Boisvert et Construction Savite inc. |
2010 QCCLP 7185 |
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[1] Le 8 février 2010, monsieur Gaston Boisvert (le travailleur) dépose une requête, à la Commission des lésions professionnelles, à l’encontre d’une décision rendue le février 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la réclamation du travailleur du 3 septembre 2009 parce qu’elle est produite, sans motif raisonnable, au-delà du délai prescrit.
[3] À l’audience tenue à Longueuil le 24 août 2010, le travailleur est présent et représenté. Construction Savite inc. (l’employeur) est représenté.
[4] Le tribunal a requis du travailleur la preuve de réception par la CSST de l’attestation médicale du 31 janvier 2009. Les dernières représentations sur le sujet ont été reçues le 16 septembre 2010, date à laquelle le dossier a été mis en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que sa réclamation n’est pas déposée hors du délai prescrit pour la produire parce qu’il n’avait pas d’intérêt pour le faire avant. Subsidiairement, si le tribunal juge qu’il est hors délai pour la produire, il demande d’être relevé de son défaut d’avoir produit sa réclamation dans le délai prescrit parce qu’il a un motif raisonnable, soit qu’il n’avait pas d’intérêt à la produire avant.
[6] Les parties n’ont été convoquées que pour cet aspect du litige.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Le membre issu des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales accueillent la requête du travailleur. Ils sont d’avis que le travailleur a un motif raisonnable permettant de le relever des conséquences de son défaut d’avoir produit sa réclamation dans le délai prescrit.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a produit sa réclamation dans le délai prescrit à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Dans la négative, elle devra déterminer s’il a un motif raisonnable pour être relevé des conséquences de son défaut d’avoir agi au moment opportun.
[9] Le travailleur est briqueteur maçon de profession, mais il occupe un poste de contremaître chez l’employeur. Il a cumulé environ vingt ans de service pour ce dernier.
[10] Le 3 septembre 2009, le travailleur produit une réclamation à la CSST où il déclare que le 23 janvier 2009, en serrant des boulons à plusieurs reprises avec un « toc wrench » à 190 livres de pression, il a ressenti une brûlure intense à l’épaule droite. Il déclare que trois confrères de travail ont été témoins. Croyant que ce n’était qu’une blessure musculaire et que la douleur s’atténuerait d’elle-même, il a continué à travailler pendant une semaine.
[11] Le 31 janvier 2009, le travailleur consulte le docteur Grondin qui diagnostique une tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. Il prescrit des anti-inflammatoires.
[12] Devant la persistance de la douleur, le travailleur consulte également un chiropraticien de qui il reçoit des traitements. Il n’arrête toujours pas de travailler.
[13] Le 24 mars 2009, le travailleur consulte le docteur Gauthier qui diagnostique une tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule droite. Il recommande la passation d’une échographie des deux épaules. Cette dernière est réalisée le 29 avril 2009 et témoigne d’une déchirure transfixiante à la portion antérieure du tendon du sus-épineux droit. Le travailleur est dirigé en orthopédie.
[14] Le 28 août 2009, le travailleur est examiné par l’orthopédiste, le docteur Kornacki, qui diagnostique une rupture de la coiffe. Il prescrit une résonance magnétique.
[15] Le 1er septembre 2009, madame Maria Pimentel, préposée aux dossiers de la CSST chez l’employeur écrit à cette dernière pour demander d’ouvrir un dossier au nom du travailleur. Elle réfère à l’événement de janvier 2009 et déclare que le travailleur lui a soumis ses rapports médicaux. Étant donné qu’il n’a jamais cessé de travailler, elle avait comme instruction de ne rien acheminer à la CSST.
[16] Le 18 septembre 2009, la CSST refuse la réclamation du travailleur parce qu’elle estime que les éléments recueillis ne permettent pas de conclure à un accident du travail ni à une maladie professionnelle.
[17] Le 9 décembre 2009, le docteur Gauthier maintient le diagnostic de déchirure du sus-épineux.
[18] Le 19 janvier 2010, le docteur Lussier diagnostique une déchirure transfixiante de la coiffe des rotateurs à droite et il constate une atrophie de la ceinture scapulaire et un syndrome myofascial périscapulaire.
[19] À l’audience, le travailleur explique le fait accidentel. Alors qu’il serre un boulon, il déclare avoir ressenti une brûlure à l’épaule droite avec persistance de la douleur au point où il a dû changer de tâches et ne faire que de la supervision. Outre les trois témoins de l’événement, il soutient qu’il a avisé l’employeur le jour même. Il a continué son travail.
[20] Le travailleur n’a consulté le docteur Grondin que le samedi 31 janvier 2009. Ce dernier lui a prescrit des anti-inflammatoires qu’il s’est procurés et qu’il s’est fait rembourser par l’assurance-groupe de la CCQ presque en totalité. Il déclare qu’il a remis l’attestation médicale du 31 janvier 2009 à son patron, monsieur Luis Vitorino, la même semaine. Il a aussi consulté un chiropraticien pour recevoir 15 à 20 traitements, qui ont tous été remboursés par la même assurance.
[21] Devant la persistance de la douleur, il a consulté le docteur Gauthier qui lui prescrit une échographie qui a été réalisée le 29 avril 2009. Le coût de cette dernière a été assumé par le régime d’assurance-maladie. Le travailleur déclare qu’il a été dirigé à l’orthopédiste qu’il a rencontré le 28 août 2009. C’est à ce moment qu’il a réalisé que son dossier n’était pas ouvert à la CSST.
[22] Le travailleur explique qu’il a cru qu’un dossier était ouvert à la CSST parce qu’il remettait à son patron les documents médicaux obtenus à la suite de ses visites médicales. Lorsqu’il a rencontré le docteur Kornacki, ce dernier lui a demandé s’il avait un dossier ouvert à la CSST. Il a communiqué avec madame Pimentel pour le confirmer. C’est à ce moment qu’il a réalisé qu’aucun dossier n’était ouvert. Il a donc signé la réclamation que madame Pimentel a expédiée.
[23] Bien qu’il ait déjà suivi un cours sur les procédures de la CSST deux ans auparavant, le travailleur soutient qu’il ne connaissait pas les procédures chez l'employeur.
[24] Le travailleur déclare qu’il n’a jamais cessé de travailler et qu’il travaille toujours.
[25] Madame Maria Pimentel témoigne. Elle est notamment responsable du suivi administratif dans les dossiers de la CSST. Elle déclare qu’elle est informée d’un fait accidentel par monsieur Vitorino la semaine qui suit, au moment où elle prépare les payes et qu’il lui remet les rapports médicaux. Elle soutient que s’il n’y a pas d'arrêt de travail, elle appelle les travailleurs.
[26] Pour le travailleur, madame Pimentel déclare avoir reçu l’attestation médicale du 31 janvier 2009. Elle a parlé au travailleur pour obtenir les explications concernant l’événement du 23 janvier 2009. Le travailleur lui a dit qu’il n’arrêtait pas de travailler. Ne sachant pas quoi faire en pareille situation, elle a consulté le contrôleur de l’entreprise qui lui a dit de mettre l’attestation médicale au dossier du travailleur, sans plus. Elle déclare qu’entre janvier et septembre 2009, le travailleur ne lui a pas demandé de produire une réclamation. Ce n’est qu’en août 2009 que le travailleur s’est informé si elle avait ouvert un dossier à la CSST. N’ayant pas eu d’arrêt de travail, elle a répondu par la négative. Elle explique ne pas voir les factures médicales que l’assurance-groupe assume. Elles sont acheminées à la CCQ par monsieur Vitorino ou par le gérant de projet, monsieur Darocha. Madame Pimentel convient avoir demandé à la CSST, le 1er septembre 2009, d’ouvrir un dossier pour le travailleur.
[27] Madame Pimentel confirme que monsieur Vitorino tient beaucoup au travailleur. Elle précise qu’à l’époque de la survenance de la lésion du travailleur, en janvier 2009, elle ne connaissait pas toutes les procédures pour une blessure sans perte de temps. Elle déclare que s’il n’y avait pas d’arrêt de travail, elle ne faisait rien suivre à la CSST. Depuis l’événement survenu au travailleur, elle soutient qu’elle indique maintenant, sur un formulaire prévu à cet effet, tous les événements.
[28] Après vérification auprès de la CSST, il appert que l’attestation médicale du 31 janvier 2009 du docteur Grondin ne semble pas avoir été portée à sa connaissance. Même s’il peut paraître étonnant que ce médecin n’ait pas été payé pour la consultation, la Commission des lésions professionnelles n’a pas la preuve souhaitée qui lui aurait permis de convenir que la CSST était au fait de la lésion survenue le 23 janvier 2009 au travailleur. Il faut donc s’en remettre à la procédure de réclamation prévue à la loi.
[29] Puisque la lésion subie le 23 janvier 2009 n’a pas rendu le travailleur incapable d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle elle s’est manifestée, c’est l’article 271 de la loi qui s’applique. Il se lit comme suit :
271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.
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1985, c. 6, a. 271.
[30] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas soumis sa réclamation dans le délai imparti à la loi.
[31] Pour en venir à cette conclusion, elle retient que, dès le 23 janvier 2009, le travailleur s’est vu prescrire des anti-inflammatoires qu’il s’est procurés et pour lesquels il a dû débourser un faible coût puisqu’une grande partie des frais a été remboursée par l’assurance-groupe à laquelle le travailleur adhère.
[32] La Commission des lésions professionnelles retient aussi que le travailleur a bénéficié de quinze à vingt traitements de chiropractie en février 2009, traitements qu’il a dû assumer en partie avant de recevoir un remboursement partiel par l’assurance-groupe.
[33] De ces faits, la Commission des lésions professionnelles estime que, même si le travailleur n’a pas connu de période d’incapacité à travailler, son intérêt à produire une réclamation est né et actuel à partir du moment où il a dû assumer les coûts générés par la lésion qu’il soutient être de nature professionnelle. Cet intérêt est né le 31 janvier 2009. Ce n’est que le 3 septembre 2009 qu’il produit sa réclamation à la CSST, soit plus de sept mois plus tard dépassant ainsi le délai prescrit à la loi.
[34] Cependant, l’article 352 de la loi permet de relever une personne des conséquences de son défaut d’avoir respecté un délai prévu à la loi si elle démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard. Cet article se lit ainsi :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
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1985, c. 6, a. 352.
[35] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur a un motif raisonnable.
[36] La Commission des lésions professionnelles retient que dès la survenance de l’événement, le 23 janvier 2009, le travailleur a avisé monsieur Vitorino qu’il s’est blessé au travail. Le 31 janvier 2009, il lui remet, comme il se doit, l’attestation médicale du docteur Grondin. Cette attestation médicale est portée à la connaissance de la responsable des dossiers CSST chez l’employeur, madame Pimentel. Cette dernière communique avec le travailleur pour s’enquérir des faits entourant la lésion à l’épaule que le travailleur a subie. Madame Pimentel ne questionne pas le fait que la lésion est arrivée au travail puisqu’elle ne sait pas ce qu’elle doit faire avec l’attestation médicale. Après le contact téléphonique avec le travailleur, elle a dû valider avec le contrôleur de l’entreprise la marche à suivre en pareille circonstance dans un contexte où il n’y a pas eu de perte de temps. À la recommandation du contrôleur, elle classe l’attestation médicale du travailleur dans son dossier pour ne donner suite qu’au moment où le travailleur la contacte pour valider si son dossier est ouvert.
[37] La Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur était en droit de s’attendre à ce que quelqu’un chez l’employeur donne suite à l’attestation médicale et aux reçus que le travailleur expédiait pour les fais médicaux qu’il engageait. Le travailleur s’est toujours conformé à la procédure en cours chez l’employeur qui consiste à lui soumettre les documents médicaux à ce dernier.
[38] Il est juste de prétendre qu’il est de la responsabilité du travailleur de produire une réclamation à la CSST mais, en vertu de l’article 270 de la loi, il est aussi de la responsabilité de l’employeur d’assister le travailleur dans la rédaction de sa réclamation en lui fournissant les informations requises à cette fin.
[39] Or, sans chercher la faute, la Commission des lésions professionnelles estime que la confusion est née du fait que madame Pimentel, de bonne foi, ne savait pas quoi faire. Elle n’a pu conseiller le travailleur en lui fournissant les informations requises donc encore moins l’assister dans la démarche impérative à poser pour qu’il puisse faire valoir ses droits à la CSST. Le travailleur a cru que madame Pimentel avait informé la CSST d’une quelconque façon et qu’un dossier était ouvert. C’est l’objet de son appel en août 2009 alors qu’il apprend que rien n’a été fait, l’employeur ayant décidé de classer son attestation à son dossier.
[40] Cette conviction était bien établie pour le travailleur qui croyait que la démarche pour ouvrir un dossier à la CSST passait par madame Pimentel. Elle l’était aussi pour madame Pimentel qui a précédé le travailleur en expédiant, dès le 1er septembre 2009, une lettre à la CSST l’enjoignant d’ouvrir un dossier au nom du travailleur alors que ce dernier remplit son formulaire de réclamation que le 3 septembre 2009.
[41] La Commission des lésions professionnelles estime que cette confusion est un motif raisonnable permettant de relever le travailleur des conséquences de son défaut d’avoir produit sa réclamation dans le délai imparti à la loi. Elle est d’avis que la réclamation du 3 septembre 2009 est recevable.
[42] La Commission des lésions professionnelles constate, du témoignage de madame Pimentel, que l’employeur tient beaucoup au travailleur. Il ne semble pas y avoir de questionnement quant à la survenance de la lésion. Certes, il reste à déterminer si cette lésion est de nature professionnelle. Le dossier est retourné au greffe du tribunal pour que les parties soient convoquées à nouveau et entendues sur cet aspect. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles invite les parties à la conciliation.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Gaston Boisvert du 8 février 2010;
INFIRME la décision rendue le 3 février 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la réclamation produite le 3 septembre 2009 est recevable;
RETOURNE le dossier au greffe du tribunal pour que les parties soient convoquées à nouveau pour être entendues sur le fond du litige.
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Diane Beauregard |
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Me Michel Cyr |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Ionna Lianis |
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Leblanc Lamontagne Associés |
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Représentante de la partie intéressée |
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AVIS :
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