Décision

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R

R. c. Nguyen

2005 QCCA 15

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-002435-020

(500-01-014045-998)

 

DATE :

 12 JANVIER 2005

 

 

CORAM:

LES HONORABLES

LOUISE MAILHOT J.C.A.

FRANÇOIS DOYON J.C.A.

JULIE DUTIL J.C.A.

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

APPELANTE - Poursuivante

c.

 

MINH NGOC NGUYEN

INTIMÉ - Inculpé

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; -Statuant sur le pourvoi de l’appelante contre un jugement rendu le 5 septembre 2002 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Montréal (l’honorable Bernard Grenier), imposant à l’intimé une peine d’emprisonnement avec sursis de 23 mois, à être purgée dans la communauté;

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs de la juge Dutil, auxquels souscrivent les juges Mailhot et Doyon;

[4]                ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler;

[5]                ACCUEILLE le pourvoi et substitue à la peine imposée de 23 mois avec sursis une peine de 7 mois d’emprisonnement sur le premier chef et une peine de 16 mois d’emprisonnement sur le deuxième chef, cette dernière devant être purgée consécutivement à la première; l’ordonnance de probation et les ordonnances de suramendes compensatoires déjà imposées par le juge de première instance demeurent inchangées.

 

 

 

 

LOUISE MAILHOT J.C.A.

 

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON J.C.A.

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL J.C.A.

 

Me Mario Longpré

Pour l’appelante

 

Me Jean-Claude Hébert

Hébert Bourque Downs

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

21 octobre 2004


 

 

MOTIFS DE LA JUGE DUTIL

 

 

[6]                L’intimé, un médecin, a été trouvé coupable de deux chefs d’accusation d’agression sexuelle sur deux patientes. Il a fait appel du verdict mais notre Cour a rejeté son pourvoi dans l’arrêt portant le no 500-10-002422-028 déposé ce jour et où l’on retrouve un résumé des faits.

[7]                L’intimé a présenté une requête pour dépôt d’une preuve nouvelle annexée à sa requête qu’il y a lieu d’accorder pour permettre un examen complet de la situation. L’appelante se pourvoit contre la peine imposée par le juge de première instance, soit 7 mois d’emprisonnement sur le premier chef et 16 mois sur le deuxième chef, à être purgée de façon consécutive dans la communauté. De plus, le juge a imposé les conditions suivantes à l’intimé :

« a)     ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite;

b)   répondre aux convocations du tribunal;

c)   se présenter au bureau des officiers de liaison du service de probation avant de quitter le palais de justice pour qu’on ouvre un dossier à son nom et qu’on lui désigne un agent de surveillance;

d)   par la suite, rencontrer l’agent de surveillance selon les modalités de temps et de forme que celui-ci fixera;

e)   rester dans le ressort du Tribunal sauf s’il obtient la permission écrite d’en sortir, soit du tribunal, soit de son agent de surveillance;

f)     prévenir le Tribunal ou son agent de surveillance de ses changements d’adresse ou de nom et les aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation;

g)   ne pas pratiquer la profession de médecin;

h)   durant les huit premiers mois de sursis, demeurer chez lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sauf :

1.                  pour rencontrer son agent de surveillance;

2.                  pour fins d’emploi, s’il se trouve du travail autre que la pratique de la médecine;

3.                  pour fins médicales ou thérapeutiques pour lui-même ou les membres de sa famille;

4.                  pour fins de pratique religieuse;

5.                  pour acheter de la nourriture, des vêtements, des médicaments et d’autres objets de première nécessité, durant une période de cinq heures à être déterminée après consultation avec l’accusé en salle d’audience.

Une fois la période de sursis terminée, une ordonnance de probation d’un an entrera en vigueur. L’accusé devra respecter les conditions suivantes :

a)   garder la paix et avoir une bonne conduite;

b)   répondre aux convocations du Tribunal;

c)   prévenir le tribunal ou l’agent de probation de tout changement d’adresse, et les aviser rapidement de tout changement d’emploi ou d’occupation;

d)   rencontrer l’agent de probation selon les modalités de temps et de forme qu’il fixera;

e)   rester dans le ressort du Tribunal sauf s’il obtient la permission écrite d’en sortir, soit du Tribunal, soit de son agent de probation.

L’accusé devra payer une suramende compensatoire de 100,00 $ sur le premier chef et de 100,00 $ sur le deuxième chef dans un délai de quatre mois. »

[8]                Avec égards, je suis d’avis que le juge de première instance a commis deux erreurs relativement à la peine.

[9]                D’une part, il a considéré que le risque de récidive était très faible :

« Dans le présent dossier, le risque de récidive me paraît très faible, à la lumière entre autres de la publicité accordée à cette affaire. L’accusé a perdu des clients et a choisi lui-même de ne plus effectuer d’examens gynécologiques. Il est peu probable qu’un médecin de l’âge du Dr. Nguyen ayant vécu l’arrestation, la mise en accusation et la condamnation pour des infractions d’agression sexuelle, veuille poser à nouveau les actes qui ont ruiné sa carrière. »

[10]           Or, aucune preuve ne soutient cette affirmation. Au contraire, l’intimé a été arrêté et détenu quelques heures une première fois en 1989, lorsque Mme P.L. a porté plainte. Cela ne l’a pas empêché de récidiver en 1999 à l’égard de Mme E.K.B.

[11]           Par ailleurs, aucune évaluation psychologique, en criminologie ou sexuelle n’appuie cette prétention et l’intimé n’a entrepris aucune thérapie.

[12]           En outre, on ne peut considérer que la décision de l’intimé de ne plus effectuer d’examens gynécologiques est de nature à diminuer le risque de récidive. En effet, ni les plaignantes ni Mme L.D.R. - une patiente de l’intimé entre 1982 et 1984 - ne l’avaient consulté pour un tel examen. Elles souffraient de maux de gorge, de vomissements ou de brûlements d’estomac.

[13]           D’autre part, le juge a évalué erronément la gravité et les circonstances entourant les agressions sexuelles. En effet, l’intimé est médecin et les agressions sexuelles ont été commises à l’égard de deux patientes de 19 ans. Le juge de première instance n’a pas suffisamment tenu compte de cette circonstance aggravante constituant, au sens de l’article 718.2 du Code criminel, un abus de confiance pour un professionnel de la santé. La peine imposée est déraisonnable parce que non proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’intimé (art. 718.1 C. cr.).

[14]           Notre Cour, dans l’arrêt R. c. M.B.[1], a confirmé la peine de 21 mois d’emprisonnement imposée à un médecin ayant abusé de deux patientes. Elle a décidé que, vu l’ensemble des circonstances, la gravité des infractions et le degré de responsabilité du médecin, l’emprisonnement avec sursis n’était pas approprié.

[15]           De même, dans l’arrêt R. c. Vernacchia[2], notre Cour a augmenté de 15 mois à 4 ans de pénitencier la peine imposée à un médecin qui avait violé et sodomisé, à l’occasion d’un examen gynécologique, une patiente âgée de 35 ans :

« Il faut examiner chaque cas selon ses circonstances propres. Il s’agit d’un omnipraticien qui a, de propos délibéré, commis viol et sodomie sur une patiente âgée de 35 ans qui lui avait été référée pour consultation par un autre médecin : une relation de confiance s’était installée; le médecin a abusé de cette confiance et l’événement a causé un préjudice à la victime. »

[16]           En l’espèce, une relation de confiance existait entre les plaignantes et l’intimé. Ce dernier a toutefois abusé de cette confiance que lui portait deux jeunes femmes de 19 ans. De tels agissements de la part d’un médecin doivent être dénoncés.

[17]           Dans l’arrêt R. c. Proulx[3], la Cour suprême résume le raisonnement que doit suivre un juge au moment de décider si l’octroi d’un sursis est conforme à l’objectif essentiel et aux principes de la détermination de la peine :

« […]  le juge qui détermine la peine doit se demander quels sont les objectifs qui apparaissent prépondérants au regard des faits du cas dont il est saisi. Lorsqu’il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l’emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l’incarcération. »

[18]           Toutefois, elle précise que « lorsque des objectifs punitifs, tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d’objectifs correctifs ».[4]

[19]           En l’espèce, je propose d’accueillir le pourvoi et de substituer à la peine imposée une peine de sept mois d’emprisonnement sur le premier chef et une peine de seize mois d’emprisonnement sur le deuxième chef, cette dernière devant être purgée consécutivement à la première, accompagnées de l’ordonnance de probation déjà imposée et des mêmes ordonnances de suramendes compensatoires mentionnées par le juge de première instance.

 

 

 

JULIE DUTIL J.C.A.

 



[1]    [2000] J.Q. no 4729 (C.A.).

[2]    [1988] A.Q. no 29 (C.A.).

[3]    [2000] 1 R.C.S. 61 , par. 113.

[4]    Id., par. 114.

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