Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Proulx) c. Québec (Ministère de la Sécurité publique) |
2015 QCTDP 8 |
JN0334 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-53-000058-136 |
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DATE : |
28 avril 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
YVAN NOLET |
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AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS : |
Me Marie Pepin Me Pierre Angers |
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COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant en faveur de ÉRIC PROULX |
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Partie demanderesse |
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c. |
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MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE |
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SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DU QUÉBEC |
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CÉRAMIQUE DE CHOIX INC. |
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Parties défenderesses |
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ÉRIC PROULX |
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Partie victime
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JUGEMENT |
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[1] Le Tribunal des droits de la personne (ci-après cité le « Tribunal ») est saisi d’une demande introductive d’instance de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après citée la « Commission »). Celle-ci allègue que les défendeurs, à savoir, le ministère de la Sécurité publique (ci-après cité le « MSP »), la Société immobilière du Québec maintenant la Société québécoise des infrastructures (ci-après citée la « SQI ») et Céramique de choix inc. (ci-après citée « Céramique DC ») ont compromis le droit du plaignant Éric Proulx d’être traité en toute égalité sans discrimination fondée sur les antécédents judiciaires, réels ou perçus, le tout, contrairement à l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne[1] (ci-après citée la « Charte »).
[2] La Commission exerce le présent recours avec le consentement de monsieur Proulx. Elle demande au Tribunal de condamner solidairement les défendeurs à verser à monsieur Proulx 30 149,87 $ réparti comme suit :
a) 15 149,87 $ à titre de dommages matériels;
b) 10 000 $ à titre de dommages moraux en raison de l’atteinte à ses droits prévus à l’article 18.2 de la Charte;
c) 5 000 $ à titre de dommages punitifs en raison de l’atteinte illicite et intentionnelle aux droits de monsieur Proulx.
[3] Le Procureur général du Québec, agissant aux droits du MSP, et la SQI contestent les prétentions de la Commission et soutiennent que son recours doit être rejeté.
I. LE CONTEXTE
[4] Les parties ont convenu d’admissions qui situent précisément le contexte du présent recours.
[5] Monsieur Proulx détient un certificat de compétence de poseur de revêtement souple, compagnon, émis par la Commission de la construction du Québec.
[6] Il est à l'emploi de Céramique DC depuis le 23 août 2004 et travaille pour l’entreprise, sur appel, en fonction des projets que celle-ci est appelée à réaliser.
[7] En 2009, la SQI effectue des appels d’offres pour des travaux de rénovation du Centre de détention de Percé (ci-après cité le « projet »).
[8] Pour accéder et travailler au chantier du projet (ci-après cité le « chantier »), toute personne doit préalablement être autorisée par les Services correctionnels du MSP et faire l'objet d'une enquête de sécurité.
[9] Cette exigence de sécurité est prévue à l'article 12 des Instructions aux soumissionnaires remises à tous les soumissionnaires par la SQI lors de l’appel d'offres.
[10] La SQI retient les services d’un gérant de construction, soit la firme Pomerleau (ci-après cité le « gérant ») pour le projet et ce dernier supervise les activités au chantier.
[11] À ce titre, le gérant a mandat de s'assurer que les employés des divers entrepreneurs répondent aux exigences de sécurité du MSP. Ainsi, tous les noms et dates de naissance des employés des entrepreneurs, incluant ceux de Céramique DC, sont soumis au MSP pour la réalisation des enquêtes de sécurité.
[12] Céramique DC obtient en juin 2009 de la SQI le contrat pour la pose de revêtement de sol souple pour le projet.
[13] Le ou vers le 26 novembre 2009, le MSP informe le gérant que monsieur Proulx n'est pas autorisé à accéder au chantier. En effet, l’enquête de sécurité révèle que monsieur Proulx fait face à deux accusations criminelles : l'une pour conduite avec facultés affaiblies et l'autre pour possession simple de marijuana.
[14] Le MSP estime qu'en raison de l'accusation de possession simple de marijuana pesant contre monsieur Proulx, sa présence sur le chantier représente un risque pour la sécurité de l'établissement de détention de Percé.
[15] En raison de la décision du MSP et du refus de la SQI de permettre à monsieur Proulx l’accès au chantier, l'employeur de ce dernier, Céramique DC, ne peut l'affecter au chantier.
[16] Le ou vers le 23 août 2010, les accusations de possession simple de marijuana ont été retirées par le procureur des poursuites criminelles et pénales.
[17] La Commission a fait signifier le 7 août 2013 aux parties défenderesses une proposition de mesures de redressement adoptée par la Résolution CP-643.13. Les parties défenderesses n’ont pas fait suite à la proposition de la Commission, d’où les présentes procédures.
II. LES FAITS
[18] Céramique DC œuvre dans le domaine de la décoration intérieure, de la vente au détail et également comme entrepreneur dans la pose de revêtement de sol. Monsieur Proulx travaille pour cette entreprise depuis 2004. Il est poseur de revêtement souple principalement dans le cadre de contrats commerciaux.
[19] Il travaille pour Céramique DC en fonction des contrats obtenus par l’entreprise lesquels varient de 4 à 10 contrats par année. Le dirigeant de celle-ci, monsieur Rabah Aït Saïd, considère que c’est un employé exemplaire par la qualité de son travail.
[20] Céramique DC obtient le 16 juin 2009 de la SQI un important contrat pour la pose de revêtement de sol au projet. Monsieur Aït Saïd confirme qu’il s’agissait du plus gros contrat jamais attribué à son entreprise. Il mentionne que monsieur Proulx devait participer aux travaux de Céramique DC pour le projet.
[21] Monsieur Proulx confirme qu’il était disponible pour ce contrat et qu’il souhaitait vraiment y travailler. Il mentionne cependant que l'accès au chantier lui a été refusé sans qu’on l’informe à ce moment des motifs justifiant cette décision.
[22] Tant monsieur Proulx que monsieur Aït Saïd ont effectué des démarches auprès de la SQI afin d'obtenir des explications concernant ce refus. Ces démarches demeurent toutefois stériles, car ils ne peuvent rejoindre personne susceptible de les renseigner.
[23] Monsieur Aït Saïd témoigne avoir parlé avec monsieur Steve Anglehart de la SQI qui lui confirme qu’il s’agit de la décision du MSP et qu’il ne peut rien faire. Le dirigeant de Céramique DC ajoute avoir entrepris sans succès d'autres démarches auprès notamment de Cédric Labonté qui représente le gérant. Celui-ci l’informe que son entreprise doit se conformer à la décision du MSP.
[24] Monsieur Proulx dit avoir pris connaissance des véritables motifs du refus d'accès au chantier seulement lorsque la Commission lui a communiqué les résultats de son enquête. Selon ce rapport, le MSP considère qu’il constitue un risque pour faire entrer des drogues en prison. Le plaignant s'est dit révolté d'apprendre ces craintes du MSP.
[25] Il dit également avoir été étonné et déçu que l'accès au chantier lui ait été refusé. Après avoir été informé des motifs de ce refus, il dit être resté sur l'impression qu'on l’avait jugé avant même la tenue de son procès. Il dit s'être dès lors senti injustement traité, stigmatisé et privé de son droit à la présomption d'innocence.
[26] Monsieur Proulx précise avoir été acquitté de l'accusation de conduite en état d'ébriété et confirme que l'accusation de possession simple de marijuana qui pesait contre lui a été retirée.
[27] Il mentionne que la conséquence du refus dont il a été l’objet a été de le priver de travail jusqu'au printemps 2010, sans compter qu’il a été bouleversé par le refus et encore plus des raisons à l’appui de celui-ci.
[28] Son patron confirme ne pas avoir été en mesure d'affecter monsieur Proulx à un autre contrat pendant les travaux du projet sauf pour une durée de 24 heures à l’occasion d’un petit contrat réalisé pour le ministère du Revenu à Chandler en février 2010.
[29] Céramique DC mentionne qu’elle devait se conformer à la décision prise à l'égard de M. Proulx. Le défaut de le faire aurait eu pour conséquence de lui faire perdre le contrat et les revenus en découlant et de priver d'autres travailleurs de travail.
[30] Toutefois, ayant besoin d’employés pour le chantier, monsieur Aït Saïd tente à nouveau en janvier une démarche auprès de monsieur Anglehart afin de faire réviser la décision, sans plus de succès.
[31] Monsieur Proulx soutient qu’il a été privé de travailler 6 semaines à raison de 40 heures par semaine. Il affirme que dans une région éloignée, un contrat comme celui du projet est rare. Faute de travail pour son employeur et malgré ses démarches pour se trouver du travail, il confirme avoir retiré des prestations de l'assurance-emploi.
[32] Vu le nombre d'heures de travail qu'il effectue annuellement pour son employeur, monsieur Proulx peut retirer le maximum des prestations de l'assurance-emploi.
[33] Pour sa part, monsieur Aït Saïd témoigne du fait que la partie de son contrat relative à la pose du revêtement souple totalisait près de 540 heures de travail réparties entre deux compagnons et un apprenti. Ce dernier a réalisé 100 heures alors que le plus ancien des compagnons en a fait 240 heures laissant ainsi un solde de 200 pour l’autre compagnon. Il donne également le détail du salaire et des bénéfices marginaux des employés de Céramique DC, le tout, tel que prévu à la convention collective de travail régissant leurs activités.
[34] Il confirme enfin qu'à sa connaissance, monsieur Proulx n'a pas pu travailler pour d'autres employeurs entre novembre 2009 et février 2010. Ce dernier venait le voir régulièrement pour vérifier s'il avait du travail à lui confier ajoutant que même s'il ne l'empêchait pas de travailler ailleurs, il n'y avait pas de travail dans la région.
[35] Le représentant de la SQI, monsieur Anglehart, indique être directeur de projets majeurs depuis 2006. Il s’agit de projets dont le montant du contrat est supérieur à 5 millions de dollars.
[36] Dans le cadre de ses fonctions, il coordonne le déroulement du projet et s'assure, à partir des documents d'appel d'offres, du recrutement de tous les professionnels requis pour la bonne réalisation des travaux projetés. Il précise que dans le cas du projet, les contrats ont été adjugés par lots, à la suite d'appels d'offres publics, et ont été signés par le vice-président de la SQI.
[37] Selon le témoin, tous les appels d'offres impliquant le ministère de la Sécurité publique, la Sûreté du Québec et le ministère de la Justice comportent une clause de vérification concernant la sécurité et la confidentialité. C’est en vertu de cette clause que des vérifications de sécurité sont effectuées pour les employés devant fréquenter le chantier.
[38] Pour le projet, la clause du contrat a été préparée suivant les instructions du service du contentieux de la SQI en collaboration avec le MSP. Monsieur Anglehart explique le fonctionnement du processus ainsi : le soumissionnaire inclut dans son formulaire de soumission les noms des personnes qu'il entend affecter au chantier. Ces formulaires sont ensuite transmis au gérant, qui les retransmet à madame Lise Horth des services correctionnels qui effectue les vérifications de sécurité.
[39] Il mentionne que les résultats de cette vérification sont par la suite communiqués au gérant qui les lui retransmet. En cas de refus pour un employé d’accès au chantier, la SQI et le gérant ne sont pas informés des motifs à l’appui de la décision du MSP.
[40] Monsieur Anglehart confirme que monsieur Aït Saïd a communiqué avec lui à plusieurs reprises pour avoir des explications concernant le refus d'accès de monsieur Proulx au chantier. Il souhaitait que la décision soit révisée. Il mentionne qu’il ne pouvait rien faire d’autre que de référer le tout au MSP.
[41] Le témoin explique que c’est la SQI qui est responsable des mesures de sécurité au chantier. Il ajoute que le Centre de détention était fermé depuis 1984 et qu’il n'était pas en opération pendant les travaux. L’eût-il été que les mesures de sécurité auraient été beaucoup plus importantes.
[42] En effet, lorsqu’un établissement de détention est en opération, il y a des fouilles corporelles des travailleurs et un inventaire des outils et du matériel. Il précise qu'aucune mesure accrue n'était en place avant la livraison provisoire du projet, après quoi ne circulait plus qui voulait sur le chantier.
[43] Il mentionne qu'en raison du fait que le centre de détention était adjacent au Palais de justice de Percé, certaines parties de l'immeuble étaient utilisées en journée pour garder les détenus de New Carlisle, en attente de leur comparution à la Cour. Il précise que dans ces cas, ces quelques détenus étaient sous la surveillance d'un constable. Pour les deux ou trois détenus de New Carlisle qui venaient effectuer certains travaux ménagers, ceux-ci faisaient l’objet d’une surveillance par un agent de sécurité.
[44] Madame Bourget occupait à l'époque des évènements la fonction de directrice des Services correctionnels de Percé. Elle explique que la décision de refuser l'accès au chantier a été prise par son adjoint, monsieur Claude Turgeon.
[45] Elle affirme avoir échangé avec son adjoint à propos de cette décision uniquement au moment où elle a été informée que monsieur Proulx avait porté plainte à la Commission. Après les explications de son adjoint concernant les motifs à l’appui de la décision, notamment la nature de l'accusation dont monsieur Proulx faisait l'objet, elle confirme que la décision était justifiée.
[46] Madame Bourget a une longue expérience dans le milieu carcéral. Elle précise l'importance d'être prudent et vigilant dans la gestion du risque en matière de drogues. La présence de celles-ci dans les centres de détention constitue un problème tant sous l'aspect du trafic que de la consommation par les détenus. Il n’y a donc aucune tolérance en milieu carcéral pour ces substances : elle parle d’une tolérance zéro.
[47] Même si l'établissement était fermé depuis 1984, certaines activités liées à la comparution des détenus au Palais de justice s'y tenaient encore en raison de la proximité des deux bâtiments. Il en découlait la présence temporaire de 4 à 5 détenus en transit et, à l'occasion, de 2 ou 3 détenus affectés à des travaux ménagers.
[48] Le témoin explique que toutes les personnes reliées à la drogue, soit sous l'aspect de la possession, de la production ou de la consommation sont des personnes vulnérables. Ainsi, selon elle, une cause en suspend est un indice de vulnérabilité qui ne peut être négligé dans la gestion du risque que représente son affectation au chantier.
[49] Elle rappelle que, compte tenu de l'approche tolérance zéro mise en place par les autorités, les responsables des vérifications de sécurité écartent automatiquement toute personne qui fait l'objet d'une accusation reliée à la drogue. Ils doivent évaluer le risque dans un court délai et ils ne peuvent attendre les résultats d'un procès à venir.
[50] Madame Bourget rappelle que l'objectif principal d'un établissement carcéral est de garder les détenus dans un environnement sécuritaire pour eux, pour le personnel ainsi que pour les personnes fréquentant le centre, tout en favorisant la réinsertion sociale des détenus.
[51] Elle mentionne que malgré tous les efforts déployés, tant sur l'aspect sécurité dynamique (observation) que sécurité statique (caméras), il entre encore à l’occasion de la drogue en prison, car les détenus ont beaucoup d'imagination et n'hésitent pas à pratiquer du harcèlement, même en impliquant des personnes à l'extérieur de la prison.
[52] Madame Bourget explique qu'il y a de la toxicomanie chez certains détenus et que pour ceux qui font le trafic de la drogue, tous les moyens sont bons pour exploiter les personnes vulnérables et mettre de la pression sur elles ou leur entourage pour arriver à obtenir ce qu'ils veulent.
[53] Pour le MSP, monsieur Proulx, en raison de l'accusation qui pesait contre lui, représentait un niveau de vulnérabilité qui devait être pris en compte dans l'évaluation du risque de lui donner accès ou non au chantier.
[54] Madame Bourget confirme qu'elle ne sait pas si une demande de révision de la décision concernant monsieur Proulx a été soumise, mais confirme que cette procédure existe.
[55] Pour sa part, madame Bergevin est directrice de la sécurité à la Direction générale des services correctionnels. Elle est détentrice d'un baccalauréat en criminologie et d'un certificat d'études en toxicomanie, prévention et réadaptation.
[56] Elle explique que le mandat de son organisme concerne les pratiques sécuritaires dans les établissements de détention ainsi que dans les bureaux de probation.
[57] Selon ses connaissances et son expérience, la question de la drogue en milieu carcéral doit être vue comme tout autre marché. Ainsi, il répond à la loi de l'offre et de la demande et plus la demande en drogue est grande, plus le prix pour ces substances sera élevé. Il le sera toutefois dans des proportions beaucoup plus élevées que les prix qui peuvent être en vigueur en dehors de l'établissement.
[58] Elle mentionne que malgré les mesures de sécurité en place, la drogue constitue en prison un marché illicite qui vise à satisfaire autant la clientèle délinquante qui en consomme que ceux qui y voient la possibilité de mener des opérations lucratives. De plus, ces derniers exercent, par ce trafic illicite, un niveau de contrôle et d'influence sur les détenus qui consomment. C’est pourquoi ces détenus tentent, par tous les moyens, d'en obtenir.
[59] Madame Bergevin explique que le personnel du milieu carcéral est parfois l'objet d'intimidation de la part de détenus qui cherchent ainsi à les forcer à les approvisionner en substances illicites. Il est parfois question de représailles à l’encontre de leur famille s'ils n’obtempèrent à leurs exigences. Dans d'autres cas, c’est l'appât du gain qui est susceptible de pousser un membre du personnel à importer des drogues à l'intérieur des murs.
[60] Elle ajoute que les visiteurs sont aussi susceptibles de constituer une source potentielle d'approvisionnement pour différents type de drogues. Que ce soit des membres de la famille immédiate d’un détenu, des proches ou des amis, ceux-ci sont parfois l’objet de pressions importantes. Le témoin mentionne que ces pressions peuvent être le fait du détenu qui indique à sa famille qu'il est menacé de sévices corporels si celle-ci ne lui fournit pas les drogues lors d'une visite ou autrement.
[61] Elle illustre son propos en mentionnant que des cas ont été rapportés où des parents proches ont tenté d'introduire de la drogue lors d'une visite afin d'éviter au membre de leur famille d'être battu.
[62] Le témoin explique que la vulnérabilité des personnes qui consomment de la drogue en prison vient du fait que pour s'en procurer, ils doivent la payer très cher. Ainsi, plusieurs s’endettent de manière importante pour s’en procurer. Or, ces dettes, ils doivent les rembourser soit en se procurant de l'argent auprès de la famille ou de leurs proches, soit en rendant des services. Dans les cas où ils ne collaborent pas, ils s'exposent à être battus.
[63] Madame Bergevin explique que les visiteurs, les employés à contrat, et ceux qui sont en contact avec les détenus font souvent l'objet de pressions d'où leur vulnérabilité à céder à ces pressions ou menaces.
[64] Contre-interrogée par la procureur de la Commission, madame Bergevin admet que tous les exemples cités pour illustrer la possibilité que des visiteurs fassent entrer de la drogue en prison s'appliquent à un contexte de centre de détention en opération.
[65] Il a toutefois été question qu’une personne qui a accès au chantier et qui n’est pas l’objet de surveillance, puisse, si elle est l’objet de pressions, cacher de la drogue lors des travaux de construction de telle sorte à permettre que celle-ci soit récupérée lors des activités du centre.
III. L'ARGUMENTATION DES PARTIES
A. Les prétentions de la Commission
[66] Dans un premier temps, la Commission soutient que l’article 18.2 doit recevoir une interprétation large et libérale de telle sorte que la protection de la Charte existe non seulement à l’égard d’une personne reconnue coupable d’une infraction criminelle, mais aussi à l’égard de celle qui a simplement été accusée d’une telle infraction.
[67] Prétendre le contraire serait, selon elle, conférer à la personne accusée, mais qui n’a pas été condamnée, une protection moindre l’exposant ainsi à la stigmatisation sociale. La Commission fait aussi valoir que lorsqu’une personne n’est qu’accusée, elle doit bénéficier de la présomption d’innocence que prévoit également la Charte.
[68] La Commission ajoute que le MSP, en refusant l’accès au chantier à monsieur Proulx, l’a privé de l’emploi dont il aurait autrement bénéficié. Elle soutient donc que l’article 18.2 trouve ici application, car il ne vise pas que l’employeur, mais toute personne qui en pénalise une autre dans le cadre de son emploi.
[69] Concernant la SQI, la Commission considère qu’en tant que gestionnaire de chantier, elle ne pouvait exécuter la décision du MSP de façon automatique, sans enquêter et tenter d’aller au-delà des motifs qui lui étaient communiqués. Ainsi, la SQI aurait à tout le moins commis une faute contributive qui a pénalisé monsieur Proulx dans le cadre de son emploi.
[70] En ce qui concerne Céramique DC, la Commission ne lui impute aucune responsabilité compte tenu de ses nombreuses démarches afin que le MSP reconsidère sa décision d’exclure monsieur Proulx du chantier.
[71] Finalement, la Commission soutient l’absence de lien entre l’accusation de possession simple de stupéfiants et l’emploi de poseur de revêtement souple sur le chantier.
[72] La Commission soumet que le lien entre l’emploi et l’infraction doit être tangible, et non seulement hypothétique. Il ne peut pas être une abstraction de l’esprit. L’accusation doit avoir une incidence sur la capacité d’accomplir le travail.
[73] Or, dans les faits, bien que le projet concernait la construction d’un centre de détention, celui-ci n’était pas en opération. N’étant qu’un chantier, monsieur Proulx, comme tout autre travailleur, aurait dû y avoir accès d’autant qu’aucune mesure particulière de sécurité n’existait.
[74] Ainsi, pour la Commission, dans les circonstances de l’affaire, il n’y a pas de lien entre l’accusation et le travail que devait effectuer monsieur Proulx.
B. Les prétentions du MSP
[75] Le MSP soutient pour sa part que l’article 18.2 s’applique à une personne reconnue coupable d’une infraction pénale ou criminelle, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[76] De plus, le MSP plaide qu’il n’y a pas de lien de droit entre monsieur Proulx et le MSP. Il soutient qu’il n’est pas l’employeur de monsieur Proulx et que l’article 18.2 ne peut donc concerner le MSP vu l’absence d'un lien d’emploi qui est essentiel à l’application de cet article. Ainsi, même si la décision du MSP visait à interdire l’accès du chantier à monsieur Proulx, cela ne pouvait être dans le cadre de son emploi.
[77] En ce qui a trait à la décision de ne pas autoriser l’accès au chantier à monsieur Proulx, le MSP allègue que sa décision n’a pas été un automatisme, mais plutôt le résultat d’une analyse de risques afin d’assurer la sécurité des lieux une fois la construction complétée. Selon le MSP, il y avait un lien entre ce risque, l’accusation et l’emploi qu’aurait occupé monsieur Proulx au chantier.
[78] Dans un tel contexte, le MSP soutient que les tribunaux doivent faire preuve d’une grande déférence à l’égard des décisions des autorités carcérales, décisions prises pour des raisons de sécurité.
C. Les prétentions de la SQI
[79] La SQI reprend l’argument concernant le fait que l’article 18.2 ne s’applique pas à monsieur Proulx qui n’a pas été déclaré coupable d’une infraction pénale ou criminelle, mais seulement accusé.
[80] La SQI ajoute toutefois que cela a déjà été débattu au moment de l’adoption de cet amendement à la Charte. À cette occasion, la Commission souhaitait que le législateur ajoute, à la protection actuellement accordée à l’article 18.2, la simple accusation à un acte criminel ou à une infraction pénale. Ne l’ayant pas fait, la SQI soutient que c’est donc en toute connaissance de cause que le législateur n’a pas élargi la protection de l’article 18.2 aux personnes sous le coup d’une accusation criminelle et qui n’ont pas été condamnées.
[81] La SQI fait également siennes les prétentions du MSP concernant l’absence de lien d’emploi entre monsieur Proulx et elle.
[82] Elle souligne que le refus d’accès n’était pas en lien avec la nature de l’emploi, mais avec son lieu d’exécution. S’il y avait eu un autre chantier qui ne soit pas la construction d’un centre de détention, monsieur Proulx aurait pu travailler malgré les accusations criminelles pesant sur lui.
[83] Finalement, en matière de responsabilité, la SQI soutient que sa situation se distingue de celle du MSP. Elle fait valoir qu’elle n’était que gestionnaire de chantier et ne pouvait modifier la décision du MSP.
[84] Elle souligne que ce n’est pas elle qui avait mandat de vérifier les antécédents judiciaires des travailleurs ou de questionner les refus d’accès au chantier. Enfin, si quelqu’un n’était pas admis sur le chantier, la SQI n’était pas vraiment informée des motifs du refus.
[85] Elle fait donc valoir qu’en les circonstances, elle a fait ce qui était en son pouvoir afin que le MSP reconsidère sa décision. Elle rappelle que c’est le MSP qui a pris seul la décision et soumet qu’elle n’a donc pas commis de faute contributive.
[86] Enfin, s’il y a responsabilité, elle est imparfaite, et la SQI demande que le Tribunal effectue un partage de responsabilité entre les défendeurs.
IV. LES QUESTIONS JURIDIQUES
[87] Les questions juridiques que le Tribunal devra trancher sont les suivantes :
1) L’article 18.2 de la Charte doit-il être interprété restrictivement ou de manière large et libérale?
2) S’il doit l’être de manière large et libérale, une telle interprétation permet-elle d’appliquer celui-ci à une autre personne que l’employeur et si oui, cet article peut-il protéger une personne accusée d’une infraction pénale ou criminelle et qui n’a pas été trouvée coupable?
3) Si oui, l’infraction dont le plaignant était accusé avait-elle ou non un lien avec l’emploi dont il a été privé?
4) Sinon, qui est responsable des dommages causés à monsieur Proulx?
5) Quel est le montant des dommages auxquels monsieur Proulx a droit?
V. L'ANALYSE ET LES MOTIFS
1ère Question : L’article 18.2 de la Charte doit-il être interprété restrictivement ou de manière large et libérale?
[88] L'article 18.2 de la Charte se lit comme suit :
Nul ne peut congédier, refuser d'embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu'elle a été reconnue coupable ou s'est avouée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.
[89] La question de savoir si cet article s’étend seulement aux personnes déclarées coupables ou s’il inclut également les personnes qui ne sont qu’accusées a déjà été abordée par le Tribunal. Il y a lieu de reprendre brièvement les remarques formulées à ces occasions.
[90] En 1997, dans l’affaire Maksteel[2], la juge Rivet favorise une interprétation libérale de l’article 18.2 de la Charte. Elle affirme en effet :
[28] En nous appuyant sur tout ce contexte juridique, nous pouvons raisonnablement conclure que l'article 18.2 doit s'appliquer non seulement aux personnes déclarées coupables du fait qu'elles sont souvent exclues ou évincées du marché du travail sur le fondement de préjugés, de craintes irrationnelles et sans égard à leur compétence réelle, mais aussi doit s'étendre aux personnes accusées qui sont en attente d'un procès comme d'ailleurs aux personnes acquittées au terme de leur procès criminel.
(Nos soulignements)
[91] Dans une autre affaire[3], le juge Michael Sheehan favorise une interprétation littérale de l’article 18.2 de la Charte. Il se fonde sur le fait que celui-ci est clair et qu’il ne présente aucun problème d’interprétation.
[92] Il étudie l’objectif de cette disposition et considère que celui-ci est clair : « contrer la discrimination dans le domaine de l’emploi, fondée sur le casier judiciaire d’une personne lorsque l’infraction commise n’est pas reliée à l’emploi »[4]. Il est d’avis que si l’objectif est de lutter contre la discrimination fondée sur l’existence d’un casier judiciaire, il faut donc absolument que celui-ci soit en cause.
[93] Bien que le juge Sheehan mentionne que la rédaction de cet article soit « malheureuse »[5], il ne croit pas qu’il soit possible d’étendre l’application de celui-ci aux personnes accusées mais non déclarées coupables. Il termine en rappelant que le rôle des juges est de respecter le choix du législateur, surtout lorsque celui-ci est clair.
[94] Il faut attendre jusqu’en 2014 pour que la question à l’étude fasse à nouveau l’objet d’un commentaire.
[95] Le Tribunal doit alors décider si une ville a porté atteinte au droit d’une personne à qui l’on avait refusé un stage en milieu de travail et un emploi de cadet policier[6]. Cette personne contestait avoir été traitée en toute égalité, sans distinction ou exclusion fondée sur les antécédents judiciaires. Le juge Braun mentionne :
[146] Ainsi, la procédure généralement appliquée par la défenderesse pour sélectionner ses cadets policiers contrevient à l'article 18.2 de la Charte. En vertu de cette disposition, la candidature d’une personne au poste de cadet policier ne devrait pas se retrouver au bas de la liste du seul fait d'être fichée au CRPQ. C'est uniquement après que les faits et les circonstances entourant les événements rapportés au CRPQ aient été étudiés que la défenderesse peut, s'il y a lieu, écarter la candidature de cette personne au motif qu'elle ne remplit pas le critère de bonnes mœurs.
[96] Il ajoute la remarque qui suit concernant l’interprétation dont devrait jouir l’article 18.2 s’il n’est question que d’une accusation :
[147] Le Tribunal souligne au passage que la démarche doit être la même que les événements rapportés au CRPQ aient ou non été judiciarisés. Tel que mentionné précédemment, l'article 18.2 a pour but de protéger l'employé (ou l'aspirant employé) qui a obtenu un pardon « contre les stigmates sociaux injustifiés découlant d’une condamnation antérieure » [85]. De l'avis du Tribunal, la protection contre les stigmates sociaux injustifiés doit bénéficier, à plus forte raison, à la personne qui a été suspectée ou inculpée d'une infraction, mais qui n'en a pas été trouvée coupable.
(Nos soulignements)
[97] Ainsi, tout comme l’avait fait la juge Rivet avant lui, le juge Braun interprète cette disposition de la Charte de manière large et libérale de telle sorte à ce qu’elle s’applique non seulement à une personne déclarée coupable mais également à celle qui ne l’a pas encore été et qui n’est qu’accusée.
[98] La Cour suprême du Canada n’a jamais analysé l’article 18.2 sous l’angle étudié aujourd’hui. Toutefois, à trois occasions, elle a clarifié, en regard des faits qui lui étaient présentés, certaines caractéristiques propres à cette disposition de la Charte.
[99] Ainsi, dans l’affaire Therrien, la Cour précise les conditions d’application de l’article 18.2 [7]:
[…]
L’application de cet article dépend de la mise en œuvre de quatre conditions essentielles :
(1) un congédiement, un refus d’embauche ou une pénalité quelconque;
(2) dans le cadre d’un emploi;
(3) du seul fait qu’une personne a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle;
(4) si l’infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si elle en a obtenu le pardon.
[100] Après analyse des faits de la cause, la Cour conclut que l’article 18.2 ne vise pas la fonction de juge qui ne constitue pas un emploi. Elle confirme que cet article de la Charte ne prive pas le gouvernement de son pouvoir discrétionnaire de refuser de confier des pouvoirs judiciaires à un candidat dont le passé est susceptible d’ébranler la confiance du public dans son système de justice.
[101] L’arrêt Maksteel[8] traite d’un autre aspect de l’article 18.2, à savoir, est-ce qu’un employé incarcéré peut bénéficier de la protection accordée par cette disposition et ainsi éviter son congédiement?
[102] Dans ce dossier, le motif réel du congédiement de l’employé était relié à son incarcération et au fait qu'il n'était donc pas disponible pour occuper son emploi. La Cour suprême conclut qu’en pareil cas, l’article 18.2 ne peut protéger cet employé d’un congédiement. Elle précise de plus qu’un employeur n’a, en pareille circonstance, aucune obligation de l’accommoder.
[103] Le troisième arrêt est celui de Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse)[9]. À cette occasion, la Cour rejette le pourvoi et maintient l’arrêt de la Cour d’appel et la décision du Tribunal concernant le refus d’un emploi à une personne du seul fait d’une déclaration de culpabilité, et ce, malgré l’obtention d’un pardon. L’analyse visait principalement à déterminer si le pardon dont fait état l’article 18.2 de la Charte incluait le pardon obtenu en vertu de la Loi sur le casier judiciaire[10].
[104] Cette revue des décisions touchant l’article 18.2 de la Charte fait ressortir l’importance des règles d’interprétation qui prévalent lorsqu’il est question d’interpréter une disposition de la Charte.
[105] En matière d’interprétation de lois constitutionnelles, les tribunaux supérieurs ont eu à décider depuis longtemps entre une interprétation fidèle au contexte prévalant lors de l’adoption des dispositions ou encore une interprétation plus large.
[106] Au Canada, aussi loin qu’en 1930, Lord Sankey mentionne dans l’arrêt Edwards[11] que :
L’Acte de l’Amérique britannique du Nord a planté au Canada un arbre capable de grandir et de grossir dans ses limites naturelles. L’objet de l’Acte était de donner une constitution au Canada. Comme toutes les constitutions écrites, celle-ci a pu se développer grâce aux coutumes et aux conventions.[12]
[107] Il poursuit son analyse en affirmant que la Constitution canadienne[13] doit recevoir une interprétation « large et généreuse »[14].
[108] Ce principe est repris par le plus haut tribunal du pays qui rappelait que « notre Constitution est un arbre vivant qui, grâce à une interprétation progressiste, s’adapte et répond aux réalités de la vie moderne »[15]. Dans cet arrêt, la Cour suprême a réinterprété de façon libérale le mot mariage pour qu’il inclue le mariage entre personnes de même sexe.
[109] En 2005, la Cour parle également de la nécessité d’adopter une « approche évolutive »[16] concernant l’interprétation de la Constitution[17]. Aujourd’hui, il est donc bien reconnu que l’interprétation de la Constitution ne doit pas être figée, mais doit évoluer.
[110] La Cour suprême a repris cette règle d’interprétation en l’appliquant à la Charte canadienne des droits et libertés[18].
[111] Dans l’arrêt Motor Vehicule Act, la Cour affirme que « [s]i on veut que “l’arbre” récemment planté qu’est la Charte ait la possibilité de croitre et de s’adapter avec le temps, il faut prendre garde que les documents historiques comme les procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial n’en retardent la croissance »[19].
[112] Dans l’arrêt Skapinker, la Cour indique que « [l] a Charte a été conçue et adoptée pour guider et servir longtemps la société canadienne. Une interprétation étroite et formaliste, qui n’est pas animée par un sens des inconnues de l’avenir, pourrait retarder le développement du droit et par conséquent celui de la société qu’il sert »[20].
[113] Dans l’arrêt Béliveau St-Jacques, la Cour suprême expose ainsi la nature de la Charte québécoise :
La Charte n’est pas une loi ordinaire mise en vigueur par le législateur québécois au même titre que n’importe quel autre texte législatif. Il s’agit plutôt d’une loi bénéficiant d’un statut spécial, d’une loi fondamentale, d’ordre public, quasi constitutionnelle, qui commande une interprétation large et libérale de manière à réaliser les objets généraux qu’elle sous-tend de même que les buts spécifiques de ses dispositions particulières.[21]
[114] Elle rappelle dans l’arrêt Maksteel[22] précité l’interprétation dont doivent bénéficier les droits protégés par la Charte :
Il est utile de rappeler que les droits protégés par la Charte québécoise doivent être interprétés de façon large et libérale, pour permettre la réalisation de son objectif. Celui-ci a été formulé comme suit par la Cour dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, 2000 CSC 27 (CanLII) (« Boisbriand »), par. 34 : « Nous trouvons dans ce préambule une indication que l’objectif poursuivi par la Charte est la protection du droit à la dignité et à l’égalité de tout être humain et, comme suite logique, la suppression de la discrimination. » Par ailleurs, les exceptions doivent être interprétées de façon restrictive (par. 28-32). De plus, bien que la Charte québécoise adoptée en 1976 s’applique à des situations qui peuvent différer de celles qui relèvent de la Charte canadienne des droits et libertés, toutes deux visent la protection de valeurs analogues comme le confirme la jurisprudence qui les a interprétées. L’interprétation retenue doit en outre se concilier avec les termes des Chartes : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, 1999 CanLII 652 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »), par. 43.
(Nos soulignements)
[115] Ce n’est donc pas la seule disposition en cause qui doit faire l’objet d’une analyse mais plutôt cette disposition à la lumière de l’objectif et des termes de la Charte, tel que mentionné ci-dessus par la Cour suprême.
[116] Dans ce même arrêt, la Cour ajoute que l’interprétation de la Charte doit être faite suivant le contexte historique tout en favorisant une approche souple vu la « conception évolutive des droits de la personne »[23].
[117] La Cour d’appel a également repris ces principes en parlant de la Charte québécoise :
La Charte, tout comme la Constitution, est un « arbre vivant » inscrit dans un processus permanent d’évolution et de développement. La Cour suprême a d’ailleurs reconnu que la Charte québécoise commandait une telle interprétation de ses dispositions : par sa nature même, une telle loi commande une méthode d’interprétation large et libérale, qui permet d’atteindre, autant que possible, les objectifs définis. En ce sens, non seulement les dispositions en cause, mais l’ensemble de la loi doivent être examiné.[24]
[118] Il ressort de cette analyse de la jurisprudence que la Charte bénéficie d’un statut spécial et qu’elle possède une nature quasi constitutionnelle. De ce fait et vu la nature des droits qu’elle protège, elle doit recevoir une interprétation large et évolutive qui tient compte non seulement de la disposition en cause mais également de l’ensemble des dispositions de la Charte.
[119] Plusieurs auteurs de doctrine se sont également prononcés sur l’importance que la Charte bénéficie d’une interprétation large et libérale. L’auteur Henri Brun réfère à la nature constitutionnelle de la Charte dans son ouvrage intitulé Droit constitutionnel[25]. Il y traite également de l’interprétation large et libérale qu’elle doit recevoir :
XII-3.4 - La Charte canadienne, et c'est aussi le cas pour les autres chartes des droits, doit recevoir une interprétation large et libérale, c'est-à-dire une interprétation permettant aux citoyens de bénéficier le plus possible de sa protection : R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, 344; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, 156; B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2002] 3 R.C.S. 403, par. 44. Ce principe de l'interprétation libérale est sûrement celui qu'on retrouve le plus souvent énoncé dans toute la jurisprudence concernant les chartes. Des dizaines d'autres arrêts pourraient être cités. Au sujet de la Charte québécoise, voir par exemple Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et des employés de services publics, [1996 ] 2 R.C.S. 345, 402.[26]
(Nos soulignements)
[120] Le professeur Sullivan abonde dans le même sens :
Les lois en matière de droits de la personne doivent recevoir une interprétation libérale, fondée sur l’objet visé. Les droits protégés reçoivent une interprétation large, alors que les exceptions et les moyens de défense font l’objet d’une interprétation restrictive.
En ce qui a trait à l’interprétation des termes et des concepts généraux, c’est la méthode organique et souple qui prévaut. Les principales dispositions des lois sont adaptées en fonction non seulement des changements de conditions sociales, mais encore de l’évolution des conceptions en matière de droits de la personne.[27]
(Nos soulignements)
[121] L’auteur Pierre-André Côté renchérit en affirmant que les chartes doivent recevoir une interprétation large, évolutive et qui met l’accent sur les objectifs des dispositions qu’elles contiennent. Il ajoute que l'interprétation constitutionnelle doit être dynamique ; elle vise à trouver la solution la plus adéquate[28].
[122] En conclusion, la Charte bénéficie d’un statut spécial et il importe de l’interpréter de manière large et libérale en faisant une lecture de celle-ci qui favorise essentiellement la réalisation de ses objets.
2ième Question : L’article 18.2 de la Charte, interprété de manière large et libérale, permet-il d’appliquer celui-ci à une autre personne que l’employeur et si oui, cet article peut-il protéger une personne qui n’est qu’accusée d’une infraction pénale ou criminelle et qui n’a pas été trouvée coupable?
[123] Avant d’aborder cette question, rappelons certains constats formulés par la Cour suprême du Canada en regard de l’article 18.2 de la Charte.
[124] Ainsi, dans l’arrêt Maksteel, la Cour commente non seulement la portée de l’article 18.2 de la Charte mais également l’étendue de la protection de cet article :
20 Il ressort de ce bref survol historique que c’est en réaction à une approche conservatrice des tribunaux québécois que le législateur a, en 1982, adopté une disposition prohibant la discrimination fondée sur les antécédents judiciaires (Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35 (CanLII), par. 137). Le législateur s’est montré sensible au traitement défavorable subi par les personnes ayant eu des démêlés avec la justice. Ces personnes ont traditionnellement été stigmatisées et exclues de nombreuses activités : T. J. Singleton, « La discrimination fondée sur le motif des antécédents judiciaires et les instruments anti-discriminatoires canadiens » (1993), 72 R. du B. can. 456. Fait révélateur, toutefois, le législateur n’a pas intégré la protection contre la discrimination fondée sur les antécédents judiciaires aux autres motifs de discrimination énumérés à l’art. 10 de la Charte québécoise. Il a choisi d’en faire une protection autonome.
21 La protection contre la discrimination fondée sur les antécédents judiciaires n’est pas d’application générale. D’abord, à la différence des motifs énumérés à l’art. 10, elle ne s’applique qu’en matière d’emploi : « Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi . . . ». Ensuite, elle ne vise que les cas où les antécédents judiciaires constituent le seul motif à l’appui de la décision ou de la mesure imposée : « . . . du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle . . . ». Enfin, elle se distingue en ce que la justification de l’employeur est circonscrite par le texte : « . . . si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon ». Si la personne a obtenu un pardon pour l’infraction commise, qu’il y ait ou non un lien entre celle-ci et l’emploi, la protection est absolue. De plus, s’il n’y a pas de lien entre l’antécédent judiciaire et l’emploi, la protection est également complète.
[…]
27 Pour résumer, je retiens qu’il existe une différence importante entre la portée de l’art. 18.2 et celle de l’art. 10. Alors que l’art. 10 utilise le mécanisme de protection contre la discrimination pour faire valoir dans tous les champs d’activité le droit à l’égalité en ce qui a trait aux motifs énumérés, l’art. 18.2 offre une protection plus limitée, mais plus facile à appliquer. En matière d’emploi, l’employé condamné qui a obtenu un pardon ou dont l’infraction commise n’est pas liée à l’emploi n’a à supporter aucun stigmate découlant de sa déclaration de culpabilité. L’article 18.2 protège donc l’employé contre les stigmates sociaux injustifiés découlant d’une condamnation antérieure.[29]
(Nos soulignements)
[125] Après analyse du motif de congédiement de l’employé, la Cour conclut :
43 L’appelante a beaucoup insisté sur la nécessité de donner à l’art. 18.2, une interprétation large à l’instar de l’interprétation libérale donnée notamment aux termes « handicap » (Boisbriand, précité), « grossesse » (Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil, 1999 CanLII 13226 (QC CA), [1999] R.J.Q. 1883 (C.A.)), et « état civil » (Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), 1988 CanLII 7 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 279). Il est vrai que notre Cour a maintes fois affirmé que les lois sur les droits de la personne doivent, en raison de leur caractère unique et quasi constitutionnel, être interprétées largement à la lumière de leur objectif général et des considérations de politique générale qui les sous-tendent : B c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2002] 3 R.C.S. 403, 2002 CSC 66 (CanLII), par. 44; Boisbriand, précité, par. 27-30; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 536, p. 546-547. Cependant, l’interprétation que préconise l’appelante excède tant l’objectif général de la Charte québécoise que l’objectif plus spécifique de la disposition en cause.
[…]
45 Pour résumer, il ressort des principes d’interprétation que l’employé ne peut bénéficier de l’art. 18.2 que si son emploi est affecté par une mesure qui découle du seul fait de ses antécédents judiciaires. Son droit à l’emploi n’est pas automatiquement protégé par cette disposition.[30]
(Nos soulignements)
[126] Dans l’arrêt S.N., la Cour suprême aborde l’impact d’une déclaration de culpabilité pour une personne et le stigmate qui est susceptible d’en résulter :
[31] La déclaration de culpabilité affecte d’abord et avant tout la réputation d’une personne. On la croit moins probe si elle a commis un acte réprimé par le droit criminel ou le droit pénal. Ce stigmate peut donc influencer l’évaluation de la capacité de cette personne de remplir les conditions d’un emploi. Suivant l’art. 18.2, un tel stigmate est injustifié si l’infraction n’a pas de lien avec l’emploi ou si la personne a bénéficié d’un pardon. Il s’agit d’une protection plus limitée — elle ne vise que les déclarations de culpabilité — que la protection générale contre la discrimination (art. 10 de la Charte) et, pour écarter son application, l’employeur n’a simplement qu’à établir un lien entre l’infraction et l’emploi. Il s’agit d’un choix du législateur.[31]
(Nos soulignements)
[127] En prenant en compte ces enseignements, revenons à l’étude du premier volet de la deuxième question, à savoir, l’article 18.2 de la Charte peut-il s’appliquer à une autre personne que l’employeur?
[128] Le terme « Nul » au début de l’article 18.2 implique nécessairement une généralisation des personnes susceptibles de contrevenir à cette disposition. C’est pourquoi il faut s’interroger, dans chaque cas, quant à savoir si la personne visée par une plainte a eu l’un des comportements que prohibe cette disposition. Lorsque c’est le cas, l’article s’applique nécessairement à d’autres personnes qu’au seul employeur.
[129] De plus, tel que l'écrivait Me Christian Brunelle
[…] si l'interdiction de « congédier » ou de «refuser d'embaucher » vise clairement les gestes d'un employeur, l'expression « autrement pénaliser » paraît suffisamment large pour inclure toute mesure préjudiciable fondée sur les antécédents judiciaires d'une personne, que cette mesure soit le fait de l'employeur ou d'une « autre personne que l'employeur ».[32]
(Références omises)
[130] En l’espèce, la preuve révèle que l’employeur de monsieur Proulx l’a inclus dans la liste des employés dont il avait besoin pour la réalisation des travaux du projet. N’eût été de la décision du MSP de ne pas autoriser son accès au chantier, le plaignant aurait définitivement été à l’emploi de Céramique DC et ce, tout au long de la durée des travaux de celle-ci au chantier.
[131] La décision du MSP a ainsi eu pour conséquence de priver le plaignant d’un travail pour lequel son employeur l’avait choisi. Ce contrat était d’ailleurs le plus important contrat de Céramique DC. Or, le seul autre contrat obtenu par Céramique DC pendant cette période et auquel a été affecté monsieur Proulx n’a comporté pour lui que 24 heures de travail.
[132] Dans les circonstances de l’affaire, la décision du MSP a réellement empêché monsieur Proulx d’occuper son emploi pour son employeur. Le MSP a conséquemment « autrement pénalisé » monsieur Proulx dans le cadre de l’emploi qu’il occupait pour Céramique DC. Il en découle que le MSP, ayant eu à l’égard de monsieur Proulx l’un des comportements prohibés à l’article étudié, pouvait être poursuivi directement par la Commission.
[133] Reste maintenant à savoir si l’article 18.2 de la Charte s’applique à une personne accusée et non déclarée coupable.
[134] Dans les décisions précitées de la Cour suprême, celle-ci mentionne à quelques occasions que l’article 18.2 vise le cas de personnes déclarées coupables. Est-ce que ces seules remarques ont pour effet de clore le débat? Le Tribunal ne le croit pas.
[135] Dans ces arrêts, la Cour suprême n’était pas saisie de la même question et elle reprenait, somme toute, les conditions exposées par le juge Gonthier dans l’affaire Therrien à la lumière des termes de l’article 18.2 et des faits de chaque affaire. Or, les faits de ces dossiers présentaient un contexte très différent de celui qui prévaut en l’espèce.
[136] Selon Me Christian Brunelle, une interprétation purement littérale de l'article 18.2 qui exclut l'employé accusé, mais pas encore condamné
bat en brèche le principe de l'interprétation large, libérale et téléologique des droits et libertés de la personne. D'une part, elle a pour effet de conférer à l'employeur une licence lui permettant d'éluder l'application de la Charte pourvu qu'il s'empresse de sanctionner l'employé accusé avant l'issue de son procès criminel. D'autre part, poussée à sa limite, elle serait de nature à laisser sans aucune protection l'employé acquitté - plutôt que « déclaré coupable » - à la suite de son procès. Pourtant, on ne peut négliger le fait qu'une simple accusation criminelle, dès qu'elle est portée, peut fort bien entraîner la stigmatisation sociale de la personne qui en est l'objet. Nous persistons à croire que seule la pleine reconnaissance du bénéfice de l'article 18.2 aux personnes « déclarées coupables » certes, mais aussi à celles qui sont simplement « accusées » ou, plus tard, « acquittées », peut éviter le résultat injuste auquel l'interprétation contraire est susceptible de mener.[33]
(Références omises)
[137] Le Tribunal croit qu’il faut donc reprendre l’analyse de la question en tenant compte des principes d’interprétation de la Charte dans le contexte précis des faits qui ont donné lieu à la plainte de monsieur Proulx auprès de la Commission.
[138] Pour ce faire, il faut non seulement tenir compte du texte de cet article, mais également de l’ensemble des autres dispositions de la Charte.
[139] L’article 18.2 est situé à la partie 1 de la Charte dont le titre est « Les droits et libertés de la personne ». Plus précisément, il se situe au Chapitre I.1 qui traite du « Droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés ».
[140] Par l’article 18.2, la Charte énonce qu’une personne déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle a droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice de son droit à un emploi. La Charte veut ainsi prohiber que la personne condamnée soit pénalisée dans le cadre de son droit à l’égalité dans l’emploi dans la mesure où il n’y a pas de lien entre l’infraction pour laquelle elle a été reconnue coupable et cet emploi.
[141] Sans la protection accordée par la Charte, la personne condamnée ne bénéficierait clairement pas d’un droit à l’égalité dans l’emploi compte tenu de la stigmatisation dont sont victimes ces personnes. Ainsi, la Charte cherche à éviter à cette personne une stigmatisation découlant de sa condamnation parce que, lorsqu’il n’y a aucun lien entre son emploi et cette condamnation, une telle attitude n’est pas acceptable dans notre société.
[142] D’autre part, la déclaration de culpabilité de cette personne est l’aboutissement d’un processus qui fait également l’objet de droits protégés par la Charte. En tant qu’accusée, elle bénéficiait de droits judiciaires qui lui sont garantis au Chapitre III de la Charte. Sa déclaration de culpabilité découle ainsi de l’audition impartiale de sa cause devant un tribunal indépendant[34]. De plus, avant que cette condamnation ne survienne, cette personne bénéficie également du droit à la présomption d’innocence.
[143] Ce droit, prévu à l’article 33, est à l’effet que « [t]out accusé est présumé innocent jusqu’à ce que la preuve de sa culpabilité ait été établie suivant la loi ». Cette présomption d’innocence est même au cœur de notre système de justice criminel et pénal.
[144] Il en découle que si une personne trouvée coupable d’une infraction criminelle bénéficie d’une protection contre des stigmates sociaux qui n’ont pas leur place dans une société qui valorise des valeurs démocratiques, ne serait-il pas incohérent qu’une personne qui bénéficie de la présomption d’innocence garantie également par la Charte ne bénéficie pas de la même protection?
[145] L’emploi d’une personne occupe une dimension d’une telle importance dans nos sociétés modernes que le législateur a choisi de protéger le droit à l’égalité dans l’emploi même lorsqu’une personne a été déclarée coupable d’une infraction criminelle ou pénale qui n’a aucun lien avec son emploi.
[146] Le Tribunal voit difficilement comment ce droit à l’égalité dans l’emploi serait inopérant parce que la personne n’est qu’au stade préliminaire du processus judiciaire. Surtout qu’en pareil cas, elle bénéficie des droits judiciaires que la Charte lui accorde dont une disposition fait qu’elle est présumée innocente de l’infraction qu’on lui reproche.
[147] Compte tenu de la présomption d’innocence de l’article 33 de la Charte, l’interprétation large et libérale de l’article 18.2 implique qu’une personne qui n’est qu’au début du processus judiciaire ne devrait pas être ostracisée et privée de son droit à l’égalité dans l’emploi.
[148] L'auteur Henri Brun fait ressortir que les chartes mettent de l'avant « trois valeurs fondamentales pour l'être humain, soit la liberté, l'égalité et la justice »[35]. En se référant à ces valeurs et à l’objectif de la Charte tel que précisé par la Cour suprême, il serait contraire à la portée générale de la Charte que la protection du droit à l’égalité dans l’emploi ne soit pas applicable dans le cas d'une personne qui n’est qu’accusée et qu’il ne prenne effet qu’une fois cette personne condamnée.
[149] Si le législateur a accordé une protection visant à garantir le droit à l’égalité dans l’emploi à une personne déclarée coupable, implicitement, compte tenu du droit d’un accusé à la présomption d’innocence, ce dernier ne peut avoir moins de droits que le premier.
[150] Le juge Estey de la Cour suprême a déjà énoncé que « c’est l’interprétation la plus pratique et la plus efficace qu’il faut retenir lorsque les termes utilisés par le législateur le permettent et c’est particulièrement vrai lorsque l’autre interprétation possible a pour effet de diminuer les droits d’action des citoyens lésés ou blessés »[36].
[151] Or, en l’espèce, l’interprétation la plus pratique et efficace est que l’article 18.2 et l’article 33 protègent une personne qui n’est qu’accusée et présumée innocente. Cette personne ne doit pas être congédiée ou privée d’un travail à la suite d’une accusation sans lien avec son emploi.
[152] Il y a lieu de conclure que l’article 18.2 de la Charte, interprété de manière large et libérale, vise tout autant la personne déclarée coupable que celle accusée et présumée innocente en vertu de l’article 33 précité.
3ième Question : L’infraction dont le plaignant était accusé avait-elle ou non un lien avec l’emploi dont il a été privé?
[153] Les faits mis en preuve dans le présent dossier nécessitent certaines nuances quant au lien entre l’emploi de monsieur Proulx, l’infraction dont il était accusé et le chantier dont on lui a refusé l’accès.
[154] Précisons immédiatement que le fait que l’accusation contre lui ait été retirée avant la tenue de son procès ne constitue pas un élément pertinent à l’analyse de la question. C’est au moment de la décision du MSP qu’il faut s’en remettre pour établir le lien entre l’emploi et l’accusation.
[155] D’autre part, il est certain que si l’établissement carcéral de Perçé avait été opérationnel, l’analyse de la preuve par le Tribunal aurait été différente.
[156] La preuve a effectivement établi une problématique importante concernant l’importation et la vente de drogue en milieu carcéral. La politique de tolérance zéro dont il a été question et la sévérité des mesures mises en place afin d’en assurer le respect auraient alors été le prisme par lequel toute la question aurait été étudiée.
[157] C’est dans ce contexte que le lien direct entre l’emploi, l’accusation et le milieu carcéral aurait été réalisé. Il est certain qu’en pareil cas, la décision des autorités carcérales de refuser l’accès au centre de détention à une personne accusée de possession de marijuana a une toute autre portée.
[158] Toutefois, telle n’est pas la situation soumise au Tribunal. Il n’est pas question d’un centre carcéral en opération. En l’espèce, il est question d’un bâtiment en construction destiné à devenir un centre de détention. Le MSP a donc refusé à monsieur Proulx l’accès à un chantier de construction.
[159] Il est vrai que la preuve a révélé que des détenus devant comparaître au palais de justice de Perçé étaient incarcérés pour la journée dans une section de l’établissement. Pour ces présences temporaires avant les comparutions, les détenus sont en tout temps sous surveillance dans des zones sécurisées et n’ont aucun contact avec les sections du bâtiment où sont réalisés les travaux.
[160] Objectivement, la présence de ces détenus ne change donc rien au fait que le centre de détention n’était pas en opération. Quant aux prisonniers présents sur le chantier afin d’effectuer des travaux d’entretien, ceux-ci faisaient également l’objet d’une certaine surveillance. La preuve n’a toutefois pas révélé que ceux-ci pouvaient objectivement représenter un problème en l’espèce.
[161] Conséquemment, dans le présent dossier, des employés de la construction ont eu accès au chantier afin d’effectuer les travaux relevant de l’expertise de chacun, mais monsieur Proulx, lui, n’y a pas eu accès à cause de l’accusation qui pesait contre lui.
[162] Afin d’établir le lien entre l’emploi de monsieur Proulx sur le chantier et l’accusation de possession dont il était l’objet, le MSP devait démontrer au Tribunal un lien direct ou objectif justifiant sa décision de lui refuser l’accès au chantier.
[163] Le fait que deux prisonniers aient eu accès au chantier afin d’effectuer des travaux d’entretien et qu’ils aient pu voir monsieur Proulx n’est pas en soit un facteur qui établit un lien objectif justifiant la décision du MSP.
[164] En fait, la preuve réalisée par le MSP a bien établi la problématique de la drogue en milieu carcéral. Toutefois, le MSP n’a pas établi un lien direct entre l’emploi de monsieur Proulx sur un chantier de construction et l’accusation dont il était l’objet.
[165] Pour refuser l’accès au chantier à monsieur Proulx, le MSP ne devait pas se limiter au seul fait qu’il était accusé d’une infraction de possession de marijuana. Il devait démontrer, par des faits objectifs, un lien entre l’emploi de monsieur Proulx et le risque que pouvait représenter sa présence sur le chantier en regard de l’opération future du centre de détention.
[166] Il fallait plus que des hypothèses ou des craintes subjectives qui ne reposent sur aucun élément précis. Il aurait été nécessaire de prouver des faits et des circonstances particulières concernant précisément monsieur Proulx ou l’accusation dont il était l’objet. Ce n’est que suite à l’étude de ces faits et circonstances que le MSP aurait pu justifier objectivement sa décision de lui refuser l’accès au chantier.
[167] Le MSP n’a fait aucune enquête ou vérification additionnelle sur monsieur Proulx après avoir été informé de l’accusation contre lui. Le MSP ne possédait donc aucun autre motif que cette seule accusation pour lui refuser l’accès au chantier.
[168] Ainsi, aucune preuve par le MSP n’a établi un véritable lien entre l’emploi de monsieur Proulx, son accès au chantier et l’accusation dont il était l’objet. En conséquence, le MSP ne pouvait refuser à monsieur Proulx de faire son travail sur le chantier.
4ième Question : Qui est responsable des dommages causés à monsieur Proulx?
[169] La preuve a révélé que seul le MSP savait pourquoi l’accès au chantier a été refusé à monsieur Proulx. Ni la SQI ou Céramique DC n’ont été informées des motifs du MSP.
[170] C’est le MSP qui a requis que la documentation contractuelle prévoit que les entrepreneurs soumettent les noms et coordonnées de leurs employés pour des fins de vérifications. C’est également le MSP qui a fait la vérification et qui a pris la décision d’interdire à monsieur Proulx l’accès au chantier sans analyser si dans ce cas spécifique, sa décision était justifiée en regard aux faits de l’affaire.
[171] Le MSP est donc responsable d’avoir pénalisé monsieur Proulx dans le cadre de son emploi du seul fait d’une accusation portée contre lui alors que cette accusation n’avait, dans les circonstances particulières d’un chantier de construction, aucun lien avec son emploi.
[172] Quant à Céramique DC, elle a tenté, à plusieurs reprises, d’obtenir que le MSP reconsidère sa décision. De la preuve effectuée en l’instance, il est clair qu’elle n’a joué aucun rôle dans la décision du MSP à l’égard de monsieur Proulx. Elle n’a, par conséquent, pas contrevenu à l’article 18.2 de la Charte et n’a aucune responsabilité à l’égard des dommages réclamés par monsieur Proulx.
[173] Pour sa part, la SQI, à titre de mandataire du MSP, a été l’intermédiaire qui a préparé la documentation contractuelle et qui a relayé les informations requises entre les entrepreneurs, le gérant et le MSP. Elle a également communiqué au MSP les demandes répétées de Céramique DC afin de permettre à monsieur Proulx l’accès au chantier.
[174] La SQI n’ayant joué aucun rôle dans la décision du MSP d’interdire à monsieur Proulx l’accès au chantier et ignorant même les raisons à l’appui de cette décision, elle n’a donc pas contrevenu à l’article 18.2 de la Charte. Conséquemment, elle n’a aucune responsabilité à l’égard des dommages réclamés par monsieur Proulx.
5ième Question : Quel est le montant des dommages auxquels monsieur Proulx a droit?
[175] Dans ses représentations écrites, la Commission a précisé que le montant de la réclamation de monsieur Proulx était de 24 143,23 $. Cette somme est répartie comme suit :
a) 9 143,23 $ à titre de dommages matériels;
b) 10 000 $ à titre de dommages moraux en raison de l’atteinte à ses droits prévus à l’article 18.2 de la Charte;
c) 5 000 $ à titre de dommages punitifs en raison de l’atteinte illicite et intentionnelle aux droits de monsieur Proulx.
[176] Pour le préjudice matériel, la preuve a révélé que le nombre d’heures attribuables aux travaux de pose de revêtement pour le projet a totalisé 540. Si on élimine les 100 heures de l’apprenti affecté au chantier, il reste un solde de 440 heures pour les deux compagnons.
[177] Monsieur Aït Saïd a témoigné que le compagnon le plus expérimenté a travaillé 40 heures de plus que l’autre compagnon. Considérant que le compagnon le plus expérimenté n’était pas monsieur Proulx, ce dernier aurait donc travaillé 200 heures au chantier soit le solde des 400 heures à répartir entre les deux compagnons.
[178] De ces 200 heures, il y a lieu de retrancher les 24 heures de travail de monsieur Proulx pour un autre projet de Céramique DC pendant la période de la réalisation des travaux du projet. On parle donc de 176 heures.
[179] En appliquant les dispositions de la convention collective qui régissent les activités de Céramique DC[37], le préjudice matériel de monsieur Proulx est de 6 705,04 $ et ce montant se détaille comme suit :
179.1. Rémunération : 4 991,36 $
(176 heures x 28,36 $/l’heure)
179.2. Indemnité de congé obligatoire : 648,88 $
13 % du salaire gagné (4491,36 $)
179.3. Équipements de sécurité : 123,20 $
(0,70 $/l’heure x 176 heures)
179.4. Avantages sociaux et fonds de pension : 941,60 $
(5,35 $/l’heure x 176 heures)
[180] Reste à trancher la question soulevée par le MSP concernant l’obligation de déduire du montant du préjudice matériel qui est accordé à monsieur Proulx le montant des prestations d’assurance-emploi qu’il a perçu en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi[38].
[181] Selon le MSP, monsieur Proulx a l’obligation, en vertu des articles 1479 et 1611 du Code civil du Québec[39], de minimiser ses dommages. Il ne peut donc réclamer du MSP la réparation du préjudice qui peut être autrement compensé par une autre loi ou un programme existant tel que le régime de l'assurance-emploi.
[182] De plus, le MSP soutient que les articles 45 et 46 de la Loi sur l’assurance-emploi sont inapplicables aux faits du présent dossier. Essentiellement, il fait valoir que sa relation avec monsieur Proulx n’est pas une relation contractuelle de type employeur-employé.
[183] Un premier commentaire s’impose. Il n’est pas exact, comme le laisse entendre le Procureur général, que l'obligation d'une victime de minimiser son préjudice soit définie par l'existence de régimes alternatifs de réparation. Cette obligation repose principalement sur les moyens raisonnables qu'entreprend une victime pour éviter d'aggraver le préjudice qu'elle a subi.
[184] De plus, l'article 1608 C.c.Q. prévoit que « [l]'obligation du débiteur de payer des dommages-intérêts au créancier n'est ni atténuée ni modifiée par le fait que le créancier reçoive une prestation d'un tiers, par suite du préjudice qu'il a subi, sauf dans la mesure où le tiers est subrogé aux droits du créancier ».
[185] Ce choix du législateur s’explique par le fait que, comme l'a souligné le juge Cory dans l'arrêt Cunningham c. Wheeler : « la plupart des prestations versées par des tiers - indemnités de sécurité sociale, d'assurance ou résultant de conventions collectives de travail - ne présentent pas un caractère indemnitaire véritable et, en tout cas, ne sont pas destinées à réparer le préjudice subi par le créancier »[40].
[186] Cette remarque vaut aussi pour les prestations d'assurance-emploi. En effet, « puisque la Loi sur l’assurance-emploi ne prévoit pas que la Commission de l’assurance-emploi du Canada est subrogée aux droits d’un prestataire qui recevrait des dommages et intérêts, l’article 1608 C.c.Q. trouve application »[41]. Ainsi, la jurisprudence est à l'effet « qu'on ne devrait pas déduire des pertes salariales encourues par la victime le montant des prestations versées en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi »[42].
[187] Dans le cas d'un congédiement abusif, le régime de l'assurance-emploi permet à un travailleur de réclamer des prestations d'assurance-emploi et d'intenter une action en responsabilité civile contre l'employeur[43]. Il est de jurisprudence constante que les prestations d'assurance-emploi que reçoit le travailleur ne seront pas déduites des dommages matériels qu'il réclame[44].
[188] Cette règle est néanmoins assujettie aux articles 45 et 46 de la Loi. Ces dispositions prévoient que lorsqu'un prestataire reçoit des prestations et, en application d'une sentence arbitrale ou d'un jugement d'un tribunal, des dommages-intérêts de son employeur, le prestataire ou l'employeur doit rembourser au Receveur général du Canada les prestations excédentaires qui ont été versées au prestataire.
[189] Ces dispositions ne constituent pas des clauses de subrogation puisque la Commission de l'assurance-emploi du Canada ne paie pas des dommages et intérêts à la place d'un débiteur lorsqu'elle verse des prestations à un prestataire. Ce dernier reçoit des prestations du fait qu'il a perdu son emploi. Si le prestataire a été l’objet d'un congédiement abusif, l'employeur aura alors l'obligation de lui payer des dommages-intérêts. Toutefois, si le congédiement est licite, l'employeur n'aura pas cette obligation.
[190] Quant à l’argument relatif à l’inapplicabilité des articles 45 et 46 de la Loi au MSP, il y a lieu de répondre séparément pour chacun de ces articles.
[191] Il est vrai que le MSP n’est pas l’employeur de monsieur Proulx et qu’il ne lui verse pas une rémunération mais une compensation pour le préjudice matériel qu’il lui a causé. Ainsi, comme le soutient le MSP, il est probable que l'article 46 de la Loi ne lui sera pas opposable.
[192] Quant à l'applicabilité de l'article 45 de la Loi, la jurisprudence des tribunaux de droit commun, de la Commission des relations du travail et des décisions d’arbitrage est à l'effet que la question du remboursement par l'employé des prestations d'assurance-emploi n'est pas de leur compétence. Elle ne regarde que le prestataire et la Commission de l'assurance-emploi[45].
[193] Conséquemment, la question de l'applicabilité de l'article 45 de la Loi n'est pas de la compétence du Tribunal. Ce débat sur le remboursement des prestations d'assurance-emploi se fera, s’il y a lieu, entre monsieur Proulx et la Commission de l'assurance-emploi.
[194] D'ailleurs, réduire les montants d'assurance-emploi reçus par monsieur Proulx signifierait que le MSP indemniserait monsieur Proulx d’un montant moindre que celui du préjudice qu’il lui a causé. Il profiterait ainsi de l'accès de monsieur Proulx à ces prestations qui visent pourtant uniquement à combler ses pertes de revenus[46] suite à la perte de son emploi. Cet argument du MSP doit être rejeté.
[195] Il n’y a donc pas lieu de déduire du montant de la compensation du préjudice matériel accordé à monsieur Proulx le montant des prestations d’assurance-emploi qu’il a perçu.
[196] Pour ce qui est du préjudice moral, monsieur Proulx a témoigné concernant le fait que la décision du MSP l’a complètement déstabilisé. Il ne connaissait pas les motifs du MSP mais considérait être privé de son droit de travailler et ce, sans raison valable.
[197] Ce n’est qu’après l’enquête de la Commission que monsieur Proulx a su que le refus était lié à l’accusation de possession simple. Il considère que le MSP l’a traité en criminel et soutient que cela l’a affecté de manière importante sur le plan personnel.
[198] De son témoignage, il est certain qu’il a subi un préjudice moral bien qu’il soit difficile de quantifier la valeur de celui-ci. Comme l'écrivait la juge Rayle de la Cour d’appel dans l'arrêt Bou Malhab
[62] S'il est moins palpable, il n'en est pas moins réel.
Le dommage moral ou extrapatrimonial est souvent difficile à chiffrer d'une manière exacte ou même approximative.
Dans tous ces cas cependant, le préjudice est direct certain et réel et doit donc être compensé, même s'il n'existe pas de base scientifique permettant de l'évaluer précisément.
[63] Que le préjudice moral soit plus difficile à cerner ne diminue en rien la blessure qu'il constitue. J'irais même jusqu'à dire que, parce qu'il est non apparent, le préjudice moral est d'autant plus pernicieux. Il affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire. Il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu ébranlé, seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens.[47]
(Référence omise)
[199] Dans les circonstances de l’affaire, le Tribunal estime qu’il y a lieu d’accorder une somme de 6 500 $ à monsieur Proulx afin de le compenser du préjudice moral dont il a été l’objet et découlant directement de la contravention du MSP aux dispositions de l’article 18.2 de la Charte.
[200] En ce qui a trait aux dommages punitifs réclamés par la Commission, madame la juge Pauzé, dans l’affaire Arvaniti[48], mentionne :
[126] La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, a établi que les paramètres suivants doivent être rencontrés afin de qualifier une atteinte d'illicite et intentionnelle :
En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.[17]
[…]
[128] L'octroi de dommages punitifs répond à des objectifs de punition, de dissuasion, et de dénonciation[18]. Les critères devant guider les tribunaux dans l'attribution d'un montant à ce titre ont été codifiés à l'article 1621 C.c.Q. Cet article énonce :
1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, tout ou en partie, assumée par un tiers.
[129] Par ailleurs, la Cour suprême, dans l'arrêt Richard c. Time inc., précise que
[l]orsqu’un tribunal décide s’il accordera des dommages-intérêts punitifs, il doit mettre en corrélation les faits de l’affaire et les buts visés par ces dommages-intérêts et se demander en quoi, dans ce cas précis, leur attribution favoriserait la réalisation de ces objectifs. Il doit tenter de déterminer la somme la plus appropriée, c’est-à-dire la somme la moins élevée, mais qui permettrait d’atteindre ce but (Whiten, par. 71).[19]
[201] Appliquant ces principes à la décision du MSP en l’espèce, la preuve n’a pas démontré une volonté ou un désir du MSP de causer à monsieur Proulx, en toute connaissance des conséquences de sa décision, les préjudices qu’il a subis.
[202] Les motifs de la décision du MSP d’exclure monsieur Proulx découlent des caractéristiques très spécifiques des établissements de détention dont il a la responsabilité et de la problématique réelle qui résulte du trafic de drogue en milieu carcéral. Or, c’est dans ce contexte que sa décision fut prise.
[203] Le fait que le MSP n’ait pas modulé sa décision en tenant compte qu’il ne s’agissait que d’un chantier ne peut être considéré comme une volonté de sa part de causer un préjudice à monsieur Proulx et ne justifie pas l’attribution de dommages punitifs.
[204] En conclusion, la demande introductive d’instance de la Commission est accueillie en partie et le MSP est condamné à payer à monsieur Proulx la somme de 13 205,04 $.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[205] ACCUEILLE en partie la demande introductive d’instance;
[206] CONDAMNE le ministère de la Sécurité publique à verser à monsieur Éric Proulx une somme de 6 705,04 $ à titre de dommages matériels;
[207] CONDAMNE le ministère de la Sécurité publique à verser à monsieur Éric Proulx une somme de 6 500 $ à titre de dommages moraux;
[208] LE TOUT, avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle, conformément à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 7 août 2013, date de la signification de la proposition de mesures de redressement, et les dépens;
[209] REJETTE la demande introductive d’instance contre la Société immobilière du Québec, maintenant la Société québécoise des infrastructures, avec dépens contre la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse;
[210] REJETTE la demande introductive d’instance contre Céramique de choix inc., avec dépens contre la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur la base d’une demande rejetée avant défense.
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__________________________________ YVAN NOLET, Juge au Tribunal des droits de la personne |
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Me Stéphanie Fournier |
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BOIES DRAPEAU BOURDEAU 360, rue Saint-Jacques Ouest 2e étage Montréal (Québec) H2Y 1P5 |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Jonathan Branchaud |
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CHAMBERLAND, GAGNON (JUSTICE - QUÉBEC) 300, boulevard Jean-Lesage, bureau 1.03 Québec (Québec) G1K 8K6 |
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Pour la partie défenderesse Ministère de la Sécurité publique |
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Me Jean-François Gallant |
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BERGERON, DENILLE & ASSOCIÉS 1075, rue de l’Amérique-Française Québec (Québec) G1R 5P8 |
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Pour la partie défenderesse Société immobilière du Québec |
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Céramique de Choix inc., non représentée (absente à l’audition) |
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Partie défenderesse |
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Date d’audience : |
15 et 16 octobre 2014 - Délibéré après notes, 21 novembre 2014
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[1] RLRQ, c. C-12.
[2] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Maksteel Québec inc., 1997 CanLII 17150 (QC T.D.P.).
[3] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Phil Larochelle Équipement inc., 1998 CanLII 37, par. 26 (QC T.D.P.).
[4] Id., par. 24.
[5] Id., par. 23.
[6] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Montréal (Communauté urbaine de) (Ville de Montréal), 2014 QCTDP 7, par. 147 (ci-après cité « C.D.P.D.J. c. Montréal »).
[7] Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, par. 134 à 145 (ci-après citée « Therrien »).
[8] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec inc., [2003] R.C.S. 228 (ci-après cité « Maksteel »).
[9] [2008] 2 R.C.S. 698 (ci-après cité « S.N. »).
[10] L.R.C. 1985, c. C-47.
[11] Edwards c. P.G. du Canada (1930) A.C. 124 (ci-après cité « Edwards »).
[12] Id.
[13] Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.).
[14] Edwards, préc., note 11, par. 2.
[15] Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, 700.
[16] Renvoi relatif à la Loi sur l'assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, par. 9.
[17] Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11(R.-U.).
[18] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)] (ci-après citée la « Charte canadienne »).
[19] Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, 509 (ci-après cité « Motor Vehicule Act »).
[20] Law society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, 366.
[21] Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés, [1996] 2 R.C.S. 345, par. 42 (ci-après cité « Béliveau St-Jacques »).
[22] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec inc., préc., note 8, par. 10.
[23] Id., par. 11.
[24] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, 2007 QCTDP 29, par. 205, inf. en partie par 2010 QCCA 172 (demande pour autorisation d'appeler refusée, C.S.C., 08-07-2010, 33631, 2010 CanLII 37846 (C.S.C.)).
[25] Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 951.
[26] Id., p. 996.
[27] Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., Butterworths, 1994, aux pp. 383 et 384.
[28] Pierre-André Côté, avec la collab. de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, L'interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 13.
[29] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec inc., préc., note 8, par. 20, 21 et 27.
[30] Id., par. 43 et 45.
[31] Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), préc., note 9, par. 31.
[32] Christian BRUNELLE, « La discrimination fondée sur les antécédents judiciaires : le principe de l'interprétation large sous les verrous? », (2012) 42 R.D.U.S. 13, 27.
[33] Id., 29.
[34] Voir l'article 23 de la Charte.
[35] H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, préc., note 25, p. 995.
[36] Berardinelli c. Ontario Housing Corp, [1979] 1 R.C.S. 275, 284.
[37] Voir la Pièce P-4a.
[38] Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, c. 23 (ci-après citée la « Loi »).
[39] Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991 (cité ci-après « C.c.Q. »).
[40] Cunningham c. Wheeler, [1994] 1 R.C.S. 360, p. 401.
[41] Laflamme c. Fabrique de la paroisse St-Mathieu, 2002 CanLII 16398, par. 31 (QC C.S.) (référence omise).
[42] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, no 1-399. Voir notamment Girardeau c. Nadeau, [1980] C.A. 258; Jack Cewe Ltd. c. Jorgenson, [1980] 1 R.C.S. 812; Industries de Caoutchouc Mondo (Canada) ltée c. Leblanc, [1987] R.J.Q. 1024; Villeneuve c. Roy, 2001 CanLII 18300, par. 68 (QC C.S.); Deslauriers c. Éthier, [2001] R.R.A. 538 (C.Q.); Laflamme c. Fabrique de la paroisse St-Mathieu, id.
[43] Jean-Yves BRIÈRE et Réjane CARON, Assurance-emploi : Loi commentée, 3e éd., Brossard, Publications CCH, 2005, p. 359.
[44] Jack Cewe Ltd. c. Jorgenson, préc., note 42, pp. 818-819; Girardeau c. Nadeau, préc., note 42; Industries de Caoutchouc Mondo (Canada) ltée c. Leblanc, préc., note 42; Centropneus Goodyear et Leblond, D.T.E. 98t-741, AZ-98144546, p. 6; Guillemette c. Fabrimet inc., 2005 QCCRT 705, par. 23-26 (CanLII) (confirmé en révision judiciaire Fabriment inc. c. Commission des relations du travail, 2006 QCCS 3008); Tremblay c. G. Riendeau et Fils inc., 2005 QCCRT 617, par. 129 (CanLII).
[45] Jack Cewe Ltd. c. Jorgenson, préc., note 42, p. 819; Girardeau c. Nadeau, préc., note 42; Industries de Caoutchouc Mondo (Canada) ltée c. Leblanc, préc., note 42; Guillemette c. Fabrimet inc., préc., note 44, par. 25. Tremblay c. G. Riendeau et Fils inc., préc., note 44, par. 129.
[46] Lafleur c. Issa, [2000] R.J.Q. 87 (C.S.), AZ-00021032, par. 76.
[47] Bou Malhab c. Métromedia CMR Montréal inc., 2003 CanLII 47948, par. 62 et 63 (QC C.A.).
[48] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Arvaniti, 2013 QCTDP 4, par. 126, 128 et 129.
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