CONSEIL DE DISCIPLINE |
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ORDRE DES ERGOTHÉRAPEUTES DU QUÉBEC
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N° : 17-15-00030 |
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DATE : |
18 avril 2016 |
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LE CONSEIL : |
Me JULIE CHARBONNEAU |
Présidente |
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M. GÉRARD DE MARBRE, erg. |
Membre |
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Mme MADELEINE TRUDEAU, erg. |
Membre |
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FLORENCE COLAS, en sa qualité de syndique de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec
Partie plaignante |
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c. |
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ISABELLE GAGNÉ, ergothérapeute |
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Partie intimée |
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ |
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE
[1] Le Conseil de discipline s’est réuni, le 14 décembre 2015 et les 18 et 19 janvier 2016, pour procéder à l’audition de la plainte disciplinaire déposée par la plaignante, Mme Florence Colas, en sa qualité de syndic de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec contre l’intimée, Mme Isabelle Gagné, ergothérapeute.
[2] La plainte, en date du 14 janvier 2015, est ainsi libellée :
1. À Laval, les ou vers les 15 et 16 mars
2012, ne s’est pas acquittée de ses obligations professionnelles avec intégrité
en omettant de prendre des mesures correctrices lorsqu’elle a constaté que
son rapport « Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada -
Poste aux sommiers » présenté à Me Réjean Côté contenait de nombreux
extraits plagiés de l’ « Étude sur l’appréciation des facteurs de
risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail »
de Rodica Tcaciuc, contrevenant ainsi à l’article
2. À Joliette, le ou vers le 16 mars 2012,
alors qu’elle témoignait à titre d’experte dans le cadre de l’audition du
dossier CSST 137559787 devant la Commission des lésions professionnelles, ne
s’est pas acquittée de ses obligations professionnelles avec intégrité en
omettant de mentionner que de nombreux extraits de l’ « Étude sur
l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du
canal carpien relié au travail » de Rodica Tcaciuc ont été plagiés dans la
section « 7.0 Revue de littérature sur le tunnel carpien » de son
rapport « Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste
aux sommiers » présenté à Me Réjean Côté, contrevenant ainsi à l’article
3. À Laval, entre les ou vers les 11 mars
au 16 mars 2012, ne s’est pas acquittée de ses obligations professionnelles
avec intégrité en plagiant dans la section « 5.0 Description du cycle de
travail » de son rapport « Évaluation du poste de journalier pour
Simmons Canada - Poste aux sommiers » présenté à Me Réjean Côté, des
extraits du rapport de Denis Roy daté du 14 juillet 2010 et concernant monsieur
[…], contrevenant ainsi à l’article
[3] L’intimée enregistre un plaidoyer de non-culpabilité aux trois chefs de la plainte.
[4] La plaignante invoque deux liens de rattachement au soutien chacun des chefs d’infraction. Le Conseil devra, par conséquent, décider de la culpabilité ou de l’acquittement de l’intimé en fonction de chacune des dispositions invoquées. Un arrêt[1] de la Cour d’appel rappelle ce principe en ces termes :
« [84] D'une part, les
éléments essentiels d'un chef de plainte disciplinaire ne sont pas constitués
par son libellé, mais par les dispositions du code de déontologie ou du
règlement qu'on lui reproche d'avoir violées (Fortin c. Tribunal des
professions,
CONTEXTE
[5] L’intimée est membre en règle de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec depuis le 1er avril 1990.
[6] Les faits du présent dossier ne sont pas contestés.
[7] Au cours des mois de février et mars 2012, l’intimée reçoit de Simmons Canada le mandat de procéder à l’évaluation du poste de M. […] en prévision d’une audition prévue le 16 mars 2012 devant la Commission des lésions professionnelles (CLP).
[8] Afin de réaliser son rapport, l’intimée s’est rendue à l’usine de Simmons le 8 mars 2012 et a effectué la prise de données ainsi que la réalisation d’une vidéo.
[9] Le 15 mars 2012, l’intimée produit son rapport[2] intitulé «Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux sommiers» qu’elle transmet à Me Réjean Côté à titre de représentant de Simmons Canada. Me Côté est le procureur de Simmons Canada.
[10] Au sujet de la section 7.0 «Revue de littérature sur le tunnel carpien» de son rapport, l’intimée a recherché au sein de son entreprise si un collègue avait déjà fait une revue de la littérature pour le tunnel carpien. Elle a repéré le rapport d’un ancien collègue, M. Marcos Paradis et elle a fait du copier/coller qu’elle a inséré dans son rapport. Elle aurait toutefois fait certaines modifications.
[11] Une fois son rapport transmis à Me Côté, l’intimée imprime le mémoire de maîtrise de Mme Rodia Tcaciuc et elle réalise qu’une partie du mémoire de Mme Tcaciuc est copié dans son rapport.
[12] Elle communique à Me Côté cette information et il est convenu de faire une photocopie de la partie copiée du mémoire de Mme Tcaciuc et de l’apporter à la CLP le lendemain.
[13] Le 16 mars 2012, l’intimée témoigne, à titre de témoin expert, devant la CLP dans le dossier de M. […]. Lors de son témoignage, elle dépose son rapport et elle souligne, selon ses prétentions, que son rapport contient des extraits du mémoire de maîtrise de Mme Tcaciuc. Elle dépose le mémoire de Mme Tcaciuc devant la CLP.
[14] Selon la position de la plaignante, le rapport de l’intimée contient de nombreux extraits plagiés du mémoire de maîtrise de Mme Rodica Tcaciuc intitulé : «Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail»[3]. Ce document est daté de février 2010.
[15] L’intimée plaide qu’une erreur s’est glissée dans son rapport et qu’elle a informé son client de cette erreur. Il manquait la source d’information. Elle a agi au meilleur de ses connaissances pour corriger le document.
[16] Selon la plaignante, le rapport de l’intimée contient également des extraits plagiés du rapport[4] de M. Denis Roy du 14 juillet 2010 intitulé : «Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux sommiers.»
[17] L’intimée reconnaît qu’elle avait en sa possession le rapport de M. Roy et qu’elle l’a utilisé. À partir de ce rapport, elle a ajouté et a retiré certains éléments. Elle précise qu’une note de bas de page mentionne que des mesures ont été prises dans le rapport de M Roy.
[18] À la suite du consentement des parties, le Conseil a reconnu à titre de témoin expert, Mme Céline Beaudet[5] pour la plaignante et Me Diane L. Demers[6] pour l’intimée. Le curriculum vitae[7] de Mme Beaudet a été déposé de même que celui de Me Demers[8].
[19] La plaignante reproche à l’intimée des infractions à l’article 3.02.01 du Code de déontologie des ergothérapeutes[9] et à l’article 59.2 Code des professions[10]. Ces dispositions sont les suivantes :
3.02.01. L'ergothérapeute doit s'acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité.
59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l'honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l'ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l'honneur, la dignité ou l'exercice de sa profession.
[20] La plaignante a soumis un plan d’argumentation et des autorités au soutien de sa position[11].
[21] L’intimée a également soumis un plan d’argumentation et des autorités au soutien de sa position[12].
QUESTIONS EN LITIGE
[22] Les parties s’entendent pour que le Conseil décide de la question A avant de déterminer la culpabilité ou la non culpabilité quant aux chefs 1 et 2 :
A) L’intimée a-t-elle plagié une partie du document «Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de Rodica Tcaciuc dans la section 7.0 «Revue de littérature sur le tunnel carpien» de son rapport «Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux sommiers ?»
Dans l’affirmative, le Conseil doit répondre aux questions B et C.
B) La
plaignante s’est-elle déchargée de son fardeau de preuve de prouver que
l’intimée, les 15 et 16 mars 2012, a omis de prendre des mesures correctrices
lorsqu’elle a constaté que son rapport contenait de nombreux extraits de «l’Étude
sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du
canal carpien relié au travail» de Rodica Tcaciuc, contrevenant ainsi à
l’article
C) La
plaignante s’est-elle déchargée de son fardeau de preuve de prouver que
l’intimée, alors qu’elle témoignait à titre d’experte devant la Commission des
lésions professionnelles le 16 mars 2012, a omis de mentionner que son rapport contenait
de nombreux extraits de «l’Étude sur l’appréciation des facteurs de
risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de
Rodica Tcaciuc, contrevenant ainsi à l’article 3.02.01du Code de déontologie
des ergothérapeutes et à l’article
Quelle que soit la réponse aux questions précédentes, le Conseil doit répondre à la question suivante :
D) La
plaignante s’est-elle déchargée de son fardeau de preuve de prouver que
l’intimée a plagié dans la «section 5.0 Description du cycle de travail»
de son rapport, des extraits du rapport de Denis Roy daté du 14 juillet 2010
concernant monsieur […],
contrevenant ainsi à l’article
ANALYSE
[23] Le Conseil procède à l’analyse des différentes questions en litige.
A) L’intimée a-t-elle plagié une partie du document «Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de Rodica Tcaciuc dans la section 7.0 «Revue de littérature sur le tunnel carpien» de son rapport «Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux sommiers ?
[24] Le plagiat est un élément central de la présente plainte.
[25] En 1994, le Tribunal des professions[13] reconnaît que des faits peuvent entraîner une violation de la Loi sur le droit d’auteur et également la violation d’une disposition d’un Code de déontologie.
[26] Sans être lié par les conclusions des témoins experts, le Conseil y trouve appui sous cette première question.
[27] Mme Céline Beaudet, à titre de témoin expert de la plaignante propose la définition suivante du plagiat[14] :
« Les deux questions auxquelles je dois répondre se rapportent au plagiat. Ne pas citer ses sources, emprunter des passages (de longueur variée) d’un texte dont on n’est pas l’auteur en les faisant passer pour siens et présenter à des fins différentes un même document sans le signaler constituent les éléments déterminants de la définition du plagiat (voir documents 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8). Ce type de fraude intellectuelle a toujours existé, mais depuis l’accessibilité de centaines de milliers de documents sur internet (document 9), le phénomène du copier-coller a pris une ampleur dramatique.
Il n’existe pas plusieurs définitions du plagiat selon le type de documents en cause. Les textes plagiés peuvent être du domaine littéraire, scientifique, administratif et même ecclésiastique ! (Document 7) De même, le genre de textes où l’on décèle des passages plagiés varie énormément : ce peut être un essai, un rapport technique, une dissertation étudiante, une allocution ou un diaporama. La quantité de passages plagiés tels quels ou paraphrasés peut constituer un facteur atténuant ou aggravant selon le cas. […]
[Nos soulignements]
[28] Suivant la définition par Mme Beaudet, celle-ci conclut[15] que l’intimée a plagié une partie du mémoire de Mme Rodica Tcaciuc :
« Il m’apparait donc évident que la section 7.0 du rapport de Madame Gagné, intitulée Revue de littérature sur le tunnel carpien, provient intégralement du rapport de Marcos Paradis, qui avait pour sa part plagié le mémoire de maitrise de Madame Rodica Tcaciuc. La source de l’information n’est mentionnée nulle part dans le rapport de Madame Gagné. Ainsi sont réunies les conditions qui correspondent à la définition du plagiat posée au début de mon rapport :
Ne pas citer ses sources, emprunter des passages (de longueur variée) d’un texte dont on n’est pas l’auteur en les faisant passer pour siens et présenter à des fins différentes un même document sans le signaler constituent les éléments déterminants de la définition du plagiat (voir documents 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8). »
[29] Me Diane L. Demers, à titre de témoin expert de l’intimée propose la définition suivante du plagiat[16] :
« La deuxième partie du mandat vise à répondre à la question suivante: «à la lumière des informations qui sont contenues dans la communication de la preuve de la syndique, sommes-nous en présence d’une infraction de plagiat au sens de la définition classique de ce terme ? ».
[…]
Enfin, avant d’aborder l’analyse des pièces au dossier, il importe de préciser les éléments constitutifs du plagiat. Quelle que soit la source consultée1, on peut retenir des différentes définitions communément reconnues que le plagiat consiste en l’appropriation d’un texte rédigé par quelqu’un d’autre dont on omet de mentionner le nom laissant ainsi croire que ce texte est le nôtre. Le plagiat comporte donc deux éléments principaux : la reproduction d’un texte rédigé par quelqu’un d’autre et l’absence de référence à cette autre personne. En tout temps, la recherche de ces deux éléments est requise avant de conclure à une faute de plagiat. […] »
[Références omises et nos soulignements]
[30] Me Demers[17] analyse les conclusions de Mme Beaudet en ces termes :
« De prime abord, la section 4,3 du rapport d’expertise de madame Beaudet va plus directement au but. Si, comme elle fait, on fait abstraction de la deuxième phase de toute expertise réalisée pour un tribunal, à savoir l’audition à la CLP qui n’est pas commentée par madame Beaudet, on ne peut que constater à l’instar de madame Beaudet que la section 7,0 est la reproduction textuelle de quelque 20 paragraphes provenant du mémoire de madame Tcaciuc. »
[31] Par la suite, Me Demers[18] conclut que l’intimée n’a pas plagié un extrait du mémoire de Mme Tcaciuc puisque la deuxième condition de la définition du plagiat n’est pas remplie :
« Le deuxième texte présente une situation différente. Lors de la rédaction de la section 7 de son expertise, madame Gagné reproduit presque intégralement un document rédigé pour Réadaptation Intergo par l’un de ses ex-employés et faisant partie de la banque documentaire de l’entreprise. Elle réalisera dans les jours suivant la transmission de son Rapport d’évaluation que ce document reproduit une section significative du mémoire de maîtrise de madame Tiaciuc. Elle en avise immédiatement l’avocat au dossier et ils conviennent qu’elle dépose les pages du mémoire en question lors de son témoignage puisque, de leur avis, le temps ne permet pas de corriger le document écrit et de le retransmettre avant l’audition. C’est ce qu’elle fait.
Encore ici, les faits tendent à démontrer que madame Gagné n’a pas agi de manière à «faire passer pour sien» le texte de la section 7 puisqu’elle a explicitement indiqué au tribunal la provenance du texte en lui remettant le texte original de madame Tcaciuc et ce, même si son Rapport écrit est muet sur la référence et qu’aucune des règles de reproduction du texte d’autrui n’a été respectée. Le geste de madame Gagné s’inscrit toujours à l’intérieur de l’expertise commandée et, par conséquent, du même processus d’évaluation du poste de sommier chez Simmons conduit aux fins de l’audition par la CLP et comprenant le dépôt du Rapport d’évaluation et le témoignage devant le tribunal.
L’analyse qui précède nous amène à conclure que la constitution de l’infraction grave de plagiat est dans le cas présent incomplète. Cependant, nous sommes en présence d’une insuffisance méthodologique sérieuse résultant soit de la méconnaissance des règles de reproduction du texte d’autrui, soit d’un laisser-aller, à toutes fins utiles, inadmissible dans la production d’un rapport écrit. »
[Références omises]
[32] Sous la présente question, le Conseil retient les conclusions de l’experte de la plaignante, Mme Beaudet, et voici pourquoi.
[33] Me Demers base sa conclusion sur un aspect factuel du dossier qui est absent des faits prouvés. En effet, Me Demers souligne […] les faits tendent à démontrer que madame Gagné n’a pas agi de manière à «faire passer pour sien» le texte de la section 7 puisqu’elle a explicitement indiqué au tribunal la provenance du texte en lui remettant le texte original de madame Tcaciuc […].
[34] Le Conseil ne partage pas cette conclusion factuelle puisqu’elle s’avère, en partie, inexacte.
[35] Le Conseil a procédé à l’écoute de la bande audio de l’audition du 16 mars 2012 tenue devant la CLP et ne peut conclure que l’intimée a explicitement indiqué au tribunal la provenance du texte en lui remettant le texte original de madame Tcaciuc. Les échanges entre l’intimée et des intervenants, lors de l’audition du 16 mars 2012, sont reproduits à la présente décision.
[36] La conclusion de l’experte de l’intimée étant fondée sur une prémisse factuelle que le Conseil ne partage pas, sa conclusion d’absence de plagiat n’est pas retenue.
[37] Les conclusions de l’experte de la plaignante sont retenues et le Conseil conclut que des extraits du mémoire de Mme Tcaciuc ont été plagiés par l’intimée.
[38] Le Conseil répond par l’affirmative à la première question en litige et poursuit son analyse quant aux questions B et C.
B) La plaignante
s’est-elle déchargée de son fardeau de preuve de prouver que l’intimée, les 15
et 16 mars 2012, a omis de prendre des mesures correctrices lorsqu’elle a
constaté que son rapport contenait de nombreux extraits de «l’Étude sur
l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du
canal carpien relié au travail» de Rodica Tcaciuc, contrevenant ainsi à
l’article
[39] Le chef numéro 1 vise deux dates différentes, soit les 15 et 16 mars 2012 et concerne l’omission de l’intimée à prendre des mesures correctrices lorsqu’elle a constaté que son rapport contenait de nombreux extraits plagiés du mémoire de Mme Tcaciuc.
Le 15 mars 2012
[40] L’intimée remet son rapport à Me Réjean Côté, le représentant de sa cliente. L’intimée informe Me Côté que la section 7 de son rapport reproduit une partie du mémoire de maîtrise de Mme Tcaciuc.
[41] Me Côté témoigne devant le Conseil que le ou vers le 15 mars 2012, l’intimée lui a mentionné que la section 7 de son expertise reproduit des passages d’une analyse ergonomique du rapport rédigé par M. Marcos Paradis qui lui-même emprunte des passages d’un mémoire de maîtrise (celui de Mme Tcaciuc).
[42] La solution proposée par l’intimée est d’apporter des extraits du mémoire le lendemain.
[43] Devant le Conseil, Me Côté s’est déclaré satisfait de la solution retenue.
[44] Ainsi, le 15 mars 2012, l’intimée a apporté des mesures correctrices à l’égard de la seule personne à qui elle a remis son rapport, en l’occurrence Me Côté. Ce dernier se dit informé et se déclare, à titre de procureur au dossier, satisfait de la solution proposée par l’intimée.
[45] Le Conseil constate que le 15 mars 2012, la preuve démontre que l’intimée a pris certaines mesures correctrices lorsqu’elle a constaté que son rapport Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux sommiers » présenté à Me Réjean Côté contenait des extraits plagiés de «l’Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de Rodica Tcaciuc.
[46]
Ainsi, l’intimée est acquittée d’avoir contrevenu, le 15 mars 2012 aux
dispositions de l’article
Le 16 mars 2012
[47] La date du 16 mars 2012 correspond à la date où l’intimée témoigne à titre de témoin expert pour Simmons Canada devant la CLP.
[48] Lorsqu’elle se présente à l’audition du 16 mars, l’intimée a déjà pris des mesures correctrices à l’égard de Me Côté et il s’en est déclaré satisfait.
[49] Le Conseil a procédé, lors de son délibéré, à l’écoute de la bande audio d’un extrait de l’audition du 16 mars 2012[19].
[50] Tant au cours de son interrogatoire que lors de son contre interrogatoire, l’intimée omet de prendre des mesures correctrices.
[51] Alors que son témoignage se termine, l’intimée aborde la question du mémoire de Mme Tcaciuc à la suite de questions du juge administratif.
[52] L’extrait qui suit de ces échanges lors de l’audition du 16 mars provient d’une transcription non officielle.
«[…]
Voix 1 : Dans …. dans la littérature médicale est-ce que vous avez mentionné la littérature médicale à laquelle vous avez fait référence qui se trouve au bas de page dans votre rapport ou si vous avez s’il y a d’autres littératures médicales auxquelles vous avez….
Intimée : Mais je vous ai fait des copie euh dans le sens que le résumé a été fait, c’est pour ça que j’ai fait des copies, si jamais ça vous intéresse, je peux vous en donner une, donc il y a les références là et un document où qui résume l’ensemble de ces données-là qui a été fait par un étudiant de la maitrise qui est fort intéressant.
Voix 1 : Est-ce que vous avez objection à ce que madame dépose ce document là?
Voix 2 : Non
Voix 1 : C’est la revue de votre littérature, autrement dit c’est la revue de votre littérature que vous avez fait…
Intimée : Oui qui fait partie mais j’ai quand même regardé d’où venait toute les références et …
Voix 1 : Pertinent que ce soit annexé si on peut dire peut être au rapport
Voix 3 : Inaudible
Voix 1 : Si vous en avez des copies…
Intimée : Pour tous?
Voix 1 : Alors ça sera à analyser si je peux dire …
Voix 3 : Au rapport
Voix 1 : Ah ok c’est un mémoire
Intimée : C’est ça qui résume dans le fond plusieurs études que je trouvais très intéressant…mais ce qu’ils disent
Voix 1 : Mais vous la littérature médicale que vous avez pris connaissance, est-ce que c’est ce mémoire ?
Intimée : Il y a ça et il y a autres choses
Voix 1 : Ok
Intimée Je trouve qu’il fait un bon résumé…
Voix 3 : En fait pour être honnête avec vous, on le déposait autrefois…c’est épais comme ça, y’en a du stock, on peut le produire aussi…
Voix 1 : Non, on veut quand même garder ce qui est… moins euh
Voix 3 : Moins lourd
Voix 1 : Euh…ce qui est le mieux possible
Voix 1 : Peut-être que le tribunal va mentionner à ce stade-ci, peut être en avez-vous pris connaissance d’un document qui est un guide pour le diagnostic des lésions musculo-squelettiques attribuables au travail répétitif-là qui est publié par l’IRSST sur le syndrome du tunnel carpien, vous l’avez consulté?
Intimée : Oui, je l’ai consulté et il est en référence…
Voix 1 : Et ça vous l’avez consulté?
Intimée : Oui, tout à fait…
Voix 1 : Alors ça, c’est un document que le tribunal connait mais dont il a l’intention d’en prendre connaissance dans le cadre du délibéré alors si vous avez évidemment…le tribunal se limitera si on peut dire à regarder la littérature qui sera au dossier, normalement, le tribunal ne peut pas aller voir d’autre littérature que ce qui se trouve dans un dossier particulier mais cette littérature-là fera partie de…autrement dit évidemment en vertu des règles de justice naturelle, le tribunal doit informer les parties s’il a l’intention évidemment de prendre connaissance de documentation…
Voix 2 : On peut avoir une copie?
Voix 1 : Oui, on peut avoir une copie ou si vous voulez, il est disponible sur le site Internet de l’IRSST, ça je voulais vous en aviser
Voix 3 : C’est quoi le nom encore?
Voix 1 : Ça s’appelle le syndrome du tunnel carpien, c’est publié par l’IRSST, et c’est quatre auteurs : Louis Patry, Michel Rossignol, Marie-Jeanne Costa et Martine Baillargeon
Intimée : C’est la référence numéro 4 en page 18 de mon rapport
Voix 2 : Page 4?
Intimée : Non, page 18 la note de bas de page 4 page 18 de mon rapport
Voix 2 : Page 18, ça c’est 2003 il me semble…celui-là??
Intimée : Le guide pour le diagnostic…selon….euh
Voix 2 : Ah ok, 97?
Intimée : Excuse…
Voix 1 Malheureusement
Voix 2 : Ballairgeon et Patry…
Intimée : Je l’ai…
Voix 2 : Quelle année le vôtre là?
Voix 1 Le mien…malheureusement, ce n’est pas indiqué
Intimée : Je l’ai, je l’ai apporté
Voix 2 : Mais il est disponible sur Internet ça?
Intimée : Ça été fait en 97…
Voix 1 : Ça complète les questions pour le Tribunal, on pourrait passer à l’argumentation maintenant…
[…] »
[53] Le Conseil constate que le mémoire est présenté à titre de document de référence seulement, que Mme Tcaciuc n’est pas identifiée et l’intimée mentionne en avoir pris connaissance, sans plus de détails.
[54] M. Allen Gottheil est présent à l’audition puisqu’il a agi à titre de représentant du travailleur. Selon son témoignage, il a reçu le rapport d’expertise de l’intimée par courriel le 14 mars 2012 et il reçoit un exemplaire papier lors de l’audition.
[55] Lors de l’audition du 16 mars 2012, il contre-interroge l’intimée sur divers aspects de son expertise.
[56] Lors de son témoignage devant le Conseil, M. Gottheil mentionne n’avoir qu’un vague souvenir du dépôt du mémoire de Mme Tcaciuc. Il n’y a pas porté beaucoup d’attention. Il a retenu que c’est un document sur lequel l’intimée s’est appuyée.
[57] À la suite de l’audition du 16 mars 2012, il a accès au mémoire complet de Mme Tcaciuc et il fait un exercice de comparaison[20] qui révèle qu’environ 30% du rapport de l’intimée est plagié du mémoire de maîtrise de Mme Tcaciuc.
[58] Le Conseil constate que le 16 mars 2012, la preuve démontre que l’intimée a omis de prendre certaines mesures correctrices puisqu’elle avait constaté que son rapport Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux sommiers » contenait des extraits plagiés de «l’Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de Rodica Tcaciuc.
[59]
La première disposition reprochée est l’article
[60] Toutefois, M. Gottheil et son client ne sont pas des clients de l’intimée.
[61] Les enseignements du Tribunal des professions dans l’affaire Chimistes (Ordre professionnel des) c. Weigensberg[21] doivent être suivis dans le présent dossier.
[62] De plus, ils ont été rappelés dans l’affaire Pelletier c. Agronomes (Ordre professionnel des)[22] en ces termes :
« [70] Le Tribunal des professions a déjà eu l'occasion de se prononcer sur une question similaire dans l'affaire Chimistes (Ordre professionnel des) c. Weigensberg[74]. Comme dans notre affaire, Weigensberg était accusé d'avoir contrevenu à une disposition de son code de déontologie qui se trouvait dans la section des devoirs et obligations du chimiste envers le client. Comme dans le cas présent, il plaidait qu'il ne pouvait être trouvé coupable étant donné l'absence de relation chimiste-client. Notre Tribunal devait lui donner raison en ces termes [75] :
[51] Notre tribunal a eu à se pencher sur l'interprétation d'une disposition du Code de déontologie en fonction de sa classification dans Bégin c. Ordre des comptables en management. Le professionnel se voyait reprocher d'avoir manqué d'intégrité en laissant faussement croire au service d'inspection professionnelle qu'il ne rendait plus de services professionnels. Après avoir postulé que l'infraction reprochée était comprise dans la Partie III intitulée « Devoirs et obligations envers le client ou l'employeur », il concluait que la disposition ne créait pas d'obligation envers le secrétaire de l'inspection professionnelle et sur cette base acquittait le professionnel.
[52] Le Code de déontologie ne définit pas le terme « client », ce qui permet de s'en remettre au sens usuel selon lequel le client s'avère une personne qui requiert des services.
(Référence omise)
[71] Or, comme dans l'affaire Weigensberg, les reproches faits à l'appelant dans la plainte disciplinaire ne découlent pas de faits qui se sont produits dans le cadre d'une relation de l'appelant à titre d'agronome avec un client, mais au motif qu'il a publié un article dans une revue. À l'évidence, cette relation agronome-client est absente et en conséquence, l'appelant doit être acquitté d'avoir contrevenu aux articles 16 et 28 du Code.»
[63] Considérant l’absence de relation client entre l’intimée et les divers intervenants présents à l’audition du 16 mars, en excluant Me Côté, le Conseil ne peut reconnaître l’intimée coupable sous cette disposition.
[64]
Ainsi, sous le chef un, l’intimée est acquittée d’avoir contrevenu, le
16 mars 2012 aux dispositions de l’article
[65]
Maintenant, au regard des dispositions de l’article
[66] Le Tribunal des professions[23] rappelait récemment les contours de cette disposition :
« [39] Cette disposition permet au
conseil de discipline d’un ordre de déterminer les comportements dérogatoires à
l’honneur et la dignité de cet ordre, non prévus par d’autres dispositions
législatives ou réglementaires. C’est là l’essence même de la justice par les
pairs qui se matérialise dans le cadre de l’interprétation des articles
[67] Le Conseil constate que le 16 mars 2012, la preuve démontre que l’intimée n’a pas pris certaines mesures correctrices puisqu’elle avait constaté que son rapport «Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux sommiers » contenait des extraits plagiés de «l’Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de Rodica Tcaciuc.
[68]
Ainsi, le Conseil reconnaît que l’intimée, le 16 mars 2012 a contrevenu
aux dispositions de l’article
C) La plaignante
s’est-elle déchargée de son fardeau de preuve de prouver que l’intimée, alors
qu’elle témoignait à titre d’experte devant la Commission des lésions
professionnelles le 16 mars 2012, a omis de mentionner que son rapport contenait
de nombreux extraits de «l’Étude sur l’appréciation des facteurs de
risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de
Rodica Tcaciuc, contrevenant ainsi à l’article 3.02.01du Code de déontologie
des ergothérapeutes et à l’article
[69] L’infraction reprochée à l’intimée sous le chef deux se déroule alors qu’elle agit à titre de témoin expert devant la Commission des lésions professionnelles.
[70] Le 15 mars, la veille de l’audition au cours de laquelle elle agira à titre de témoin expert, l’intimée informe Me Côté de la situation. Elle est alors consciente de la problématique.
[71] Le Conseil de discipline du Collège des médecins[24] souligne le rôle déterminant du professionnel agissant à titre de témoin expert devant des instances décisionnelles :
« [20] Il a été mis en preuve que l’intimé a rédigé une expertise médicale le 16 septembre 2008 en relation avec une lésion professionnelle du 21 août 1987 de son patient et de rechutes subies en 2001 et 2008. L’intimé a reconnu avoir mentionné dans cette expertise des informations fausses notamment sur l’absence de problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie et l’utilisation de drogues par son patient et ce en dépit du fait qu’il avait en sa possession les dossiers médicaux antérieurs de ce dernier qui faisaient état d’une tout autre réalité.
[21] L’intimé a reconnu par son plaidoyer de culpabilité les faits reprochés par le plaignant. Nul doute pour le Conseil que ce genre d’infraction est grave étant donné que l’opinion d’un expert est souvent déterminante dans le processus décisionnel d’un décideur. Dans ce contexte, les informations colligées par l’expert doivent être dignes de foi et à la hauteur de la confiance que le décideur accorde à ce genre de documents.
[22] Le Conseil est d’avis que le comportement de l’intimé est inadmissible surtout si l’on prend en considération le fait qu’il est spécialiste ayant plusieurs années d’expérience. La fiabilité de la signature d’un médecin doit toujours être irréprochable. »
[72] La transcription de l’extrait de l’audition permet au Conseil de conclure que l’intimée omet de mentionner, lors de l’audition du 16 mars 2012, que la «section 7.0 Revue de littérature sur le tunnel carpien» de son rapport comprend de nombreux extraits de «l’Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de Mme Tcaciuc.
[73] De plus, lors de l’audition les trois échanges suivants démontrent l’importance de la connaissance par l’intimée de la littérature en cause :
«[…]
Voix 1 : Dans …. dans la littérature médicale est-ce que vous avez mentionné la littérature médicale à laquelle vous avez fait référence qui se trouve au bas de page dans votre rapport ou si vous avez s’il y a d’autres littératures médicales auxquelles vous avez….
Intimée : Mais je vous ai fait des copie euh dans le sens que le résumé a été fait, c’est pour ça que j’ai fait des copies, si jamais ça vous intéresse, je peux vous en donner une, donc il y a les références là et un document où qui résume l’ensemble de ces données-là qui a été fait par un étudiant de la maitrise qui est fort intéressant.
[…]
Voix 1 : C’est la revue de votre littérature, autrement dit c’est la revue de votre littérature que vous avez fait…
Intimée : Oui qui fait partie mais j’ai quand même regardé d’où venait toute les références et …
[…]
Voix 1 : Ah ok c’est un mémoire
Intimée : C’est ça qui résume dans le fond plusieurs études que je trouvais très intéressant…mais ce qu’ils disent
Voix 1 : Mais vous la littérature médicale que vous avez pris connaissance, est-ce que c’est ce mémoire ?
Intimée : Il y a ça et il y a autres choses
Voix 1 : Ok
[…]»
[74] Lors de l’audition, l’intimée remet un extrait[25] du mémoire de Mme Tcaciuc. Toutefois les pages 23 (pour partie) et 24 du mémoire sont manquantes dans l’extrait remis, alors que ces mêmes pages sont reproduites à la page 23 du rapport[26] de l’intimée.
[75] Le Conseil ajoute, à titre de dernier élément, que la référence au mémoire de Mme Tcaciuc apparaît à la partie du document de M. Paradis reproduit par l’intimée. Cette référence n’apparaît toutefois pas au rapport de l’intimée.
[76] Le Conseil est d’avis que intimée a omis d’informer l’auditoire présent à l’audition du 16 mars 2012 que la «section 7.0 Revue de littérature sur le tunnel carpien» de son rapport comprend de nombreux extraits de «l’Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de Mme Tcaciuc.
[77]
Ces faits étant établis, est-ce que l’intimée a contrevenu aux
dispositions de l’article
[78] À nouveau les enseignements du Tribunal des professions dans l’affaire Chimistes (Ordre professionnel des) c. Weigensberg[27] doivent être suivis.
[79] Le Conseil reprend son analyse apparaissant aux paragraphes 61 et 62 de la présente décision et conclut que les personnes présentes à l’audition du 16 mars ne sont pas des clients de l’intimée.
[80]
Ainsi, l’intimée est acquittée, sous le chef deux, d’une infraction à l’article
[81]
Maintenant, au regard des dispositions de l’article
[82] Pour le Conseil, cette omission d’informer l’auditoire le 16 mars 2012, suivant la trame factuelle décrite et les diverses circonstances énumérées, est un acte dérogatoire à l'honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l'Ordre.
[83]
Le Conseil conclut, sous le chef 2, que l’intimée a contrevenu aux
dispositions de l’article
D) La plaignante s’est-elle déchargée de son fardeau de
preuve de prouver que l’intimée a plagié dans la «section 5.0 Description du
cycle de travail» de son rapport, des extraits du rapport de Denis Roy daté
du 14 juillet 2010 concernant monsieur […], contrevenant ainsi à l’article
[84] M. Roy témoigne devant le Conseil qu’il n’a pas autorisé l’intimée à reproduire son rapport et que par ailleurs, aucune demande ne lui a été présentée.
[85] La «section 5.0 - Description du cycle de travail» du rapport de l’intimée est copier/coller de la section 3.2 du rapport de M. Roy, à l’exception de deux passages ajoutés par l’intimée.
[86] L’intimée précise la mention suivante qui apparaît dans son rapport : Certaines données ont été prises dans le rapport de M. Roy, ergonome, de juin 2010 et rédigé pour la CSST.
[87] La question en litige sous le troisième chef est de déterminer si la mention Certaines données ont été prises dans le rapport de M. Roy, ergonome, de juin 2010 et rédigé pour la CSST est suffisante pour faire échec à la définition de plagiat.
[88] Le Conseil revient aux rapports d’expert déposés par les parties.
[89] Mme Beaudet conclut qu’il y a également plagiat du rapport de M. Roy par l’intimée. Elle exprime son opinion comme suit :
« En note de bas de page (note 2), Isabelle Gagné écrit: «Certaines données ont été prises dans le rapport de M. Roy, ergonome, de juin 2010 et rédigé pour la CSST». En fait, toute la section 5.0 - Description du cycle de travail - est copiée-collée de la section 3.2 du rapport de Monsieur Roy, à l’exception de deux passages ajoutés par Madame Gagné et d’un paragraphe déplacé[28].
[…]
Une collecte de données a pour but d’évaluer, analyser une situation. Sinon, pourquoi se lancer dans un tel exercice ? C’est ce que Denis Roy a fait pour déterminer si oui ou non existait un lien entre l’environnement de travail d’un opérateur de sommiers et ses problèmes de dos. Madame Gagné a repris telles quelles (à l’exception de deux passages sans conséquence sur la logique de la description d’ensemble ni sur l’analyse qu’elle en tire) les données d’observation de Monsieur Roy, qui sont le fondement de l’analyse pour laquelle elles ont été compilées. Toute collecte de données se fait en contexte, dans un but particulier. Reprendre dans son entièreté le terrain d’observations d’un collègue et se l’approprier pour justifier des conclusions relatives à un autre cas constituent hors de tout doute un acte de plagiat commis au détriment de l’ergothérapeute Denis Roy et de malhonnêteté intellectuelle à l’égard de la personne ayant fait l’objet de l’investigation.
Il n’est donc pas possible de déclarer, comme Madame Gagné le fait en note de bas de page (note 2), que seules certaines données ont été repiquées du rapport de Monsieur Roy. De surcroit, si tel était le cas, Isabelle Gagné aurait dû signaler les emprunts par des guillemets, des passages en retrait et aurait dû référencer avec précision ses emprunts. Il m’apparait évident que la section 5.0 du rapport de Madame Gagné, intitulée Description du poste de travail, est le fruit du plagiat et que conséquemment, elle ne pouvait affirmer avoir basé son avis sur une analyse de données, comme elle le prétend en page 24 de son rapport.[29]
[90] L’experte de la plaignante, Mme Beaudet conclut au plagiat puisque la référence de l’intimée au rapport de M. Roy est incomplète, voire inexacte.
[91] Me Demers est d’avis contraire. Elle est d’opinion que les deux conditions du plagiat ne sont pas remplies. Elle explique sa position comme suit[30] :
« Dans le cas qui nous intéresse, madame Gagné a reproduit libéralement deux documents, le premier concerne la description du travail au poste de sommier préalablement réalisée à la demande de la CSST18par M. Denis Roy. Il s’agit d’un document faisant partie du dossier de cour constitué pour l’audition19 et transmis à madame Gagné aux fins de l’élaboration de son rapport factuel d’observation et d’évaluation du poste. Elle en a fait usage et a mentionné, de manière certainement inadéquate et insuffisante, l’auteur et la source. Toutefois, force est de constater qu’elle n’a pas agi de manière à «faire passer pour sien» le document en question même si elle n’a respecté aucune des règles habituelles de reproduction d’un texte d’autrui. »
[Références omises]
[92] Sur le présent chef, le Conseil retient plutôt l’opinion de Me Demers qui conclut à l’absence de plagiat de la part de l’intimée à l’égard du rapport de M. Roy tout en soulignant que l’intimée n’a respecté aucune des règles habituelles de reproduction d’un texte d’autrui[31].
[93] Ainsi le Conseil est d’avis que la mention de l’intimée au sujet du rapport de M. Roy, bien qu’imparfaite, démontre que l’intimée n’a pas agi de manière à «faire passer pour sien»[32] l’extrait copié du rapport de M. Roy.
[94] En conséquence, le Conseil conclut que l’intimée n’a pas plagié le rapport de M. Roy.
[95]
La plaignante ne s’étant pas déchargée de son fardeau de preuve de
prouver que l’intimée a plagié des extraits du rapport de Denis Roy dans la
section 5.0 de son rapport, le Conseil acquitte l’intimée à l’égard des infractions
aux articles
PAR CES MOTIFS, LE CONSEIL :
Sous le chef 1
Pour le 15 mars 2012
ACQUITTE
l’intimée à l’égard de l’infraction fondée sur l’article
ACQUITTE l’intimée
à l’égard de l’infraction fondée sur l’article
Pour le 16 mars 2012
ACQUITTE
l’intimée à l’égard de l’infraction fondée sur l’article
DÉCLARE l’intimée
coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article
Sous le chef 2
ACQUITTE
l’intimée à l’égard de l’infraction fondée sur l’article
DÉCLARE l’intimée coupable
à l’égard à l’égard de l’infraction fondée sur l’article
Sous le chef 3
ACQUITTE
l’intimée à l’égard de l’infraction fondée sur l’article
ACQUITTE l’intimée à
l’égard de l’infraction fondée sur l’article
DEMANDE au secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec de convoquer les parties pour une audition sur sanction.
_____________________________ Me JULIE CHARBONNEAU Présidente
_____________________________ Gérard De Marbre, ergothérapeute Membre
_____________________________ Madeleine Trudeau, ergothérapeute Membre
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Me Jean Lanctot Me Marie-Hélène Sylvestre Lanctot Avocats |
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Procureurs de la plaignante |
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Me Marc Mancini |
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PDF Avocats |
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Procureurs de l’intimée |
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Dates d’audience : |
14 décembre 2015, 18 et 19 janvier 2016 |
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CONSEIL DE DISCIPLINE |
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ORDRE DES ERGOTHÉRAPEUTES DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N° : 17-15-00030 |
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DATE : 20 décembre 2016 |
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LE CONSEIL : |
Me JULIE CHARBONNEAU |
Présidente |
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M. GÉRARD DE MARBRE, erg. |
Membre |
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Mme MADELEINE TRUDEAU, erg. |
Membre |
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FLORENCE COLAS, en sa qualité de syndique de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec
Partie plaignante |
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c. |
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ISABELLE GAGNÉ, ergothérapeute |
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Partie intimée |
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DÉCISION SUR SANCTION |
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CONFORMÉMENT À
L’ARTICLE
[1] Le Conseil de discipline s’est réuni, le 23 septembre 2016, pour procéder à l’audition sur les sanctions dans le dossier de Florence Colas, en sa qualité de syndic de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec contre l’intimée, Isabelle Gagné, ergothérapeute.
[2] Le 18 avril 2016, par sa décision sur culpabilité, le Conseil de discipline déclare l’intimée coupable des deux chefs qui suivent :
1. À Laval, […] 16 mars 2012, ne s’est pas
acquittée de ses obligations professionnelles avec intégrité en omettant
de prendre des mesures correctrices lorsqu’elle a constaté que son rapport
« Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux
sommiers » présenté à Me Réjean Côté contenait de nombreux extraits
plagiés de l’ « Étude sur l’appréciation des facteurs de risque
dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail »
de Rodica Tcaciuc, contrevenant ainsi à l’article […] à l’article
2. À Joliette, le ou vers le 16 mars 2012, alors
qu’elle témoignait à titre d’experte dans le cadre de l’audition du dossier
CSST 137559787 devant la Commission des lésions professionnelles, ne s’est pas
acquittée de ses obligations professionnelles avec intégrité en omettant de
mentionner que de nombreux extraits de l’ « Étude sur l’appréciation
des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien
relié au travail » de Rodica Tcaciuc ont été plagiés dans la section
« 7.0 Revue de littérature sur le tunnel carpien » de son rapport
« Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux
sommiers » présenté à Me Réjean Côté, contrevenant ainsi […] à l’article
CONTEXTE
[3] La plaignante n’a pas présenté de preuve. Toutefois, dans le cadre de son argumentation elle informe le Conseil du montant de la note d’honoraires des frais d’expertise de son témoin expert, madame Céline Beaudet.
[4] La preuve de l’intimée est constituée de la note d’honoraires des frais d’expertise[33] de son témoin expert, Me Diane Demers.
[5] Les parties présentent des suggestions conjointes quant aux sanctions à imposer pour les deux chefs, soit l’imposition d’une amende de 1 000 $ pour le chef 1 et une période de radiation de quatre semaines pour le chef 2.
[6] Les déboursés, incluant les frais des expertises et les frais de publication de l’avis de radiation, doivent être à la charge de l’intimée selon la plaignante.
[7] L’intimée demande au Conseil de condamner chaque partie à payer ses frais d’expertise ou à défaut, d’ordonner un partage égal du total des frais d’experts. Pour les autres déboursés, elle laisse au Conseil le soin d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de les répartir entre les parties considérant que la plaignante n’a pas réussi sur tous les chefs.
QUESTIONS EN LITIGE
A) Les sanctions conjointes recommandées par les parties sont-elles raisonnables dans les circonstances propres à ce dossier?
B) L’intimée doit-elle être condamnée aux entiers déboursés ou le Conseil doit-il ordonner un partage des frais d’expertise et des déboursés?
[8] L’audition sur culpabilité a révélé que les faits du présent dossier ne sont pas contestés.
[9] Lors de l’audition sur culpabilité, le Conseil a reconnu à titre de témoin expert, madame Céline Beaudet[34] pour la plaignante et Me Diane L. Demers[35], à titre de témoin expert, pour l’intimée. Le curriculum vitae[36] de Mme Beaudet a été déposé de même que celui de Me Demers[37].
[10] Le plagiat est un élément central du présent dossier.
[11] Dans sa décision sur culpabilité quant au chef 1, le Conseil a décidé que le 16 mars 2012, l’intimée a omis de prendre certaines mesures correctrices puisqu’elle avait constaté que son rapport « Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada - Poste aux sommiers » contenait des extraits plagiés de «l’Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail» de Rodica Tcaciuc.
[12] L’infraction pour laquelle l’intimée a été déclarée coupable sous le chef 2 se déroule alors qu’elle agit à titre de témoin expert devant la Commission des lésions professionnelles.
[13] La transcription de l’extrait de l’audition devant la Commission des lésions professionnelles a permis au Conseil de conclure que l’intimée omet de mentionner, lors de l’audition du 16 mars 2012, que la « section 7.0 Revue de littérature sur le tunnel carpien » de son rapport comprend de nombreux extraits de « l’Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail » de Mme Tcaciuc.
[14] Lors de l’audition, l’intimée remet un extrait[38] du mémoire de Mme Tcaciuc. Toutefois, les pages 23 (pour partie) et 24 du mémoire sont manquantes dans l’extrait remis, alors que ces mêmes pages sont reproduites à la page 23 du rapport[39] de l’intimée.
[15] Le Conseil a déterminé que l'intimée a omis d’informer l’auditoire présent à l’audition du 16 mars 2012 que la « section 7.0 Revue de littérature sur le tunnel carpien» de son rapport comprend de nombreux extraits de « l’Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail » de Mme Tcaciuc.
Argumentation de la plaignante
[16] Elle reconnaît que l’intimée n’a pas d’antécédent disciplinaire.
[17] L’intimée présente de nombreuses années d’expérience. Elle est membre de l’Ordre depuis 1990.
[18] Elle souligne que les infractions pour lesquelles l’intimée a été déclarée coupable érodent l’importance du rôle de l’expert devant les tribunaux.
[19] Relativement à la collaboration offerte par l’intimée lors de l’enquête, elle la qualifie de neutre.
[20] Selon la plaignante, les conséquences des fautes déontologiques de l’intimée ont un impact négatif sur l’ensemble de la profession.
[21] La plaignante invite le Conseil à considérer que la partie plagiée du mémoire de Mme Tcaciuc représente un travail d’une durée de six mois pour cette dernière. Le plagiat est un problème endémique sur le plan universitaire.
[22] Elle plaide les différents critères objectifs et subjectifs qui doivent guider le Conseil dans l’imposition de sanctions justes et raisonnables.
[23] À l’égard des déboursés, elle plaide que l’intimée doit assumer les entiers déboursés, dont les frais d’expertise de son témoin expert. Rien dans le présent dossier ne permet au Conseil de s’écarter de la règle générale qui prévoit que la partie qui succombe doit assumer l’entièreté des déboursés.
[24] Elle soumet des autorités[40].
Argumentation de l’intimée
[25] Elle souligne au Conseil que les recommandations conjointes sont le fruit d’échanges fructueux entre les avocats des parties.
[26] Elle consent aux recommandations ainsi qu’à la publication de l’avis de radiation tout en soulignant qu’étant donné les circonstances du présent dossier, les recommandations peuvent être qualifiées de sévères.
[27] Quant aux déboursés, elle recommande que chaque partie assume les frais d’expertise de son témoin expert puisque les deux expertises ont été utiles au Conseil. La décision sur culpabilité en est le reflet.
[28] Pour les autres déboursés, elle invite le Conseil à user de sa discrétion et de partager les déboursés, notamment en fonction que la plaignante n’a pas réussi sur tous les chefs.
ANALYSE
A) Les sanctions conjointes recommandées par les parties sont-elles raisonnables dans les circonstances propres à ce dossier?
[29] Dans un arrêt[41] très récent, la Cour suprême nous enseigne ce qui suit au sujet des recommandations conjointes :
« [32] Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador sont utiles à cet égard.
[33] Dans Druken, au
par. 29, la cour a jugé qu’une recommandation conjointe déconsidérera
l’administration de la justice ou sera contraire à l’intérêt public si, malgré
les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine
recommandée, elle [traduction] « correspond si peu aux attentes des
personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces
dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de
justice pénale ». Et, comme l’a déclaré la même cour dans R. v. B.O.2,
[34] À mon avis, ces déclarations fermes traduisent l’essence du critère de l’intérêt public élaboré par le comité Martin. Elles soulignent qu’il ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre, comme je l’explique ci-après.
[…]
[40] En plus des nombreux avantages que les recommandations conjointes offrent aux participants dans le système de justice pénale, elles jouent un rôle vital en contribuant à l’administration de la justice en général. La perspective d’une recommandation conjointe qui comporte un degré de certitude élevé encourage les personnes accusées à enregistrer un plaidoyer de culpabilité. Et les plaidoyers de culpabilité font économiser au système de justice des ressources et un temps précieux qui peuvent être alloués à d’autres affaires. Il ne s’agit pas là d’un léger avantage.
[…]
[42] D’où l’importance, pour les juges du procès, de faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celui-ci jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé.»
[30] De plus, une suggestion conjointe ne doit pas être écartée « afin de ne pas discréditer un important outil contribuant à l'efficacité du système de justice, tant criminelle que disciplinaire»[42].
[31] Sans le lier, la suggestion conjointe invite plutôt le Conseil de discipline « non pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction, mais à déterminer si elle s'avère déraisonnable au point d'être contraire à l'intérêt public et de nature à déconsidérer l'administration de la justice»[43].
Les facteurs objectifs et subjectifs
[32] Le Conseil a déclaré l’intimée coupable aux chefs 1 et 2 d’une infraction aux dispositions de l’article 59.2 du Code des professions[44].
[33] Cette disposition est la suivante :
« 59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l'honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l'ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l'honneur, la dignité ou l'exercice de sa profession. »
[34] En matière de gravité objective, cette disposition invoquée fait état que les conduites reprochées à l’intimé sont sérieuses.
[35] Le Conseil souligne les enseignements du juge Chamberland de la Cour d’appel dans Pigeon c. Daigneault[45] « […] il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, […].»
[36] Au sujet de la protection du public, le Tribunal des professions nous enseigne ce qui suit dans l’affaire Chevalier[46] :
« [18] Le Tribunal note que le juge Chamberland a parlé « au premier chef » de la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, puis l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession et enfin le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession. Ainsi, ce droit du professionnel ne vient qu'en quatrième lieu, après trois priorités. »
[37] La protection du public est le premier critère à évaluer lors de l’imposition d’une sanction. Toutefois, « chaque cas est un cas d’espèce »[47].
[38] L’intimé a contrevenu aux obligations déontologiques qui se situent au cœur même de l’exercice de sa profession.
[39] La perception du public est également une composante de sa protection. L’intimé a été déclaré coupable d’infractions qui minent la confiance du public à l’égard de la profession d’ergothérapeute.
[40] Le volet d’exemplarité doit être reflété par les sanctions que le Conseil doit imposer. Il s’agit de l’un des objectifs reconnus dans le cadre de l’imposition d’une sanction en droit disciplinaire. Pour les chefs d’infraction sous étude, cette notion d’exemplarité trouve son fondement dans la gravité de l’infraction et dans la nécessité d’assurer la protection du public.
[41] L’intimée ne présente aucun antécédent disciplinaire.
[42] Toutefois, le Conseil n’est pas en présence d’un acte isolé de la part de l’intimée. La conduite dérogatoire de l’intimé est répétée et réfléchie tout au cours du 16 mars 2012.
[43] Plus particulièrement à l’égard du chef 2, pour lequel les parties suggèrent l’imposition d’une période de radiation de quatre semaines, le Conseil voit une certaine préméditation puisque la transcription du témoignage de l’intimée laisse voir certaines occasions où elle aurait pu informer la Commission des lésions professionnelles que de nombreux extraits de l’ « Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail » de Rodica Tcaciuc étaient reproduits à son expertise.
[44] Le Conseil doit s’assurer que les sanctions imposées soient significatives, afin d’avoir un caractère dissuasif. En effet, une sanction qui se veut généralement dissuasive est celle qui vise à décourager ou à empêcher les autres membres de la profession de se livrer aux mêmes gestes que ceux posés par l’intimé[48].
[45] Dans le présent dossier, le Conseil est d’avis qu’il doit donner suite à la recommandation conjointe des parties. Les sanctions suggérées conjointement sur chacun des chefs ne font pas perdre au public renseigné et raisonnable sa confiance[49] au système de justice disciplinaire.
B) L’intimée doit-elle être condamnée aux entiers déboursés ou le Conseil doit-il ordonner un partage des frais d’expertise et des déboursés?
[46]
L’article
« 151. Le conseil peut condamner le plaignant ou l’intimé aux déboursés ou les condamner à se les partager dans la proportion qu’il doit indiquer.
[…] »
[47] Tant la plaignante que l’intimée ont invité le Conseil à exercer sa discrétion dans le partage des déboursés.
[48] Le Conseil juge que chaque partie doit payer les frais de son témoin expert puisque la décision sur culpabilité fait clairement ressortir que les deux expertises ont été utiles et nécessaires au Conseil afin de trancher l’ensemble des questions en litige.
[49] Les témoignages de deux témoins experts ont également éclairé le Conseil sur l’ensemble des questions en litige. Le Conseil a d’ailleurs retenu la position d’un témoin expert sur certaines questions et la position de l’autre témoin expert sur d’autres questions.
[50] Relativement à la question des déboursés, autres que les frais d’experts, le Conseil de son propre chef a scindé le chef numéro 1 en créant deux chefs distincts en fonction des dates mentionnées au chef originalement. Cette situation a permis au Conseil de déclarer l’intimée coupable sous une date et de l’acquitter sous l’autre date. Cette situation a porté au nombre de quatre les chefs reprochés à l’intimée.
[51] Le Conseil a par conséquent déclaré l’intimée coupable sous deux chefs et l’a acquittée sous deux chefs.
[52]
Le Tribunal des professions dans l’affaire Latulipe[50] rappelle qu’une
règle mathématique proportionnelle aux déclarations de culpabilité par rapport
aux acquittements n’est pas un automatisme puisqu’elle ferait perdre au Conseil
l’usage de sa discrétion prévue à l’article
[53] Toutefois, le Tribunal n’exclut pas cette possibilité et invite les décideurs à analyser le sort des chefs ayant été au cœur du débat.
[54] Le Conseil est d’avis que chacun des quatre chefs portés contre l’intimée était au cœur du débat et qu’en conséquence l’intimée ayant été déclarée coupable sous deux chefs d’infraction et acquittée sous deux autres, chaque partie doit assumer cinquante pour cent des déboursés.
[55] L’intimée sera toutefois condamnée au paiement de la totalité des frais reliés à la publication de l’avis de radiation. Ces frais sont reliés à la période de radiation imposée par le Conseil au chef 2 et aucune circonstance exceptionnelle ne permet de déroger à la règle que ces frais sont assumés par le professionnel qui se voit imposer une période de radiation temporaire.
PAR CES MOTIFS, LE CONSEIL :
SOUS LE CHEF 1 :
IMPOSE une amende de 1 000 $.
SOUS LE CHEF 2 :
IMPOSE une période de radiation temporaire de quatre (4) semaines;
DÉCIDE que chaque partie assume les frais reliés à son témoin expert;
DÉCIDE
qu’un avis de la présente décision soit publié dans un journal circulant dans
le lieu où l’intimée a son domicile professionnel, conformément à l’article
CONDAMNE la plaignante au paiement de cinquante pour cent (50 %) des déboursés;
CONDAMNE l’intimée au paiement de cinquante pour cent (50 %) des déboursés et de la totalité des frais de publication de l’avis de la présente décision.
_____________________________ Me Julie Charbonneau Présidente
_______________________________ M. Gérard De Marbre, ergothérapeute Membre
_________________________________ Mme Madeleine Trudeau, ergothérapeute Membre
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Me Jean Lanctot Lanctot Avocats S.A. |
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Avocats de la partie plaignante |
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Me Claude G. Leduc |
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Leduc, Mercier |
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Avocats de la partie intimée |
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Date d’audience : |
23 septembre 2016 |
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[1] Tremblay c. Dionne, 2006 QCCA 1441I
[2] Pièce P-10
[3] Pièce P-5
[4] Pièce P-21
[5] Madame Céline Beaudet, Professeure titulaire en communication appliquée, Université de Sherbrooke, Dre en Sciences de l’information et de la communication
[6] Me Diane L. Demers, LID, avocate, Vice-rectrice aux études et la vie étudiante, UQUAM, 2015
[7] Pièce P-25
[8] Pièce I-1 en liasse
[9] LRRQ, C-26, r. 113
[10] LRRQ, c-C-26
[11] Chagnon c. Bégin, 1994 CanLll 10781
(QCTP); Chagnon c. Tribunal des professions,
[12] Guy Cournoyer et Nicolas Cournoyer, « La faute
déontologique, sa formulation, ses fondements et sa preuve », dans SFPBQ,
Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire,
Cowansville, Yvon Blais, 2007 18-249; Ingénieurs (Ordre professionnel des) c.
Bilodeau, 2005 QCTP, 34; Ayotte c. Gingras,
[13]
Chagnon c. Bégin, 1994 CanLll 10781 (QCTP); Chagnon c.
Tribunal des professions,
[14] Pièce P-26, p. 6
[15] Pièce P-26, p. 16
[16] Pièce I-1
[17] Pièce I-1, p. 6
[18] Pièce I-1, p. 10
[19] Pièce P-12
[20] Pièce P-3
[21]
[22]
[23]
Lacoste c. Dentistes (Ordre professionnel des),
[24] Médecins (Ordre professionnel des) c. Tremblay, 2013
[25] Pièce P-19
[26] Pièce P-10
[27]
[28] Pièce P-26, p. 10
[29] Pièce P-26, p. 12
[30] Pièce I-1, p. 10
[31] Précité note 29
[32] Pièce I-1, p. 10
[33] Pièce SI-1
[34] Madame Céline Beaudet, Professeure titulaire en communication appliquée, Université de Sherbrooke, Dre en Sciences de l’information et de la communication
[35] Me Diane L. Demers, LID, avocate, Vice-rectrice aux études et la vie étudiante, UQUAM, 2015
[36] Pièce P-25
[37] Pièce I-1 en liasse
[38] Pièce P-19
[39] Pièce P-10
[40]
VILLENEUVE, Jean-Guy, DUBÉ, Nathalie et HOBDAY,
Tina,
[41] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43
[42] Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52
[43] Chan c. Médecins (Ordre professionnel des) 2014 QCTP 5A
[44] RLRQ c. C-26
[45]
[46]
Chevalier c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel
des),
[47] Précité note 21
[48]
Cartaway Resources Corp. (Re)
[49] Précité note 9
[50]
Paré
c. Ingénieurs,