CSSS Bordeaux—Cartierville-St-Laurent |
2012 QCCLP 4495 |
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[1] Le 21 novembre 2011, CSSS Bordeaux-Cartierville-St-Laurent (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 9 novembre 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 25 août 2011 et déclare que le coût des visites médicales effectuées par madame France Bourdages (la travailleuse) doit être imputé au dossier de l’employeur.
[3] L’employeur a renoncé à l’audience prévue pour le 19 avril 2012, à Montréal, mais a déposé une argumentation écrite et de la jurisprudence au soutien de sa contestation. Le dossier a été mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il ne doit pas être imputé des sommes correspondant à des visites médicales effectuées après le 29 août 2008.
LES FAITS
[5] Le 26 mai 2008, la travailleuse, infirmière chez l'employeur, est victime d’une lésion professionnelle dont le diagnostic est une entorse cervicale.
[6] Durant le suivi médical de la travailleuse, le docteur Oanh Thi Nguyen, médecin qui a charge de la travailleuse, émet le diagnostic d'entorse cervicale et d'hernie discale C5-C6.
[7] Le 28 novembre 2008, le docteur Mitchell S. Pantel, médecin désigné de l'employeur, rédige un rapport résumant trois évaluations médicales de la travailleuse ayant eu lieu le 29 août, le 3 octobre et le 28 novembre 2008.
[8] Au terme de ce rapport, il conclut que l'entorse cervicale est consolidée depuis le 29 août 2008. Quant à la hernie discale C5-C6, qu'il considère reliée à une condition personnelle de discopathie dégénérative, il est d'avis que cette lésion est consolidée depuis le 9 octobre 2008, soit la date où la travailleuse a subi un électromyogramme qui s'avère normal.
[9] Le 5 janvier 2009, le docteur NGuyen émet un rapport final où il indique que la condition de la travailleuse évolue bien et qu'elle devrait être en mesure de reprendre son emploi à compter du 12 janvier 2009 et que la lésion professionnelle, soit entorse cervicale et hernie discale C5-C6, ne laissera aucune séquelle.
[10] Considérant ce différend sur le diagnostic et la date de consolidation et la nécessité des traitements, le dossier est acheminé au Bureau d’évaluation médicale. Le 19 février 2009, l’orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Henri-Louis Bouchard, émet un avis relativement aux sujets 1 à 5 énoncés à l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[11] Le docteur Bouchard retient le diagnostic d'entorse cervicale. Sur le diagnostic de hernie discale C5-C6, le docteur Bouchard est d'avis qu'il n'y a pas de corrélation entre l'image radiologique décrite et la symptomatologie clinique rapportée.
[12] Quant à la date de consolidation de la lésion professionnelle, il s'exprime ainsi:
La symptomatologie principalement décrite sur le plan évolutif par la physiatre traitante s’est amendée progressivement permettant l’assignation travaux légers d’octobre à la date de consolidation recommandée par le médecin traitant au 5 janvier 2009.
La justification du maintien des traitements par docteure Nguyen réfère à la présence de spasmes se manifestant au niveau de la région cervicale gauche et surtout au niveau du trapèze supérieur, ce qui n’existe plus aujourd’hui.
La date de consolidation devrait donc respecter la date du 5 janvier 2009, soit date du rapport final complété par la physiatre qui confirme une bonne évolution à cette date.
[13] Il conclut donc que la travailleuse n'a plus besoin de traitement après cette date et, à l'instar des docteurs Pantell et Nguyen, il est d'avis que la lésion n'a laissé aucune séquelle.
[14] L'employeur conteste cette décision et le 26 octobre 2010, la Commission des lésions professionnelles rendait une décision entérinant un accord et déclarait la lésion professionnelle de la travailleuse consolidée en date du 29 août 2008 avec suffisance de soins [2].
[15] Le 25 août 2011, la CSST refuse de désimputer les frais suite à des visites médicales après le 29 août 2008. Cette décision est maintenue ultérieurement par la révision administrative, d'où le présent litige.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[16] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de désimputer le dossier de l’employeur des coûts reliés aux frais d'assistance médicale encourus après le 29 août 2008.
[17] L’article 326 de la loi se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[18] Le premier alinéa de cette disposition prévoit spécifiquement que la CSST impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi. À la suite d’une lésion professionnelle, la CSST impute au dossier financier de l’employeur le coût de l’assistance médicale.
[19] La loi définit la notion de « prestation » à l’article 2 :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[20] Dans le présent cas, l’employeur demande au tribunal de retirer certains coûts de son dossier qui sont postérieurs au 29 août 2008 au motif qu’ils ne sont pas reliés à l’accident du travail du 26 mai 2008 puisque le 29 août 2008, la lésion professionnelle était consolidée sans atteinte permanente et sans limitation fonctionnelle et que la travailleuse était déclarée apte à reprendre son emploi à cette date.
[21] L'employeur appuie ces prétentions de l'opinion majoritaire rendue dans l’affaire Centre hospitalier Université de Montréal[3], une décision d’un banc de trois juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles concernant l’imputation des coûts relatifs aux visites médicales après la consolidation d’une lésion professionnelle sans nécessité de soins après cette date et sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles.
[22] Dans cette décision, l’opinion majoritaire a conclu que la consolidation de la lésion, sans nécessité de traitements additionnels et sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles, entraîne la fin de l’imputation de coûts au dossier financier de l’employeur et ce, sans égard au fait que la consolidation est déterminée par le médecin du travailleur ou aux termes d’une procédure d’évaluation médicale ou qu’elle résulte de décisions de la CSST ou de la Commission des lésions professionnelles.
[23] Ainsi selon l'opinion majoritaire, lorsque la lésion est consolidée sans nécessité de traitement additionnel et qu'elle n’entraîne pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles, le tribunal peut alors conclure, à moins de circonstances particulières, que la lésion est guérie et qu’elle ne nécessite plus un suivi médical. L’employeur n’a donc pas à assumer le coût des frais d’assistance médicale après la date de consolidation de la lésion dans ce cas.
[24] Dans le présent dossier, la consolidation de la lésion a été déterminée à la suite d’une décision de la Commission des lésions professionnelles entérinant un accord qui a modifié rétroactivement la date de la consolidation déterminée par le membre du Bureau d'évaluation médicale à une date antérieure et a aussi déterminé que la travailleuse était en mesure de reprendre son emploi à compter de cette date.
[25] Il y a lieu de mentionner cependant que la juge administrative Perron ne partage pas entièrement l'avis de ses collègues dans l'affaire Centre hospitalier Université de Montréal [4] et tient les propos suivants lorsqu’elle signe sa dissidence :
La notion de consolidation et le droit à l’assistance médicale
[463] On comprend qu’une lésion professionnelle doit avoir une fin sur le plan médical. C’est la notion de consolidation de la lésion qui est définie dans la loi comme suit :
« consolidation » : la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[464] Indépendamment de la consolidation d’une lésion, le législateur prévoit au chapitre V intitulé « ASSISTANCE MÉDICALE » que l’assistance médicale que requiert l’état d’un travailleur en raison de sa lésion professionnelle comprend les services de professionnels de la santé :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S 4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S 5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L 0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
[465] Ainsi, même une fois la lésion consolidée, et même guérie au sens juridique du mot, la loi n’empêche pas un travailleur de consulter son médecin « en raison de sa lésion » puisque les articles 188 et 189 ne font aucune référence à la notion de consolidation, comme la loi le fait par exemple aux articles 46 et 47 quant à la capacité de travail et au versement de l’indemnité de remplacement du revenu :
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
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1985, c. 6, a. 46.
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.
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1985, c. 6, a. 47.
[466] Mais, il y a plus. Aux paragraphes g) et h) des conclusions précitées, le tribunal statue sur les conséquences juridiques découlant de la guérison d’une lésion professionnelle. Cependant, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles considère que le terme « consolidation » n’est pas synonyme de « guérison » :
[45] Par ailleurs, la jurisprudence2 a établi que la consolidation d’une lésion n’est pas synonyme de guérison et qu’il y a consolidation lorsqu’il n’y a plus d’amélioration prévisible de la lésion professionnelle, c’est-à-dire qu’un seuil thérapeutique est atteint et qu’aucun traitement ne peut prévisiblement apporter une amélioration.
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2 Voir notamment : Soucy-Tessier et CSST [1995] C.A.L.P. 1434 .
[467] Il ne faut pas confondre l’un et l’autre :
[78] La jurisprudence enseigne qu’il ne faut pas confondre la guérison d’une lésion d’avec sa consolidation et qu’il y a consolidation lorsqu'il n'y a plus d'amélioration prévisible, que la lésion atteint un seuil thérapeutique et qu'aucun traitement ne peut prévisiblement apporter une amélioration à l’état du travailleur1.
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1 Soucy-Tessier et CSST, [1995] C.A.L.P. 1434 ; 2333-2224 Québec inc. et Thériault, C.L.P. 288408-31-0605, 26 octobre 2006, C. Lessard; Trudel et C. S. de l'Estuaire, C.L.P.224977-09-0401, 25 août 2004, J.-F. Clément.
[468] Qu’en est-il donc des cas où la lésion professionnelle est déclarée consolidée non pas parce qu’il y a guérison, mais parce qu’il y a stabilisation de la lésion à cause de l’atteinte d’un plateau thérapeutique et ce même si celle-ci n’entraîne pas d’atteinte permanente ni limitation fonctionnelle? Il s’agit là aussi d’une lésion consolidée au sens de l’article 2 de la loi.
[469] Il arrive que de telles lésions nécessite quand même un suivi médical, ne serait-ce que pour surveiller l’évolution de la condition du travailleur, pour renouveler les prescriptions de médication ou en ajuster, le cas échéant, la posologie.
[470] Je considère que ce suivi post-consolidation est, lui aussi, dû en raison de l’accident dont le travailleur a été victime.
[471] Donc, bien que les énoncés des conclusions g) et h) soient exacts dans le cas de lésions guéries, ils ne le sont pas nécessairement dans les cas de lésions stabilisées, celles qui forment l’autre catégorie de lésions consolidées.
[472] D’autre part, comme la Cour supérieure a eu l’occasion de le rappeler « la notion de consolidation est essentiellement médicale ». La question de la consolidation d’une lésion doit être tranchée sur la base de considérations médicales.
[473] Ces mêmes remarques s’appliquent à l’égard des conclusions relatives à l’absence de la nécessité des soins ou traitements, l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[474] Toutefois, au contraire, la détermination qu’une prestation est due en raison d’un accident du travail relève essentiellement de l’ordre juridique, car il s’agit alors de vérifier l’existence ou l’absence d’une relation de cause à effet (lien causal) entre l’accident du travail et, en l’occurrence, la visite médicale.
[475] Je ne crois pas que des conclusions essentiellement médicales doivent automatiquement emporter le sort d’une question essentiellement juridique.
[476] Avec respect pour l’opinion contraire, je suis donc d’avis que l’on ne peut conclure à l’absence de relation entre des services de professionnels de la santé et un accident du travail pour la seule raison qu’une lésion professionnelle est consolidée sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle. Cela explique ma dissidence avec les conclusions émises par le tribunal aux paragraphes i) et j).
[477] À mon avis, il y a toujours lieu d’examiner si la visite médicale est bel et bien effectuée « en raison de la lésion » pour déterminer si son coût peut être imputé à l’employeur parce qu’il est alors dû « en raison de l’accident du travail ».
[478] Notons ici que cette vérification est simple. En général, un rapport médical complété par le médecin qui a charge figure au dossier. Tel qu’indiqué par un des témoins des employeurs et comme la Commission des lésions professionnelles est elle même en mesure de le constater, en pratique, le médecin complète toujours un rapport médical pour la CSST lorsqu’il s’agit d’une consultation qu’il constate être en raison de l’accident du travail. À l’inverse, en l’absence d’un tel rapport, il y a lieu d’avoir de sérieux doutes quant à la relation entre la consultation et l’accident du travail. Également, plus le temps s’écoule entre la date de la consolidation d’une lésion et une visite médicale, plus le lien de causalité entre les deux s’amenuise. On s’approche alors davantage à une guérison qu’à une stabilisation sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle. Il s’agit toujours d’une appréciation de l’ensemble des faits.
[479] En pratique, la date de consolidation de la lésion est fixée dans l’un ou l’autre des scénarios suivants :
• La date de la consolidation de la lésion professionnelle est déterminée par la CSST à la suite de l’émission d’un rapport final par le médecin qui a charge;
• La date de la consolidation de la lésion professionnelle est déterminée par la CSST à la suite d’un avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale qui l’a fixée à la date de son examen ou à une date antérieure;
• La date de la consolidation de la lésion professionnelle est déterminée par la Commission des lésions professionnelles à la suite d’une audience ou d’une entente qui l’a fixée nécessairement à une date antérieure à la décision.
[480] Dans la plupart des cas, la première situation met fin aux visites médicales. Au cas contraire, les faits particuliers du dossier doivent être analysés pour déterminer si les coûts engendrés sont oui ou non en raison de l’accident en dépit de la consolidation.
[481] Les litiges (demandes de transfert d’imputation) surgissent surtout dans les cas où la date de consolidation a été fixée par un membre du Bureau d’évaluation médicale ou par la Commission des lésions professionnelles alors qu’elle est saisie d’une contestation à ce sujet. L’employeur demande alors de ne pas être imputé pour les visites médicales effectuées par le travailleur pendant la période où il y avait une contestation médicale et que la date de consolidation de la lésion n’était pas définitivement établie, ni médicalement, ni juridiquement.
La procédure d’évaluation médicale et les recours
[482] Rappelons qu’en cas de litige, la loi offre à la fois une procédure d’évaluation médicale détaillée pour contester des conclusions médicales précises et une procédure de contestation sur le plan juridique, à plusieurs paliers.
[483] En ce qui concerne les conclusions médicales contestables, celles-ci sont décrites à l’article 212 de la loi :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[484] On remarque que les services de professionnels de la santé prévus à titre d’assistance médicale n’y figurent pas. Peut-on assimiler les services d’un professionnel de la santé, ici une visite médicale, aux termes « soins ou traitements administrés ou prescrits » que l’on retrouve au troisième alinéa de l’article 212 ?
[485] Dans la Loi médicale, l’article 31 énonce en quoi consiste l’exercice de la médecine:
31. L'exercice de la médecine consiste à évaluer et à diagnostiquer toute déficience de la santé de l'être humain, à prévenir et à traiter les maladies dans le but de maintenir la santé ou de la rétablir.
Dans le cadre de l'exercice de la médecine, les activités réservées au médecin sont les suivantes:
1° diagnostiquer les maladies ;
2° prescrire les examens diagnostiques;
3° utiliser les techniques diagnostiques invasives ou présentant des risques de préjudice;
4° déterminer le traitement médical;
5° prescrire les médicaments et les autres substances;
6° prescrire les traitements;
7° utiliser les techniques ou appliquer les traitements, invasifs ou présentant des risques de préjudice, incluant les interventions esthétiques;
8° exercer une surveillance clinique de la condition des personnes malades dont l'état de santé présente des risques;
9° effectuer le suivi de la grossesse et pratiquer les accouchements;
10° décider de l'utilisation des mesures de contention.
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1973, c. 46, a. 29; 2002, c. 33, a. 17.
[486] On comprend que lors d’une visite médicale, le médecin peut poser une foule d’actes différents. Notamment, il peut prescrire un traitement qu’il prodiguera lui-même. Il apparaît donc clairement, qu’une visite médicale ne peut être assimilable à un soin ou traitement. D’ailleurs, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, à laquelle se rallie le tribunal, considère que le législateur, lorsqu’il traite des « services de professionnels de la santé » à l’article 189 de la loi et des « soins et traitements » à l’article 212, fait appel à deux notions distinctes, non assimilables.
[487] La soussignée estime qu’il faut donc tenir compte de cette distinction et non simplement la constater et déclarer ensuite « qu’il s’agit de deux entités » mais qu’elles doivent connaître le même sort.
[488] Si le législateur avait voulu qu’on confonde ces deux notions ou qu’on les traite pareillement, il n’aurait eu qu’à inclure les visites médicales avec les soins et traitements au point 3 des éléments médicaux contestables énoncés à l’article 212 de la loi. Ou, il n’aurait eu qu’à indiquer, au chapitre de l’Assistance médicale, qu’un travailleur n’a plus droit aux services de professionnels de la santé lorsque sa lésion est consolidée et même y préciser que ceci s’applique que lors d’une consolidation sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle.
[489] L’article 224.1 de la loi établit que la CSST est liée par l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale lorsqu’il se prononce sur les points médicaux prévus à l’article 212 de la loi et rend une décision en conséquence :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
[…]
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1992, c. 11, a. 27.
[490] Par conséquent, à la suite de l’examen par le membre du Bureau d'évaluation médicale, le travailleur est avisé, et ce par une décision de la CSST, de la date de la consolidation de sa lésion professionnelle. Celle-ci est, soit rétroactive à la date de l’examen par le médecin désigné de l’employeur, soit fixée à la date de l’examen par le membre du Bureau d'évaluation médicale.
[491] Notons que l’article 361 de la loi prévoit que la décision rendue a un effet immédiat, malgré une demande de révision :
361. Une décision de la Commission a effet immédiatement, malgré une demande de révision, sauf s'il s'agit d'une décision qui accorde une indemnité pour dommages corporels ou une indemnité forfaitaire de décès prévue par les articles 98 à 100 et 101.1, le deuxième alinéa de l'article 102 et les articles 103 à 108 et 110, auquel cas la décision a effet lorsqu'elle devient finale.
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1985, c. 6, a. 361; 1989, c. 74, a. 10; 1992, c. 11, a. 34; 2009, c. 19, a. 8.
[492] La procédure d’évaluation médicale prévue à la loi est alors complétée.
[493] Par ses articles 349, 358 et suivants et 359 et suivants, la loi instaure un système décisionnel à trois niveaux : la décision initiale, la décision à la suite d’une révision administrative et la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles.
[494] Il ressort de ce qui précède que la loi permet les visites médicales et qu’elle n’instaure pas de mécanisme médical pour contester leur bien-fondé comme elle le fait pour les soins et traitements. Ainsi, à l’issue de la procédure d’évaluation médicale, aucune décision n’est rendue quant au droit du travailleur de consulter son médecin ni à l’issue de la contestation sur le plan juridique, cette question ne pouvant faire partie du litige.
L’analyse et le fardeau de preuve
[495] Le tribunal considère que pour donner effet à la consolidation et aux décisions portant sur les conséquences médicales d’un accident du travail il faut, sur simple preuve de la consolidation, sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle, conclure que la visite médicale ne peut avoir eu lieu « en raison de l’accident du travail » à moins d’une preuve contraire, précise-t-on. Ce faisant, le tribunal procède à un transfert d’imputation puisque la preuve de la date de consolidation et de l’absence de déficit anatomo-physiologique et de limitations fonctionnelles a été fournie. Il considère tenir ainsi compte de « l’ensemble des conséquences médicales finales résultant de la lésion professionnelle ». Par ailleurs, le tribunal estime que de demander une preuve additionnelle à l’employeur serait lui imposer un fardeau trop lourd et, dans la très grande majorité des cas, impossible à respecter.
[496] La soussignée est plutôt d’avis que, dans les faits, lors d’une demande de retrait des coûts des visites médicales, le dossier démontre qu’il y a eu des visites médicales qui ont été faites auprès du médecin qui a charge ou auprès d’un consultant et que ces médecins ont complété un rapport médical. Avec respect, décider en de telles circonstances, que le travailleur n’a pas ainsi consulté son médecin en raison de son accident du travail équivaut à fonder sa décision sur certains faits seulement (la preuve de la consolidation sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle établie par la Commission des lésions professionnelles) sans tenir compte du reste de la preuve (par exemple, que le travailleur a consulté son médecin parce que ce dernier était d’avis que la lésion n’était pas consolidée). Ce n’est pas parce que la Commission des lésions professionnelles subséquemment, avec l’ensemble de la preuve présentée y compris souvent des expertises médicales supplémentaires par les deux parties, conclut à une consolidation sans déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle que l’on doive conclure que le travailleur n’a pas consulté « en raison de son accident du travail ». Ce raisonnement m’apparaît ne pas tenir compte de l’ensemble de la preuve présentée. De plus, il s’agit là d’un raisonnement basé sur une déduction et non sur des faits prouvés : on «infère» que le travailleur n’a pas consulté « en raison de sa lésion professionnelle » malgré que, tel que permis par la loi, il a consulté et le médecin a complété un rapport médical et que ceci figure au dossier.
[497] Pour ces motifs, la soussignée ne peut se rallier à l’opinion voulant que, dans de telles conditions, ces visites médicales n’ont pas été effectuées en raison de l’accident du travail subi et que les frais qui en découlent ne constituent pas un risque assurable pour l’employeur concerné.
[Références omises]
[26] Dans une décision récente, la juge administrative Piché appuie ainsi l'opinion de la juge administrative Perron[5] :
[25] Il y a lieu de mentionner cependant qu’une dissidence se rattache à cette décision et que cette dernière ne règle conséquemment pas la polémique en cours. Ainsi, bien qu’il aurait été préférable pour favoriser l’équité, la prévisibilité et l’égalité de traitement de parvenir à un consensus, ce résultat souhaité n’a toutefois pas été atteint et autorise clairement la poursuite de la réflexion en semblable matière, et ce, d’autant qu’une requête en révision judiciaire de cette décision a été portée.
[…]
[27] La soussignée estime plus conforme à l’esprit du régime de même qu’au caractère exceptionnel de la désimputation de se rallier à cette dernière position.
[28] Il est intéressant de noter sur cette question que tous les décideurs du banc de trois s’entendent à l’effet qu’il faut imputer au dossier de l’employeur le coût des frais reliés au processus de contestation médicale, et ce, peut importe la rétroaction en cause d’une date de consolidation et la manière d’y parvenir. La majorité décisionnelle cependant soustrait de ce principe le coût afférant aux visites au médecin qui a charge du travailleur.
[29] La soussignée estime pour sa part que ces visites au médecin traitant font partie intégrante du mécanisme de contestation puisque sans un avis de ce professionnel de la santé, il ne saurait y avoir amorce du mécanisme de contestation médicale. Il est clair en effet que l’article 212 de la loi, notamment, ne réfère pas seulement aux formulaires de Rapport final ou de Rapport d’évaluation médicale, mais bien à tout rapport ou attestation produit par le médecin qui a charge. Ainsi, dans un esprit logique, il y a lieu également de conclure que les frais de ces visites médicales se doivent de demeurer facturées à l’employeur.
[30] Le tribunal considère que la visite médicale appartient à un processus évolutif permettant à un employeur ou à la CSST d’enclencher les contestations médicales. La question de savoir si le soin est ou non toujours requis appelle pour sa part une réponse strictement médicale. Il y a donc lieu en définitive de distinguer le véhicule ou le moyen versus le résultat.
[31] À cet égard, la juge administrative Perron écrit avec justesse dans l’affaire Entrepôt non-périssable Montréal ce qui suit :
[20] Par ailleurs, selon la Commission des lésions professionnelles, tant que le médecin qui a charge n’a pas consolidé la lésion et qu’un processus de contestation au Bureau d'évaluation médicale est entamé, les visites médicales au médecin qui a charge ou à des consultants sont nettement en relation avec la lésion professionnelle. Peut-être que le fait de déterminer une date antérieure de consolidation par la suite signifie que la nécessité de ces visites étaient discutables, mais il n’en demeure pas moins qu’elles ont été faites en relation avec la lésion professionnelle et le législateur n’exige pas la démonstration du bien-fondé ou non des visites médicales.
[32] La soussignée est d’avis que toute conclusion contraire vide de son sens la procédure de contestation médicale établie par le législateur et le principe général d’imputation voulant qu’un employeur soit responsable des coûts liés à une lésion qui survient chez lui.
[33] De plus, en optant pour un tel raisonnement, le tribunal est d’opinion qu’il donne malgré tout un effet juridique aux décisions finales faisant suite à un accord ou à une décision déterminant rétroactivement une date de consolidation puisque le mérite de l’affaire concerne alors spécifiquement la question des soins ou des traitements. Or, les frais qui y sont liés sont pour leur part désimputés lorsque jugés non nécessaires postérieurement à la date de consolidation retenue.
[Références omises]
[27] La soussignée partage l'opinion des juges administratives Perron et Piché. L'employeur doit démontrer que les visites médicales n'étaient pas reliées à la lésion professionnelle ou au processus de contestation médicale.
[28] Dans la présente affaire, l'employeur a fait examiner la travailleuse au moins à trois reprises par son médecin désigné, soit les 29 août, 3 octobre et 28 novembre 2008.
[29] Or, le rapport médical contesté, qui a engendré le processus de contestation devant le Bureau d'évaluation médicale, est daté du 24 novembre 2008. La demande de l'employeur de référer le dossier au Bureau d'évaluation médicale date du 8 décembre 2008.
[30] En conséquence, il est difficile de prétendre que les visites médicales n'étaient pas reliées à la lésion professionnelle au moins jusqu'au 24 novembre 2008, l'employeur n'ayant pas jugé opportun, malgré l'opinion de son médecin désigné, de contester le suivi médical avant le 8 décembre 2008.
[31] Il ne resterait donc que la visite médicale du 5 janvier 2009, à l'occasion de laquelle le médecin qui a charge consolidait la lésion professionnelle le 9 janvier 2009 sans atteinte permanente et sans limitation fonctionnelle. Compte tenu que la date de consolidation de la lésion était un des points litigieux discutés par le membre du Bureau d'évaluation médicale, il faut donc retenir que cette visite médicale est reliée au mécanisme de contestation médicale.
[32] En définitive, la Commission des lésions professionnelles juge qu’il y a lieu de rejeter la demande de l’employeur puisque les visites médicales ciblées et les frais de déplacement ou d’établissement qui y sont rattachés appartiennent au mécanisme de contestation médicale ayant mené à la décision finale sur la question de la date de consolidation en date du 29 août 2008.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de CSSS Bordeaux-Cartierville-St-Laurent, l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 novembre 2011, rendue à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit être imputé des frais d’assistance médicale postérieurs au 29 août 2008, à savoir les visites médicales, les frais de déplacement et les frais d’établissement qui y sont rattachés relativement à la lésion professionnelle subie par la travailleuse, madame France Bourdages, le 26 mai 2008.
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Marie-Anne Roiseux |
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Me Stéphanie Rainville |
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MONETTE BARAKETT, ASS. |
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Représentante de la partie requérante |
AVIS :
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