Girard c. Desjardins Sécurité financière |
2011 QCCQ 9896 |
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JP 1405 |
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«Division des petites créances» |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE ROBERVAL |
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Localité de Dolbeau-Mistassini |
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« Chambre civile » |
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N°: |
175-32-000062-102 |
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DATE : |
20 juin 2011
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE Madame la juge Micheline Paradis, J.C.Q. |
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RÉJEAN GIRARD, |
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Demandeur |
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c. |
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DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE, |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur RÉJEAN GIRARD poursuit la défenderesse, Desjardins Sécurité Finaincière, pour les motifs suivants.
[2] La demandeur invoque que la partie défenderesse a pris plus de onze (11) mois pour le rembourser suite à une réclamation d'assurance invalidité.
[3] En effet, il y aurait eu erreur sur la personne puisqu'un autre Réjean Girard avait été en situation de refus d'assurabilité auparavant.
[4] Le demandeur reproche ce long délai à la partie défenderesse qui a entraîné une détérioration de sa situation financière.
[5] Les dommages-intérêts de 5 000 $ réclamés sont pour troubles, ennuis, inconvénients, graves préjudices au niveau de la crédibilité, bilan financier du demandeur et qualité de la cote de crédit.
LES FAITS
[6] Les faits dans ce dossier sont les suivants.
[7] Le 15 janvier 2008, la Caisse populaire Desjardins de Dolbeau-Mistassini a autorisé un crédit rotatif à Réjean Girard et sa conjointe Augustine Perron (pièce P-1).
[8] Ce contrat était accompagné d'une demande d'assurance auprès d'Assurance prêt Desjardins souscrite par les deux personnes inscrites à cette même date.
[9] À la question « Est-ce qu'une demande d'assurance a déjà été refusée… », la réponse fut « non » (pièce P-2).
[10] Le 3 août 2009, Réjean Girard transmet à la partie défenderesse une demande de prestation pour une invalidité qui a débuté le 22 avril 2009. Le demandeur souffrait alors d'une tendinite du tendon tibial postérieur gauche suivi par la suite d'une hernie discale cervicale (pièce D-3).
[11] Cela rendait le demandeur, qui est mécanicien/soudeur, invalide.
[12] Le 10 août 2009, la partie défenderesse écrit au demandeur afin de lui souligner que le 15 janvier 2008 il avait déclaré ne pas avoir subi de refus d'assurance et joint un formulaire à remplir qui concerne sa consommation de boissons alcooliques. Le formulaire est rempli et de retour à la compagnie d'assurances le 25 août 2009 (pièce D-4).
[13] Ledit formulaire sur les boissons alcooliques revient le 26 août 2009. Certaines réponses sur des traitements pour usage de boissons alcooliques, la participation à un groupe tel les AA, et des arrestations pour conduite avec facultés affaiblies, qui se méritent toutes un « non », sont retournées à l'assureur et reçues par la compagnie le 4 septembre 2009.
[14] Le 1er octobre 2009, le demandeur reçoit l'avis suivant :
« Sur les demandes d'assurance que vous avez signées le 15 janvier 2008 et le 6 octobre 2003, vous avez déclaré ne pas avoir eu de demande d'assurance refusée, annulée, acceptée avec surprime ou modifiée par un assureur sur la vie, alors que vous auriez dû répondre "oui".
En effet, une demande d'assurance a déjà été refusée, annulée, modifiée ou acceptée avec surprime par Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance vie, en 1972.
Vous deviez donc remplir un formulaire « Déclaration de bonne santé et rapport d'assurabilité » et le transmettre à notre service de la Sélection des risques afin d'évaluer votre admissibilité à l'assurance prêt.
Par conséquent, lors de la demande de prestations, nous avons dû procéder à l'évaluation de vos antécédents médicaux au moment de l'adhésion à l'assurance.
C'est pourquoi nous vous confirmons que vous n'auriez pas été accepté à l'assurance vie et invalidité. Si les réponses exactes avaient été fournies lors de l'adhésion, vous auriez appris notre décision à ce moment.
Lors d'une prochaine demande d'assurance, vous devrez répondre "oui" à la question du formulaire d'adhésion vous demandant si une demande d'assurance vous a déjà été refusée. » (pièce P-3)
[15] Le 13 octobre 2009, après que l'assuré eut de nouveau communiqué avec la compagnie d'assurances pour leur signifier son incompréhension, un nouveau formulaire fut transmis par la défenderesse pour une autorisation de contacter son médecin afin de connaître le motif du refus d'admissibilité (D-7).
[16] Le 4 novembre 2009, la compagnie d'assurances confirme avoir reçu l'autorisation médicale et enjoint l'assuré Réjean Girard de contacter son médecin.
[17] Le 21 décembre 2009, Réjean Girard communique de nouveau avec un représentant de l'assureur pour leur confirmer qu'il n'a jamais eu de refus et d'autant qu'à la date présumée, il était étudiant et n'avait même pas de compte de banque. Il y aurait un autre Réjean Girard né le […] 1955.
[18] La défenderesse réalise qu'il y a effectivement erreur d'identité sur la personne du demandeur.
[19] Elle procède à la correction des dossiers, débute l'étude de la demande de prestation, demande des nouveaux dossiers médicaux, etc., en sorte que la réclamation produite le 3 août 2009 n'est traitée qu'à compter du début janvier 2010, soit cinq (5) mois plus tard.
[20] Aucun traitement accéléré n'est mis en place à compter de cette date, la filière régulière est suivie, en sorte que le premier chèque de paiement est émis le 10 mars 2010, soit trois (3) autres mois et une (1) semaine plus tard.
[21] Le demandeur fait remonter la faute au 22 avril 2009, soit onze (11) mois avant le premier remboursement.
[22] Le demandeur Réjean Girard réclame des dommages-intérêts invoquant des troubles, ennuis et inconvénients, graves préjudices au niveau de sa crédibilité et de son bilan financier et cote de crédit.
[23] À l'audition, il fait état du stress subi (il pensait à cela toute la journée, il devait payer ses prêts).
[24] Ils ont survécu grâce aux contributions monétaires de sa conjointe qui a une garderie mais il s'est quand même retrouvé « dans le rouge ».
[25] Le demandeur a dû faire appel à l'aide d'un bureau d'avocats en novembre 2010 (coût = 219,21 $).
[26] La partie défenderesse conteste le recours en dommages du demandeur invoquant :
Ø qu'il s'est écoulé un court délai (3 mois) entre la rectification du dossier et le versement des premières primes ;
Ø qu'elle a toujours agi de bonne foi et en conformité avec ses obligations contractuelles lors du traitement de la demande de prestations du demandeur ;
Ø que la situation financière du demandeur ne s'est pas détériorée au point de lui causer de graves préjudices.
[27] Elle prétend donc ne pas devoir être tenue au paiement des dommages réclamés.
[28] Les prétentions de la compagnie d'assurance ont été élaborées lors de l'audition par Lucie Bilodeau, analyste aux affaires juridiques pour la partie défenderesse.
[29] Elle soutient qu'ils ont suivi le processus normal et qu'il n'y a pas eu de délai indu.
[30] L'assuré devait passer par son médecin pour connaître les raisons du refus.
[31] À partir du 21 décembre, ils ont traité le dossier à partir du début.
[32] Ils ont payé des intérêts.
LE DROIT
[33] Le Code civil du Québec établit les principes en matière de manquement de nature contractuelle :
Art. 1613 En matière contractuelle, le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir au moment où l'obligation a été contractée, lorsque ce n'est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu'elle n'est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.
Art. 1617 Les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation de payer une somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux convenu ou, à défaut de toute convention, au taux légal.
Le créancier y a droit à compter de la demeure sans être tenu de prouver qu'il a subi un préjudice.
Le créancier peut, cependant, stipuler qu'il aura droit à des dommages-intérêts additionnels, à condition de les justifier.
[34] La Cour suprême du Canada a rendu une décision très importante en cette matière et même s'il s'agissait de Common Law, Me Jean-Guy Bergeron est d'opinion que cette décision est applicable à notre droit civil :
« Doit-on appliquer les enseignements de la Cour suprême aux décisions du
Québec? Nous n'avons aucune hésitation à répondre positivement à cette question.
L'indemnisation des dommages contractuels est limitée aux dommages prévisibles,
selon l'article
[35] C'est également l'opinion exprimée par le juge Anne-Marie Trahan de la Cour supérieure du Québec. Elle est d'avis que « le but recherché par celui qui souscrit une assurance invalidité, soit la tranquillité d'esprit, est le même que l'on soit sous le régime de la Common Law ou du droit civil ».[2]
[36] Nous citerons trois extraits de la Cour suprême dans Fidler[3] qui expliquent bien ce principe :
« Lorsqu'une perte résulte de la violation du contrat elle-même, les dommages-intérêts seront déterminés en fonction de ce que les parties pouvaient raisonnablement envisager au moment de la formation du contrat. »
(…)
« Le marché conclu stipulait qu'en contrepartie du paiement des primes, l'assureur verserait des prestations à la demanderesse en cas d'invalidité. Il ne s'agit pas d'un simple contrat commercial. Il s'agit plutôt d'un contrat procurant des avantages matériels, comme des paiements et des avantages immatériels, comme l'assurance d'une sécurité de revenu en cas d'invalidité. Si l'assuré devient invalide et l'assureur fait défaut de verser les prestations prévues par la police, ce dernier porte atteinte à cette expectative raisonnable de sécurité. »
(…)
«[57] (…) Si l'assuré se fait injustement refuser les prestations, il peut se trouver dans l'impossibilité de subvenir à ses besoins. Cette pression financière s'ajoutant à la perte de son travail et à l'invalidité va vraisemblablement accroître l'angoisse et le stress de l'assuré. De plus, l'assuré invalide est confronté à la difficile tâche de pallier la perte de revenu causée par le refus de l'assureur de verser les prestations. […]
[58] C'est précisément pour se protéger contre cette insécurité et ce stress financier et émotionnels que les gens souscrivent des polices d'assurance-invalidité. Retarder sans justification le bénéfice de cette protection peut causer un stress énorme. »
[37] La faute lourde ou intentionnelle doit être considéré pour octroyer des dommages dans une situation semblable :
« 884 - Préjudice prévisible - En matière contractuelle, le Code civil exige que le préjudice réparable soit non seulement direct, mais aussi prévisible - sauf exception, examinée dans un instant. Cette condition de prévisibilité se fonde sur la volonté présumée des parties. La loi présume que celles-ci, ayant pu, lors de la formation du contrat, fixer exactement le contenu de leur engagement, étaient également en mesure de prévoir l'étendue des conséquences d'une éventuelle inexécution. La prévisibilité doit donc s'apprécier au jour où le contrat a été conclu. Le caractère prévisible du préjudice est aussi évalué selon un critère abstrait : quels sont les dommages qu'un contractant raisonnablement prudent et diligent pouvait prévoir dans les circonstances? »[4]
[38]
Par ailleurs, la notion de faute intentionnelle ou faute lourde est
circonscrit à l'article
Art. 1474 Une personne ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé à autrui par une faute intentionnelle ou une faute lourde; la faute lourde est celle qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières.
Elle ne peut aucunement exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui.
[39] Le débiteur sera tenu de réparer tous dommages directs, qu'ils soient prévisibles ou imprévisibles.
[40] Le débiteur doit assumer la responsabilité de sa mauvaise foi ou de sa négligence qui dénote une insouciance grossière quant aux conséquences pouvant résulter de son obligation.[5]
[41] Une faute résultant d'une insouciance ou d'une négligence grossière est suffisante :
« La faute lourde c'est le comportement qui, certes, n'implique pas l'intention de nuire ou la malhonnêteté, mais c'est tout comme: « on dirait qu'il le fait exprès » ! »
[42] L'inexécution doit par conséquent être fautive.
DÉCISION
[43] Qu'en est-il dans le présent dossier ?
[44] Dans le présent dossier, la partie défenderesse a :
Ø commis une première erreur dans l'évaluation de la réclamation en se trompant sur la personne de l'assuré ;
Ø cette erreur aurait été très facilement réparable par une vérification plus recherchée et/ou par un simple téléphone au cocontractant.
Ø au lieu de cela, la compagnie d'assurances a informé l'assuré qu'elle refusait la couverture mais sans lui en donner les motifs ;
Ø plutôt que d'agir avec son cocontractant, les assureurs ont exigé de celui-ci qu'il fournisse des autorisations pour que son médecin traitant puisse être informé des motifs de refus et ont fait remplir à l'assuré un questionnaire sur son alcoolisme présumé ;
Ø l'assuré a dû avoir recours aux services d'un avocat plusieurs mois après sa réclamation (août à fin décembre) pour que l'erreur d'identification soit reconnue et corrigée ;
Ø il s'agit ici d'une insouciance, d'un manque de diligence caractérisé qui représente une faute contractuelle lourde.
[45] Il y a plus ! En effet, une fois l'erreur reconnue, la compagnie d'assurances n'a fait aucune diligence pour un traitement rapide et/ou accéléré du dossier qu'on a tout simplement choisi de retraiter à la base.
[46] Cette faute est également sanctionnée par les tribunaux :
«[128] Le Tribunal conclut alors que le défaut de la défenderesse d'agir rapidement, un fois l'état d'invalidité de la demanderesse clairement établie, contrevient à ses obligations. Considérant la preuve relativement au stress et à l'inquiétude ressentie par la demanderesse, le Tribunal lui accorde la somme de 2 000 $. »[6]
[47] La défenderesse n'a pas agi dans un délai raisonnable et elle a ainsi dérogé à son obligation d'agir avec bonne foi et diligence dans le traitement de ce dossier.
[48] CONSIDÉRANT ce qui précède, dans le présent dossier, outre les versements en retard et les intérêts qu'elle a payés, la partie défenderesse devra verser à son assuré une somme de 3 000 $ en dommages-intérêts pour ennuis, troubles et inconvénients, y compris le stress psychologique et les conséquences monétaires (y compris les frais d'avocats) découlant directement de la faute contractuelle (lourde) de la partie défenderesse.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[49] ACCUEILLE la demande ;
[50]
CONDAMNE la partie défenderesse, Desjardins Sécurité
Financière, à payer au demandeur Réjean Girard la somme de 3 000 $ à
titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal et l'indemnité
additionnelle prévue à l'article
[51] AVEC DÉPENS limités au coût du timbre judiciaire de la demande de 159 $.
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__________________________________ Micheline Paradis Juge à la Cour du Québec |
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[1] Jean-Guy BERGERON, « Les obligations des parties après un sinistre », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 322, Développements récents en droit des assurances, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 73 à la page 141, 144.
[2]
Lebel c. Compagnie d'assurance-vie RBC,
[3]
Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d'assurance-vie,
[4] Jean-Louis BEAUDOIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 6e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 2005, p. 890-891, no 884.
[5] Karim VINCENT, Les Obligations, Vol. 2, p. 705
[6]
M. C. c. Industrielle Alliance ass. & services financiers inc.,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.