires d'Hydro-Québec prennent la décision finale de congédier monsieur Champagne.
[154] À l'examen de l'ensemble du dossier, le Tribunal ne voit rien qui suggère que le choix de la sanction ait été fait avec précipitation, sous le coup de l'impulsion ou dans le but de nuire à monsieur Champagne. Bien sûr, il appartenait au gestionnaire Mario Laprise de choisir entre une suspension de longue durée et un congédiement, mais on ne trouve ici aucune indication voulant que la décision ait été prise avec partialité, ou que le demandeur ait été traité autrement qu'équitablement.
[155] Plus particulièrement, les commentaires négatifs qu'aurait prononcé Wilbrod Champagne à l'endroit de Stéphane Charest et Gaël Forget n'ont pas empêché ces derniers de jouer strictement leur rôle, dans le suivi et l'encadrement de la plainte logée contre le demandeur, puisque :
a) des commentaires négatifs de tous genres ont ainsi été faits à l'endroit d'une douzaine de personnes, et non exclusivement à l'égard de ces deux intervenants;
b) la conduite de messieurs Charest et Forget, selon la preuve présentée, ne montre aucun signe voulant qu'ils aient profité du traitement de la plainte pour régler des comptes avec le demandeur ou le traiter injustement.
[156] Rappelons que c'est la démonstration objective d'éléments de partialité qui est ici requise, et non pas la simple crainte de partialité de la part de l'un ou l'autre de ces gestionnaires : autrement, il suffirait de dénigrer à l'avance ses supérieurs pour se placer à l'abri de leurs éventuelles sanctions.
[157] Le procureur du demandeur a enfin critiqué le fait que monsieur Laprise ait rapidement évoqué la possibilité de congédier monsieur Champagne, alors même que le traitement de la plainte n'était pas terminé. Cela est exact, mais découle du fait que le directeur se faisait déjà une idée de ce que pourrait être la sanction finale, s'il arrivait que la substance des reproches allégués soit confirmée. Cette réaction spontanée de monsieur Laprise a toutefois pour conséquence - faut-il le souligner - d'enlever de l'importance aux rôles de messieurs Charest et Forget dans le traitement du dossier.
[158] Le demandeur et son procureur insistent, entre autres aux paragraphes 28 et 29 de leur réponse, sur le fait que Stéphane Charest a déclaré au préalable qu'il y avait « absolument pas » eu impartialité, concernant la prise de décision menant au congédiement du demandeur, le témoin ajoutant « Pourquoi j'aurais été impartial? [57]».
[159] À l'examen de ces passages, le lecteur est déjà tenté de croire qu'il s'agit là d'une pure erreur du témoin dans l'expression de sa pensée; c'est d'ailleurs ce que monsieur Charest a déclaré, lorsqu'interrogé à l'audience sur la question.
[160] On trouve également la corroboration de cette explication quelques lignes plus loin à l'interrogatoire, lorsque monsieur Charest précise la définition du mot « impartial » en mentionnant « J'ai pas pris ma décision… [58]».
[161] Cette mention de monsieur Charest ne peut donc constituer un aveu de sa part.
* * *
[162] Dans le même ordre d'idées, monsieur Champagne déclare, à la fin de son contre-interrogatoire, que Stéphane Charest - lors de l'appel qu'il lui logeait à la maison le 13 mai 2006 - a mentionné qu'il lui « casserait la gueule »; le témoin suggère que monsieur Charest venait d'être informé qu'il l'avait traité de « batteur de femmes ».
[163] Même si Stéphane Charest n'a pas été interrogé sur cette question, il importe de rappeler :
a) que monsieur Champagne n'a jamais rapporté ce fait à l'enquêteur Daniel Hamel, ni n'en a parlé à l'occasion de son interrogatoire principal;
b) que cette mention, en contre-interrogatoire, fait suite à plusieurs affirmations du demandeur voulant que toutes les rencontres tenues avec Stéphane Charest (à compter de son départ du chantier) ont été cordiales et dénuées d'agressivité, le demandeur précisant que monsieur Charest ne lui a jamais manqué de respect;
c) que monsieur Champagne ajoute dès après que lui-même s'est excusé le 21 juillet suivant d'avoir formulé sa mention dénigrante.
[164] Il a été démontré que monsieur Charest a tenté de maintenir avec le demandeur, au cours du processus d'enquête, une relation correcte et cordiale. À cause de cela, et en raison du caractère peu crédible des affirmations du demandeur sur les questions les plus sensibles au dossier, le Tribunal estime qu'il serait fort surprenant que cette phrase ait été prononcée par Stéphane Charest.
[165] Même si cela était, le Tribunal ne changerait pas son appréciation du caractère équitable du traitement accordé à monsieur Champagne, en regard de la tenue de l'enquête et de la décision sur la sanction.
3 - Le congédiement était-il fondé sur un motif sérieux?
A) Le droit applicable
[166] Même après avoir constaté que les faits reprochés au demandeur se sont réellement produits, et conclu que ce dernier a été traité équitablement par son employeur, il reste à nous demander si le congédiement de Wilbrod Champagne est fondé sur un motif sérieux, selon l'exigence de l'article 2094 C.c.Q.[59]
[167] C'est évidemment à l'employeur qu'appartient le fardeau de démontrer le sérieux de ce motif, et la Cour supérieure ne peut - contrairement à un tribunal d'arbitrage ou à un commissaire du travail - se substituer à l'employeur pour imposer une sanction qui lui apparaîtrait plus appropriée[60].
[168] Ainsi, ou bien le motif est sérieux et le congédiement sera considéré fondé, ou bien le motif ne l'est pas et le demandeur aura droit à un délai de congé à la fin de son emploi[61].
[169] L'auteur Robert P. Gagnon précise ainsi le sens de l'expression « motif sérieux » :
[…] Néanmoins, le poids de la jurisprudence tant des instances spécialisées du travail que des tribunaux de droit commun est si significatif relativement aux motifs susceptibles de justifier un licenciement sans indemnité ni préavis que le sens à donner à l'expression « motif sérieux » est celui d'une faute grave commise par le salarié ou d'une cause juste et suffisante qui se rapporte à sa conduite ou à son défaut d'exécuter le travail. […]
[…]
[…] Les motifs dits disciplinaires susceptibles de justifier un licenciement sans préavis ni indemnité peuvent résulter d'un fait unique qui porte une atteinte fatale à la relation de travail, ou résulter de plusieurs actes ou omissions dont le caractère répétitif ou cumulatif leur confère le degré de gravité suffisant pour justifier le congédiement. […][62]
[les références sont omises]
[170] Pour leur part, les auteurs Audet, Bonhomme et Gascon, discutant de la « cause juste et suffisante » et de la théorie de la progressivité des sanctions, énoncent :
[…] Dans tous les cas, les circonstances de l'affaire seront néanmoins analysées, tels les facteurs atténuants et aggravants. S'il est démontré que le lien de confiance est irrémédiablement rompu entre un employeur et son employé, il n'est pas question d'appliquer la règle de la gradation des sanctions ni de substituer une autre mesure au congédiement.
Dans l'affaire G.F. c. Résidence A, C.R.T., D.T.E. 2007T-916 , l'ampleur, la gravité et le caractère répété des propos et gestes posés par le plaignant ont amené le commissaire à conclure qu'une gradation des sanctions n'aurait pas permis de modifier la conduite du salarié et donc, que son congédiement était justifié malgré l'absence préalable des sanctions sévères.
[…]
[…] Tel que l'a reconnu le commissaire P. Cyr dans l'affaire Rivard c. Atlantic Produits d'emballage ltée, C.T., D.T.E. 99T-69 , le fait d'être un salarié cadre impose à celui-ci des obligations plus lourdes d'exemplarité dans son comportement, de loyauté, de diligence et de coopération avec la haute direction de l'entreprise. […][63]
[les références sont omises]
[171] En matière de harcèlement sexuel, les tribunaux ont reconnu de façon générale qu'ils devaient appliquer le standard objectif de la « personne raisonnable » :
11.021 - Pour déterminer le caractère non désiré d'une conduite, les tribunaux reconnaissent de façon générale qu'ils doivent appliquer un standard objectif, soit celui de la « personne raisonnable ». Le tribunal doit donc se demander si une personne raisonnable ayant posé les mêmes gestes que la personne accusée de harcèlement aurait dû savoir que ceux-ci n'étaient pas désirés de la part de la personne harcelée. [64]
[les références sont omises]
[172] En matière de harcèlement psychologique, le même critère a été reconnu par les tribunaux, bien que le test - cette fois du côté de la victime - ait aussi une composante subjective :
Le critère d'appréciation auquel réfèrent les tribunaux pour déterminer si une conduite vexatoire donnée constitue du harcèlement psychologique est celui de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la victime. Tel que l'a indiqué la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Law c. Canada (Ministère de l'emploi et de l'immigration), ce critère est à la fois objectif et subjectif. Autrement dit, la personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable à celle de la victime doit tenir compte de ses traits, de son histoire et de sa situation. Il s'agit donc de se demander si une personne raisonnable douée d'une intelligence et d'un jugement ordinaires et placée dans des circonstances similaires conclurait qu'elle a été victime de harcèlement psychologique. […] [65]
[les références sont omises]
[173] La jurisprudence nous donne ensuite des centaines d'exemples de situations où des abus ont été reprochés à des salariés ou à des cadres, et tout est - bien sûr - affaire de circonstances.
B) L'application aux faits
[174] La première ébauche de la sanction imposée à Wilbrod Champagne apparaît au courriel préparé le 31 août 2006 par Gaël Forget, au bénéfice des gestionnaires Mario Laprise et Stéphane Charest.
[175] On y lit entre autres : « Il n'y a pas beaucoup de jurisprudence disponible tant à l'interne qu'à l'externe » [66]. La recommandation prend donc appui sur les facteurs atténuants et aggravants énoncés au texte, ce qui mène à une sanction correspondant au minimum à une suspension de six mois sans solde, et au maximum à un congédiement.
[176] On peut constater que deux des trois facteurs atténuants mentionnés au document paraissent pertinents[67], comme cinq des sept facteurs aggravants[68].
[177] Comme c'est l'appréciation du poids relatif de ces groupes de facteurs qui a guidé les gestionnaires dans leur choix de la sanction, il apparaît opportun au Tribunal de reconsidérer - avec l'éclairage de la preuve présentée - ces différentes motivations.
[178] Quant à la gravité des gestes reprochés, il n'est certainement pas acceptable, sous le premier chef, qu'un cadre d'une entreprise dénigre à ce point l'ensemble de son entourage - plus précisément neuf ou dix collègues de travail, et deux supérieurs - ce qui est particulièrement néfaste lorsqu'il s'adresse à des subalternes. Il est évident que le climat de travail à la Sécurité industrielle s'en est trouvé rapidement empoisonné, comme l'ont rapporté en particulier les témoins Lo... V... et Nicolas Gilbert.
[179] En deuxième lieu, il est encore moins acceptable, pour une personne en autorité comme monsieur Champagne, d'avoir les comportements et de tenir publiquement les propos à connotation sexuelle rapportés par madame V...[69], monsieur Gilbert[70] et monsieur De Carufel[71]. Il s'agit là des manifestations claires d'un harcèlement à connotation sexuelle, dont certains passages ne peuvent même pas être rapportés dans un jugement.
[180] En troisième lieu, il faut conclure que le demandeur harcèle psychologiquement madame V... lorsque :
a) il l'isole de plus en plus à partir de la fin de l'année 2005;
b) il lui mentionne en avril « samedi je te crissais dehors », alors qu'il n'y avait aucune valable raison de sévir contre elle;
c) il la menace, en mai 2006, de déposer une lettre à son dossier, encore là pour des motifs particulièrement minces;
d) apprenant que madame Valllée doit rencontrer Claude Lachapelle et Stéphane Charest, il lui dit de faire attention à ce qu'elle dira « parce que ça pourrait se retourner contre toi ».
[181] En quatrième lieu, le demandeur use de son autorité pour représenter à quatre employées du camp qu'elles peuvent espérer devenir constables auxiliaires à la guérite, alors que ce scénario est très peu probable. De plus, contrairement à ce qu'il affirme, c'est bien lui qui a pris l'initiative d'offrir de tels emplois à E... Co... et Jo... C..., simplement parce qu'il les trouvait belles.
[182] La preuve révèle que certaines d'entre elles ont cru qu'elles se mériteraient le poste si elles cédaient à son charme. Le témoignage de madame Côté est par ailleurs révélateur lorsqu'elle déclare que les gestes de monsieur Champagne sont déplacés, de la part d'un individu qui occupe le poste d'officier de section : on y voit là une déclaration spontanée de la « personne raisonnable ».
[183] Bien sûr, le présent dossier ne serait pas le même si ce quatrième chef de reproches était le seul adressé au demandeur : ces représentations en vue d'un emploi, comme la visite secrète chez madame D... et les démarches de proximité auprès de madame G..., ne suffiraient probablement pas à fonder un motif sérieux.
[184] Toutefois, le Tribunal est d'avis que la répétition des gestes de monsieur Champagne sur une période d'un an, s'exprimant autant sous forme de dénigrement, de harcèlements de deux ordres et de comportements déplacés, constitue un ensemble créant un effet cumulatif d'une gravité suffisante pour justifier le congédiement de ce cadre.
[185] La simple lecture du rapport D-7, qui ne fait que reproduire fidèlement les gestes et les déclarations de monsieur Champagne, convainc toute personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, que ces comportements sont inacceptables et justifient l'imposition de la sanction ultime.
[186] Les problèmes du demandeur se sont étalés sur une période d'un an à Rapide-des-Coeurs, et la situation allait en s'aggravant, particulièrement au niveau du harcèlement psychologique. La preuve révèle toutefois que les écarts du demandeur n'ont pas commencé à ce chantier, mais plutôt à celui de la Toulnustouc :
a) puisque les principaux griefs de la secrétaire M... B..., quant au comportement de son patron, réfèrent à leur séjour commun à ce chantier antérieur;
b) puisqu'il est manifeste que monsieur Champagne craint particulièrement le témoignage de madame B... : il répète régulièrement à madame V... et à d'autres que sa secrétaire « faisait du salissage » et réfère, au moins à neuf reprises à son récit manuscrit P-11[72], à ses difficultés avec elle.
[187] La fonction occupée par monsieur Champagne constitue, à n'en pas douter, une circonstance particulièrement aggravante pour le demandeur.
[188] En effet, en sa qualité d'officier de section, ce dernier n'est pas seulement le patron d'un groupe de travail, mais agit comme « chef de police du village », tel que le rappelle d'ailleurs son procureur en plaidoirie. À ce titre, c'est lui qui est chargé d'assurer la sécurité du chantier et du campement, d'appliquer les dispositions du Code criminel et d'assurer le respect des politiques de l'entreprise, dont celles - rappelons-le - visant à prévenir la discrimination et le harcèlement.
[189] Nul besoin de dire que monsieur Champagne doit donner l'exemple, être « plus blanc que blanc »[73] et se montrer au-dessus de tout soupçon. La preuve administrée à l'audience démontre que tel ne fut pas le cas, bien au contraire.
[190] En 1997, Hydro-Québec se dote d'une politique de « Tolérance zéro » en matière de discrimination et de harcèlement[74]. En 2001, un Code de conduite détaillé[75] est adopté, comme version actualisée du document du même nom publié en 1996 : il est destiné à tous les employés d'Hydro-Québec.
[191] Ces étapes sont suivies en mai 2004 par l'émission de la règle de gestion « Environnement de travail sain exempt de discrimination, de harcèlement et de violence »[76], adoptée au moment de l'entrée en vigueur des dispositions de la Loi sur les normes du travail relatives au harcèlement psychologique.
[192] Signalons que la simple existence d'une politique de « Tolérance zéro » chez Hydro-Québec ne suffit pas à justifier un congédiement, et qu'elle ne lie pas le Tribunal. Une telle politique permet toutefois à l'employeur, dans certaines circonstances, de ne pas avoir à respecter le principe de la progression des sanctions[77]. Cela a d'ailleurs mené un commissaire du travail à maintenir le congédiement d'un salarié - ayant un dossier disciplinaire vierge - qui persistait à nier avoir posé les gestes reprochés[78].
[193] Il importe aussi de rappeler les effets du harcèlement pour madame V.... Ainsi, quelques semaines seulement après l'épisode de mai 2006, la plaignante est en arrêt de travail pendant 14 mois, et retourne ensuite en congé de maladie pour 6 mois à compter d'octobre 2007. Elle quitte Hydro-Québec en novembre 2008 et n'a pas travaillé depuis ce temps.
[194] Ce sont là des conséquences particulièrement douloureuses pour madame V..., que le Tribunal se croit justifié d'imputer en grande partie à la conduite du demandeur, entre mai 2005 et 2006.
[195] Le Tribunal ajoute, comme circonstance aggravante, le lien de subordination direct entre Wilbrod Champagne et madame V... : ce lien a restreint pour elle la possibilité d'exposer ses griefs à une personne en autorité. Cela est d'autant plus vrai que madame V... craignait aussi de faire appel au patron de niveau supérieur, Stéphane Charest, vu la description que lui en faisait le demandeur.
[196] Une dernière circonstance aggravante au dossier, et non la moindre, est celle de l'absence d'aveux ou de regrets de la part du demandeur.
[197] Le rapport D-7 au dossier, tout comme le témoignage de monsieur Champagne à l'audience, font la démonstration d'un déni constant des faits, qui aggrave les conclusions que l'on doit tirer de sa conduite originale. Le demandeur - on le voit bien - n'exprime aucun regret sincère de la commission des gestes concrets posés par lui, puisqu'il en nie l'existence.
[198] Cette attitude "après le fait" de l'employé, à l'occasion de l'enquête sur sa conduite, a un lien direct avec l'appréciation que peut faire l'employeur des risques de récidive de l'individu. Ainsi, si le chef de police lui-même s'acharne à nier la commission de gestes par ailleurs clairement établis, comment le lien de confiance peut-il être maintenu entre l'employeur et l'employé?
[199] Cette négation systématique des faits incriminants par monsieur Champagne -autant devant l'enquêteur Hamel que devant le Tribunal - ainsi que la nature très particulière du poste occupé par lui sur le chantier, mènent nécessairement à la conclusion que ce lien de confiance est irrémédiablement rompu entre Hydro-Québec et son cadre.
[200] Le demandeur l'exprimait d'ailleurs lui-même à l'enquêteur Hamel en disant « Qu'entre lui et Hydro le lien de confiance est brisé, qu'il ne veut pas brasser et qu'il veut quitter la tête haute… »[79]
* * *
[201] Le dossier disciplinaire vierge et l'ancienneté du demandeur sont des facteurs atténuants que l'employeur a considérés, tout comme le Tribunal l'a fait. Toutefois, ils ne peuvent jamais suffire à compenser ou occulter les gestes graves que le demandeur a posés, en bout de ligne, comme officier de section. Cette situation est évidemment fort regrettable et ternit la carrière de monsieur Champagne, après plus de trente bonnes années de travail.
[202] Ce dossier présente toutefois l'illustration de ce que tout employeur des temps modernes veut éviter dans son entreprise, puisque le dénigrement et le harcèlement sont particulièrement dévastateurs à l'intérieur d'un groupe de travail.
[203] Dans le cas qui nous occupe, l'employeur a su démontrer par prépondérance de preuve que la gravité et la répétition des gestes du demandeur, jointes aux autres circonstances aggravantes mises en relief au dossier, constituaient dans leur ensemble un motif sérieux justifiant le congédiement de monsieur Champagne.
[204] Pour cette raison, il ne sera pas nécessaire d'examiner la valeur des dommages réclamés par le demandeur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[205] REJETTE l'action du demandeur;
[206] AVEC DÉPENS.
.
|
||
|
__________________________________ ALAIN MICHAUD, j.c.s. |
|
|
||
Me Régis Gaudreault |
||
Gaudreault Desgagné Larouche Potvin |
||
Pour le demandeur |
||
|
||
Me Jean Charette Me Julie Lapierre |
||
McGovern Lafontaine |
||
Pour la défenderesse |
||
|
||
Dates d’audience : |
du 28 mars au 1er avril 2011, et du 19 au 22 septembre 2011 |
|
[1] Évaluation P-2.
[2] Lettre P-3, du 20 mai 2004.
[3] Qui sont assujettis à la convention collective P-4.
[4] Plainte D-6.
[5] Lettre P-5.
[6] Pièce P-8, du 27 janvier 2009.
[7] Plainte D-6.
[8] Rapport D-7.
[9] La mention est faite dès la première rencontre du 30 mai 2005.
[10] Qu'il avait sollicitée d'un ancien collègue de la Sûreté du Québec.
[11] Déclaration manuscrite D-6, du 13 mai 2006.
[12] Déclaration D-14, du 18 mai 2006, reproduite intégralement au rapport D-7, p. 2 et 3 de 21.
[13] Voir le relevé d'emploi P-18.
[14] La compagnie Sodexo.
[15] Parce qu'elle est toujours intéressée à obtenir le poste d'auxiliaire à la guérite.
[16] C'est le poste de patrouilleur-enquêteur qui requiert le prérequis de technique policière.
[17] Déclaration D-16, faisant partie du rapport D-7.
[18] À raison de 5 à 10 minutes chaque fois.
[19] Pièce P-1.
[20] Pièce P-7.
[21] Pièce P-3.
[22] Lo... V... a rapporté, entre autres à Nicolas Gilbert, que monsieur Champagne traitait K... L... de « charrue ».
[23] Au paragraphe 70.
[24] Selon la déclaration de M... B..., pièce D-7, p. 8 de 21.
[25] Voir le paragraphe 43. Toutefois, à son document manuscrit P-12, il confirme comme elle qu'elle a dit « je viens de perdre un allié » (p.8).
[26] Document P-11.
[27] Document P-12.
[28] Pièces P-11 et P-12.
[29] Document P-9 B.
[30] Lettre P-5.
[31] Relevé P-13.
[32] Son curriculum vitae est produit sous la cote P-9 A.
[33] Pièce P-10.
[34] Pièce P-9 B.
[35] Pièce P-9 B.
[36] Pièce P-10, onglet 6.
[37] Le rapport du médecin produit comme pièce D-13 mentionne toutefois que le Dr Louis Simard a diagnostiqué chez le demandeur, le 12 janvier 1998, un « trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse ».
[38] Critères qui sont : la vraisemblance, l'intérêt à rendre témoignage, l'absence de contradictions, la corroboration, ainsi que l'affirmation de l'existence d'un fait, plutôt que sa négation (Hôpital Louis-H. Lafontaine -et- Syndicat des travailleurs de l'Hôpital Louis-H. Lafontaine (grief no 5289), Me Marc Boisvert, président du tribunal d'arbitrage, 4 janvier 1993, SOQUIJ 93A-33, p.9, rapporté à Institut universitaire de gériatrie de Montréal -et- Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2680 (griefs no 2000-09 et 2000-10), Me Jean-Pierre Lussier, 30 janvier 2002, p. 29 et 30).
[39] Déclaration D-14, annexée au rapport D-7, p. 2 et 3 de 21.
[40] La section 17 du rapport D-7, intitulée « Enquête - Corroboration » reprend plusieurs de ces éléments de corroboration (p. 10 à 13 de 21).
[41] Paragraphe 75.
[42] Paragraphe 88.
[43] Rapport D-7, p. 8 et 9 de 21.
[44] Voir en particulier la section 19 du rapport D-7, p. 15 à 17 de 21, items 11 à 23; voir aussi la section 21 du rapport.
[45] Document D-21 de 4 pages, daté du 15 mai 2006.
[46] Ses 14 dernières années de la SQ l'ont été aux Enquêtes spécialisées, et plus particulièrement à l'unité des Crimes contre la personne.
[47] Plainte D-6.
[48] Document D-21.
[49] Rapport D-7.
[50] Jean-François PEDNEAULT, Les droits de la personne et les relations du travail, m.à j. 19 - décembre 2006, Éditions Yvon Blais, p. 13-68.
[51] Annexe I de la pièce D-1, et pièce D-2.
[52] Courriel D-23 du 31 août 2006, adressé à Mario Laprise et Stéphane Charest.
[53] Recommandation du courriel D-23.
[54] Note interne produite comme pièce D-24.
[55] Pièce D-25.
[56] Document D-1, p. 4 de 12, à la section « La procédure ».
[57] Interrogatoire au préalable de Stéphane Charest, le 29 mars 2010, p. 135.
[58] Id., p. 136.
[59] 2094. Une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail.
[60] Maheu, Noiseux & Associés c. Roneo Vickers Canada Ltd., 1988 QCCA 780, p. 3.
[61] C.c.Q., art. 2091.
[62] Robert P. GAGNON, Le droit du travail du Québec, 5e édition, Éditions Yvon Blais, 2003, par. 165 et 167.
[63] Georges AUDET, Robert BONHOMME, Clément GASCON, Le congédiement en droit québécois, volume 1, 3e édition, Éditions Yvon Blais, p. 18-137 et 18-140.
[64] Jean-François PEDNEAULT, Les droits de la personne et les relations du travail, m. à j. 19 - décembre 2006, Éditions Yvon Blais, p. 11-2.
[65] Nathalie-Anne BÉLIVEAU, Les normes du travail, 2e édition, Éditions Yvon Blais, p. 710.
[66] Pièce D-23.
[67] Les facteurs atténuants : le dossier vierge et l'ancienneté du demandeur.
[68] Les facteurs aggravants : la gravité des gestes, leur répétition, la fonction occupée, la politique de tolérance zéro et les effets du harcèlement.
[69] Voir les paragraphes 25 à 33.
[70] Voir le paragraphe 70.
[71] Voir le paragraphe 75.
[72] Daté du 15 mai 2006 et remis, après signature, à l'enquêteur Daniel Hamel, le 29 mai 2006.
[73] Selon l'expression utilisée par Stéphane Charest.
[74] En annexe I à la Règle de gestion produite comme pièce D-1.
[75] Pièce P-6.
[76] Pièce D-1.
[77] Linda BERNIER et al, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, 2e édition, m. à j. 2010-2, Éditions Yvon Blais, p. I/3-4, paragr. 3.008.
[78] Nathalie-Anne BÉLIVEAU, Les normes du travail, 2e édition, Éditions Yvon Blais, p. 658 et 659; Quenneville c. Kraft Canada inc., 2007 QCCRT 548, D.T.E. 2007-T-1006 (C.R.T.).
[79] Rapport D-7, p. 17 de 21.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.