Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit EDJ

Morin-Le Duc c. Montréal (Ville de)

2013 QCCS 3977

 

J.T. 0864

 
COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

N° :

500-17-065449-111

DATE :

16 AOÛT 2013

 

L’HONORABLE PIERRE TESSIER, j.c.s.

 

 

SUZANNE MORIN-LE DUC

Demanderesse

c.

VILLE DE MONTRÉAL

Défenderesse

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]           Quelle est la météo à Montréal en ce vendredi 26 novembre 2010?  « Nuageux. Faible neige intermittente mêlée de grésil, de pluie et de bruine verglaçante, de bruine et de pluie cessant le matin.  Quelques averses de neige en après-midi. Nuageux avec quelques éclaircies par la suite.  Venteux. »  Voilà la description de ce buffet climatique au sommaire météorologique mensuel du Service météorologique d'Environnement Canada situé à l'aéroport international de Montréal à Dorval.  Et en matinée le lendemain, de la même source?  « Nuageux. Faible neige intermittente débutant au cours de la nuit et cessant vers midi. »

[2]           En ce samedi 27 novembre 2010, la demanderesse Suzanne Morin-Le Duc chute en marchant sur un trottoir de la défenderesse Ville de Montréal, ce qui provoque ce recours en responsabilité civile où elle réclame 97 779,34 $ à titre de dommages-intérêts.

[3]           Examinons les faits pertinents à cet événement accidentel.

1 - Chute

[4]           Alors âgée de 63 ans, la demanderesse habite depuis plusieurs années sur la rue de Marseille dans l'arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve de la Ville de Montréal.  En bonne santé et active, elle fréquente de façon régulière un gymnase et aime marcher.  « Je marchais beaucoup dans le quartier », rapporte-t-elle à l'audience.  « J'aimais faire de la marche rapide. »

[5]           Le matin du samedi 27 novembre 2010, seule à la maison - son conjoint Yvon Le Duc quitte la veille pour un voyage d'affaires au Chili - elle va faire quelques courses à pied.  Comme elle en témoigne, elle sait que le jour précédent il y a eu du verglas et de la pluie.  Durant la nuit, une légère neige est tombée et elle voit à son lever vers 9 h une légère neige sur le trottoir.  Il ne neige pas alors, quoique, dit-elle, il est possible qu'il ait neigé jusqu'à 10 h 30.  Le temps est gris;  il fait, déclare-t-elle, -2 ºC.

[6]           Portant des bottes en poil à talons bas munies d'une semelle gommée, style mocassin, une sacoche en bandoulière sur l'épaule, elle quitte sa résidence vers 12 h 15 et emprunte un chemin qu'elle connaît bien.  Une légère neige couvre le trottoir.  Elle se rend d'abord à la banque sur la rue Paul Pau, puis se dirige vers un club vidéo à l'angle des rues Poirier et Sherbrooke où elle prend trois DVD transportés dans un sac qu'elle tient à la main.  Elle marche ainsi sur une distance d'environ un kilomètre avant de prendre le chemin du retour à la maison.

[7]           À cette fin, elle marche sur le trottoir de la rue Sherbrooke, puis emprunte la rue Joffre en direction sud, du côté ouest, et arrive vers 13 h 30 à l'intersection de la rue De Teck où, en tournant, elle tombe.  Avant cette chute, à son arrivée sur la rue Joffre, elle constate que le trottoir où elle marche est glissant.  À son interrogatoire préalable du 19 juillet 2011, elle témoigne :

« R.     Oui, c'était plutôt, plutôt glissant.  Donc, j'étais plus prudente.

Q.       [78]  À partir de quand vous trouvez que c'est un peu glissant?

R.       Bien, c'est le trottoir au complet, sur la rue Joffre, là, c'était plus glissant.

Q.       [79]  Donc sur Joffre, vous trouvez que c'est plus glissant?

R.       Oui.

Q.       [80]  Et vous me dites, qu'est-ce que vous modifiez donc dans votre démarche?

R.       Bien, je marche normalement.  Et puis, c'est ça, en tournant le coin, j'ai tombé. »[1]

[8]           À l'audience, elle déclare :  « Au retour, en descendant sur Joffre, c'était moins bien »… « dès le début sur Joffre, ça va moins bien »… « il y avait une petite neige sur le trottoir sur la rue Joffre ».  Voici comment elle décrit les circonstances de sa chute à son interrogatoire préalable :  « Et en tournant, en arrivant à De Teck, en tournant le coin, j'ai tombé carrément là, sur le coin où il y a une descente de chaises roulantes[2]. »  « Bien, j'ai glissé, j'ai tombé carrément sur ma hanche.  Et puis ma figure a frappé le sol.  Puis j'étais toute étourdie.  Puis, là, j'ai vu qu'il y avait de la glace.  Donc, je me suis aperçue que je venais de glisser là-dessus[3]. »  Elle précise comme suit l'état du trottoir où elle chute :

« Q.     [95]  La plaque de glace, avez-vous eu l'opportunité de voir c'était quoi?  C'était en fait quelle grandeur?

R.     C'est difficile à dire, là, mais c'était à peu près comme… dans les craques, là, de la descente, c'était comme de la glace qui était bombée.

Q.     [96]  Dans les craques, vous voulez dire les cannelures qu'il y a sur le trottoir de la descente…

R.     Oui, c'est ça.

Q.     [97]  … est-ce que c'est ça?

R.     Oui.

Q.     [98]  Puis vous dites qu'il y avait de la glace par-dessus les cannelures?

R.     Oui.

Q.     [99]  Êtes-vous en mesure de me dire… Vous avez fait un geste avec vos mains.

R.     Oui.

Q      [100]  Est-ce que, ça, ce serait la surface de la glace en tant que telle, de la partie glacée?

R.     Je ne peux pas vous donner la dimension.

Q.     [101]  Vous ne pouvez pas me donner la dimension?

R.     Écoutez, j’ai glissé, j’ai tombé puis...

Q.     [102]  Ça va.  Vous êtes tombée sur la hanche droite…

R.     Oui.  »[4]

[9]           « Je ne regarde pas tellement à terre quand je marche.  Je suis mon trajet [5]. »  Elle ne voit pas de glace durant tout son trajet aller-retour avant cette chute.  À l'audience, elle déclare :  « J'ignore pourquoi j'ai tombé. »  Après la chute, elle voit de la glace dans la descente de chaises roulantes.  Elle ne se souvient pas, dit-elle, d'avoir vu d'abrasif, du sable à cet endroit.  Elle tombe sur le côté droit, se relève et est étourdie.  Elle retourne en marchant à sa résidence à environ un demi-kilomètre plus loin.  Elle ressent une douleur à la hanche et à la cuisse droite et éprouve des étourdissements.  Elle se couche en arrivant et prend des comprimés contre la douleur.

2 - Séquelles

[10]        Le lendemain matin, 28 novembre, ne se sentant pas mieux, elle appelle son fils qui la conduit au centre hospitalier Pierre Le Gardeur.  Des radiographies démontrent une fracture du col fémoral à la hanche droite.  Le jour même, un chirurgien orthopédiste met en place une endoprothèse non cimentée à la hanche droite (aussi désignée comme une prothèse de Moore).  Après des traitements en physiothérapie, elle quitte l'hôpital le 6 décembre 2010 avec une marchette.  L'évolution postopératoire se déroule de façon positive.  Une physiothérapeute la visite à domicile trois fois par semaine au début et ensuite deux fois par semaine jusqu'à la mi-janvier pour la réadaptation de la jambe droite.  Elle utilise la marchette pendant six à huit semaines, puis se déplace ensuite à l'aide d'une canne.  Sa sœur vient l'aider chaque semaine jusqu'à la fin janvier et son mari, Yvon Le Duc, dit-il à l'audience, est à la maison presque chaque jour jusqu'au début mars.

[11]        Les points de suture sont enlevés le 11 janvier et à compter de la mi-janvier, déclare la demanderesse, il n'y a plus de soins à la maison.  Elle marche alors à l'extérieur de la maison à l'aide d'une canne.  Pendant un mois, elle se fait des injections sous-cutanées pour la prévention d'une thrombophlébite.  Elle subit une perte de cheveux ainsi que de l'eczéma sèche pendant trois à quatre mois.

[12]        Le couple devait partir en voyage au Mexique le 27 décembre, lequel est annulé.  Le prix de son billet d'avion lui a été remboursé.

[13]        Comme elle en témoigne à l'audience, la demanderesse reprend graduellement ses activités au gymnase vers la fin février 2011 où elle fera de la bicyclette stationnaire, du tapis roulant, puis la levée de poids.  Elle est vue pour la dernière fois par le chirurgien le 26 juillet 2011.  Yvon Le Duc rapporte qu'il y a eu amélioration assez rapidement.  Vers la fin janvier, elle commence à marcher sur le trottoir en sa compagnie à l'aide d'une canne qu'elle utilisera occasionnellement pendant environ 18 mois.  À compter de mars, elle peut conduire un véhicule.

[14]        Elle prend des médicaments non prescrits contre la douleur.  Elle éprouve de la difficulté à monter l'escalier menant au deuxième étage de la résidence et marche moins qu'avant.  Elle ne peut se pencher pour laver une baignoire et ne peut s'accroupir comme auparavant.  Le couple habite maintenant dans une nouvelle résidence d'un étage sans escalier.

[15]        Elle continue de fréquenter le gymnase, mais ne peut plus exercer certaines activités de loisirs comme auparavant, tels le tennis et le volleyball durant des vacances dans le Sud, et le ski alpin de façon occasionnelle.

[16]        La demanderesse est examinée le 18 août 2011 par le Dr Robert Duchesne, chirurgien orthopédiste, qui produit un rapport d'expertise du 22 août 2011 et témoigne à l'audience.  Son examen physique lui permet de constater que la demanderesse, sans utiliser une canne, présente une légère boiterie, se plaignant d'inconfort au niveau de la hanche droite.  Celle-ci exhibe une cicatrice d'une longueur de 15 cm, linéaire et légèrement rougeâtre.  Comme il le note dans son rapport, les amplitudes articulaires de la hanche droite démontrent une perte de 10 degrés pour l'abduction et la rotation interne et une perte de 15 degrés pour la rotation externe.

[17]        Dans ses conclusions, le témoin expert de la demande fixe à trois mois la période d'incapacité totale temporaire, soit du 27 novembre 2010 au 1 mars 2011.  Signalons au passage qu'aucune perte de revenus n'accompagne cette période d'incapacité, puisque la demanderesse est sans emploi rémunéré.  Compte tenu des limitations modérées des amplitudes articulaires de la hanche droite causées par l'endoprothèse et à la lumière du barème de l'American Medical Association (AMA), il fixe à 20 % l'incapacité du membre inférieur qui, convertie face à l'ensemble corporel, donne un déficit anatomo-physiologique (DAP) de 8 %.  S'ajoute un préjudice esthétique de 2 % en fonction du barème de la SAAQ et de l'AMA, découlant de la cicatrice de 15 cm à la hanche droite, qu'il qualifie de « modéré » et donc de classe 3 selon le barème.

[18]        La défense produit un rapport d'expert du 5 février 2012 du Dr André Canakis, chirurgien orthopédiste, qui a examiné le dossier médical et le rapport d'expertise du Dr Robert Duchesne, sans toutefois rencontrer la demanderesse et sans procéder à un examen clinique.

[19]        Suivant son interprétation du barème de l'AMA à la lumière de l'examen clinique de son collègue, le Dr Canakis fixe l'incapacité partielle permanente (ou DAP) du membre inférieur à 9 %, convertie à 4 % pour l'ensemble corporel.  Alors que le Dr Duchesne fixe le DAP à 8 % pour la hanche droite, le Dr Canakis l'évalue donc à 4 %.  Ce dernier considère que le préjudice esthétique est de classe 2, et donc « léger », qu'il fixe à 1 %, plutôt qu'à 2 % comme l'évalue l'expert de la demande.

[20]        Le Dr Duchesne explique à l'audience que cette divergence dans le taux d'incapacité résulte du fait que le barème de l'AMA ne tient pas compte de la prothèse, alors que la demanderesse n'a plus cette partie de la hanche.  Le Dr Canakis, dit-il, se fie uniquement sur le degré d'amplitude de mouvements de la hanche, sans égard à cette prothèse de durée limitée.  En effet, précise ce témoin expert, la prothèse devra être remplacée après une quinzaine d'années de vie utile moyennant une chirurgie lourde, ce dont le Dr Canakis ne tient pas compte dans son évaluation du DAP.  Aucune preuve ne contredit la portée de ce facteur aggravant.  Bref, l'AMA ne s'intéresse qu'aux conséquences d'une limitation de mobilité de la hanche, sans égard à l'existence ou à l'inexistence d'une prothèse.

[21]        Le Dr Duchesne est d'avis que le Dr Canakis a sous-évalué le préjudice esthétique que ce dernier qualifie de « léger » et donc de classe 2, sans toutefois avoir vu cette cicatrice qu'il évalue ainsi à distance.  Or, suivant son examen clinique de la cicatrice, le Dr Duchesne considère que le préjudice est modéré et donc de classe 3, ce qui autorise un taux de 2 %.

[22]        Le tribunal considère que le témoin expert de la demande est le mieux placé pour l'évaluation de ce préjudice esthétique, puisqu'il est le seul à avoir visualisé cette cicatrice.

[23]        Cette preuve médicale offerte en demande est davantage convaincante et prépondérante que celle de la défense, de portée plus étroite et restreinte en fonction du mandat donné.  Il en découle que suite à cet accident, la demanderesse a un DAP de 8 % et un préjudice esthétique de 2 %, soit une évaluation que le tribunal considère probante, justifiée et raisonnable dans les circonstances.

[24]        Après cet examen des circonstances de cet accident et du préjudice en découlant, vérifions ce qu'à fait la municipalité défenderesse avant cette chute du 27 novembre 2010 vers 13 h 30 sur le trottoir à l'angle des rues Joffre et De Teck, en vue de déterminer si sa conduite est fautive ou non fautive.

3 - Conduite de la Ville

[25]        Décrivons d'abord les méthodes usuelles de travail pour l'entretien de la chaussée et des trottoirs, lesquelles sont relatées à l'audience par Stéphane Lamoureux, contremaître chargé de la répartition du travail sur ce territoire, par Luc Nobert, contremaître dans les secteurs 43 et 44, ainsi que par Réal Lafrance, contremaître chez Déneigement Moderne inc. qui s'occupe du secteur 3 dans le secteur 44 où la chute a eu lieu.

A)         Régime en usage

[26]        L'arrondissement est divisé en quatre secteurs, soit 41, 42, 43 et 44.  L'intersection Joffre et De Teck est située dans le secteur 44.  Les travaux de déneigement sont exécutés à l'intérieur d'un périmètre déterminé par des employés de la Ville et dans un autre périmètre du secteur par un entrepreneur privé en vertu d'un contrat de déneigement.  Une carte en preuve illustre cette répartition territoriale des travaux.  Ainsi, la portion blanche identifie le territoire de la Ville et la portion jaune celui où les travaux d'entretien sont exécutés par un entrepreneur.  La chute survient dans une portion jaune, soit le secteur 3, où l'exécution des travaux est confiée à Déneigement Moderne inc.

[27]        Tous les travaux d'entretien s'effectuent sous la supervision de contremaîtres de la Ville qui les dirigent et patrouillent l'ensemble du territoire de même que sous la supervision d'un contremaître à l'emploi de l'entrepreneur privé dans le secteur désigné.  Les travaux sont identiques, qu'ils soient exécutés par des employés de la Ville ou par ceux de l'entreprise privée, lesquels comprennent selon la situation météorologique le déblaiement des rues et des trottoirs, le chargement de la neige, l'épandage d'abrasif.  Seule différence :  la Ville s'occupe de l'épandage d'abrasif sur toutes les rues de l'arrondissement, alors que l'entrepreneur privé se limite sur son territoire à l'épandage d'abrasif sur le trottoir.

[28]        Deux types d'abrasif sont utilisés selon la température :  du sable 9-1 (neuf portions de pierre concassée et une portion de sel) et du sel pur 1-1 lorsque la température se situe entre 0 ºC et -10 ºC.  Ce sel pur fait fondre la glace.  Des chenillettes, couramment désignées comme des « Bombardier », sillonnent les trottoirs pour déblayer la neige et épandre un abrasif.  Ces Bombardier sont munis d'une benne à l'arrière contenant l'abrasif chargée par des camions-alimenteurs.  La chenillette est munie de rétroviseurs extérieurs qui permettent de vérifier le bon écoulement de l'abrasif sur le trottoir.  Aucun abrasif n'est utilisé avant une chute de neige puisqu'il serait enlevé ensuite lors de l'opération de déblaiement.  L'on s'occupe d'abord des artères principales, telle la rue Sherbrooke, puis des rues commerciales et l'on termine cette séquence avec les rues résidentielles, telles les rues Joffre et De Teck.

[29]        Durant ces opérations, le contremaître à l'emploi de la Ville patrouille le secteur et marche pour vérifier la bonne exécution des travaux.  Le contremaître à l'emploi de l'entrepreneur effectue aussi une semblable surveillance dans son secteur qui s'ajoute à celle qu'effectue aussi dans le même secteur le contremaître de la Ville.  Cette double surveillance permet de vérifier si le travail requis est bien exécuté.  Une exécution incomplète ou bâclée peut réduire la rémunération de l'entrepreneur.  Un registre, désigné comme livre de bord, sous la responsabilité du contremaître de la Ville, contient un relevé quotidien des activités d'entretien exercées dans le secteur durant un quart de travail.  L'entrepreneur privé tient aussi un tel registre qu'il envoie ensuite à la Ville, où sont notés de façon détaillée l'endroit et l'heure du travail effectué par ses employés.  Les extraits pertinents de ces livres de bord sont produits en preuve.

[30]        Une journée de 24 heures à cette époque de l'année est divisée en deux quarts de travail, soit de 5 h à 17 h et de 17 h à 5 h, durant lesquels un contremaître est à son poste.  L'entrepreneur privé vient sur demande et fournit ses services en cas de nécessité dictée par les prévisions météorologiques, par exemple si l'on annonce une tempête de neige.  Il effectue alors sans interruption le travail requis dans son secteur jusqu'à sa terminaison.  Ainsi, dans ce cas, Luc Nobert rencontre le contremaître privé à son arrivée pour vérifier le nombre d'appareils à sa disposition et confirmer les endroits où ils seront utilisés.  Quatre chenillettes Bombardier sont utilisées par secteur pour le déblaiement et l'épandage, soit le nombre dont dispose Déneigement Moderne dans ce secteur 3.  Dans une rue résidentielle, deux Bombardier travaillent en tandem :  ils circulent en même temps sur le trottoir de chaque côte de la rue.  Le Bombardier en mode abrasif passe sur la descente de trottoir à l'intersection, puis la remonte de l'autre côté, confirment Stéphane Lamoureux et Luc Nobert.

[31]        Les opérations sont déclenchées lorsque l'on annonce une précipitation d'au moins 2,5 cm (soit 1 pouce) qui exigera alors la mise en oeuvre de travaux de déblaiement des rues et trottoirs et l'épandage d'abrasif.  Les prévisions météorologiques dictent la conduite à adopter, que surveille de près Stéphane Lamoureux qui dirige les opérations et répartit le travail.  À cette fin, la Ville est abonnée à un service privé de prévisions météorologiques pour Montréal, qui communique par internet quatre bulletins de météo par 24 heures, soit à 2 h, 10 h, 14 h et 22 h, ce qui permet de suivre l'évolution d'une situation susceptible de provoquer le déclenchement imminent de travaux de déblaiement et d'épandage d'abrasif.  Selon l'usage, Stéphane Lamoureux prend connaissance des bulletins de météo le 25 novembre 2010 :  rien à signaler, journée sans histoire.  La situation sera différente le jour suivant.

B)        Verglas et neige

[32]        Examinons ce qui se passe les 26 et 27 novembre 2010.

[33]        Le bulletin météo du 25 novembre émis à 22 h pour la période de 22 h à 7 h le lendemain matin prévoit de la pluie verglaçante débutant à 3 h et se terminant à 4 h , suivie de pluie prenant fin à 7 h.  Le bulletin météo émis le vendredi 26 novembre à 2 h maintient cette prédiction de pluie verglaçante entre 3 h  et 4 h du matin, suivie de pluie susceptible de prendre fin à 10 h le matin.  Un avertissement de pluie verglaçante est lancé ce vendredi à 1 h 11 pour la région de Montréal métropolitain et de Laval, mentionnant que 5 à 10 mm de verglas sont prévus durant la nuit.  Une autre alerte météo est émise à 4 h 30 prévoyant de 2 à 10 mm de verglas.

[34]        Suivant le sommaire météorologique d'Environnement Canada du 26 novem-bre, la température est à -3,6 ºC à 2 h, à -3,3 ºC à 3 h, à -2,8 ºC à 4 h et à -2,1 ºC à 5 h.  Elle s'élève par la suite, atteignant 0 ºC à 8 h et 9 h et 1,2 ºC à 10 h et 11 h, puis 1,3 ºC à midi.  Ce sommaire indique une précipitation de 3,4 mm de pluie de jour-là.

[35]        Compte tenu de cette prévision de verglas entre 3 h et 4 h annoncée à ce bulletin météo, Stéphane Lamoureux vers minuit enclenche l'opération d'épandage d'abrasif dont est avisé Déneigement Moderne.  « On se prépare, on passe en mode abrasif », déclare ce dernier.  Déjà à 4 h 15, deux camions-alimenteurs sont en fonction et cinq chenillettes épandent de l'abrasif.  À partir de 6 h 30, « on s'en va en sablage trottoirs », dit-il.

[36]        Le livre de bord de la Ville pour les secteurs 43 et 44 confirme la présence de verglas à 6 h 30 sur les rues et trottoirs, mentionnant que l'épandage d'abrasif sur la chaussée et les trottoirs est en cours.  La température à 6 h 30 est de -2 ºC.  Ce registre indique qu'à cette heure, les trottoirs sont généralement glacés.

[37]        L'équipe de Déneigement Moderne commence à épandre du sel pur 1-1 sur les trottoirs dans le secteur 3 à 7 h 56, comme le mentionne le livre de bord de cette entreprise.  Quatre Bombardier qu'accompagne un camion-alimenteur sont affectés à ce travail qui sera complété à 14 h 30 pour l'ensemble du secteur confié à cet entrepreneur par le contrat de déneigement.  Du sel pur 1-1 a ainsi été déposé sur tous les trottoirs du secteur relevant de la responsabilité de cet entrepreneur, comme l'atteste de façon détaillée son livre de bord de 7 pages pour le 26 novembre qui relate le parcours d'épandage des trottoirs.  Ainsi, suivant ce relevé, l'épandage du trottoir sur la rue Joffre, entre les rues De Teck et Sherbrooke, d'une longueur de 968 mètres, a lieu de 13 h 59 à 14 h des deux côtés de la rue, soit une durée d'une à deux minutes.  Le chronométrage de cette opération à cet endroit n'a toutefois pas la même précision que celle en usage lors de jeux olympiques.  Comme l'affirme Réal Lafrance, contremaître chargé de la surveillance des travaux ce jour-là et l'illustre le livre de bord, l'opérateur du Bombardier note l'heure à laquelle de l'abrasif est déposé sur le trottoir de chacune des rues du secteur.

[38]        Ce livre de bord indique que les trottoirs sont glacés avant l'épandage et qu'ils sont beaux après cette opération.  Il indique que la température est de 2 ºC à 8 h lorsque débute ce travail d'épandage.  À l'aéroport de Dorval, suivant le sommaire météorologique d'Environnement Canada, elle est alors de 0 ºC.  Le livre de bord de la Ville pour les secteurs 43 et 44 indique que la pluie cesse à 10 h.  À 14 h, le mercure s'élève à -0,1 ºC à l'aéroport de Dorval.

[39]        En parallèle et de façon simultanée, la Ville procède à l'épandage d'abrasif sur les trottoirs relevant de son entretien.

[40]        Cette preuve établit que le Bombardier qui épand en tandem cet abrasif sous forme de sel pur passe sur le trottoir côté ouest, à l'intersection des rues Joffre et De Teck, le 26 novembre vers 14 h, soit à l'endroit de la chute de la demanderesse le lendemain, 23 heures et demie plus tard.

[41]        Il n'y aura plus de verglas par la suite, après cette opération d'épandage du 26 novembre.

[42]        Le bulletin de météo émis à 22 h le 26 novembre annonce une précipitation de neige débutant à 6 h et se terminant vers 11 h samedi le 27 novembre, avec une accumulation de 1 à 2,4 cm et une température prévisible de 0 ºC à 2 h, 4 h et 7 h.  Le bulletin de 2 h indique que la neige tombe déjà.  Le sommaire météorologique du 27 novembre indique une précipitation de neige de 2,6 cm.  La veille, selon ce relevé, 0,8 cm de neige est tombé présumément à compter de 15 h, comme le prévoit le bulletin de météo émis à 14 h le 26 novembre.

[43]        Cette prévision de neige déclenchera l'opération de déblaiement des rues et des trottoirs.  Comme l'affirme Stéphane Lamoureux, les trottoirs sont sur le béton ou partiellement enneigés.  Aucun abrasif n'est requis le 27 novembre puisqu'il a été épandu la veille sans autre verglas après la fin de cette opération.

[44]        Le livre de bord de la Ville du samedi 27 novembre pour les secteurs 43 et 44 indique que la température à 6 h 30 est de 0 ºC;  le sommaire météorologique la fixe à 0 ºC à 7 h.  L'accumulation de neige au sol est de 1,5 cm à 6 h 30 et, comme l'indique le livre de bord, les trottoirs sont alors enneigés.  À 10 h, cette accumulation de neige atteint 2,5 cm, ce qui, suivant la norme connue de 2,5 cm, en autorise alors le déblaiement.  L'ordre de déblaiement est donné à 10 h dans les secteurs 43 et 44 et le déblaiement des trottoirs débute vers 10 h 30, qui coïncide avec la fin de cette chute de neige, déclarent Stéphane Lamoureux et Luc Nobert.  Le mercure à Dorval indique une température de -0,9 ºC à 11 h et de -1,9 ºC à 13 h.

[45]        Déneigement Moderne exécute dans son secteur cette opération de déblaiement de la neige sur les trottoirs, laquelle peut couvrir une période d'environ six heures et demie.  « À 13 h 30, on n'est pas rendu à Joffre et De Teck », affirme Réal Lafrance.  Ce constat est prévisible, puisque la veille l'épandage de l'abrasif a eu lieu à cet endroit vers 14 h, soit quelque six heures après le début de cette opération et une demi-heure environ avant la fin de tous les travaux.  Puisque le déblaiement des trottoirs commence vers 10 h 30, il semble raisonnable de présumer que le trottoir à l'intersection des rues Joffre et De Teck ne sera pas déblayé avant 16 h 30, soit quelque six heures plus tard, conformément au parcours usuel suivi par cet entrepreneur.  Aucun abrasif n'est épandu ce jour-là puisque non alors nécessaire.  Cette situation explique la présence de neige vers 13 h 30 ce samedi 27 novembre sur le trottoir ouest à l'intersection des rues Joffre et De Teck où chute la demanderesse.

[46]        Après cette revue des faits, procédons à leur analyse à la lumière des normes juridiques applicables.

4 - Analyse

[47]        Ce recours est régi par l'article 1457 C.c.Q. en matière de responsabilité civile extracontractuelle qui au premier alinéa énonce :  « Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. »  Adapté à la présente instance, ce principe signifie que la Ville a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les conditions climatiques, les usages en matière d'entretien des trottoirs et la jurisprudence, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à un piéton sur son territoire.  En vertu de cette disposition générale, la partie réclamante doit établir une faute commise par la municipalité poursuivie, le préjudice qu'elle a subi et un lien de causalité direct et immédiat entre cette faute et ce dommage.

[48]        De toute évidence, la demanderesse établit un préjudice et le lien de causalité entre celui-ci et la chute.  Il lui incombe (art. 2803 C.c.Q.) d'établir une faute de la Ville suivant une preuve prépondérante, soit celle « qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence » (art. 2804 C.c.Q.).

[49]        L'article 585, 7 de la Loi sur les Cités et Villes [6] applique cette règle générale à un accident sur un trottoir.  Cette disposition se lit :

« Nonobstant toute loi générale ou spéciale, aucune municipalité ne peut être tenue responsable du préjudice résultant d’un accident dont une personne est victime, sur les trottoirs, rues, chemins ou voies piétonnières ou cyclables, en raison de la neige ou de la glace, à moins que le réclamant n’établisse que ledit accident a été causé par négligence ou faute de ladite municipalité, le tribunal devant tenir compte des conditions climatériques. »

[50]        Cette disposition appliquée à la présente instance signifie que la Ville ne peut être tenue responsable du dommage résultant de cette chute sur le trottoir à moins que la demanderesse n'établisse de façon prépondérante qu'elle a été causée par la négligence ou la faute de la Ville, compte tenu des conditions climatériques.

[51]        Une jurisprudence abondante énonce les principes applicables en l'instance, que le tribunal résume comme suit :

1-        Une municipalité n'est pas l'assureur du piéton qui se blesse en chutant sur un trottoir.  Il ne suffit donc pas que cette personne établisse les dommages résultant de cet accident pour avoir droit à une indemnité, sans autre preuve;

2-        Aucune présomption de faute ne joue contre une municipalité à raison d'un trottoir glissant ou d'une chute.  Toute chute n'est pas présumément causée par la négligence de la municipalité et de ses préposés, ce qui autrement opérerait un déplacement du fardeau de preuve non prévu à l'article 1457 C.c.Q. et à l'article 585, 7 L.C.V;

3-        Le fardeau de preuve d'une conduite fautive de la municipalité et de ses préposés dans l'entretien des trottoirs incombe au piéton réclamant qui en conséquence doit établir cette faute de façon prépondérante;

4-        La municipalité doit agir en personne raisonnable, soit de façon prudente et diligente, étant astreinte à une obligation de moyens, mais non de résultat.  La personne raisonnable n'est pas la personne parfaite - si telle personne existe.  La municipalité n'est donc pas tenue d'atteindre la perfection et, en conséquence, n'a pas l'obligation de maintenir de façon constante et en toutes circonstances ses trottoirs en parfaite condition;

5-        Une municipalité doit prendre de façon diligente des mesures raisonnables pour l'entretien sécuritaire de ses trottoirs eu égard aux conditions climatiques;

6-        Une municipalité jouit de discrétion dans l'établissement et l'exécution logique d'un programme raisonnable d'entretien de ses trottoirs;

7-        Un piéton face à des conditions hivernales doit marcher de façon prudente et vigilante, comme le ferait toute personne raisonnable en semblable situation, la présence d'une surface glissante n'étant pas dans ce contexte nécessairement anormale et imprévisible.

[52]        La municipalité doit agir de façon raisonnablement diligente et prendre les précautions nécessaires pour l'entretien de ses trottoirs et la sécurité des piétons.

« La présente action ne peut réussir, à moins qu’il ne soit démontré qu’il y a eu négligence de la part de la cité ou de ses employés, et que c’est de cette négligence que le dommage a résulté. Dans notre pays, où les intempéries de nos saisons sont fréquentes, où la température hivernale présente de soudaines variations, on ne peut évidemment pas s’attendre sur nos trottoirs à la sécurité dont bénéficient ceux qui vivent sous des ciels plus cléments. Ces changements climatiques offrent toujours des dangers subits, dont ne peuvent dans tous les cas, être tenues responsables les municipalités.

Ce que l’on exige de ces dernières, ce n’est pas un standard de perfection. Elles ne sont pas les assureurs des piétons, et on ne peut leur demander de prévoir l’incertitude des éléments. La vigilance simultanée de tous les moments, dans tous les endroits de leur territoire, serait leur imposer une obligation déraisonnable. Il peut arriver, et il arrive malheureusement des accidents, où s’exerce cependant très bien la surveillance municipale, qui résultent d’aucune négligence et pour lesquels il n’y a pas de compensation sanctionnée par la loi civile. Lorsque la municipalité fait preuve de soin et de diligence raisonnables, lorsqu’elle agit "en bon père de famille", lorsqu’elle prend les précautions que prendraient des personnes prudentes dans des circonstances identiques, elle ne peut être recherchée devant les tribunaux civils. »[7]

« La question qui se pose toujours dans les causes de ce genre est de savoir si la municipalité a pris, dans le temps voulu, les précautions nécessaires pour protéger la sécurité des citoyens. »[8]

[53]        La demanderesse en l'instance glisse en pivotant, perd l'équilibre et tombe.  Le seul fait que le trottoir à cet endroit soit glissant ne suffit pas en soi à entraîner la responsabilité de la Ville.

« Dans le pays où nous vivons, avec notre climat, il reste que la circulation peut devenir dangereuse, sans engager la responsabilité des municipalités qui ont l’entretien des trottoirs. Il ne suffit pas pour quelqu’un qui fait une chute sur un trottoir, d’établir que cette chute est causée par le fait que le trottoir était glissant, mais il faut qu’on établisse une faute de négligence, une omission qui constituent une imprudence qu’un bon père de famille ne commettrait pas, pour engager la responsabilité d’une municipalité. Ces principes sont maintenant reconnus par une jurisprudence constante. »[9]

[54]        La Ville possède un système bien planifié et bien structuré pour l'entretien de ses rues et trottoirs.  Le contremaître répartiteur, qui reçoit quatre bulletins météo détaillés par 24 heures, surveille attentivement les prévisions météorologiques.  À l'annonce du verglas, il prépare puis déclenchera l'opération d'épandage d'abrasif sur tout le territoire.  La preuve démontre que de l'abrasif est déposé sur tous les trottoirs après cette précipitation nocturne de verglas.  À compter de 8 h, du sel pur est épandu sur tous les trottoirs du secteur 3 pour faire fondre la glace.  Cet épandage a lieu vers 14 h à l'angle des rues Joffre et De Teck où la demanderesse chutera le lendemain.  Celle-ci confirme de façon implicite l'efficacité générale de ce travail d'entretien.  En effet, elle parcourt environ un kilomètre et demi avant la chute sans voir de glace et sans glisser.  Après la chute, alors qu'elle parcourt environ un demi-kilomètre pour se rendre en marchant à la maison, elle ne voit aucune glace, ni ne glisse à nouveau, malgré sa difficulté à marcher.  Le contremaître de la Ville et le contremaître de l'entrepreneur surveillent selon l'usage et leur habitude la bonne évolution de ce travail.  La demanderesse déclare ne pas avoir vu de sable lors de sa chute.  Cela peut se comprendre puisque aucun sable n'a été utilisé la veille à cet endroit.  En effet, l'on épand du sel pur 1-1 et non de l'abrasif de type 9-1.  Le sel déposé quelque 24 heures plus tôt peut être alors peu visible.

[55]        Le lendemain, l'on commence à déblayer vers 10 h 30 à la fin de la précipitation de neige dont l'accumulation atteint le seuil requis de 2,5 cm.  Aucun nouvel épandage d'abrasif n'est requis en l'absence de tout nouveau verglas.  Une pluie non verglaçante suit cet épisode de verglas;  aucune nouvelle précipitation ne nécessite une telle opération le jour suivant alors qu'il neige.

[56]        La demanderesse plaide que cette opération de déblaiement de la neige aurait dû être accompagnée d'un épandage d'abrasif.  Cet argument demeure toutefois sans portée applicable.  En effet, le Bombardier n'a pas encore atteint l'intersection Joffre et De Teck au moment de la chute.  D'ailleurs, comme le rapporte la demanderesse, une petite neige couvre le trottoir de la rue Joffre et « c'était moins bien » qu'auparavant, ce qui confirme l'absence de déblaiement sur le trottoir de cette rue à ce moment-là.  Le parcours à suivre est défini de façon logique :  artères principales d'abord, puis rues commerciales et ensuite rues résidentielles.  Une municipalité ne peut de toute évidence entretenir tous ses trottoirs de façon simultanée.  L'absence de déblaiement de la neige à cet endroit avant la chute n'est pas en soi fautive.  Sachant que le trottoir sur la rue Joffre est plutôt glissant à cause de la neige, comme elle l'affirme, la demanderesse se doit d'être plus vigilante qu'auparavant alors qu'elle a marché sur la rue Sherbrooke déjà déblayée.

[57]        La preuve établit que la Ville a un système bien organisé et adéquat pour l'entretien des rues et trottoirs, qu'elle applique de façon diligente, efficace et raisonnable.  Elle prend sans tarder les mesures appropriées en fonction de l'obligation de moyens qui lui incombe.  Le même constat est exprimé par jugement dans trois causes récentes impliquant la Ville de Montréal [10].

[58]        L'épandage d'abrasif avant le déblaiement de la neige n'aurait eu aucune utilité puisqu'il aurait été enlevé en même temps que la neige.  La Ville n'est pas obligée d'effectuer un épandage continu sans justification et sans nécessité aucune.  « Exiger qu'elle fasse de l'épandage répété et sans arrêt dépasse les obligations qui lui incombent [11]. »  La Ville ne peut surveiller l'état de chacun de ses trottoirs de façon continue et simultanée.  « Comme cette Cour a eu l'occasion de le dire dans Garberi c. La Cité de Montréal, la vigilance simultanée de tous les moments, dans tous les endroits de leur territoire, serait imposée aux municipalités une obligation déraisonnable [12]. »

[59]        Après sa chute, la demanderesse voit de la glace dans le déclin du trottoir à l'intersection où peuvent circuler des fauteuils roulants.  Alors qu'elle a la mémoire plus fraîche qu'à l'audience, elle précise à son interrogatoire préalable du 19 juillet 2011 qu'elle a vu de la glace dans les cannelures de la descente du trottoir (p. 19, lignes 6-25).  Incapable d'en donner la dimension (p. 19, lignes 24-25), elle ne rapporte pas avoir vu une plaque de glace recouvrant entièrement cette descente.  La glace est dans la rainure.  Celle en surface, hors les cannelures, est disparue sous l'effet de l'abrasif déposé la veille.  Cette présence de glace dans les cannelures ne signifie pas pour autant qu'aucun abrasif n'a été déposé sur cette portion de trottoir quelque 24 heures auparavant ou que l'épandage a été bâclé à cet endroit précis, à la différence de tous les autres endroits où la chenillette est passée et où la demanderesse a marché sans glisser sur une distance d'environ un kilomètre et demi.  « Il peut arriver évidemment qu'entre le temps où le sable a été déposé le matin et le temps où l'accident est arrivé, une légère couche de glace se soit formée.  Il est également possible que la neige ou la glace fondante ait entraîné le sable et y ait laissé une surface glissante.  Mais cela ne constitue pas une négligence qui entraîne la responsabilité de la Ville[13]. »

[60]        Une municipalité ne peut garantir que tous les trottoirs seront en tout temps dans un état irréprochable et ne seront jamais glissants.  « Comme il a été dit déjà, la Cité n'est pas tenue d'assurer que ses rues et trottoirs ne seraient jamais glissants;  elle est seulement obligée de prendre les précautions que prendrait un homme diligent pour atteindre ce but [14]. »  « Obliger la Ville à effectuer un sablage ou un épandage d'abrasif sans aucune faille la soumettrait à une obligation de résultat [15]. »  Comme le dit M. le Juge Badeaux de la Cour d'Appel :  « L'on ne peut exiger de l'appelante qu'elle protège chaque pouce et chaque pied de ses trottoirs à chaque instant, surtout dans une ville de l'importance de la Cité de Québec[16]»

« Il est bien reconnu que la Ville assume une obligation de moyens. Elle n’est ainsi pas tenue d’avoir des hommes et de l’équipement de faction vingt-quatre heures par jour, tout au long de ses rues, pour faire disparaître la moindre trace de glace lorsqu’elle se produit; elle n’est pas tenue d’assurer en tout temps que les trottoirs ne seront jamais glissants, mais seulement de prendre les précautions raisonnables en agissant en bon père de famille. » [17]

[61]        Rappelons qu'une municipalité n'a pas l'obligation de maintenir en tout temps et en toutes circonstances, sans égard aux conditions climatiques, ses trottoirs en parfaite condition.  La Ville doit veiller à ce que l'épandage d'abrasif soit correctement effectué, mais elle n'est pas tenue d'effectuer un épandage parfait sur chaque parcelle et chaque interstice d'un trottoir, puisque cela lui imposerait un degré de perfection et une obligation de résultat au-delà de l'obligation de moyens qui lui est imposée.

[62]        La Ville adopte les 26 et 27 novembre 2010 une conduite raisonnable et diligente dans l'entretien de ce trottoir, compte tenu des conditions climatiques.  Elle a fait correctement et de façon adéquate, sans négligence, ce qu'elle devait faire dans les circonstances.  Le tribunal conclut que la demanderesse n'établit pas de façon prépondérante que cet accident est causé par la faute de la Ville défenderesse, de sorte que le recours doit être rejeté.

[63]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[64]        ACCUEILLE la défense amendée de la défenderesse;

[65]        REJETTE la requête introductive d'instance amendée de la demanderesse;

[66]        AVEC DÉPENS.

__________________________________

                                                                                             PIERRE TESSIER, j.c.s.

Me Mario St-Pierre

Saint-Pierre & Major, Avocats

Procureurs de la demanderesse

 

Me Myrtho Adrien

Dagenais, Gagnier, Biron

Procureurs de la défenderesse

 

Dates d'audition :       18, 19 et 24 avril 2013

Mise en délibéré  :     24 avril 2013



[1]     Page 16, lignes 7 à 19.

[2]     Page 15, lignes 8 à 10.

[3]     Page 18, lignes 13 à 17.

[4]     Page 19, lignes 3 à 25, page 20, lignes 1 à 4.

[5]     Page 27, lignes 8-9.

[6]     L.R.Q., c. C-19, L.C.V.

[7]     Garberi c. La Cité de Montréal, [1961] R.C.S. 408, 409-410, j. Taschereau, AZ-50293372.

[8]     Paquin c. Cité de Verdun, [1962] R.C.S. 100, 101, j. Taschereau.

[9]     Granby (Cité de) c. Delaney, [1971] C.A. 380, 382-383, j. Rivard, AZ-71011112.

[10]    Allard-Trudel c. Montréal (Ville de), 2011 QCCS 53, par. 44, AZ-50710254; Moran c. Montréal (Ville de), 2013 QCCS 2404, par. 61, AZ-50971854; Milfort c. Montréal (Ville de), 2011 QCCS 1504 : « Le système d’épandage d’abrasifs et de déblaiement de neige mis en place par la Ville est bien organisé et efficace » (par. 44), AZ-50738430.

[11]    Allard-Trudel c. Montréal (Ville de), id., par. 42.

[12]    Paquin c. Cité de Verdun, préc., note 8, p. 102, j. Taschereau.

[13]    Picard c. Québec (Cité de), [1965] R.C.S. 527, 532, j. Taschereau, AZ-65111048.

[14]    Id., p. 531.

[15]    Petrovic c. Laval (Ville), 2004 CanLII 48014 (QC CS), par. 50.

[16]    Picard c. Québec (Cité de), préc., note 13, p. 532, j. Taschereau.

[17]    Fleury c. Saint-Hyacinthe (Ville), 2001 CanLII 10931 (QC CS), par. 15, cité avec approbation dans Milfort c. Montréal (Ville de), préc., note 10, par. 42.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.