Picard c. 9100-9910 Québec inc. |
2017 QCCQ 61 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
GATINEAU |
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LOCALITÉ DE |
GATINEAU |
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« Chambre civile » |
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N° : |
550-32-023235-168 |
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DATE : |
16 janvier 2017 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU |
JUGE JEAN FAULLEM, J.C.Q. |
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LISE PICARD
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Demanderesse |
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c. |
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9100-9910 QUÉBEC INC. -et- PIEUX VISTECH - POSTECH SCREW PILES INC.
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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JF 1075 |
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[1] La demanderesse réclame aux défenderesses 14 976,88 $ en dommages-intérêts découlant de la réalisation de travaux de conception et d’installation de pieux et de poutres de soutènement dans le but d’ériger un agrandissement à sa résidence située sur le chemin Hurd, à Wakefield.
[2] Plus précisément, la demanderesse allègue que les pieux de marque Vistech ainsi que les poutres de soutènement conçus et installés par 9100-9910 Québec inc. auraient provoqué de multiples fissures dans le gypse de la nouvelle section de la résidence, en plus de causer d’importantes difficultés lors de l’ouverture et de la fermeture des portes de celle-ci.
[3] Bien que dûment notifiée de la demande judiciaire introduite par la demanderesse, la défenderesse 9100-9910 Québec inc. fait défaut d’intervenir au dossier. Dans ces circonstances, le Tribunal procède à l’audition du procès malgré l’absence d’un représentant de cette dernière.
[4] De son côté, la défenderesse Pieux Vistech — Postech Screw Piles inc. (ci-après Vistech - Postech) dépose une contestation écrite au dossier de la Cour et son représentant, Jean Routhier, est présent au procès.
I- QUESTIONS EN LITIGE
[5] Le litige des parties soulève les questions de faits et de droit suivantes :
A) La défenderesse 9100-9910 Québec inc. est-elle responsable des dommages subis par la demanderesse ?
B) Le cas échéant, quelle est la valeur de l’indemnité à laquelle a droit la demanderesse ?
C) La défenderesse Vistech — Postech est-elle également responsable des dommages subis par la demanderesse ?
II- CONTEXTE
[6] En 2012, la demanderesse décide d’entreprendre la construction d’une rallonge à sa résidence, située à Wakefield.
[7] Le 12 avril 2012, la demanderesse confie à la défenderesse 9100-9910 Québec inc., par contrat écrit, la tâche de fabriquer et de fournir des pieux de marque Vistech ainsi que des poutres de 14 à 16 pieds de longueur destinés à servir de base de soutènement pour l’agrandissement projeté de sa propriété.
[8] À cette époque, la défenderesse 9100-9910 Québec inc. exploite son entreprise commerciale sous la dénomination Les Fondations Vistech Outaouais (ci-après Vistech Outaouais) et elle opère une franchise que lui a accordée Les Fondations Vistech inc. (ci-après Vistech inc.).
[9] Le 1er juin 2013, Vistech vend tous ses éléments d’actifs à Vistech — Postech, laquelle reprend les activités de franchiseur de l’entreprise sous sa nouvelle dénomination.
[10] 9100-9910 Québec inc. abandonne la dénomination Les Fondations Vistech inc. le 6 juin 2013, à la suite d’une fusion intervenue avec la société 9283-5651 Québec inc.
[11] En 2013 et en 2014, la demanderesse constate l’apparition de multiples fissures dans le gypse situé à l’intérieur de la rallonge, dans la section supportée par les pieux installés par Vistech Outaouais. Elle éprouve également de la difficulté à ouvrir et fermer les portes de cette section de la maison.
[12] À l’automne 2014, la demanderesse mandate la firme Plan & Gestion + afin d’obtenir une expertise quant à la cause des déficiences constatées.
[13] Le 22 avril 2015, Patrick Fillion, technologue professionnel à l’emploi de Plan & Gestion +, signe son rapport d’inspection, par lequel il conclut que l’immeuble est affecté de malfaçons résultant des travaux exécutés par Vistech Outaouais. Le rapport recommande de reprendre entièrement les travaux de stabilisation de la rallonge de la résidence.
[14] À la réquisition de la demanderesse, Habitation Mapleridge Homes prépare, le 18 octobre 2015, une évaluation afin de déterminer le coût d’exécution des travaux correctifs suggérés par monsieur Fillion. Les travaux de réparations sont évalués à 11 476,88 $.
[15] Le 28 octobre 2015, la demanderesse envoie aux deux défenderesses, par l’entremise de ses procureurs, une mise en demeure afin de les informer des conclusions du rapport d’inspection de Plan & Gestion +, ainsi que pour leur réclamer le coût des réparations de l’immeuble selon l’évaluation d’Habitation Mapleridge Homes.
[16] Le 21 décembre 2015, la demanderesse introduit sa demande judiciaire devant la Division des petites créances de la Cour du Québec. Elle y réclame, en plus des coûts d’exécution des travaux correctifs mentionnés ci-devant, une somme supplémentaire de 3 500 $ à titre de dommages-intérêts pour perte de jouissance des lieux, ennuis, tracas et inconvénients subis à la suite de la découverte des déficiences résultant des travaux exécutés par Vistech Outaouais.
Les mises en demeure envoyées au nom de la demanderesse ainsi que sa demande judiciaire mettent en cause le nouveau franchiseur des pieux Vistech et non pas celui qui opérait cette bannière au moment de la réalisation des travaux en litige.
III- ANALYSE ET CONCLUSION
A) La responsabilité de la défenderesse 9100-9910 Québec inc.
[17] Le contrat du 12 avril 2012 intervenu entre la demanderesse et Vistech Outaouais constitue un contrat d’entreprise ou de service régi par les articles 2098 et subséquents du Code civil du Québec (CCQ). Puisqu’il s’agit d’un contrat conclut entre un commerçant et un consommateur, les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur (LPC) s’appliquent également au litige.
[18] L’article 2118 CCQ prévoit que l’entrepreneur qui effectue des travaux est tenu de la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, lorsque la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou, encore, d’un vice du sol.
[19] Le témoignage non contredit de Patrick Fillion ainsi que son rapport du 22 avril 2014 démontrent, de façon prépondérante, conformément aux dispositions des articles 2803 et 2804 CCQ, que les défectuosités constatées par la demanderesse découlent d’une mauvaise installation des pieux ou d’un vice du sol.
[20] Monsieur Fillion conclut son rapport d’expertise ainsi :
« En conclusion, suite à mon inspection et à mon analyse, il y a clairement un problème avec les pieux d’acier qui ont été installés pour soutenir l’allonge de la résidence du […].
Les pieux bougent avec l’effet du gel dans le sol en période hivernale. Une des causes possibles à cette situation est que les pieux n’ont pas été assez enfoncés dans le sol lors de leur installation. La profondeur minimale est de 5’-0’’, mais dans une situation comme celle-ci, où le sol n’est pas protégé par la neige (isolant naturel), la profondeur doit être augmentée à 7’ -0’’.
Une autre cause possible, est que, malgré la profondeur minimale atteinte, la capacité portante du sol n’est pas bonne à la profondeur requise. Ceci implique d’ajouter une allonge au pieux enfoncé et de descendre jusqu’au sol naturel où le pieux sera stable et ne bougera pas avec les changements de température.
Une autre possibilité est que les pieux utilisés ne sont pas de bonnes tailles. Car il existe des pieux pour supporter des perrons et des pieux pour supporter des allonges. La dimension des pieux est différente d’une utilisation à l’autre. Si des pieux conçus pour supporter un perron ont été utilisés pour cette construction, ceci pourrait expliquer les mouvements.
Alors, je propose d’enlever les pieux existant pour confirmer que les bons pieux ont été utilisés dans ce dossier et ensuite de faire l’installation de pieux de bonnes dimensions, à la profondeur requise dans un sol dont la capacité portante est suffisante. »
[21] Puisque la perte d’ouvrage survient à l’intérieur d’un délai de cinq ans de la fin des travaux, Vistech Outaouais est responsable des dommages subis par la demanderesse.
[22] De son côté la LPC prévoit, par ses articles 37 et 38, que le bien qui fait l’objet d’un contrat de consommation doit servir à l’usage auquel il est normalement destiné pendant une durée raisonnable.
[23] Il ne fait aucun doute que les travaux de conception et d’installation de pieux et de poutres effectués par Vistech Outaouais auraient dû servir à leur usage pendant une période beaucoup plus longue que celle qui précède la découverte des vices décrits plus amplement dans le rapport de l’expert Fillion.
[24] L’article 272 LPC permet au consommateur de réclamer au commerçant tous les dommages-intérêts qu’il subit lorsque ce dernier manque aux obligations que lui impose la loi.
B) La valeur de l’indemnité payable à la demanderesse
[25] Le témoignage de la demanderesse ainsi que les pièces déposées au dossier démontrent, de façon prépondérante, que les travaux de rénovation de la rallonge de la résidence coûtent 11 476,90 $, somme qu’elle est en droit de réclamer à Vistech Outaouais.
[26] La preuve révèle également que la perte de l’ouvrage cause à la demanderesse une perte de jouissance de l’immeuble, en plus de lui créer des ennuis, du stress et des inconvénients pour lesquels elle est justifiée de réclamer à Vistech Outaouais une somme supplémentaire de 3 500 $ à titre de dommages moraux.
[27] Conformément aux articles 339 et 340 du Code de procédure civile (CPC), le Tribunal accorde à la demanderesse les frais de justice de la demande, incluant les frais d’expertise de 862,31 $ de l’expert Patrick Fillion ainsi que les frais et droits de greffe de 200 $.
C) La responsabilité de Vistech-Postech
[28] Par sa procédure judiciaire, la demanderesse allègue que le nouveau franchiseur doit lui aussi garantir la qualité des travaux effectuée par son franchisé.
[29] En matière de contrat de franchise, il n’existe pas de lien de droit direct permettant à un client du franchisé de poursuivre le franchiseur pour les actes posés par son franchisé, à moins que celui-ci ne soit intervenu au contrat afin de garantir les travaux effectués, ce qui n’est pas le cas dans le dossier à l’étude.
[30] En effet, le contrat intervenu entre la demanderesse et Vistech-Outaouais au mois d’avril 2012 ne comporte aucune clause assujettissant le franchiseur à une garantie quelconque quant à l’exécution des travaux par le franchisé.
[31] Malgré ce principe, s’il est démontré que les défaillances alléguées par la partie réclamante découlent d’un bien fourni par le franchiseur, celui-ci, à titre de fabricant, peut être tenu de la garantie découlant des articles 37 et 38 de la LPC, le tout conformément à l’article 54 de cette même loi.
[32] Dans le dossier à l’étude, la preuve non contredite démontre que les malfaçons découlent d’une réalisation inadéquate des travaux ou d’un vice de sol, et non pas d’un défaut de fabrication des pieux. Ainsi, la responsabilité du franchiseur à titre de fabricant des produits installés ne peut pas être retenue par le Tribunal.
[33] Par ailleurs, notons que certaines situations qui impliquent un contrat de franchise peuvent également donner ouverture à un recours de nature extracontractuelle contre le franchiseur de la part d’un client du franchisé.
[34] En effet, il est généralement reconnu que le franchiseur peut engager sa responsabilité extracontractuelle à l’égard d’un client du franchisé lorsque ce dernier réussit à démontrer que le franchisé agissait à titre de mandataire du franchiseur lors des événements en litige. Plus précisément, la preuve consiste à démontrer que le franchisé, dans l’accomplissement de ses tâches, ne fait qu’exécuter les directives émises par le franchiseur.
[35] Or, dans le dossier à l’étude, cette question demeure purement théorique et il n’est pas nécessaire pour le Tribunal d’y répondre, puisque ce n’est pas le franchiseur de l’époque où les travaux du franchisé sont réalisés qui est poursuivi, mais bien celui qui a acquis les actifs de ce dernier en 2013.
[36] En vertu du Code civil du Québec, l’acquéreur des éléments d’actifs d’une entreprise se tient responsable des obligations de son vendeur seulement lorsque la vente des biens est exécutée en fraude des droits d’une tierce partie, notamment lorsque l’acte de vente des actifs rend insolvable le vendeur ou accorde, alors que ce dernier est insolvable, une préférence à un autre créancier. Dès lors, la partie victime des conséquences de la vente dispose de l’action en inopposabilité de l’acte juridique intervenu entre le vendeur et l’acheteur, conformément aux articles 1631 et subséquents CCQ.
[37] Toutefois, l’article 1634 CCQ prévoit que la créance du réclamant doit être antérieure à l’acte juridique attaquée.
[38] Dans le dossier à l’étude, ce n’est qu’en 2014 que la demanderesse apprend que les travaux réalisés par Vistech Outaouais causent la perte de l’ouvrage. Notons par ailleurs que tant le franchisé que le franchiseur sont avisés des malfaçons, par mise en demeure, qu’au mois d’octobre 2015. À ce moment, la vente des actifs du franchiseur est réalisée depuis plus de deux ans.
[39] En conséquence, même si le Tribunal arrivait à la conclusion que le franchiseur de l’époque pourrait être tenu responsable des dommages causés à la demanderesse par les agissements de son franchisé, l’acte de vente des actifs de la franchise ne peut pas être déclaré inopposable à l’égard de la demanderesse.
[40] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[41] ACCUEILLE en partie la demande judiciaire ;
[42] CONDAMNE 9100-9910 Québec inc. à payer à la demanderesse 11 476,88 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 28 octobre 2015, date de la mise en demeure ;
[43] CONDAMNE 9100-9910 Québec inc. à payer à la demanderesse 3 500 $ en dommages-intérêts moraux avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 21 décembre 2015, date d’introduction du recours ;
[44] CONDAMNE 9100-9910 Québec inc. à payer à la demanderesse les frais de justice de la demande, fixés à 1 062,31 $ ;
[45] REJETTE la demande judiciaire à l’égard de Pieux Vistech-Postech Screw Piles inc., sans frais.
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__________________________________ JEAN FAULLEM, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
12 septembre 2016 |
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AVIS :
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