François Brossard et Gina St-Jacques, Pharmaciens |
2008 QCCLP 6183 |
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Dossier 308924-07-0701
[1] Le 31 janvier 2007, François Brossard et Gina St-Jacques, pharmaciens, (l’employeur) dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 9 janvier 2007 par la Commission de la Santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 16 octobre 2005 refusant d’accorder un transfert du coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par madame Lise Henri (la travailleuse) le 8 août 2005. La CSST décide d’imputer la totalité du coût des prestations à l’employeur indiquant entre autres qu’un tiers n’est pas majoritairement responsable de l’accident.
Dossier 344095-07-0803
[3] Le 25 mars 2008, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 12 février 2008 par la CSST à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 11 décembre 2007 refusant d’accorder un transfert du coût relié à l’accident du travail du 8 août 2005 déclarant que la travailleuse ne présentait pas déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle.
[5] L’audience prévue à la Commission des lésions professionnelles à Gatineau le 23 septembre 2008 n’a pas procédé, l’employeur y ayant renoncé. Il soumet cependant une argumentation écrite reçue quelques jours avant l’audience. L’affaire est ainsi mise en délibéré à la date prévue de l’audience du 23 septembre 2008.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de transférer la totalité du coût relié à l’accident du travail subi par la travailleuse le 8 août 2005 en application des dispositions de l’article 326 alinéa 2 de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles[1] (la loi). L’employeur invoque que l’accident est survenu par la faute d’un tiers et que l’imputation à son dossier financier a pour effet de lui faire supporter injustement le coût de cet accident.
[7] De façon subsidiaire, il soutient que la travailleuse était déjà handicapée au sens de l’article 329 de la loi et demande un partage de coût de 15 % à son dossier financier et 85 % à l’ensemble des employeurs.
LES FAITS
[8] La travailleuse est caissière pour le compte de l’employeur qui opère une pharmacie. Le 8 août 2005, elle s’inflige une tendinite à l’épaule droite en retenant un client qui trébuche.
[9] Les circonstances entourant cet accident du travail sont décrites au formulaire de réclamation du travailleur de la façon suivante :
Un client est entrée dans la Pharmacie, il était endicaper physiquement, il à trébucher et je l’ai aider pour ne pas qu’il tombe par terre. [sic]
[10] Le 26 octobre 2005, le docteur Marc Beauchamp, chirurgien orthopédiste, produit une expertise médicale à la demande de l’employeur. Il rapporte l’événement dans les termes suivants : « La travailleuse mentionne un événement survenu le 8 août 2005. Elle mentionne alors qu’elle était debout, qu’un client aurait chuté et qu’elle aurait essayé de le rattraper. En effectuant ce geste, il y a une traction sur le membre supérieur droit qui provoque une douleur de type brûlure à la face latérale et postérieure de l’épaule droite ».
[11] Le 7 mars 2006, le docteur Jean Varin, chirurgien orthopédiste, évalue à son tour la travailleuse à la demande de la CSST. L’historique de l’événement est décrit à son rapport de la façon suivante : « En date du 8 août 2005, cette dame a voulu retenir un client qui avait un poids d’environ 200 livres qui glissait au sol. Lorsqu’elle veut le retenir, elle ressent une douleur à l’épaule droite ».
[12] Le docteur Varin considère que la lésion est consolidée le 7 mars 2006 avec un déficit anatomophysiologique de 2 % et des limitations fonctionnelles. Le docteur Pierre J. St-Georges, médecin qui a charge de la travailleuse, se dit en accord avec les conclusions du docteur Varin.
[13] La travailleuse est dirigée en réadaptation. Le 26 avril 2006, la CSST détermine qu’elle est capable d’exercer son emploi prélésionnel à compter du 27 avril 2006.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] La Commission des lésions professionnelles doit décider de façon principale si les circonstances décrites justifient un transfert du coût de l’accident du travail du 8 août 2005 en application du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi qui se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[15] Le tribunal constate que la demande de transfert de coût en application de l’article 326 de la loi a été déposée dans le délai prévu par la loi. En effet, l’employeur produit le 15 décembre 2005 une demande de partage d’imputation pour l’accident survenu le 8 août 2005. Il respecte donc le délai prévu au troisième alinéa de l’article 326 de la loi.
[16] Ceci étant, le présent Tribunal doit maintenant décider si le client de la pharmacie est un tiers au sens de l’article 326 de la loi.
[17] Dans une récente décision de la Commission des lésions professionnelles[2], une formation de trois commissaires a défini avec justesse la notion de tiers comme étant toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier. En l’espèce, le Tribunal constate que le client de la pharmacie répond à cette définition.
[18] L’accident est-il majoritairement attribuable à ce tiers? Par ses agissements ou ses omissions, la contribution du tiers s’avère-t-elle être parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celle qui a contribué de façon majoritaire à sa survenance?
[19] Le Tribunal estime que tel est le cas en espèce. En effet, les différentes descriptions de l’événement accidentel apparaissant au dossier de la Commission des lésions professionnelles permettent de comprendre qu’un client assez corpulent, handicapé physiquement, a trébuché à l’entrée de la pharmacie. La travailleuse, essayant de le retenir, a fait un mouvement pour ne pas qu’il tombe par terre. Ce faisant, elle s’est infligé une blessure à l’épaule. Le Tribunal estime que ces circonstances permettent de conclure que l’accident est majoritairement attribuable au client en question.
[20] Reste à savoir si, tel qu’énoncé par la récente décision de la Commission des lésions professionnelles, retenant la position antérieure fortement majoritaire du Tribunal, l’imputation aurait pour effet de créer une injustice pour l’employeur. Ce critère d’injustice est vu comme un critère distinct qui doit être apprécié indépendamment de la notion de la responsabilité d’un tiers. Comme l’a énoncé la formation de trois commissaires :
[320] Ainsi, faut-il conclure que le recours au concept de risque inhérent (ou relié) aux activités de l’employeur pour apprécier l’effet juste ou injuste d’une imputation faite en vertu de la règle générale n’est pas seulement tout à fait appropriée, mais qu’il s’impose.
[21] Ajoutons que cette importante décision apporte toutefois une nuance lorsque l’accident s’inscrit comme faisant partie des risques inhérents aux activités de l’employeur mais qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle. Elle indique qu’un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ne doit pas comprendre tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, sans quoi le deuxième alinéa de l’article 326 ne trouverait plus application. Elle autorise un transfert des coûts dans les circonstances suivantes :
[330] L’analyse de la jurisprudence permet de constater que dans les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel, d’agression fortuite, de phénomène de société ou de circonstances exceptionnelles, inhabituelles ou inusitées, le tribunal accorde généralement à l’employeur un transfert des coûts.
[22] Comme énoncé par la Commission des lésions professionnelles dans une récente décision[3] « En outre, après avoir passé en revue un grand nombre de décisions, elle [la formation de trois commissaires] en est venue à la conclusion que cette injustice doit être appréciée selon certains paramètres, à savoir les risques inhérents à l’ensemble des activités exercées par l’employeur, les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, et les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et par les conditions d’exercice de l’emploi ».
[23] En l’espèce, le Tribunal estime que l’intervention de la travailleuse, relève davantage d’un acte de civisme que d’une action reliée aux risques que doit supporter l’employeur.
[24] En effet, si la travailleuse s’est blessée, c’est qu’elle a tenté de porter secours à un client qui venait de trébucher et s’apprêtait à tomber. Cela n’a rien à voir avec son travail de caissière.
[25] Le Tribunal considère que le geste posé par la travailleuse est un acte de civisme au sens de la Loi visant à favoriser le civisme[4]. De plus, exerçant un geste de civisme, la travailleuse se trouvait à répondre à son obligation de porter secours édicté à l’article 2 de la Charte des droits et liberté de la personne[5] qui prévoit que toute personne doit porter secours à quelqu’un dont la vie est en péril.
[26] Le Tribunal considère que le risque émanant de ces obligations n’est pas inhérent à l’activité de l’employeur et n’a pas à être supporté par lui.
[27] Par conséquent, le présent Tribunal est d’avis que ne faisant pas partie des risques inhérents à l’activité de l’employeur, le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par la travailleuse le 8 août 2005 ne doit pas être imputé à son dossier financier. Il y a donc lieu d’accorder un transfert de l’imputation du coût des prestations concernant la lésion professionnelle à l’ensemble des employeurs, ce qui dispose du dossier 308924-07-0701.
[28] Compte tenu des conclusions du présent Tribunal en regard du dossier 308924-07-0701, le Tribunal considère que la requête subsidiaire de l’employeur au dossier 344095-07-0803 est sans objet.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 308924-07-0701
ACCUEILLE la requête de François Brossard et Gina St-Jacques, pharmaciens, l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 9 janvier 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit bénéficier d’un transfert du coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par madame Lise Henri le 8 août 2005;
DÉCLARE que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par madame Lise Henri le 8 août 2005 doit être imputé aux dossiers financiers de l’ensemble des employeurs.
Dossier 344095-07-0803
DÉCLARE que la requête de François Brossard et Gina St-Jacques, pharmaciens, l’employeur, est sans objet.
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Marie Langlois |
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Me Angelica Carrero |
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GROUPE AST INC. |
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Représentante de la partie requérante |
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