St-Léonard Nissan et John Scotti Automotive ltée |
2013 QCCLP 102 |
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[1] Le 25 octobre 2011, St-Léonard Nissan (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 14 septembre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision en révision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 28 juillet 2011 et refuse la demande de transfert des coûts formulée en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) dans le cadre de l’événement subi par monsieur Francesco Maiorano le 13 novembre 2007.
[3] À l’audience prévue à Montréal le 9 octobre 2012, les parties étaient absentes. L’employeur a toutefois avisé le tribunal qu’il produirait une argumentation écrite le 5 novembre 2012. L’argumentation écrite a été reçue à cette date et le dossier fut mis en délibéré.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[4] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord déterminer si la demande de transfert des coûts formulée par l’employeur est recevable ou si elle a été présentée à l’extérieur du délai applicable.
[5] La demande de transfert des coûts est en date du 2 février 2011 et la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’elle est recevable, puisque présentée à l’intérieur du délai applicable à une telle demande.
[6] En effet, l’employeur demande le 2 février 2011 un transfert des coûts en vertu de l’article 326, alinéa 1, de la loi en regard des sommes imputées à son dossier après la date de consolidation de la lésion sans limitations fonctionnelles.
[7] Relativement au délai pour formuler une telle demande, la Commission des lésions professionnelles, siégeant en banc de trois[2], a conclu que le délai est celui de trois ans prévu au Code civil du Québec[3] :
[336] La présente formation est donc d’avis qu’aucune décision spécifique visant l’imputation des coûts des visites médicales effectuées après la consolidation de la lésion professionnelle n’est rendue par la CSST avant que les employeurs formulent leurs demandes de retrait de ces coûts de leur dossier d’expérience.
[337] Les employeurs ne peuvent donc demander la révision ou en appeler d’une telle décision selon ce qui est prévu aux articles 358 et 359 de la loi. De plus, il ne peut y avoir une reconsidération de cette décision au sens de l’article 365 de la loi ou une nouvelle détermination de l’imputation au sens du règlement prévu à cette fin, puisque ces deux textes de loi exigent l’existence d’une décision préalable.
[338] La présente formation ajoute que l’article 365 de la loi ne peut s’appliquer aux présents litiges puisque cette disposition ne peut être invoquée en matière de financement. Cet article n’est donc d’aucun secours à la CSST et il ne peut servir de fondement au rejet des demandes des employeurs.
[339] Il reste donc à s’interroger sur le délai de prescription prévu au Code civil du Québec.
[340] Le Code civil du Québec peut être utilisé à titre supplétif lorsque la loi particulière est muette sur un sujet donné.
[341] Il est donc opportun de statuer sur l’application du délai général de prescription qu’il édicte puisqu’aucun délai spécifique n’encadre l’action des employeurs en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi et que la présente formation croit qu’un tel délai doit être imposé afin d’éviter les actions tardives. Le Code civil du Québec peut donc venir combler le vide laissé par le législateur.
[342] L’article 2925 de ce Code indique que l’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel immobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
[343] Ici, les employeurs recherchent la reconnaissance d’un droit personnel, soit le retrait de coûts de leur dossier d’expérience et, en l’absence de délai prescrit dans la loi qui nous occupe, celui de trois ans décrit au Code civil peut être utilisé à titre supplétif.
[…]
[346] Ce point de départ est donc une question de faits. Il varie selon les informations reçues par l’employeur et selon le moment où il détient ou aurait dû détenir toutes les données lui permettant de déterminer si la CSST est, ou non, justifiée de lui imputer le coût d’une visite médicale alors que la lésion professionnelle est consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[347] La preuve démontre que l’employeur dispose parfois de ces informations en consultant les éléments se trouvant au système informatique de la CSST ou encore en analysant un ou plusieurs relevés informatiques transmis mensuellement par la CSST et en effectuant certaines vérifications au dossier du travailleur. Le délai de trois ans commence donc à courir lorsque l’employeur réussit ou aurait dû réussir à colliger ces informations.
[8] En l’espèce, tel que le soumet l’employeur, le délai commence à courir au plus tôt, à compter de la date de consolidation de la lésion, soit le 29 septembre 2008. La demande ayant été formulée le 2 février 2011, elle respecte le délai de trois ans. La demande de l’employeur est donc recevable.
[9] La Commission des lésions professionnelles est aussi d'avis que la demande de transfert des coûts de l’employeur doit être accueillie.
[10] En effet, toujours dans la même décision rendue par le banc de trois juges administratifs, soit l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal-Pavillon Mailloux et al.[4], le tribunal devait trancher la question de l’imputation du coût des visites médicales après la consolidation d’une lésion professionnelle sans nécessité de traitements après la date de consolidation et sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. La Commission des lésions professionnelles a, dans cette affaire, conclu comme suit :
[413] Le tribunal est donc d’avis que le fardeau de preuve que doit respecter l’employeur se limite à démontrer que la lésion découlant de l’accident du travail est consolidée sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et que des coûts générés après cette date de consolidation sont imputés à son dossier d’expérience.
[…]
[423] Quant à la récidive, rechute ou aggravation, il s’agit d’une lésion professionnelle différente de celle reconnue à l’origine et qui obéit à ses propres règles. Ainsi, si cette lésion est acceptée par la CSST, les visites médicales qui ont permis d’en établir l’existence seront évidemment reliées à cette lésion et les coûts en seront imputés au dossier d’expérience de l’employeur selon les règles applicables en cette matière. Une récidive, rechute ou aggravation non prouvée ou non acceptée ou hypothétique ne peut cependant justifier le maintien des coûts des visites médicales effectuées après la guérison d’une lésion professionnelle.
[…]
[425] Maintenant, le tribunal remarque que la consolidation sans nécessité de soins ou de traitements, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle peut être déterminée à la suite d’un rapport émis par le médecin traitant ou à la suite de décisions rendues au terme d’un processus d’évaluation médicale.
[426] Ces deux façons de faire commandent-elles des solutions différentes lorsque vient le temps de statuer sur les demandes de retrait de coûts faites par les employeurs ?
[427] Le tribunal considère que non, le raisonnement étant identique, sans égard à la façon dont la consolidation est acquise.
[428] En effet, lorsque le médecin traitant émet un rapport final sur lequel il consolide la lésion sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle ou lorsque, sans émettre un rapport final sur le formulaire prévu à cette fin, il inscrit que le travailleur peut reprendre son travail sans restrictions, il met fin aux conséquences médicales de la lésion professionnelle à cette date.
[429] Dès lors, les visites médicales subséquentes ne peuvent être reliées à cette lésion. De plus, comme le plaident les employeurs, permettre au travailleur de consulter son médecin en raison de sa lésion professionnelle, alors que ce dernier a déjà décidé que la lésion est consolidée, qu’elle ne nécessite plus de soins et qu’il n’en découle aucune atteinte permanente ou limitation fonctionnelle, équivaut à lui permettre de contrer l’opinion de ce médecin, un exercice interdit en vertu de la loi.
[430] Par ailleurs, lorsque la consolidation est décrétée à la suite d’un avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale et au terme de décisions rendues par la CSST ou par la Commission des lésions professionnelles, après audience ou en vertu d’une entente en conciliation entérinée par le tribunal, il arrive qu’il n’y ait pas coïncidence entre le moment où la lésion est consolidée, le moment où il est déterminé qu’il ne résulte aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et le moment où des décisions sont rendues à cet égard. Il arrive aussi qu’une décision modifie rétroactivement la date de la consolidation et la situe à une date antérieure à celle retenue précédemment.
[431] Or, durant ces intervalles, des visites médicales sont effectuées et des soins sont prodigués. Qu’advient-il des coûts relatifs à ceux-ci ?
[432] La preuve démontre que la CSST retire du dossier d’expérience de l’employeur les coûts reliés aux soins ou aux traitements ou aux frais de déplacement générés après la consolidation de la lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, mais elle laisse au dossier d’expérience de l’employeur les coûts engendrés par les visites médicales.
[433] De l’avis du tribunal, ces coûts doivent également être soustraits du dossier d’expérience de l’employeur. Dans l’affaire Rampes Alumi-Fibres inc.59, la Commission des lésions professionnelles explique bien pourquoi ces coûts doivent subir le même sort. Elle indique ce qui suit à ce sujet :
[39] Dans un système idéal, les décisions sur les concepts médicaux ou juridiques contenus à la Loi devraient être rendues le jour même de leur survenance. Un pareil système idéal ne peut pas, bien entendu, exister dans la réalité.
[40] Ainsi, une date de consolidation sera souvent définitivement déterminée avant que la question de l’atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles ne soit fixée, comme en l’espèce. La CSST maintiendra entre-temps le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et l’octroi de soins requis par le travailleur.
[41] Si plus tard la lésion est déclarée exempte d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, on cessera alors l’indemnité et l’octroi des soins sans en exiger le remboursement du travailleur.
[42] Cependant, légalement, le constat postérieur de l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles rétroagit à la date de consolidation de sorte que l’on doit constater qu’après une consolidation sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, aucune autre indemnité ne devrait être versée par la suite. Dans un système idéal où les décisions seraient rendues de façon instantanée, aucun argent ne serait déboursé après la date de consolidation. Dans notre système où les délais sont encourus notamment par l’exigence d’un rapport complémentaire et par les délais de renvoi au Bureau d’évaluation médicale, la solution à un problème vient souvent plusieurs mois plus tard. Ceci ne devrait pas avoir pour effet de pénaliser un employeur en imputant à son dossier des sommes qui n’auraient jamais dû être versées n’eut été les délais administratifs encourus en vertu de la Loi.
[43] Ainsi, si le membre du Bureau d’évaluation médicale avait vu le travailleur le jour même de la consolidation, aucune somme n’aurait été octroyée par la suite et le tribunal estime que l’employeur n’a pas à payer pour le versement de ces sommes, […]
[Nos soulignements]
[…]
[437] Le tribunal est donc d’avis qu’il faut donner un sens aux décisions finales cristallisant les conséquences médicales d’une lésion professionnelle et fixer à la date de la consolidation, sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, la responsabilité incombant aux employeurs en ce qui concerne les coûts relatifs aux visites médicales, à moins d’une preuve prépondérante spécifique permettant d’écarter un tel constat.
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59 Précitée, note 23 et annexe I, no. 10.
[11] Il est vrai, qu’en l’espèce, la lésion a été consolidée sans nécessité de soins après la date de consolidation, sans limitations fonctionnelles mais avec une atteinte permanente de 1 %.
[12] En l’espèce, la lésion professionnelle est survenue le 13 novembre 2007. Il s’agit d’une hernie inguinale pour laquelle une cure de hernie inguinale a été effectuée par le docteur Dejoie le 14 décembre 2007. Le travailleur a consulté son médecin le 29 septembre 2008 et un rapport final a été rédigé. Le médecin consolide la lésion le 29 septembre 2008. Dans un rapport d’évaluation médicale du 13 octobre 2008, il retient le diagnostic de « post-op herniographie inguinale ». Il ajoute le diagnostic d’irradiation lombaire ainsi que celui de syndrome douloureux chronique. Ces deux diagnostics ne sont pas en lien avec la lésion acceptée. Il retient des limitations fonctionnelles de la classe III et une atteinte permanente de 1 %, laquelle est en lien avec la hernie inguinale.
[13] Le travailleur est expertisé à la demande de l’employeur par le docteur Fernand Laurendeau le 17 novembre 2008. Le docteur Laurendeau constate qu’il n’y a aucune récidive de hernie inguinale, qu’il n’y a aucune douleur postopératoire qui correspond à un diagnostic substantif et que la lésion inguinale est consolidée sans limitations fonctionnelles et avec une atteinte permanente de 1 %.
[14] Le dossier est référé au Bureau d’évaluation médicale et le travailleur rencontre le docteur Jacques Lambert le 26 janvier 2009. Le docteur Lambert conclut, en raison de l’absence d’une récidive de hernie inguinale et constatant la bonne évolution de cette hernie inguinale, qu’il ne subsiste aucune limitation fonctionnelle en lien avec cette lésion professionnelle.
[15] En ce qui concerne l’atteinte permanente de 1 % accordée selon le code 320 520, le tribunal est d’avis qu’elle est automatique pour une hernie inguinale unilatérale opérée.
[16] Le tribunal est aussi d’avis que les principes énoncés à la décision du banc de trois s’appliquent en l’espèce puisque les coûts imputés au dossier de l’employeur après la date de consolidation de la lésion n’ont pas de lien avec la lésion professionnelle. En effet, l’atteinte permanente accordée n’implique aucune séquelle fonctionnelle nécessitant la poursuite de consultations médicales ultérieures à la date de consolidation. Cette atteinte permanente n’implique, en l’espèce, ni médication, ni traitements, ni poursuites d’indemnité de remplacement du revenu.
[17] De plus, les éléments de preuve contenus au dossier démontrent que les coûts imputés à l’employeur, soit des visites médicales, des frais de pharmacie ou d’indemnité de remplacement du revenu ne sont aucunement en lien avec la lésion professionnelle du 13 novembre 2007. Ils sont en lien avec une problématique lombaire sans lien avec la lésion professionnelle. La réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation en regard du diagnostic d’entorse lombaire a été refusée le 2 juin 2009. Le 8 juillet 2009, la réclamation du travailleur a aussi été refusée sous l’angle d’un nouvel événement. Une deuxième demande pour récidive, rechute ou aggravation a été refusée le 23 septembre 2009 au motif qu’il n’y a aucune détérioration en lien avec la lésion inguinale initiale. Une autre réclamation pour récidive, rechute ou aggravation de nature psychologique a été refusée le 30 novembre 2009.
[18] Par ailleurs, en ce qui concerne la lésion inguinale, la CSST a rendu une décision le 12 mai 2009 entérinant l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale et confirmant l’absence de limitations fonctionnelles et déclarant que le travailleur est capable d’exercer son emploi prélésionnel.
[19] Par conséquent, considérant la preuve présentée par l’employeur, considérant la consolidation sans limitations fonctionnelles de la lésion inguinale et considérant les décisions rendues par la CSST, les coûts après la consolidation ne doivent pas être imputés au dossier de l’employeur, à l’exception des coûts relatifs à la rédaction du rapport d’évaluation médicale et ceux concernant l’avis du Bureau d’évaluation médicale.
[20] La CSST ne pouvait non plus maintenir l’imputation de l’indemnité de remplacement du revenu au dossier de l’employeur après la consolidation de la lésion, considérant le refus des réclamations présentées par le travailleur après la consolidation et sa capacité à reprendre son emploi prélésionnel. Les indemnités de remplacement du revenu imputées au dossier de l’employeur ne sont clairement pas en lien avec la lésion professionnelle du 13 novembre 2007.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de St-Léonard Nissan, l’employeur;
INFIRME la décision rendue le 14 septembre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur a produit sa demande de transfert des coûts à l’intérieur du délai;
DÉCLARE que le coût des prestations à compter du 29 septembre 2008, à l’exception des frais requis pour la procédure d’évaluation médicale, soit les coûts reliés au rapport d’évaluation médicale, à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale et au rapport complémentaire, ne peut être imputé à l’employeur et doit être transféré aux employeurs de toutes les unités.
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Sylvie Arcand |
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Me Isabelle Montpetit |
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BÉCHARD, MORIN, AVOCATS |
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Représentante de la partie requérante |
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Madame Nathalie Beaudoin |
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DEMERS BEAULNE ET ASS. |
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Représentante de la partie intéressée |
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Me Dominic Dorval |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |