Moody c. Ville de Trois-Rivières |
2020 QCCQ 6432 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TROIS-RIVIÈRES |
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LOCALITÉ DE |
TROIS-RIVIÈRES |
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« Chambre civile » |
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N° : 400-32-701214-194 |
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DATE : |
4 novembre 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PIERRE ALLEN, J.C.Q. |
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MATTHEW MOODY |
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Demandeur |
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c. |
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VILLE DE TROIS-RIVIÈRES |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur réclame la somme de 1 241,35 $ de la défenderesse pour les dommages subis à son véhicule après qu’il eut roulé dans un nid-de-poule le 27 mars 2019.
[2] La défenderesse conteste et invoque l’exonération de responsabilité de l’article 604.1 de la Loi sur les cités et villes[1].
ANALYSE
[3] En vertu des règles de preuve applicables en matière civile, la partie qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve de façon prépondérante de tous les faits qu’elle invoque au soutien de ses prétentions et de sa réclamation[2]. Si la preuve n’est pas suffisamment convaincante ou si elle est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, celui sur qui reposait l’obligation de convaincre le Tribunal du bien-fondé de sa réclamation perdra, en tout ou en partie[3].
[4] Le demandeur explique lors de son témoignage qu’en fin de journée le 27 mars 2019, il revenait de travailler et roulait sur la rue Notre-Dame Ouest pour se rendre à son domicile qui se trouve sur cette même rue. Environ un kilomètre avant d’arriver chez lui, il roule sur un nid-de-poule qu’il dit avoir aperçu à la dernière minute et n’avoir pu éviter. Il réussit à rouler jusque chez lui malgré la crevaison de son pneu avant droit.
[5] Le 8 avril 2019, il remplit le formulaire de réclamation de la défenderesse accessible en ligne puis lui transmet une mise en demeure le 30 juillet suivant.
[6] La preuve démontre que les bris, soit un pneu crevé et un pare-chocs fissuré, ont été causés par le nid-de-poule dans la chaussée sur lequel le véhicule du demandeur a roulé. L’existence de dommages et de leur cause ayant été prouvée, il reste donc à déterminer si la défenderesse peut bénéficier de l’exemption de responsabilité de l’article 604.1 de la Loi sur les cités et villes qu’elle invoque et qui se lit comme suit :
604.1 La municipalité n’est pas responsable du préjudice causé par la présence d’un objet sur la chaussée ou sur une voie piétonnière ou cyclable.
Elle n’est pas non plus responsable des dommages causés par l’état de la chaussée ou de la voie cyclable aux pneus ou au système de suspension d’un véhicule.
[7] Dans l’affaire Fortin c. Ville de Gatineau[4], le juge Jean-François Gosselin présente d’abord les principes applicables dans le cadre d’un recours en responsabilité contre une municipalité pour les dommages causés à un véhicule en raison du mauvais état de la chaussée :
[35] Dans le contexte de la présente affaire, où il s’agit d’un recours en responsabilité civile dirigé contre le propriétaire d’un bien, la Ville étant propriétaire de la route, il en résulte que c’est sur les épaules de la Demanderesse que repose le fardeau de prouver les faits donnant ouverture à l’application du régime d’indemnisation du préjudice causé à autrui. Dès lors, pour réussir, madame Fortin doit prouver que la Ville a commis une faute, qu’elle a subi un préjudice, et finalement que ce préjudice a été causé par cette faute.
[36] Ce régime de responsabilité civile a cependant, dans le contexte de la présente affaire, une particularité : selon l’article 604.1 de la Loi sur les cités et villes, sur lequel on s’arrêtera plus loin, une Municipalité ne peut pas être tenue responsable des dommages causés aux pneus et au système de direction d’un véhicule, mais à ces composantes seulement, en raison de l’état de la chaussée. Lorsque le recours vise à obtenir une indemnité pour un bris à ces composantes, il ne suffit donc pas, pour l’automobiliste, de prouver la faute, le préjudice, ainsi que le lien de causalité. Il lui faut, en outre, neutraliser l’exonération de responsabilité dont jouit la Municipalité.
[37] Or, pour bien comprendre la nature et la portée de cette exonération, il faut pouvoir la situer dans le régime général.
[38] C’est l’article 1457 C.c.Q. qui établit la règle générale : « toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui ».
[39] Cela vise les personnes morales, comme les Municipalités, ainsi que les biens dont elles sont propriétaires ou dont elles ont la charge, comme les routes. Et, quant aux routes, cela se traduit par un devoir général d’entretien, « suivant les circonstances [et] les usages ».
[40] Lorsqu’elle manque à ce devoir, la responsabilité civile de la Municipalité est, sauf exception, engagée.
[8] Puis, plus loin, le juge Gosselin se prononce sur la norme de conduite de la municipalité :
[50] Cela ramène le débat à la question de savoir si les circonstances mises en preuve dans la présente affaire dénotent, de la part de la Ville, « une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières » qui équivaudrait à faute lourde, et qui lui ferait en conséquence perdre le bénéfice de l’exonération.
[51] Or, lorsque le problème qui est à l’origine du litige a déjà été signalé à la Municipalité, celle-ci doit, pour s’acquitter de la norme de conduite attendue d’elle, démontrer qu’elle a fait preuve de diligence pour le solutionner.
[52] C’est en effet ce qui ressort de la jurisprudence citée par le juge Massol dans l’affaire Sabourin, déjà citée, aux paragraphes 31 à 37 :
« [31] Dans plusieurs affaires, la responsabilité de la municipalité a été retenue malgré l’existence de l’article 604.1 de la Loi sur les cités et villes, particulièrement lorsque la municipalité avait été avisée de la présence au préalable de l’état endommagé de la chaussée.
…
[53] Cela revient à dire que, pour s’exonérer de sa responsabilité, la Municipalité qui a connaissance de l’existence d’une situation problématique, quant à l’état de la chaussée, doit faire preuve de diligence.
[9] À la lumière de ce qui précède, pour conclure à la responsabilité de la défenderesse, le demandeur doit démontrer qu’elle a été d’une négligence grossière dans l’entretien de cette partie de son réseau routier ou la sachant dans cet état, qu’elle a négligé de la réparer de façon diligente.
[10] Tout d’abord, la preuve ne permet pas de savoir à quand remonte la présence de ce nid-de-poule sur lequel le véhicule du demandeur a roulé. Bien qu’il habite la rue Notre-Dame Ouest et emprunte ce tronçon de rue plusieurs fois par semaine pour se rendre et revenir du travail, il affirme lors de son témoignage n’avoir jamais remarqué la présence du nid-de-poule avant le 27 mars 2019.
[11] Du côté de la défenderesse, le contremaître aux travaux publics Steve Baudet explique que la défenderesse avait connaissance de la présence de plusieurs nids-de-poule sur un tronçon d’environ un à deux kilomètres de la rue Notre-Dame Ouest et que celui sur lequel le véhicule du demandeur a roulé le 27 mars 2019 se trouve dans ce tronçon. Il ajoute que cette portion de la rue Notre-Dame Ouest faisait d’ailleurs l’objet de travaux de colmatage des nids-de-poule lors de la semaine du 25 mars 2019 et que les équipes des travaux publics en avaient d’ailleurs colmaté plusieurs les 26 et 27 mars 2019.
[12] Monsieur Beaudet mentionne que la défenderesse a été informée de l’incident du demandeur du 27 mars 2019 dans les heures qui l’ont suivi et que les lieux ont été sécurisés le soir même. Il ajoute que dès le lendemain, une équipe des travaux publics s’est rendue sur place et a réparé le nid-de-poule. Il précise d’autre part que la défenderesse n’a reçu aucune autre plainte ou signalement concernant ce nid-de-poule.
[13] Par ailleurs, monsieur Beaudet explique que la défenderesse a un système de surveillance et d’entretien de son réseau et que bon an, mal an, elle répare annuellement environ 12 000 nids-de-poule. Il ajoute que le système de ligne directe de la défenderesse permet aux citoyens de composer le 311 et joindre la centrale téléphonique de la défenderesse pour présenter des plaintes, formuler des requêtes et également signaler des problèmes relatifs à l’état de la chaussée. Les équipes de travaux publics qui circulent dans les rues font également rapport à la défenderesse de problèmes de chaussée.
[14] Monsieur Beaudet précise qu’une fois informée d’un problème de chaussée, une équipe des travaux publics se rend sur place et si la situation le permet, procède immédiatement aux opérations ou, à défaut, sécurise les lieux jusqu’à ce que les travaux puissent être effectués.
[15] Il est de connaissance notoire que les hivers québécois ainsi que les périodes de gel et dégel printaniers endommagent les chaussées. La présence importante de nids-de-poule est une réalité à laquelle doivent faire face les usagers du réseau routier ainsi que les villes et municipalités pour les portions de ce réseau qui relèvent de leur responsabilité.
[16] En l’espèce, l'incident est survenu au cours d'une période de dégel printanier, période durant laquelle la défenderesse doit faire face à une importante et rapide augmentation du nombre de nids-de-poule sur son réseau. Ces nids-de-poule se comptent par milliers et apparaissent souvent en quelques heures en période de dégel.
[17] La preuve démontre que la défenderesse a un système de surveillance et d’entretien de son réseau routier qu’elle applique. Elle connaissait l’état de la chaussée sur cette portion de la rue Notre-Dame Ouest et des équipes y étaient déjà à pied d’œuvre pour y colmater les nids-de-poule la veille et le jour même de l’incident. Dans les heures après qu’elle ait été informée de l’incident, elle a envoyé une équipe sécuriser les lieux le soir même et une autre équipe est retournée le lendemain pour colmater le nid-de-poule.
[18] Dans les circonstances, le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la défenderesse avait fait preuve de négligence grossière ou de manque de diligence dans l’entretien de la partie de son réseau routier où l’incident du 27 mars 2019 est survenu.
[19] Compte tenu de ce qui précède, la défenderesse bénéficie de l’exonération de responsabilité de l’article 604.1 L.C.V. et la demande doit donc être rejetée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[20] REJETTE la demande;
[21] CONDAMNE le demandeur à payer à la défenderesse les frais de justice de 154 $ correspondant aux droits de greffe exigibles pour le dépôt de la contestation.
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__________________________________PIERRE ALLEN, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
9 octobre 2020 |
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AVIS :
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