Décision

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Roy c. Ville de Saguenay

2018 QCCQ 9200

     JL-3223

 
 

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE CHICOUTIMI

LOCALITÉ DE

CHICOUTIMI

Chambre civile 

N° :            150-32-700522-184

 

DATE :     31 octobre 2018  

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE PIERRE LORTIE

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JOSÉE ROY

Demanderesse

 

c.

 

VILLE DE SAGUENAY

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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[1]           La demanderesse, 56 ans, réclame 10 454 $ à Ville de Saguenay [la Ville], suite à une chute sur un trottoir municipal. La Ville nie toute responsabilité.

[2]           Les principaux faits se résument ainsi.

[3]           Le 28 novembre 2017, la demanderesse, vers midi, circule sur le trottoir du Carré Davis à Jonquière pour se rendre visiter un commerce. Il tombe de gros flocons et la neige recouvre le sol. Alors qu’elle marche, elle glisse et tombe lourdement sur son côté gauche. Elle se relève et tombe à nouveau, tête première et le front directement sur le trottoir glacé.

[4]           Elle demeure allongée quelques minutes, espérant en vain que quelqu’un vienne à son aide. Elle s’aperçoit qu’elle saigne.

[5]           Elle réussit finalement à se rendre dans une boutique et reçoit de l’aide. Une cliente la conduit d’urgence à l’hôpital.

[6]           Elle reçoit les premiers soins. Subséquemment, elle éprouve une douleur à l’épaule. On lui diagnostique une capsulite et son bras sera immobilisé. Des médicaments sont prescrits. Elle est suivie en physiothérapie et subit un arrêt de travail.

[7]           Elle avise la Ville par écrit et intente la présente poursuite le 21 mars 2018. Les délais légaux sont respectés.

[8]           La Ville a-t-elle commis une faute engageant sa responsabilité?

[9]           Le recours de la demanderesse se fonde sur l'article 1457 du Code civil du Québec [C.c.Q.] prévoyant que « [t]oute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui ». En cas de manquement, elle est responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et elle tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel. Selon l'article 1376 C.c.Q., cette disposition s’applique aux personnes morales de droit public (ex. : les villes), sous réserve des autres règles particulières.

[10]        Selon l'article 585(7) de la Loi sur les cités et villes[1], aucune municipalité ne peut être tenue responsable du préjudice résultant d’un accident dont une personne est victime, sur les trottoirs en raison de la neige ou de la glace, à moins que le réclamant n’établisse que l’accident a été causé par négligence ou faute de ladite municipalité, le tribunal devant tenir compte des conditions climatériques.

[11]        Certains principes guident les tribunaux en matière de responsabilité municipale. Le juge Richard Wagner[2] dans Montréal (Ville de) c. Scanlan[3], reprend avec approbation l’analyse du juge Louis Lacoursière de la Cour supérieure[4] :

[17]   Les principes devant guider le Tribunal sont les suivants :

1)        La demanderesse doit prouver une faute de la Ville;

2)        Il n'y a pas de présomption de faute lors d'un accident qui survient sur un trottoir ou une voie appartenant à une municipalité. Cette dernière est tenue à une obligation de moyens, dont la violation doit être prouvée par la demanderesse et la municipalité n'est pas l'assureur des usagers de ses trottoirs et rues;

3)        La norme de conduite à laquelle est tenue une municipalité est ainsi décrite par la Cour d'appel :

         Bien que la loi et la jurisprudence reconnaissent qu'il revient à la municipalité d'apporter une vigilance raisonnable dans l'entretien de ses voies publiques en tenant compte de divers facteurs tels que la variabilité des températures et l'étendue du territoire à couvrir, les actes posés par la municipalité doivent être appréciés en regard du critère de la personne raisonnablement prudente et diligente.

[12]        Ces principes, avec les adaptations nécessaires, trouvent application au présent cas.

[13]        La Ville nie avoir commis une faute. Elle soutient avoir fait un entretien normal et adéquat du trottoir compte tenu des conditions météorologiques (pluie et verglas). De plus, elle ne peut instantanément sabler ses trottoirs lorsqu’il y a des intempéries. Au procès, le technicien aux travaux publics décrit le plan de déneigement qui comporte l’utilisation d’une chenillette qui gratte et répand des abrasifs.

[14]        Dans son analyse, le Tribunal retient les éléments suivants :

1)        La demanderesse s’est comportée de façon raisonnable et prudente au moment des événements le 28 novembre 2017 sur l’heure du midi. Elle portait alors des bottes sécuritaires.

2)        La propriétaire de la boutique où s’est rendue la demanderesse témoigne que, dans la matinée du 28 novembre, elle avait appelé la Ville à plusieurs reprises pour l’aviser de la dangerosité du trottoir qui était entièrement recouvert de glace suite à des journées de verglas. La commerçante a même appelé son conseiller municipal puisque la situation ne se réglait pas. Elle ajoute avoir vu plusieurs personnes glisser sur le trottoir, situation anormale pour un endroit passant dans un centre-ville.[5]

3)        La cliente qui se trouvait au commerce confirme qu’il n’y avait aucun abrasif et que la situation était dangereuse.

4)        La Ville utilise une seule chenillette sur un grand territoire habité par une population importante.

5)        Compte tenu des précipitations antérieures de pluie et de verglas, le délai d’intervention a ici été trop long.

[15]        Pour toutes ces raisons, la responsabilité de la Ville est retenue à part entière.

Le dommage

[16]        La demanderesse réclame les dommages suivants :

Cicatrice permanente :                                                                      6 500 $

Dommages physiques et autres (ci-dessous)                                3 000 $

Douleurs insoutenables pendant 10 jours (Capsulite post-traumatique)

Bras immobilisé pendant ces 10 jours, j’ai dû rester assise sur une chaise jour et nuit pendant toute cette période, car trop douloureux pour être couchée dans un lit.

Prise de médicaments, morphine, anti-inflammatoires) douleur en continu par la suite nécessitant traitement de physiothérapie.

Stress et inconvénients, perte de jouissance, activité physique, et chalet

Je suis restée craintive (marche)

Achat de botte à crampons intégrés pour me rassurer

Arrêt de travail complet du 28 novembre au 19 décembre 2017

Travail progressif du 20 décembre 2017 au 5 février 2018

Frais de physiothérapie                                                                       579 $

Frais de chiropraticien                                                                         375 $

TOTAL                                                                                              10 454 $

[17]        La demanderesse ne produit pas d’expertise établissant un déficit anatomo-physiologique [DAP].

[18]        Dans les circonstances, le Tribunal arbitre les dommages non pécuniaires à 5 000 $.

[19]        Des dommages pécuniaires de 954 $ sont octroyés (579 $ + 375 $). À noter que la demanderesse n’a pas subi de perte salariale.

[20]        Conséquemment, la réclamation est accueillie à la hauteur de 5 954 $

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21]        ACCUEILLE en partie la demande.

[22]        CONDAMNE la défenderesse à verser à la demanderesse 5 954 $ avec intérêt au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 29 novembre 2017.

[23]        CONDAMNE la défenderesse aux frais de justice de 202 $.

 

 

 

 

 

__________________________________

PIERRE LORTIE

Juge à la Cour du Québec

 

 

Date d’audience : 17 octobre 2018

 

 



[1]       RLRQ, c. C-19.

[2]       Le juge Wagner siégeait alors à la Cour d’appel. En 2012, il est nommé à la Cour suprême. Le 18 décembre 2017, il est nommé juge en chef du Canada.

[3]       Montréal (Ville de) c. Scanlan, 2011 QCCA 614, par. 24.

[4]       Scanlan c. Montréal (Ville de), 2008 QCCS 5414.

[5]       Voir la déclaration pour valoir témoignage datée du 20 mars 2018.

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