Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

22 octobre 2004

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

215595-62C-0309

 

Dossier CSST :

115409062

 

Commissaire :

Me Maurice Sauvé

 

Membres :

André Chagnon, associations d’employeurs

 

Raymond D'Astous, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Jocelyne Pilon

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Restaurant Steak Cie

 

Partie intéressée

 

 

 

Et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 8 septembre 2003 madame Jocelyne Pilon (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 août 2003 à la suite d'une révision administrative.

[2]                Par cette décision la CSST confirme une décision du 27 février 2003 et déclare que la travailleuse n'a pas droit à la détermination d'un revenu plus élevé pour fins d'indemnité de remplacement du revenu en raison de l'application de l'article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1].

[3]                L'audience s'est tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 23 janvier 2004 en présence de la travailleuse et de son représentant. La CSST-Salaberry était représentée. La travailleuse ayant demandé et obtenu la possibilité de compléter sa preuve par témoignage ou affidavit a ensuite déclaré sa preuve close sans autre témoignage ni affidavit. Il y eut accord sur la production d'argumentations écrites et d'autorités, de sorte que la requête a été prise en délibéré le 4 juin 2004.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                La travailleuse demande de déclarer qu'elle a droit, depuis le 4 septembre 1998, en raison de l'application de l'article 76 de la loi, à une indemnité de remplacement du revenu basée sur un revenu annuel plus élevé soit celui de 48 500,80$ par année ou subsidiairement sur un revenu annuel de 32 823,00$.

LES FAITS

[5]                À compter d'octobre 1997 la travailleuse est serveuse au Restaurant Galianos, restaurant dont le nom est changé en celui de Restaurant Steak et Compagnie (l'employeur) avant le dépôt de la présente requête.

[6]                La travailleuse exerce son emploi 5 jours/semaine lorsqu'en décembre 1997 son fils de 10 ans est atteint d'une ostéomyélite qui entraîne une hospitalisation de 3 semaines avec intervention chirurgicale. Son fils doit cesser l'école pour recevoir de façon continue pendant 3 mois une médication par voie intraveineuse.

[7]                La travailleuse, qui réside à Havelock, témoigne qu'elle a dû suivre une formation à l'Hôpital de Montréal pour Enfants où avait été hospitalisé son fils pour lui donner les traitements requis. De plus elle devait l'amener 3 fois/semaine à l'hôpital pour un suivi médical pendant les 3 premiers mois. Comme le conjoint de la travailleuse ne parle pas anglais, elle a suivi elle-même la formation et assumait le transport du fils à l'hôpital. Elle allait régulièrement à l'école pour permettre à son fils d'obtenir les questionnaires et autres instruments nécessaires pour continuer ses études.

[8]                À compter du mois d'avril 1998, le fils a repris graduellement l'école mais la travailleuse devait se rendre à l'hôpital 2 fois/semaine avec lui. Son fils a ensuite souffert d'une pierre au rein et il a ensuite repris son école sur une base régulière à compter du 10 septembre 2003. Il ne devait retourner à l'hôpital qu'aux 2 mois par la suite.

[9]                À compter de décembre 1997, la travailleuse, compte tenu de la maladie de son fils, a dû réduire son temps de travail à 3 journées par semaine. Lorsque survint un accident du travail le 4 septembre 1998, il était déjà convenu entre l'employeur et la travailleuse qu'elle travaillerait 5 journées par semaine dès la semaine suivante (semaine du 8 septembre), période qui correspondait à la fin du travail des serveuses qui retournaient aux études.

[10]           L'accident du travail du 4 septembre a donné lieu à la reconnaissance d'une lésion professionnelle et à une atteinte permanente avec déficit anatomo-physiologique de 2% pour entorse lombaire avec séquelles objectivées et à des limitations fonctionnelles de classe 2 de l'IRSST, notamment d'éviter de manœuvrer des charges excédant 10 kilos. La travailleuse n'ayant pas repris son travail de serveuse, la Commission des lésions professionnelles a été amenée, dans une décision[2], à déterminer la base salariale de l'indemnité de remplacement du revenu à compter du 4 septembre 1998. La Commission des lésions professionnelles a déclaré que le revenu brut annuel à considérer était de 19 693,80$ pour 3 journées/semaine, la travailleuse ayant dû réduire ses activités à cause de la maladie de son fils. Elle était donc une travailleuse à temps partiel.

[11]           Le 26 février 2003, la travailleuse, qui ne peut exercer son emploi pré-lésionnel de serveuse et qui n'exerce aucun autre emploi, demande l'application de l'article 76 de la loi afin d'obtenir rétroactivement une indemnité de remplacement du revenu plus élevée basée sur le revenu annuel de 52 000$ qu'elle aurait pu gagner à titre de gérante au Restaurant le Fripon lors de son accident du travail le 4 septembre 1998 n'eut été de la maladie de son fils. Elle prétend qu'elle aurait également pu travailler, au temps de son accident, 5 jours/semaine au lieu des 3 qu'elle exécutait au Restaurant Galianos, soit un salaire annuel de 32 760,00$, selon sa demande du 26 février 2003.

[12]           Le 27 février 2003, la CSST refuse cette demande d'application de l'article 76 de la loi invoquant que la chose avait été jugée par la décision précitée de la Commission des lésions professionnelles du 21 octobre 2002. La révision administrative, le 11 août 2003, n'a pas repris, à bon droit, cette motivation car la décision du 21 octobre 2002 ne concernait pas une demande en vertu de l'article 76 de la loi mais plutôt la détermination du revenu annuel à considérer pour fins d'indemnité de remplacement du revenu pour une travailleuse qui exécutait 3 jours de travail par semaine au moment de son accident, donc une travailleuse à temps partiel.

[13]           Au soutien de sa demande de la reconnaissance d'un revenu plus élevé en vertu de l'article 76 de la loi, la travailleuse témoigne qu'en août 1997 monsieur Gérard Bertola, propriétaire associé du Restaurant Le Fripon, où elle travaillait depuis 5 étés, lui a offert la gérance de son restaurant. Monsieur Bertola lui aurait dit, en présence d'une collègue de travail, qu'il désirait qu'elle prenne la gérance et y travaille à l'année longue. La travailleuse témoigne qu'elle lui a répondu que ce travail l'intéressait mais qu'il y avait une gérante en place et que, dans ces circonstances, elle refusait pour l'instant mais qu'elle reviendrait travailler au restaurant au printemps 1998 comme à chaque année depuis 5 ans.

[14]           Au printemps 1998, monsieur Bertola, constatant qu'elle ne revenait pas comme chaque année, lui envoie sa fille pour savoir pourquoi elle ne revenait pas. La travailleuse comprend que sa fille vient lui offrir le poste de gérante. Elle témoigne qu'elle a répondu qu'elle ne peut y retourner à cause de son fils. N'eut été de son fils, la travailleuse croit qu'au printemps 1998 elle aurait assumé le travail de gérante parce que monsieur Bertola aurait alors eu suffisamment de temps pour solutionner la problématique reliée à la gérante qui était en poste au mois d'août 1997. Elle précise qu'elle serait alors demeurée au Restaurant le Fripon à l'année longue. Quant au salaire, elle prétend que le restaurant fermant sur semaine pendant 2 mois en hiver, elle aurait reçu un salaire annuel de 48 000$ sans parler de la rémunération pour vacances. Désirant continuer 3 jours/semaine, elle a donc poursuivi son travail chez son employeur et devait reprendre le travail à plein temps la semaine qui suivait son accident du travail.

[15]           À l'audience, le conjoint de la travailleuse a témoigné qu'il était un charpentier menuisier, qu'à compter de décembre 1997 son fils fut atteint d'une maladie et qu'il y avait nécessité d'une présence parentale 24 heures sur 24 à cause de la médication par voie intraveineuse et qu'il fallait surveiller qu'il n'y ait pas de bulle d'air dans le cathéter. Il précise que son fils a dû subir une deuxième opération, fin février, au même hôpital anglophone où il suivait des traitements. Le conjoint précise qu'il n'est pas bilingue contrairement à sa conjointe.

[16]           À l'audience, le représentant de la travailleuse a déposé un document du 28 mai 2001, signé Mario Lemire et qui se lit ainsi:

«Je Mario Lemire confirme par la présente, que Jocelyne Pilon alors de l'année 1997-1998 effectuait des quarts de travaille de fermeture en soirée. Elle avait été attitrer d'effectuer quatre soirs de fermeture et avait délaissé un quart de travail du a la maladie de son fils. En début de septembre Jocelyne et Panos (le gérant du restaurant) avaient conclu qu'elle reprendrait le quatrième soir qu'elle avait délaissé en plus d'un rajout d'un autre soir. En ce temps, plusieurs serveurs (se) avaient annoncer leurs départs. Donc Jocelyne aurait du reprendre en mi-septembre cinq quarts de travail de soir. La moyenne de vente de Jocelyne était de 1 000,00 par soir.

 

Mario Lemire» [sic]

 

 

[17]           Le représentant de la travailleuse a déposé également une note du 23 janvier 2004 de monsieur Sacha Bertola, directeur de la restauration au Restaurant Le Fripon, qui se lit ainsi:

«Je soussigné, Bertola Sacha directeur de la restauration, certifie que Madame Pilon Jocelyne a été à notre emploi, en qualité de serveuse et cela a temps plein durant cinq saisons, s'étalant d'avril a début novembre.

 

Nous restons à votre disposition pour de plus amples informations.» [sic]

 

 

[18]           La CSST, à sa décision du 11 août 2003 suite à la révision administrative, rappelle que l'article 76 de la loi exige de la travailleuse qu'elle fasse la preuve d'une incapacité à exercer son emploi depuis plus de 2 ans à la suite d'une lésion professionnelle et qu'elle aurait pu exercer un emploi plus rémunérateur lorsqu'est survenue sa lésion, n'eut été de circonstances particulières. Tout en reconnaissant que la travailleuse a été incapable d'exercer son emploi depuis plus de 2 ans, la CSST refuse d'appliquer l'article 76 prétendant que la réduction des heures de travail par la travailleuse constitue un choix personnel. La CSST écrit:

«Il est démontré que l'incapacité de la travailleuse d'exercer son emploi dure depuis plus de deux ans.

 

Les circonstances particulières alléguées sont le choix de la travailleuse de réduire ses heures de travail en raison de la maladie de son fils. Bien qu'il soit très facile de comprendre les raisons de ce choix et de reconnaître sa légitimité, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit essentiellement d'un choix personnel et cela illustre d'aucune façon que cette situation ne permettait pas à la travailleuse d'exercer son emploi à temps plein ou d'occuper un autre emploi.

 

La travailleuse n'a jamais exercé l'emploi de gérante et elle ne cherchait pas spécifiquement à l'exercer. Elle a refusé cet emploi à l'automne 1997, et rien n'indique qu'elle cherchait à l'exercer en septembre 1998.»

 

 

L'AVIS DES MEMBRES

[19]           Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la loi, le commissaire soussigné a demandé aux membres qui ont siégé auprès de lui leur avis sur la question faisant l’objet de la présente contestation de même que les motifs au soutien de cet avis.

[20]           Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont d'avis que la travailleuse remplit les conditions d'application de l'article 76 de la loi notamment que la maladie du fils constitue une circonstance particulière. De plus, la travailleuse, qui a toujours travaillé à temps plein, a fait la preuve que n'eut été de la maladie de son fils, elle aurait pu occuper, à compter de la semaine suivant la date de sa lésion professionnelle, l'emploi de serveuse 5 jours/semaine pour un revenu brut annuel de 32 833,00$.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[21]           Pour déterminer si la travailleuse a droit à une indemnité de remplacement du revenu basée sur un revenu annuel plus élevé, soit celui de gérante du Restaurant Le Fripon ou celui qu'elle aurait gagné si elle avait travaillé 5 jours/semaine chez son employeur le 4 septembre 1998, la Commission des lésions professionnelles doit décider si les conditions de l'article 76 sont remplies. Ce article se lit ainsi:

76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.

 

Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.

__________

1985, c. 6, a. 76.

 

 

[22]           Quant à la première condition d'application de l'article 76, la preuve est claire, et la CSST le reconnaît, que cette première condition d'application est remplie à savoir que la lésion professionnelle de la travailleuse l'empêchait au 26 février 2003, d'exercer son emploi depuis plus de 2 ans.

[23]           Quant à la deuxième condition d'application, à savoir que la travailleuse doit démontrer qu'elle aurait pu exercer un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion n'eut été de circonstances particulières, La Commission des lésions professionnelles constate que cette condition comporte deux éléments que la travailleuse doit démontrer soit: 1) qu'elle aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur 2) qu'il y a des circonstances particulières qui l'ont empêchée de l'occuper. Pour la Commission des lésions professionnelles la travailleuse rencontre cette deuxième condition. En effet, la preuve prépondérante démontre que la travailleuse aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur soit celui de serveuse 5 jours/semaine chez l'employeur n'eut été de circonstances particulières, c'est-à-dire de la maladie de son fils.

[24]           Pour la Commission des lésions professionnelles, la condition ou maladie du fils déclarée en décembre 1997 et encore présente le 4 septembre 1998, jour de l'accident, constitue des circonstances particulières qui ont nécessité la réduction du temps de travail de la travailleuse de 5 jours à 3 jours.

[25]           Pour faire face à la maladie du fils, la travailleuse a dû suivre une formation pour lui donner la médication par voie intraveineuse. La médication se donnait de façon continue et le fils était "branché" en permanence. Il ne devait pas y avoir de "bulle dans la tubulure" selon le témoignage du conjoint qui ajoute que le fils devait être sous surveillance d'un parent 24 heures sur 24. De plus, le fils a été hospitalisé à un hôpital anglophone et comme la travailleuse est bilingue alors que le conjoint ne l'est pas, il est acceptable de concevoir qu'il était raisonnable et judicieux que la mère soit présente en priorité auprès du fils, qu'elle supervise la prise de médicaments et assure les visites à l'hôpital trois fois par semaine au début et deux fois par la suite.

[26]           La travailleuse a témoigné qu'elle avait travaillé 24 ans à temps plein comme serveuse avant la maladie de son fils. Il est donc logique de penser que, n'eut été de cette maladie, elle aurait continué à travailler à plein temps soit 5 jours/semaine lors de son accident de septembre 1998 et ce, soit chez son employeur, soit au Restaurant Le Fripon.

[27]           La CSST refuse d'appliquer l'article 76 de la loi pour le motif que la travailleuse a fait un choix personnel en réduisant son temps de travail. Pour la Commission des lésions professionnelles, l'article 76 n'impose pas, pour son application, que la travailleuse fasse la démonstration de son impossibilité à exercer un emploi plus rémunérateur. Pour la Commission des lésions professionnelles, la travailleuse n'a qu'à démontrer, de façon prépondérante, que n'eut été de circonstances particulières, elle aurait pu exercer un emploi plus rémunérateur.

[28]           Les motifs invoqués par la travailleuse et antérieurement analysés par la Commission des lésions professionnelles, soit la maladie de son fils, constituent des circonstances particulières au sens de l'article 76 de la loi. D'autres circonstances auraient pu amener la travailleuse à faire un autre choix. Dans les circonstances prévalant, elle a décidé de privilégier d'être présente auprès de son fils qui devait subir deux interventions chirurgicales et qui était confiné à des traitements continus à la maison ou à l'hôpital. Pour la Commission des lésions professionnelles la travailleuse a respecté la lettre et l'esprit de la loi, loi qui est une législation sociale que les tribunaux supérieurs nous incitent à interpréter libéralement. Il faut de plus se rappeler que l'article 351 de la loi établit que les décisions doivent être rendues suivant l'équité, d'après le mérite et la justice du cas.

[29]           L'article 76 de la loi vise à protéger la capacité de gain du travailleur victime d'un accident du travail. La décision Rivest et Voyages Au Nordest Inc.[3] confirme ce point de vue on y lit:

«La Commission des lésions professionnelles partage l'avis de la commissaire Cuddihy dans l'affaire Richard et J.B.L. Transport et C.S.S.T. 1 à l'effet que l'indemnité de remplacement du revenu vise à protéger non seulement le revenu du travailleur mais aussi sa capacité de gains. La référence à l'expérience passée est utile pour déterminer si le travailleur aurait pu occuper un «emploi» plus rémunérateur mais ne peut certes servir à nier une capacité de gains supérieure à celle qui a été initialement consentie. En ce sens, l'article 76 de la loi se distingue de l'article 68. Une fois que les circonstances particulières ont été reconnues, la CSST au même titre que la Commission des lésions professionnelles doit se tourner vers le futur et analyser si l'emploi que le travailleur aurait pu occuper, en l'espèce manœuvre forestier et plus précisément ébrancheur, est plus rémunérateur.

_________________

C.A.L.P. 74151-05-9510, 1997-07-04, M. Cuddihy, commissaire»

 

 

[30]           De plus l'expression "circonstances particulières" ne réfère pas exclusivement à une circonstance originant du milieu du travail. Si telle avait été la volonté du législateur, il l'aurait exprimé ou stipulé. Comme le législateur ne l'a pas stipulé, l'expression permet tout autant de référer à une circonstance originant du travailleur et affectant la relation employeur/travailleur. Dans le  présent cas, il s'agit d'une circonstance circonscrite dans le temps et dont la travailleuse a assumé la conséquence avant l'accident soit la réduction du revenu pendant la maladie de son fils. L'article 76 lui permet cependant d'éviter d'en subir les conséquences après l'accident. En effet, cet article 76 vient reconnaître une situation particulière et vise à protéger la capacité de gain pour l'avenir suite à l'accident du travail de septembre 1998 et non suite à la maladie du fils de décembre 1997 à septembre 1998 dont la travailleuse a assumé seule les conséquences financières.

[31]           Pour les motifs précédemment invoqués, la Commission des lésions professionnelles ne peut endosser l'allégation de la représentante de CSST qui voudrait limiter les "circonstances particulières" aux seules circonstances "hors de contrôle pour les travailleurs". Tel que vu, la loi n'énonce pas une telle limitation. Certaines jurisprudences ont établi que la circonstance particulière ne peut être l'accident du travail lui-même. Or, dans le présent cas, la "circonstance particulière" n'est pas l'accident du travail mais bien la maladie du fils.

[32]           La Commission des lésions professionnelles ne souscrit pas davantage aux décisions qui refusent d'appliquer l'article 76 sous prétexte que le travailleur ou la travailleuse aurait exercé un choix personnel, autre façon de dire que l'article ne s'applique qu'aux circonstances particulières originant du milieu de travail et non de circonstances originant du travailleur ou affectant la relation employeur/travailleur.

[33]           Dans le présent cas, l'employeur a convenu de maintenir la relation employeur/employé telle qu'elle était si ce n'est la réduction du temps de travail et la réduction du salaire en conséquence. La travailleuse, quant à elle, a accepté sa réduction de salaire et, de mai à octobre, contrairement aux cinq étés précédents, n'a pas travaillé au Restaurant Le Fripon, privilégiant sa relation mère-fils à un gain monétaire supplémentaire.

[34]           La Commission des lésions professionnelles, déclarant que la travailleuse se qualifie quant à la reconnaissance de "circonstances particulières" au sens de l'article 76, doit maintenant déterminer si la travailleuse a fait la preuve qu'elle "aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion".

[35]           Pour la Commission des lésions professionnelles, tant l'emploi de serveuse 5 jours/semaine antérieurement détenu par la travailleuse que l'emploi de gérante au Restaurant Le Fripon, constitue en soi un emploi plus rémunérateur dans la mesure où la travailleuse peut prouver qu'elle aurait pu occuper un tel emploi n'eut été de sa lésion professionnelle. La Commission des lésions professionnelles note que le texte de l'article 76 mentionne «occuper un emploi plus rémunérateur» et non «occuper un autre emploi plus rémunérateur».

[36]           Pour la Commission des lésions professionnelles, occuper un emploi de serveuse 5 jours/semaine est un "emploi plus rémunérateur" qu'un emploi de serveuse 3 jours/semaine. En d'autres mots, c'est la rémunération qui est en cause dans l'expression "un emploi plus rémunérateur" et non la nature de l'emploi, nature qui peut être autre ou non. Cette analyse est d'ailleurs tout à fait logique et conforme avec la finalité de l'article 76 qui vise à déterminer, après 2 ans d'incapacité due à une lésion professionnelle, une indemnité de remplacement du revenu rétroactive tenant compte d'un revenu brut plus élevé prévu au contrat de travail qui aurait été en vigueur au jour de la lésion professionnelle, n'eut été la circonstance particulière.

[37]           La preuve dans le présent dossier est à l'effet que suite à la maladie de son fils l'employeur avait convenu avec la travailleuse que cette dernière, tout en gardant ses privilèges de travailleuse à plein temps, travaillerait à temps partiel soit 3 jours/semaine avec rémunération en conséquence. L'employeur et la travailleuse avait également convenu avant la lésion professionnelle du 4 septembre 1998 que la travailleuse reprendrait la semaine suivante un emploi à temps plein soit 5 jours par semaine. Comme la décision de la Commission des lésions professionnelles du 21 octobre 2002 avait établi que l'indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse, suite à sa lésion professionnelle, devait se déterminer en fonction d'un revenu annualisé de 19 693,80$ pour 3 jours de travail, l'indemnité de remplacement du revenu applicable en vertu de l'article 76 de la loi doit s'établir en fonction d'un emploi de 5 jours/semaine soit 32 833,00$ et non 32 823,00$ comme le demande, subsidiairement, le représentant de la travailleuse.

[38]           La Commission des lésions professionnelles doit également se demander si la travailleuse "aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur" au 4 septembre 1998 soit l'emploi de gérante au Restaurant Le Fripon. Pour la Commission des lésions professionnelles la preuve n'est pas prépondérante à cet effet.

[39]           La travailleuse témoigne que monsieur Gérard Bertola du Restaurant Le Fripon lui a offert en août 1997 le poste de gérante en lui disant qu'il voulait qu'elle prenne le travail de gérante du restaurant et y travaille à l'année. La travailleuse a déclaré sur le champs que ce travail l'intéressait mais l'a refusé de façon à laisser le temps à monsieur Bertola de régler la situation gênante pour la travailleuse, à savoir la présence d'une gérante en poste depuis 20 ans. Pour la travailleuse il s'agissait de revoir la situation au printemps suivant.

[40]           Au printemps 1998, constatant que la travailleuse n'est pas de retour au Restaurant Le Fripon, monsieur Bertola mandate sa fille pour demander à la travailleuse pourquoi elle n'est pas revenue au travail affirmant que le Restaurant Le Fripon a besoin d'elle. La travailleuse  répond qu'elle ne peut pas à cause de la situation de son fils. Elle témoigne qu'elle a cependant compris qu'il s'agissait de l'offre de gérance. Elle explique qu'elle aurait accepté le poste de gérante au printemps, monsieur Bertola ayant eu le temps, selon elle, de régler la question de la gérante en place. La fille de monsieur Bertola ne lui a fait aucune mention du salaire qu'elle aurait pu toucher comme gérante. La travailleuse prétend cependant qu'elle aurait pu toucher 48 000 $ et non 52 000 $ par année sans discuter de la paye de vacances compte tenu que le restaurant fermait sur semaine pendant deux mois l'hiver.

[41]           Pour la Commission des lésions professionnelles il n'y a pas eu d'entente, même pas d'entente verbale entre le Restaurant Le Fripon et la travailleuse à l'effet que, dès que la situation de son fils le permettrait, la travailleuse occuperait le poste de gérante. Il y a bien eu une offre de gérance mais qui fut refusée par la travailleuse en 1997 et une visite de la fille de monsieur Bertola en 1998 au cours de laquelle cette dernière s'est informée au nom de son père des motifs qui faisaient en sorte que la travailleuse ne soit pas revenue travailler au printemps comme les années précédentes. Même si la travailleuse a compris que l'offre tenait toujours, il n'en a pas été discuté entre la fille de monsieur Bertola et la travailleuse et il n'a aucunement été question de rémunération pour un tel poste.

[42]           Au surplus, selon l'argumentation écrite du procureur de la travailleuse, monsieur Gérard Bertola qui devait, soit témoigner, soit produire un affidavit suite à l'audience du 23 janvier 2004 pour confirmer le témoignage de la travailleuse, a refusé d'intervenir. Le représentant s'exprime ainsi:

«Tel qu'annoncé lors de cette audition, la requérante a communiqué avec le directeur du restaurant Le Fripon, monsieur Gérard Bertola, à son retour d'Europe. Elle a requis sa collaboration afin de corroborer son témoignage et de fournir les renseignements nécessaires afin d'établir le revenu qu'elle aurait pu gagner en acceptant le poste de gérante du restaurant, n'eût été de la maladie de son fils.

 

Malheureusement, après avoir discuté avec son partenaire d'affaires, monsieur Bertola a informé la requérante qu'ils n'avaient pas du tout l'intention de divulguer les ventes de leur restaurant par témoignage ou par écrit afin de confirmer le salaire qu'elle aurait pu tirer de cet emploi. Il a donc refusé de l'aider dans sa cause auprès de la Commission des lésions professionnelles.»

 

 

[43]           Tout en se refusant à dévoiler les ventes du restaurant, la direction du Restaurant Le Fripon aurait possiblement pu confirmer l'offre de gérance avec mention d'un revenu brut sans le détailler. Mais elle n'en fit rien, la preuve s'étant limitée à un écrit de monsieur Sacha Bertola, directeur de la restauration, qui certifie, en date du 23 janvier 2004, que la travailleuse a été à l'emploi en qualité de serveuse et ce à plein temps durant 5 saisons s'étalant d'avril à début novembre.

[44]           La Commission des lésions professionnelles ne retient donc pas que la travailleuse aurait pu occuper l'emploi plus rémunérateur de gérante mais retient qu'elle aurait pu occuper, n'eut été de circonstances particulières, l'emploi de serveuse 5 jours/semaine au 4 septembre 1998.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE partiellement la requête de madame Jocelyne Pilon, la travailleuse;

INFIRME partiellement la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 11 août 2003 suite à la révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a été incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi plus de 2 ans et qu'il y a lieu de déterminer un nouveau revenu brut pour fins de base du calcul de l'indemnité de remplacement du revenu pour valoir à compter du début de son incapacité soit 32 833,00$ puisque la travailleuse aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eut été de circonstances particulières.

 

 

__________________________________

 

Me Maurice Sauvé

 

Commissaire

 

 

Me Bruno Bégin

Cyr, Hamel, Bégin, Associés, avocats

Représentant de la partie requérante

 

 

 

Me Sonia Sylvestre

Panneton Lessard

Représentant de la partie intervenante

 

 

 

Jurisprudence déposée par la partie requérante

 

1.       Groupe Forage Major Drilling Group International inc. et Calpatalo, [1998] C.L.P. 174 (C.S.) [2001] C.L.P. 317 (C.A.)

2.       Les Coffrages Thibodeau inc. et Beaudoin, C.A.L.P. 26809-04-9102, 2 octobre 1992, M. Renaud

3.       Richard et J.B.L. Transport, C.L.P. 74151-05-9510, 7 juillet 1997, M. Cuddihy

4.       Rivest et Voyages au Nordest Inc., C.L.P. 134493-63-0003, 30 novembre 2000, D. Beauregard

5.       Chagnon et Aventure Electronique (Faillite), C.L.P. 187312-71-0207 et 187313-71-0207, 8 février 2003, L. Couture

 

 

 

Jurisprudence déposée par la partie intervenante

 

1.       Goyette et Elphège Goyette inc., C.A.L.P. 55725-05-9312, 16 février 1994, M. Lamarre

2.       Leclerc et Construction Yvan Fortin, C.L.P. 884449-03-9705, 29 septembre 1998, M. Carrignan

3.       Michaud et KPMA inc. (Syndic), C.L.P. 126081-31-9911, 14 novembre 2000, R. Ouellet

4.       Létourneau et Automobile Transport inc., C.L.P. 126297-61-9911, 26 février 2001, G. Morin

5.       Boudreault et Établissement de détention du Québec, C.L.P. 152376-02-0012, 8 mai 2001, C. Bérubé

6.       Bériault et Transports Jean-Louis Allaire et Fils inc., C.L.P. 144182-08-0008, 2 janvier 2002, M. Lamarre

7.       Sauvageau et CSST, C.L.P. 175407-08-0012, 5 novembre 2003, P. Prégent



[1]          L.R.Q. c. A-3.0001

[2]          C.L.P. 170699-62C-0110, 2002-10-21, M. Sauvé

[3]          C.L.P. 134493-63-0003, 00-11-30, D. Beauregard, commissaire

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