[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 5 juin 2012 et rectifié le 12 juin 2012 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Chantal Corriveau), qui rejette sa requête en oppression et son action dérivée, ordonne à la société Le Baluchon 2011 d’émettre 1200 actions ordinaires à l’appelante en échange de la somme consignée de 19 200 $, ordonne la levée des ordonnances de sauvegarde prononcées en 2005, accueille la demande reconventionnelle des intimés et condamne l’appelante à verser des dommages de 63 084,72 $ — remboursement partiel des honoraires extrajudiciaires assumés par les intimés — et de 2 000 $ à titre de dommages moraux à quatre d’entre eux.
[2] Pour les motifs du juge Émond, auxquels souscrivent les juges Hilton et Marcotte, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel avec dépens;
[4]
RÉSERVE sa compétence aux fins de déterminer si l’appel doit être
déclaré abusif au sens des articles
[5] PERMET à l’appelante de défendre ses choix procéduraux avant de déterminer, de façon définitive, si son pourvoi a donné lieu à une utilisation déraisonnable et abusive de la procédure d’appel, et, à cette fin, AUTORISE l’appelante, après avoir fait signifier copie aux intimés, de déposer au greffe, au plus tard le 6 février 2015, en cinq exemplaires, un exposé d’au plus dix pages et ses sources, dans un format 21,5 cm x 28 cm (8½ x 11 pouces), rédigé à au moins un interligne et demi (sauf quant aux citations qui doivent être à interligne simple et en retrait). Le caractère à l’ordinateur est de 12 points et il n'y a pas plus de 12 caractères par 2,5 cm.
[6] AUTORISE les intimés, après avoir fait signifier copie à l’appelante, de déposer au greffe, au plus tard le 6 mars 2015, en cinq exemplaires, un exposé d’au plus dix pages et ses sources, dans un format 21,5 cm x 28 cm (8½ x 11 pouces), rédigé à au moins un interligne et demi (sauf quant aux citations qui doivent être à interligne simple et en retrait). Le caractère à l’ordinateur est de 12 points et il n'y a pas plus de 12 caractères par 2,5 cm.
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MOTIFS DU JUGE ÉMOND |
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REMARQUES PRÉLIMINAIRES
[7] Depuis 2012, l’appelante Monique Charland est actionnaire minoritaire de la société Concept Éco-Plein-Air Le Baluchon inc. « Baluchon 2012 ». Cette société regroupe quatre des cinq sociétés mises en cause[1]. Il s’agit des sociétés Concept Éco-Plein-Air Le Baluchon inc. « Baluchon 1991 », 9095-6822 Québec inc. « Speq III », 9061-7838 Québec inc. « Gestion I » et 9146-6227 Québec inc. « Gestion II » (ci-après collectivement désignées « Groupe Baluchon »).
[8]
La fusion des sociétés du Groupe Baluchon a été approuvée par la Cour supérieure le 1er avril 2012 conformément aux articles
[9] Quant à l’autre société désignée à titre de mise en cause, soit 9009-6371 Québec inc. « Speq II », elle a été fusionnée à Baluchon 1991 le 1er novembre 2004, soit bien avant l’introduction du recours de Monique Charland.
[10] Bien que ces fusions aient été effectuées avant le procès — dans le cas de Speq II, avant que le recours ne soit intenté — la procédure n’a pas été amendée pour refléter cette réalité. Monique Charland a continué d’identifier les sociétés fusionnées en tant que mises en cause malgré leur inexistence. Il en est de même du jugement dont appel. Les procédures d’appel maintiennent cette anomalie, ce qui n’est pas sans générer une certaine confusion.
1 - APERÇU
[11] Tout juste avant la fusion des sociétés mises en cause, Monique Charland détient des actions votantes et non participantes de Baluchon 1991 et Speq III. Elle détient également des actions non votantes et non participantes de Gestion II.
[12] Par ailleurs, jusqu’en 2004, elle occupe un poste d’administratrice au sein des conseils d’administration de Baluchon 1991, Speq II et Speq III. Elle démissionne de ses fonctions en juin 2004, à la suite d’un important désaccord avec les principaux administrateurs et dirigeants de Baluchon 1991. Ce désaccord résulte des critiques qu’elle leur adresse sur la gestion des opérations de l’entreprise et sur le peu d’intérêt qu’ils manifestent envers les actionnaires minoritaires.
[13] Il s’agit du fondement du litige.
[14] À la suite de cette démission, ce désaccord perdure et s’aggrave. Il se transforme en un véritable conflit lorsque Monique Charland tente, sans succès, d’acquérir les actions de quatre actionnaires minoritaires des sociétés Gestion I et Baluchon 1991. Elle attribue son échec aux dirigeants. Elle est convaincue qu’ils ont posé plusieurs gestes afin de nuire à sa démarche. Elle voit là une forme d’oppression, en représailles à ses critiques concernant la gestion de Baluchon 1991.
[15] Le 4 novembre 2005, en raison de ce conflit, Monique Charland entreprend un important recours en redressement[3].
[16] Celui-ci vise avant tout les intimés Louis Lessard, Yves Savard et Céline Lessard, les trois principaux actionnaires, administrateurs et dirigeants de Baluchon 1991[4] « les dirigeants ». Il cible également deux des quatre actionnaires dont les actions étaient convoitées par Monique Charland. Il s’agit des intimés Yvon Levasseur et Philippe Heinly, deux actionnaires minoritaires de Gestion I. Il implique aussi l’intimé Léo Beaudin qui, par l’intermédiaire de sa société de gestion, a acquis les actions détenues par la famille Guimond dans Gestion I, actions également convoitées par Monique Charland[5].
[17] Il concerne enfin, dans une moindre mesure, trois des quatre administrateurs de Gestion I qui ont autorisé la vente des actions détenues par Philippe Heinly et par la famille Guimond, les intimés Pierre Hétu, Guy Levasseur et Jean Scarpino[6].
[18] Dans le cadre de ce recours, les blâmes adressés aux intimés sont nombreux et variés[7].
[19] Les remèdes recherchés le sont tout autant.
[20] À titre illustratif, la procédure introductive d’instance fait état d’un nombre considérable de griefs qui s’adressent principalement aux dirigeants. Elle renferme également plus de 70 conclusions, la plus percutante étant sans contredit celle relative au remboursement des honoraires des avocats de Monique Charland qui, à la fin du procès, s’élèvent à presque 1,5 million $. Dans un dossier impliquant une PME et où l’intérêt financier en jeu est relativement limité — la valeur des actions convoitées est à peine de 60 000 $ — cette réclamation a de quoi faire sourciller.
[21] Pour ma part, sans vouloir être réducteur, je vois dans ce litige une lutte de pouvoir qui oppose d’un côté une actionnaire minoritaire, Monique Charland, et de l’autre les dirigeants de la société. Je constate également que le fondement du litige ou, du moins, la motivation de Monique Charland à instituer son recours, tient à sa conviction que les dirigeants ont délibérément manœuvré pour l’empêcher d’acquérir les actions des quatre actionnaires concernés. C’est d’ailleurs l’objet principal du débat devant la Cour supérieure.
[22] En défense, on le devine, les intimés contestent vigoureusement chacun des reproches qui leur sont adressés, en particulier celui selon lequel les dirigeants ont fait preuve d’oppression en tentant d’empêcher Monique Charland d’acquérir les actions des quatre actionnaires minoritaires. Mais, plus que tout, ils plaident la disproportion, voire la démesure du recours entrepris par l’appelante, lequel a nécessité 15 jours d’interrogatoires préalables et 27 jours de procès. Ils se portent d’ailleurs demandeurs reconventionnels pour faire déclarer ce recours abusif et réclamer les honoraires extrajudiciaires qu’ils ont encourus.
[23] Bien qu’ils reconnaissent qu’un désaccord les oppose à Monique Charland, ils font valoir que ce différend n’a trait qu’à l’interprétation de certains articles de la convention entre actionnaires de Gestion I et qu’il aurait pu être facilement résolu au moyen d’une requête en jugement déclaratoire. Ils insistent sur le fait qu’ils ont proposé à Monique Charland l’utilisation de ce véhicule procédural pour solutionner le différend dès sa survenance, en décembre 2004. Selon eux, une telle requête aurait été d’autant plus pertinente que le litige n’implique en réalité qu’une seule transaction qui est de peu d’importance en termes financiers[8].
[24] Le 12 juin 2012, la juge saisie de ce recours rend son jugement.
[25] Elle rejette la quasi-totalité des 75 conclusions recherchées. Elle conclut que Monique Charland n’a pas été victime d’oppression de la part des principaux dirigeants ou de quiconque. Elle ne fait droit qu’à une seule de ses demandes, soit celle relative à la vente des actions détenues par Yvon Levasseur dans Gestion I. Dans ce cas, elle constate la vente intervenue entre Monique Charland et Levasseur. Elle donne acte de l’engagement souscrit par les dirigeants de Baluchon 2012 d’émettre 1 200 actions à un prix global de 19 200 $, somme déjà consignée au dossier de la Cour par Monique Charland.
[26]
Par ailleurs, et c’est là un aspect important de son jugement, la juge
conclut que le recours de Monique Charland ne respecte pas la règle de
proportionnalité énoncée à l’article
[27] En appel, Monique Charland reprend tout le débat de première instance.
[28] Dans son mémoire d’appel qui ne respecte pas les règles de la Cour[9], elle fait valoir que la juge aurait commis pas moins de 50 erreurs dont la grande majorité ne porte que sur l’appréciation de la preuve factuelle. Elle se garde de préciser ces erreurs ni en quoi elles seraient déterminantes sur le sort du litige. Elle se limite à dire que ces appréciations sont contraires à l’ensemble de la preuve, invitant ainsi la Cour à réviser toute la preuve pour substituer son appréciation à celle de la juge, en tirant ses propres inférences.
[29] Avant d’entreprendre l’analyse à laquelle l’appelante Monique Charland convie la Cour par ses nombreuses questions, il me paraît nécessaire de revoir le contexte de cette affaire.
2 - LE CONTEXTE
2.1 Le Groupe Baluchon
[30] En 1982, sept étudiants de Saint-Paulin (Québec), dont le dirigeant Louis Lessard, mettent sur pied une société sans but lucratif. Au départ, cette société offre principalement des activités de plein air. Mais, au fil des ans, ses membres élaborent un plan de développement qui, en 1990, se concrétise par l’ouverture d’un établissement hôtelier de 12 chambres avec un service de restauration. L’exploitation de ce nouvel établissement marque un point tournant dans les affaires de la société. Les membres revoient sa structure et mettent sur pied des sociétés de placements dans l’entreprise québécoise « Speq » pour financer ses nouvelles activités et son développement.
[31] Cette structure est mise en place sur une période d’environ 15 ans.
[32] D’abord, en juin 1991, la société sans but lucratif est continuée sous la partie IA de la Loi sur les compagnies sous le nom de Concept Éco-Plein Air Le Baluchon inc. Puis, en décembre 1991, Speq I est créée et enregistrée auprès de la Société de développement industriel du Québec « SDI » conformément à la Loi sur les sociétés de placements dans l’entreprise québécoise[10]. Par le biais de Speq I, Baluchon 1991 sollicite des investisseurs privés qui, par leur investissement, en deviennent actionnaires tout en se voyant conférer des avantages fiscaux.
[33] À la suite de la constitution de cette première Speq, les actionnaires et dirigeants de Concept Éco-Plein Air Le Baluchon inc. créeront deux autres sociétés de placements pour financer le développement de Baluchon 1991, l’une en septembre 1994 « Speq II » et l’autre en septembre 2000 « Speq III ». Au fil des ans, sur les recommandations de fiscalistes, ils créent également trois sociétés de gestion — Gestion I, II et III — pour permettre aux actionnaires de Speq I, II et III de maintenir leur investissement dans le Groupe Baluchon par l’intermédiaire de ces sociétés de gestion[11].
2.2 Les investissements de Monique Charland
[34] En 1991, Gilles Lessard, le frère du dirigeant Louis Lessard, qui occupe un poste de vice-président recherche et développement et vente du Centre de Recherche industrielle du Québec « CRIQ », sollicite un investissement de Monique Charland, l’une de ses subalternes. Il lui explique que Baluchon 1991, propriétaire de l’établissement hôtelier du même nom, cherche à obtenir du financement privé par l’intermédiaire d’une société de placements dans l’entreprise québécoise, en l’occurrence Speq I. Il lui remet un prospectus décrivant le projet d’investissement.
[35] Consciente que l’établissement hôtelier débute ses opérations, qu’il opère à perte et qu’un investissement dans Speq I s’avère risqué, mais qu’il procure des avantages fiscaux intéressants, Monique Charland acquiert 2 000 actions de Speq I au prix de 20 000 $[12]. À la suite de ce premier investissement dans Speq I, Monique Charland effectuera, au fil des ans, six autres investissements dans les sociétés du Groupe Baluchon.
[36] En février 1994, elle acquiert de l’actionnaire Jacques Lessard 1 200 actions de la société Baluchon 1991 au prix de 12 000 $. Puis, en décembre 1997, elle souscrit 3 500 actions de Speq II au prix de 70 000 $. En novembre 1998, elle acquiert 6 155 actions de la société Baluchon 1991 détenues par deux actionnaires de cette société, soit 6 000 actions de Jean-Marc Gauthier au prix de 60 000 $ et 155 actions de Sylvie Paquin au prix de 1 860 $. Enfin, en décembre 2000, elle souscrit 600 actions de Speq III pour un montant de 15 000 $.
[37] En décembre 2000, Monique Charland détient donc des actions dans les sociétés Baluchon 1991, Speq I, Speq II et Speq III. La valeur de son investissement direct dans le Groupe Baluchon, par le biais des souscriptions d’actions, s’élève à 105 000 $. Quant au capital investi pour acquérir les actions d’autres actionnaires, il s’élève à 73 860 $. Sans pouvoir aspirer à exercer un quelconque contrôle sur les affaires de ces sociétés, elle demeure une actionnaire importante parmi les minoritaires.
[38] Par ailleurs, en plus d’être actionnaire des sociétés Baluchon, Speq I, Speq II et Speq III, Monique Charland assume également des fonctions d’administratrice au sein de Speq II entre juin 1998 et juin 2004 ainsi que de Baluchon 1991 et de Speq III de juin 2001 à juin 2004.
2.3 Le conflit
[39] Au cours de l’année 2003, un rapport réalisé par la firme Sogesco révèle l’existence d’importantes tensions au sein du conseil d’administration du Baluchon. Il décrit la lutte de pouvoir entre deux dirigeants, Louis Lessard et son frère Gilles, celui qui a sollicité la participation de Monique Charland. Parmi les recommandations du rapport figure celle de redéfinir les rôles de chacun des dirigeants. Ce rapport propose également de redonner au conseil d’administration toutes les fonctions qu’il doit exercer dans l’entreprise.
[40] À la suite de ce rapport, à la suggestion de l’actionnaire institutionnel Fonds de solidarité FTQ, Baluchon 1991 retient les services d’un autre consultant, monsieur Michel Maletto, pour mettre en place les recommandations de Sogesco.
[41] Le 12 février 2004, Maletto produit son rapport. Il propose plusieurs scénarios pour solutionner le conflit organisationnel qui sévit à la fois au sein de l’entreprise et dans la famille Lessard. L’accueil mitigé de ce rapport met en lumière les tensions qui divisent le conseil d’administration du Groupe Baluchon. Plusieurs administrateurs, dont Gilles Lessard et Monique Charland, désirent suivre les recommandations du rapport Maletto alors que les trois principaux dirigeants de Baluchon 1991 s’y opposent.
[42] Parallèlement au dépôt de ce rapport, une autre source de tension alimente la discorde qui oppose Monique Charland aux dirigeants, lorsque Claude Lessard vend les 1 000 actions qu’il détient dans Baluchon 1991 au dirigeant Louis Lessard et à son épouse Patricia Brouard, sans respecter la procédure de vente prévue à la convention entre actionnaires. Bien que cette omission découle d’une erreur commise de bonne foi par celui qui remplace la secrétaire de la société Baluchon 1991, Monique Charland y voit un stratagème visant à l’écarter.
[43] En juin 2004, en raison de cette discorde, Monique Charland démissionne de ses fonctions d’administratrice au sein de Speq II, Speq III et Baluchon 1991.
[44] Dans les mois qui suivent, cette mésentente perdure et s’aggrave considérablement lorsque Monique Charland tente à nouveau, sans succès, d’acquérir les actions détenues par Yvon Levasseur, Philippe Heinly et la famille Guimond dans Gestion I. Elle attribue son échec aux manœuvres des dirigeants. Elle est convaincue qu’ils ont posé plusieurs gestes afin de l’empêcher d’acquérir ces actions, en usant de leur pouvoir à mauvais escient. Elle fait un lien entre les agissements des dirigeants et ses critiques concernant leur gestion des sociétés du Groupe Baluchon.
[45] C’est dans ce contexte tendu qu’elle intente une action en vertu des articles 33 et 46 C.p.c.[13]. Elle allègue être victime d’oppression et d’abus de la part des dirigeants du Groupe Baluchon.
[46] D’une part, elle soutient que la structure corporative du Groupe Baluchon, en particulier la mise en place des Speq I, II et III et des Gestion I, II et III s’avère oppressive en plus de contrevenir aux dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières.
[47] D’autre part, elle plaide que les dirigeants ont manœuvré afin que Claude Lessard, Yvon Levasseur, la famille Guimond et Philippe Heinly ne lui vendent pas leurs actions et que, ce faisant, ils ont engagé leur responsabilité.
[48] Dans le cas précis de Philippe Heinly, Monique Charland reproche également aux dirigeants d’avoir fait fi de ses attentes légitimes et de la convention entre actionnaires de Gestion I, en incitant Heinly à ne pas lui transmettre une lettre d’offre. Bien qu’elle n’ait jamais été actionnaire de Gestion I, elle affirme, en se fondant sur le concept des attentes légitimes ainsi que sur la convention entre actionnaires de Gestion I, qu’en sa qualité d’actionnaire de Baluchon 1991, elle était en droit de recevoir une telle lettre d’offre et d’acquérir les actions de Heinly au même titre que les autres actionnaires des sociétés faisant partie du Groupe Baluchon.
2.4 La procédure d’arrangement
[49] En 2011, avant l’audition de l’action en oppression et redressement, les sociétés du Groupe Baluchon déposent une demande d’arrangement fondée sur les articles 414 et suivants de la L.s.a.[14]. Cette demande vise à regrouper, en une seule société, quatre des cinq sociétés mises en cause, soit Baluchon 1991, Speq III, Gestion I et Gestion II. Le 1er avril 2012, l’arrangement proposé obtient l’assentiment de l’Autorité des marchés financiers « AMF » et il est autorisé par la Cour supérieure. Il règle certaines conclusions du recours en oppression, notamment celles visant à revoir la structure du Groupe Baluchon.
[50] Le 12 juin 2012, la juge rend son jugement. Elle conclut que Monique Charland n’a pas été victime d'abus ou d'oppression. D’abord, elle retient que la structure du Groupe Baluchon, avant l’arrangement de 2012, ne constituait pas une source d'oppression et d'abus. D’autre part, elle se dit d’avis que la preuve prépondérante ne démontre pas que les dirigeants ont manœuvré dans le but d’empêcher Monique Charland d’acquérir les actions détenues par Claude Lessard dans Baluchon 1991 et celles détenues par Yvon Levasseur, la famille Guimond et Philippe Heinly dans Gestion I.
[51] Dans le cas précis de Philippe Heinly, la juge rejette l’argument fondé sur les attentes légitimes et la convention entre actionnaires de Gestion I. Elle estime que Monique Charland, n’étant pas elle-même actionnaire de Gestion I, ne pouvait recevoir la lettre d’offre de Heinly. Ce faisant, elle statue également sur la demande de déclarer nulles et inopposables les procédures de vente d'actions adoptées en juin 2005, demande devenue sans objet à la suite de l’arrangement de 2012 ayant fusionné les sociétés du Groupe Baluchon en une seule société.
[52] Enfin, elle refuse d'annuler le rachat des actions que Monique Charland détenait dans Speq II, puisque la preuve ne démontre pas que la valeur attribuée aux actions au moment du rachat était inexacte — cette demande est devenue sans objet à la suite de l’arrangement de 2012.
[53] Par ailleurs, la juge accueille en partie la demande reconventionnelle de Jean Scarpino, Guy Levasseur, Pierre Hétu, Yvon Levasseur, Philippe Heinly, Léo Beaudin, Louis Lessard, Yves Savard et Céline Lessard. Elle estime que le recours exercé par Monique Charland est clairement disproportionné par rapport à la nature du litige et, surtout, des intérêts financiers en jeu. Plus encore, elle considère ce recours à ce point disproportionné et déraisonnable qu’elle fait droit à la demande reconventionnelle des intimés et déclare l’action abusive.
[54] Elle accorde aux intimés Jean Scarpino, Guy Levasseur et Pierre Hétu, trois anciens administrateurs de Gestion I, qui n’ont posé aucun geste engageant leur responsabilité suivant la preuve, des dommages moraux de 500 $ chacun de même qu’une indemnité correspondant à l’ensemble des honoraires extrajudiciaires qu’ils ont dû encourir. Quant aux intimés Yvon Levasseur, Philippe Heinly, Léo Beaudin, Yves Savard, Louis Lessard et Céline Lessard, elle leur accorde une indemnité équivalant à la moitié de leurs honoraires extrajudiciaires.
3 - LES MOYENS D’APPEL
[55] À la lumière de l’inscription en appel qui tient sur 35 pages et à laquelle le mémoire de l’appelante fait un renvoi intégral pour décrire ses moyens, je constate que l’appel soulève, dans l’ordre, les questions suivantes :
1. L’action
est-elle régie par les articles
2. La structure corporative du Groupe Baluchon, avant l’arrangement de 2012, est-elle source d’oppression?
3. Les dirigeants Louis Lessard, Yves Savard et Céline Lessard ont-ils, par des manœuvres oppressives, tenté :
3.1 d’empêcher Monique Charland d’acquérir les actions détenues par Claude Lessard?
3.2 d’empêcher Monique Charland d’acquérir les actions détenues par Yvon Levasseur?
3.3 d’empêcher Monique Charland d’acquérir les actions des membres de la famille Guimond?
3.4 d’empêcher Monique Charland d’acquérir les actions détenues par Philippe Heinly?
4. Le rachat des actions privilégiées détenues par Monique Charland dans Speq II est-il valide?
5. Y a-t-il lieu d’accorder les ordonnances de redressement recherchées dans l’action dérivée ainsi que les dommages réclamés dont le remboursement des honoraires extrajudiciaires de ses avocats totalisant 1 481 059 $;
6. y a-t-il lieu de revoir les conclusions du jugement frappé d’appel selon lesquelles le recours entrepris par Monique Charland est disproportionné et abusif et, le cas échéant, les dommages accordés aux intimés.
4 - LA NORME D’INTERVENTION
[56] Le pourvoi de Monique Charland porte essentiellement sur des questions d’appréciation de la preuve.
[57] Or, la norme d’intervention en pareille situation est bien connue[15]. Une cour d’appel n’intervient sur des questions touchant l’appréciation de la preuve que si le juge a commis des erreurs manifestes et déterminantes. Il doit s’agir d’erreurs évidentes — qui sautent aux yeux à la seule lecture du jugement entrepris — qui peuvent avoir un impact sur la décision. Ces erreurs doivent être précisées ou « montrées du doigt » par la partie qui se pourvoit, ce qui signifie forcément autre chose qu’inviter la Cour à revoir l’ensemble de la preuve. Dans l’arrêt P.L. c. Benchetrit, le juge Morissette résume fort bien ces principes. Considérant l’ampleur de l’analyse à laquelle Monique Charland nous convie, il m’apparaît utile de reproduire les propos de mon collègue[16] :
[24] [...] Dans le domaine des faits, les rôles respectifs d’une juridiction de première instance et d’une juridiction d’appel sont dictés en grande partie par des considérations institutionnelles. Un juge de première instance, tout le monde le sait, a l’avantage de scruter la preuve documentaire ou matérielle, de voir et d’entendre les témoins, et d’assister au déroulement linéaire de la preuve, au rythme auquel les parties l’administrent. Un juge d’appel a l’avantage d’être saisi longtemps avant l’audience d’un dossier qui, en principe, contient déjà toute la preuve, ou du moins tout ce qui est pertinent au pourvoi. Il peut donc d’emblée demander aux avocats des éclaircissements sur le contenu du dossier et, comme il travaille avec les transcriptions des témoignages (ce qui est rarement le cas en première instance), il peut faire des recoupements pour confronter les informations contradictoires ou divergentes que contiennent presque tous les dossiers litigieux. Mais il ne voit ni n’entend les témoins et, surtout, les contraintes de temps que lui impose sa fonction ne lui permettent pas de refaire ce que l’on attend d’un juge de première instance, c’est-à-dire un examen minutieux de la preuve au rythme auquel elle fut présentée par les parties au procès. Hors les cas qui ne laissent pas de place au doute, il est donc mal placé pour réévaluer la crédibilité des témoins. Il lui faut par ailleurs compter sur l’assistance des avocats pour repérer et évaluer les prétendues erreurs de fait sur lesquelles se fonde une partie. D’où il suit qu’affirmer sans plus de précision qu’une conclusion de fait « est contraire à l’ensemble de la preuve » n’est d’aucune utilité en appel. Et prétendre qu’une chose est « manifeste » ne suffit pas à la rendre telle. À mon avis, c’est dans ce sens que doivent se comprendre les propos du juge Fish quand il écrivait ce qui suit dans l’arrêt H.L. c. Canada (Procureur général):
… en plus de sa résonance, l'expression « erreur manifeste et dominante » contribue à faire ressortir la nécessité de pouvoir « montrer du doigt » la faille ou l'erreur fondamentale. Pour reprendre les termes employés par le juge Vancise, [TRADUCTION] « [l]a cour d'appel doit être certaine que le juge de première instance a commis une erreur et elle doit être en mesure de déterminer avec certitude l'erreur fatale » (Tanel, p. 223, motifs dissidents, mais pas sur ce point).
« Montrer du doigt » signifie autre chose qu’inviter la Cour à porter un regard panoramique sur l’ensemble de la preuve : il s’agit de diriger son attention vers un point déterminé où un élément de preuve univoque fait tout simplement obstacle à la conclusion de fait attaquée. Si cette conclusion de fait, dont on a ainsi démontré qu’elle était manifestement fausse, compromet suffisamment le dispositif du jugement, l’erreur sera qualifiée de déterminante et justifiera la réformation du jugement.
[Je souligne]
[58] C’est en gardant à l’esprit ces commentaires que je procède à l’analyse des moyens d’appel de Monique Charland.
5 - L’ANALYSE
Question 1 : Le droit applicable
[59] Bien que son recours ait été institué plusieurs années avant l’entrée en vigueur de la L.s.a., Monique Charland soutient que cette loi, qui accorde différents recours aux détenteurs de valeurs mobilières victimes d’abus de pouvoir ou d’iniquité, s’applique à la présente affaire. Elle fonde sa position sur les dispositions transitoires de la L.s.a., plus particulièrement sur l’article 716 qui dispose que, à compter du 14 février 2011, une compagnie constituée, continuée ou fusionnée en vertu de la partie IA de la Loi sur les compagnies devient régie par la L.s.a. :
716. Une compagnie constituée, continuée ou issue d'une fusion en vertu de la partie IA de la Loi sur les compagnies (chapitre C-38) devient, à compter du 14 février 2011, une société par actions régie par la présente loi. Il en est de même d'une compagnie d'assurance, au sens de la Loi sur les assurances (chapitre A-32), à laquelle s'applique la partie IA de la Loi sur les compagnies. |
716. A company constituted, continued or resulting from an amalgamation under Part IA of the Companies Act (chapter C-38) becomes, on 14 February 2011, a business corporation governed by this Act. The same applies to an insurance company within the meaning of that expression in the Act respecting insurance (chapter A-32) to which Part IA of the Companies Act applies. |
[60] La juge rejette cette prétention. Se fondant sur deux précédents de la Cour supérieure[17], elle retient que la L.s.a. n’a pas d’effet rétroactif et que, par conséquent, le recours en redressement pour abus prévu aux articles 450 et suivants ne s’applique pas à un recours entrepris avant son entrée en vigueur.
[61]
Elle s’en remet aux principes élaborés par les tribunaux en ce qui a
trait aux recours en oppression fondés sur les articles
[62] À mon avis, cette conclusion est bien fondée.
[63] Il est bien établi qu’une loi ne produit pas d’effet rétroactif à moins que le législateur ne le décrète de façon expresse et non équivoque[18]. La loi rétroactive demeure en effet exceptionnelle. Dans l’arrêt Gustavson Drilling, la Cour suprême décrit le principe de la non-rétroactivité de la loi en ces termes[19] :
Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation.
[64] Par ailleurs, il faut se garder de confondre les notions de « rétroactivité » et d’« application immédiate ». Une loi qui se veut d’application immédiate n’est pas, de ce seul fait, une loi rétroactive. Voici comment l’auteur Pierre-André Côté distingue ces deux notions[20] :
En principe, les lois nouvelles touchant le fond ne s'appliquent pas aux instances en cours, y compris celles qui sont en appel. Le processus judiciaire étant généralement déclaratif de droit, le juge déclare les droits des parties tels qu'ils existaient le jour où la cause d'action a pris naissance : le jour du délit, le jour de la formation du contrat, le jour de la perpétration de l'acte criminel, et ainsi de suite. Par contre, une loi de fond nouvelle est applicable à une instance en cours lorsqu’elle modifie de façon rétroactive le droit qui existait le jour du délit, du contrat, de l’acte criminel, et ainsi de suite. Une instance en cours pourra donc être régie par une loi nouvelle rétroactive, ceci valant même pour la loi rétroactive adoptée pendant que l’instance est pendante en appel.
[Références omises]
[65] Dans le cas particulier de la L.s.a., l’auteur Paul Martel exprime l’opinion que les recours en redressement pour abus prévus aux articles 450 et suivants ont un certain effet rétroactif en ce qu’ils peuvent être intentés sur la base de faits antérieurs au 14 février 2011, date de son entrée en vigueur[21] :
La loi précise […] en effet que la conduite abusive ou injuste visée par le recours inclut la façon dont la société ou une personne morale de son groupe «a exercé» ses activités ou «a conduit» ses affaires internes, ou la façon dont les administrateurs de la société ou la personne morale de son groupe «ont exercé» leurs pouvoirs.
Ce qui importe, c’est qu’en raison d’une telle conduite passée, la société ou la personne morale de son groupe agit, ou s’apprête à agir abusivement ou injustement, au moment où le recours est intenté.
En ce sens, on peut dire que le recours sous l’article 450 a un effet rétroactif, ou, plus précisément, une application immédiate par rapport à des agissements passés, même avant 2011, du moment que leur effet abusif ou injuste est encore présent.
[66]
Il précise toutefois qu’il n’est pas possible de
modifier un recours intenté avant le 14 février 2011 en vertu de l’article
En ce qui a trait au recours en oppression de l'appelant, c'est avec raison que le juge a écarté toute référence à la Loi sur les sociétés par actions car les modifications pertinentes sont entrées en vigueur après que celui-ci eut été intenté.
[67]
Vu ce qui précède, j’estime que la juge était bien fondée de conclure
que le recours entrepris par Monique Chaland le 14 février 2011 doit être
analysé à la lumière de la jurisprudence élaborée par les tribunaux québécois
dans le cadre de recours en oppression fondés sur les articles
[68] Je suis également d’avis qu’elle n’a commis aucune erreur de droit en retenant que ce recours nécessite la preuve d’un abus de droit, d’un manquement aux exigences de la bonne foi ou d’un comportement fautif.
[69] En effet, malgré les incertitudes sur la portée de ce recours qui se distingue des demandes en redressement pour abus fondées sur la L.s.a. et sur la Loi canadienne sur les sociétés par actions « L.c.s.a. », un consensus se dégage en doctrine et en jurisprudence[24] : le recours fondé sur l’article 33 permet à la Cour supérieure de « sanctionner des actes abusifs qui portent atteinte aux intérêts des actionnaires, notamment en raison d’un manque de loyauté ou de probité de la part des membres de la direction ou encore en raison d’un acte posé dans l’intention de nuire, de mauvaise foi ou de manière excessive ou déraisonnable »[25].
[70]
Quant au concept des attentes raisonnables,
la juge a raison d’affirmer que certains juges de la Cour supérieure et certains auteurs ont reconnu son application en matière de recours en
oppression fondé sur l’article
Même si la Loi sur les compagnies ne
renfermait aucune disposition correspondant à l’article 241 de la loi fédérale
créant le « recours en cas d’abus» ou « recours pour oppression», les tribunaux
québécois avaient au cours des dix dernières années entrepris de créer
judiciairement un recours similaire, fondé sur le pouvoir général de
surveillance et de réforme de la Cour supérieur des personnes morales de droit
privé au Québec énoncé à l’article
La portée exacte de ce « recours pour oppression » québécois demeurerait floue : ce recours semblait moins ouvert que le recours statutaire fédéral, en ce qu’il était, aux dernières nouvelles, tributaire de la notion de faute de la société et de ses administrateurs plutôt que fondé sur le résultat injuste de la conduite de la société et de ses administrateurs sur les intérêts du demandeur; de plus, le pouvoir inhérent d’intervention du tribunal dans le cadre de ce recours provincial semblait plus restreint que sous la loi fédérale, du moins en matière d’ordonnances d’achat forcé d’actions ou de nomination d’administrateurs.
L’incertitude qui persistait dans ce domaine tant
chez les sociétés et les administrateurs poursuivis que chez les actionnaires
demandeurs, jumelée à la pression exercée sur le législateur par la conscience
du fait que le Québec demeurait l’une des seules juridictions canadiennes
(l’autre étant l’Île-du-Prince-Édouard) à ne pas avoir crée de « recours pour
oppression» statutaire, a milité en faveur de la codification statutaire du «
recours pour oppression». Le nouveau « recours en redressement en cas
d’abus de pouvoir ou d’iniquité » a été inséré aux articles
[Références omises] [Je souligne]
[71] De plus, comme nous le verrons ci-après, le concept d’attentes raisonnables n’a en l’espèce qu’une application limitée.
Question 2 : La structure du Groupe Baluchon comme source d’oppression
[72] Monique Charland reproche aux dirigeants d’avoir contrevenu à la Loi sur les valeurs mobilières en sollicitant des investisseurs par le biais des sociétés Speq I, Speq II et Speq III, trois Speq créées avec l’aval des autorités gouvernementales, en l’occurrence la SDI. Plus précisément, elle soutient que ces Speq ont été mises en place pour contourner la règle prévoyant l’assujettissement d’une société de plus de 50 actionnaires à la Loi sur les valeurs mobilières[27].
[73] De plus, elle affirme qu’en raison de cette contravention, les dirigeants n’ont pas respecté les promesses faites aux actionnaires des trois Speq lors de leur investissement, soit de voir les actions qu’ils détenaient dans Speq I, II ou III être converties en actions de Baluchon 1991 au plus tard sept ans après leur souscription. Elle avance que, pour éviter que ces conversions n’augmentent le nombre d’actionnaires de Baluchon à plus de 50, les dirigeants ont opté pour la création des sociétés Gestion I et II afin que les actionnaires de Speq I, II et III échangent leurs actions dans ces deux sociétés pour des actions de Gestion I et II.
[74] En conséquence, elle fait valoir que la structure du Groupe Baluchon est oppressive en ce qu’elle a nui aux actionnaires de Speq I, II et III.
[75] Pour appuyer sa position, elle invoque l’entente administrative intervenue entre l’AMF et les sociétés du Groupe Baluchon qui a donné lieu à l’arrangement effectué en 2012 conformément aux articles 414 et suivants de la L.s.a., lequel a permis de fusionner les sociétés faisant partie du Groupe Baluchon en une seule société, Baluchon 2011[28].
[76] Dans son jugement, la juge rejette ces arguments en distinguant la situation des Speq I, II et III de celle des Gestion I et II.
[77] Dans le cas de Speq I, II et III, elle note que l’entente intervenue avec l’AMF visait non pas à sanctionner leur création ou la structure du Groupe Baluchon, mais plutôt la sollicitation effectuée par leur intermédiaire qui portait le nombre d’investisseurs à plus de 50. Elle conclut que cette structure a été mise en place, avec le support de la SDI, pour attirer des investisseurs intéressés par le véhicule fiscal qu’elle procurait et non pas pour avantager un groupe d’actionnaires.
[78] Quant aux sociétés Gestion I et II qui sont directement visées par les plaintes formulées par Monique Charland, la juge conclut que la preuve ne démontre pas que la création de ces deux sociétés est contraire à la Loi sur les valeurs mobilières. Elle retient plutôt que ces sociétés ont été créées sur les recommandations de professionnels pour maintenir les avantages fiscaux que les Speq procuraient[29]. Elle précise de nouveau que la création de Gestion I et II n’a pas avantagé un groupe d’actionnaires par rapport à un autre[30].
[79] En appel, Monique Charland réitère sa position.
[80] Elle reproche à la juge d’avoir conclu que la création de Gestion I et II ne visait pas à soustraire le Groupe Baluchon à la Loi sur les valeurs mobilières[31]. Elle estime également qu’elle s’est trompée en concluant que l’AMF n’avait pas sanctionné, par le biais de l’entente administrative, la création des sociétés Gestion I et Gestion II et qu’elle n’avait pas confirmé le bien-fondé des récriminations qu’elle avait formulées dans sa plainte de 2005[32]. Enfin, elle réitère que la structure corporative a été une source d’oppression et d’abus[33].
[81] À mon avis, rien de ce qu’elle invoque ne tend à démontrer que la création des Speq I, II et III ou des Gestion I, II et III visait à soustraire le Groupe Baluchon à la Loi sur les valeurs mobilières. La création des Speq s’est faite avec l’aval et la collaboration de la SDI tandis que la création des trois sociétés de gestion a été proposée par des firmes comptables dans le but de permettre aux actionnaires des Speq I, II et III de maintenir certains avantages fiscaux. Même si la création de ces sociétés a indirectement permis que le nombre d’actionnaires de Baluchon 1991 demeure inférieur à 50, rien dans la preuve ne permet de conclure qu’en créant ces sociétés de gestion, les dirigeants ont commis une faute ayant causé un préjudice à Monique Charland.
[82] Je suis d’opinion que Monique Charland ne soulève aucune erreur manifeste et déterminante ni aucun moyen sérieux permettant d’attaquer les conclusions de la juge selon laquelle la structure du Groupe Baluchon n’a pas été une source d’oppression à son endroit.
Question 3 : Les comportements oppressifs des dirigeants
[83] Je l’ai mentionné, l’élément déclencheur du recours entrepris tient au fait que Monique Charland se dit convaincue que les trois principaux dirigeants de Baluchon 1991 ont manœuvré pour l’empêcher d’acquérir les actions de Claude Lessard, Yvon Levasseur, Philippe Heinly et de la famille Guimond. Sa perception est renforcée par le fait qu’avant de tenter d’acquérir les actions de ces actionnaires minoritaires, elle a ouvertement critiqué leur mauvaise gestion et démissionné de sa fonction d’administratrice en raison de ses divergences de vues.
[84] Dans son jugement, la juge retient que cette perception n’est pas le reflet de la réalité. Bien qu’elle conclue que l’intimé Yvon Levasseur a refusé sans motif de respecter l’entente passée avec Monique Charland pour la vente des actions qu’il détenait dans Baluchon 1991, la juge ne retient pas que les dirigeants ont agi délibérément pour l’empêcher d’acquérir les actions de Levasseur ou encore des trois autres actionnaires, Lessard, la famille Guimond et Heinly.
[85] À mon avis, cette conclusion n’est entachée d’aucune erreur de fait ni d’aucune erreur de droit. Je m’explique.
Question 3.1 : La vente des actions détenues par Claude Lessard
[86] L’actionnaire Claude Lessard est le frère des dirigeants Louis et Céline Lessard. Au début de l’année 2004, il informe ces derniers qu’il désire vendre ses 1 000 actions du Baluchon 1991 car il a besoin d’argent. À cette époque, son frère René-Paul agit à titre de secrétaire de Baluchon 1991 en remplacement de Céline Lessard qui se trouve en congé de maladie. À ce titre, il remet à Claude un modèle de lettre d’offre qu’il doit adresser à tous les actionnaires de Baluchon 1991 pour leur offrir ses actions, et ce, conformément à ce que prévoit la convention entre actionnaires. Le hic, c’est que ce modèle déroge à la convention, le délai de réponse indiqué étant de 15 jours plutôt que de 45 jours, comme le prévoit la convention.
[87] Dans les faits, seuls le dirigeant Louis Lessard et son épouse Patricia Brouard manifestent leur intérêt à l’intérieur du délai de 15 jours de sorte qu’au seizième jour, Claude Lessard leur vend ses actions au prix stipulé dans la lettre d’offre. Les choses n’en restent toutefois pas là puisque, à la suite de cette vente, trois autres actionnaires, dont Monique Charland, signifient à Claude Lessard leur intention de se porter acquéreurs de ses actions. Bien que leur acceptation ne soit pas signifiée à l’intérieur du délai de 15 jours prévu à la lettre d’offre, elle est transmise à l’intérieur du délai de 45 jours stipulé à la convention entre actionnaires de Baluchon 1991.
[88] Lorsque informé que Claude Lessard a vendu ses actions sans avoir respecté le délai de 45 jours stipulé à la convention entre actionnaires, l’un des trois actionnaires concernés, Gilles Lessard, demande que le conseil d’administration soit saisi de la question. Celui-ci consulte ses avocats qui lui confirment que la convention entre actionnaires n’a effectivement pas été respectée. Le conseil d’administration transmet cette opinion aux trois actionnaires qui ont répondu à l’offre et les avise que le contrat de vente d’actions intervenu entre Claude Lessard, Louis Lessard et Patricia Brouard doit être considéré nul et invalide.
[89] À la suite de ces évènements, Louis Lessard et Patricia Brouard rétrocèdent les actions transigées à Claude Lessard. Toutefois, étant donné que ce dernier n’est pas en mesure de leur rembourser le prix de vente de 15 000 $ dont il a déjà disposé, ils lui demandent de signer une reconnaissance de dette qui comporte, comme terme d’échéance, le moment où il disposera de ses actions. Dans les faits, aucun des actionnaires qui avaient signifié son intention d’acquérir ces actions, dont Monique Charland, ne manifeste son désir d’acquérir les actions de Claude Lessard.
[90] Malgré cela, Monique Charland reproche aux dirigeants de n’avoir rien fait pour relancer le processus de vente devant permettre à Claude Lessard de vendre ses actions. Elle soutient qu’en demeurant passifs, ils voulaient éviter qu’elle puisse acquérir ces actions en tout ou en partie. Sa position sous-entend que Louis et Céline Lessard, qui avaient tout intérêt à entreprendre une telle démarche pour être remboursés du montant de 15 000 $ qui leur était dû, se sont abstenus de le faire de crainte que Monique Charland puisse éventuellement acquérir une participation additionnelle dans Baluchon 1991[34].
[91] Pour sa part, la juge retient que les dirigeants de Baluchon 1991 n’ont pas fait preuve de mauvaise foi ni commis aucune faute lors de ces évènements. Elle détermine que le délai de 15 jours qui apparaît à la lettre d’offre découle d’une erreur commise de bonne foi par le remplaçant de Céline Lessard, secrétaire de la société, qui était en congé de maladie. Relativement aux intentions malveillantes que Monique Charland prête aux dirigeants du fait qu’ils n’ont pas repris le processus de vente des actions de Claude Lessard, elle retient plutôt les explications de ce dernier lorsqu’il affirme avoir offert ses actions à Monique Charland, mais que cette offre est demeurée sans réponse[35].
[92] En appel, Monique Charland réitère les mêmes arguments sans soulever d’erreur précise et déterminante de la juge, comme elle se doit de la faire. Elle s’en tient à des généralités en mentionnant que la juge a manifestement erré en ne retenant pas que les dirigeants ont incité les actionnaires à violer les conventions entre actionnaires, qu’ils ont tenté de l’empêcher d’acquérir les actions de Claude Lessard, ou en ne prenant pas en considération l’ensemble des éléments de preuve démontrant les stratagèmes mis en place pour l’empêcher d’acquérir ces actions.
[93] Ce motif d’appel ne permet pas à cette Cour d’intervenir. Elle n’a pas à réévaluer la preuve et à substituer son appréciation à celle de la juge sur cette question qui implique la crédibilité des témoins. La juge a retenu les explications de Claude Lessard qui affirme avoir offert, après coup, ses actions à Monique Charland, mais que cette offre est demeurée sans réponse. Ce seul constat, qui démontre que Monique Charland n’a qu’elle-même à blâmer, suffit à écarter les reproches formulés.
Question 3.2 : La vente des actions détenues par Yvon Levasseur
[94] La juge a fait droit à la demande de Monique Charland concernant les actions d’Yvon Levasseur. Elle a reconnu qu’une entente était bel et bien intervenue entre eux pour la vente des 1 200 actions détenues par Levasseur dans Gestion I et que ce dernier avait refusé, sans motif, d’exécuter cette entente. Malgré cela, Monique Charland remet toujours en question la conclusion de la juge selon laquelle les dirigeants de Baluchon 1991 n’ont pas incité ce dernier à ne pas lui vendre ses actions[36].
[95] Voici ce que l’exposé des faits[37] et le jugement révèlent.
[96] À la fin de l’été 2004, Yvon Levasseur fait parvenir une lettre d’offre à tous les actionnaires de Gestion I. Il les informe qu’il désire vendre ses 1 500 actions de la société au prix de 16 $ l’action. Se référant à la convention d’actionnaires de Gestion I, il les avise qu’à défaut par eux de se prévaloir de cette offre préalable dans un délai de 15 jours, il offrira alors ses actions à des tierces personnes intéressées à les acquérir. Dans les faits, aucun des actionnaires visés par cette lettre d’offre ne signifie son intention d’acquérir les actions dans le délai stipulé.
[97] Le 9 novembre 2004, plusieurs mois plus tard, Monique Charland communique avec Yvon Levasseur par téléphone. Elle lui demande s’il est toujours disposé à vendre ses actions de Gestion I. Celui-ci lui confirme qu’il est intéressé et ils conviennent de se rencontrer le même jour pour conclure la vente. Lors de cette rencontre qui se tient au lieu de travail d’Yvon Levasseur, Monique Charland lui remet un chèque de 19 200 $ en échange de son certificat d’actions dûment endossé. Une fois la vente complétée, Céline Lessard, secrétaire de la société, est informée de cette vente. Bien qu’inconfortable avec cette façon de procéder, Céline Lessard prend acte de la transaction et demande à Monique Charland de respecter la procédure administrative applicable à une telle vente d’actions. Elle lui demande notamment d’informer le conseil d’administration et de signer la convention d’actionnaires de la société.
[98] Monique Charland informe officiellement le conseil d’administration de la société de la vente, alors qu’Yvon Levasseur encaisse le chèque de 19 200 $ qu’il a reçu en guise de paiement pour ses actions.
[99] Si, jusque-là, les choses se passent sans histoire, elles se compliquent lorsque l’intimé Léo Beaudin est informé de cette transaction. Beaudin, qui n’était pas à cette époque actionnaire de Gestion I, avait déjà signifié à Yvon Levasseur son intention d’acquérir ses actions dans l’éventualité où aucun autre actionnaire ne répondrait à son offre dans le délai prescrit. Mécontent de la tournure des évènements, il signale à Yvon Levasseur que la procédure n’a pas été respectée. Il laisse même entendre que ses avocats vont s’en mêler.
[100] Inconfortable, Yvon Levasseur réussit à faire annuler le dépôt du chèque de 19 200 $ qui lui a été remis. Puis, il informe les dirigeants qu’il ne désire plus vendre ses actions à Monique Charland. Prenant acte de sa position, ceux-ci préparent une lettre explicative que Yvon Levasseur signe et transmet à Monique Charland avec le chèque de 19 200 $ qu’elle lui a remis. Par la suite, ils transmettent eux aussi une lettre à Monique Charland. Ils l’informent que la transaction ne peut être enregistrée ni autorisée étant donné qu’Yvon Levasseur ne souhaite plus lui vendre ses actions.
[101] De cette situation, Monique Charland conclut que les dirigeants Louis Lessard et Céline Lessard sont responsables de la volte-face d’Yvon Levasseur et qu’ils l’ont incité à renier sa parole. Elle plaide également que la procédure administrative ne pouvait lui être opposée.
[102] Tel que mentionné précédemment, la juge lui donne raison sur le fait qu’il y avait eu transaction et que la procédure administrative ne pouvait y faire obstacle. Par contre, elle ne décèle aucun élément dans la preuve qui lui permet de conclure que les dirigeants ont incité Yvon Levasseur à ne pas respecter l’entente conclue avec Monique Charland. Elle attribue plutôt cette décision à l’intervention « musclée » de Léo Beaudin qui a menacé de prendre des mesures légales contre Yvon Levasseur pour faire annuler la vente[38].
[103] En appel, comme dans le cas de Claude Lessard, Monique Charland n’indique pas de façon précise en quoi cette conclusion serait erronée. Elle s’en tient, une fois de plus, à des généralités en affirmant que la juge a erré en retenant que les intimés n’avaient pas incité Levasseur à violer la convention entre actionnaires, qu’ils n’avaient pas tenté d’empêcher Beaudin d’acquérir les actions de Levasseur, ou en ne prenant pas en considération l’ensemble des éléments de preuve démontrant les stratagèmes mis en place pour l’empêcher d’acquérir ces actions.
[104] Je suis d’avis que ces motifs d’appel ne sont pas fondés. En l’absence d’erreurs manifestes et déterminantes, la Cour ne saurait réévaluer l’ensemble de la preuve et substituer son appréciation à celle de la juge.
Question 3.3 : La vente des actions détenues par la famille Guimond
[105] Au début du mois de septembre 2004, parallèlement aux démarches entreprises par Yvon Levasseur pour vendre ses actions, Carole, Christiane et Jacques Guimond avisent eux aussi les actionnaires de Gestion I de leur intention de vendre leurs 900 actions au prix de 16 $ l’action. Tout comme ce fut le cas pour Yvon Levasseur, aucun actionnaire de Gestion I ne répond à l’offre dans le délai prévu de sorte qu’à l’expiration du délai, les membres de la famille Guimond sont en droit de vendre leurs actions à tout acheteur intéressé à un prix égal ou supérieur à celui offert aux actionnaires.
[106] Le 9 novembre 2004, lorsque Monique Charland rencontre Yvon Levasseur pour effectuer l’achat de ses actions dans Gestion I, elle lui fait part de son intention d’acquérir également les actions détenues par les membres de la famille Guimond. Incidemment, au sortir de cette rencontre, elle tente sans succès de communiquer avec ces derniers. Elle ne parviendra à le faire que trois jours plus tard, soit le 11 novembre et apprend alors que les membres de la famille Guimond ont déjà vendu leurs actions à la société de gestion de Léo Beaudin, qui l’a prise de vitesse.
[107] Eu égard au contexte de cette vente et de ce qui s’est produit dans le cas de Yvon Levasseur, Monique Charland infère que les dirigeants, de concert avec Beaudin, ont profité de l’information qui leur aurait été fournie par Yvon Levasseur et Céline Lessard pour l’empêcher d’acquérir ces actions.
[108] Pour sa part, la juge n’y voit aucune manœuvre reprochable. Elle estime que la preuve ne révèle aucun geste fautif de la part des dirigeants ou de Beaudin, considérant que ce dernier avait déjà manifesté aux membres de la famille Guimond son intention d’acquérir leurs actions.
[109] En appel, à l’instar des transactions impliquant Claude Lessard et Yvon Levasseur, Monique Charland n’indique pas de façon précise les erreurs qu’aurait pu commettre la juge pour en arriver à cette conclusion. Une fois de plus, elle se limite à affirmer, de façon générale, que la juge a manifestement erré en ne retenant pas sa position selon laquelle les faits mis en preuve sont suffisamment graves, précis et concordants pour conclure que les dirigeants ont incité Beaudin à la battre de vitesse pour acquérir les actions de la famille Guimond à sa place.
[110] Pour les motifs déjà énoncés dans les cas des ventes impliquant Claude Lessard et Yvon Levasseur, j’estime que la Cour ne peut pas, faute d’identification précise d’une erreur manifeste et dominante, procéder à une réévaluation de la preuve. Je réitère qu’il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve pour y déceler, en lieu et place de l’appelante, les erreurs qui auraient pu être commises par la juge et ainsi justifier une intervention pour simplement substituer son appréciation.
Question 3.4 : La vente des actions détenues par Philippe Heinly
[111] Le différend relatif à la vente des actions détenues par Philippe Heinly, qui a nécessité l’intervention des avocats des parties dès sa survenance, se distingue des précédents en ce qu’il touche non seulement au comportement des dirigeants, mais également à l’application du concept des attentes légitimes des actionnaires des sociétés du Groupe Baluchon, et à l’interprétation de la convention entre actionnaires de Gestion I. De fait, comme je l’indique ci-après, les questions touchant aux attentes légitimes, à l’interprétation de la convention ainsi qu’à la mise en place de la procédure de transfert d’actions emportent celles qui ont trait au comportement des dirigeants.
[112] Voici les grands traits de ce différend.
[113] Le 26 novembre 2004, peu de temps après que l’appelante eut tenté sans succès d’acquérir les actions d’Yvon Levasseur et celles des membres de la famille Guimond, un autre actionnaire de Gestion I, Philippe Heinly, transmet une lettre d’offre aux actionnaires de Gestion l, à l’exclusion des actionnaires de Baluchon 1991 et de Speq II. Il les informe qu’il met en vente ses 465 actions de catégorie « B » au prix de 16 $ l’action, soit un montant total de 7 440 $. La preuve révèle qu’il prend seul la décision de n’aviser que les actionnaires de Gestion l.
[114] Le 27 novembre 2004, Monique Charland est informée de la teneur de cette lettre qu’elle n’a pas reçue, n’étant pas elle-même actionnaire de Gestion I. Elle communique immédiatement avec la secrétaire de la société, Céline Lessard, pour se plaindre de la situation. Celle-ci lui répond que Philippe Heinly et son épouse ont préparé eux-mêmes la lettre d’offre et que, à la lecture de la convention entre actionnaires de Gestion I, ils ont compris qu’ils n’étaient pas tenus de transmettre cette lettre aux actionnaires des autres sociétés du Groupe.
[115] Le 3 et le 6 décembre 2004, par l’entremise de son avocat, Monique Charland demande aux dirigeants de voir à ce que la lettre d’offre de Philippe Heinly soit transmise aux détenteurs d’actions de Baluchon 1991 et de Speq II. L’avocat de Monique Charland fonde cette demande sur le paragraphe 5.a) de la convention entre actionnaires de Gestion I, laquelle prévoit que l’actionnaire désireux de se départir de ses actions doit, au préalable, les offrir aux actionnaires de la société ainsi qu’aux actionnaires de Baluchon 1991 et de Speq II :
5.a) Si un des actionnaires veut pour quelque raison que ce soit, vendre ou autrement disposer ou aliéner toutes ou une partie de ses actions de catégories "A" et "B" dans la compagnie, il devra au préalable offrir ces actions aux autres actionnaires de la compagnie ainsi qu'aux actionnaires de Concept Eco-Plein-Air Le Baluchon Inc. et de 9009-6371 Québec Inc. (Speq II), par avis écrit, au prorata entre eux du nombre d'actions de catégories "A" et "B" détenues par eux, au prix mentionné à l'article 10 ou à tout prix inférieur choisi par l'offrant.
[Je souligne]
[116] Ce faisant, il interprète de façon littérale le paragraphe 5.a), sans tenir compte des paragraphes b) à f) du même article 5 :
5.b) Les autres actionnaires bénéficieront d'un délai de quinze (15) jours à compter de la date de la réception de l'avis pour accepter l'offre, en tout ou en partie.
5.c) Au cas où l’un des autres actionnaires ne se prévaudrait pas en tout ou en partie de l'offre à l'intérieur du délai de quinze (15) jours, sa proportion des actions offertes ou Ie solde de celle-ci accroîtra aux autres de ces autres actionnaires, que l'offrant devra aviser sans délai. Ceux-ci bénéficieront alors d'un délai supplémentaire de dix (10) jours pour accepter cette offre additionnelle au prorata d'entre eux de leur détention d'actions de catégories "A" et "B" ou selon toute autre proportion dont ils conviendront, au prix offert;
5.d) À I'expiration du délai de quinze (15) jours, si les autres actionnaires ne se sont pas prévalu de l'offre (auquel cas l'offrant ne sera lié par aucune acceptation de son offre), l'offrant sera libre de les offrir en vente à qui et au prix qu'il voudra dans les trois (3) mois qui suivront I'expiration de ce délai. Si le prix alors demandé par l'offrant pour ses actions est inférieur à celui offert tel que susmentionné, les autres actionnaires, que l'offrant devra aviser sans délai par écrit, auront, pendant les quinze (15) jours qui suivront la réception de ce nouvel avis, un droit de premier refus pour ces actions à ce prix inférieur.
5.e) À I'expiration du délai de trois (3) mois, l’offrant devra, s'il désire de nouveau vendre ces actions, suivre les dispositions des paragraphes (a) et suivants ci-avant.
5.f.) Ne se trouve pas soumis à la règle "Transports d'actions entrevifs", les transferts au conjoint, aux descendants et ascendants familiaux immédiat.
[Je souligne]
[117] Dans ces lettres des 3 et 6 décembre, l’avocat de Monique Charland fait également état des comportements oppressifs que sa cliente impute aux dirigeants, notamment ceux en lien avec les ventes des actions de Claude Lessard, Yvon Levasseur et de la famille Guimond. De plus, au cours d’une conversation téléphonique avec l’avocat des dirigeants, il met en doute la validité des Speq I, II et III. En bref, ces lettres et l’entretien téléphonique laissent clairement voir et entendre qu’un recours en oppression est envisagé.
[118] Le 23 décembre 2004, par l’entremise de leur avocat, Groupe Baluchon et les dirigeants répondent à l’avocat de Monique Charland. Cette lettre couvre chacun des points traités dans les lettres des 3 et 6 décembre 2004 de même que ceux qui ont fait l’objet d’un entretien téléphonique entre les avocats. En ce qui concerne plus précisément la lettre d’offre de Philippe Heinly, qui constitue le point d’intérêt, l’avocat du Groupe Baluchon prend acte de la position de Monique Charland quant à l’interprétation à donner au paragraphe 5.a) de la convention entre actionnaires de Gestion I, mais il réitère son désaccord avec cette interprétation qui ne tient pas compte selon lui des paragraphes b) à f) subséquents.
[119] Toutefois, voulant calmer le jeu, il informe l’avocat de Monique Charland que ses clients ont pris les mesures pour suspendre les démarches entreprises par Philippe Heinly en vue de vendre ses actions. Il propose le maintien du statu quo jusqu’à ce que les parties conviennent d’une entente ou qu’une décision soit rendue par un tribunal sur l’interprétation à donner à l’article 5 de la convention. À cet égard, il suggère de soumettre le différend au tribunal au moyen d’une requête en jugement déclaratoire afin de le solutionner rapidement et à un coût raisonnable. Voici ce qu’il écrit :
Toutefois, sans admettre quoique ce soit et sous réserves de leurs droits, Le Baluchon et les Sociétés ont pris les mesures nécessaires pour suspendre les procédures de vente dans ce dossier afin que personne, y compris votre cliente, ne soit préjudiciée, tant qu’un accord ne sera pas intervenu entre les parties ou que le tribunal n’aura pas statué sur l’interprétation à donner à l’article 5.a) de la convention d’actionnaires de 9061-7838 Québec inc.
À cet égard, une action dérivée ou oblique m’apparaît hors de proportion. Une requête en jugement déclaratoire, à défaut d’entente entre les parties, permettrait de décider rapidement, efficacement et à des frais raisonnables, le sort de cette clause.
Entre-temps, je vous précise qu’aucun dirigeant ou administrateur de Le Baluchon ou des sociétés n’a tenté de faire l’acquisition des actions de M. Heinly. Ainsi, aucun d’eux n’est en conflit d’intérêts dans cette affaire.
[Je souligne]
[120] Il n’est pas donné suite à cette proposition visant à régler la problématique.
[121] Il appert plutôt que la préoccupation de Monique Charland porte sur l’ensemble du contentieux qui l’oppose aux dirigeants comme en fait foi la lettre que son avocat adresse à celui du Groupe Baluchon en date du 7 mars 2005 et par laquelle il demande plusieurs informations concernant : la vente des actions de la famille Guimond, de Yvon Levasseur et de Claude Lessard; les démarches entreprises par Philippe Heinly; les possibles conflits d’intérêts des dirigeants Louis Lessard, Yves Savard et Céline Lessard; la tentative de privatisation du Groupe Baluchon.
[122] Huit mois plus tard, soit au mois de juin 2005, Céline Lessard transmet à tous les actionnaires de Baluchon 1991, de Speq III et de Gestion I, la nouvelle procédure régissant le transfert d’actions. Celle-ci prévoit que les actionnaires désireux de vendre leurs actions doivent, au préalable, les offrir aux actionnaires de la société concernée. Contrairement aux anciennes procédures, elle ne fait aucunement référence aux actionnaires des autres sociétés du Groupe. Elle prévoit également qu’en cas d’incompatibilité avec les dispositions des conventions d’actionnaires, ces dernières ont préséance.
[123] Puis, le 24 août 2005, en raison d’un pressant besoin de liquidités, Philippe Heinly reprend la procédure en vue de vendre ses 465 actions qu’il détient dans Gestion I. Comme il l’avait fait en novembre 2004, il transmet sa lettre d’offre aux seuls actionnaires de Gestion I. Malgré la réception d’une mise en demeure de l’avocat de Monique Charland qui se plaint du fait de ne pas avoir reçu la lettre d’offre, il persiste dans sa démarche et vend, dans les semaines suivantes, ses actions à un autre actionnaire de Gestion I pour le prix de 7 905 $.
[124] C’est à la
suite de cette vente que Monique Charland dépose son recours en oppression
fondé sur les articles
[125] Devant la Cour supérieure, elle fait d’abord valoir que les dirigeants ont incité Philippe Heinly à ne pas lui transmettre la lettre d’offre et qu’en ce faisant, ils ont fait fi de son attente légitime voulant que tous les actionnaires des sociétés faisant partie du Groupe Baluchon soient traités de façon égale. Selon elle, tous les actionnaires devaient être informés de toute mise en vente afin d’avoir la possibilité de s’en prévaloir.
[126] En second lieu, elle plaide que Philippe Heinly n’a pas respecté les termes de la convention entre actionnaires de Gestion I. Elle se plaint du fait qu’à titre d’actionnaire de Baluchon 1991 et de Speq III, elle n’a pas reçu sa lettre d’offre comme le prévoit le paragraphe 5.a) de la convention. Elle fait valoir que ce paragraphe 5.a) comporte une stipulation pour autrui en faveur des actionnaires des autres sociétés, stipulation qu’elle a acceptée dans sa requête amendée du 15 février 2012, soit sept ans après la transaction.
[127] Dans un dernier temps, elle soutient que la procédure de transfert d’actions que Céline Lessard a transmise aux actionnaires de Gestion I en juin 2005, laquelle se distingue des procédures précédentes et de l’article 5.a) de la convention entre actionnaires de Gestion I, en ce qu’elle n’exige pas que les lettres d’offre soient transmises aux actionnaires des autres sociétés du Groupe Baluchon, visait ni plus ni moins à tromper les actionnaires sur la portée réelle de la convention d’actionnaires de Gestion I et à l’empêcher d’acheter les actions de Philippe Heinly.
[128] Dans son jugement, la juge ne retient aucun de ces arguments.
[129] D’abord, en ce qui a trait à l’article 5 de la convention, elle estime que son paragraphe a), lorsque lu avec les paragraphes b) à f) qui lui succèdent, n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît de prime abord. Elle fait ressortir que ce paragraphe a), qui stipule que l’offre doit être transmise aux actionnaires de la compagnie ainsi qu’aux actionnaires des autres sociétés du Groupe, se distingue nettement des paragraphes b) à f) qui ne font aucunement référence aux actionnaires des autres sociétés. En d’autres termes, elle constate que si le paragraphe a) accorde aux actionnaires le droit de se voir transmettre la lettre d’offre, une interprétation littérale des paragraphes b) à f) semble exclure le fait qu’elle puisse s’en prévaloir.
[130] Puis,
appliquant les règles d’interprétation énoncées aux articles
(i) aux termes de l’article 5.a) de la convention entre actionnaires de Gestion I, l’actionnaire désireux de vendre ses actions doit aviser au préalable les autres actionnaires de Gestion I et, selon son bon vouloir, aux actionnaires de Baluchon 1991 et de Speq II; et
(ii) aux termes de l’article 5.b) à f), seuls les actionnaires de Gestion I peuvent se prévaloir de l’offre à l’intérieur du délai de 15 ou 25 jours, selon le cas, prévu aux paragraphes 5.c) à e).
[131] Elle considère que la preuve ne permet pas de conclure que les actionnaires de Baluchon 1991 et de Speq II pouvaient se prévaloir de l’offre de vente au stade initial au même titre que les actionnaires de Gestion I. Pour cette raison, elle estime que les dirigeants Louis Lessard, Yves Savard et Céline Lessard, en interprétant la clause 5 comme ils l’ont fait et en adoptant, en juin 2005, une procédure de transfert d’actions conforme à cette interprétation, n’ont pas agi de mauvaise foi ni commis de fautes envers quiconque. Ce faisant, elle écarte l’argument de Monique Charland fondé sur les attentes légitimes voulant que tous les actionnaires des sociétés faisant partie du Groupe Baluchon doivent être traités de façon égale dans le cas d’une vente d’actions.
[132] Pour ces raisons, elle conclut que Philippe Heinly a respecté la procédure de vente prévue à la convention d’actionnaires de Gestion I et que la vente de ses actions ne peut être remise question.
[133] En appel sur cette question mixte de fait et de droit, Monique Charland réitère que la juge n’a pas tenu compte des attentes légitimes des actionnaires, les dirigeants leur ayant toujours représenté que tous les actionnaires des différentes sociétés du Groupe Baluchon bénéficiaient des mêmes droits, représentations qui devaient être prises en compte dans l’interprétation de la clause 5 de la convention entre actionnaires de Gestion I. Elle fait également valoir que la juge a mal interprété la clause 5 de la convention entre actionnaires de Gestion I, s’en tenant toujours à l’interprétation du paragraphe a), sans égard au contenu des paragraphes b) à e).
[134] Elle maintient que les dirigeants Louis Lessard, Yves Savard et Céline Lessard, de concert avec Philippe Heinly, ont sciemment omis de respecter les termes de la convention de Gestion I dans le but de l’empêcher d’acquérir les actions détenues par ce dernier. Elle ajoute que la procédure de transfert d’actions que Céline Lessard a transmise aux actionnaires de Gestion I en juin 2005, laquelle se distinguait des politiques de transfert précédentes, visait rien de moins qu’à tromper les actionnaires sur la portée réelle de la convention entre actionnaires de Gestion I et à l’empêcher d’acheter les actions de Philippe Heinly.
[135] À l’instar de la juge, je suis d’avis que le libellé de l’article 5 de la convention entre actionnaires, lu dans son ensemble et non en se limitant à ce que renferme le paragraphe a), n’est pas clair et devait être interprété afin de connaître la commune intention des parties.
[136] Je partage également son interprétation des paragraphes 5. a) à f) selon laquelle les actionnaires des autres sociétés, tout en ayant le droit d’être informés qu’une procédure de vente est engagée, ne peuvent se prévaloir du droit de premier refus accordé aux seuls actionnaires de Gestion I. Cela d’autant que les explications fournies par Céline Lessard, que la juge retient, tendent à démontrer que cette interprétation correspond à celle de plusieurs actionnaires qui s’en sont prévalus par le passé.
[137] Par ailleurs, je suis d’avis qu’il n’est pas possible d’attribuer des intentions malveillantes aux dirigeants et à Philippe Heinly. Ainsi, même si l’interprétation que fait Monique Charland de la convention entre actionnaires avait été retenue, en tenant compte des attentes légitimes, ma conclusion relativement au comportement des dirigeants et de Philippe Heinly serait demeurée la même. Dans le cadre de la transaction Heinly, la juge ne décèle aucune manœuvre oppressive de leur part, bien au contraire. Elle retient que leur interprétation de la convention, qui s’appuie sur des opinions légales émises par des avocats spécialisés en droit des sociétés, n’avait rien de singulière ou, pis encore, d’abusive.
[138] Monique Charland ne soulève aucune erreur manifeste et déterminante permettant de revoir cette conclusion.
Question 4 : La validité de la procédure de transfert
[139] Monique Charland prétend que la procédure de transfert d’actions que Céline Lessard a transmise aux actionnaires de Gestion I en juin 2005 se distingue des procédures de transfert précédentes et du paragraphe 5.a) de la convention entre actionnaires de Gestion I, en ce qu’elle n’exigeait plus que les lettres d’offre soient transmises aux actionnaires des autres sociétés du Groupe Baluchon. Pour cette raison, elle a conclu que cette procédure visait à tromper les actionnaires sur la portée réelle de la convention et à l’empêcher d’acheter les actions de Philippe Heinly.
[140] La juge a rejeté ces arguments essentiellement pour trois raisons.
[141] La première découle de son interprétation des paragraphes 5.a) à f) de la convention entre actionnaires de Gestion I qui, je viens de l’indiquer, correspond à peu de choses près au contenu de la procédure.
[142] La seconde tient au fait que cette procédure, comme celles appliquées par le passé, comporte une mention prévoyant qu’en cas d’incompatibilité avec la convention entre actionnaires, les dispositions de cette dernière doivent avoir préséance.
[143] La dernière a trait au fait que la procédure de juin 2005 ne pouvait être opposée à Monique Charland parce qu’elles n’avaient pas été dûment adoptées.
[144] Elle conclut son analyse sur cette question en disant n’avoir décelé aucune mesure ni aucun geste oppressif ou abusif dans les procédures de vente qui ont de tout temps été appliquées.
[145] En appel, Monique Charland fait valoir six moyens. Elle soutient que la juge aurait erré en concluant que :
(i) la procédure de transfert de juin 2005 ne pouvait être annulée du fait qu’elle avait été adoptée après les transactions effectuées par Claude Lessard, Yvon Levasseur, les membres de la famille Guimond et Philippe Heinly;
(ii) la demande visant à obtenir la nullité de la procédure de transfert du 21 juin 2005 était devenue une question théorique depuis la réorganisation corporative de 2012;
(iii) une convention entre actionnaires prévaut sur le contenu d’une procédure de transfert à moins que cette dernière ne soit approuvée par l’ensemble des actionnaires visés par la convention;
(iv) l’exigence que pose une procédure de transfert de faire approuver une transaction est une règle usuelle qui s’exerce normalement en bloc, une fois l’an;
(v) la mise en place des procédures de transfert, dont celle du 21 juin 2005, ne constituait pas des gestes oppressifs;
(vi) elle a omis de distinguer la situation des anciennes procédures de celle mise en place en juin 2005.
[146] À mon avis, les moyens décrits en i), ii), iii) et iv) ne sont d’aucun intérêt pour les fins de l’appel, vu la fusion survenue en 2012.
[147] En ce qui a trait au moyen décrit en vi), Monique Charland a tort de soutenir que la juge a omis de distinguer les anciennes procédures de celles qui furent mises en place le 26 novembre 2004 et le 21 juin 2005. Au contraire, une lecture attentive du jugement montre bien que la juge a noté les différences entre les différentes procédures de transfert applicables avant novembre 2004 et celles de novembre 2004 et juin 2005. Elle a constaté que les premières prévoyaient que les lettres d’offre devaient être transmises aux actionnaires de la société visée ainsi qu’aux actionnaires des autres sociétés du Groupe Baluchon conformément au paragraphe 5.a) alors que les secondes prévoient que les lettres d’offre ne doivent être transmises qu’aux actionnaires de la société concernée.
[148] De fait, la véritable question qui se pose consiste à déterminer si les modifications apportées en juin 2005 visaient précisément à tromper les actionnaires et à empêcher Monique Charland d’acquérir les actions de Philippe Heinly. Il s’agit du moyen décrit en v), à savoir que la juge aurait erré en concluant que les procédures de transfert, dont particulièrement celle du 21 juin 2005, constituait un geste oppressif visant à l’empêcher d’acquérir les actions de Philippe Heinly.
[149] Je rappelle que, dans son jugement, la juge affirme qu’elle ne décèle pas dans la procédure de vente d'actions d'élément appuyant la recherche par Monique Charland d'éléments oppressifs ou abusifs[40]. Elle retient plutôt que la procédure correspond à l’interprétation que Céline Lessard et les avocats du Groupe Baluchon font de la clause 5 de la convention, que la règle qu’elle impose aux actionnaires désireux de vendre leurs actions d’en informer au préalable la secrétaire de la société vise à les assister dans leurs démarches et enfin, que l’exigence de soumettre le transfert d’actions à l’approbation du conseil d’administration n’a rien d’inhabituelle.
[150] Pour les motifs déjà exprimés, je suis d’avis que la procédure de transfert de juin 2005 a été préparée de bonne foi, en tenant compte de l’interprétation des conventions d’actionnaires par les avocats des sociétés du groupe Baluchon.
[151] L’appel ne soulève aucune erreur manifeste et déterminante autorisant cette Cour à intervenir.
Question 5 : La validité du rachat des actions de Speq II
[152] En octobre 2004, les 3 500 actions que Monique Charland détient dans Speq II sont converties en 88 410 actions de catégorie « C » de Gestion II, rachetables par la société à son gré. Le même jour, celle-ci procède au rachat gré à gré de 44 205 des 88 410 actions de catégorie « C » détenues par Monique Charland pour un prix de 44 205 $.
[153] Or, Monique Charland prétend aujourd’hui que la véritable valeur de ses actions au moment du rachat était du double. Elle fonde sa position sur une évaluation faite quatre ans après ce rachat.
[154] Dans son jugement, la juge rejette cette réclamation. Elle écarte l’évaluation sur laquelle Monique Charland s’appuie, au motif qu’elle est déficiente, le seul passage du temps pouvant expliquer les variations.
[155] Dans son inscription en appel amendée du 3 avril 2013, Monique Charland soutient que la juge a commis des erreurs en concluant : qu’elle ne pouvait pas demander le rachat de ses actions; que sa décision d’accepter le rachat des 44 205 actions de catégorie « C » pour un prix de 44 205 $ ne résultait pas d’un consentement libre et éclairé; et, que le rapport d’évaluation sur lequel elle se fonde pour attribuer une plus grande valeur pour ses actions n’est pas probant.
[156] Toutefois, dans son mémoire et à l’audience, elle n’aborde pas la question du rachat de ses actions de catégorie « C ».
[157] J’en conclus que ce moyen est sans objet.
6 - Le caractère abusif des procédures
[158] Dans son jugement, la juge a fait droit à la demande reconventionnelle des intimés. Elle déclare le recours en oppression de Monique Charland abusif. Toutefois, elle distingue la situation des intimés Pierre Hétu, Guy Levasseur et Jean Scarpino par rapport à celle des intimés Louis Lessard, Yves Savard, Céline Lessard, Philippe Heinly et Léo Beaudin.
[159] Dans le cas de Hétu, Levasseur et Scarpino, elle retient qu’ils n’ont joué aucun rôle dans cette affaire. Pour cette raison, elle estime que Monique Charland a fait preuve de témérité et d’abus en les poursuivant. Elle condamne donc cette dernière à rembourser les honoraires extrajudiciaires que Hétu, Levasseur et Scarpino ont encourus et à leur payer un montant de 500 $ chacun à titre de dommages moraux.
[160] En ce qui a trait aux autres intimés, soit Louis Lessard, Yves Savard, Céline Lessard, Philippe Heinly et Léo Beaudin, la source d’abus s’avère distincte. À leur égard, la juge estime que le recours n’est pas manifestement mal fondé, frivole ou vexatoire. C’est plutôt le non-respect de la règle de proportionnalité qui constitue la source d’abus.
[161] En d’autres termes, la juge est d’avis qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues de Monique Charland au moment où elle intente son recours, « n’aurait pas conclu à l’inexistence d’un fondement pour cette procédure »[41]. Par contre, elle retient que son défaut d’avoir respecté le principe de proportionnalité constitue une forme d’abus[42] :
[432] En appliquant les critères énoncés notamment par le juge Dalphond dans l'arrêt Royal Lepage, le Tribunal ne peut conclure à l'abus du droit de Monique Charland d'ester en justice concernant le recours entrepris contre les autres défendeurs. Monique Charland estime qu'elle a un droit à faire valoir à l'encontre de ces défendeurs. Cependant, le recours est disproportionné.
[…]
[434] Bien que le Tribunal rejette le recours de Monique Charland à l'encontre de Philippe Heinly, il ne s'agit pas d'un cas où la poursuite entreprise à l'égard de celui-ci est intentée sans aucun fondement. Le Tribunal conclut tout de même que la procédure entreprise est déraisonnable quant aux réclamations et moyens entrepris.
[435] Du côté d'Yvon
Levasseur, Monique Charland a intenté une poursuite alors qu'il a refusé de
donner suite à la vente de ses actions. Par la suite, avant l'audience, elle
retire ses conclusions contre lui. Il ne s'agit donc pas d'un cas visé
par l'article
[…]
[437] Le Tribunal ne peut
conclure que la poursuite entreprise contre Léo Beaudin doit être rejetée en
s'appuyant sur les articles
[…]
[440] […] l'action de
Monique Charland à l'encontre des trois dirigeants ne peut être rejetée en
s'appuyant sur l'article
[441] À la lumière de l'ensemble de l'analyse faite dans le présent dossier, le Tribunal en vient à la conclusion que le recours en oppression et l'action dérivée étaient disproportionnés et démesurés, eu égard aux véritables enjeux et problèmes existants à l'égard des droits de Monique Charland dans le présent dossier.
[…]
[445] Le Tribunal conclut que
la procédure entreprise par Monique Charland est disproportionnée au sens des
articles
[Je souligne]
[162] En appel,
Monique Charland demande à la Cour de réévaluer ces conclusions de la juge et
de déterminer si, en l’espèce, son recours s’avère abusif au sens de l’article
[163] Pour décider de ce moyen d’appel, il importe de distinguer les motifs et conclusions du jugement qui concernent les intimés Hétu, Levasseur et Scarpino de ceux qui intéressent les intimés Louis Lessard, Yves Savard, Céline Lessard, Philippe Heinly et Léo Beaudin, la source d’abus étant le caractère manifestement mal fondé à l’égard des premiers, et le non-respect de la règle de proportionnalité à l’égard des seconds.
[164] Dans le premier cas, je suis d’avis que l’appel soulève exclusivement des questions de fait et je ne relève aucune erreur manifeste et déterminante justifiant une intervention de la Cour[43].
[165] Dans le second cas, la situation est fort différente.
[166] La
conclusion de la juge selon laquelle le non-respect de la règle de la
proportionnalité peut, en soi, constituer une forme d’abus soulève des
questions de droit et de fait qui nécessitent une analyse. Je note que les nombreux
précédents de la Cour portant sur les articles
[167] Aux fins d’analyser cette question, il me paraît utile, dans un premier temps, de remonter aux sources de la réforme qui a intégré le principe de la proportionnalité des procédures en tant que principe directeur du Code de procédure civile et, dans un second temps, d’examiner la conclusion de la juge selon laquelle le non-respect du principe de proportionnalité peut être sanctionné par l’octroi de dommages-intérêts.
6.1 Le principe de proportionnalité
[168] Le concept de proportionnalité apparaît dans la procédure civile québécoise en février 2000, dans le rapport préliminaire du Comité chargé de réviser la procédure civile. Le Comité y fait le constat que les coûts de la justice freinent son accessibilité. Pour y remédier, il propose d’intégrer au Code de procédure civile le principe de la proportionnalité des procédures[44] :
Le Comité est par ailleurs conscient que la justice a un coût inévitable. Sensible aux tensions dues aux coûts tant économiques que sociaux et humains inhérents aux procédures judiciaires, il a tout de même tenu, malgré les limites des règles de procédure à cet égard, à chercher des solutions adéquates à ce problème.
[...]
Mais, plus encore, il importe d’intégrer au code des règles témoignant d’un souci constant de contrôler les coûts de la procédure civile et d’inciter à la recherche de la proportionnalité, c’est-à-dire à une meilleure adéquation entre la nature et la finalité d’une action en justice et les moyens disponibles pour l’exercer.
[169] Dans son rapport final de juillet 2001, le Comité réitère cette approche et propose que ce principe devienne l’un des principes directeurs du Code de procédure civile[45] :
Afin de les mettre en évidence et d’en assurer la primauté dans l’interprétation et l’application des règles, il importe de regrouper et de compléter certains principes directeurs déjà exprimés sous différentes formes dans le Code, notamment les principes de la préséance du droit substantiel sur la procédure, du contradictoire, de la maîtrise du dossier par les parties, de l’intervention judiciaire pour assurer le bon déroulement de l’instance et celui de la publicité des débats. Il importe en outre d’en introduire un nouveau relatif à la proportionnalité des procédures.
[Je souligne]
[170]
En 2002, à la suite de ce rapport, le Législateur adopte la Loi portant sur la réforme du Code de procédure civile[46].
Celle-ci modifie le Code pour, entre autres choses, codifier le principe
« de la maîtrise de leur dossier par les parties, dans le respect de
l’obligation de bonne foi », et celui de la
« proportionnalité ». Ces principes se retrouvent aux articles
[171] Comme le
soulignent le professeur Denis Ferland et le juge Benoît Emery, les principes
de la maîtrise de leur dossier par les parties dans le respect de l’obligation
de bonne foi et celui de la proportionnalité, énoncés aux articles
Il importe que l'«ordonnancement législatif du droit processuel» contenu au Code de procédure civile se traduise par des règles cohérentes que sous-tendent des principes directeurs permettant de les interpréter et appliquer en gardant à l'esprit des valeurs de justice dont la primauté doit être reconnue. Ces principes directeurs deviennent ainsi des guides d'interprétation et d'application des dispositions du Code.
[…]
La Loi portant réforme du Code de procédure civile énonce expressément certains de ces principes directeurs, alors que d'autres sont énoncés implicitement et se confondent avec des règles générales ou spécifiques.
Le législateur réformateur vise à assurer cette
cohérence procédurale en énonçant expressément les principes de la maîtrise
de leur dossier par les parties, dans le respect de l'obligation de bonne foi
procédurale, et, en contrepartie, de l'intervention accrue du tribunal
pour veiller au bon déroulement de l'instance et en assurer la saine gestion
(art.
[Références omises] [Je souligne]
[172] Incidemment,
à la suite de l’adoption de ces articles, les tribunaux se sont prévalus de ce
nouveau pouvoir. Se fondant sur l’article
[173] Certains ont reproché de telles interventions, arguant que l’article 4.2 in fine limitait les pouvoirs des juges, en ne leur conférant le pouvoir de veiller au respect du principe de la proportionnalité qu’à l’égard des procédures qu’ils autorisent. Mais, comme le signalait l’avocat Luc Chamberland dans un article paru en 2006, les interventions des tribunaux sont cohérentes avec l’intention du Législateur[48] :
Malgré l’accroissement important des pouvoirs des juges, l’article 4.2 ne prévoit pas spécifiquement que le juge peut, d’office, voir au respect de la règle de la proportionnalité. Au contraire, l’article 4.2 in fine semble limiter ses pouvoirs en la matière. En effet, l’obligation de respecter cette règle s’applique au juge « à l’égard des actes de procédure qu’il autorise ou ordonne ». Selon nous, cela implique que le juge doit être saisi d’une demande à cet effet.
D’aucuns pourraient prétendre à une interprétation différente. La lecture de l’article 4.2 nous indique que la règle de la proportionnalité s’impose d’abord aux parties elles-mêmes : « [...] les parties doivent s’assurer que les actes de procédure choisis sont [...] ». L’article 4.1 prévoit que les parties sont « maîtres de leur dossier dans le respect des règles de procédure ». Cela implique que le fait que les parties soient maîtres de leur dossier ne les dispense pas de se conformer à la règle de la proportionnalité.
Le juge qui constaterait
le non-respect de la règle de proportionnalité par l’une des parties, pourrait
alors intervenir d’office en vertu de son pouvoir de « veiller au bon déroulement de
l’instance » et en vertu de ses pouvoirs généraux énoncés à l’article
[Je souligne]
[174] Ce débat est maintenant révolu puisque dans les arrêts Marcotte c. Ville de Longueuil, Vivendi Canada inc. c. Dell’Aniello et Hryniak c. Mauldin, la Cour suprême a clairement opté pour une application large du principe de proportionnalité. Elle confirme l’importance de ce principe directeur dans la procédure civile, ainsi que le pouvoir d’intervention accru dont disposent les tribunaux pour veiller au respect de ce principe.
[175] D’abord, dans l’arrêt Marcotte c. Ville de Longueuil, la Cour indique que la règle de proportionnalité ne peut être réduite à un simple principe à valeur interprétative qui n’accorde aucun pouvoir réel aux tribunaux. Au contraire, elle reconnaît que le principe de proportionnalité constitue une source du pouvoir d’intervention des tribunaux dans la gestion des procès. Le juge LeBel écrit[49] :
[42] Même s’il n’est pas nécessaire d’invoquer le principe de la proportionnalité pour conclure au rejet des demandes d’autorisation des recours collectifs que nous examinons, je crois utile d’ajouter quelques réflexions à son sujet, car je ne voudrais pas le réduire à un simple principe à valeur interprétative qui n’accorderait aucun pouvoir réel aux tribunaux à l’égard de la conduite de la procédure civile au Québec.
[43] Le principe de la
proportionnalité qu’énonce l’art.
[Je souligne]
[176] Ensuite,
dans l’arrêt Vivendi Canada, la Cour réitère le principe énoncé dans
l’arrêt Marcotte selon lequel la proportionnalité ne se réduit pas à un
simple principe à valeur interprétative qui n’accorde aucun pouvoir
d’intervention aux tribunaux. Elle rappelle qu’au Québec, le principe de
proportionnalité énoncé à l’article
[…] L’arrêt Marcotte a confirmé l’importance du principe de la proportionnalité dans la procédure civile et comme source du pouvoir d’intervention des tribunaux dans la gestion d’une instance […]
[177] Enfin, dans l’arrêt Hryniak, une affaire qui émane de l’Ontario, la Cour réaffirme l’importance du principe de proportionnalité en tant que gardien du système judiciaire canadien. Elle postule qu’une procédure équitable aboutit au règlement juste des procès alors que, au contraire, une procédure disproportionnée par rapport à la nature du litige et aux intérêts en jeu ne peut permettre d’atteindre un résultat juste et équitable[51] :
[28] Un virage culturel s’impose. L’objectif principal demeure le même : une procédure équitable qui aboutit au règlement juste des litiges. Une procédure juste et équitable doit permettre au juge de dégager les faits nécessaires au règlement du litige et d’appliquer les principes juridiques pertinents aux faits établis. Or, cette procédure reste illusoire si elle n’est pas également accessible — soit proportionnée, expéditive et abordable. Le principe de la proportionnalité veut que le meilleur forum pour régler un litige ne soit pas toujours celui dont la procédure est la plus laborieuse.
[29] De toute évidence, il existe toujours un certain tiraillement entre l’accessibilité et la fonction de recherche de la vérité, mais, tout comme l’on ne s’attend pas à la tenue d’un procès avec jury dans le cas d’une contravention de stationnement contestée, les procédures en place pour trancher des litiges civils doivent être adaptées à la nature de la demande. Si la procédure est disproportionnée par rapport à la nature du litige et aux intérêts en jeu, elle n’aboutira pas à un résultat juste et équitable.
[…]
[31] Même si la
proportionnalité n’est pas expressément codifiée, l’application de règles de
procédure qui font intervenir un pouvoir discrétionnaire [traduction] « englobe [...] un
principe sous - jacent de proportionnalité, selon lequel il faut tenir
compte de l’opportunité de la procédure, de son coût, de son incidence sur le
litige et de sa célérité, selon la nature et la complexité du
litige » : Szeto c. Dwyer,
[32] Ce virage culturel oblige les juges à gérer activement le processus judiciaire dans le respect du principe de la proportionnalité. […]
[Je souligne]
[178] Cela dit, il demeure qu’au Québec le principe directeur de la proportionnalité se heurte parfois à un autre principe directeur de la procédure, celui qui reconnaît aux parties « la maîtrise de leur dossier, dans le respect de l’obligation de bonne foi ». D’un point de vue pratique, ce dernier principe limite le pouvoir d’intervention des tribunaux pendant le déroulement de l’instance ou du procès.
[179] Dans un article paru en 2009, mon collègue le juge Yves-Marie Morissette déplorait cette situation[52] :
Premièrement, les textes législatifs sont incomplets. Ils se révèlent insuffisamment explicites sur certains points : il y aurait eu beaucoup plus à dire, par exemple, sur le principe de proportionnalité, notamment en ce qui concerne les coûts de la justice et l’économie des litiges civils, mais aussi sur l’effet que ce principe doit avoir sur la présentation de la preuve, soit de permettre un contrôle par le tribunal. Par ailleurs, ces textes sont potentiellement contradictoires : si les dérapages provoqués par la culture « adversariale » sont la situation à corriger et que l’idée maîtresse pour le faire est le principe de proportionnalité, pourquoi réitérer, ce dont chacun se doutait déjà, que les parties sont maîtres de leur dossier? Le principe de proportionnalité doit avoir priorité sur la maîtrise du dossier par les parties. Enfin, ces textes sont déficients en ce qui concerne la sanction des nouvelles règles. Les juges ne sont pas en mesure d’exercer un véritable contrôle sur la preuve. En particulier, mais cela ne concerne plus la preuve civile en tant que telle, il me semble que, au-delà d’une certaine limite, l’attribution d’une fraction ou de la totalité du coût réel des litiges aux parties à même de le déduire comme dépense d’exercice serait indiquée : par exemple, tout procès de plus de dix jours pourrait requérir pour ces parties l’application d’un tarif spécial. Une seconde série d’interventions législatives, plus musclées, est donc souhaitable.
[Je souligne]
[180] Le présent dossier illustre bien ces difficultés. Outre la juge de première instance, au moins deux autres juges se sont ouvertement questionnés sur l’ampleur du recours entrepris par Monique Charland ainsi que sur l’utilité des nombreux interrogatoires en regard des enjeux du litige[53]. Mais il semble qu’alors, le principe de la maîtrise de leur dossier par les parties l’a emporté sur celui de la proportionnalité.
[181] S’il est aujourd’hui acquis que le principe de proportionnalité accorde un pouvoir d’intervention accru aux tribunaux pour veiller au bon déroulement des procédures, je constate que, dans l’état du droit actuel, ce pouvoir s’avère malgré tout limité, d’où la difficulté lorsqu’une partie se plaint du non-respect de ce principe et désire obtenir une réparation. Cette difficulté soulève des questions.
[182] Par exemple, lorsque le non-respect du principe de proportionnalité échappe au pouvoir de contrôle du tribunal pendant le déroulement de l’instance, ce manquement peut-il être sanctionné par l’octroi de dommages a posteriori? Dans l’affirmative, suivant quels principes? À mon avis, la réponse à ces questions réside dans les règles qui régissent l’octroi de dommages-intérêts en matière d’abus du droit d'ester en justice.
6.2 Le principe de proportionnalité et l'abus du droit d'ester
[183] En 2002, dans l’arrêt Viel c. Les Entreprises du Terroir ltée, la Cour énonce les règles applicables en matière d'abus du droit d'ester selon la législation alors existante. Elle distingue l’abus sur le fond qui survient avant le dépôt des procédures de celui qui se produit ou se perpétue à l’occasion de la procédure judiciaire, le second étant le seul, sauf exception, pouvant donner lieu au remboursement d’honoraires extrajudiciaires.
[184] La Cour ajoute qu’une réclamation d’honoraires extrajudiciaires découlant d’un abus d’ester en justice passe par les règles de la responsabilité civile. S’appuyant sur la doctrine[54], elle précise que les fondements de l’abus d’ester sont ceux de l’abus de droit du Code civil. L’abus d’ester nécessite donc une preuve de mauvaise foi, d’intention de nuire ou à tout le moins de témérité[55]. Le juge Rochon écrit :
[75] […] [L]'abus du droit d'ester en justice est une faute commise à l'occasion d'un recours judiciaire. C'est le cas où la contestation judiciaire est, au départ, de mauvaise foi, soit en demande ou en défense. Ce sera encore le cas lorsqu'une partie de mauvaise foi, multiplie les procédures, poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire. Ce ne sont que des exemples. À l'aide d'hypothèse, Baudouin et Deslauriers cernent la nature de l'abus du droit d'ester en justice :
Fondement - La première hypothèse est celle où l'agent, de mauvaise foi, et conscient du fait qu'il n'a aucun droit à faire valoir, se sert de la justice comme s'il possédait véritablement un tel droit. Il n'agit pas alors dans le cadre de l'exercice ou de la défense de son droit, mais totalement en dehors de celui-ci. Une faute peut également être reprochée à l'agent qui, dans l'exercice d'un droit apparent, utilise les mécanismes judiciaires ou procéduraux sans cause raisonnable ou probable, sans motif valable, même de bonne foi. Tel est le cas de celui qui fait arrêter une personne sur de simples soupçons qu'une enquête rapide aurait suffi à dissiper. La mauvaise foi (c'est-à-dire l'intention de nuire) ou la témérité (c'est-à-dire l'absence de cause raisonnable et probable) restent donc les bases de l'abus de droit dans ce domaine. Contrairement à l'observation faite à propos du droit de propriété, il paraît difficile, sinon impossible, de concevoir un abus du droit au recours judiciaire dont le fondement ne serait pas une faute civile, mais le seul exercice antisocial du droit. Il ne saurait, en effet, y avoir abus lorsque, de bonne foi, et en ayant cause raisonnable et probable, un individu cause préjudice à autrui en recourant à la justice pour faire valoir ses droits. Ainsi, selon nous, celui qui utilise les recours que la loi met à sa disposition, dans un but strictement et exclusivement égoïste, mais de bonne foi et non témérairement, ne peut être tenu responsable des conséquences fâcheuses de son acte pour son adversaire.
[Je souligne]
[185] Comme l’indiquent les auteurs cités par le juge Rochon, celui qui « utilise les recours que la loi met à sa disposition, dans un but strictement et exclusivement égoïste, mais de bonne foi et non témérairement, ne peut être tenu responsable des conséquences fâcheuses de son acte pour son adversaire ». En somme, en l’absence de témérité ou de mauvaise foi, la faute ne peut donner lieu à un abus du droit d’ester.
[186] Dans l’arrêt Royal Lepage, le juge Dalphond fait appel aux mêmes notions de mauvaise foi et de témérité. Pour conclure à l’abus, écrit-il, il faut des indices de mauvaise foi ou à tout le moins des indices de témérité. Il élabore d’ailleurs la norme de conduite permettant aux tribunaux d’identifier ce qui, dans le contexte d’un acte de procédure manifestement mal fondé, peut constituer un abus[56] :
[45] Pour conclure en l’abus, il faut donc des indices de mauvaise foi (telle l’intention de causer des désagréments à son adversaire plutôt que le désir de faire reconnaître le bien-fondé de ses prétentions) ou à tout le moins des indices de témérité.
[46] Que faut-il entendre par témérité? Selon moi, c’est le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d'un fondement pour cette procédure. Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des indices de l’intention de nuire mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé de cette procédure. Est infondée une procédure n’offrant aucune véritable chance de succès, et par le fait, devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur. Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers, précités : « L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité ».
[Références omises] [Je souligne]
[187] En 2009, dans la foulée de ces arrêts, le législateur adopte la Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics qui modifiait le Code de procédure civile. Il insère au Code de procédure civile les articles 54.1 à 54.6 traitant du pouvoir de sanctionner les abus de procédure.
[188] L’article 54.1 établit que l’abus peut non seulement résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole, dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent, mais également de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice[57] :
54.1. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.
L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics. |
54.1. A court may, at any time, on request or even on its own initiative after having heard the parties on the point, declare an action or other pleading improper and impose a sanction on the party concerned.
The procedural impropriety may consist in a claim or pleading that is clearly unfounded, frivolous or dilatory or in conduct that is vexatious or quarrelsome. It may also consist in bad faith, in a use of procedure that is excessive or unreasonable or causes prejudice to another person, or in an attempt to defeat the ends of justice, in particular if it restricts freedom of expression in public debate. |
[Je souligne]
[189] En
distinguant la notion de « mauvaise foi » de celles de l’utilisation
de la procédure de manière « excessive » ou
« déraisonnable » ou « de manière à nuire à autrui », l’article
54.1 déroge à la définition de l’abus de droit de l’article
[190] À ce sujet, les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore écrivent[58] :
L'article
[Références omises] [Je souligne]
[191] Dans l’arrêt El-Hachem c. Décary, la Cour applique ces principes. Elle distingue les concepts de témérité et mauvaise foi. Elle reconnaît qu’une partie peut faire preuve de témérité ou d’un comportement blâmable excessif ou injuste dans l’exercice d’un recours, sans pour autant faire preuve de mauvaise foi. Le comportement blâmable n’exige pas, en soi, la démonstration de la mauvaise foi ou de l’intention de nuire[59] :
[9] Un « comportement blâmable » dans l’exercice d’un recours, c’est aussi, même sans mauvaise foi ou intention de nuire, faire preuve de témérité, par exemple en formulant des allégations qui ne résistent pas à une analyse attentive et qui dénotent une propension à une surenchère hors de toute proportion avec le litige réel entre les parties. En l’occurrence, il est certain qu’un facteur aggravant tient au fait que de telles allégations ont été présentées en demande reconventionnelle dans le cadre d’un recours qui, envisagé de manière réaliste et pratique, avait la simplicité d’une modeste action sur compte.
[Référence omise] [Je souligne]
[192] Ces principes s’appliquent également dans les cas où il y a une utilisation déraisonnable ou excessive de la procédure.
[193] Celui qui utilise ou multiplie les procédures de façon déraisonnable pour faire valoir ses droits, même s’il le fait de bonne foi et sans intention malveillante, peut malgré tout être tenu responsable du préjudice qu’il cause à la partie adverse. En de tels cas, la conduite blâmable, insouciante ou négligente peut être sanctionnée, ces termes ne visant qu’à déterminer l’intensité de la faute génératrice de responsabilité.
[194] Le respect du principe de proportionnalité obéit aux mêmes règles.
[195] Bien qu’il faille éviter de faire un amalgame entre le principe de proportionnalité et l’abus d’ester en justice — un manquement au principe de proportionnalité n’implique pas dans tous les cas une utilisation déraisonnable de la procédure — il demeure que ces principes constituent des notions intimement liées qui visent l’atteinte d’un objectif commun. Dans l’arrêt Préfontaine c. Lefebvre, le juge Forget écrit[60] :
Je reconnais également qu'un juge peut conclure qu'un acte de procédure est d'une nature disproportionnée au point de devenir un abus; en contre-partie, on sait que les plaideurs de mauvaise foi ont tendance à agir de façon disproportionnée. Toutefois, il faut se prémunir contre un amalgame total de ces deux mesures procédurales qui visent, en principe, à remédier à des situations différentes et comportent généralement des sanctions distinctes. Ainsi, un juge n'hésitera pas, la plupart du temps, à rejeter une procédure abusive mais, par contre, il se limitera à encadrer celle qui est disproportionnée.
[Je souligne]
[196] À mon avis, la partie qui ne respecte pas le principe de proportionnalité et qui, de ce fait, compromet la justice et l’équité, s’aventure en chemin périlleux. Lorsque ce non-respect échappe au pouvoir de surveillance et d’encadrement du tribunal et qu’il se perpétue au cours de l’instance, un juge pourrait certes conclure, a posteriori, au caractère déraisonnable de la procédure et sanctionner l’abus qui en résulte.
[197] En pareille situation, il y aura abus si une personne prudente et diligente, au regard du déroulement de l’instance et du procès, conclurait à une utilisation excessive ou déraisonnable de la procédure et donc, à la faute ou à la négligence de son auteur, en considérant les coûts et le temps exigés, la finalité de la demande, l’importance des principes qu’elle soulève ou de l’intérêt en jeu.
[198] Bien entendu, ce standard doit être analysé en fonction des circonstances propres à chaque situation, le juge d'instance bénéficiant à cet égard d'une large discrétion dans l'appréciation d’une conduite qui s’avère déraisonnable. Il est d’ailleurs bien établi qu’une cour d'appel doit faire preuve de réserve à l'égard d'un jugement qui se prononce sur ces matières[61].
[199] Dans la présente affaire, la juge n’a commis aucune erreur en droit ni erreur manifeste et déterminante en concluant au caractère disproportionné et abusif du recours de Monique Charland. Une lecture attentive de ses motifs montre bien qu’elle a considéré qu’il y avait eu, ici, une utilisation déraisonnable de la procédure malgré le fait que la demande n’était pas manifestement mal fondée.
7 - CONCLUSIONS
[200] Le pourvoi de Monique Charland soulevait essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, des questions de faits. Elle a voulu refaire l’ensemble du procès, sans pointer ni alléguer de façon précise les erreurs manifestes et déterminantes qu’aurait pu commettre la juge. Ce faisant, elle a invité la Cour à réévaluer l’ensemble de la preuve et à substituer sa propre opinion à celle de la juge, en faisant valoir qu’elle n’avait pas pris en considération certaines contradictions, sans prendre soin de les identifier. Or, considérant les principes applicables en appel, il s’agissait là d’un pari audacieux.
[201] En effet, il n’appartenait pas à la Cour de réévaluer l’ensemble de la preuve, d’apprécier la crédibilité des témoins et de tirer ses propres inférences. Il ne lui incombait également pas de déceler elle-même les erreurs que la juge a pu commettre pour justifier une intervention et substituer sa propre opinion. Placés devant la même preuve, certains auraient peut-être pu conclure autrement, sur quelques rares aspects du litige. Mais, dans le contexte global de l’affaire, les conclusions de la juge apparaissent justifiées.
[202] Je garde par ailleurs à l’esprit que la décision de la juge est non seulement fondée sur le comportement des parties avant l’institution des procédures, mais également sur celui de Monique Charland au cours des procédures. Sa conclusion selon laquelle son recours s’avère disproportionné et abusif laisse voir qu’elle a considéré les intimés comme étant les véritables victimes dans cette affaire. Et il est vrai que le recours a exigé beaucoup d’efforts, de temps et d’argent de la part des parties. Il en a également exigé beaucoup du système judiciaire.
[203] De tels investissements étaient-ils raisonnables eu égard aux enjeux réels de l’affaire?
[204] À l’instar de la juge de première instance, je ne le crois pas.
[205] J’ajoute que le non-respect de la règle de proportionnalité s’est perpétué en appel, alors que Monique Charland a fait fi de l’article 64 des règles de pratique de la Cour, en déposant un mémoire qui, par un procédé de renvois à la procédure introductive d’instance réamendée de 114 pages et à l’inscription en appel amendée de 35 pages, tient sur près de 200 pages. Une telle façon de faire, au demeurant injuste envers la partie qui respecte les règles du jeu, constitue à première vue un cas d’utilisation déraisonnable ou excessive de la procédure qui ne peut être toléré.
[206] Comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak[62], notre système de justice civile repose sur le principe voulant que le processus décisionnel doive être juste et équitable, résultat qui ne peut être atteint si la procédure est disproportionnée par rapport à la nature du litige et aux intérêts en jeu.
[207] Pour ces
motifs, je propose de rejeter le pourvoi de l’appelante et, me fondant sur les
articles
[208] À cette fin, je suggère d’autoriser l’appelante à produire un exposé additionnel d’un maximum de 10 pages, sans annexes, et ce, au plus tard le vendredi 30 janvier 2015. S’ils le souhaitent, les intimés pourront produire également un tel exposé, au plus tard le vendredi 13 février 2015.
[209] À la suite de la production de ces exposés, la Cour verra à déterminer si la procédure d’appel de l’appelante s’avère ou non déraisonnable et abusive.
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JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A. |
[1] Les statuts de fusion simplifiée ont été déposés le 1er avril 2012.
[2]
Concept Éco-Plein-Air Le Baluchon inc. (Arrangement relatif à),
[3] La première demande est intitulée « Requête introductive d’instance en jugement déclaratoire, en passation de titres et pour émission d’ordonnances de sauvegarde et en injonction permanente ». Elle comporte 338 paragraphes et plus de 70 conclusions. Elle est fondée sur les articles 6, 7, 300, 317, 321 et suivants, 329, 1375, 1457 et suivants, 1526, 1590, 1606, 1611, 1617, 1712, 2088 et 2130 et suivants du Code civil du Québec, des articles 2, 4.1, 20, 33, 46, 55, 189 et suivants, 453 et suivants, 751 et suivants, 828 et suivants et 844 du Code de procédure civile, des articles 34, 104 et suivants, 114.4, 123.72 et suivants, 123.97 à 123. 123.114 de la Loi sur les compagnies, RLRQ c. c-38.
[4] À cette époque, Louis Lessard, Yves Savard et Céline Lessard formaient le groupe de contrôle de Baluchon 1991 avec Gilles Lessard, un autre actionnaire qui n’est pas partie aux procédures.
[5] Léo Beaudin a acquis ces actions par le biais de la société de gestion 9031-9633.
[6] L’intimée Sylvie Binette ne fait l’objet d’aucune demande de la part de l’appelante.
[7] Outre les manœuvres reprochées aux intimés relativement aux transferts d’actions des quatre actionnaires minoritaires, elle remet en question la gestion de Baluchon 1991 de même que la structure corporative du Groupe.
[8] Transaction impliquant Philippe Heinly.
[9] Pour son exposé des faits, elle se réfère à sa requête introductive d’instance amendée du 15 février 2012 qui contient 338 allégations et 75 conclusions réparties sur 114 pages, alors que son inscription en appel amendée du 3 avril 2013, qui fait état de plus de 50 questions de fait ou de droit sur 35 pages, tient lieu des questions en litige qu’elle veut soumettre à la Cour. Ainsi, en lieu et place d’un mémoire de 30 pages maximum, son mémoire comprend 179 pages.
[10] Loi sur les sociétés de placements dans l’entreprise québécoise, RLRQ, c. S-29.1.
[11] Les actions émises par les Speq devaient, au terme d’un certain nombre d’années, être rachetées. Pour retarder ou éviter un tel rachat et maintenir dans le temps l’avantage fiscal, des professionnels ont élaboré une planification fiscale qui a nécessité la création de trois sociétés de gestion.
[12] Dans les faits, ces actions seront converties en 1 800 actions de Baluchon 1991 en avril 1998.
[13] Supra, note 3.
[14] Supra, note 2.
[15] H.L.
c. Canada (Procureur général),
[16] P.L. c. Benchetrit,
[17] 9126-7583
Québec inc. c. Investissements du Versant inc.,
[18] Pierre-André
Côté,
[19] Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. M.N.R.,
[20] Supra, note 18, p. 206.
[21] Paul Martel, La société par actions au Québec, vol. 1 : Les aspects juridiques, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, Martel ltée, 2014, p. 31-199.
[22] Ibid.
[23]
[24] Supra,
note 21, p. 31-3 et s. et p. 31-196; Paul Martel, « Le « recours pour
oppression » en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par
actions » dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements
récents 2000-2004, Congrès du Barreau du Québec, 2004, p. 313 et 314; Guy
Paquette, « Développements récents du droit des actionnaires soumis à la Loi sur les compagnies du Québec 2000-2004 », dans Service de la formation continue,
Barreau du Québec, Développements récents 2000-2004, Congrès du Barreau
du Québec, 2004, p. 343 et 344; Raymonde Crête, « Les actionnaires
minoritaires des compagnies québécoises : qu’en est-il de leurs recours en
cas d’oppression? », (1991) 19 Canadian Business Law Journal 49; Martineau,
Provencher & Associés ltée c. Grace,
[25] Raymonde Crête, « Les concepts flexibles et le contrôle des abus en droit québécois des sociétés par actions », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents sur les abus de droits, vol. 231, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, 131, à la p. 165.
[26] P. Martel, supra, note 21, p. 31-196.
[27] RLRQ, c. V-1.1.
[28] Concept Éco-Plein-Air Le Baluchon inc. (Arrangement relatif à), supra, note 2. Au paragraphe 25 de ce jugement, l’arrangement est décrit ainsi : a) Baluchon 2011 est créée; b) les actions émises par les sociétés Baluchon 1991, Gestion I, Gestion II et Speq III sont échangées pour des actions ou des titres de Baluchon 2011; c) les sociétés Baluchon 1991, Gestion I, Gestion II et Speq III deviennent des filiales de Baluchon 2011; d) Baluchon fusionne avec ses filiales, soit les Baluchon 1991, Gestion I, Gestion II et Speq III.
[29] Charland
c. Lessard,
[30] Ibid., paragr. 158-160.
[31] Inscription en appel amendée du 3 avril 2013, paragr. 9 q) i.
[32] Ibid., paragr. 9 q) ii et iii.
[33] Ibid., paragr. 9 q) iv.
[34] Requête introductive d’instance amendée du 15 février 2012 qui tient lieu de l’exposé des faits.
[35] Supra, note 29, paragr. 219-229.
[36] Supra, note 29, paragr. 240.
[37] Supra, note 34.
[38] Jugement dont appel, supra, note 29, paragr. 237 à 241.
[39] Jugement dont appel, supra, note 29, paragr. 199.
[40] Supra, note 29, paragr. 215.
[41] Royal
Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd.,
[42] Jugement dont appel, supra, note 29.
[43] Agence du revenu du
Québec c. Groupe Enico inc.,
[44] La révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, Rapport du Comité de révision de la procédure civile, juillet 2001, gouvernement du Québec, p. 33.
[45] Ibid., p. 38.
[46] Loi portant réforme du Code de procédure civile, L.Q. 2002, c. 7.
[47] Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile du Québec, 4e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 10 et 11.
[48] Luc Chamberland, « La règle de proportionnalité : à la recherche de l’équilibre entre les parties? », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, La réforme du Code de procédure civile, trois ans plus tard, vol. 242, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 9 et 10.
[49] Marcotte c. Longueuil (Ville),
[50] Vivendi
Canada inc. c. Dell’Aniello,
[51] Hryniak
c. Mauldin,
[52] Yves-Marie
Morissette, Gestion d’instance, proportionnalité et preuve civile :
état provisoire des questions,
[53] Les juges Auclair et Mongeon se sont en effet également interrogés sur la proportionnalité du recours et des démarches lorsqu’ils ont été saisis de demandes incidentes.
[54] Jean-Louis
Baudouin et Patrice Deslauriers,
[55] Viel
c. Entreprises immobilières du terroir ltée,
[56] Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., supra, note 41, paragr. 45 et 46.
[57] Les expressions mauvaise foi, utilisation de la
procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui
se retrouvent également à l’article
[58] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, no I-240, p.230 et 231.
[59] El-Hachem
c. Décary,
[60] Préfontaine
c. Lefebvre,
[61] Agence du revenu du Québec c. Groupe Enico inc., supra, note 43, paragr. 29; Préfontaine c. Lefebvre, supra, note 60, paragr. 18.
[62] Hryniak c. Mauldin, supra, note 51, paragr. 23, 24, 28 et 29.
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