STM (Réseau des autobus) et Théroux (Succession de) |
2009 QCCLP 2285 |
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Joliette |
31 mars 2009 |
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Région : |
Lanaudière |
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Dossiers CSST : |
119885804 116407396 |
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Commissaire : |
Luce Morissette, juge administrative |
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Membres : |
Luc Dupéré, associations d’employeurs |
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Guy Mousseau, associations syndicales |
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S.T.M. (Réseau des autobus) |
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Partie requérante |
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Réal Théroux (succession) et Jean Pauzé |
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Parties intéressées |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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DOSSIERS : 313961 et 314619
[1] Le 3 avril 2007, la Société de transport de Montréal (Réseau des autobus) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste des décisions de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendues le 28 mars 2007, à la suite de révisions administratives.
[2] Par ces décisions, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendues le 19 octobre 2006 et déclare que les demandes de révision de l’employeur du 3 novembre 2006 sont irrecevables.
[3] L’audience s’est tenue le 21 octobre 2008 à Joliette en présence du représentant de la succession de Réal Théroux et de Jean Pauzé (les travailleurs). L’employeur et la CSST étaient également représentés.
[4] Le 2 février 2009, la soussignée a écrit aux parties pour avoir leurs commentaires concernant une source d’information qu’elle jugeait utile, soit le Journal des débats[1], leur accordant un délai jusqu’au 16 février suivant.
[5] Le 13 février 2009, le représentant de l’employeur a répondu avoir pris connaissance des extraits du Journal des débats et qu’il trouvait difficile de fournir des commentaires écrits étant donné qu’il n’a pas été informé des « arguments » que le tribunal souhaite tirer de ce document.
[6] Le 19 février 2009, la représentante de la CSST a écrit qu’elle laissait à la discrétion du tribunal de remettre les dossiers en délibéré. Le représentant des travailleurs n’a pas répondu.
[7] Le 24 février 2009, la soussignée a écrit au représentant de l’employeur qu’elle comprenait qu’il n’avait pas de commentaires ou de demande de réouverture d’enquête à présenter. Le dossier a donc été mis en délibéré à nouveau à cette date.
[8] Les parties ont convenu de présenter une preuve commune dans les dossiers en litige qui ont été ainsi regroupés.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[9] L’employeur demande que la CSST lui rembourse les sommes qu’il a versées aux travailleurs à compter du quinzième jour complet suivant le début de l’incapacité.
LA PREUVE
[10] L’employeur a fait témoigner Robert Lavallée qui est conseiller en gestion des lésions professionnelles chez l’employeur depuis 1986.
[11] Monsieur Lavallée s’occupe des réclamations en matière de lésions professionnelles. Il communique à l’occasion avec la CSST pour gérer différents aspects des dossiers. Il explique que l’employeur dispose d’un « lien électronique » avec la CSST qui permet de transférer à cet organisme les informations nécessaires à la gestion d’un dossier.
[12] Il précise que le versement de l’indemnité lors de la survenance d’une lésion se fait de la manière suivante chez l’employeur. Ainsi, ce dernier verse à un travailleur qui produit une réclamation 95 % de son salaire net. Il mentionne que les travailleurs ne reçoivent pas les indemnités de la part de la CSST, mais bien de l’employeur qui, par la suite, réclame ce montant à la CSST.
[13] Il y a environ 7 000 travailleurs chez l’employeur, ce qui représente un nombre élevé de dossiers à gérer qui multiplie d’autant les échanges avec la CSST. Il souligne, entre autres, que souvent, il reçoit un avis de paiement (remboursement) qui concerne les dossiers de plusieurs travailleurs.
[14] Le témoin ajoute que le remboursement par la CSST subit à l’occasion des ratés et que des « comptes en souffrance » se créent. Il explique que normalement, il y a un système de rappel qui est informatisé et en vertu duquel l’employeur relance la CSST pour être remboursé.
[15] Concernant les litiges qui nous occupent, il reconnaît que vraisemblablement, le système de rappel a été déficient. Soit qu’une annotation dans ce sens a tout simplement été omise ou qu’un manque de personnel a causé cette absence de relance.
[16] Par la suite, le témoin précise quelques faits concernant le dossier du travailleur Pauzé portant le numéro 314619-63-0704.
[17] Il témoigne que dans ce dossier, un Avis de l’employeur et demande de remboursement (ADR) a été rempli le 13 avril 1999 pour un événement survenu le 3 mars de la même année. L’ADR a été envoyé à la CSST pour que l’employeur soit remboursé des sommes qu’il avait déboursées.[2]
[18] À ce sujet, il réfère le tribunal au point 7 de l’ADR intitulé « Remboursement ». Nous pouvons y lire que l’employeur a versé au travailleur la somme de 1 071,77 $ à titre de salaire pour les quatorze premiers jours. Selon le témoin, il s’agissait d’un montant basé sur le salaire apparaissant au contrat de travail.
[19] Également, l’employeur a coché la case par laquelle il indique à la CSST qu’il continue de payer le travailleur après les quatorze premiers jours « calendrier ». Cela étant, il devait inscrire le montant hebdomadaire versé, ce qu’il a fait en indiquant celui de 546,98 $. Toutefois, il n’y a aucune information dans la case visant la période durant laquelle ce montant hebdomadaire a été versé.
[20] Concernant la période d’absence, le point 4 de l’ADR nous informe de la date du début de l’incapacité du travailleur Pauzé (4 mars 1999) et de celle du retour au travail (29 mars 1999). Selon monsieur Lavallée, la CSST, en recevant l’ADR, avait toutes les informations nécessaires pour procéder au remboursement.
[21] Le 31 mars 1999, la CSST a rendu une décision par laquelle elle informe le travailleur qu’il est capable d’occuper son emploi depuis le 29 mars 1999 et qu’il n’a plus droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Une copie de cette décision a été envoyée à l’employeur.
[22] Également, le 7 avril 1999, la CSST écrit à l’employeur pour l’informer qu’une réclamation a été déposée par Jean Pauzé, mais qu’elle n’a pas reçu l’ADR concernant cette réclamation. Elle lui rappelle qu’en vertu de l’article 269 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi), cet ADR doit être envoyé dans les deux jours suivant la date de retour au travail s’il survient dans les quatorze premiers jours ou de la fin de la période des quatorze premiers jours qui suit le début de l’incapacité dans le cas contraire.
[23] Le témoin Lavallée reconnaît que l’employeur a reçu le remboursement de la somme déboursée pour les quatorze premiers jours, mais pas celui pour les jours suivants.
[24] Ainsi, il y a au dossier une note électronique de l’employeur datée du 30 juin 2005 qui prévoit ce qui suit :
Mémo
De: Nancy Perreault le 2005-06-30 13:13
Pour: Renseignements généraux JL SERVICE/CSST@CSST
cc:
Objet: Doss.: 116407396 Date: 1999-03-03 JEAN PAUZÉ
Bonjour,
Dans ce dossier, le travailleur a été absent du 99-03-04 au 99-03-28. Nous n’avons pas reçu d’avis de paiement pour la période du 99-03-18 au 99-03-28.
Merci de nous le faire parvenir afin de fermer notre dossier.
[25] L’employeur, constatant le non-paiement, aurait fait un rappel à la CSST le 5 octobre 2006, bien qu’il n’y ait pas de demande écrite à cet effet qui soit au dossier. Monsieur Lavallée explique que le dossier avait dû être classé comme plusieurs autres comme étant en « souffrance » et qu’un rappel devait être fait ultérieurement. Il ajoute qu’il ne gérait pas personnellement ce dossier. Il ne peut expliquer pourquoi le rappel est survenu aussi tardivement. Il admet qu’il est incapable de produire une autre note de rappel que celle qui a été faite six années après l’envoi de l’ADR.
[26] Le témoin Lavallée affirme toutefois que la CSST, dans plusieurs dossiers, en fait jusqu’à 95 % des cas, effectue les remboursements sans autre démarche de la part de l’employeur alors que dans d’autres dossiers, comme ceux en litige, ce remboursement n’est pas fait aussi facilement.
[27] La CSST a répondu à Nancy Perreault le 19 octobre 2006 par la lettre suivante :
Objet : Demande de remboursement
Madame,
La présente fait suite à votre lettre du 30 juin 2005 demandant le remboursement d’indemnités de remplacement du revenu pour la période du 18 au 28 mars 1999 dans le dossier précité.
Veuillez prendre note que nous ne pouvons procéder audit remboursement puisque votre demande est produite au-delà du délai de prescription de 3 ans prévu à l’article 2925 du Code Civil du Québec.
[28] Cette décision a fait l’objet d’une demande de révision par l’employeur dans laquelle il souligne, entre autres, que la demande de remboursement a été faite par le biais de l’ADR qui a été envoyé au mois d’avril 1999.
[29] Le 28 mars 2007, la CSST, lors d’une révision administrative, conclut que la lettre du 19 octobre 2006 ne constitue pas une décision révisable en vertu de l’article 358 de la loi. L’employeur a contesté cette décision à la Commission des lésions professionnelles, d’où l’un des litiges.
[30] Concernant l’autre dossier qui porte le numéro 313961-63-0704, il y a lieu d’ajouter les faits suivants.
[31] Dans ce dossier, l’ADR diffère quelque peu dans sa présentation et son contenu. Le témoin Lavallée explique que ce nouveau formulaire est utilisé depuis 2001. Il réitère que dans la majorité des dossiers, l’employeur reçoit les remboursements requis de la CSST sans autre démarche que l’envoi de ce formulaire.
[32] Dans tous les cas, concernant le travailleur Réal Théroux, nous lisons dans l’ADR qu’il s’est blessé le 19 décembre 2000 et qu’il était de retour au travail le 7 janvier 2001. Les renseignements concernant le salaire annuel brut sont inscrits, mais pas ceux concernant le salaire hebdomadaire, contrairement au dossier Pauzé dans lequel cette information apparaissait. Il y a également une demande de remboursement de 1 222,15 $ représentant le montant pour les quatorze premiers jours.
[33] Finalement, l’employeur a coché la case selon laquelle il continue de payer le travailleur après les quatorze premiers jours, et ce, jusqu’à la date de retour au travail. Il n’y a toutefois pas de case pour informer la CSST de la période correspondant au montant versé, et ce, contrairement à l’ADR produit dans le dossier Pauzé. L’ADR a été signé le 20 février 2001.
[34] Le 22 août 2006, l’employeur, par l’entremise de Josée Laberge, écrit à la CSST la note électronique suivante :
Auriez-vous l’obligeance de nous faire parvenir les sommes manquante [sic] dans le présent dossier. Nous avons seulement reçu la période obligatoire soit du 2000-12-20 au 2001-01-02. Il manque les avis de paiements d’IRR du 2001-01-03 au 2001-01-06. Le travailleur a été de retour au travail complet le 20001-01-07.
[35] Le témoin Lavallée n’est pas certain, mais il pense que l’employeur a été remboursé pour la période des quatorze premiers jours.
[36] Le 19 octobre 2006, la CSST décide qu’elle ne peut rembourser à l’employeur les sommes réclamées puisque sa demande a été produite au-delà du délai de prescription de trois ans prévu au Code civil du Québec[4] (CCQ).
[37] Dans une lettre datée du 3 novembre suivant, l’employeur répond que l’ADR du 20 février 2001 a été envoyé dans les délais prévus à la loi. Il demande donc la révision de la décision du 19 octobre 2006.
[38] Le 28 mars 2007, la CSST, en révision administrative, reprend les mêmes motifs que ceux invoqués dans le dossier Pauzé et déclare irrecevable la demande de révision, d’où l’un des litiges.
[39] Le témoin Lavallée est d’avis que les ADR qui ont été envoyés à la CSST concernant les dossiers des travailleurs Pauzé et Théroux constituent des demandes de remboursement en bonne et due forme pour les sommes déboursées à partir de la 15e journée. Il souligne que la CSST avait en main, dans les deux dossiers en litige, toutes les informations lui permettant de rembourser l’employeur.
[40] Lors du contre-interrogatoire, le témoin a reconnu qu’il n’y a pas d’entente écrite avec la CSST en vertu de laquelle le simple envoi de l’ADR permet à l’employeur d’être remboursé des sommes versées aux travailleurs.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[41] Le représentant de l’employeur prétend, dans un premier temps, que la loi ne prévoit aucun délai pour qu’un employeur réclame et soit remboursé des sommes qu’il a versées à un travailleur en vertu de l’article 126 de la loi. Il n’y a pas lieu d’ajouter à la loi en recourant aux dispositions du CCQ, en particulier aux articles touchant la prescription.
[42] Dans le dossier Pauzé, la CSST a rendu une décision constatant la capacité du travailleur à retourner travailler en prévoyant spécifiquement la fin du droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Le représentant de l’employeur conclut que la CSST connaissait ainsi les dates marquant le début et la fin d’un tel versement et qu’elle ne peut aujourd’hui prétendre qu’il lui manquait des informations pour rembourser l’employeur. Également, la CSST a demandé à l’employeur qu’il lui transmette l’ADR, ce qu’il a fait. Il rappelle que dans 95 % des cas, cela suffit pour que le remboursement s’effectue sans autre démarche de la part de l’employeur.
[43] Le représentant de l’employeur rappelle qu’en l’espèce, c’est l’article 126 de la loi qui s’applique. Or, le législateur prévoit à cet article que la CSST « peut » prélever sur une indemnité de remplacement du revenu et rembourser à l’employeur l’équivalent de ce qu’il paie au travailleur à compter du quinzième jour d’incapacité et celle-ci ne jouit d’aucune discrétion à cet égard.
[44] Ainsi, les sommes sont acquises à l’employeur par l’effet de la loi en vertu de l’article 126; ce dernier n’a pas d’autre réclamation à faire à la CSST pour récupérer les sommes versées au travailleur en lieu et place de la CSST. Il dépose de la jurisprudence[5] à cet effet.
[45] Le représentant ajoute qu’il y a peu de situations dans lesquelles le tribunal a référé au CCQ. Entre autres, il rappelle la jurisprudence[6] de la Commission des lésions professionnelles en matière de financement et selon laquelle en regard de l’article 327 de la loi, il n’y a aucun délai qui s’applique et que ce serait ajouter à la loi que d’en prévoir un. Dans aucun cas, les décideurs n’ont appliqué un délai de prescription prévu au CCQ.
[46] Il est d’avis que la demande de remboursement de l’employeur, en vertu de l’article 126 de la loi, doit être traitée de la même façon. Il est d’avis que la loi se suffit à elle-même en contenant toutes les dispositions nécessaires à son application.
[47] De manière subsidiaire, si le tribunal retenait que le CCQ s’applique aux litiges qui sont devant lui, il prétend ce qui suit.
[48] D’une part, le délai de prescription du CCQ qui s’applique en l’espèce est celui de trois ans, soit le délai de droit commun des actions qui tendent à faire valoir un droit personnel.
[49] D’autre part, l’interruption de la prescription se produit, entre autres, par une demande en justice, soit le moment où le créancier, avant l’expiration de la prescription, se pourvoit en justice pour réclamer son dû.[7] Il rappelle que l’effet d’une telle interruption est de faire perdre le bénéfice du temps écoulé à la personne qui était en train de prescrire. Il souligne également que cette interruption dure jusqu’au jugement final.
[50] Or, dans les présents dossiers, il précise que l’on doit procéder par analogie puisque les notions de demande en justice n’existent pas en vertu de la loi.
[51] C’est ainsi qu’il interprète l’article 126 de la loi comme étant une exception au principe selon lequel c’est la CSST qui a l’obligation de verser l’indemnité de remplacement du revenu. Dans le cas où c’est l’employeur qui la verse, il a le droit d’être remboursé par la CSST. Il s’agit alors d’une dette qui se crée en faveur de l’employeur par l’effet de la loi.
[52] Or, il existe une seule façon d’exiger le remboursement de cette dette et c’est l’envoi de l’ADR, ce que l’employeur a fait dans les dossiers en litige. Il prétend que l’employeur n’a pas d’autres actions en justice à prendre pour qu’une suspension du délai de prescription s’opère.
[53] Donc, au moment où l’employeur a envoyé l’ADR dans l’un et l’autre des dossiers, il s’agissait d’une demande de remboursement formelle à la CSST qui équivaut à une demande en justice. Cela suffit pour interrompre la prescription, et ce, jusqu’à la décision finale.
[54] De son côté, la représentante de la CSST prétend ce qui suit. Elle rappelle que la prescription prévue au CCQ est un mode d’extinction d’un droit découlant du seul écoulement du temps. En l’espèce, le débiteur est la CSST et l’agent payeur, l’employeur.
[55] Elle note que c’est seulement les 30 juin 2005 et 22 août 2006 que l’employeur a demandé à la CSST de lui rembourser les sommes versées aux travailleurs Pauzé et Théroux à partir de la quinzième journée de leur incapacité à travailler. Or, ces sommes avaient été déboursées par l’employeur depuis 1999 pour le travailleur Pauzé et depuis 2001 pour le travailleur Théroux. Manifestement, le délai de trois années avait été dépassé au moment des demandes faites en 2005 et 2006.
[56] La représentante rappelle que l’ADR est un formulaire qui doit être rempli par les employeurs conformément à ce qui est prévu aux articles 268 et 269 de la loi.
[57] Elle souligne que dans les cas qui nous occupent, les ADR ont été remplis par l’employeur en informant la CSST uniquement de la période obligatoire des quatorze premiers jours, mais aucunement de celle concernant la quinzième journée d’incapacité et celles qui ont suivies. Ils ne peuvent donc être considérés comme une demande de remboursement pour la période au-delà des quatorze premiers jours.
[58] Elle rappelle que l’employeur n’a nullement prouvé l’existence d’une entente écrite ou autre en vertu de laquelle le remboursement à l’employeur se fait par le simple envoi de l’ADR. Elle dépose de la jurisprudence sur l’inexistence, entre autres, d’une telle entente.[8]
[59] La représentante souligne qu’il serait périlleux, pour le régime de financement de la CSST, de permettre aux employeurs de réclamer des sommes à la CSST à n’importe quel moment sans considérer un délai quelconque. Un déséquilibre certain risquerait de s’installer dans les dossiers d’imputation si les employeurs ne sont soumis à aucun délai pour réclamer des remboursements.
[60] Concernant l’application du CCQ, elle rappelle qu’une indemnité de remplacement du revenu est une rente équivalant à un droit personnel soumis aux dispositions du CCQ.
[61] Dans les présents litiges, l’employeur demande le remboursement d’une rente qu’il a versée à des travailleurs. Cette demande de remboursement est soumise au délai de trois ans prévu au CCQ. Si l’employeur avait une créance envers la CSST, il pouvait intenter une action en justice pour la faire valoir. Dans tous les cas, l’ADR ne peut être assimilé à une telle action en justice.
L’AVIS DES MEMBRES
[62] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales ont des avis différents.
[63] Le membre issu des associations d’employeurs retient que l’envoi de l’ADR suffit pour que l’employeur soit remboursé des sommes versées en vertu de l’article 126 de la loi. Il n’avait pas d’autres actions à prendre et la CSST doit lui rembourser les sommes déboursées.
[64] Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est plutôt d’avis que l’employeur a été négligent en attendant cinq et six années avant d’avertir la CSST qu’il n’avait pas reçu les sommes qu’il avait déboursées à partir de la quinzième journée d’incapacité des travailleurs. Bien que la loi ne prévoit pas de délai à l’article 126, cela n’exclut pas qu’il doit être diligent dans la gestion des dossiers pour lesquels il a lui-même choisi de verser l’indemnité de remplacement du revenu.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[65] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST doit rembourser l’employeur pour les sommes qu’il a versées aux travailleurs à compter du quinzième jour complet d’incapacité.
[66] En tout premier lieu, il convient de rappeler que l’article 44 de la loi prévoit le droit pour un travailleur qui subit une lésion professionnelle, qui le rend incapable d’exercer son emploi, de recevoir une indemnité de remplacement du revenu.
[67] L’article 60 de la loi prévoit, pour sa part, que l’employeur verse au travailleur, pour les 14 premiers jours complets suivant l’incapacité, 90 % de son salaire net. Ce montant sera par la suite remboursé par la CSST, sur réclamation de l’employeur. Cet article se lit ainsi :
60. L'employeur au service duquel se trouve le travailleur lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle lui verse, si celui-ci devient incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, 90 % de son salaire net pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement travaillé, n'eût été de son incapacité, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité.
L'employeur verse ce salaire au travailleur à l'époque où il le lui aurait normalement versé si celui-ci lui a fourni l'attestation médicale visée dans l'article 199 .
Ce salaire constitue l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit pour les 14 jours complets suivant le début de son incapacité et la Commission en rembourse le montant à l'employeur dans les 14 jours de la réception de la réclamation de celui-ci, à défaut de quoi elle lui paie des intérêts, dont le taux est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts courent à compter du premier jour de retard et sont capitalisés quotidiennement.
Si, par la suite, la Commission décide que le travailleur n'a pas droit à cette indemnité, en tout ou en partie, elle doit lui en réclamer le trop-perçu conformément à la section I du chapitre XIII.
__________
1985, c. 6, a. 60; 1993, c. 5, a. 1.
(Notre soulignement)
[68] Par la suite, de manière générale, c’est la CSST qui prend la relève et qui verse au travailleur l’indemnité de remplacement du revenu, comme les articles 124 et 125 le prévoient :
124. La Commission verse au travailleur l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit à compter du quinzième jour complet suivant le début de l'incapacité du travailleur d'exercer son emploi.
Cependant, la Commission verse au travailleur à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60 l'indemnité de remplacement du revenu pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement gagné un revenu d'emploi, n'eût été de son incapacité d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité, si ce travailleur lui fournit l'attestation médicale visée dans l'article 199 .
__________
1985, c. 6, a. 124.
125. L'indemnité de remplacement du revenu est versée sous forme de rente une fois par deux semaines.
__________
1985, c. 6, a. 125.
(Notre soulignement)
[69] Il arrive toutefois que des employeurs choisissent de poursuivre, en lieu et place de la CSST, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, comme c’est le cas en l’espèce. Dans une telle situation, que le tribunal qualifie d’exception au principe général prévu à l’article 124 de la loi, ce sera l’employeur qui paiera cette indemnité. L’article 126 de la loi permet alors à la CSST de rembourser l’employeur pour les sommes qu’il a versées au travailleur à titre d’indemnité de remplacement du revenu, à la place de la CSST, sur les sommes qu’elle aurait elle-même versées au travailleur, en vertu de la règle générale.
[70] L’article 126 de la loi se lit comme suit :
126. La Commission peut prélever sur une indemnité de remplacement du revenu et rembourser à l'employeur l'équivalent de ce qu'il paie au travailleur à compter du quinzième jour complet d'incapacité sous forme d'allocation ou d'indemnité, à moins que ce paiement ne soit fait pour combler la différence entre le salaire du travailleur et le montant de l'indemnité à laquelle il a droit.
__________
1985, c. 6, a. 126.
(Notre soulignement)
[71] L’employeur a bien sûr le droit d’être remboursé des sommes qu’il a versées pour les 14 premiers jours et de celles qu’il a déboursées à compter du quinzième jour d’incapacité. La façon de faire pour obtenir le remboursement pour la période des quatorze premiers jours est prévue aux articles 268 et 269 de la loi :
268. L'employeur tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60 avise la Commission que le travailleur est incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée la lésion professionnelle et réclame par écrit le montant qui lui est remboursable en vertu de cet article.
L'avis de l'employeur et sa réclamation se font sur le formulaire prescrit par la Commission.
Ce formulaire porte notamment sur :
1° les nom et adresse du travailleur, de même que ses numéros d'assurance sociale et d'assurance maladie;
2° les nom et adresse de l'employeur et de son établissement, de même que le numéro attribué à chacun d'eux par la Commission;
3° la date du début de l'incapacité ou du décès du travailleur;
4° l'endroit et les circonstances de l'accident du travail, s'il y a lieu;
5° le revenu brut prévu par le contrat de travail du travailleur;
6° le montant dû en vertu de l'article 60 ;
7° les nom et adresse du professionnel de la santé que l'employeur désigne pour recevoir communication du dossier médical que la Commission possède au sujet du travailleur; et
8° si l'employeur conteste qu'il s'agit d'une lésion professionnelle ou la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion, les motifs de sa contestation.
__________
1985, c. 6, a. 268; 1999, c. 89, a. 53.
269. L'employeur transmet à la Commission le formulaire prévu par l'article 268, accompagné d'une copie de l'attestation médicale prévue par l'article 199, dans les deux jours suivant :
1° la date du retour au travail du travailleur, si celui-ci revient au travail dans les 14 jours complets suivant le début de son incapacité d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle; ou
2° les 14 jours complets suivant le début de l'incapacité du travailleur d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle, si le travailleur n'est pas revenu au travail à la fin de cette période.
Il remet au travailleur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
__________
1985, c. 6, a. 269.
(Nos soulignements)
[72] Toutefois, la loi est muette sur la manière dont un employeur peut demander d’être remboursé des sommes qu’il a versées en vertu de l’article 126 de la loi. Elle prévoit encore moins s’il y a un délai pour demander ce remboursement.
[73] Cela étant dit, le tribunal constate que la CSST ne nie pas le droit de l’employeur d’être remboursé des sommes qu’il a versées aux travailleurs pour la période suivant la 14e journée d’arrêt de travail. Ce droit n’est pas remis en cause ni le fait qu’un travailleur ne peut à la fois être payé par son employeur et recevoir des indemnités de remplacement du revenu. C’est ce que la décision Prud’Homme[9] rappelle.
[74] Ce que la CSST prétend, c’est que le délai pris par l’employeur pour demander ce remboursement, soit en l’espèce plus de trois années, fait en sorte que sa demande est prescrite.
[75] Le tribunal juge utile de rapporter quelques-uns des commentaires qui ont accompagné l’adoption des articles 60 et 126 de la loi. Pour ce faire, il y a lieu d’examiner le contenu du Journal des débats concernant ces dispositions.
[76] Ainsi, la lecture des commentaires concernant l’article 60 de la loi nous apprend, entre autres, ce qui suit :
M. Fréchette : […] Par ailleurs, pour quelqu’un qui y regarde d’un peu plus près, on va constater que les accidents de quatorze jours et moins constituent entre 75% et 80% de l’ensemble du volume des 300 000 ou à peu près accidents de travail qui sont généralement déclarés à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
[…] Ces accidents entrent dans la machine administrative comme tous les autres et doivent être traités comme tous les autres, avec toutes les implications que cela nécessite, par exemple, affecter du personnel nombreux au traitement de ces réclamations, s’équiper de façon informatique aussi pour arriver à terminer les dossiers. C’est donc une charge administrative absolument spéciale, extraordinaire de traiter régulièrement ces accidents. […]
[…]
Ce que l’article 59 [aujourd’hui, l’article 60] prévoit, c’est la possibilité, pour eux [les employeurs], de continuer de les gérer, mais à l’interne comme on va gérer n’importe quel autre genre de maladie qui n’est pas de la nature d’une lésion professionnelle. […]
[…]
M. Lincoln : […] En fait, ce qu’on dit, c’est que, si nous avons 300 000 cas ou 350 000 cas, on en aura 80% qui vont être réellement à la charge de l’employeur, à toutes fins utiles, du premier au quatorzième jour. La CSST reste avec une petite minorité de 20%. Tout le travail bureaucratique de base se fait par l’employeur. […]
[…]
M. Fréchette : Le député de Nelligan a fait une suggestion heureuse que je suis disposé à retenir et à coucher en termes législatifs, quand il dit : Est-ce qu’il n’y a pas moyen qu’il y ait un délai prévu pour le remboursement par la commission à l’employeur? Je lui dis oui. Si, par exemple, on introduisait dans la loi une disposition en vertu de laquelle la CSST serait obligée de procéder au remboursement dans les quinze jours de la réception de la réclamation, à défaut de quoi des intérêts commenceraient à s’accumuler, […]
[77] Dans les faits, le 3e alinéa de l’article 60 contient bien un délai obligeant la CSST à rembourser les sommes versées par un employeur pour les quatorze premiers jours.
[78] Le tribunal comprend des propos rapportés plus haut qu’il s’agissait d’une sorte de « caution » en faveur de l’employeur.
[79] En effet, les employeurs qui se voyaient dorénavant obligés de payer eux-mêmes les quatorze premiers jours d’indemnités et de « gérer administrativement » le dossier d’un travailleur pour cette période, en lieu et place de la CSST, recevaient ainsi l’assurance d’être remboursés rapidement à défaut de quoi des intérêts leur seraient versés.
[80] Ces extraits du Journal des débats ont l’avantage d’expliquer les raisons qui ont amené le législateur à écrire l’article 60 comme il l’a fait en prévoyant, entre autres, un délai en dehors duquel la CSST devra payer des intérêts si elle n’a pas remboursé les quatorze premiers jours à un employeur. Les articles 268 et 269 complètent l’article 60 en indiquant à l’employeur de quelle manière il doit procéder pour obtenir les sommes déboursées pour les 14 premiers jours.
[81] Concernant l’article 126, le tribunal retient ce qui suit du Journal des débats :
M. Fréchette : Cet article permettra à la commission de rembourser à l’employeur, à même l’indemnité de remplacement du revenu due à un travailleur, les sommes que cet employeur aura versées à celui-ci pendant son incapacité de travail, à l’exclusion des quinze premiers jours. […]
[…]
M. Lincoln : Mais, est-ce qu’à ce moment-là, on ne devrait pas mettre la même chose, à savoir qu’il [l’employeur] devrait être remboursé dans les quinze jours qui suivent ou bien est-ce que ce sont des cas exceptionnels? […]
M. Fréchette : Remarquez, par exemple, que, dans ce cas-ci, c’est le choix de l’employeur. C’est lui qui, de sa propre initiative décide de continuer de payer après le quatorzième jour, en attendant probablement que le cas de l’accidenté soit réglé.
[…]
M. Fréchette : Il n’y a aucune espèce d’obligation. Dans le cas des quatorze jours, il est obligé.
(Nos soulignements)
[82] Comme le tribunal l’a rapporté, l’article 126 ne mentionne aucun délai pour l’envoi de la demande de remboursement ou pour le remboursement lui-même et il semble que le législateur l’ait voulu ainsi en toute connaissance de cause.
[83] En effet, après avoir évalué que c’était le choix d’un employeur, et non une obligation en vertu de la loi, de se substituer à la CSST et d’assurer le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu, comme c’est le cas en l’espèce, il est apparu que la mention d’un délai de réclamation ou de remboursement était inutile. Il en va de même pour la manière de réclamer les sommes versées qui n’est pas autrement prévue.
[84] Le tribunal en conclut qu’il revient à l’employeur de s’occuper ou de gérer le dossier pour lequel il a volontairement choisi de se substituer à la CSST pour le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu après la 14e journée d’incapacité. Cette obligation inclut celle de voir à obtenir le remboursement des sommes ainsi versées.
[85] À cet égard, le témoin Lavallée a confirmé la pratique chez l’employeur d’un système de gestion qui prévoit la relance des « comptes en souffrance ».
[86] Le tribunal en déduit que l’employeur était d’avis que ce n’était pas à la CSST qu’il appartenait, à partir de la réception de l’ADR, de faire le suivi des dossiers de l’employeur et de gérer les ratés du système de l’employeur. C’était plutôt à ce dernier d’avertir la CSST de l’omission du versement pour la période postérieure aux quatorze premiers jours.
[87] Or, c’est bien ce que l’employeur a fait dans les dossiers en litige, mais plusieurs années après qu’il ait versé les sommes aujourd’hui réclamées.
[88] Est-ce que le fait que la loi ne prévoit aucun délai pour demander un remboursement permet de cautionner un tel comportement? Le tribunal ne le croit pas pour les raisons suivantes.
[89] D’une part, tel qu’il a été mentionné, il appartenait à l’employeur de gérer ses dossiers puisque c’était son choix d’agir ainsi. De l’avis du tribunal, il y a une conséquence à ce choix qui est l’obligation de gérer les dossiers avec diligence.
[90] En effet, cette notion de diligence ne peut être écartée même s’il n’y a aucun délai qui est prévu à l’article 126 de la loi, qui, dans tous les cas, impose uniquement une obligation de remboursement de la part de la CSST. Également, il y a lieu de rappeler que cette notion de diligence a été retenue même en regard des dispositions législatives qui ne contenaient aucun délai.
[91] Ainsi, dans l’affaire Touchette et Airboss[10], la Commission des lésions professionnelles devait décider si une travailleuse avait droit à la révision de la base salariale ayant servi au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu; le tout en regard de l’article 76 de la loi. Cet article se lit ainsi :
76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.
Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.
__________
1985, c. 6, a. 76.
[92] Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles souligne que l’article 76 de la loi ne contient aucun délai pour présenter une demande. Elle ajoute toutefois que la demande « doit être présentée de façon diligente, et ce, dès qu’elle remplit les conditions d’application de cet article ». La commissaire cite une autre décision[11] rapportant des faits semblables et dans laquelle le tribunal retient également cette notion de diligence.
[93] Par ailleurs, il est intéressant de rappeler que dans l’affaire Groupe Poirier inc.[12] qui traitait de l’article 316 de la loi, la notion de diligence a aussi été analysée de la manière suivante. L’article 316 de la loi prévoit ce qui suit :
316. La Commission peut exiger de l'employeur qui retient les services d'un entrepreneur le paiement de la cotisation due par cet entrepreneur.
Dans ce cas, la Commission peut établir le montant de cette cotisation d'après la proportion du prix convenu pour les travaux qui correspond au coût de la main-d'oeuvre, plutôt que d'après les salaires indiqués dans la déclaration faite suivant l'article 292 .
L'employeur qui a payé le montant de cette cotisation a droit d'être remboursé par l'entrepreneur concerné et il peut retenir le montant dû sur les sommes qu'il lui doit.
__________
1985, c. 6, a. 316.
[94] Dans ce dossier, un employeur avait fait affaires avec un entrepreneur en 2002. Cet entrepreneur a ultérieurement fait faillite sans avoir payé sa prime à la CSST. Celle-ci a réclamé en 2005 à l’employeur les sommes dues par l’entrepreneur à une époque où, manifestement, il n’y avait plus de possibilité pour l’employeur de récupérer ces sommes auprès de l’entrepreneur.
[95] Dans sa décision, la Commission des lésions professionnelles rappelle, d’une part, que l’article 316 ne prévoit aucun délai pour que la CSST intervienne pour exiger de l’employeur le paiement de la cotisation impayée par l’entrepreneur avec qui l’employeur a contracté. Elle écarte également l’application d’une notion de diligence à l’égard de la CSST dans l’application de l’article 316. Toutefois, elle rappelle ceci concernant la responsabilité de l’employeur :
[34] Aucune jurisprudence répertoriée ne discute de la nature de l’interprétation qui doit être donnée à l’article 316 de la loi. Pour les fins de la présente décision, le tribunal est d’avis d’écarter l’argument de l’employeur qui suggère de donner une interprétation restrictive à cet article. Comme l’a soumis le procureur de la CSST, cette interprétation doit être faite en tenant compte du contexte général de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles. Tel que l’a soumis la CSST, il s’agit d’abord et avant tout de faire en sorte que la partie qui est à l’origine des risques générateurs de tels coûts, en assume la responsabilité.
Dans le présent dossier, l’employeur a contracté avec l’entrepreneur et à défaut par ce dernier de payer sa cotisation, c’est à l’employeur d’en assumer la responsabilité.
(Nos soulignements)
[96] Donc, s’il est vrai que la notion de diligence ne s’applique pas en vertu de l’article 316 à l’égard de la CSST, l’employeur se voit tout de même imposer d’une certaine manière une notion de diligence puisqu’il lui revient de s’assurer que les sous-traitants avec lesquels il a contracté ont acquitté leurs obligations sous peine d’en assumer les conséquences pécuniaires.
[97] Ainsi, en vertu de l’article 126, le législateur a choisi de remettre entre les mains d’un employeur la responsabilité de gérer les dossiers des travailleurs au moment où cet employeur choisit volontairement de continuer de payer un travailleur en lieu et place de la CSST. Le fait de lui imposer de gérer diligemment cette tâche s’inscrit parfaitement dans cette démarche.
[98] Le représentant de l’employeur a souligné que la Commission des lésions professionnelles a toujours refusé en matière de financement et plus particulièrement en regard de l’article 327 de la loi d’ajouter un délai alors que le législateur n’en avait pas prévu.
[99] La soussignée est d’avis que dans le présent dossier, il ne s’agit pas d’ajouter un délai à l’article 126 qui n’en prévoit aucun. Il s’agit plutôt de décider si, même en l’absence d’un tel délai, il est permis à un employeur de réclamer son dû cinq ou six années après l’avoir déboursé. Pour les motifs invoqués plus haut, le tribunal est d’avis que non.
[100] Il convient aussi d’ajouter que l’article 327, qui a trait à l’imputation par la CSST du coût des prestations qui sont versées en raison d’un certain type de lésion, ne s’inscrit pas dans le même contexte que ce que le tribunal doit décider dans le présent litige.
[101] Le procureur de l’employeur a soutenu que ce dernier n’avait pas à faire d’autres démarches que d’envoyer l’ADR pour être remboursé. À la limite, il aurait été diligent en envoyant simplement le formulaire prévu à l’article 268 de la loi.
[102] À ce propos, le tribunal constate que ce formulaire est prévu expressément pour le paiement des quatorze premiers jours. Cela semble évident de la formulation même de l’article 269 de la loi qui prévoit que l’ADR de l’employeur doit être transmis dans les deux jours suivant « les 14 jours complets suivant le début de l'incapacité du travailleur d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle, si le travailleur n'est pas revenu au travail à la fin de cette période ».
[103] Il n’y a rien dans les articles 268 et 269 concernant le paiement des sommes versées en vertu de l’article 126 de la loi. Encore une fois, le tribunal réitère que c’était la volonté du législateur d’agir ainsi.
[104] Il est donc difficile de retenir que le simple envoi de l’ADR par l’employeur concernant la période d’incapacité débutant la quinzième journée d’arrêt de travail le libère de toute autre intervention pour obtenir son remboursement par la CSST.
[105] Selon le tribunal, en cas de non-paiement, l’employeur doit, comme monsieur Lavallée a témoigné qu’il se faisait habituellement chez l’employeur, relancer la CSST, et ce, diligemment. S’il ne le fait pas, il doit en assumer les conséquences, entre autres, voir ses demandes rejetées.
[106] Ainsi, dans les circonstances du présent dossier, le tribunal retient que le délai pris par l’employeur, pour manifester à la CSST le fait qu’il n’avait pas été remboursé pour des paiements faits cinq et six années auparavant, constitue un délai injustifiable. Il démontre une absence de diligence.
[107] En conséquence, la CSST avait raison de refuser de lui verser les montants réclamés. Le témoin Lavallée n’a d’ailleurs soumis aucun autre motif pour expliquer ce délai qu’un raté dans le système de gestion des dossiers. Est-ce à la CSST d’assumer les conséquences de ces ratés? Le tribunal est d’avis que non.
[108] À ce chapitre, le tribunal retient l’argument de la représentante de la CSST selon lequel le système de financement du régime de la CSST pourrait être mis en péril s’il était permis à des employeurs négligents de réclamer des sommes à n’importe quel moment.
[109] Ces motifs suffisent à régler le présent litige. Le tribunal n’a donc pas à se prononcer sur l’application ou non de la prescription de trois ans prévue au CCQ.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DOSSIERS : 313961 et 314619
REJETTE les requêtes de S.T.M. (Réseau des autobus), l’employeur;
MODIFIE les décisions de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 mars 2007, à la suite de révisions administratives;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) n’a pas à rembourser l’employeur des sommes versées à compter de la quinzième journée des arrêts de travail.
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LUCE MORISSETTE |
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Me François Bouchard |
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Langlois, Kronström, Desjardins |
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Représentant de la partie requérante |
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M. Pierre Kingsbury |
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S.C.F.P. (Local 1983) |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Myriam Sauviat |
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Panneton, Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Commission permanente de l’économie et du travail, 5 décembre 1984, Étude détaillée du projet de loi 42 : Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, pages 353 et suivantes; Commission permanente de l’économie et du travail, 6 décembre 1984, Étude détaillée du projet de loi 42 : Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, pages 517 et suivantes.
[2] Le tribunal constate que sur ce document apparaît la date du 26 avril 1999 qui semble être celle de l’envoi ou de la réception de l’ADR par la CSST.
[3] L.R.Q., c. A-3.001.
[4] L.Q. 1991, c. 64.
[5] [1993] C.A.L.P. 1566; CLSC Rosemont et Romain, C.L.P. 264540-71-0506, 14 décembre 2006, J.-D. Kushner.
[6] C.H. Université de Montréal, C.L.P. 298147-71-0609, 21 novembre 2007, D. Lévesque.
[7] Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie Vézina, Les obligations, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 6e édition, 2005, 1755 pages.
[8] S.T.M. et Laniel, C.L.P. 312903-71-0703, 12 novembre 2007, M. Cuddihy.
[9] Précitée, note 5.
[10] C.L.P. 308154-62B-0701, 3 décembre 2007, N. Blanchard.
[11] Akkari et Les Entreprises Deland 2000 inc., C.L.P. 156435-62-0103, 18 juin 2001, S. Mathieu.
[12] C.L.P. 280437-05-0601, 9 août 2007, A. Suicco, L. Collin, M.-C. Gagnon.
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