Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit EDJ

Investissements Novacap inc. c. Vidéotron, s.e.n.c.

2015 QCCS 138

JJ 0312

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

                                                                               

N° :

500-05-071104-028

 

 

 

DATE :

20 janvier 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRE JOURNET, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

INVESTISSEMENTS NOVACAP INC.

et

TELUS QUÉBEC INC.

et

PAUL GIRARD

 

demandeurs

et

TELUS CORPORATION

et

RAYMOND CHABOT INC.

           demanderesses en reprise d’instance

c.

VIDÉOTRON S.E.N.C.

défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Une preuve détaillée et minutieuse entourant les événements qui ont mené au débat a été faite par les deux parties.

[2]           Ces dernières en tirent des conclusions diamétralement opposées qui se caractérisent comme suit :

[3]           Selon la demande, la défenderesse cherche à se défaire de l’offre d’achat, dont elle a hérité des anciens propriétaires de Vidéotron, pour l’acquisition des compagnies du groupe Cable-Axion.

[4]           En effet, le prix offert pour l’achat de ces compagnies serait trop élevé et leur acquisition ne cadre pas dans le plan d’affaires de Québecor Média.

[5]           De plus, Québecor Média est en situation financière serrée vu le remboursement de la dette découlant de son achat de Vidéotron pour une somme de plus de cinq milliards.

[6]           Québecor cherche donc un moyen de ne pas ajouter un investissement de quarante millions à son fardeau financier.

[7]           De son côté, la défenderesse Vidéotron, admet que son actionnaire principal a vécu une situation financière préoccupante en 2001.  Elle nie avoir cherché un moyen de se soustraire à certaines obligations dont elle a hérité lors de son acquisition par Québecor Média.

[8]           Elle soumet que la transaction visant l’acquisition des compagnies Câble-Axion a été annulée vu un changement significatif défavorable dans les résultats financiers de ces compagnies.  Bien que cette situation leur a été dénoncée, elles n’ont rien fait pour y remédier. 

[9]           De plus, si une période de temps importante s’est écoulée entre l’acquisition de Vidéotron par Québecor et la résiliation de l’achat des compagnies Câble-Axion, la seule faute revient aux demanderesses qui ont failli à remplir les conditions de la vente en ne fournissant pas les documents requis pour en arriver à une clôture rapide.

[10]        De plus, des modifications par les demandeurs à l’offre d’achat initiale acceptée ont causé des retards qui ne lui sont pas imputables.

[11]        Le débat est entier entre les parties.

[12]        Analysons la preuve pour y voir clair :

LES FAITS

[13]        Les demandeurs étaient actionnaires de Consortium Câble-Axion Digitel inc. (Consortium) et de ses filiales Câble-Axion Digitel inc. (CADI) et Câble-Axion Québec inc. (CAQI), (ci-après appelées « les sociétés »), entreprises œuvrant principalement dans le secteur de la câblodistribution.

[14]        Au mois de février 2000, les demandeurs décident de mettre en vente leurs actions dans les Sociétés.  À cette fin, un profil d’entreprise est transmis aux joueurs les plus importants du domaine de la câblodistribution, dont Vidéotron, Regional Cablesystems et Cogeco (D-13, D-181).  Ce profil précise :

« Chaque acheteur potentiel devra réaliser sa propre analyse et vérification diligente de l’entreprise et des informations contenues dans ce prospectus et toutes les autres informations écrites ou verbales fournies.

Ce document ainsi que d’autres informations écrites ou verbales qui seront fournies pourraient contenir certaines affirmations, déclarations, estimations et projections relativement à la performance future de la compagnie.  Celles-ci reflètent les attentes et les hypothèses de la direction relativement aux résultats anticipés et pourraient s’avérer exactes ou pas selon les événements.

(…)

ÉVALUATION DE CÂBLE-AXION

Câble-Axion représente une occasion d’affaires de premier choix pour certains acheteurs stratégiques.  Investissements Novacap Inc. et les autres actionnaires de Câble-Axion souhaitent que chaque acquéreur potentiel procède à sa propre évaluation et soumette une proposition qui reflète ses objectifs et projections.

La structure et les modalités de l’entente finale seront le résultats (sic) de discussions et négociations entre les parties. »

[15]        Vidéotron soumet la meilleure offre, pour un montant de quarante millions de dollars.

[16]        Une lettre d’intention est signée le 7 juillet 2000 par Marcel A. Raymond de Vidéotron.

[17]        Les 8 et 9 juin 2000, les dirigeants de Vidéotron, dont Marcel A. Raymond, approuvaient l’achat des actions des Sociétés aux termes d’un formulaire d’autorisation des engagements financiers de Vidéotron (P-40), faisant notamment état de ce qui suit :

« Dans le cadre de la stratégie de consolidation de sa position sur le territoire québécois, Vidéotron ltée vise à acquérir les actions ordinaires de la société en titre qui regroupe 22 500 abonnés situés dans les régions de la Montérégie, des Cantons de l’Est et de la Beauce. »

[18]        Le 28 juillet 2000, la Banque Nationale du Canada, financière des sociétés, consent à leur changement de contrôle et à l’acquisition de celles-ci par Vidéotron. Elle précise que cette dernière « devra s’engager à assurer les responsabilités et les engagements des actionnaires actuels en ce qui a trait aux conditions de financement et ne devront pas être en défaut en regard de ses engagements actuels avec la Banque Nationale. » (D-15).

[19]        Le 31 juillet 2000, les parties conviennent de changer la date de signature de la convention d’achat d’actions, du 30 juillet 2000 au 11 août 2000, afin de permettre à Vidéotron de compléter la vérification financière et juridique.

[20]        Le 11 août 2000, une deuxième lettre d’intention modifiée est signée entre les parties (P-3).

[21]        Durant cette période, on procède à une vérification diligente des livres des sociétés.

[22]        Pendant ce temps, Me Lacroix et Me Guertin, les avocats internes des deux parties, discutent du contenu de la convention d’achat (P-4) qui sera signée le 22 août 2000, sous la seule réserve de l’approbation du CRTC.

[23]        On prévoit que la date de clôture sera fixée dans un délai restreint après cette approbation.

[24]        Entre-temps, le 27 septembre 2000, Québecor Média inc., fait une offre publique visant l’acquisition de toutes les actions du Groupe Vidéotron ltée.

[25]        Au mois d’octobre, Me Guertin, pour Vidéotron et Me Lacroix pour Telus échangent sur le projet de convention de copropriété par indivision en ce qui a trait au câble dont les composantes appartiennent à divers propriétaires qui utilisent les équipements des sociétés qui sont à vendre.

[26]        On discute aussi de la vente de fibre contenue dans le câblage des sociétés et qui n’a pas encore été vendue à des tiers suite à l’intérêt de s’en porter acquéreur.

[27]        L’offre d’achat des actions de Vidéotron par Québecor Média est acceptée le 23 octobre 2000.

[28]        Afin de respecter les exigences réglementaires applicables, Québecor Média inc. avait déposé auprès du CRTC une convention de fiducie de vote qui pourvoit à la nomination d’un fiduciaire pour le Groupe Vidéotron jusqu’à l’approbation du CRTC.

[29]        Le 21 novembre 2000, le CRTC donne son approbation à l’acquisition par Vidéotron de l’ensemble des actions des Sociétés (P-5).  Ainsi, selon le paragraphe 1.9 de la convention d’achat d’actions P-4, la séance de clôture devra avoir lieu le 1er janvier 2001.

[30]        Suivant l’acceptation de l’offre publique de Québecor Média pour l’acquisition de Vidéotron, la mainmise de Québecor sur Vidéotron se fait rapidement sentir.  Dès le 23 novembre 2000 (P-38), Guy R. Beauchamp annonce que « (…) le nouveau contexte nous oblige à prendre des décisions qui sont indépendantes de l’appréciation de la compétence, de l’effort et de la qualité de la contribution des gestionnaires en cause. », annonçant notamment les départs de Me Louis Guertin et de Marcel A. Raymond, respectivement vice-président affaires juridiques et secrétaire, et vice-président exécutif finance et administration de Vidéotron.

[31]        Me Guertin était jusque-là, l’interlocuteur principal de Vidéotron chez Desjardins Ducharme Stein Monast pour les demandeurs, quant aux aspects légaux de la transaction d’achat des Sociétés par Vidéotron.  Marcel A. Raymond était, quant à lui, l’interlocuteur principal chez  Vidéotron, auprès de Jean-Pierre Chartrand et de Stéphane Blanchet pour les demandeurs, relativement aux aspects financiers de la transaction.

[32]        Le 24 novembre 2000, GT Telecom une tierce compagnie non partie à l’acquisition de Vidéotron, formalise une offre d’achat concernant la fibre optique excédentaire des Sociétés, dans une lettre d’intention (P-14) ratifiée par Me Louis Guertin, lundi le 27 novembre 2000.  Suite à ce consentement, les demandeurs propriétaires de la fibre excédentaire, signent formellement une lettre d’intention P-14.

[33]        Le 28 novembre 2000, par courriel adressé à Me Louis Guertin, Marcel A. Raymond de Vidéotron confirme son autorisation à la vente de fibres excédentaires et à l’échange de fibres des Sociétés à GT Telecom.  Cette missive est aussi envoyée à Claude Hélie de Québecor.

[34]        Ce même courriel prévoit la date de clôture de la transaction principale en ces termes :

« Objet : clôture de Digitel

En vertu de la convention d’achat de Digitel, nous devons convenir d’une date de clôture.  À noter qu’à défaut de s’entendre, ce serait le 1er jour du 2ième mois suivant la décision du CRTC, soit le 1er janvier.

Novacap voulait idéalement faire cela avant les Fêtes, mais ont compris qu’il restait trop de détails à compléter, telles les conventions de service avec QuébecTel, conventions de vente de fibres à GT Telecom et autres, conséquemment leur nouvelle recommandation serait lundi le 15 janvier (P-29) »

[35]        Mandat est également donné par Me Louis Guertin de Vidéotron à ses avocats externes de préparer les documents requis pour la vente des fibres excédentaires à GT Telecom.  Il ajoute :

« Quant à la facturation du dossier je vous demanderais de facturer directement Digitel.  Par copie de cette note à Paul Girard je lui demande de vous fournir le nom exact de la compagnie à facturer et l’adresse.

J’aimerais également préciser que ce dossier revêt une certaine urgence, outre les délais prévus à la lettre d’intention nous prévoyons clôturer l’achat par Vidéotron des actions de Digitel le ou avant le 31 janvier.              Nos soulignés.

Finalement et tel que je le mentionnais je quitte Vidéotron le 15 décembre.  Si vous avez des questions d’ici là, n’hésitez pas à m’appeler ou communiquer avec Paul Girard au 819…….. poste ….

.  Après le 15 décembre, vous pourrez communiquer avec Paul Girard ou ma collègue Ginette Gaulin (514………..) qui prendra charge du dossier Digitel/Vidéotron. »                                                                 Nos omissions.

[36]        Par courriel du 4 décembre 2000 (P-63), Me Louis Guertin approuve le texte d’un communiqué de presse de GT Telecom, visant à annoncer l’acquisition par cette dernière des fibres noires, soit les fibres excédentaires vendues par Câble-Axion.  Le texte de ce communiqué approuvé par Me Louis Guertin est le suivant :

« Group Telecom is acquiring approximately 5,500 strand kilometres (650 route kilometre) of dark fibre from Cable-Axion Digitel Inc. and Cable-Axion Québec Inc. between Montreal and Quebec city, via Sherbrooke.  The transaction is subject to finalizing definite agreements and is expected to be completed no later than December 31, 2000. »

[37]        Le lendemain, mardi 5 décembre 2000, à la demande de Vidéotron, il est convenu que la séance de clôture soit reportée du 1er janvier 2001 au 1er février 2001, notamment parce que le 1er janvier était un jour férié.  Marcel A. Raymond, vice-président exécutif finances et administration de Vidéotron, confirme aux demandeurs, dès le mardi 5 décembre 2000, ce qui suit:

« Je confirme notre discussion de ce matin à l’effet que la clôture de Digitel aura lieu le jeudi, 1er février prochain (…)

[38]        Également le mardi 5 décembre 2000, Marcel A. Raymond confirme cet état de fait aux autres dirigeants de Vidéotron impliqués dans cette transaction (P-29) :

« Objet : Clôture de Digitel

C’est confirmé avec Jean-Pierre Chartrand de Novacap et Paul Girard, le tout sera le jeudi 1er février 2001.  Comme il s’agit d’un achat d’actions, il y aura une fin d’année présumée la veille, soit le 31 janvier, ce qui sera plus simple, compte tenu qu’il s’agit d’une fin de mois.

(…)

Bonne clôture ! (sic) »

Ce dernier comporte le post-scriptum suivant :

« je tiens à préciser qu’aucune mention n’a été faite jusqu’à maintenant aux actionnaires de Digitel quant à notre intention de revendre le tout. »

[39]        Le 5 décembre 2000, GT Telecom fait publier un communiqué de presse annonçant l’acquisition de la fibre excédentaire visant à compléter son réseau entre Québec et St-Bernard de Beauce.

[40]        Le vendredi 8 décembre 2000, se tient chez Vidéotron une réunion aux conséquences très importantes sur la transaction d’achat de la société P-4.  Vidéotron change d’attitude en ce qui concerne une simple transaction d’achat d’actions qu’elle voulait pourtant voir se réaliser très rapidement dès l’été 2000.

[41]        Assistent à cette réunion, Pierre Karl Péladeau et Claude Hélie, tous deux de Québecor Média.  Sont aussi présents, Guy Beauchamp, président et chef de l’exploitation, Me Louis Guertin et Marcel A. Raymond, le vice-président finances.

[42]        Beauchamp explique que l’annonce de GT Telecom de ne pas vouloir acheter Vidéotron Telecom puisqu’elle achète l’excédent de la fibre excédentaire de Digitel, a eu un effet dévastateur puisque Québecor Média voulait se départir de cette Société pour abaisser son endettement très élevé.

[43]        Beauchamp ajoute lors de son témoignage :

« R. Moi, je me …moi, j’ai… celle que je me souviens, c’est cette réunion-là..

Q.  [417] O.K.

R…où la marde a poigné, tu sais.  Excusez l’expression.  C’est que ce matin-là, la fibre de Câble-Axion, ils n’achetaient pas…ils n’achetaient plus VTL.

Alors là ça criait dans les bureaux.

Q. [418]  Quand vous dites « ça criait,  qui criait dans les bureaux ?

R. Bien, un peu tout le monde.  Bien, surtout les gens de Québecor. »

[44]        C’est à cette rencontre que Pierre Karl Péladeau répudie le consentement à la vente de la fibre excédentaire qui avait été autorisé par les dirigeants de Vidéotron.

[45]        Québecor donne même instruction au fiduciaire de Vidéotron de s’opposer à la vente de ces fibres pour des raisons stratégiques (P-37), alors que Québecor n’est pas partie à cette transaction.

[46]        Les motifs réels de cette opposition de Québecor sont relatés par le fiduciaire lors de son interrogatoire du 15 décembre 2004, p. 64 :

Q.     Quant aux raisons, c’est Québecor Média qui vous demande, à titre de             fiduciaire, de vous opposer.

R.       C’est ça.

Q.       Quant aux véritables raisons, vous n’en avez pas une connaissance personnelle.  Est-ce que c’est exact ?

R.           Bien, puis il y avait des raisons qui étaient que GT Telecom pouvait être un acquéreur de Vidéotron Telecom et que, s’ils achetaient ces fibres-là, possiblement ils se retireraient de la transaction.  Et ils devenaient un concurrent de Vidéotron Telecom. »

[47]        Claude Hélie de Québecor quant à lui dira lors de son interrogatoire du 3 juin 2005, p. 36 :

Parce que ça créait un concurrent à Vidéotron Telecom qui était une filiale du Groupe Québécor Média et ça permettait un réseau de fibres à GT Telecom jusqu’à Trois-Rivières et Québec, donc, c’était un concurrent direct à notre filiale.  Alors donc, pour nous, point de vue stratégique, c’était pas une bonne transaction.

Q.            Et c’était la raison pour laquelle vous étiez contre.

R.            Oui. »

[48]        Cette prise de position de Vidéotron en contradiction avec les décisions antérieures du 7 juillet 2000, 22 août 2000, 28 novembre 2000 et 5 décembre 2000, est exprimée comme suit par Guy Beauchamp :

«  Suite à l’opinion reçue de nos conseillers juridiques, veuillez considérer la présente comme un avis à l’effet que les Transactions ne sont pas visées par les dispositions du paragraphe 10.2 de la convention et par conséquent, elles ne peuvent être conçues sans le consentement préalable écrit de Vidéotron ltée, le tout conformément aux dispositions du paragraphe 10.1 de la Convention.  De plus, nous avons reçu une communication de notre fiduciaire, M. Serge Gouin, à l’effet qu’il ne consent pas aux dites Transactions. (sic) »

[49]        Suite à la décision de GT Telecom de ne pas acheter VTL, Vidéotron se voit privée de recevoir des sommes importantes qui auraient pu être utilisées dans la réduction de la dette de la société.  C’est suite à l’intervention de Québecor Média que les sociétés ne pourront en conséquence vendre la fibre excédentaire malgré l’autorisation préalable reçue de Marcel A. Raymond, et de Me Guertin qui annoncent d’ailleurs le 8 décembre 2000 la perte de leur emploi.

[50]        Quant au président de Vidéotron, Guy Beauchamp, son rôle dans la Transaction de la vente de fibre est réduit à néant comme il le signale lors de son interrogatoire préalable du 1er octobre 2004.

Q.    Avez-vous des instructions précises de M. Beauchamp ou chez Vidéotron relativement à la transaction de Câble-Axion et de tout ce que ça comporte?

R.     (…) J’ai eu des directives précises quant à mon rôle dans cette transaction-là de la très haute instance le 8 décembre exactement. (…)

Q.   Alors, qui était la très haute instance ? M. Beauchamp ?

R.    La très haute instance étant Pierre Karl Péladeau »

(p. 129)

Q.  Est-ce que vous avez un rôle à jouer dans cette transaction-là par la suite ?

R.   Après le 8 décembre ?

Q.  Dans la semaine du 11 au 15, avez-vous un rôle à jouer ?

R.  Non.

Q.  Vous n’aviez plus rien à faire avec cette transaction ?

R.  Non

Q.  C’était sorti de vos mains ?

R.  C’est ça.

(…) »

[51]        À partir du 11 décembre 2000, Me Ginette Gaulin prend charge du suivi des ententes à finaliser entre QuébecTel et Digitel, une des sociétés ainsi que Digitel et des tiers.  Dès lors, des pourparlers interminables et des projets de convention de copropriété par indivision pour les fibres optiques meublent les échanges des parties pour plusieurs mois malgré les protestations de Jean-Pierre Chartrand de Novacap à Guy Beauchamp relativement à la volte-face de Vidéotron visant la vente de fibres excédentaires et l’échange de fibres à GT Telecom.

[52]        La preuve d’ailleurs démontre de plus que Vidéotron a, lors d’une réunion du conseil d’administration du 17 janvier 2001, décidé de revendre Cable-Axion Digitel inc. et ses actifs non stratégiques.

[53]        La preuve démontre que le rôle de Vidéotron dans les décisions relatives à Digitel est réduit au minimum.  Guy Beauchamp résume le rôle du conseil comme suit :

« R.  Bien, soyons clairs.  Le conseil d’administration de Vidéotron, c’était une étampe, ce qui veut dire qu’il n’y avait pas de grandes discussions là.

Q.    Vous dites que c’était une étampe, vous voulez dire quoi ?

R.  Bien, les décisions ne se prenaient pas là.  Je veux dire…

Q.            Elles se prenaient où ? Qui prenait les décisions à cette date-là?

R.            C’était… c’était à ce moment-là avec le fiduciaire puis Pierre-Karl.  C’est là qu’elles se prenaient. »

[54]        Il est significatif de voir les décisions du conseil d’administration de Québecor Média en date du 2 février 2001, pour mieux saisir la situation.  L’extrait du procès-verbal (P-32) énonce :

« Au cours des prochains mois, Vidéotron ltée devra rembourser à VTL un montant de 17 M$ (20 M$ comptant et 20 M$ de dette assumée).  Vidéotron ltée compte retarder la clôture de Digitel et revendre l’entreprise pour 40 M$ et d’autres abonnés pour 30 M$ au cours des prochains mois.  Une réduction additionnelle des dépenses en immobilisation pour (sic) montant de 20 M$ est prévue, afin d’augmenter la marge de manœuvre.  On envisage également à augmenter un prêt de 585 M$ à 650 M$ et renégocier les ratios financiers (…) »

[55]        Les divers extraits des journaux font état d’une situation financière difficile pour Québecor Média en février 2001.

[56]        Afin de faciliter la transaction, le vice-président finance de Novacap, l’un des vendeurs se dit prêt le 7 mars 2001 à modifier les modalités de paiement des actions.

[57]        Le 22 février 2001, le conseil d’administration de Québecor Média avait fait état de ce qui suit :

« On rappelle que la marge de manœuvre de Vidéotron ltée est serrée.  VL devra se résoudre à compléter l’acquisition de Cable Axion Digitel.  On indique que les vendeurs auraient accepté que VL procède à l’acquisition et assume la dette de 20 M$ de cette entreprise dès maintenant et paie le prix d’acquisition (20 M$) en fin d’année 2001.  Après discussion, les administrateurs conviennent de procéder conformément à cette approche.  On s’assurera toutefois que la prise en charge de cette dette soit faite sans placer VL ou QMI en situation de défaut en vertu de ses instruments de crédit. »

[58]        Le 7 mars 2001, un avocat externe de Vidéotron, Me St-Aubin, confirme aux vendeurs que la date de la clôture de la transaction est de nouveau reportée au 2 avril afin de finaliser les conventions de vente de fibre optique qui avaient été stoppées auparavant.

[59]        Il n’est pas question de la mise à jour de la vérification diligente effectuée en août 2000.

[60]        Le 16 mars 2001, l’avocat Maziotis, l’associé de Me St-Aubin, en réponse aux insistances des demandeurs pour que l’on progresse sur l’achat des actions par Vidéotron écrit :

« Me Marc Lacoursière de Ogilvy Renault nous a informé qu’aucune décision n’avait encore été prise quant à la position de Québecor inc. relativement à l’interprétation de la section 10.2 de la convention d’achat d’actions.  Me Lacoursière a indiqué que la seule personne pouvant prendre une telle décision est Pierre Karl Péladeau et que ce dernier, suite à un accident récent, n’est pas en mesure de prendre une décision. (…)

Tel qu’indiqué dans la lettre de Me Pierre Saint-Aubin en date du 7 mars 2001, lorsqu’il nous aura été confirmé qu’il n’existe aucune mésentente entre les parties relativement à la vente éventuelle des fibres optiques par 3509061, nous donnerons instructions à Me Jean-François Hébert de Fasken Martineau Dumoulin de finaliser avec Me Raymond Lacroix de Le Groupe QuébecTel inc. les ententes de copropriété relatives à la détention et à l’entretien des fibres optiques; (…) » (P-16).

[61]        Malgré ces tergiversations, les vendeurs tentent de finaliser l’acquisition des sociétés, c’est ainsi que Stéphane Blanchet de Novacap, le 23 mars 2001, à la demande de Robert Bourque, fait parvenir à Vidéotron les projections financières pour les mois de février à août 2001.  La marge du BAIIA y est incluse autant à l’égard de la période cumulative de 5 mois, de septembre 2000 à janvier 2001, que pour les mois de février à août 2001.

[62]        Ainsi, Vidéotron connait la situation financière des Sociétés, et est en mesure de constater et évaluer le BAIIA, tel que l’expliquait Robert Bourque, lors de son interrogatoire préalable du 17 novembre 2004 :

« Q.  O.K.  N’est-il pas exact, monsieur Bourque, que depuis mars 2001, vous        étiez en mesure d’évaluer et de connaître de façon précise les données concernant ce BAIIA chez Câble-Axion à l’aide des projections financières de Câble-Axion? 

R.  Comme je vous mentionne, je ne me souviens pas voir est-ce qu’à ce    moment-là il y avait eu des discussions précises à savoir tous les pourquoi.

Q.    Mais, est-ce que vous étiez en mesure de l’évaluer?  Je ne vous demande pas si vous l’avez fait, mais est-ce que vous auriez été en mesure de l’évaluer dès le moment où vous fournissait (sic) des projections financières soit en février ou en mars 2001 ?

R.     J’aurais pu l’évaluer selon ce qu’eux autres me donnaient comme informations. »

[63]        Le 11 avril 2001, Me Doyle représentant Vidéotron fait parvenir aux vendeurs un projet d’agenda de clôture pour le 1er avril où il n’est pas fait mention d’une mise à jour de la vérification diligente antérieure.

[64]        Le 18 avril 2001, la Banque Nationale du Canada informe les parties qu’elle exigera d’être remboursée intégralement de ses prêts lors de la clôture de la transaction.

[65]        Le 25 avril 2001, se servant de cette décision de la banque, le conseil d’administration de Québecor Média décide que la transaction d’achat des actions des sociétés n’aura pas eu lieu en raison du refus de la BNC de consentir au transfert de la dette garantie par la fibre excédentaire (P-69).

[66]        Cette mention au procès-verbal est inexplicable, d’autant plus qu’elle apparaît dans un procès-verbal de Québecor Média.

[67]        Claude Hélie ne peut expliquer ce fait qui pourtant est significatif de la situation.

[68]        Malgré cela, le 3 mai 2001, Me Doyle au nom de Vidéotron envoie un projet d’amendement à la convention d’achat (P-4).

[69]        Ces modifications visent le paiement du prix d’achat avec la balance du prix payable au 31 décembre ainsi que le paragraphe suivant de la convention :

« Depuis le 31 août 2000 et jusqu’à la date de la signature des présentes, il n’est pas survenu i) (sic) de changement défavorable dans la situation financière ou dans l’exploitation, l’activité, les perspectives d’avenir, les biens ou l’actif des sociétés par rapport à ce qui est indiqué aux états financiers consolidés de consortium Digitel (…) »

[70]        Le 10 mai 2001, Jean-Pierre Chartrand écrit au fiduciaire de Vidéotron :

« (…) grâce au financement de la Banque Nationale et à l’augmentation du solde de prix de vente que les actionnaires de Cable-Axion sont disposés à accepter, nous sommes maintenant en position de clôturer notre transaction en respectant le montant de 25 000 000$ de dette assumée par Vidéotron.

Auriez-vous l’obligeance de nous confirmer la date de clôture de la transaction et d’aviser votre personnel de mettre en œuvre les démarches requises pour clôturer cette transaction. » D-84.

[71]        Le CRTC approuve l’acquisition de Vidéotron par Québecor Média le 23 mai 2001;

[72]        Le lendemain, Stéphane Blanchet envoie à Robert Bourque un ensemble d’informations financières et de projections envoyées à la Banque Nationale.  Il  écrit à Bourque :

« Tu remarqueras que les calculs de ratios exigés par la BNC pour l’exercice se terminant le 31 août 2001 sont également inclus et que ceux-ci démontrent que les compagnies respectent ces ratios (…).  Peux-tu nous revenir dès que possible pour qu’on puisse compléter cette transaction dans les plus brefs   délais. »

[73]        Le 25 mai, après des mois de discussions, Vidéotron cesse de s’opposer et accepte que Câble-Axion Digitel cède sa fibre excédentaire à GT Telecom.

[74]        Le 30 mai 2001, le journal la Presse rapporte :

« La dette de Québecor étrangle Vidéotron

Vidéotron, l’ancien fleuron de la famille Chagnon se retrouvera sous peu avec 1.6 milliard de dettes et un budget d’immobilisation maigre par rapport à celui de la concurrence. »

La dette de Vidéotron n’est qu’une partie de la dette totale de Québecor dont deux point quatre milliards (2,4 G$) sont dus en octobre prochain et devront être soit remboursés, soit refinancés. » P-34.

[75]        Le contenu de cet article est confirmé par Pierre Karl Péladeau lors de l’audience.

[76]        Le 22 juin 2001, la Banque Nationale fait valoir aux Sociétés ce qui suit :

« La Banque Nationale du Canada (La « Banque ») convient de maintenir à l’intérieur de l’ensemble des crédits à terme et des crédits d’exploitation octroyés à CÂBLE-AXION QUÉBEC INC. et CÂBLE-AXION DIGITEL INC., des avances globales d’un montant totalisant en date du 10 mai 2001, la somme de 16,753,000.00 $ devra être effectuée au plus tard, en date de la transaction avec VIDÉOTRON LTÉE (ci-après appelé l’Acheteur).

Suite à la vente de fibres excédentaires à venir, un montant de 2,160.000.00 $ doit venir en diminution de nos avances, et ce, si ladite vente précède la transaction avec VIDÉOTRON LTÉE.

[77]        Le mardi 10 juillet 2001, à la demande de Robert Bourque de Vidéotron, Stéphane Blanchet transmet à nouveau (voir P-51) le calcul des ratios financiers présentés à la Banque Nationale du Canada par les Sociétés, pour l’exercice terminé le 31 août 2000 (P-56).

[78]        Le 12 juillet 2001, Vidéotron fait parvenir une lettre de dénonciation (P-6) de la convention d’achat d’actions P-4 au motif qu’un changement défavorable important est survenu en raison de la lettre ci-haut citée du 22  juin 2001 (P-56), expédiée par la Banque Nationale du Canada.

[79]        Le vendredi 13 juillet 2001, la Banque Nationale du Canada confirme cependant aux Sociétés qu’elle reconduit le financement tel que présenté en date du 22 juin 2001 (D-126).

[80]        Dès le lundi suivant, le 16 juillet 2001, Jean-Pierre Chartrand confirme à Vidéotron que : (D-127) :

Cette lettre confirme l’intérêt de la Banque de maintenir les crédits tels que soumis dans sa lettre du 22 juin et de réévaluer l’ensemble des crédits, tant au niveau des montants que des conditions de ces crédits, sujet à ce que l’acquéreur, Vidéotron Ltée, communique avec la Banque et partage avec elle ses plans d’avenir et ses besoins.

Veuillez agir en conséquence et donner instructions à vos aviseurs légaux et votre personnel de procéder diligemment à la clôture de notre transaction.  À défaut de quoi, nous nous verrons dans l’obligation d’utiliser tous les recours à notre disposition pour faire respecter les droits des actionnaires de Consortium Câble-Axion Digitel inc. (sic) »

[81]        Simultanément, le 16 juillet 2001, Jean-Pierre Chartrand répond à l’avis de dénonciation (P-6) en faisant notamment état que (P-7) :

« (…)

Nous vous soulignons que la Convention ne prévoit pas de condition en ce qui a trait au financement par Vidéotron Ltée.  Le prix de vente devait être payé au comptant le premier jour du deuxième (2e) mois suivant le mois où l’autorisation a été obtenue du CRTC, soit le 1er janvier 2001.  Suite à vos demandes, dans un esprit de coopération et sans préjudice à nos droits, nous avons accepté de reporter la clôture de la transaction et même de considérer possiblement une balance de prix de vente, payable au 31 décembre 2001.  Nous avons agi de bonne foi.  Malgré cela, vous avez esquivé toutes nos communications, téléphoniques et autres, et vous avez agi unilatéralement en nous faisant parvenir votre dénonciation. ».

[82]        Le mardi 24 juillet 2001, Paul Girard, président des sociétés, écrit à Jean-Pierre Lahaye de la Banque Nationale du Canada afin de lui faire part de ce qui suit (D-129) :

« notre compréhension est à l’effet qu’une nouvelle proposition de crédits doit être transmise par votre institution à Câble-Axion Québec inc, et Câble-Axion Digitel inc.  Cette proposition vise les conditions de crédits devant exister à compter de la date de clôture et qui touchera le nouvel actionnaire, en l’occurrence Vidéotron ltée.  Au terme d’une lettre reçue le 20 juillet 2001, et dont nous joignons copie à la présente, cette société nous a fait part qu’elle désirait obtenir une proposition de votre institution. »

[83]        Le même jour, la Banque Nationale du Canada convient de maintenir l’ensemble des crédits à terme et des crédits d’exploitation octroyés aux sociétés suite à la transaction avec Vidéotron.  Dans sa lettre du 24 juillet 2001 à cet égard, la Banque précise que « suite à la vente de fibres excédentaires à venir, un montant de 2,160,000.00 $ doit venir en diminution de nos avances, et ce, au plus tard en date de la transaction avec VIDÉOTRON LTÉE. »

[84]        Ceci annule donc la dénonciation de la convention du 12 juillet 2001.

[85]        Le 9 août 2001, l’acheteur demande de procéder à une mise à jour de la vérification diligente de l’été 2000.  Bien qu’une telle demande paraisse abusive pour certains vu les nombreux retards à la finalisation de la transaction depuis janvier 2001, les vendeurs voulant en finir, consentent à la condition que cette vérification vise uniquement la période postérieure à la première vérification.

[86]        Le 14 août, Stéphane Blanchet fait parvenir les états financiers intérimaires des sociétés au 30 juin 2001.

[87]        Le moment choisi par Vidéotron pour effectuer cette mise à jour correspond à la période où les locataires québécois se débranchent vu le temps de déménagements, ce qui explique une baisse de revenu temporaire.

[88]        Ce phénomène a été expliqué par Pierre Karl Péladeau à l’audience du 26 septembre :

R.(…) Mais si vous parlez du taux de débranchements et que vous ne parlez pas du taux de branchements, c’est une information qui apparaît parcellaire et donc, à certains égards, qui pourrait être inexacte.  Mais, elle peut être exacte, là, dans le sens si on utilise purement et simplement cette information-là, mais il faut la corréler avec une autre.

Q.     O.K.  je reviens sur votre taux de débranchements.  Vous avez  dit, au Québec, là, en raison des déménagements, là, puis vous avez dit « on ne fait pas la corrélation avec les rebranchements. »  Mais, vous avez quand même dit « il y a quand même une réalité, c’est qu’on se débranche lorsqu’on déménage » c’est ça ?

R.     Oui.

Q.     Donc, vous observez un débranchement… on ne tient pas compte des gens qui déménagent qui se rebranchent ailleurs, mais on observe un débranchement important à l’arrivée des changements de baux, c’est ce que vous dites.

R.     Oui.  Historiquement, la période de changement de baux, on fait face à un taux de débranchements plus élevé que, évidemment, en plein mois de février ou en octobre.

Q.   Bien sûr.

R.    Mais, en général, le rebranchement s’effectue durant le mois d’août, là.  Ça peut durer quinze (15) jours ou trois semaines, je pense, très occupés. »

[89]        Guy R. Beauchamp confirme aussi cette période de débranchement à chaque année, à la fin juin, et de rebranchement dans les mois qui suivent.

Q.   O.K. est-ce qu’il est exact que chez les câblodistributeurs traditionnels, c’était une période de débranchement importante et que le rebranchement se faisait avec la reprise.

R.   En septembre.

Q.   …scolaire…

R.   Hum, hum.  Oui.  C’était normal.  Les gens se disaient : « bon, bien, c’est une dépense que je n’ai pas nécessairement l’été.  J’écoute moins la télévision.  C’est toujours des reprises.  C’est plat (sic) la télévision, ça fait que je vais attendre en septembre. »

Q.   Ça, c’était chez Vidéotron.  C’était… c’est tous les câblodistributeurs.

R.   Comme tout le monde. Oui.

Q.   Ou c’était… c’tait connu, c’était prévisible.

R.   Oui. »

[90]        La vérification diligente est effectuée par la firme KPMG.  La preuve révèle que les vérificateurs n’ont posé aucune question sur le BAIIA ou sur le nombre d’abonnés aux représentants des vendeurs qui les ont reçus à leurs bureaux.

[91]        La fibre optique excédentaire qui avait fait l’objet de multiples objections, refus et négociations est finalement vendue le 17 août 2001.

[92]        Le 7 septembre, Bourque requiert des informations pour compléter la vérification diligente, soit l’opinion sur les titres de propriété de la fibre optique vendue même si les procureurs de Vidéotron l’on déjà reçue auparavant.

[93]        L’information requise sur la vente de la fibre excédentaire est remise par Blanchet le même jour.  Il fera parvenir le 12 septembre les informations relatives au nombre d’abonnés au 31 juillet.

[94]        Le 14 septembre, les demandeurs sont convoqués chez Vidéotron.  Claude Hélie expose brièvement qu’un changement défavorable important a été découvert lors de la mise à jour de la vérification diligente.  En conséquence, la transaction est annulée.

[95]        Stéphane Blanchet et Me Lacroix représentant les vendeurs, affirment qu’aucun renseignement sur la nature du changement défavorable n’a été donné lors de la réunion.

[96]        Me Despars, avocat interne de Vidéotron et Claude Hélie n’ont pas souvenance ce de qui a été dit précisément.  Ce n’est qu’à partir de notes manuscrites de l’avocat qu’ils témoigneront sur le contenu de ces changements significatifs qui auraient été communiqués lors de la réunion.

[97]        Ils affirment que ce contenu a donc été livré verbalement à la réunion bien qu’ils ne peuvent se souvenir après 14 ans des détails de la réunion de dénonciation.

[98]        Une lettre de dénonciation est remise à la réunion sans cependant contenir aucune explication sur les changements constatés (P-9).

[99]        La convention d’achat prévoit qu’un changement dénoncé peut être remédié dans les dix (10) jours.

[100]     Malgré ce délai conventionnel, Québecor Média, lors d’une réunion du conseil d’administration du 20 septembre consigne au procès-verbal que Vidéotron ne donnera pas suite à l’acquisition de cette société.

[101]     Le reste du contenu du procès-verbal a été caviardé pour respecter le secret professionnel.

[102]     Le lundi 24 septembre 2001 (P-10), Jean-Pierre Chartrand écrit au nom des demandeurs à Claude Hélie afin de lui signifier le désaccord des demandeurs quant à la dénonciation de Vidéotron et demandant confirmation que Vidéotron entendait respecter la convention et procéder à la transaction :

« Quant aux prétentions de Vidéotron ltée concernant le fait de ne pas avoir communiqué certains documents et informations, dont notamment l’opinion portant sur les titres du réseau, et ce, contrairement aux dispositions du sous-paragraphe paragraphe 12.2.7 de la Convention, nous tenons à vous préciser que votre affirmation est tout à fait inexacte et que le projet d’opinion du notaire Bolduc a directement été remis par Stéphane Blanchet de Novacap dès le 24 août 2001 à Me Nicolas Labrecque de l’étude Ogilvy Renault, représentant et mandataire de Vidéotron ltée.  Toutefois, si Vidéotron ltée désirait obtenir des précisions, détails ou complément d’information concernant l’opinion de titres de Me Bolduc, nous comprenons que vous verrez à en informer le soussigné à votre plus proche convenance. »

D’autre part, la prétendue détérioration de la situation financière et des affaires des sociétés identifiées aux dispositions du paragraphe 1.17 de la Convention et ce, depuis le 31 août 1999, n’est encore une fois qu’un prétexte non fondé et ce, notamment, mais non limitativement, pour les trois (3) motifs suivants :

Dans un premier temps, la dénonciation selon le sous-paragraphe 13.1.1 de la Convention exposée dans la Lettre aurait dû nous être adressée avant ou à la date de clôture, tel que défini aux dispositions du paragraphe 1.9 de la Convention, à savoir au plus tard le 1er janvier 2001; et

Les représentations et garanties mentionnées aux sous-paragraphes 6.1.64, 6.1.67 et 6.1.70 l’ont été en date du 22 août 2000 et, conséquemment, il n’est survenu aucun changement défavorable important affectant ces mêmes représentations et garanties des vendeurs entre le 31 août 1999 et le 22 août 2000; et

Aucun changement défavorable important affectant les représentations et garanties des vendeurs n’est survenu entre le 22 août 2000 et la date de clôture fixée au 1er janvier 2001. »

[103]     Le 1er octobre 2001, Claude Hélie confirme par écrit la résiliation de la convention d’achat d’actions des demandeurs par Vidéotron.

[104]     Les demandeurs ont par la suite, modernisé leur réseau grâce à un financement obtenu en 2004 par Desjardins et Roynat en 2004.

[105]     Le 19 octobre, les sociétés, propriétés des demandeurs, sont vendues à Cooptel et à DeryTelecom.

[106]     On réclame la différence entre le prix obtenu et le prix d’achat convenu avec Vidéotron à la valeur actualisée au 1er janvier 2001, date de la clôture conventionnelle.

DISCUSSION

[107]     Les demandeurs soutiennent que la dénonciation de la convention est abusive et sans fondement.  Ils soutiennent qu’elle résulte d’une volonté de se soustraire à ses obligations principalement du fait que Vidéotron était dans une situation financière difficile.

[108]     La dénonciation (P-9) se lit :

« (…)

Cette vérification n’est pas à ce jour entièrement complétée en raison du fait que nous n’avons pas encore reçu certains documents et informations requis dont notamment l’opinion portant sur le titre des réseaux préparé conformément aux dispositions du paragraphe 12.2.7 de la convention.

Nous souhaitons néanmoins porter à votre attention immédiate une constatation importante découlant de l’exercice de vérification diligente entrepris à ce jour.

Notre revue des affaires des Sociétés révèle, en effet, que la situation financière et l’état des affaires des Sociétés se sont détériorés de façon significative depuis le 31 août 1999.

Cette détérioration de la situation financière et des affaires des Sociétés a pour effet d’affecter défavorablement et de façon importante la valeur des Sociétés.

Cette situation constitue un changement défavorable important affectant les représentations et garanties des Vendeurs, plus particulièrement celles prévues aux paragraphes 6.1.64 et 6.1.67 et 6.1.70 de la Convention.

Les données et motifs au soutien de la présente dénonciation ont été discutés à l’occasion de notre rencontre du 14 septembre 2001.

Par conséquent, nous vous avisons par la présente que nous dénonçons la Convention conformément aux dispositions du paragraphe 13.1.1 de la Convention.  La Convention sera donc résiliée et Vidéotron sera de plein droit, libérée de toutes ses obligations sans encourir de responsabilité, le tout conformément aux termes de la Convention. »

[109]     La lecture de l’avis démontre une absence notoire sur la nature précise des faits qui justifient la dénonciation.  Il s’agit d’un élément important puisque les vendeurs ont dix (10) jours pour remédier au défaut, selon 13.1.1 et 13.1.4 (P-4).

[110]     Le Tribunal souligne que les parties ont toujours fait mention d’une mise à jour de la vérification diligente.  La vérification diligente avait été faite le 22 août 2000.  Il faudrait donc parler d’un changement significatif et important depuis cette date alors que l’on se réfère au 30 août 1999 dans la lettre de dénonciation.

[111]     Après avoir discuté, négocié et s’être rencontré pendant une année pour préparer la séance de clôture de la transaction, il apparaît que le déroulement des faits prend une tournure très rapide pour en arriver à une fin abrupte des relations d’affaires visant la finalisation de la transaction.

[112]     Compte tenu des efforts déployés de part et d’autre pendant un an, il est surprenant qu’un acheteur désirant conclure une transaction ne précise pas clairement ce qu’il reproche au vendeur en prétextant un changement défavorable important.

[113]     Il est surprenant que l’acheteur ne permette pas au vendeur de remédier aux défauts reprochés en ne respectant pas le délai convenu pour ce faire.

[114]     Bien plus, la preuve révèle qu’on n’a pas tenté de discuter de la situation avec les vendeurs sur les chiffres révélés par la mise à jour de la vérification et d’en vérifier le bien-fondé.

[115]     Il y a de manière évidente une absence de volonté de l’acheteur de trouver une solution ou d’en proposer une.  La preuve démontre plutôt qu’on a mis à exécution une volonté clairement exprimée dans les procès-verbaux de Québecor Média, de se défaire de cette obligation d’acheter les actions des demandeurs.

[116]     Vidéotron et son actionnaire Québecor Média semblaient avoir trouvé le moyen de se défaire d’une obligation dont ils avaient hérité par l’acquisition de Vidéotron.  On est loin de l’esprit de collaboration et de bonne foi à laquelle les vendeurs pouvaient s’attendre d’un acheteur désirant compléter une transaction.

[117]     Bien que plus de quatorze (14) années se soient écoulées et qu’une audition ait eu lieu, le Tribunal ne sait toujours pas les détails et le contenu des changements défavorables importants découverts par KPMG à partir des états financiers intérimaires par KPMG.

[118]     Le Tribunal devra s’en remettre aux opinions préparées par les experts Andrew Michelin pour la défense et Michel Hamelin pour la demande, afin d’établir si le changement invoqué peut constituer un motif valable de dénonciation de la convention d’achat.

[119]     Il s’agit d’un exercice difficile à accomplir tant pour les deux experts que pour le Tribunal, puisque le rapport à l’origine de la dénonciation est demeuré confidentiel.

[120]     Le contenu du rapport constitue du ouï-dire quant au témoignage de Claude Hélie lorsqu’il affirme que le contenu du mémo de Me Frédéric Despars reflète les motifs véritables du changement significatif important contenu au rapport de KPMG.

[121]     Voici ce qu’il dit à l’audition le 2 octobre 2014 :

Q.    Mais, vous aujourd’hui, là, est-ce que vous avez relu des notes avant votre témoignage ou si vous témoignez de mémoire sur le quatorze (14) septembre?

R.    Je témoigne de mémoire et je… et j’ai vu également un document…

Q.    Qui vous a été montré par qui le document ?

R.     Qui m’a été montré par mes avocats.

Q.    Vos avocats, est-ce que c’est maître O’Neil?

R.     Maître O’Neil, pas mes avocats.

Q.    Qui vous a été montré…qui vous a été montré quand?

R.     Voilà un certain temps, j’imagine quelques semaines.

Q.      Puis qu’est-ce qu’il disait ce document-là sur la réunion du quatorze (14) septembre ?  Est-ce que c’est un résumé de votre témoignage d’aujourd’hui?

R.       Bien, ça…ça… C’était un compte-rendu de la rencontre et qu’on avait…l’information qu’on avait transmise à…aux acquéreurs…aux vendeurs éventuels.

Q.      Puis ce document-là a été préparé par vos avocats ou a été préparé par vous-même?

R.       Non, pas par moi, je ne prenais pas des notes lors de réunion, c’était préparé sûrement par un avocat, Frédéric Despars, c’est lui qui était le plus junior, alors, habituellement, c’est le junior qui fait les notes.  (…)

R.   Non, non, non, non.  Non, non, j’ai peut-être vu ce document-là voilà                                     quatorze (14) ans puis je l’avais oublié puis on m’a montré le document puis ça m’a rafraîchi la mémoire.  Mais, écoutez, il y a beaucoup de documents, parce que j’ai…je ne me souviens pas d’un document en deux mille (2000) ou deux mille un (2001), ça ne veut pas dire nécessairement qu’il …qu’il a été produit de toute…de toute pièce.       Nos soulignés.            

  Q.    Est-ce que c’est vous qui étiez l’auteur de ce document ou avez participé à       la rédaction de ce document ?

R.   Non.

R.  C’est un document qui m’a aidé à me rappeler ce qui s’était passé sur…le               quatorze (14) septembre.  Je me souviens qu’il y avait eu une rencontre, alors, il y a des petits bouts que j’oubliais, alors, donc, c’est…ça…ça m’a aidé à rafraîchir la mémoire.

Q.   Si je vous dis que cette rencontre a duré moins de dix (10) minutes, est-ce   que c’est possible ou si vous l’ignorez?

R.   Je ne me souviens pas combien de temps ça a duré.

Q.   Est-ce que ça a été long ou ça a été très court ?

R.   Je ne m’en souviens pas.

Q.   Qui avait convoqué la réunion pour le quatorze (14) septembre ? Est-ce que vous vous en rappelez ?

R.   Non, je ne sais pas.

R.   C’est possible, oui…

Q.   O.K.

R.   …qu’on a pas remis le document à la réunion  du quatorze (14).

Q.   Puis ni par la suite, jusqu’au premier (1er) octobre, la date de la résiliation ? À votre connaissance.

R.   Je ne m’en souviens pas.  Je l’ignore si on a remis d’autres documents. »       Nos soulignés.

[122]     Le Tribunal ne peut donc prendre pour acquis les conclusions d’un rapport confidentiel sur la base du témoignage d’un tiers qui en fait état, d’autant plus que sur ce point les témoignages sont contradictoires.

[123]     Les vendeurs affirment n’avoir jamais connu les motifs réels de la dénonciation émanant de changements significatifs importants, alors que les acheteurs affirment les avoir divulgués vu la présence d’un mémo récapitulatif au dossier de Me Despars.

[124]     Les deux témoins de la demande sont affirmatifs, alors que ceux de la défense ne se souviennent pas ce qui a été dit, sauf quant au mémo.

[125]     Dès lors, le Tribunal n’a d’autre choix que de s’en remettre aux rapports des experts, sans toutefois être lié par les conclusions de ces derniers, afin de vérifier s’il y a eu des changements significatifs.

[126]     Enfin, le Tribunal a noté que suite au rapport de KPMG, Claude Hélie a affirmé avoir recommandé à Pierre Karl Péladeau de ne pas donner suite à la transaction, puisque la valeur des sociétés du Groupe Axion était plutôt  de trente millions que de quarante millions.

[127]     Quant à la crédibilité des témoins sur le contenu et les circonstances de la réunion du 14 septembre, le Tribunal accorde beaucoup plus de crédibilité aux témoignages des demandeurs qui ont témoigné avec calme et conviction.  Ils ont affirmé n’avoir jamais été informés du contenu des changements importants invoqués, alors que les témoignages de Despars et Hélie sont vagues, imprécis et laissent place à l’interprétation.

[128]     La lettre remise lors de la réunion du 14 septembre se lisait comme suit :

Cette vérification n’est pas à ce jour entièrement complétée en raison du fait que nous n’avons pas encore reçu certains documents et informations requis dont notamment l’opinion portant sur le titre des réseaux préparé conformément aux dispositions du paragraphe 12.2.7 de la Convention.

(…) 

Nous souhaitons néanmoins porter à votre attention immédiate une constatation importante découlant de l’exercice de vérification diligente entrepris à ce jour.

Notre revue des affaires des Sociétés révèle, en effet, que la situation financière et l’état des affaires des Sociétés se sont détériorés de façon significative depuis le 31 août 1999.

Cette détérioration de la situation financière et des affaires des Sociétés a pour effet d’affecter défavorablement et de façon importante la valeur des Sociétés.

Cette situation constitue un changement défavorable important affectant les représentations et garanties des Vendeurs, plus particulièrement celles prévues aux paragraphes 6.1.64 et 6.1.67 et 6.1.70 de la Convention.

Les données et motifs au soutien de la présente dénonciation ont été discutés à l’occasion de notre rencontre du 14 septembre 2001.

Par conséquent, nous vous avisons par la présente que nous dénonçons la Convention conformément aux dispositions du paragraphe 13.1.1 de la Convention.  La Convention sera donc résiliée et Vidéotron sera de plein droit, libérée de toutes ses obligations sans encourir de responsabilité, le tout conformément aux termes de la Convention.

[129]     Le document émane d’un avocat et restera donc inexpliqué par Hélie puisqu’il ne connaît pas les causes réelles de la dénonciation, tel qu’il appert de son témoignage du 2 octobre 2014.

LA COUR :

Q.   Est-ce que c’est vous qui l’avez écrite la lettre ?

R.   Non.

Q.   C’est peut-être pour ça.

R.   Non, non, ça a été… Écoutez, ces lettres-là, c’est rédigé par…

            C’est une question de moins, Monsieur le Juge.

R.    C’est moi qui l’ai signée par exemple, oui.

Q.   Le quatorze (14) septembre deux mille un (2001), est-ce que quelqu’un vous a informé du pourcentage de la marge de BAIIA au trente et un (31) mai deux mille (2000)?  Est-ce que quelqu’un vous a parlé de ça soit le quatorze (14) septembre ou avant le quatorze (14) septembre deux mille (2000) dans le cadre de la mise à jour de la vérification ou à d’autres moments ?  Avant que vous adressiez cette dénonciation, est-ce que quelqu’un a attiré votre attention sur les intérimaires au trente et un (31) mai deux mille (2000) ?

R.   Non.

Q.   Oui, ça, c’est le vôtre.  Il y a une annexe à 6.1.63 qui incorpore les intérimaires de Câble-Axion Digitel et de Câble-Axion Québec au trente et un (31) mai deux mille (2000), est-ce qu’il est exact que personne n’a attiré votre attention dans le cadre de la mise à jour de la vérification diligente ou à quelque moment que ce soit sur ces documents qui faisaient partie du contrat P-4?  C’est oui ou c’est non ?

R.   Ce qu’on a fait, ce que j’ai fait, la vérification diligente on a regardé la situation financière de la compagnie au trente (30) juin deux mille un (2001), à une telle date, on a pris un Polaroïd puis on a comparé avec trente et un (31) décembre quatre-vingt-dix-neuf (99).  On a pas fait chaque mois puis voir qu’est-ce qui s’était passé ou quoi que ce soit parce que commencer…

LA COUR :

Q.   Donc, votre réponse est non.

R.   Effectivement, c’est non.                                                            Nos soulignés.

[130]     Puisque la convention d’achat dénoncée a par la suite été résiliée, le Tribunal doit étudier l’étude faite a posteriori par les experts pour déterminer la justesse de la dénonciation.

LES EXPERTISES

[131]     Andrew Michelin confectionne un rapport le 31 août 2011.  La lecture et l’étude de son rapport est basé en grande partie sur une variation du BAIIA qui n’avait cependant jamais été expliqué ou connu d’Hélie qui a dénoncé la convention selon son témoignage ci-haut relaté.

[132]     Le BAIIA est une notion comptable et d’affaires qui consiste à établir le bénéfice avant impôt, intérêts et amortissement consolidé.

[133]     Cette notion sert entre autres à voir l’évolution de la marge bénéficiaire d’une entreprise à partir d’une date donnée.

[134]     Andrew Michelin conclu que cette marge (BAIIA) a diminué sensiblement entre le 31 août 1999 et le 31 août 2001, ce qui constitue selon lui un changement défavorable important, appelé en anglais MAC, c’est-à-dire Material Adverse Change.

[135]     La mission de l’expert tel qu’il l’a décrit était de :

« Whether or not there was a MAC justifying Videotron’s decision to terminate the Transaction »

[136]     La dénonciation du 14 septembre 2001 prétendait qu’un changement défavorable important modifiait les garanties données par les vendeurs aux paragraphes 6.1.64, 6.1.67 et 6.1.70 de la convention d’achat, soit la détérioration significative de la situation financière et de l’état des affaires des Sociétés du Groupe Câble-Axion depuis le 31 août 1999.

[137]     L’expert Michelin justifie l’affirmation de la défenderesse relative au changement important et significatif survenu en mai 2001 comme suit, à la page 24 et suivantes de son rapport D-149 :

In Sections 6.1 to 6.5, we discussed CCADI’s financial results from august 2000 and explain how the results impact Consortium’s financial position and enterprise value.  Our analysis can be summarized as follows :

·         Financial results had deteriorated significantly in comparison to the F1999 base year’s results.

·         The EBITDA margin percentage for F2000 relative to F1999 decreased by 19.6%.  The F2001 annualized EBITDA margin available to Videotron when it terminated the Transaction relative to F1999 decreased by 32.1%.

·         EBITDA dollars for F2000 ($2.35M) and annualized EBITDA ($2.15M based on the 10 month results to June 30, 2001) were lower than EBITDA for F1999 ($2.697M).

·         The significance of the decrease in EBITDA margin and EBITDA dollars is confirmed by CCADI’s results falling below the minimum calculated threshold implied by the «reduction in the number of subscribers paragraph of the Share Purchase Agreement.

·         CCADI’s cost structure had changed from F1999 such that expenses per subscriber had increased by $38 in F2000 and $34 in F2001 (relative to F1999).  The increase in expenses per subscriber more that offset an increase in subscribers (through acquisitions) and an increase in revenue per subscriber.  Given the reasons for the increased expenses, the observed significant decrease in profitability appeared permanent in nature.  Furthermore, subsequent to October 1, 2001, CCADI’s profitability continued to deteriorate, as indicated by its results for F2002 through F2007.

·         The budgeted and projected results for F2000 and F2001 reflected in the CIM were not being realized and the shortfalls were significant.

·         Other than during the period CCADI significantly increased its monthly selling expenses, the number of subscribers was trending steadily downward.  As at September 14, 2001 (the date when Videotron invoked the MAC), the estimated number of subscribers was 20,758 or 9.97% below the December 31, 1999 base number of subscribers established in the Share Purchase Agreement.  As at October 1, 2001 (the date when Videotron terminated the Transaction), the estimated number of subscribers was 20,607, more than 10% lower than the December 31, 1999 base number of subscribers.  The estimated number of subscribers as at September 14, 2001 and October 1, 2001 was confirmed by our calculation of the estimated number of subscribers as at September 30, 2001 (20,717 subscribers - see Schedule 6).  Pursuant to Paragraph 13.1.2 of the Share Purchase Agreement, the estimated number of subscribers at October 1, 2001 in and of itself constitutes a MAC.

·         The potential that Banque Nationale could withdraw its financing had a significant negative impact on CCADI’s enterprise value.

·         The degree of financial leverage in CCADI’s capital structure was such that the observed deterioration in EBITDA dollars and margins and absence of potential growth had a disproportionate negative impact on CCADI’s equity value.  

We believe that the deterioration in CCADI’s financial results and operating metrics (e.g. reduction of EBITDA margin, number or subscribers, expenses per subscriber, etc.) is a MAC and justified Videotron’s decision to terminate the Transaction.

[138]     L’étude de l’expertise démontre à la lumière du tableau P-65 et de la pièce D-203, que le BAIIA annualisé en dollars n’est jamais passé sous le seuil des montants figurant à ces documents basés sur le nombre d’abonnés.

[139]     Le Tribunal est du même avis que les demandeurs qui soutiennent que les conclusions de l’expert Michelin sur ce point ont été faussées par une mauvaise interprétation du nombre d’abonnés de base.

« Given the nature of its business and consistent with the industry, the average number of subscribers has a direct impact on CCADI revenues, EBITA (profitability) and value ».

[140]     Le Tribunal constate que le seuil (threshold) retenu par l’expert dans son calcul, page 40 et 41 cédules 2 et 3, est erroné puisque les véritables données contenues aux articles 13.1.2, 6.1.35 et 1.1 de la convention de vente démontrent qu’au moment où il y a dénonciation du contrat, il y avait plus d’abonnés par rapport à ceux existant au 31 décembre 1999.

[141]     Si le seuil avait été correctement déterminé par l’expert, son analyse du BAIIA en dollars réalisés aurait démontré que le nombre d’abonnés étaient demeuré dans les limites prévues au contrat P-4.

[142]     Il s’agit d’une erreur qui entache la fiabilité du rapport puisque de l’admission même de Michelin, le nombre d’abonnés est déterminant pour les revenus et la profitabilité de l’entreprise.

[143]     Cela suffit pour préférer le rapport d’expertise de Michel Hamelin puisqu’il constate que les résultats financiers des sociétés à la fin de l’exercice 2001, soit au 31 août, démontrent un pourcentage de la marge de BAIIA de 32.77%, alors qu’aux états financiers de la même année en mai, ils étaient de 25.9%.

[144]     Cette différence notoire est inexplicable pour Michelin.  Il n’en demeure pas moins que c’est ce résultat parcellaire qui a permis à la défenderesse de dénoncer le contrat  et d’invoquer un changement significatif.

[145]     Rappelons qu’en 1999, la marge BAIIA en pourcentage était de 30.68% en 2000 et de 32.77% en 2001, soit en progression pour cette année-là.

[146]     Cela dit, les pièces P-65 et D-203 démontrent que peu importe la date retenue entre le 31 août 1999 et le 31 octobre 2001, le BAIIA annualisé et ajusté en dollars n’a jamais diminué sous le seuil de l’un ou l’autre de ces montants.

[147]     La seule explication d’une baisse soudaine des revenus lors de la mise à jour de la vérification diligente pourrait se retrouver dans le phénomène de débranchement des abonnés en période de déménagement annuel au Québec et avec le rebranchement par la suite.

[148]     Au procès, appelé à commenter ce taux de débranchement, Pierre Karl Péladeau apporte la précision suivante (26 septembre 2014, pp 120-121)

R.  Ceci étant, il faut savoir qu’est-ce que c’est qu’un…t’sais.  Un taux de débranchements, est-ce que c’est un taux annuel ou c’est un taux trimestriel?  Puis un taux de débranchements est aussi accompagné d’un taux de branchements.  C’est normal, les…si mettons…Excusez-moi, Monsieur le Juge, de faire une précision là-dessus, là.  Ça c’est quelle date ça? Au mois d’août.  Oui, c’est ça..  Il y a un taux de débranchements très élevé, mais pour le mois de juillet, les gens déménagent.  C’est une spécificité québécoise, si je peux dire, là, historique certainement, ça parce que les gens sont locataires, mais ils se débranchent et se rebranchent parce qu’ils déménagent. »

[149]     Quoi qu’il en soit, la preuve d’un changement important et significatif n’a pas été faite sur une base comparative acceptable, c’est-à-dire en tenant compte de comparables admissibles, c’est-à-dire la comparaison entre les états financiers vérifiés annuels du mois d’août 2000 avec ceux du mois d’août 2001.

[150]     La défenderesse soumet qu’elle n’avait seulement que les résultats intérimaires de mai pour effectuer sa mise à jour et que l’on ne lui a jamais fourni ceux de juin et juillet après la dénonciation, ce qui aurait peut-être eu pour effet de modifier son opinion.

[151]     Le Tribunal est d’avis qu’on ne pouvait se servir d’une situation temporaire pour dénoncer le contrat et invoquer un changement significatif.

[152]     Vidéotron soutient ne pas avoir eu l’information financière en août 2001 lui permettant de prévoir une situation différente que celle révélée par les résultats intérimaires de juin 2001 (D-135).

[153]     Le Tribunal constate que M. Bourque avait reçu les prévisions financières des sociétés le 23 mars 2001 et le 24 mai 2001 (P-52, P54), ce qui selon son admission, lui aurait permis de calculer la marge de BAIIA comme l’a fait Blanchet aux pièces P-65 et P66.

[154]     De plus, en réponse à un questionnement du Tribunal, Vidéotron soumet que même si elle avait été en possession des états financiers vérifiés D-156 et des intérimaires de juillet et août 2001, elle n’aurait pas modifié sa décision.

[155]     Voilà qui est surprenant lorsque Vidéotron reproche aux demandeurs de n’avoir pas fourni ces documents après la dénonciation afin d’éviter l’annulation du contrat.

[156]     Le Tribunal comprend la position des vendeurs qui répondent qu’ils ignoraient le contenu exact du changement significatif et que de plus ils ne croyaient plus à la bonne foi de la défenderesse et à son désir de réaliser la transaction.

[157]     Le Tribunal constate enfin que l’expert Hamelin a diminué des frais non récurrents qui n’étaient pas reliés aux activités d’exploitation des sociétés.  Il s’agit d’ajustements non seulement logiques, mais impératifs afin d’établir la situation financière véritable de ces sociétés.

[158]     L’exercice terminé démontre que le BAIIA consolidé après ajustement ne démontre pas de changement significatif.

[159]     L’expert conclut son rapport sur ce point comme suit :

Conséquemment, nous sommes d’avis, contrairement à ce que prétend Vidéotron, que le BAIIA consolidé de Consortium, une fois les ajustements requis effectués, n’a pas, d’un point de vue strictement financier, connu une détérioration significative entre les exercices financiers terminés les 31 août 1999 et 2001.  Au contraire, il s’est maintenu en termes de pourcentage par rapport au chiffre d’affaires.

[160]     Le Tribunal rappelle qu’il appartient à la défenderesse de prouver le changement défavorable important à partir de faits inconnus ou non prévisibles.

[161]     Cette preuve n’a pas été remplie à la satisfaction du Tribunal, lui permettant de conclure que des changements significatifs et importants sont survenus depuis la signature du contrat P-4.

[162]     Si des changements ont été découverts lors de la mise à jour de la vérification diligente, l’expert Michelin n’a pu convaincre le Tribunal de leur existence ou appuyer les conclusions de cette mise à jour inconnue ou sa nature confidentielle.

LES DOMMAGES

[163]     Les demandeurs réclament à titre de dommages les sommes équivalentes à la perte réelle encourue suite à la vente de leurs actions à des tiers à une date différente que celle convenue avec la défenderesse.

[164]     La défense calcule les dommages potentiels comme suit, page 27 du rapport Michelin :

The offers received to acquire CCADI or an interest therein are summarized in the following table.  A brief summary of the offers (other than the Videotron offer) is found on Schedule 9 :

FIGURE 18

SUMMARY OF OFFERS RECEIVED

Date

From

Amount

Amount per subscriber

 

July 7 2000

Vidéotron

40,000

1,750

 

April 24 2001

Regional

34,875

1,550

 

April 25 2001

Persona

25,000

1,250

 

June 14 2002

Persona

25,350

1,250

(1)

August 28 2003

Desjardins

15,277

   830

(2)

October 2 2003

Innovatech

15,278

   815

(3)

July 8 2003

CCADI

23,438

1,250

(4)

November 17 2006

Dery Telecom

23,000

N/A

 

(1) On June 17, 2002 Persona announced in their press release they had acquired CCADI

(2) Desjardins acquired a 32.73% interest in CCADI for $5M

(3) Innovatech acquired an 18% interest in CCADI for $2.75M

(4) Internal value determined by CCADI as presented to Desjardins

Given CCADI’s deteriorating financial position between August 22, 2000 (the signature date of the Share Purchase Agreement) and October 1, 2001 (the Transaction termination date), we believe that the best estimate of CCADI’s fair market value is the average of the April 24, 2001 Regional offer of $34.875M and the June 14, 2002 Persona offer of $25.35M.  Accordingly, we estimate CCADI’s October 1, 2001 fair market value (enterprise value) to be $30.1M.

[165]     D’entrée de jeu, disons tout de suite que l’on ne peut se servir d’une offre d’achat non sollicitée en 2001 pour établir la mesure des dommages réclamés, puisque cette offre a été refusée d’une part et que les demandeurs étaient à cette époque liés avec la défenderesse.

[166]     La valeur des sociétés calculée à partir des offres de Regional et de Persona est établie à 30 millions par l’expert.

[167]     Cette somme ne peut être retenue ainsi que les calculs qui y mènent, car l’offre de Regional a été refusée.

[168]     Quant à l’offre de Persona, elle a été aussi refusée.  Elles ne peuvent donc avoir de base d’évaluation.

[169]     Le marché ne s’établit que par des ventes et non des offres refusées.

[170]     Il reste donc l’évaluation par les revenus, méthode que l’expert s’est attardé à développer comme alternative d’évaluation.

[171]     Le Tribunal reconnaît la valeur de cette approche, mais doit la rejeter dans le présent cas pour les motifs suivants :

[172]     La base de calcul des revenus et donc de la valeur, s’établie à partir du nombre d’abonnés.  L’expert Michelin se sert de données erronées sur le seuil des abonnés.  Il établit deux tableaux cédule 2 et 3, à partir de ces données.

[173]     Il détermine une valeur potentielle des sociétés qui servira aussi à démontrer l’existence d’un changement significatif et important.

[174]     La méthode de calcul de la valeur basée sur une donnée fondamentale erronée est fatale et empêche le Tribunal de la retenir comme un indice fiable.

[175]     Les chiffres de Michelin corrigés par l’expert Hamelin démontrent l’importance de l’erreur de base dans la recherche des résultats escomptés et sur la valeur des sociétés, (P-74, P-75, P-76).

[176]     Enfin, l’expert Michelin fait la démonstration à la page 34 de son rapport, qu’une différence dans le nombre d’abonnés retenus pour la détermination des dommages est très significative.

[177]     Le Tribunal préfère dans les circonstances, retenir les données et conclusions de l’expert Hamelin.  Elles sont plus susceptibles de refléter non seulement la réalité, mais aussi la valeur des dommages subis.

LE CALCUL DES DOMMAGES PAR L’EXPERT HAMELIN

[178]     La date retenue, avec raison, pour l’évaluation des dommages, est celle du 1er janvier 2001, soit celle convenue contractuellement pour la signature du contrat.  Les parties ont tenté de modifier cette date par amendement contractuel, sans succès, à de nombreuses reprises avant la dénonciation et l’annulation de la transaction.

[179]     Dans le calcul des dommages, il faut tenir compte de l’ensemble des investissements et retraits effectués pendant la période allant du 1er janvier 2001 à la date de la vente de 2007 afin d’établir l’écart entre les produits de disposition en dollars constants au 1er janvier 2001, et ces dépenses.

[180]     L’expert Hamelin, après avoir procédé aux ajustements requis et décrits aux pages 19 et suivantes de son rapport, et en conformité avec l’article 3 de la convention d’achat, établit le produit total de disposition auquel aurait eu droit chacun des demandeurs.

[181]     Il énonce la valeur de disposition de la transaction Vidéotron à 25 112 190 $ détaillé à son annexe 12 (page 38).

[182]     Quant à la valeur de disposition de la transaction Cooptel en dollars 2001, elle est établie à  6 762 201 $ selon ses annexes 14 et 15.

[183]     Il conclut à son annexe 16 que les dommages subis par les demandeurs s’élèvent à 18 886  943 $.

[184]     Ce montant a été calculé par l’expert Hamelin aux annexes 12, 14, 15 et 16 de son rapport.

[185]     Les dommages des demandeurs reportés selon leur quote-part sont :

Novacap :           8 088 861 $

Telus :              10 119 791 $

Paul Girard :          678 291 $

Total :               18 886 943 $

[186]     Le Tribunal retient la date réelle de la vente, soit 2007, puisqu’elle est le seul indice fiable du marché.

[187]     Toute autre date retenue pour fin de détermination de calcul relèverait de l’arbitraire.

[188]     Le Tribunal préfère retenir la date réelle de la transaction en l’actualisant à la valeur de la date originale de la transaction annulée.

[189]     Le Tribunal souligne que l’argument de Vidéotron brillamment exposé par ses procureurs sur la tardivité de la transaction de Cooptel doit être écarté.  Cette vente  constitue le seul élément fiable et valable sur l’indice de la valeur de revente des sociétés.

[190]     Le Tribunal admet que la vente est éloignée dans le temps, mais insiste sur la fiabilité de la transaction par rapport à des spéculations attrayantes, mais non prouvées.

[191]     En l’absence d’autre preuve, la vente sera retenue comme le meilleur indice de la valeur dans la détermination des dommages comme le soulignent les demandeurs; il s’agit d’une approche réaliste compte tenu des circonstances spéciales découlant de la nature de l’entreprise vendue.

LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE

[192]     Suite à l’analyse des faits et du comportement des parties, le Tribunal entend souligner l’état du droit et de la jurisprudence applicable en l’espèce.

[193]     Dans le cas de négociations longues et souvent procédurales, le tribunal exigera des parties un degré élevé de bonne foi, de loyauté et de collaboration.

[194]     Québecor Média est tenu aux droits de Vidéotron après l’avoir acquise à l’automne 2000.  Pendant un an, l’acheteur a négocié des ententes, des contrats, des demandes et des autorisations avec les représentants des sociétés du Groupe Axion, alors que les anciens propriétaires avaient toujours offert aux demandeurs une étroite collaboration dans le but de compléter la transaction dans un délai très court.

[195]     La preuve a démontré que le nouveau propriétaire de Vidéotron avait des difficultés financières et n’avait pas l’intention arrêtée d’acheter le Groupe Axion comme ses prédécesseurs l’avaient.

[196]     L’obligation de bonne foi se retrouve aux articles 6, 7, 1375 et 1457 du Code civil du Québec.

[197]     Comme le souligne l’auteur Vincent Karim[1].

La bonne foi dans les négociations

Lors de la négociation d’un contrat, les parties, outre qu’elles sont tenues à l’obligation de renseignement, doivent également respecter les obligations de loyauté, de confidentialité et de coopération qui découlent de la notion de bonne foi.

Relativement à la durée des négociations, c’est l’un des multiples facteurs à considérer pour conclure ou non à une absence de bonne foi de l’une des parties.  Ainsi, plus les négociations en vue de conclure le contrat projeté ont été longues et coûteuses, alors qu’elles ont atteint un stade avancé, moins la partie qui désire se retirer pourra le faire de manière unilatérale, sans aucune justification ou un motif sérieux.  En effet, en cas de retrait des négociations sans raison valable, la partie risque d’engager sa responsabilité envers son partenaire.

(…)

L’obligation de loyauté et de coopération

Corollaire de l’obligation de bonne foi, l’obligation de loyauté et de coopération doit régir la conduite des parties tant pendant l’exécution du contrat qu’au moment de son extinction.  La coopération consiste en l’adoption par les contractants d’une conduite qui facilite l’exécution du contrat et lui permet de produire son plein effet.  Les parties doivent donc favoriser un comportement qui permet la réalisation des objectifs communs du contrat, tout en assurant à chacune d’elles l’atteinte de ses buts personnels, sans toutefois nuire à l’intérêt de l’autre.  En d’autres termes le devoir de loyauté et de coopération qui découle du devoir général de bonne foi, implique nécessairement une saine collaboration entre le créancier et le débiteur pour permettre au contrat de produire tous ses effets dans un climat de confiance.

[198]     La conséquence du non-respect de l’obligation de bonne foi dans les négociations ainsi que de l’obligation de loyauté et de coopération est une fin de non-recevoir qui peut être soulevée à l’encontre d’une partie qui veut exercer un droit.[2]

[199]     La preuve révèle que dix (10) mois se sont écoulés environ entre l’achat de Vidéotron par Québecor et la rupture du contrat entre Vidéotron et les demandeurs.

[200]     Durant cette période de négociations ininterrompues, un travail colossal a été effectué dans la rédaction et la correction de conventions diverses.  En plus, la collaboration entre les intervenants financiers a été constatée quant à la divulgation des résultats financiers.

[201]     Vidéotron a trouvé un subterfuge pour mettre fin à ses obligations d’achat en invoquant une première modification importante et significative relativement à la Banque Nationale.

[202]     Ce changement invoqué s’est vite réglé, dès lors un deuxième changement significatif et important est invoqué suite à une mise à jour de la vérification diligente.

[203]     Il n’est pas nécessaire de revenir sur les circonstances cavalières dans lesquelles la dénonciation a été faite, la prise de décision d’annuler la transaction avant même que les délais de correction soient expirés pour conclure que Vidéotron n’a pas respecté ses obligations de bonne foi.

[204]     En d’autres termes, Vidéotron a agi de manière abusive et excessive au sens de l’article 7 C.c.Q.

Billards Dolly’s inc. c. Entreprises Prébour ltée, 2014 QCCA 842;

Provigo distribution inc. c. Supermarché A.R.G., 1997, CanLII 10209;

Formedica ltée c. Silipos Canada inc., 2010, Qccs, 6074.

[205]     Il ne faut pas prendre prétexte d’une exécution insatisfaisante pour que cesse cette obligation de bonne foi et que cesse la collaboration.  Il ne faut pas qu’une partie se fasse justice à elle-même et prétexter une prétendue exécution insuffisante pour mettre fin unilatéralement au contrat.

[206]     Il faut se rappeler que la partie qui s’engage a mis du temps et des efforts pour évaluer l’engagement.  L’entreprise a fait le choix d’aller en affaire avec l’autre partie.  La cessation abrupte des relations sans motif valable est un des accrocs les plus importants au respect du principe de la bonne foi de la loyauté en matière de relations contractuelles.

[207]     La défenderesse se devait d’agir de bonne foi et respecter son devoir de loyauté et de collaboration suite à sa mise à jour.

[208]     Elle ne pouvait pas simplement convoquer les demandeurs pour leur signifier que le contrat était dénoncé suite à un changement significatif, et sans collaborer avec les vendeurs pour corriger la situation.  Rien de cela ne fut fait, la preuve révélant qu’on a agi plutôt de façon cavalière.

[209]     Il se peut que Vidéotron avait des motifs sérieux pour dénoncer le contrat, mais pour y mettre fin, il lui fallait prouver qu’elle avait des motifs légitimes pour le faire.

[210]     Cette preuve qui lui incombe devait être faite au moment de la dénonciation afin que les vendeurs puissent y remédier le cas échéant. 

[211]     Le Tribunal estime que les vendeurs ont été mis dans une situation où ils ne pouvaient réagir.  Ils ont conclu avec raison que Vidéotron était de mauvaise foi et qu’il était inutile de vouloir compléter la transaction.

[212]     Le Tribunal estime que la mise à jour de la vérification diligente était un écran de fumée destiné à cacher la décision des dirigeants de Québecor Média, de trouver les moyens pour mettre fin à l’obligation contractuelle liant les parties.

[213]     La jurisprudence enseigne que le changement important ne doit pas être temporaire, ce qui est la situation de mai 2001.

[214]     On est passé d’un BAIIA ponctuel de 25 % à un annuel de 32.7 %.

[215]     De plus, le changement ne devait pas être prévisible.  La preuve révèle que Vidéotron recevait les données mensuelles relatives aux informations financières des sociétés.  D’ailleurs, Bourque a admis qu’avec ces données il aurait pu connaître la situation réelle s’il en avait fait l’étude.

[216]     Vidéotron savait ou devait savoir la situation réelle vu les informations qui lui étaient fournies.  Il ne pouvait y avoir de changements significatifs et importants soudainement découverts.

[217]     Le Tribunal en vient à la conclusion que la défenderesse n’a pas présenté une preuve prépondérante soutenant ses prétentions relatives au bien-fondé de la dénonciation du contrat pour cause de changement défavorable important et significatif.

INDEMNITÉ ADDITIONNELLE

[218]     L’article 1619 C.c.Q. dispose de l’indemnité additionnelle qui fait partie des dommages-intérêts accordés.

[219]     Elle fait partie de la discrétion judiciaire, mais doit être accordée sauf cas exceptionnels.

Alexis Nihon (Québec) c. Commerce et Industry Insurance Co./Canada 2002, CanLII 41222, QCCA.

[220]     L’indemnité additionnelle vise à compenser adéquatement le demandeur victorieux en période d’inflation lorsque le taux d’intérêt légal est très inférieur à celui du marché.  L’indemnité est en principe accordée par le tribunal, à moins de circonstances exceptionnelles.  La jurisprudence reconnaît deux cas précis qui justifient un tel refus, soit lorsque le montant demandé à l’origine est grossièrement exagéré ou quand le demandeur est responsable de délais importants.

[221]     À première vue, l’argument des défendeurs porte à réfléchir puisqu’il s’est écoulé pratiquement douze années entre l’institution des procédures et l’instruction au mérite.

[222]     La revue du dossier ne démontre cependant pas de retard indu découlant des agissements de la demande ou de son inaction.  Les interrogatoires et les procédures ont été longs, mais nécessaires.

[223]     Les délais s’expliquent aussi par la tentative de règlement envisagée au moyen d’une conférence de règlement à l’amiable.

[224]     La complexité du dossier a de plus nécessité des expertises.

[225]     Tous ces facteurs expliquent adéquatement les délais pour mettre ce dossier en état.

[226]     Rien ne milite en faveur du refus d’octroyer cette indemnité et de s’écarter de la règle qui l’accorde de manière générale.

Groupe DMR inc. c. Benoît 2006, QCCA 1357, CanLII;

Droit de la famille 071223, 2007, QCCA 735, CanLII.

[227]     Le Tribunal ne se voit pas autorisé à refuser cette indemnité pour des motifs valables.

RETRAIT DES DROITS LITIGIEUX ET INSOLVABILITÉ

LE DROIT DE RETRAIT ET LA VENT DE DROITS LITIGIEUX SUITE AUX CESSIONS DES BIENS DE PAUL GIRARD :

[228]     Paul Girard est l’un des demandeurs, il a fait cession de ses biens le 3 novembre 2006 et a été libéré le 4 août 2007.

[229]     Les droits du syndic sur la masse ou l’un des actifs du Failli ne lui ont jamais été rétrocédés.

[230]     Ce n’est que le 5 août 2014 que les procureurs de Vidéotron s’interrogent sur la capacité de Girard d’ester en justice, suite à une lettre envoyée aux procureurs de Girard à cet effet.

[231]     La réponse viendra au procès par la production d’une correspondance du 17 janvier 2007 entre la Banque Nationale et le syndic qui énonce ce qui suit  (P-72(a)) :

Comme vous le savez, Monsieur Paul A. Girard était, avant sa faillite, demandeur dans le cadre d’une poursuite intentée à l’encontre de Vidéotron Ltée dans le dossier portant le numéro 500-05-071104-028.

Or, notre cliente, à titre de créancière de Monsieur Girard, désire continuer l’action judiciaire au nom du failli et à cet effet, nous vous demandons de bien vouloir nous faire connaître les intentions du syndic relativement à cette poursuite et à savoir si d’autres créanciers se sont manifestés quant à cette dernière.

À cet effet, nous vous demandons de bien vouloir nous faire parvenir copie des noms et adresses des créanciers ayant preuve leur réclamation dans cette affaire en vue d’une Requête selon l’article 38 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, le cas échéant.

[232]     Le syndic répond à la banque le 22 janvier 2007 :

Pour faire suite à votre correspondance du 17 janvier dernier, nous vous informons que nous acceptons de vous céder les droits que le Syndic a ou aurait pu avoir dans la poursuite du failli, demandeur contre Vidéotron Ltée, portant le numéro de Cour 500-05-071104-028

Il va sans dire que le tout est sans préjudice aux droits des tiers ou d’autres créanciers qui pourraient également vouloir se joindre à votre requête.

(…) Lors de l’assemblée des créanciers, le créancier Câble Axion Digitel inc. nous a souligné l’intérêt possible de reprendre l’action également.

[233]     Aucune requête et ordonnance en vertu de l’article 38 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et aucune cession dûment autorisée par les inspecteurs n’a été produite au dossier.

[234]     Au procès, les demandeurs ont de plus produit une Convention de cession de droits entre la Banque Nationale et monsieur Girard.  Cette dernière prévoit ce qui suit :

La Banque cède par les présentes à Girard, ce dernier acceptant, le droit d’action de Girard dans l’affaire portant le numéro 500-05-071104-028 qu’elle avait acquis du syndic à la faillite de Girard.

Cette cession de la part de la banque est faite sans garantie de quelque nature que ce soit et aux risques de Girard.

En contrepartie de cette cession, Girard s’engage à payer à la Banque la somme de 65 000 $, incluant capital, intérêts et frais, prioritairement à même toute somme perçue, s’il en est, par voie de jugement final ou d’entente à l’amiable dans le cadre de l’affaire portant le numéro 500-05-071104-028.

[235]     La somme de 65 000 $ correspond à environ 9.6 % du montant total de    678 579 $ réclamé par monsieur Girard en l’instance, selon l’expert Hamelin.

[236]     Au procès, les procureurs des demandeurs ont informé la cour que le paiement prévu à l’article 4 de cette Convention était conditionnel à un jugement final en faveur de monsieur Girard ou d’une entente à l’amiable avec ce dernier.

[237]     Le 20 octobre 2014, les procureurs de Vidéotron ont communiqué aux procureurs de monsieur Girard un avis de retrait en vertu de l’article 1784 C.c.Q.

Soyez avisé que Vidéotron se prévaut de son droit de retrait prévu à l’article 1784 du Code civil du Québec.  Conformément à cet article, Vidéotron s’engage à payer à monsieur Girard la somme de 65 000 $ aux mêmes termes et conditions que celles contenues dans la Convention.

Compte tenu de ce qui précède, Vidéotron est entièrement déchargée de la réclamation de monsieur Girard en l’espèce, sauf en ce qui concerne l’engagement souscrit aux présentes.

La présente lettre vous est communiquée sous réserve de l’ensemble des moyens de défense de Vidéotron contre l’action instituée dans la présente affaire et sans admission de quelque nature que ce soit, y compris quant à la responsabilité de Vidéotron ainsi que quant à la validité de la Convention ci-jointe, des droits visés par cette dernière et à l’intérêt de Paul Girard dans la présente affaire.

[238]     Malgré cet avis de retrait, les procureurs de la défense soulèvent l’intérêt juridique de Girard d’ester en justice dans la réclamation sous étude pour les motifs suivants :

1.    les demandeurs n’ont fourni aucune preuve du transfert des droits litigieux du syndic à la faillite de monsieur Girard à la Banque Nationale.  Aucune requête et ordonnance en vertu de l’article 38 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et aucune cession dûment autorisée par les inspecteurs n’a été produite au dossier.

2.    en l’absence d’une cession valide des droits litigieux de Paul Girard par le Syndic à la Banque Nationale, les droits litigieux de Paul Girard sont demeurés sous la saisine du Syndic et n’ont pu être validement cédés par la Banque Nationale à Paul Girard.  Paul Girard ne dispose donc pas de l’intérêt requis pour agir à titre de demandeur en l’instance; et une action inscrite par un failli n’ayant pas fourni la preuve de la rétrocession de son droit d’action est irrecevable et doit être rejetée par le Tribunal pour défaut d’intérêt.

DROIT DE RETRAIT

[239]     Le droit d’action en l’instance est un droit litigieux.

Article 1782 C.c.Q.

1782.  Un droit est litigieux lorsqu’il est incertain, disputé ou susceptible de dispute par le débiteur, que l’action soit intentée ou qu’il y ait lieu de présumer qu’elle sera nécessaire.

L’article 1784 C.c.Q. prévoit le droit pour une partie d’exercer un droit de retrait lorsqu’une vente de droits litigieux a lieu :

 1784.    Lorsqu’une vente de droits litigieux a lieu, celui de qui ils sont réclamés est entièrement déchargé en remboursant à l’acheteur le prix de cette vente, les frais et les intérêts sur le prix, à compter du jour où le paiement a été fait.

Ce droit de retrait ne peut être exercé lorsque la vente est faite à un créancier en paiement de ce qui lui est dû ou à un cohéritier ou copropriétaire du droit vendu, ou encore au possesseur du bien qui est l’objet du droit.  Il ne peut l’être, non plus, lorsque le tribunal a rendu un jugement maintenant le droit vendu ou lorsque le droit a été établi et que le litige est en état d’être jugé.

[240]     La convention signée entre Girard et la Banque Nationale est en soit une vente de droit litigieux, car :

a)      la Banque Nationale a transféré à monsieur Girard la propriété du droit d’action qu’elle allègue détenir;

b)      lequel droit est disputé par Vidéotron;

c)      moyennant un paiement de 65 000 $ que Girard s’engage à payer à la Banque.

[241]     La convention démontre qu’elle est conditionnelle à l’obtention d’un jugement favorable.  C’est une condition suspensive au paiement jusqu’à la réalisation de cette dernière.

[242]     Cela est conforme aux articles 1497 et 1506 C.c.Q., ainsi qu’à la doctrine.

Il s’agit du prix de vente du droit litigieux.  C’est le montant réel qui doit être remboursé et non le prix fictif qui a pu être établi par le cédant et le cessionnaire, prix qui a pu être majoré afin de rendre le retrait plus difficile à exercer par le cédé.  Il appartient au retrayant de faire la preuve du prix réel de la vente.  Si plusieurs biens ont été cédés avec la créance litigieuse pour un prix global et unique, il convient de déterminer le montant du prix correspondant à la créance retrayée.  Dans le cas où le droit litigieux a fait l’objet de cessions successives, le retrayant doit verser au retrayé, dernier cessionnaire au jour du retrait, le prix qu’il a payé à son vendeur.  Enfin, lorsque le retrayé n’a pas encore payé le montant de la vente au cédant, le retrayant va bénéficier du délai qui a été accordé par le cédant au cessionnaire et il acquittera le montant directement au cédant à l’époque prévue par la convention.[3]

[243]     Enfin, la jurisprudence souligne que les dispositions relatives à la vente des droits litigieux existent afin d’éviter la spéculation et la vente de procès.

[244]     Le juge Clément Gascon dans Deutsche Bank AG écrivait :

Le fondement des dispositions du Code civil du Québec sur la cession des droits litigieux est simple :  éviter la spéculation sur l’issue des procès.  Le législateur ne veut pas encourager la vente de procès, ni favoriser les personnes qui profitent d’une situation pour acheter à bas prix des droits incertains qui peuvent leur rapporter beaucoup.  C’est l’aspect de spéculation sur des droits litigieux que le législateur veut encadrer et décourager.[4]

[245]     Nous sommes dans un cas similaire à Deutsch Bank puisqu’ici on vend un droit litigieux pour une fraction de la valeur potentielle d’un jugement éventuel.  Il s’agit de la vente d’un procès et de son issue, ce qui est clairement spéculatif.  C’est précisément ce que le texte de l’article 1784 C.c.Q. vise.

[246]     Dans 9050-0158 Québec inc. c. Restaurants Mikes inc., 2006, QCCS 6428, CanLII, la Cour a aussi refusé de considérer la portion du paiement conditionnelle au succès de l’action dans le calcul des sommes payables à titre de droit de retrait.  Dans cette affaire, les parties avaient convenu du paiement d’un montant de 5000 $ plus une somme additionnelle représentant 1% du montant à être reçu dans le cadre du jugement à intervenir :

Il est acquis également que la présente situation ne correspond pas à l’une des exceptions mentionnées au deuxième alinéa de l’article 1784 du Code civil du Québec, ce qui ferait obstacle à l’exercice du droit de retrait par la défenderesse, les Restaurants Mikes inc.

La demanderesse en reprise d’instance allègue qu’il s’agit plutôt d’une situation particulière résultant de la convention conclue avec le syndic Raymond Chabot inc., plus précisément en regard de l’application de la clause 5, qui prévoit le versement à la masse des créanciers d’une somme additionnelle représentant 1% du montant net qui pourrait lui échoir, notamment par jugement.  Cela empêcherait, selon ses prétentions, l’exercice du droit de retrait, car les conclusions du jugement du Tribunal sont inconnues et il faut attendre celui-ci pour déterminer le montant à payer.

Cependant, une fois le jugement rendu, le droit de retrait ne peut davantage être exercé puisqu’il se heurte à l’exception prévue à l’article 1784 du Code civil du Québec, soit lorsque le droit a été établi et que le litige est en état d’être jugé.

Lorsqu’une vente de droits litigieux a lieu, il n’est pas contesté qu’un droit de retrait naît du seul effet de la loi sous réserve des exceptions.  Qu’en est-il par ailleurs lorsque l’acheteur s’engage à verser à un syndic et/ou créancier un pourcentage du montant qu’il se verra attribuer par le Tribunal, à l’issue des procédures ?  Dans l’affaire Kuczer et Van Thoi c. Mendel, la Cour d’appel émet à ce sujet le commentaire suivant :

« En outre, c’est à bon droit que la juge a refusé de considérer le « 5% of any proceed ultimately recovered in excess of the direct out-of-posket expenses incurred by the Assignee [Kuczer] in pursuing the recovery of the Mendel Claims» éventuellement payable par Kuczer au syndic, le prix à être remboursé par le retrayant à l’acheteur devant être celui réellement payé au vendeur. (…) »

En l’espèce, le prix réellement payé au vendeur par madame Rivard, demanderesse en reprise d’instance, est de 5 000 $, auquel il faut ajouter les frais et les intérêts sur le prix, conformément à l’article 1784 du Code civil du Québec.

Quant à la somme additionnelle représentant 1 % du montant net qui pourrait lui échoir par jugement, le Tribunal est aussi d’avis de ne pas en tenir compte, car elle ne correspond pas au prix réellement payé par la demanderesse en reprise d’instance au vendeur, le syndic Raymond Chabot inc.[5]

[247]     Il faut se souvenir cependant que dans la présente affaire, le syndic ne s’est jamais départi de ses droits en obtenant les autorisations des inspecteurs et du Tribunal.  La convention de cession n’a pas de valeur légale, pas plus que le droit d’action de M. Girard.

[248]     L’avis de retrait de Vidéotron devient donc inutile.

[249]     Au surplus, le Tribunal constate que la convention en plus d’être nulle, a été signée en septembre 2014 après la libération du failli, le 4 août 2007 et après une deuxième faillite enregistrée le 23 août 2013.

DEUXIÈME FAILLITE

[250]     Le syndic Tardif de Raymond Chabot a déposé une comparution en reprise d’instance à l’audition du 29 septembre 2014.

[251]     La question qui se pose devant les faits entourant ces faillites est la suivante :

Qu’adviendra la créance éventuelle découlant d’un jugement favorable dans l’instance principale ?

[252]     Cette créance demeure-t-elle dans le patrimoine de la première faillite ou est-elle dévolue au patrimoine et à la saisine du syndic de la deuxième faillite.

[253]     Le Tribunal a déjà établi que le syndic de la première faillite n’avait pas objection à ce que les droits litigieux de Girard soient transférés à la Banque Nationale.  Cependant, cette dernière n’a jamais présenté de requête pour recevoir l’autorisation du Tribunal à ce transfert (art. 38 L.F.I).

[254]     Il faut conclure que la créance éventuelle est demeurée la propriété de la masse de la première faillite même si le syndic a été libéré.

[255]     Dans le dossier Fortier (Faillite de)[6], un cas similaire a fait l’objet d’une décision qui nous aide à trouver la solution.

[256]     Le juge Roger Bandford écrit dans sa décision :

Cependant, à l’occasion, le syndic pourra se dessaisir de certains biens du failli.  Pour ce faire, toutefois, il ne suffit pas d’une déclaration orale, d’une mention écrite sur un rapport ou même d’une conduite empreinte d’un manque d’intérêt à l’égard d’une catégorie de biens.

Pour que le syndic libère un bien de faillite, la loi lui impose une formalité particulaire, soit l’obtention de l’autorisation préalable des inspecteurs.

Ainsi, l’article 30(1) a) L.F.I. encadre le pouvoir du syndic d’aliéner un bien en l’assujettissant à la permission des inspecteurs.  De même, l’article 40(1) prévoit que tout bien du failli non réalisable est retourné à ce dernier, avec la permission des inspecteurs.  Cette exigence s’applique aussi à une renonciation de droit ou d’intérêt sur un bien immobilier, selon l’article 20(1) L.F.I.

Par conséquent, si le syndic a la possession de tous les biens du failli, y compris ceux exempts d’exécution ou insaisissables, et qu’il ne peut aliéner les biens sans la permission des inspecteurs, les actes de dessaisissement invoqués par l’intimé au soutien de sa contestation ne sont pas suffisants pour permettre de conclure que le syndic a abandonné ses droits sur le REER litigieux, en l’absence de toute preuve de l’accord des inspecteurs de la faillite.

Il nous faut donc conclure, dans les circonstances, que les biens litigieux demeurent, pour l’instant, sous contrôle du Syndic Requérant.

[257]     Le défaut du failli Gingras d’avoir fourni la preuve de la rétrocession de son droit d’action par le syndic de sa première faillite rend ce droit d’action irrecevable.

Après sa libération, le failli pourrait obtenir la remise de droits d’actions intentées avant sa faillite, mais cette remise est généralement assortie de l’engagement de remettre au syndic le montant des jugements obtenus.  Il s’agissait de droits détenus par le failli au moment de sa faillite,  En faisant faillite, les droits du débiteur d’intenter ou de continuer une action en justice ont été dévolus au syndic.  Cette capacité peut renaître lors de la libération du failli, si le syndic a rétrocédé ses droits.  Si l’on découvre, après coup, un droit d’action qui n’a pas été révélé au syndic avant sa libération, le droit pourra être rétrocédé au failli, le failli prenant l’engagement de remettre tout montant retiré de l’exercice de ce droit et qui aurait dû être révélé et dévolu au syndic dès le moment de la faillite.  Une action ou un appel inscrit par le failli sans prouver sa libération et la remise des droits par le syndic est donc irrecevable.  La rétrocession valide peut corriger rétroactivement un défaut de capacité qui aurait affecté le recours du failli et permettre d’interrompre la prescription.[7]

[258]     La Cour d’appel dans l’arrêt Assurance Luc Vaillancourt, énonce :

En vertu de l’article 67 de la Loi, le syndic a la saisine de tous les biens du failli; donc, la prétendue créance de Luc Vaillancourt a été cédée au syndic par l’effet de la cession de biens.

En vertu de l’article 40 de la Loi, le syndic peut, sur permission du tribunal, rétrocéder un bien au failli, s’il est  « incapable d’en disposer » et il doit même le faire, avant sa libération, pour tout bien « trouvé non réalisable » :

40 (1)  [Aliénation des biens  non réalisables]  Avec la permission des inspecteurs, tout bien du failli trouvé non réalisable est retourné à ce dernier avant la demande de libération du syndic.

(2)        [Aliénation finale des biens]  Lorsqu’un syndic est incapable de disposer d’un bien selon le présent article, le tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il juge nécessaire.

En l’espèce, le dossier ne révèle pas que la prétendue créance de Luc Vaillancourt contre la succession Raoul Charland lui a été rétrocédée ni même que le syndic a été libéré.[8]

Dans de telles circonstances, notre cour, dans Thompson c. Coulombe, a statué que le failli n’avait pas la capacité pour ester en justice.

[…]

Luc Vaillancourt n’ayant pas la capacité d’agir, son pourvoi doit donc être rayé du rôle.

[259]     Le Tribunal conclut que l’absence d’une rétrocession par le syndic du droit d’action (art. 40 L.F.I.) est fatale puisque Girard n’a pas l’intérêt requis pour ester en justice.

[260]     De plus, comme le souligne la Cour d’appel dans l’arrêt Thompson[9], la libération du syndic et du failli après la première cession n’a pas eu pour effet de remettre les droits litigieux dans le patrimoine du failli s’ils n’avaient pas été exercés par le syndic.  Ces droits continuent d’être soumis à la saisine du syndic et faire partie des actifs de la faillite (art. 40.10  L.F.I.).

[261]     Dans le cas d’une deuxième faillite, il faut déterminer si des droits litigieux qui auraient pris naissance avant la première faillite sont transmis au syndic de la deuxième faillite.

[262]     Le Tribunal répond par la négative puisqu’aucun droit dévolu au syndic par l’effet de la première cession n’a été rétrocédé au failli en quelque moment que ce soit.  Ils étaient exclus de son patrimoine au bénéfice de la masse et le sont restés en l’absence d’une rétrocession du syndic.  Ils n’ont en conséquence, pu être transmis au nouveau syndic lors de la deuxième cession.

[263]     Le recours de Girard est donc irrecevable, ainsi que celui du syndic Raymond Chabot en reprise d’instances pour la 2e cession des biens du failli, sauf à se pourvoir, le cas échéant par les ayants droits, comme l’écrit la Cour d’appel dans l’arrêt Thompson.

CONCLUSIONS

[264]     POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

[265]     REJETTE la réclamation de Paul Girard, sauf à se pourvoir par ses ayants droits pour un montant de 678,291 $;

[266]     LE TOUT sans frais.

[267]     ACCUEILLE l’action des demanderesses à l’exclusion de Paul Girard pour une somme de 18 208,652 $, avec intérêt au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle depuis l’assignation;

 

[268]     LE TOUT avec dépens.

 

 

 

 

__________________________________

PIERRE JOURNET, J.C.S.

 

 

 

Me Yvan Bujold

Me Denis Cloutier

Cain Lamarre Casgrain Wells

Procureurs des demandeurs et demanderesses en reprise d’instance

 

Me Louis Martin O’Neil

Me William Brock

Me Andréanne Fortin

Davies Ward Phillips & Vineberg

Procureurs de la défenderesse

 

Me Anthony Hemond

Procureur de Québecor

 

Dates d’audience:

3, 4, 8, 9, 16, 17, 18, 23, 24, 25, 26, 29, 30 septembre 2014

1er, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 21, 22, 23, 24, 29, 30 octobre 2014.

 



[1] KARIM, Vincent, Les obligations, 3e édition, éd. Wilson & Lafleur, vol. 1, 2009, pp. 79-80; 101-102.

[2] Fiducie canadienne Italienne c. Folini, 2001, CanLII 20608, QCCA; Banque Nationale du Canada c. Houle, 1990, CanLII 58; Banque Nationale du Canada c. Soucisse et als, 1981, 2RCS 339.

 

 

 

[3] Michel POURCELET, la vente, 5e édition, Montréal, Les éditions Thémis, 1987, p. 244, Onglet 9;

 

[4] Deutsche Bank AG, Canada Branch c. Hariz, 2003 CanLII 553 (QC CS).

[5] 9050-0158 Québec inc. c. Restaurants Mikes inc., 2006 QCCS 6428 (CanLII).

 

[6] Fortier (Faillite de) c. London Life Cie d’assurance-vie, AZ-50156124.

[7] Jacques DESLAURIERS, La faillite et l’insolvabilité au Québec, 2e éd., Wilson & Lafleur, Montréal, 2011, para. 2230.

[8] Assurances Luc Vaillancourt inc. c. Charland, JE 97-484 (CA), pp. 305.

[9] Thompson c. Coulombe, J.E. 85-113.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.