Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2015 QCTAQ 051035
Dossier : SAS-M-217968-1311
ROBERT LESSARD
MICHÈLE RANDOIN
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL (IVAC)
Partie mise en cause
[1] Le Tribunal est saisi d’un recours formé en temps utile par la requérante (ci-après : madame) qui conteste deux décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après : IVAC), en sa qualité de gestionnaire de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (ci-après : Loi IVAC), le 2 octobre 2013.
[2] Par la première de ces décisions, l’IVAC reconsidère un premier volet de la décision rendue en révision le 15 juillet 2013 et refuse à madame le droit à des séances de psychothérapie en plus des vingt séances déjà autorisées, au motif qu’elle n’est pas une victime, mais une proche de la victime, et que le règlement en la matière ne permet pas de telles séances.
[3] Par la deuxième, le bureau de révision de l’IVAC confirme un deuxième volet de la même décision rendue le 15 juillet 2013 et maintient son refus de donner à madame le droit aux indemnités pour incapacité totale temporaire, au même motif qu’elle n’est pas une victime, mais une proche de la victime, et que la Loi ne permet pas de telles indemnités dans les circonstances.
Les prétentions des parties
[4] En plus du motif invoqué par l’IVAC relativement au statut de madame en l’instance, la Procureure générale du Québec (ci-après : la PGQ), partie intimée, soutient que le Tribunal n’a pas la compétence requise pour statuer sur la première contestation.
[5] Pour sa part, madame soutient au contraire que :
• le Tribunal a toute la compétence requise pour statuer sur la première contestation;
• elle est une « victime » et non seulement une « proche de la victime »; et
• elle a donc droit aux séances de psychothérapie supplémentaire et aux indemnités pour incapacité totale et partielle temporaire.
L’événement
[6] Le 25 janvier 2011, X, le fils de madame né le […] 2006, est retrouvé pendu avec son père dans le garage de ce dernier. L’enquête conclut que les décès sont survenus la veille, le 24 janvier 2011, et qu’il s’agit d’un meurtre suivi d’un suicide.
La preuve documentaire
[7] Le dossier comprend les documents suivants :
• Le rapport d’événement rédigé par la policière C.C., à une date qui n’est pas précisée, relativement à l’intervention du 25 janvier 2011.[1]
• Le rapport d’évaluation commis par madame M.R., psychologue, le 19 avril 2011, dans lequel cette dernière conclut à un état de stress post-traumatique et un état de deuil chez madame.[2]
• Le rapport d’évaluation psychiatrique effectuée par Dr M.G., psychiatre-conseil, le 22 février 2012, dans lequel ce dernier conclut à l’incapacité de madame pour toutes activités professionnelles rémunérées, en raison notamment d’une condition de stress post-traumatique et d’un EGF de 55, dont le pronostic est réservé « compte tenu du caractère sévérissime et inhabituel du trauma ».[3]
• Le rapport rédigé par madame M.F., psychologue et psychothérapeute, le 21 décembre 2013, dans lequel cette dernière se dit en accord avec le diagnostic de son médecin traitant qui affirme que « Mme […] possède tous les éléments d’une personne souffrant aujourd’hui de réactions typiques à un Désordre de Stress Post-traumatique avec symptômes de dépression marquée et un trouble d’adaptation en lien avec le drame vécu le 25 janvier 2011 ». [4]
• Le rapport d’une expertise psychiatrique effectuée par Dr C.L., psychiatre, le 16 mai 2014, dans lequel ce dernier émet le même diagnostic de stress post-traumatique et conclut que « madame n’était pas capable de travailler à temps plein antérieurement à septembre 2013 ».[5] Le psychiatre y exprime aussi son opinion que la blessure de madame est en lien direct avec l’événement du 24 janvier 2011.
• Enfin, une lettre de madame à l’IVAC le 19 juin 2013, dans laquelle cette dernière établit le quantum des pertes salariales qu’elle a subies pour sa période d’incapacité temporaire, soit pendant les années 2011 à 2013.[6] Une attestation de son employeur[7] accompagne cette lettre.
[8] Le Tribunal retient principalement les passages suivants qui établissent un lien direct entre la blessure de madame et l’événement du 24 janvier 2011, dans les rapports de Mme M. F. et Dr C. L. :
Mme M. F.
« Mme est la victime de ce drame horrible. L’escalade de la violence conjugale passive-agressive envers Mme est démontrée dans les actions de M : son mutisme, les verres brisés retrouvés dans les boites de déménagement, le contrôle par l’absence d’information dans la disparition du bac de vêtements de bébé que Mme avait confectionnés de ses mains pour [X] et, finalement, l’acte ultime, l’exécution de l’enfant lui-même, le but étant de faire souffrir la personne qui le fait souffrir, la mère de son enfant.
[…]
Mme fait des cauchemars de ce drame et des rêves anxieux. Dans ses cauchemars, son fils est présent et Mme ressent toujours un sentiment d’urgence, de panique, d’angoisse. Il faut qu’elle se dépêche : son fils a besoin d’elle. […]
[…] Mme a joué un rôle obligatoire et essentiel dans la recherche de son fils. Mme est témoin du déroulement du crime, elle en fait partie. Elle s’est rendue immédiatement à la maison familiale. L’attente était cruelle. Sur les lieux du crime, Mme agonisait d’inquiétude. Les minutes d’angoisse interminables lorsqu’elle voit l’auto enneigée, frappe désespérément à la porte, l’absence de réponse, aucun bruit, la note accrochée dans l’entrée, les bottes de […] et de son ex-conjoint sur le plancher. Mme qui se précipite d’une fenêtre à l’autre, d’une porte à l’autre, à l’arrière de la maison. Elle regarde, cherche par la porte patio si elle ne verrait pas son fils. Elle voit le lit de […] défait, le popcorn sur le poêle. Mme se dira impuissante malgré toutes ses actions. […] »
Dr C. L.
« Madame […] a été confronté au meurtre de son fils par le père de ce dernier, qui s’est lui-même suicidé, soit un homicide-suicide.
C’est madame qui, avertie de la situation anormale, s’est rendue sur les lieux et a averti les services de police. Elle a développé une angoisse très importante avec sentiment de détresse en attendant l’arrivée de ces derniers.
[…] »
« Cette agression pour madame était directement dirigée contre elle puisque le père de l’enfant avait antérieurement manifesté des signes d’agressi-vité à l’égard de madame en détruisant des effets personnels ou en faisant disparaître des objets auxquels madame était attachée et en lien avec son fils.
La froideur, les silences, la communication de plus en plus espacée voire absente, et les responsabilités du conjoint dans son rôle paternel ainsi que des propos dont madame s’est souvenue rétrospectivement concernant la fin du calvaire, propos communiqués en sa présence à son fils, viennent souligner que monsieur, du fait de sa personnalité passive-agressive, avait l’intention par ce geste d’agresser directement madame. »[8]
Les témoignages
[9] Madame, née le […] 1978, témoigne des faits suivants.
[10] En 2003, elle commence à fréquenter son ex-conjoint plus âgé qu’elle, et fait vie commune avec lui à compter de 2004. Ils se séparent en janvier 2010.
[11] Les relations entre eux deviennent alors très tendues, au point que l’ex de madame arrête carrément de répondre à ses téléphones et ses courriels. Leurs discussions portent notamment sur la garde de X, leur fils.
[12] Madame fait état du propos suivant tenu par monsieur devant elle, six mois avant l’événement, savoir : « X, notre calvaire achève. »
[13] Elle relate qu’en janvier 2010, en voulant déplacer une des boîtes qu’elle a préparée en vue de son déménagement, elle découvre que des objets de valeur sentimentale, notamment de la verrerie, ont été brisés.
[14] En février de la même année, elle ne trouve plus un bac de souvenirs, comprenant des vêtements de son fils. Son ex lui répond évasivement à ce sujet qu’il les a donnés.
[15] Madame entreprend des procédures. Comme monsieur ne se présente pas en cour à trois reprises, elle obtient la garde partagée de son fils, avec droit pour lui de le garder un weekend sur deux, du vendredi soir au lundi matin, le jugement prenant effet en janvier 2011.
[16] Le premier weekend, en venant chercher son fils, monsieur pique une colère, devient agressif et repart sans son fils. Il se comporte mieux le deuxième weekend et repart avec son fils pour le weekend commençant le vendredi soir 21 janvier 2011 et devant se terminer le lundi matin, 24 janvier.
[17] Le lundi soir, madame se rend à la garderie pour récupérer son fils et on lui apprend que ce dernier ne s’est pas présenté de la journée. Elle se rend chez son ex et accède à sa demande de garder l’enfant pour une autre nuit, avec la promesse expresse qu’il conduira son fils à la garderie le lendemain matin, mardi 25 janvier.
[18] Dès le matin du 25 janvier, madame téléphone à la garderie et apprend que son fils n’y est pas. Inquiète, angoissée et stressée, elle se rend chez son ex et y trouve l’auto de ce dernier enneigée et n’ayant visiblement pas servi.
[19] Elle sonne, cogne à la porte, n’obtient pas de réponse, fait le tour de la maison sans trouver d’issue et revient à la porte d’entrée. Elle voit les bottes de son fils dans l’entrée et une feuille collée sur l’interrupteur et sur laquelle sont inscrits les numéros de téléphone des membres de la famille de son ex. De plus en plus angoissée et pensant au pire, elle téléphone aux autorités policières et leur explique la situation.
[20] Un policier et une policière arrivent sur les lieux quelques minutes plus tard. Ils font le tour de la maison, mais en vain. Le policier défonce la porte, monte à l’étage, redescend et visite le rez-de-chaussée, pendant que madame reste dans l’entrée. Se préparant à descendre dans le sous-sol, il ouvre la porte du garage située immédiatement à la droite de la porte d’entrée. Il la referme aussitôt en poussant un cri.
[21] C’est alors que les jambes de madame lui manquent. Elle est soutenue par la policière jusqu’à l’auto de patrouille et s’y s’assoie. Elle est en état de choc et se sent « détruite intérieurement ».
[22] Par la suite, elle ne peut voir son fils qu’après que ses parents et sa sœur l’aient fait, et seulement à travers une vitre. Tout en affirmant que les jambes lui manquent encore à cette occasion, elle dit : « Je voyais mon petit bébé mort devant moi ».
[23] Elle dit ne pas être certaine d’avoir vu les corps pendus au centre du garage, lorsque le policier a ouvert la porte, mais affirme qu’une image forte de la scène lui est restée gravée dans la tête.
[24] Depuis, elle fait des cauchemars au moins une fois par semaine, éprouve un sentiment d’urgence et se réveille en sursaut, affolée et angoissée.
[25] Elle consulte sa psychothérapeute, madame M. F., à toutes les deux semaines depuis six mois. Elle la voyait auparavant toutes les semaines depuis juin 2013, début de sa psychothérapie.
[26] Elle ajoute enfin qu’elle a été en arrêt de travail pendant un an et demi, comme technicienne en administration dans une commission scolaire, et qu’elle a recommencé de façon progressive pendant une période de neuf mois, soit à compter d’août 2012 jusqu’au 23 avril 2013, date de son retour définitif au travail à temps plein.
[27] Elle ajoute également qu’elle a eu besoin de traitements pour lui permettre de la supporter pendant son retour progressif au travail.
[28] Les deux policiers appelés sur les lieux, madame C.C. et monsieur M.T., confirment essentiellement les propos de madame pour ce qui est des circonstances de l’événement du 25 janvier 2011.
[29] La policière réfère au rapport qu’elle a rédigé[9] et précise ce qui suit :
[30] À son arrivée sur les lieux, elle trouve madame à la porte d’entrée de la maison, un bungalow pas très grand. Cette dernière bouge constamment et lui parle avec un trémolo dans la voix.
[31] Elle est elle-même stressée, du fait que la répartitrice avait expliqué la situation lors de l’appel.
[32] Madame appelle son fils en entrant dans la maison.
[33] La policière voit les deux corps pendus dans le garage.
[34] Madame est alors située tout près d’elle et peut aussi voir les corps, selon l’angle de vue.
[35] La policière supporte madame jusqu’à l’auto.
[36] Elle voit alors son collègue qui sort de la maison en hurlant de rage et qui se rend auprès de madame en lui disant qu’il est désolé.
[37] Madame est en état de choc, sans tonus. Elle pleure et a le regard vide.
[38] La policière accompagne ensuite madame dans l’ambulance jusqu’à l’hôpital, où elle rencontre un psychologue ou travailleur social.
[39] Elle-même pleure et doit quitter son travail tôt en après-midi.
[40] Les jours suivants ne sont pas faciles pour la policière qui se rappelle souvent la scène, « comme si c’était hier ».
[41] Il s’agit, affirme-t-elle en terminant son témoignage, de la pire expérience de sa carrière de policière.
[42] Le policier, pour sa part, précise ce qui suit :
[43] Madame est très nerveuse et tremble.
[44] Il est déjà très nerveux lui-même, ayant été informé de la situation lors de l’appel.
[45] À l’arrière de la maison, il voit par la porte quatre cartes (assurance-maladie et autres) bien rangées sur la table, ce qui lui semble anormal.
[46] Il défonce la porte d’entrée et fait le tour de la maison sans rien trouver.
[47] S’apprêtant à descendre au sous-sol, il ouvre la porte donnant sur le garage et la referme rapidement après avoir vu les deux corps pendus.
[48] Il sort de la maison avec madame qui est aidée par la policière jusqu’à l’auto de patrouille.
[49] Il retourne voir à l’intérieur et sa seule réaction, en sortant de nouveau, est de hurler.
[50] Il se rend auprès de madame, lui prend les mains et s’excuse. Il la trouve « étrangement silencieuse ».
[51] Après avoir décroché les corps avec des collègues, il ne peut faire que la moitié de son quart de travail.
[52] Il évite systématiquement par la suite de discuter de l’événement avec ses partenaires.
[53] Il s’agit pour lui, conclut-il également, de la pire expérience de sa vie.
[54] Madame M. F., travailleuse sociale et psychothérapeute, réfère à son rapport et témoigne essentiellement de ce qui suit, après avoir été relevée de son secret professionnel par le Tribunal :
[55] Madame lui est référée par docteur L., son médecin de famille, et les rencontres se font au rythme d’une fois aux deux semaines.
[56] Elle présente des symptômes de stress post-traumatique, dépression et anxiété sévère reliés à la découverte de son enfant mort dans des circonstances dramatiques.
[57] Le quotidien pour madame s’avère un calvaire en l’absence de son enfant qui avait quatre ans à son décès.
[58] Elle fonctionne de façon minimale avec sensation de silence et de vide, et elle tend à faire de l’évitement.
[59] Elle a des souvenirs répétés et troublants de l’événement, notamment lorsqu’elle voit un petit garçon de quatre ans avec les cheveux blonds qui lui rappelle son fils, ou à d’autres occasions que cite le témoin comme éléments déclencheurs.
[60] Elle a également des rêves ou des cauchemars répétitifs et des épisodes dissociatifs, revoyant l’événement « comme dans un film ».
[61] Elle fait des crises de panique grave, comme en particulier lors d’une certaine réunion à son lieu de travail et lors d’une autre réunion où elle se dit confuse.
[62] Elle éprouve un sentiment d’urgence de retrouver son fils.
[63] Elle n’est pas certaine d’avoir vu le corps de ce dernier dans le garage, mais elle était située à un endroit où elle pouvait le voir.
[64] Cette situation est inacceptable, ce qui peut expliquer un processus de dissociation sévère possible chez madame.
Les plaidoiries
[65] Le procureur de madame fait d’abord valoir que les dispositions de la Loi sur les accidents du travail (LAT)[10] trouvent application en l’instance, notamment à l’article 2 qui définit la notion de prestation comme « une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi ».
[66] Il fait également valoir que l’IVAC n’applique pas ici correctement la Loi qu’elle administre et qui est en vigueur depuis quarante-deux ans, en ce qui a trait notamment au statut de madame, question qui est au cœur du présent litige.
[67] Il réfère en particulier, à cet égard, aux articles 1 et 3 de cette loi qui définissent ce qu’est une « blessure » et une « victime ».
[68] Il insiste sur le fait qu’une blessure peut être un choc mental ou nerveux, ce qui est le cas en l’instance, madame souffrant d’un stress post-traumatique.
[69] Il souligne également qu’une victime est une personne qui, au Québec, est tuée ou blessée en raison d'un acte d’une autre personne (…) et se produisant à l'occasion ou résultant directement de la perpétration d'une infraction (…).
[70] Pour lui, la notion de victime dans la loi de l’IVAC se rapproche de celle que l’on retrouve dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[11], où il est également fait mention de l’expression « à l’occasion de ».
[71] Il fait valoir que le fait pour l’enfant de madame d’être une victime n’exclut pas que cette dernière puisse également être une victime, tout en étant une proche au sens de la Loi IVAC, et qu’en plus de l’indemnité pour le décès de son fils, elle puisse se voir octroyer des prestations pour incapacité.
[72] La différence entre une victime et un proche, explique-t-il, est que contrairement à la victime, le proche n’a pas droit à plus de vingt séances de traitement et n’a pas droit à des prestations pour incapacité.
[73] Selon lui, si la personne se situe assez près de la scène du crime, elle peut être considérée une victime, tout comme la personne décédée.
[74] Il soutient donc qu’à ce titre, madame a droit à plus que vingt séances de psychothérapie et à une indemnité pour incapacité totale et partielle temporaire, ce qu’elle recherche en l’instance.
[75] Il fait valoir à ces égards que madame est très symptomatique de stress post-traumatique, qu’elle a été en arrêt de travail, et a fait sa réclamation à l’IVAC quelques jours à peine après l’événement.
[76] Il fait également valoir que le quantum de la réclamation de madame pour pertes de salaire, est établi dans la lettre qu’elle a transmise à l’IVAC avec l’attestation de son employeur, le 13 juin 2013.
[77] Il souligne que, dans leurs témoignages, les policiers confirment les propos de madame relativement aux circonstances de l’événement et affirment avoir eux-mêmes souffert de stress post-traumatique par la suite.
[78] Il reconnaît que madame ne peut dire avec certitude qu’elle a vu les deux corps, mais selon lui, cet élément n’est pas capital dans les circonstances.
[79] Il réfère enfin à deux décisions[12] dans lesquelles le Tribunal a reconnu le statut de victime à des personnes qui, à l’occasion d’un crime, ont un rapport direct avec la perpétration de ce crime notamment du fait de leur présence sur les lieux du crime, comme ici la présence de madame, ou du fait que l’auteur du crime visait ces personnes par esprit de vengeance, comme dans le présent cas où plusieurs indices précédant la perpétration du crime tendent à le démontrer.
[80] La procureure de la PGQ soutient d’abord que le Tribunal n’a pas la compétence requise pour se prononcer sur la reconsidération de la décision relative aux traitements de psychothérapie.
[81] Elle réfère à cet égard à l’article 15 de la Loi IVAC, aux articles 63, 64 et 65 de la LAT, de même qu’au paragraphe 2.1 de l’article 5 de l’annexe 1 de la Loi sur la justice administrative[13] (LJA), lesquels limitent la compétence du Tribunal en la matière, aux seules dispositions qui s’y trouvent. (LATMP).
[82] Elle soutient ensuite que les faits ne permettent pas de conclure en l’instance que madame est une victime au sens de la Loi IVAC.
[83] En l’instance, selon elle, la seule victime directe est le fils de madame.
[84] Elle reconnaît que madame est effectivement affectée par l’événement, mais elle fait valoir qu’il s’agit-là d’une relation indirecte avec la perpétration de l’infraction, alors que les mots « résultant directement de » utilisés par le législateur excluent toute telle relation lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne peut être qualifiée de « victime ».
[85] Elle fait également valoir que les mots « à l’occasion de la perpétration » ou son équivalent en anglais « occurring in the commission » impliquent une idée de coïncidence avec la perpétration de l’acte criminel, c’est-à-dire lorsque l’acte est effectivement perpétré, en l’instance au moment où l’enfant a été pendu par son père et non lorsque les corps ont été découverts, le matin du 25 janvier 2011.
[86] La procureure plaide à cet égard deux décisions[14] dans lesquelles le Tribunal a statué, dans la foulée de décisions antérieures, que les requérants, bien que sévèrement affectés par le sort des victimes, n’avaient qu’un rapport indirect avec la perpétration de l’infraction et ne pouvaient donc pas être considérés comme victimes.
[87] Elle plaide également deux décisions[15] du Tribunal et deux décisions de la Commission des affaires sociales[16] citées dans la deuxième décision à laquelle réfère le procureur de madame[17], lesquelles portent une attention particulière au fait que les requérants étaient absents lors de la perpétration de l’acte criminel et ne pouvaient donc pas, dans les circonstances, être reconnus victimes.
[88] Elle soutient que dans cette deuxième décision, le Tribunal applique le critère de la « perpétration de l’acte criminel » lorsqu’il fait état d’une « scène de crime (…) encore brûlante », dans un contexte où le requérant découvre les corps de ses enfants, et est appelé à « toucher au corps «raide» de son fils décédé, à examiner ses filles »[18] dans l’espoir de les sauver.
[89] Selon elle, cette situation est différente de celle que l’on retrouve en l’instance, ma-dame n’ayant pas découvert elle-même les corps et n’ayant pas touché à celui de son fils.
[90] Elle souligne une contradiction entre le témoignage de madame à l’audience, lorsqu’elle dit ne pas être certaine d’avoir vu les corps, au moment où le policier a ouvert la porte du garage, et les propos suivants que rapporte sa psychothérapeute :
« Je n’ai pas le temps de voir quoi que ce soit que la policière à ma gauche me prend par le bras et me sort de la maison. »[19]
[91] La procureure réfute par ailleurs la similitude, plaidée par le procureur de madame, de la notion de victime au sens de la Loi IVAC avec celle que l’on retrouve dans la LATMP[20] où le législateur emploie les termes « du fait ou à l’occasion du travail », la Loi IVAC employant plutôt l’expression « à l’occasion de la perpétration de l’acte criminel ».
[92] Elle soutient enfin que madame, en sa qualité de proche de la victime, a reçu en l’instance tout ce dont elle avait droit en vertu des dispositions de la Loi IVAC et de son Règlement sur la réadaptation psychothérapeutique des proches des victimes d’actes criminels.[21]
[93] Subsidiairement, si le Tribunal reconnaît madame comme victime, la procureure soutient que l’indemnité pour incapacité totale temporaire (ITT) ne devrait lui être accordée que pour la période précédant le 6 août 2012, date à compter de laquelle, en raison de son retour progressif au travail, elle n’aurait droit qu’à une indemnité partielle temporaire (IPT) de 30 % jusqu’au 31 décembre 2012, réduite par la suite à 10 % jusqu’au 27 avril 2013, date de son retour définitif au travail.
[94] Elle fait valoir à cet égard les dispositions du 2e alinéa de l’article 42 de la LAT, de même que la lettre transmise par madame à l’IVAC, le 19 juin 2013, et l’attestation de son employeur.
[95] En réplique, le procureur de madame soutient que la décision de reconsidération relative au refus de traitements supplémentaires de psychothérapie est essentiellement fondée sur le statut de madame, dont la nature est purement d’ordre juridique et sur laquelle le Tribunal a pleinement compétence.
[96] La question de ces traitements est ainsi secondaire. Il demande donc au Tribunal de retourner le dossier à l’IVAC pour qu’il en soit disposé conformément à la décision que prendra le Tribunal relativement au statut de madame.
[97] Pour ce qui est de la définition de « victime » selon la Loi IVAC, il soutient que l’utilisation des mots « à l’occasion de » par le législateur doit être interprétée de façon large et libérale, selon les dispositions de l’article 41 de la Loi d’interprétation[22] puisque cette loi a essentiellement pour objet de reconnaître des droits à madame ou de lui procurer quelque avantage.
[98] Selon lui, le délai entre la mort de l’enfant et le moment de la découverte des corps n’a pas d’importance dans les circonstances, madame étant alors présente avec les policiers et directement confrontée à la scène du crime.
[99] Le « compteur doit alors être remis à zéro », selon ses propres mots, devant l’anticipation de madame et l’intensité du stress qu’elle a subi à la découverte des corps, de sorte que les principes établis par le Tribunal dans l’affaire P.D. c. le Procureur général du Québec et Commission de la santé et de la sécurité du travail (IVAC)[23] trouvent ici application, à savoir que :
« quelque chose «se produisant à l’occasion de la perpétration d’une infraction» est une notion plus large que quelque chose «résultant directement de la perpétration d’une infraction». »[24]; et
« dans certaines circonstances exceptionnelles, cette notion rejoint le cas d’une personne blessée dans le contexte ou le requérant l’a été ».[25]
[100] Il souligne par ailleurs l’absence de contradiction dans les propos de madame en raison de la probabilité d’un effet dissociatif résultant chez elle de l’intensité de son stress et auquel la psychothérapeute fait allusion.
[101] Il fait enfin valoir que tous les rapports déposés à l’appui des prétentions de madame sont non contredits et sans équivoque en ce qui a trait à la blessure subie par madame.
La décision et ses motifs
[102] Dans un premier temps, le Tribunal décline compétence en ce qui a trait à la première décision contestée, soit celle en reconsidération maintenant la décision de refuser à madame le droit à des séances de psychothérapie supplémentaire.
[103] Ce refus constitue l’objet véritable de cette décision en reconsidération.
[104] Le statut de madame n’en constitue que le motif.
[105] À l’instar de la PGQ, le Tribunal est d’avis que sa compétence se limite à celle qui lui est expressément attribuée par la Loi.
À cet égard, la Loi IVAC, la LAT et la LJA disposent :
La Loi IVAC
15. Les dispositions de la Loi sur les accidents du travail (chapitre A-3), à l'exception du paragraphe 1 de l'article 3, qui ne sont pas incompatibles avec la présente loi s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires.
La LAT
63. 1. Sous réserve de l'article 70 et du recours prévu à l'article 65, la commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute affaire et question touchant la présente loi et disposer de toutes autres affaires ou choses au sujet desquelles un pouvoir, une autorité ou une discrétion lui sont conférés.
[…]
3. Sauf dans les cas où elle a délégué ses pouvoirs suivant les paragraphes 4 et 5, la commission peut en tout temps, relativement aux matières qui sont de sa compétence, reconsidérer une question décidée par elle, rescinder, amender ou changer ses décisions et ses ordonnances.
4. La commission peut déléguer généralement à ceux de ses fonctionnaires qu'elle désigne ses pouvoirs pour examiner et décider toute affaire et question relative au droit à une indemnité, au quantum d'une indemnité, au taux de diminution de capacité de travail et à la recevabilité d'une demande d'un proche d'une victime d'un acte criminel visé à l'article 5.1 de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6) pour des services de réadaptation psychothérapeutique.
[…]
64. Toute personne qui se croit lésée par une décision rendue par un fonctionnaire désigné suivant le paragraphe 4 de l'article 63 peut demander à un bureau de révision constitué suivant le paragraphe 5 dudit article une révision de cette décision. Elle expose brièvement les principaux motifs sur lesquels elle s'appuie ainsi que l'objet de la décision sur laquelle elle porte. Une copie de cette demande est notifiée au procureur général par le bureau.
[…]
65. Toute personne qui se croit lésée par une décision rendue par un bureau de révision peut, dans les 60 jours de sa notification, la contester devant le Tribunal administratif du Québec.
[…]
La LJA
15. Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
ANNEXE I
LA SECTION DES AFFAIRES SOCIALES
5. En matière d'indemnisation, la section des affaires sociales connaît des recours suivants:
1° les recours contre les décisions concernant le taux de diminution de capacité de travail, formés en vertu de l'article 65 de la Loi sur les accidents du travail (chapitre A-3) pour l'application de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) et de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6);
2° les recours contre les décisions concernant le droit à une compensation ou le quantum d'une compensation, formés en vertu de l'article 65 de la Loi sur les accidents du travail pour l'application de la Loi visant à favoriser le civisme et de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels;
2.1° les recours contre les décisions concernant la recevabilité d'une demande d'un proche d'une victime d'un acte criminel visé à l'article 5.1 de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels pour les services de réadaptation psychothérapeutique, formés en vertu de l'article 65 de la Loi sur les accidents du travail pour l'application de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels;
[106] Il ressort de ces dispositions que le Tribunal n’a compétence en la matière que sur les recours formés en vertu de l’article 65 de la LAT, c’est-à-dire les recours à l’encontre de décisions rendues par un bureau de révision.
[107] Or, la première décision contestée en l’instance par monsieur est une décision en reconsidération.
[108] De ce fait, le Tribunal ne peut en disposer.
[109] Dans un deuxième temps, le Tribunal est appelé à se prononcer sur le droit que prétend madame à des indemnités pour incapacité totale temporaire en raison de son statut allégué de «victime» au sens de la Loi IVAC, ce qui lui est refusé par la décision en révision de l’IVAC.
[110] La notion de victime est donc au cœur du présent litige.
[111] La Loi IVAC dispose notamment:
1. Dans la présente loi, les mots suivants signifient:
[…]
b) «blessure»: une lésion corporelle, la grossesse, un choc mental ou nerveux; «blessé» a une signification similaire;
[ …]
3. La victime d'un crime, aux fins de la présente loi, est une personne qui, au Québec, est tuée ou blessée:
a) en raison d'un acte ou d'une omission d'une autre personne et se produisant à l'occasion ou résultant directement de la perpétration d'une infraction dont la description correspond aux actes criminels énoncés à l'annexe de la présente loi;
[…]
c) en prévenant ou en tentant de prévenir, de façon légale, la perpétration d'une infraction ou de ce que cette personne croit être une infraction, ou en prêtant assistance à un agent de la paix qui prévient ou tente de prévenir la perpétration d'une infraction ou de ce qu'il croit une infraction.
[…]
[112] Par ailleurs, la LJA dispose :
15. […]
Lorsqu'il s'agit de la contestation d'une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu.
[113] En l’instance, il ne fait aucun doute que madame a subi un choc mental ou nerveux, tel qu’en fait foi le diagnostic, posé par Dr C.L., psychiatre, d’un syndrome de stress post-traumatique chronique en lien avec les événements des 24 et 25 janvier 2011, et dont les différents symptômes sont amplement décrits par Mme M.F. tant dans son expertise que lors de son témoignage à l’audience.
[114] Madame a donc subi une blessure au sens de l’article1 précité de la Loi IVAC.
[115] Cette blessure doit cependant rencontrer les critères énoncés au paragraphe a) ci-dessus cité de l’article 3 de cette loi pour que madame soit reconnue comme une « victime », notamment que la blessure soit survenue en raison d’un acte d’une autre personne :
Ø se produisant à l’occasion de
ou
Ø résultant directement de
la perpétration d’une infraction dont la description correspond à un acte criminel énoncé à l’annexe de la Loi IVAC.
[116] Le procureur de madame soutient que cette dernière a été blessée en raison de l’acte de cette autre personne qui s’est produit à l’occasion de la perpétration de l’infraction et qui en résulte directement.
[117] Il fonde essentiellement son opinion sur l’interprétation large et libérale de ces dispositions retenues par le Tribunal dans les deux décisions relativement récentes auxquelles il réfère.[26]
[118] Il faut comprendre que ces décisions traitent de situations particulières. Ainsi peut-on lire dans la deuxième :
« Les faits qui sont en preuve dans le présent dossier sont particuliers et uniques. »[27]
[119] Bien qu’ils présentent une certaine similitude, les faits dont il est question dans ces deux décisions diffèrent quelque peu de ceux en l’instance.
[120] Dans les deux décisions du Tribunal, les personnes concernées ont été reconnues comme victimes tant par le fait que leurs blessures résultaient directement de l’acte qu’en raison de leur présence sur les lieux du crime, soit au moment même où celui-ci a été commis ou immédiatement après, et en raison de gestes qu’elles ont posés dans le but d’en empêcher la perpétration ou dans l’espoir de sauver une ou des vies en danger.
[121] L’infraction perpétrée en l’instance, est celle de meurtre. Sa description correspond ainsi à un acte criminel visé par la Loi IVAC, et cet acte est le fait d’une autre personne que madame. Le Tribunal en convient.
[122] Les deux expressions « se produisant à l’occasion de » et « résultant directement de », utilisées par le législateur au paragraphe a) de l’article 3 de la Loi IVAC, laissent entendre qu’il doit y avoir un lien très étroit entre l’acte et la blessure, soit un lien de lieu et de temps soit un lien direct de cause à effet, pour que la personne soit reconnue comme victime.
[123] La particule « ou » utilisée par le législateur prend ici toute son importance.
[124] Comme l’a déjà souligné le Tribunal, l’expression « se produisant à l’occasion de » est évidemment plus large que l’expression « résultant directement de ».
[125] Il se peut ainsi qu’une personne soit reconnue comme une « victime » en raison de sa présence immédiate sur les lieux du crime, et de gestes qu’elle pose pour tenter d’éviter que cet acte se produise et ainsi tenter de sauver la personne sur qui s’acharne l’auteur du crime.
[126] La contigüité ou proximité de lieu et de temps devient ici très importante, puisque c’est elle qui établit alors le lien étroit devant exister entre la blessure et la perpétration de l’acte pour satisfaire à l’application de l’expression « se produisant à l’occasion de ».
[127] Il se peut tout aussi bien que la personne soit reconnue comme une « victime » si elle subit une blessure (un choc mental ou nerveux) résultant directement de la perpétration de l’acte, en ce sens que cette personne est également visée par cet acte, tout en n’étant pas présente sur les lieux au moment même de la perpétration de l’acte, mais s’y rendant dans un court laps de temps et posant des gestes dans le but de prévenir cette perpétration.
[128] La personne satisfait, dans ce deuxième cas, au lien très étroit de cause à effet, caractéristique de l’expression « résultant directement de ».
[129] Si par ailleurs, la personne est blessée, soit physiquement ou psychologiquement en tentant de prévenir, de façon légale et par des gestes concrets, la perpétration d’une infraction ou de ce que cette personne croit être une infraction, elle sera également considérée comme une « victime » au sens de la Loi IVAC.
[130] Elle satisfait ainsi de plus à l’une des situations prévues au paragraphe c) de l’article 3 de la Loi IVAC.
[131] En l’instance, dès qu’on lui eût fait part de l’absence de son fils à la garderie, madame s’est rendue sur les lieux du crime, avec un sentiment d’urgence et de détresse.
[132] Elle a cherché en vain toutes les issues possibles qui lui auraient permis de pénétrer dans la maison, a communiqué immédiatement avec les autorités policières et tenté ainsi de prévenir la perpétration d’un acte illégal qu’elle soupçonnait de la part de son ex-conjoint.
[133] Ce faisant, madame a vécu un fort sentiment d’impuissance et d’urgence qui fait d’ailleurs partie de ses symptômes de stress post-traumatique, lorsqu’elle fait des cauchemars au cours desquels un tel sentiment refait surface.
[134] Par ailleurs, selon la preuve au dossier, la relation entre madame et son ex - conjoint s’était envenimée, à la suite d’un différent qui portait en particulier sur la garde de l’enfant, au point que monsieur ne répondait plus aux appels de madame.
[135] D’une part, les deux témoins experts au dossier, Dr C. L. et Mme M. F., sont tous les deux d’avis que l’ex-conjoint de madame visait directement celle-ci par son acte.
[136] D’autre part, les propos de madame à l’audience concordent avec ceux que madame M. F. rapportent, tant lors de son témoignage que dans son rapport du 21 décembre 2013, sauf pour ce qui est d'avoir vu ou ne pas avoir vu les corps.
[137] À ce dernier égard, le Tribunal ne constate aucune contradiction dans ces propos, étant donné les nombreux symptômes de dissociation associés à l’intensité et au caractère inhabituel du trauma à l’origine de la blessure de madame.
[138] Le Tribunal retient donc de la preuve non contredite au dossier que les expressions « se produisant à l’occasion de » et « résultant directement de » l’acte criminel du fait que son auteur visait tout autant madame que son fils, par esprit de vengeance à son endroit, et que cette dernière s’est rendue sur les lieux du crime après un court laps de temps.
[139] Il en a été décidé ainsi dans les décisions auxquelles réfère le procureur de madame.
[140] Dans la première où la fille de la requérante a été traumatisée lors de la perpétration du crime, on lit sans beaucoup d’explication :
« (…) le Tribunal considère que la requérante est affectée par le rapport direct de la perpétration de l’infraction et non par le résultat de cet acte sur sa fille (…)»[28].
[141] Dans la deuxième décision, en plus de se référer au témoignage du requérant et à l’histoire de la garde des enfants, le Tribunal précise :
« Selon l’expertise du Tribunal dans le domaine psycho-légal, et plus spécifiquement dans le domaine de la psychiatrie légale, lorsqu’un parent tue ses enfants, c’est souvent pour atteindre l’autre parent. »[29]
[142] Le Tribunal retient également de la preuve non contredite au dossier que madame a été blessée psychologiquement en tentant de prévenir, de façon légale et par des gestes concrets, que l’infraction se produise, et de ce fait doit être considérée comme une « victime » au sens de la Loi IVAC.
[143] Le Tribunal accueille par ailleurs la demande subsidiaire de la PGQ relativement aux indemnités devant être payées à madame pour incapacité totale temporaire et incapacité partielle, les pourcentages de ces indemnités devant toutefois être conformes aux dispositions législatives pertinentes, et selon la preuve d’attestation d’emploi de madame apparaissant au dossier.
[144] Considérant donc la preuve non contredite au dossier;
[145] Considérant que la blessure de madame est un choc post-traumatique correspondant à la définition d’un choc mental ou nerveux;
[146] Considérant que cette blessure a été causée à l’occasion de et résulte directement de la perpétration d’une infraction dont la description correspond aux actes criminels énoncés à l’Annexe de la Loi IVAC, de même que lors de sa tentative de prévenir la perpétration de cette infraction;
[147] Considérant que madame peut être ainsi reconnue victime d’acte criminel selon les paragraphes a) et c) de l’article 3 de la Loi IVAC;
[148] Considérant les dispositions législatives applicables en l’espèce;
[149] Considérant que ces dispositions doivent être interprétées de façon libérale;
[150] Considérant par ailleurs les documents relatifs à l’arrêt de travail de madame et à son retour progressif et définitif au travail, de même que les documents relatifs au quantum de ses pertes de salaire;
[151] Considérant également que la compétence du Tribunal se limite à celle que lui accorde la Loi sur la justice administrative;
[152] Considérant enfin que le Tribunal peut infirmer, modifier ou rendre la décision qui aurait dû être prise en premier lieu;
[153] Considérant que le Tribunal agit de novo et peut accueillir à ce titre toute preuve postérieure à celles dont l’IVAC disposait lors de sa décision en révision.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal :
DÉCLINE compétence en ce qui a trait à la reconsidération de la décision en révision du 15 juillet 2013 relative aux séances de psychothérapie additionnelle;
INFIRME la décision confirmant le refus d’octroyer à madame des indemnités pour incapacité totale et temporaire;
DÉCLARE que madame est une « victime » au sens de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, le tout en relation avec l’événement du 24 janvier 2011;
PRÉCISE que la blessure de madame est un choc post-traumatique;
DÉCLARE que madame était totalement incapable de travailler du 25 janvier 2011 au 6 août 2012, et partiellement incapable par la suite jusqu’à son retour définitif au travail le 27 avril 2013;
DÉCLARE que madame a droit à des indemnités pour incapacité totale temporaire pour les périodes où elle a été totalement absente de son travail;
DÉCLARE que madame a droit à des indemnités pour incapacité partielle temporaire pour les périodes où elle a été partiellement absente de son travail;
DÉCLARE que madame a également droit, subsidiairement, à des séances additionnelles de psychothérapie;
ACCUEILLE le recours de madame en ce qui a trait à la deuxième décision contestée.
Bellemare, Avocats
Me Marc Bellemare
Procureur de la partie requérante
Chamberland, Gagnon (Justice-Québec)
Me Annie Dumont
Procureure de la partie intimée
[1] Pièce R-3.
[2] Pages 61 et 62 du dossier.
[3] Pages 31 à 36 du dossier (Les surlignés sont des soussignés).
[4] Pièce R-1.
[5] Pièce R-2.
[6] Pages 63 à 64 du dossier.
[7] Page 65 du dossier.
[8] Pièce R-2 page 21.
[9] Pièce R-3.
[10] RLRQ, chapitre A-3.
[11] RLRQ, chapitre A-3.001.
[12] 2010 QCTAQ 05241 et 2013 QCTAQ 06498.
[13] RLRQ, chapitre J-3.
[14] SAS-Q-114341-0501 et SAS-M-072748-0112.
[15] SAS-M-093456-0406 et SAS-Q-085667-0203.
[16] AT-65746/AT-65458 et AT-65563 (AZ-92051120).
[17] 2013 QCTAQ 06498.
[18] Ibidem paragraphe 56.
[19] Pièce R-3, page 6.
[20] RLRQ, chapitre A-3.001.
[21] RLRQ, chapitre I-6, r. 2.
[22] RLRQ, chapitre I-16.
[23] Supra note 16.
[24] Idem paragraphe 54.
[25] Idem paragraphe 57.
[26] Supra note 11.
[27] 2013 QCTAQ 06498, paragraphe 56.
[28] SAS-M-134742-0707 paragraphe 74.
[29] 2013 QCTAQ 06498.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.