Ouellet et Lafarge Groupe matériaux de construction |
2010 QCCLP 1459 |
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[1] Le 19 mai 2009, monsieur Alain Ouellet (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 7 mai 2009, à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 27 janvier 2009 et déclare que le travailleur n’a pas subi une rechute, récidive ou aggravation le 13 novembre 2008.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jérôme le 3 février 2010. Le travailleur est présent et représenté par Me Michel Charette. Monsieur Jean Bruneau pour l’employeur, Lafarge Groupe matériaux de construction, a avisé le tribunal, le 22 janvier 2010, de son absence à l’audience.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de déclarer qu’il a subi une rechute, récidive ou aggravation le 13 novembre 2008 en relation avec la lésion professionnelle initiale du 4 novembre 2005.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête du travailleur, d’infirmer la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative le 7 mai 2009 et de déclarer que le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation le 13 novembre 2008 en relation avec la lésion professionnelle initiale du 4 novembre 2005.
[6] Le docteur Osterman, médecin de l’employeur, établit une relation directe entre la fasciite plantaire et la lésion professionnelle initiale du 4 novembre 2005. Le travailleur a eu un suivi médical constant depuis cette lésion et la condition du travailleur démontre une détérioration en novembre 2008.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation le 13 novembre 2008 en relation avec la lésion professionnelle initiale du 4 novembre 2005.
[8]
La rechute, récidive ou aggravation est comprise dans la définition de
lésion professionnelle que l’on retrouve à l’article
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[9] Toutefois, la loi ne définit pas la rechute, récidive ou aggravation. La jurisprudence[2] a établi qu’il s’agit de la reprise évolutive, de la réapparition ou de la recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.
[10] Le travailleur a le fardeau d’établir, par une preuve médicale prépondérante, la relation causale entre la rechute, récidive ou aggravation alléguée et la lésion initiale du 4 novembre 2005[3].
[11] La jurisprudence[4] a établi des paramètres permettant d’évaluer cette relation causale : le degré de sévérité du traumatisme initial, la progression ou la continuité de la symptomatologie à la suite de la lésion initiale, le retour au travail, avec ou sans séquelles fonctionnelles, le suivi médical, l’aggravation ou la détérioration de l’état de la personne, la présence ou l’absence d’une condition personnelle, la similitude des diagnostics, le délai entre la rechute, récidive ou aggravation et la lésion initiale.
[12] Dans le présent dossier, le travailleur subit une lésion professionnelle initiale le 4 novembre 2005 qu’il décrit de la façon suivante dans sa réclamation du 15 décembre 2005 :
« En montant dans l’échèle arriere du camion je me suis déchirer un muscle du mollet gauche. » [sic]
[13] Il est examiné par le docteur Claude Roberge la journée de l’événement et ce dernier diagnostique une rupture musculaire du mollet gauche.
[14] Le docteur Roberge produit un Rapport final le 23 novembre 2005 par lequel il consolide la lésion du travailleur le 9 décembre 2005 et conclut qu’il ne subsiste pas d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[15] Le travailleur consulte[5] régulièrement un médecin par la suite et le docteur Marc Dancose produit un Rapport final le 15 mai 2006 par lequel il consolide la déchirure musculaire du mollet gauche à la date de son examen, et ce, sans séquelles.
[16] Un examen d’imagerie par résonance magnétique est réalisé le 4 août 2006 et il démontre la présence de séquelles de déchirure du plantaris (plantaire grêle) avec épaississement résiduel du tendon au niveau du mollet gauche du travailleur.
[17] Le 1er mai 2007, le travailleur est examiné par le docteur Carl Farmer, orthopédiste, qui considère que la déchirure du mollet gauche n’est pas consolidée, mais qu’il n’y a pas d’indication chirurgicale.
[18] Le travailleur subit une rechute, récidive ou aggravation le 8 janvier 2008 pour un diagnostic de séquelles de rupture du mollet gauche. Le docteur Farmer produit un Rapport d’évaluation médicale le 9 janvier 2008 et il considère qu’il subsiste une atteinte permanente de 4,4 % et des limitations fonctionnelles.
[19] Le 3 juin 2008, la CSST rend une décision et constate que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 30 mai 2008, et ce, malgré les limitations fonctionnelles retenues.
[20] Le travailleur consulte le docteur Pierre Messier le 12 août 2008 et ce dernier retient le diagnostic de rupture du plantaire grêle et prescrit une consultation en orthopédie.
[21] Le 11 novembre 2008, le docteur Messier retient le diagnostic de fasciite plantaire par compensation en plus de celui de déchirure du plantaire grêle.
[22] Le 13 novembre 2008, le docteur Éric Morin examine le travailleur et diagnostique une déchirure musculaire du mollet gauche. Il prescrit un examen par échographie du mollet et du talon gauche.
[23] Le 15 décembre 2008, le docteur Messier diagnostique une déchirure du plantaire grêle gauche avec fibrose.
[24] Le travailleur est examiné par le docteur Sarto Imbeault, physiatre, le 18 février 2009 et ce dernier diagnostique une fasciite plantaire gauche.
[25] Le 20 mars 2009, le travailleur subit un examen d’imagerie par résonance magnétique de la cheville gauche qui démontre un épaississement du fascia plantaire témoignant d’un début de la maladie de Ledderhose (fibromatose plantaire).
[26] Le travailleur prétend qu’il a subi une rechute, récidive ou aggravation le 13 novembre 2008.
[27] Le docteur John W. Osterman examine le travailleur le 7 janvier 2010 à la demande de l’employeur. Il conclut que le diagnostic à retenir est celui de rupture du muscle plantaire grêle gauche avec aggravation sous forme de fasciite plantaire gauche et atrophie importante de la cuisse gauche. Il considère que la fasciite et l’atrophie sont des conséquences directes de la lésion initiale. Le docteur Osterman mentionne notamment ceci :
« […]
Il y a une relation directe entre l’existence de la fasciite plantaire gauche ainsi que l’atrophie au niveau de la cuisse gauche et la blessure initiale au niveau du mollet gauche chez monsieur Ouellet.
Sur le plan biomédical, le mollet, le tendon d’Achille et la fasciite plantaire agissent comme une seule unité afin d’effectuer une propulsion vers l’avant lors de la marche normale. Une blessure à l’une des parties de cette unité peut avoir des conséquences sur les autres parties. Notamment, une tension accrue au niveau du mollet ou un raccourcissement du tendon d’Achille va augmenter la tension au niveau de la fasciite plantaire lors de la démarche et ainsi provoquer une fasciite plantaire ou encore une fibromatose (qui est le même syndrome, mais à un stade plus avancé).
[…]
Toutefois, au moment de l’arrêt de travail le 13 novembre 2008, monsieur Ouellet était porteur de handicaps préexistants qui ont contribué à l’occurrence de la condition de la fasciite plantaire. Notamment, monsieur Ouellet a les pieds plats et il marche avec les pieds en pronation et en varus. Ces trois facteurs sont également trois facteurs importants dans la production d’une fasciite plantaire. De plus, il souffre d’embonpoint avec un indice de masse corporel de 32, soit une obésité importante mais pas morbide.
[…]
En effet, sans la présence de ces conditions personnelles préexistantes, la simple blessure au mollet n’aurait probablement pas eu un impact sur la fascia plantaire chez monsieur Ouellet. » [sic]
[28] Le tribunal retient les prétentions du travailleur, car il y a plusieurs éléments objectifs médicaux pour conclure en la présence d’une rechute, récidive ou aggravation le 13 novembre 2008.
[29] Le tribunal considère que l’événement d’origine, survenu en 2005, était relativement bénin et n’a pas entraîné de séquelles permanentes. Toutefois, une rechute, récidive ou aggravation survenue le 8 janvier 2008 a été acceptée par la CSST et une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles ont été retenues à la suite de cette lésion.
[30] Le travailleur a été suivi médicalement à la suite de sa lésion professionnelle du 4 novembre 2005. Le travailleur a effectivement consulté, à plusieurs occasions, un médecin pour un problème au mollet gauche entre 2006 et 2008.
[31] Le tribunal souligne qu’il y a un délai d’environ trois ans entre la consolidation de la lésion professionnelle initiale et la rechute, récidive ou aggravation alléguée du 13 novembre 2008. Ce délai n’apparaît pas important, étant donné la présence du suivi médical quasi constant depuis l’événement d’origine.
[32] Les diagnostics des deux lésions ne sont pas les mêmes. En effet, lors de l’événement d’origine, le diagnostic est celui de rupture musculaire du mollet gauche alors que pour la rechute, récidive ou aggravation alléguée du 13 novembre 2008, le diagnostic est celui de fasciite plantaire ou de fibromatose. Toutefois, cela n’exclut pas qu’il puisse y avoir une relation entre ces diagnostics.
[33] Le tribunal retient l’expertise du docteur Osterman sur la relation entre la rechute, récidive ou aggravation du 13 novembre 2008 et l’événement du 4 novembre 2005. Il s’agit du médecin expert choisi par l’employeur et il retient la thèse du travailleur ce qui ajoute encore davantage à sa crédibilité.
[34] Le docteur Osterman explique de façon précise comment la fasciite a pu se développer à la suite de la blessure au mollet. À l’appui de son expertise, le docteur Osterman soumet plusieurs extraits de littérature[6] médicale indiquant que la raideur et la faiblesse d’un mollet sont une des causes les plus fréquentes de la fasciite plantaire.
[35] De plus, le docteur Messier retient le diagnostic de fasciite plantaire par compensation et considère qu’il y a une relation entre ce diagnostic et la blessure au mollet gauche. Le docteur Messier indique, dans une lettre du 12 janvier 2010, que la douleur au mollet gauche du travailleur en novembre 2008 est une aggravation de la lésion professionnelle initiale subie en 2005.
[36] Le tribunal considère que la preuve objective démontre une modification de l’état de santé du travailleur.
[37] Le tribunal estime aussi que la preuve démontre que des conditions personnelles du travailleur ont joué un rôle dans la survenance de la fasciite plantaire. Toutefois, ceci ne fait pas obstacle à la reconnaissance de la rechute, récidive ou aggravation étant donné la preuve établissant une relation avec l’événement d’origine.
[38] Le tribunal conclut donc que le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation le 13 novembre 2008.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Alain Ouellet, du 19 mai 2009;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 mai 2009, à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation le 13 novembre 2008 en relation avec la lésion professionnelle initiale du 4 novembre 2005.
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Michel Lalonde |
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Me Michel Charette |
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Sylvestre Fafard Painchaud |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Lapointe et
Cie minière Québec-Cartier,
[3] Coulombe et
Datamark Systems inc., C.L.P.
[4] Boisvert et
Halco,
[5] Le travailleur consulte un médecin les 15 décembre 2005, 30 décembre 2005, 20 janvier 2006, 3 février 2006, 17 février 2006, 3 mars 2006 et 3 avril 2006.
[6] Craig C. YOUNG, Darin S. RUTHERFORD, Mark W. NIEDFELDT, « Treatment of Plantar Fasciitis », 1er février 2001, American Family Physician 63, p. 467-78; L.A. BOLGLA, T.R. MALONE, « Plantar Faciitis And The Windglass Mechanism : A Biomechanical Link To Clinical Practice », (2004) Journal Of Athletic Training 39, p. 72-82; Craig C. YOUNG, « Plantar Faciitis », 18 janvier 2008, Medicine, sports medicine; « Plantar Faciitis », (2010) Sports injury clinic.
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