Décision

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Taillefer c. Turcot

2014 QCCS 5561

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

 

N° :

505-17-005564-119 

 

 

 

DATE :

Le 14 novembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

JEAN-FRANÇOIS TAILLEFER

Demandeur

c.

ANDRÉ TURCOT

          Défendeur

-et-

L’OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA

CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE LAPRAIRIE

-et-

NICOLAS TÉTRAULT

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

TRANSCRIPTION DES MOTIFS RÉVISÉS

DU JUGEMENT PRONONCÉ SÉANCE TENANTE

LE 11 NOVEMBRE 2014

______________________________________________________________________

 

1.         INTRODUCTION

[1]          Le défendeur, André Turcot, demande la rétraction d’un jugement rendu contre lui le 7 décembre 2011, par défaut de plaider.  Ce jugement accueille le recours hypothécaire de prise en paiement d’un immeuble lui appartenant et lui ordonne de le délaisser en faveur du demandeur, Jean-François Taillefer.

[2]          M. Turcot demande aussi de déclarer nulle et non avenue une promesse d’achat d’un immeuble conclue avec le demandeur et le mis en cause, Nicolas Tétrault, qui avait pour effet de régler le litige.

[3]          Le vendeur soulève la tardiveté de la requête en rétractation de jugement, son absence de fondement et la validité de l’entente entre les parties dont le défendeur demande l’annulation.

[4]          Enfin, il fait valoir le défaut du demandeur de procéder en temps utile à l’inscription de l’avis d’abandon prévu à l’article 2779 du Code civil du Québec.

2.         LE CONTEXTE

[5]          Le 12 octobre 2005, André Turcot emprunte 180 000 $ de Jean-François Taillefer qu’il garantit par une hypothèque sur un immeuble à St-Constant (« l’Immeuble »).    Cet emprunt vise à permettre à M. Turcot de racheter l’Immeuble d’un créancier hypothécaire antérieur qui le lui rétrocède après en être devenu propriétaire lors d’un recours hypothécaire contre M. Turcot[1].

[6]          En 2006, M. Turcot consent une hypothèque de second rang à Services Financiers Agri-Com ltée de 125 000 $[2].

[7]          En 2007, le Ministre des Transports inscrit au registre foncier un avis d’expropriation d’une portion de l’immeuble.  Dans les jours qui suivent, M. Taillefer publie un préavis d’exercice de prise en paiement et un avis de retrait d’autorisation de percevoir les loyers en raison du défaut de M. Turcot de remplir les obligations prévues au contrat de prêt de 2005.

[8]          M. Taillefer consent ensuite à ce qu’une portion de l’indemnité provisionnelle du Ministre des Transports soit remise à M. Turcot pour lui permettre de payer certaines autres dettes et, notamment, une portion de la dette du créancier de second rang.  En contrepartie, M. Turcot consent une hypothèque mobilière sans dépossession sur les indemnités à recevoir du Ministre des Transports relativement à l’expropriation d’une portion de l’Immeuble[3].

[9]          Le 27 novembre 2009, M. Turcot reconnaît être endetté envers M. Taillefer d’une somme de 211 188,84 $. M. Taillefer consent à renouveler le prêt hypothécaire jusqu’au 11 juillet 2010, date à laquelle il deviendra exigible[4].

[10]        En 2010, M. Taillefer signifie et publie un nouvel avis de retrait d’autorisation de percevoir les loyers en raison des défauts de M. Turcot de remplir ses obligations.

[11]        En mai 2011, Me Sylvie Boucher, l’avocate de M. Turcot, perçoit  l’indemnité finale du Ministre des Transports et remet directement à M. Turcot 73 114,95 $, après paiement de ses honoraires[5].

[12]        Informé de la remise faite à M. Turcot malgré l’hypothèque mobilière en sa faveur, M. Taillefer inscrit un nouveau préavis d’exercice d’un droit hypothécaire de prise en paiement, le 2 août 2011 qu’il signifie préalablement  à M. Turcot.  Il y allègue le défaut de rembourser 241 276,94 $, en capital et intérêts, arrêtés au 28 février 2011, c’est-à-dire le capital échu depuis le 11 juillet 2010 et les intérêts[6].

[13]        Le 24 août 2011, M. Turcot accepte une promesse d’achat de l’immeuble de Paul Teitelman, Rajiv Pancholy et Nicolas Tétrault pour un prix de 1 400 000 $[7].  Cette offre d’achat comporte différentes conditions et notamment, l’analyse du bail à la satisfaction des acheteurs et la vérification du terrain par l’ingénieur des acheteurs.  Elle est aussi conditionnelle à l’achat de 60 % des actions d’une compagnie liée aux locataires de l’Immeuble pour une somme maximale de 800 000 $.  L’offre prévoit aussi la signature du contrat de vente le 25 septembre 2011.

[14]        Le 2 novembre 2011, M. Taillefer signifie à M. Turcot une requête en délaissement forcé et prise en paiement de l’Immeuble dans le présent dossier.  La requête est présentable le 2 décembre 2011.

[15]        Le 16 novembre 2011, Me Claude Rousseau, mandaté par M. Turcot, met en demeure les trois promettant-acheteurs de se conformer aux obligations souscrites à leur promesse d’achat et de signer l’acte de vente au plus tard le 23 novembre 2011, en plus d’en acquitter le prix.  Il mentionne que M. Turcot a rempli toutes les conditions nécessaires préalables à la vente[8].

[16]        Le 1er décembre 2011, M. Taillefer rencontre Messieurs Turcot et Tétrault et, au terme d’une discussion, les trois signent un document intitulé « Promesse d’achat et de vente d’immeuble »[9].  M. Taillefer s’engage à y vendre une portion indivise de 70 % de l’Immeuble à Messieurs Turcot et Tétrault au prix de 300 000 $, à la condition de devenir propriétaire de l’Immeuble avant le 15 janvier 2012, à la suite de sa prise en paiement dans le cadre du recours hypothécaire.

[17]        Le prix de vente est payable par M. Tétrault comme suit :

-           30 000 $, lors de la signature de la promesse d’achat;

-          le solde de 270 000 $, au plus tard le 1er juin 2013; les intérêts sur le solde, au taux de 6 % l’an, sont payables mensuellement par M. Turcot et M. Tétrault, dans une proportion de 36 % pour le premier et 64 % pour le second;

-          le solde du prix de vente sera garanti par une hypothèque de premier rang en faveur de M. Taillefer.

[18]        À la demande de M. Turcot, une clause spéciale lui permet d’hypothéquer ses droits indivis de 25 % en faveur de Services financiers Agri-Com ltée, envers qui il est endetté.  M. Tétrault s’engage aussi à cautionner le remboursement de cette somme et à consentir une hypothèque de ses droits indivis pour garantir son engagement.

[19]        Lors de la conclusion de cette entente, M. Tétrault n’a pas de chèque avec lui et le dépôt de 30 000 $ est reporté dans les jours qui suivent.

[20]        Le 18 décembre 2011, M. Taillefer procède sur sa requête en délaissement forcé en vue de l’obtention du jugement le déclarant propriétaire de l’Immeuble.

[21]        L’avocate de M. Turcot, Me Sylvie Boucher, qui a comparu pour ce dernier, ne se présente pas à la Cour, ayant été informée la veille par son client qu’un règlement était intervenu.

[22]        Le 7 décembre 2011, le jugement est rendu qui accueille la requête de M. Taillefer et le déclare propriétaire de l’Immeuble à compter de l’inscription du préavis le 2 août 2011, en plus d’ordonner à M. Turcot de délaisser l’Immeuble pris en paiement.

[23]        Ce même jour, Me Sylvie Boucher écrit à M. Turcot et lui mentionne :

Selon les instructions reçues lors de notre dernière conversation téléphonique, je confirme que j’ai laissé passer la date de présentation de la requête de prise en paiement, de sorte que le jugement sera rendu par défaut de plaider.[10]

[24]        Le 19 décembre 2011, M. Turcot reçoit la signification du jugement.

[25]        Le même jour, une réponse à la mise en demeure du 16 novembre 2011 relativement à la signature de la vente est transmise à Me Claude Rousseau.  Les promettant-acheteurs considèrent que la promesse d’achat du 24 août 2011 est nulle, vu le défaut de M. Turcot de remplir les conditions qui y étaient prévues.  La promesse d’achat leur apparaît aussi incompatible avec l’entente conclue le 1er décembre 2011 avec Messieurs Tétrault et Taillefer[11].

[26]        Le 22 décembre 2011, Me Jacques Savard, un nouvel avocat mandaté par        M. Turcot, dépose une requête introductive d’instance en passation de titre contre Messieurs Tétrault, Teitelman et Pancholy, fondée sur la promesse d’achat du mois d’août 2011[12].

[27]        Le 6 janvier 2012, Me Savard remet à M. Turcot une lettre où il exprime son opinion quant à certaines questions soulevées par le mandat qui lui a été confié[13].  Il rappelle à M. Turcot qu’il n’est plus le propriétaire de l’Immeuble et qu’il ne pourra plus le vendre lorsque le jugement sera publié au registre foncier. Il le presse de régler d’urgence cette situation avec M. Taillefer.

[28]        M. Turcot rencontre à nouveau Me Savard le lendemain et lui remet différents documents.  Lorsqu’il prend connaissance de l’entente conclue avec Messieurs Taillefer et Tétrault, le 1er décembre 2011, Me Savard décide de se retirer du dossier et de cesser de représenter M. Turcot.

[29]        Le 20 janvier 2012, M. Turcot signifie une requête en rétractation du jugement  où il est représenté par ses procureurs actuels.  Le 27 février 2012, sa requête est amendée; il demande dorénavant de :

        rétracter le jugement rendu le 7 décembre 2011;

        accueillir sa défense et de rejeter le recours hypothécaire de prise en paiement;

        lui permettre de produire un avis d’abandon de la prise en paiement;

        ordonner la vente sous contrôle de justice de l’Immeuble et d’en fixer les conditions de vente;

        annuler l’entente et la promesse d’achat du 1er décembre 2011.

[30]        Les parties ont produit les interrogatoires hors Cour de Messieurs Turcot et Taillefer.

[31]        À l’audience, elles font l’admission suivante :

Une personne s’est présentée le 1er décembre 2011 au bureau de Lalonde, Geraghty, Riendeau, Lapierre, afin de remettre un chèque au montant présumé de 271 381,62 $.

Cette personne devait probablement représenter Gestion Gamarco inc.[14]

[32]        Les parties conviennent de procéder tant sur le rescindant que sur le rescisoire.

3.         LE RESCINDANT

            3.1       La tardiveté

 

[33]        M. Turcot plaide avoir été dans l’impossibilité de produire sa requête dans le délai de 15 jours prévu au Code de procédure civile.  Il soutient avoir agi avec diligence après avoir pris connaissance du jugement lors de sa signification.

[34]        La requête, appuyée de son affidavit et de celui de son avocat, mentionne que ce n’est qu’en date du 15 décembre 2011 qu’il a eu connaissance du jugement, ce dont il témoigne à l’audience.  Le procès-verbal de signification du jugement démontre que cette signification est faite le 19 décembre 2011.

[35]        Que l’on retienne l’une ou l’autre de ces dates, la requête en rétractation de jugement produite le 20 janvier 2012 excède le délai de 15 jours.

[36]        M. Turcot explique son impossibilité d’agir plus tôt par :

        l’absence de Me Sylvie Boucher, l’avocate ayant comparu pour lui dans le dossier du 15 décembre 2011 au 16 janvier 2012;

        la recherche d’un avocat pour exercer ses droits, lequel aurait omis de procéder à la rétractation du jugement[15];

        le choix inapproprié du recours intenté, c’est-à-dire l’action en passation de titre fondée sur la promesse d’achat du mois d’août 2011[16];

        le retard est dû à des facteurs externes, c’est-à-dire la complicité du demandeur et des promettant-acheteurs, en sus des recours inappropriés[17].

[37]        La preuve ne démontre aucun des motifs justifiant le retard de M. Turcot à produire sa requête en rétractation de jugement ni son impossibilité d’agir.

[38]        Dès le 1er décembre 2011, M. Turcot sait que le jugement sur le recours hypothécaire de M. Taillefer sera rendu sous peu puisque :

        il est prévu lors de la signature de la promesse d’achat du 1er décembre 2011 avec Messieurs Taillefer et Tétrault;

        il avise Me Boucher de ne pas se présenter à la Cour car un règlement est intervenu;

        Me Boucher lui confirme par courriel, le 7 décembre 2011, que le jugement sera rendu.[18]

[39]        Lorsqu’il reçoit effectivement la copie du jugement, il consulte Me Jacques Savard que lui présente M. Pasquin, une de ses connaissances qui a déjà été avocat.

[40]        Me Savard confirme avoir reçu le mandat de M. Turcot d’intenter une action en passation de titre.  Il obtient ses instructions de M. Pasquin et les confirme par téléphone avec M. Turcot.

[41]        Me Savard témoigne que dès qu’il est consulté, il recommande plutôt de présenter une requête en rétractation de jugement.  Il se fait représenter par M. Turcot, qu’il n’y a pas de motifs pour une telle requête et, au surplus, qu’il n’a pas d’argent pour acquitter la créance de M. Taillefer.

[42]        Selon Me Savard, la stratégie adoptée par M. Turcot et M. Pasquin est de mettre de la pression sur les promettant-acheteurs par le dépôt d’une action en passation de titre, tout juste avant la période des Fêtes pour forcer le règlement de l’ensemble du dossier.

[43]        Le 6 janvier 2012, Me Savard rencontre M. Turcot et lui remet une opinion juridique sur les recours entrepris et l’urgence de prendre entente avec son créancier hypothécaire, M. Taillefer.  Lorsqu’il le rencontre à nouveau le lendemain, M. Turcot lui remet une copie de la promesse d’achat du 1er décembre 2011.  Après avoir pris connaissance de cette entente dont il ignorait l’existence jusque-là, Me Savard considère le lien de confiance brisé et informe son client qu’il entend cesser de le représenter.

[44]        Lors de ces rencontres, Me Savard mentionne à nouveau la procédure de la rétractation de jugement, laquelle est refusée par M. Turcot.

[45]        M. Pasquin ne témoigne pas.

[46]        Lors de son interrogatoire hors Cour, en juillet 2012, M. Turcot se révèle incapable[19] d’expliquer les allégations de sa requête à cet égard.  Il se contente de répondre qu’il ne se souvient pas.  Ainsi, de la page 119 à la page 130, M. Turcot répète qu’il ne se souvient pas.

[47]        Il élude ainsi toutes les questions du procureur du demandeur, sauf pour ajouter que c’est en raison de la faute des avocats qu’il n’a pas procédé dans les délais :

        Me Boucher, en raison de ses vacances[20];

        Me Savard car il a intenté un recours inapproprié et que plusieurs choses n’ont pas été faites[21].

[48]        À l’audience, il ajoute que Me Savard et M. Pasquin ne s’entendaient pas sur le recours à entreprendre.

[49]        Le Tribunal retient le témoignage de Me Savard à l’effet que, dès la fin de décembre 2011, M. Turcot est informé de la possibilité et de l’opportunité de produire une requête en rétractation de jugement.  Il choisit plutôt de procéder par action en passation de titre, en fonction d’une stratégie élaborée avec M. Pasquin.  Si cette stratégie ne s’est pas avérée aussi fructueuse qu’il l’espérait, elle ne peut constituer une impossibilité d’agir et permettre d’écarter le délai de 15 jours prévu au C.p.c.

3.2       Motifs de rétractation

[50]        Si le Tribunal avait conclu à l’impossibilité d’agir de M. Turcot et l’avait relevé de son défaut de produire sa requête dans le délai, le Tribunal aurait analysé les motifs de rétractation de jugement comme suit.

[51]        M. Turcot demande la rétractation de jugement pour de nombreux motifs qui peuvent se résumer comme suit :

►        il a été mal représenté par Me Boucher;

        il a fait l’objet de manœuvres dolosives et de fausses représentations de la part de Messieurs Taillefer et Tétrault et notamment lors de la conclusion de la promesse d’achat du 1er décembre (R-5) dont il demande la nullité;

        la procédure pour l’obtention de jugement n’a pas été suivie.

3.2.1    L’erreur de l’avocat

[52]        M. Turcot allègue que Me Boucher lui aurait mentionné erronément que s’il n’acquittait pas la dette en temps opportun et ne démontrait pas sa capacité de la payer, il n’avait aucun autre moyen à faire valoir à l’encontre du recours hypothécaire de M. Taillefer.

[53]        Selon lui, il s’agit d’une erreur de Me Boucher car il pouvait faire valoir la promesse d’achat conclue au mois d’août 2011 par demande reconventionnelle à l’encontre des promettant-acheteurs et de M. Taillefer[22].  Il ajoute que c’est pour ces raisons qu’il intente un recours en passation de titre en décembre 2011[23].

[54]        Cet argument ne peut être retenu.

[55]        M. Taillefer n’est pas partie à l’offre d’achat du mois d’août 2011 et la preuve n’établit pas qu’il y ait participé d’aucune façon.  Par ailleurs, à l’audience, M. Teitelman mentionne rencontrer M. Taillefer pour la première fois.

[56]        De plus, lorsqu’il intente son action en passation de titre en décembre 2011, M. Taillefer n’y est pas appelé comme défendeur ni comme mis en cause.

[57]        Enfin, Me Boucher et M. Turcot témoignent tous deux que Me Boucher ne peut pas agir pour le compte de M. Turcot à cet égard, puisqu’elle représente également M. Tétrault.  Lorsque M. Turcot décide de mettre en demeure les promettant-acheteurs en novembre 2011, il a recours à Me Claude Rousseau, sachant que Me Boucher est en situation de conflit d’intérêts à cet égard.

[58]        M. Turcot reproche également à Me Boucher de ne pas l’avoir informé de la possibilité d’inscrire un avis d’abandon de la prise en paiement, conformément à l’article 2779 C.c.Q.

[59]        Or, lorsque M. Turcot consulte Me Boucher concernant le recours hypothécaire de M. Taillefer, il lui mentionne qu’il entend remédier au défaut et rembourser M. Taillefer.  Me Boucher discute avec lui de moyens de défense et conclut qu’il n’en a pas autrement que de remédier au défaut.  Elle témoigne avoir fait le suivi de la procédure avec M. Turcot et lui en avoir rappelé les délais.  Elle lui souligne qu’à défaut de remboursement, le jugement sera rendu contre lui.

[60]        Pour Me Boucher, M. Turcot connait le déroulement d’un recours hypothécaire de prise en paiement et il est familier avec le processus.  Elle ne se souvient pas avoir discuté précisément de l’avis d’abandon prévu à l’article 2779 C.c.Q. car, dès le départ, M. Turcot lui mentionne vouloir corriger le défaut.  Après la signification de la requête, elle obtient le détail du montant dû à M. Taillefer aux fins de remboursement.

[61]        À l’automne 2011, M. Turcot n’en est pas à ses premières armes en matière de recours hypothécaire.  M. Taillefer a déjà inscrit un autre préavis et des avis de retrait d’autorisation de percevoir les loyers auparavant.  Au surplus, en 2005, lorsque M. Taillefer lui consent l’hypothèque, c’est pour lui permettre de se faire rétrocéder l’immeuble qu’il a perdu au profit de son créancier hypothécaire précédent qui l’a pris en paiement.

[62]        Par ailleurs, il ne signifie ni n’inscrit aucun avis d’abandon de la prise en paiement ni ne tente d’établir qu’il a eu l’intention de le faire.

[63]        M. Turcot n’a pas été empêché de présenter sa défense par une erreur que Me Boucher aurait commise.

3.2.2    Les manœuvres dolosives et la nullité de la promesse d’achat R-5

[64]        Dans les jours précédant la présentation de la requête, M. Turcot est très nerveux.  M. Taillefer refuse de lui consentir un délai et insiste pour être remboursé.

[65]        À ce moment, M. Turcot sait que la promesse d’achat du mois d’août 2011 ne se conclura pas par la signature de la vente, du moins pas avant le 2 décembre 2011.

[66]        M. Tétrault le met en contact avec des investisseurs chinois qui le réfèrent à un prêteur privé, M. Arduini.  M. Turcot a une conversation téléphonique avec ce dernier qui est en Floride.  Il témoigne avoir conclu une entente pour pouvoir rembourser M. Taillefer.

[67]        M. Tétrault et M. Taillefer ne sont pas partie à cette entente et ils ne parlent pas à M. Arduini.

[68]        Le 1er décembre 2011, Gestion Gamarco inc. écrit à Me Lalonde, l’avocat de M. Taillefer.  Le signataire de la lettre réfère à une conversation téléphonique avec M. Arduini et lui demande de préparer une convention subrogatoire pour subroger Gestion Gamarco inc. dans tous les droits de M. Taillefer en raison du paiement de sa créance de 271 381,62 $.[24]  Doivent intervenir à cette convention, Nicolas Tétrault et Toni Vaccarino qui s’y obligeront solidairement envers le débiteur de toute somme due[25].

[69]        Me Lalonde prépare un projet de quittance subrogatoire qu’il date du 1er décembre 2011, mais qui n’est pas signée.  Cette quittance subrogatoire prévoit la subrogation de Gestion Gamarco inc. dans tous les droits de M. Taillefer relativement au prêt grevant l’Immeuble de M. Turcot, y compris dans le recours hypothécaire entrepris contre lui.  Le projet ne prévoit pas l’intervention de Messieurs Tétrault et Vaccarino[26].

[70]        Le 1er décembre 2011, une rencontre avec M. Taillefer est organisée par           M. Tétrault dans le but de trouver une solution.  Les versions sont contradictoires et diffèrent en ce qui concerne le contenu des discussions qui se terminent par la signature de la promesse d’achat (R-5) :

        M. Turcot témoigne avoir senti beaucoup de pression et avoir paniqué lorsque les deux autres lui disent que l’objectif de M. Arduini est de reprendre sa propriété et de continuer le recours hypothécaire de M. Taillefer et qu’il se retrouvera dans la même situation après la subrogation.  Il dit s’être fié à deux professionnels et connaisseurs en matière immobilière et avoir suivi leurs recommandations;

        pour M. Tétrault, cette rencontre a pour but de trouver une solution au problème de M. Turcot. Sa motivation personnelle pour y participer est de mettre un terme à une forme de chantage exercé par M. Turcot par le dépôt d’une plainte contre lui et son agence de courtage immobilier, auprès des instances disciplinaires de son ordre professionnel.  Il explique que lors de la rencontre, la discussion porte sur les différentes options qui s’ouvrent à M. Turcot.  D’abord, la possibilité de rembourser M. Taillefer par les sommes mises à sa disposition par M. Arduini.  Puis, la discussion porte sur un plan « B », consistant à ce que toutes les parties y trouvent son compte.  C’est ainsi que la promesse d’achat  (R-5) est conclue;

        M. Taillefer témoigne qu’on lui présente d’abord ce qu’il appelle le plan « A », c’est-à-dire le remboursement de sa créance par un tiers investisseur qui sera subrogé dans ses droits.  Ensuite, le plan « B » est soumis.  Il a pour effet de le rendre copropriétaire indivis avec Messieurs Turcot et Tétrault après l’exercice de son droit hypothécaire.  Cette entente comprend aussi le remboursement de sa créance, arrondie à 300 000 $, par M. Tétrault.  M. Taillefer ne comprend pas l’objectif de cette rencontre si M. Turcot souhaite simplement le rembourser.  Il comprend plutôt de cette proposition que les conditions de l’entente avec les investisseurs privés ne sont pas favorables à M. Turcot.  Il ne croit pas à l’existence véritable d’un prêt et d’un terme accordés à M. Turcot.  Il questionne ce dernier sur les conditions du prêt et le met en garde sur les effets de la convention subrogatoire, si aucune entente de prêt n’est convenue avec M. Arduini et s’il ne s’est pas assuré d’avoir un délai suffisant pour le rembourser.

[71]        Ils témoignent tous les trois de conversations téléphoniques où M. Turcot et      M. Tétrault vérifient certaines informations et communiquent avec M. Arduini ou ses représentants.

[72]        La preuve est contradictoire sur le moment précis où un représentant de M. Arduini se présente au bureau de l’avocat de M. Taillefer avec un chèque et sur les instructions données à l’avocat et au représentant de M. Arduini.

[73]        Le Tribunal retient comme plus vraisemblable et crédible la version de M. Taillefer pour plusieurs raisons.

[74]        Aucun écrit n’est produit démontrant l’entente de prêt et ses conditions. M. Turcot dit avoir convenu d’un taux d’intérêt de 15 %, ce que confirme M. Tétrault qui ajoute que des frais de 2 à 3 % du montant prêté devaient s’y ajouter, alors que M. Turcot ne le mentionne pas et que M. Tétrault déclare n’avoir pas parlé à M. Arduini.  Sans oublier que la convention de subrogation demandée par M. Arduini prévoit l’intervention de M. Tétrault et qu’aucune explication n’est donnée à ce sujet.

[75]        Il appert plus probable que l’entente avec le prêteur privé ait été très contraignante pour Messieurs Turcot et Tétrault et que le plan « B » proposé à             M. Taillefer leur paraisse moins préjudiciable et qu’il soit l’objectif poursuivi avec la rencontre avec M. Taillefer.

[76]        De plus, la crédibilité de M. Turcot n’est pas sans tache.  Il élude les questions et se révèle réticent à répondre clairement.  Il ne se souvient pas de parties importantes de son dossier.  Il se contente d’en reporter la responsabilité sur ses interlocuteurs.

[77]        Qu’il suffise de citer quelques exemples où la mémoire de M. Turcot est étonnamment défaillante et ses explications laborieuses :

        en ce qui concerne les circonstances du prêt hypothécaire consenti par  M. Taillefer, c’est-à-dire la prise en paiement par le créancier antérieur;

        lorsqu’il donne instructions à Me Boucher de lui verser directement l’indemnité qu’il sait hypothéqué en faveur de M. Taillefer;

        lorsqu’il affirme avoir rempli toutes les conditions de la promesse d’achat du mois d’août 2011, mais s’avère incapable de produire les certificats d’actions, confirmant qu’il est propriétaire de 40 % des actions de la compagnie locataire de l’Immeuble;

        lorsqu’il dit avoir une entente verbale avec son associé pour la vente de 60 % des actions de cette même compagnie pour 795 000 $;

        lorsqu’il reconnait que le montant des loyers de l’Immeuble de 42 000 $ par année apparaissant à la promesse d’achat de 2011 sont plutôt de 24 000 $ et qu’il s’agit simplement d’une inversion de chiffres faite par erreur.

[78]        Le 1er décembre 2011, M. Turcot signe la promesse d’achat.  Il sait que pour y donner suite, M. Taillefer deviendra propriétaire de l’Immeuble.  Il sait également que M. Tétrault, qui n’a pas de chèque avec lui, ne versera pas immédiatement les 30 000 $ qu’il s’est engagé à payer à la signature de la promesse d’achat.

[79]        Bien que cette promesse d’achat ne soit pas idéale pour M. Turcot ni très favorable, ce n’est pas en raison de l’absence de consentement ni dans les conditions de cette entente, mais davantage dans la situation financière difficile dans laquelle M. Turcot se trouve.

[80]        Il réussit tout de même à ce que l’hypothèque de second rang garantissant un prêt agricole de sa sœur ne soit pas en défaut et évite de la placer dans une situation précaire.  Il négocie cette clause spéciale que messieurs Taillefer et Tétrault acceptent.  Pour cette raison, il est satisfait de l’entente conclue.

[81]        Il affirme avoir décidé de n’y pas donner suite lorsque M. Tétrault ne respecte pas son engagement de payer les 30 000 $ convenus.

[82]        M. Tétrault témoigne plutôt qu’après la signature de la pièce R-5, M. Turcot ne répond plus au téléphone et qu’il est incapable de le joindre.  C’est pour cette raison que M. Tétrault décide de ne pas donner suite à la promesse d’achat.

[83]        D’ailleurs, M. Turcot communique avec Me Boucher pour l’aviser de ne pas se présenter à la Cour le 2 décembre 2011 car il a conclu une entente.  Me Boucher offre à M. Turcot de le conseiller à ce sujet et ce dernier décline son offre.

[84]        Le Tribunal est d’avis que M. Turcot n’établit aucun motif d’annulation de la promesse d’achat (R-5) et qu’il n’a pas été empêché de produire sa défense par de fausses représentations lors de la conclusion de cette entente.

3.2.3    Le suivi de la procédure

[85]        Comme autre motif de rétractation de jugement, M. Turcot soulève la procédure irrégulière suivie pour son obtention.  Il reproche à M. Taillefer de ne pas avoir signifié son inscription par défaut de plaider ni son affidavit circonstancié.

[86]        Cet argument ne peut être retenu.

[87]        L’article 151.8 C.p.c. prévoit que si le défendeur ne se présente pas lors de la présentation de la requête, le tribunal constate le défaut et entend le demandeur si ce dernier est prêt à procéder.

[88]        En l’espèce, les parties conviennent que M. Turcot ne se présentera pas.  Ce dernier en avise son avocate.  M. Taillefer peut demander au tribunal de constater le défaut et procéder par défaut de plaider sur sa demande et c’est ce qu’il fait.

[89]        Le fait que le nom de Me Boucher n’apparaisse pas au jugement ne peut constituer un motif de rétractation de jugement.

4.         LE RESCISOIRE     

[90]        Si le Tribunal avait conclu qu’il y avait lieu de rétracter le jugement, il aurait traité des moyens de défense de M. Turcot de la façon suivante.

4.1       Le refus de paiement

[91]        Se fondant sur l’admission de M. Taillefer à l’effet qu’un représentant de Gestion Gamarco inc. s’est présenté au cabinet d’avocat représentant M. Taillefer avec un chèque au montant présumé de la créance, M. Turcot plaide le refus de paiement par son créancier.

[92]        Tel que mentionné précédemment, la preuve ne permet pas de bien comprendre les circonstances précises entourant cette visite au bureau de l’avocat de M. Taillefer ni à quel moment et par qui ce représentant est informé que M. Turcot ne souhaite pas poursuivre l’entente conclue avec M. Arduini.

[93]        Elle démontre cependant que celui-ci n’en a pas été heureux et qu’il a manifesté à M. Tétrault son insatisfaction.

[94]        Lorsque M. Turcot décide de ne pas donner suite à la promesse d’achat pièce  R-5, il n’a pas recours à nouveau à M. Arduini et il ne renouvelle pas son offre de paiement à M. Taillefer ni dans sa procédure ni à l’audience.

[95]        Il n’y a pas de refus de paiement de M. Taillefer.

4.2       L’avis d’abandon de la prise en paiement

[96]        M. Turcot demande à :

 « signifier et produire une inscription d’un avis afin que le demandeur abandonne la prise en paiement de l’immeuble pour le faire vendre sous contrôle de justice ».

[97]        L’article 2779 du C.c.Q se lit comme suit :

Les créanciers hypothécaires subséquents ou le débiteur peuvent, dans les délais impartis pour délaisser, exiger que le créancier abandonne la prise en paiement et procède lui-même à la vente du bien ou le fasse vendre sous contrôle de justice; ils doivent, au préalable, avoir inscrit un avis à cet effet, remboursé les frais engagés par le créancier et avancé les sommes nécessaires à la vente du bien.

L'avis doit être signifié au créancier, au constituant ou au débiteur, ainsi qu'à celui contre qui le droit hypothécaire est exercé et son inscription est dénoncée, conformément au livre de la publicité des droits.

Les créanciers subséquents qui exigent que le créancier procède à la vente du bien doivent, en outre, lui donner caution que la vente se fera à un prix suffisamment élevé qu'il sera payé intégralement de sa créance.

                                                                                                                (nos soulignements)

[98]        En l’espèce, M. Turcot n’a pas inscrit d’avis d’abandon du recours hypothécaire de prise en paiement  et il n’explique pas son retard à le faire.  La preuve ne révèle pas non plus qu’il ait eu l’intention de le faire.  M. Turcot ne fait que demander l’autorisation d’y procéder.

[99]        Enfin, il ne rembourse pas les frais engagés par M. Taillefer ni n’avance les sommes nécessaires à la vente sous contrôle de justice.  La Cour d’appel mentionne que pour exiger l’abandon de la prise en paiement, les frais engagés par les créanciers doivent être remboursés et les sommes nécessaires à la vente avancées préalablement[27] :

[8] Outre l'inscription d'un avis exigeant l'abandon de la prise en paiement, l’article 2779 C.c.Q. exige formellement du débiteur voulant forcer l'abandon qu'il rembourse les frais engagés par le créancier et avance les sommes nécessaires à la vente du bien. Il s'agit d'obligations préalables à l'ouverture du droit d'exiger l'abandon qui sont imposées à la personne souhaitant forcer le créancier à changer, contre son gré, le type de recours hypothécaire entrepris.

[9] L'appelant ne s'est pas déchargé des obligations de rembourser les frais engagés et d'avancer les sommes nécessaires à la vente. Il ne conteste pas ce constat du juge d'instance. Bien qu'elles soient peu importantes en regard de la valeur de l'immeuble en cause, ces sommes doivent être payées pour éviter que le créancier ne soit injustement pénalisé à la suite du changement de recours hypothécaire. Par conséquent, l'appelant n'a pas droit au remède prévu à l’article 2779 C.c.Q.

                                                                                                                (nos soulignements)

[100]     En l’espèce, M. Turcot n’a pas inscrit d’avis d’abandon de la prise en paiement ni avancé les sommes nécessaires à la vente non plus que remboursé les frais engagés.

[101]     Le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu de retenir les motifs de défense de      M. Turcot.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[102]     REJETTE la requête en rétractation du défendeur André Turcot et toutes les conclusions qui y sont contenues;

[103]     Avec dépens.

 

 

 

 

__________________________________

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

 

Me Benoit Morissette

LALONDE GERAGHTY RIENDEAU

Avocat du demandeur

 

Me Robert Astell

ASTELL LACHANCE DU SABLON DE SUA (ALDD)

Avocat du défendeur André Turcot

 

 

Dates d’audience :

Les 4, 5, 6, 7 et 11 novembre 2014

 

 

 



[1]     Pièce 1.

[2]     Pièce P-5.

[3]     Pièce P-11.

[4]     Pièce P-2.

[5]     Pièce R-12.

[6]     Pièce P-3.

[7]     Pièce R-2.

[8]     Pièce R-9.

[9]     Pièce R-5.

[10]    Pièce R-14.

[11]    Pièce P-7.

[12]    Pièce P-12. Il est à noter que le cabinet représentant Messieurs Tétrault, Teitelman et Pancholy est le même que celui retenu par M. Taillefer pour son recours hypothécaire.

[13]    Pièce P-12.

[14]    Cette admission est signée par les procureurs des deux parties et produite au dossier de la Cour.

[15]    Requête en rétractation de jugement du défendeur datée du 27 février 2012, par. 31.

[16]    Id, par. 32.

[17]    Id, par. 34.

[18]    Pièce R-14.

[19]    Pièce P-6.

[20]    Transcription de l’interrogatoire hors Cour de M. Turcot du 25 juillet 2012, p. 136.

[21]    Id., p. 137.

[22]    Requête du défendeur pour permission de produire une demande en rétractation hors délai et requête en rétractation de jugement - amendée (Art. 482, 484 et suivants C.p.c.), datée du 27 février 2012, par. 13.

[23]    Id., par. 15.

[24]    Pièce P-10.

[25]    Le rôle de ces derniers n’est pas expliqué ni leur motivation à une telle intervention.

[26]    Pièce P-8.

[27]    Arutyunov c. 3095-7252 Québec inc., 2012 QCCA 828, par. 8 et 9.

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