Morand et Forage Expert GR inc.

2007 QCCLP 3114

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jérôme

22 mai 2007

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

278115-64-0512

 

Dossier CSST :

128009073

 

Commissaire :

Martine Montplaisir

 

Membres :

Jacynthe Fortin, associations d’employeurs

 

Stéphane Marinier, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Robert Morand

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Forage Expert G.R. inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 13 dĂ©cembre 2005, monsieur Robert Morand dĂ©pose une requĂŞte Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles Ă  l'encontre d'une dĂ©cision rendue par la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST) Ă  la suite d'une rĂ©vision administrative, le 1er novembre 2005.

[2]                Par cette dĂ©cision, la CSST dĂ©clare que la rĂ©clamation pour la lĂ©sion professionnelle allĂ©guĂ©e par monsieur Morand le 12 dĂ©cembre 2003 est irrecevable, qu’il n'a pas droit aux prestations prĂ©vues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’il devra rembourser le montant de 1 193,54 $ qui lui a Ă©tĂ© versĂ© Ă  titre d'indemnitĂ© de remplacement du revenu pour la pĂ©riode du 30 mai au 12 juin 2005.

[3]                Le 26 fĂ©vrier 2007, la Commission des lĂ©sions professionnelles tient une audience Ă  Saint-JĂ©rĂ´me Ă  laquelle monsieur Morand est prĂ©sent et est reprĂ©sentĂ© par Me Marie-Anne Roiseux.  La CSST est reprĂ©sentĂ©e par Me François Bilodeau.  Forage Expert G.R. inc. (l'employeur) n'est pas reprĂ©sentĂ© Ă  l'audience.

[4]                Les parties ont demandĂ© de ne procĂ©der que sur la question de la recevabilitĂ© de la rĂ©clamation pour la lĂ©sion professionnelle allĂ©guĂ©e de monsieur Morand et de reporter, s'il y a lieu, l'audience sur le fond de la contestation Ă  une date ultĂ©rieure.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                Monsieur Morand demande de dĂ©clarer que sa rĂ©clamation pour la lĂ©sion professionnelle allĂ©guĂ©e du 12 dĂ©cembre 2003 est recevable.

L'AVIS DES MEMBRES

[6]                Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis qu’il y a lieu d'accueillir la requĂŞte de monsieur Morand, d'infirmer la dĂ©cision rendue par la CSST Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative le 1er novembre 2005 et de dĂ©clarer que la rĂ©clamation que monsieur Morand a dĂ©posĂ©e Ă  la CSST le 13 juin 2005 pour la lĂ©sion professionnelle allĂ©guĂ©e du 12 dĂ©cembre 2003 est recevable.

[7]                Ce n'est qu'au mois de mai 2005 que monsieur Morand avait un intĂ©rĂŞt Ă  rĂ©clamer, ce qui constitue un motif raisonnable pour le relever des consĂ©quences de son dĂ©faut de respecter le dĂ©lai prescrit par l'article 270 de la loi.  

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]                Dans le prĂ©sent cas, monsieur Morand admet que la date de la lĂ©sion est le 12 dĂ©cembre 2003, date Ă  laquelle il allègue la survenance d'un fait accidentel.

[9]                Monsieur Morand reconnaĂ®t qu’il a dĂ©posĂ© sa rĂ©clamation pour la lĂ©sion professionnelle allĂ©guĂ©e du 12 dĂ©cembre 2003 en juin 2005 seulement, soit plus de six mois après le fait accidentel en question.

[10]           MalgrĂ© ce dĂ©lai, il demande de reconnaĂ®tre que sa rĂ©clamation est recevable, car il n'avait pas intĂ©rĂŞt Ă  dĂ©poser celle-ci avant le mois de mai 2005.  Si le tribunal dĂ©cide que sa rĂ©clamation a Ă©tĂ© produite après l'expiration du dĂ©lai prescrit par la loi, monsieur Morand demande de dĂ©clarer qu’il avait un motif raisonnable pour expliquer ce retard et de le relever des consĂ©quences de son dĂ©faut d'avoir respectĂ© ce dĂ©lai.

[11]           La Commission des lĂ©sions professionnelles doit donc dĂ©terminer si monsieur Morand a produit sa rĂ©clamation pour sa lĂ©sion professionnelle allĂ©guĂ©e du 12 dĂ©cembre 2003 dans le dĂ©lai prescrit par la loi et, dans la nĂ©gative, s'il a prĂ©sentĂ© un motif raisonnable pour ĂŞtre relevĂ© des consĂ©quences de son dĂ©faut d'avoir respectĂ© ce dĂ©lai.

[12]           Les articles 270 et 271 de la loi prĂ©voient ce qui suit en ce qui a trait au dĂ©lai pour produire une rĂ©clamation Ă  la CSST pour une lĂ©sion professionnelle :

270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.

 

L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.

 

Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.

__________

1985, c. 6, a. 270.

 

 

271. Le travailleur victime d'une lĂ©sion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delĂ  de la journĂ©e au cours de laquelle s'est manifestĂ©e sa lĂ©sion ou celui Ă  qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durĂ©e de son incapacitĂ©, produit sa rĂ©clamation Ă  la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lĂ©sion.

__________

1985, c. 6, a. 271.

 

[13]           Les articles 265 et 266 de la loi, d’autre part, prĂ©voient ce qui suit en ce qui a trait Ă  la procĂ©dure de rĂ©clamation et Ă  l'avis qu'un travailleur doit donner Ă  son employeur :

265. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ou, s'il est décédé ou empêché d'agir, son représentant, doit en aviser son supérieur immédiat, ou à défaut un autre représentant de l'employeur, avant de quitter l'établissement lorsqu'il en est capable, ou sinon dès que possible.

__________

1985, c. 6, a. 265; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

266. Cet avis est suffisant s'il identifie correctement le travailleur et s'il décrit dans un langage ordinaire, l'endroit et les circonstances entourant la survenance de la lésion professionnelle.

 

L'employeur facilite au travailleur et à son représentant la communication de cet avis.

 

La Commission peut mettre Ă  la disposition des employeurs et des travailleurs des formulaires Ă  cette fin.

__________

1985, c. 6, a. 266.

 

 

[14]           Il ressort des articles 270 et 271 qu'un travailleur doit produire sa rĂ©clamation « dans les six mois de sa lĂ©sion Â».

[15]           La jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lĂ©sions professionnelles (la Commission d’appel) et de la Commission des lĂ©sions professionnelles a dĂ©veloppĂ© diffĂ©rentes approches relatives Ă  la dĂ©termination du point de dĂ©part du dĂ©lai prĂ©vu par la loi pour dĂ©poser une rĂ©clamation pour une lĂ©sion professionnelle.

[16]           Dans le cas des articles 270 et 271, un premier courant jurisprudentiel reconnaĂ®t le principe selon lequel la rĂ©clamation doit ĂŞtre produite dans les six mois de la lĂ©sion, et ce, peu importe que la victime de la lĂ©sion professionnelle s'absente ou non de son travail[2]. 

[17]           Un second courant jurisprudentiel en arrive Ă  une interprĂ©tation diffĂ©rente des articles 270 et 271 et reconnaĂ®t le principe selon lequel le dĂ©lai prĂ©vu Ă  ces articles commence Ă  courir Ă  partir du moment oĂą le travailleur prĂ©sente un intĂ©rĂŞt rĂ©el et actuel Ă  dĂ©poser une rĂ©clamation, Ă  savoir notamment Ă  compter du dĂ©but de la pĂ©riode d'incapacitĂ© Ă  travailler[3]. 

[18]           La soussignĂ©e considère, pour sa part, que l'interprĂ©tation des articles 270 et 271 qui correspond le plus au texte de la loi est celle selon laquelle le dĂ©lai doit ĂŞtre calculĂ© Ă  compter de la lĂ©sion et non celle qui soutient que ce dĂ©lai commence Ă  courir Ă  partir du moment oĂą le travailleur prĂ©sente un intĂ©rĂŞt rĂ©el et actuel Ă  dĂ©poser une rĂ©clamation. 

[19]           Le tribunal estime, toutefois, que l'intĂ©rĂŞt rĂ©el et actuel est un critère dont il faut nĂ©anmoins tenir compte dans certains cas.   

[20]           La Commission des lĂ©sions professionnelles constate, tout d'abord, que le libellĂ© utilisĂ© Ă  l'article 270 diffère de celui utilisĂ© Ă  l'article 271.

[21]           Ă€ l'article 270, qui vise le cas du travailleur qui est incapable d'exercer son emploi pendant plus de quatorze jours complets en raison d'une lĂ©sion professionnelle ou le cas du travailleur qui a subi une atteinte permanente Ă  son intĂ©gritĂ© physique ou psychique en raison d'une lĂ©sion professionnelle ou le cas du travailleur dĂ©cĂ©dĂ© en raison d'une lĂ©sion professionnelle, le lĂ©gislateur Ă©crit que le travailleur ou le bĂ©nĂ©ficiaire produit sa rĂ©clamation Ă  la CSST « sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lĂ©sion ou du dĂ©cès Â». 

[22]           Ă€ l'article 271, qui vise le cas du travailleur victime d'une lĂ©sion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delĂ  de la journĂ©e au cours de laquelle s'est manifestĂ©e sa lĂ©sion ou le cas du travailleur Ă  qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60[4], le lĂ©gislateur Ă©crit que le travailleur produit sa rĂ©clamation Ă  la CSST « s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lĂ©sion Â». 

[23]           Le tribunal note que le lĂ©gislateur utilise les termes « s'il y a lieu Â» Ă  l'article 271 de la loi, ce qu'il ne fait pas Ă  l'article 270.  Comme le lĂ©gislateur ne parle pas pour ne rien dire, il faut se demander pourquoi il fait cette distinction entre ces deux articles. 

[24]           La soussignĂ©e estime que l'insertion de cette expression Ă  l'article 271 a pour but de souligner le fait que dans les cas visĂ©s Ă  l'article 271, le travailleur peut ou non avoir un intĂ©rĂŞt Ă  dĂ©poser une rĂ©clamation Ă  la CSST. 

[25]           En effet, un travailleur a un tel intĂ©rĂŞt dans les cas oĂą il a droit au remboursement d'une prestation en raison d'une lĂ©sion professionnelle.  Dans ces cas, il y a lieu pour le travailleur qui dĂ©sire rĂ©clamer de telles prestations de produire une rĂ©clamation Ă  la CSST sur le formulaire qu'elle prescrit dans les six mois de sa lĂ©sion, tel que le prĂ©voit le libellĂ© de l'article 271 de la loi.  Dans le cas contraire, il n'y a pas lieu de produire une rĂ©clamation Ă  la CSST puisque l'on ne produit pas une rĂ©clamation lorsqu'il n'y a rien Ă  rĂ©clamer. 

[26]           Ă€ l'article 270, le lĂ©gislateur n'utilise pas les termes « s'il y a lieu Â», car dans chacun des cas visĂ©s par cet article, il y a nĂ©cessairement lieu de produire une rĂ©clamation Ă  la CSST.  Effectivement, chacun de ces cas donne droit au travailleur Ă  des prestations. 

[27]           C'est le cas du travailleur qui est incapable d'exercer son emploi pendant plus de quatorze jours complets en raison d'une lĂ©sion professionnelle.  L'article 44 de la loi prĂ©voit notamment qu'un travailleur qui devient incapable d'exercer son emploi en raison d'une lĂ©sion professionnelle a droit Ă  une indemnitĂ© de remplacement du revenu.

[28]           C'est Ă©galement le cas du travailleur qui subit une atteinte permanente Ă  son intĂ©gritĂ© physique ou psychique en raison d'une lĂ©sion professionnelle, car en vertu de l'article 83 de la loi, ce travailleur a droit Ă  une indemnitĂ© pour prĂ©judice corporel.

[29]           C'est aussi le cas d'un travailleur qui dĂ©cède en raison d'une lĂ©sion professionnelle.  L'article 97 de la loi prĂ©voit que le dĂ©cès d'un travailleur en raison d'une lĂ©sion professionnelle donne droit Ă  ses bĂ©nĂ©ficiaires aux indemnitĂ©s de dĂ©cès prĂ©vues Ă  la section III du chapitre III de la loi.

[30]           La soussignĂ©e considère, en consĂ©quence, que le dĂ©lai de production d'une rĂ©clamation prĂ©vu Ă  l'article 270 de la loi commence nĂ©cessairement Ă  courir Ă  compter de la date de la lĂ©sion, tel que le stipule cet article.

[31]           Les termes « de la lĂ©sion Â» utilisĂ©s par le lĂ©gislateur aux articles 270 et 271 ont, par ailleurs, Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©s de diffĂ©rentes manières. 

[32]           Dans certains cas, la Commission d'appel et la Commission des lĂ©sions professionnelles ont considĂ©rĂ© que le moment de la lĂ©sion Ă©tait dĂ©terminĂ© Ă  partir de l'instant oĂą un diagnostic Ă©tait posĂ©[5].  


[33]           Dans d'autres cas, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que le dĂ©lai se compte Ă  partir de la survenance de la blessure ou de la maladie[6] ou encore Ă  compter du moment oĂą les mĂ©decins remettent au travailleur une Attestation mĂ©dicale[7]. 

[34]           Enfin, certains ont considĂ©rĂ© que le dĂ©lai doit commencer Ă  courir Ă  compter de la manifestation de la lĂ©sion[8].

[35]           La soussignĂ©e estime, pour sa part, que le dĂ©lai doit commencer Ă  courir Ă  compter de la manifestation de la lĂ©sion, mais que l'Ă©valuation du moment de la manifestation de la lĂ©sion ne peut toujours ĂŞtre dĂ©terminĂ©e selon une règle fixe préétablie puisque chaque cas doit ĂŞtre apprĂ©ciĂ© selon les circonstances propres de l'espèce. 

[36]           Effectivement, le terme « lĂ©sion Â» est dĂ©fini au dictionnaire Le nouveau petit Robert[9] comme une « modification de la structure normale d'une partie de l'organisme, Ă  la suite d'une affection, d'un accident. Â»Â 

[37]           Dans certains cas, une lĂ©sion se manifeste par des signes objectifs apparents (plaie, saignement ou autre) et non Ă©quivoques.  Il est donc aisĂ© d'Ă©tablir le moment de sa manifestation. 

[38]           Dans d'autres cas, toutefois, la lĂ©sion se manifeste graduellement et mĂŞme parfois de façon insidieuse si bien que l'intervention d'un professionnel de la santĂ© est parfois nĂ©cessaire pour Ă©tablir son existence.  C'est la raison pour laquelle la jurisprudence qui porte sur le point de dĂ©part du dĂ©lai prĂ©vu aux articles 270 et 271 en arrive Ă  des rĂ©sultats qui peuvent sembler divergents lorsqu'il s'agit d'Ă©tablir Ă  partir de quel moment il y a lieu de considĂ©rer que la lĂ©sion s'est manifestĂ©e. 

[39]           La soussignĂ©e est donc d'avis qu'il est prĂ©fĂ©rable, en cette matière, de privilĂ©gier une approche de cas par cas et d'analyser les circonstances propres de chaque affaire afin de dĂ©terminer Ă  quel moment la lĂ©sion s'est manifestĂ©e.

[40]           Dans le prĂ©sent cas, monsieur Morand reconnaĂ®t que la date de la lĂ©sion est le 12 dĂ©cembre 2003, date de la survenance du fait accidentel allĂ©guĂ© par ce dernier.

[41]           Le tribunal constate, par ailleurs, que monsieur Morand a consultĂ© un mĂ©decin en date du 23 dĂ©cembre 2003 et que ce dernier n'a pas jugĂ© nĂ©cessaire de le retirer du travail.

[42]           Monsieur Morand explique, Ă  l'audience, que son mĂ©decin lui a prescrit une injection de cortisone, mais que ce traitement n'a pas apportĂ© d'amĂ©lioration de son Ă©tat.  Devant cet Ă©chec, le mĂ©decin a recommandĂ© un examen par rĂ©sonance magnĂ©tique, lequel a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© le 15 juin 2004 et a rĂ©vĂ©lĂ©, selon l'interprĂ©tation du docteur P. Kaplan, une dĂ©chirure complète du tendon supraĂ©pineux. 

[43]           Monsieur Morand relate que vers la fin de l'Ă©tĂ© 2004, son mĂ©decin a pris connaissance du rapport d'interprĂ©tation du docteur Kaplan.  Il a alors recommandĂ© une intervention chirurgicale, mais n'Ă©tait pas en mesure, Ă  cette Ă©poque, de prĂ©ciser la date de l'opĂ©ration.  Monsieur Morand a donc continuĂ© Ă  effectuer son travail habituel jusqu'au vendredi 27 mai 2005, date Ă  laquelle on l'a informĂ© que l'intervention Ă©tait prĂ©vue pour le lundi suivant, 30 mai 2005. 

[44]           Étant devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lĂ©sion, monsieur Morand a signĂ© le formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement le 8 juin 2005, lequel a Ă©tĂ© dĂ©posĂ© Ă  la CSST en date du 13 juin 2005.

[45]           Le tribunal constate que les dispositions de l'article 270 de la loi ne s'appliquent pas Ă  la lĂ©sion en raison de laquelle monsieur Morand a consultĂ© un mĂ©decin en date du 23 dĂ©cembre 2003 puisque ce dernier n'est pas devenu incapable d'exercer son emploi pendant plus de quatorze jours complets Ă  ce moment, qu'il n'a pas subi une atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© physique ou psychique et qu'il n'a pas subi de lĂ©sion entraĂ®nant son dĂ©cès. 

[46]           C'est plutĂ´t l'article 271 de la loi qui s'appliquait au cas de monsieur Morand Ă  l'Ă©poque puisque la lĂ©sion en raison de laquelle il a consultĂ© un mĂ©decin en date du 23 dĂ©cembre 2003 ne l'a pas rendu incapable d'exercer son emploi au-delĂ  de la journĂ©e au cours de laquelle elle s'est manifestĂ©e. 

[47]           Le tribunal constate, d’autre part, que le mĂ©decin que monsieur Morand a consultĂ© en date du 23 dĂ©cembre 2003 lui a prescrit une infiltration de cortisone et, devant l'insuccès de ce traitement, a recommandĂ© un examen par rĂ©sonance magnĂ©tique. 

[48]           Monsieur Morand avait donc un intĂ©rĂŞt, Ă  cette Ă©poque, Ă  produire une rĂ©clamation Ă  la CSST dans la mesure oĂą il dĂ©sirait rĂ©clamer le remboursement du coĂ»t de ce traitement et de cet examen. 

[49]           Dans les faits, monsieur Morand n'a pas produit de rĂ©clamation Ă  la CSST pour obtenir le remboursement de frais encourus pour une infiltration, car aucuns frais ne lui ont Ă©tĂ© rĂ©clamĂ©s pour ce traitement. 

[50]           Il explique, par ailleurs, que les frais relatifs Ă  l'examen par rĂ©sonance magnĂ©tique ont Ă©tĂ© remboursĂ©s par une assurance collective. 

[51]           Monsieur Morand n'a donc pas engagĂ© de frais pour le traitement qu’il a reçu ni pour l'examen qu’il a subi en relation avec la lĂ©sion du 12 dĂ©cembre 2003. 

[52]           Monsieur Morand a, par ailleurs, respectĂ© la procĂ©dure prĂ©vue aux articles 265 et 266 de la loi puisque, selon son tĂ©moignage non contredit, il a dĂ©clarĂ© sa lĂ©sion au reprĂ©sentant de son employeur le mĂŞme jour et a rempli le formulaire interne de l'employeur intitulĂ© Registre d'accidents de travail. 

[53]           Le tribunal estime que monsieur Morand n'avait donc pas, Ă  l'Ă©poque, Ă  produire une autre rĂ©clamation Ă  la CSST pour cette lĂ©sion dans la mesure oĂą il ne rĂ©clamait pas le remboursement de prestations Ă  la CSST.

[54]           Effectivement, l'article 271 de la loi ne crĂ©e pas d'obligation pour le travailleur de dĂ©poser une rĂ©clamation comme c'est le cas Ă  l'article 270, car Ă  l'article 271, le lĂ©gislateur utilise les termes « s'il y a lieu Â». 

[55]           Le tribunal est d'avis qu'il y aurait eu lieu de dĂ©poser une rĂ©clamation Ă  la CSST, seulement dans l'hypothèse oĂą monsieur Morand avait dĂ©sirĂ© rĂ©clamer des frais engagĂ©s en raison de cette lĂ©sion.

[56]           En dĂ©cembre 2003, monsieur Morand a considĂ©rĂ© qu'il n'y avait pas lieu de rĂ©clamer des prestations Ă  la CSST.  Il s'est donc limitĂ© Ă  dĂ©clarer l'Ă©vĂ©nement Ă  son employeur conformĂ©ment Ă  la procĂ©dure prĂ©vue aux articles 265 et 266 de la loi, ce qui, de l'avis de la soussignĂ©e, s'avĂ©rait tout Ă  fait suffisant Ă  l'Ă©poque.  Il y a effectivement une diffĂ©rence Ă  faire entre la dĂ©claration d'un Ă©vĂ©nement — qui est prĂ©vue aux articles 265 et 266 de la loi — et la rĂ©clamation de prestations — qui est prĂ©vue aux articles 270 et suivants de la loi. 

[57]           Monsieur Morand relate, par ailleurs, qu'Ă  la fin de l'Ă©tĂ© 2004, il a appris qu’il devait subir une intervention chirurgicale, mais que son mĂ©decin n'Ă©tait pas en mesure, Ă  cette Ă©poque, de lui prĂ©ciser la date de l'opĂ©ration.

[58]           Le tribunal estime que monsieur Morand n'avait pas non plus Ă  dĂ©poser une rĂ©clamation Ă  la CSST en 2004 puisqu'il n'y avait pas lieu de rĂ©clamer quoi que ce soit Ă  ce moment. 

[59]           Ă€ cette Ă©poque, l'article 270 de la loi ne s'appliquait pas non plus puisque monsieur Morand n'Ă©tait pas incapable d'exercer son emploi pendant plus de quatorze jours complets, qu'il n'avait pas subi une atteinte permanente Ă  l’intĂ©gritĂ© physique ou psychique et qu'il n'avait pas subi une lĂ©sion entraĂ®nant son dĂ©cès. 

[60]           Ă€ compter du 30 mai 2005, monsieur Morand a Ă©tĂ© retirĂ© du travail en raison de l'intervention chirurgicale pratiquĂ©e le mĂŞme jour et est devenu incapable d'exercer son emploi pendant plus de quatorze jours complets. 

[61]           Le tribunal constate que la lĂ©sion Ă  l'Ă©paule droite subie par monsieur Morand le 12 dĂ©cembre 2003 et qui ne le rendait pas incapable d'exercer son emploi au-delĂ  de la journĂ©e au cours de laquelle elle s'Ă©tait manifestĂ©e est devenue, Ă  compter du 30 mai 2005, une lĂ©sion le rendant incapable d'exercer son emploi pendant plus de quatorze jours complets. 

[62]           Dans les deux cas, la date de la lĂ©sion demeure la mĂŞme puisqu'il s'agit de la lĂ©sion Ă  l'Ă©paule droite subie par monsieur Morand le 12 dĂ©cembre 2003. 

[63]           Ainsi, lorsque le 13 juin 2005, monsieur Morand dĂ©pose sa rĂ©clamation Ă  la CSST pour la lĂ©sion professionnelle allĂ©guĂ©e du 12 dĂ©cembre 2003 le rendant incapable d'exercer son emploi Ă  compter du 30 mai 2005, le dĂ©lai prescrit Ă  l'article 270 est Ă©chu.

[64]           Dans une telle situation, le tribunal estime, toutefois, qu'une rĂ©clamation dĂ©posĂ©e après l'expiration du dĂ©lai peut ĂŞtre dĂ©clarĂ©e recevable puisque le fait d'attendre au moment de l'incapacitĂ© de travailler pour la produire Ă  la CSST peut constituer un motif raisonnable[10].

[65]           L'article 352 de la loi permet Ă  la CSST et Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles de prolonger un dĂ©lai pour l'exercice d'un droit ou de relever une personne des consĂ©quences de son dĂ©faut de le respecter, lorsque la personne
dĂ©montre un motif raisonnable pour expliquer son retard.  Cet article est libellĂ© comme suit :

352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.

__________

1985, c. 6, a. 352.

 

 

[66]           Dans le prĂ©sent cas, le tribunal considère que ce n'est qu'au mois de mai 2005 que monsieur Morand avait un intĂ©rĂŞt Ă  rĂ©clamer, ce qui constitue un motif raisonnable pour le relever des consĂ©quences de son dĂ©faut de respecter le dĂ©lai prescrit par l'article 270 de la loi.  

[67]           Le tribunal ne retient pas l'argument du reprĂ©sentant de la CSST qui soutient que monsieur Morand aurait dĂ» rĂ©clamer Ă  la fin de l'Ă©tĂ© 2004, soit au moment oĂą il a su qu’il devait ĂŞtre opĂ©rĂ© et qu’il deviendrait incapable d'exercer son emploi dans le futur.

[68]           Effectivement, tel que le souligne la Commission des lĂ©sions professionnelles dans l'affaire Bonenfant et Fondation PĂ©trifond cie ltĂ©e et Geodex inc.[11], « on ne soumet pas une rĂ©clamation pour obtenir une dĂ©cision de type dĂ©claratoire sur le caractère professionnel d'une lĂ©sion Â».  La rĂ©clamation a plutĂ´t pour but d'obtenir rĂ©paration par le paiement d'une indemnitĂ© ou d'une autre.  

[69]           Le tribunal considère, en outre, que le fait que monsieur Morand ait choisi de rĂ©clamer Ă  son rĂ©gime d'assurance le coĂ»t de l'examen par rĂ©sonance magnĂ©tique ne lui fait pas perdre le droit de rĂ©clamer Ă  la CSST puisqu'en matière de dĂ©lai, « il faut privilĂ©gier une interprĂ©tation qui favorise l'exercice des droits plutĂ´t que l'inverse Â»[12] comme le souligne la Commission des lĂ©sions professionnelles dans l'affaire Viger et C.H.U.Q. (Pavillon HĂ´tel-Dieu)[13] en rappelant les principes qui se dĂ©gagent de l'arrĂŞt rendu par la Cour d'appel dans N.A. CrĂ©dit services inc. c. 153226 Canada inc.[14]

[70]           La rĂ©clamation dĂ©posĂ©e par monsieur Morand le 13 juin 2005 est donc recevable.


POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requĂŞte de monsieur Robert Morand en date du 13 dĂ©cembre 2005 relativement Ă  la recevabilitĂ© de sa rĂ©clamation pour la lĂ©sion professionnelle allĂ©guĂ©e du 12 dĂ©cembre 2003 ;

INFIRME la dĂ©cision rendue par la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail Ă  la suite d'une rĂ©vision administrative le 1er novembre 2005 ;

DÉCLARE que la rĂ©clamation pour la lĂ©sion professionnelle allĂ©guĂ©e par monsieur Morand le 12 dĂ©cembre 2003 est recevable ;

CONVOQUERA à nouveau les parties à une audience sur le fond de la contestation déposée par monsieur Morand le 13 décembre 2005.

 

 

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Martine Montplaisir

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Marie-Anne Roiseux

C.S.D.

Représentante de la partie requérante

 

 

Me François Bilodeau

Panneton Lessard

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           BĂ©rubĂ© et Thiro ltĂ©e, C.A.L.P. 17265-01-9002, 30 janvier 1992, G. Godin, rĂ©vision rejetĂ©e, 5 fĂ©vrier 1993, R. Jolicoeur ; Donegani et Banque Nationale du Canada, C.A.L.P. 34385-60-9111, 3 novembre 1993, A. Archambault ; Gascon et Emploi & Immigration Canada, C.A.L.P. 54152-64-9310, 25 octobre 1994, L. Boucher.

[3]           Costanzo et Chemins de fer nationaux, C.A.L.P. 08009-60-8806, 28 novembre 1990, J.-P. Dupont ; DesgagnĂ© et ÉlectricitĂ© Michel Langlois, C.A.L.P. 08936-62-8808, 3 dĂ©cembre 1990, G. Robichaud ; Lupien et C.K.S.M. AM 122, [1991] C.A.L.P. 1084  ; Vignone et Restaurant BĂ©langer Pizzeria inc., C.A.L.P. 17729-60-9003, 8 septembre 1992, B. Lemay ; Barrette et G.E. Canada inc., C.A.L.P. 45066-09-9211, 20 octobre 1994, R. Jolicoeur ; BeauprĂ© et Collège Ahuntsic, C.A.L.P. 70488-60-9506, 3 dĂ©cembre 1996, M. Lamarre ; Parent et Institut Technique Aviron, C.L.P. 114494-73-9903, 18 novembre 1999, F. Juteau, (99LP-193) ; Caron et Dynavent inc., C.L.P. 116352-04-9905, 7 janvier 2000, M. Bellemare ; Durocher et Transport Cabano-Kingsway inc., C.L.P. 130142-64-0001, 29 septembre 2000, L. Couture ; Gravel et A.C.R.G.T.Q., C.L.P. 122537-32-9908, 27 juin 2002, C. Lessard ; Audet et Hydro-QuĂ©bec, C.L.P. 177852-32-0202, 13 janvier 2003, C. Lessard, rĂ©vision rejetĂ©e, 18 novembre 2003, H. ThĂ©riault.

[4]           Quelle que soit la durée de son incapacité

[5]           Éthier et Rolland inc., [1992] C.A.L.P. 1450 , rĂ©vision rejetĂ©e, 20613-64-9007, 26 janvier 1994, G. Perreault ; Paradis et Sozio Construction ltĂ©e, C.A.L.P. 41619-01-9207, 6 juillet 1994, R. Ouellet ; Pilote et Fernand Gilbert ltĂ©e, C.A.L.P. 60871-03-9407, 4 dĂ©cembre 1995, C. BĂ©rubĂ© ; Bernard et Resto-Casino inc., C.L.P. 130173-62-0001, 17 juillet 2000, H. Marchand ; Martin et SociĂ©tĂ© de transport de MontrĂ©al, C.L.P. 197126-71-0212, 3 dĂ©cembre 2003, L. Couture.

[6]           Williams et Centre hospitalier Douglas, C.A.L.P. 85154-62-9612, 7 octobre 1997, S. Di Pasquale

[7]           Provost et CoopĂ©rative forestière Hautes-Laurentides, C.L.P. 90680-64-9708, 25 mai 1998, B. Roy

[8]           Poulin et C.U.M., C.A.L.P. 29349-62-9105, 6 mai 1993, J.-C. Danis ; Ostiguy et Ministère de la DĂ©fense nationale, C.A.L.P. 76593-62-9602, 18 avril 1996, M. Kolodny ; Brunet et Brunet & Brunet inc., C.A.L.P. 75083-64-9512, 17 dĂ©cembre 1997, M. Kolodny.

[9]           Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabĂ©tique et analogique de la langue française, nouv. Ă©d. remaniĂ©e et amplifiĂ©e, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1996, 2551 p.

[10]         Wojtaszczyk et Bas de nylon Doris ltĂ©e, [1996] C.A.L.P. 1472  ; Gascon et Compuset Canada inc., C.L.P. 125533-62-9910, 14 mars 2000, G. Godin ; Lapointe et 29411902 Canada inc., C.L.P. 155972-63-0102, 14 avril 2002, R.-M. Pelletier ; Viger et C.H.U.Q. (Pavillon HĂ´tel-Dieu), [2003] C.L.P. 1669  ; Arsenault et Ass. Coop. Forestière St-ElzĂ©ar, C.L.P. 219118-01C-0310, 4 juin 2004, Y. Vigneault.

[11]         C.L.P. 269913-61-0508, 14 juillet 2006, L. Nadeau

[12]         Bonenfant et Fondation Pétrifond cie ltée et Geodex inc., précitée, note 11

[13]         Précitée, note 10

[14]         [1998] R.D.J. 83 (C.A.)

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