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[1] Le 16 mars 2004, madame Carole Gagnon (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 2 mars 2004 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 6 novembre 2003 et déclare, suite à l’avis émis par le docteur David Wiltshire, membre du Bureau d’évaluation médicale (BEM), que la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 23 août 2002 est consolidée le 11 février 2003, que la CSST est justifiée de poursuivre les traitements analgésiques et que la travailleuse a droit à une indemnité pour préjudice corporel compte tenu de la présence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique. En outre, la CSST confirme sa décision du 13 janvier 2004 et fixe le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique à 8,30 %. Par ailleurs, la CSST déclare sans effet sa décision rendue le 10 novembre 2003 reconnaissant un pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique de 10,70 % et déclare en conséquence que la demande de révision de la travailleuse datée du 5 décembre 2003 est sans objet.
[3] L’audience est tenue le 1er décembre 2004 en présence de la travailleuse et de sa procureure. Le docteur Ghislain Dessureault (l’employeur), bien que dûment convoqué, n’y est pas représenté. Quant à la CSST, partie intervenante au dossier, elle n’y est pas non plus représentée.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le processus d’évaluation médicale, ayant conduit à l’avis du docteur Wiltshire du BEM émis le 8 octobre 2003, n’est pas conforme à la loi et demande à ce que le déficit anatomo-physiologique résultant de sa lésion professionnelle soit établi conformément au rapport du 11 février 2003 du médecin désigné par la CSST, le docteur Jean Varin et confirmé le 15 avril 2003 par son médecin traitant, le docteur Denis Duranleau.
[5] De façon subsidiaire, la travailleuse demande à ce que le rapport du docteur Varin soit retenu plutôt que celui du docteur Wiltshitre pour déterminer les séquelles de la lésion professionnelle du 23 août 2002.
LES FAITS
[6] La travailleuse est hygiéniste dentaire pour le compte de l’employeur.
[7] Le 11 novembre 1998, la CSST rend une décision refusant une réclamation de la travailleuse pour lésion professionnelle dont les diagnostics sont une tendinite bilatérale, une cervicalgie et une hernie discale C5-C6. La travailleuse conteste cette décision.
[8] Le 30 juillet 1999, la CSST confirme sa décision à la suite d’une révision administrative.
[9] Le 4 juillet 2000, un accord intervient entre les parties et la CSST, infirmant la décision du 30 juillet 1999 et déclarant que la travailleuse est porteuse d’une maladie professionnelle dont le diagnostic est une tendinite chronique des deux épaules. Cet accord est entériné par une décision de la Commission des lésions professionnelles.
[10] Le 25 octobre 2001, le docteur Gilles Dextradeur complète le rapport final, retenant que la lésion est consolidée le 25 novembre 2001 avec une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles. Il complète le rapport d’évaluation médicale des séquelles le 6 novembre 2001. Le docteur Dextradeur retient le déficit anatomo-physiologique suivant en regard de l’épaule gauche :
Code 102383 Atteinte des tissus mous de l’épaule 2 %
Code 104817 Limitation de l’abduction ( 120 degrés retenus) 2 %
Code 104924 Limitation de la flexion antérieure (120 degrés retenus) 2 %
Code 105013 Limitation de rotation externe (50 degrés retenus) 2 %
Bilatéralité
Aucune
[11] Quant aux limitations fonctionnelles de l’épaule gauche, le docteur Dextradeur consigne les suivantes :
· Éviter de soulever ou transporter des charges de plus de ½ kilogramme;
· Éviter les activités impliquant des mouvements répétitifs avec son épaule gauche;
· Éviter dans la mesure du possible les mouvements ou le positionnement de l’épaule à plus de 30 degrés d’abduction ou 45 degrés de flexion antérieure;
· Limiter le temps d’utilisation d’un clavier informatique plus de 15 minutes à l’heure.
[12] Par la suite, la travailleuse est suivie au plan médical par le docteur Duranleau, physiatre.
[13] Le 16 septembre 2002, la CSST accepte une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation survenue le 23 août 2002 dont le diagnostic est une tendinite chronique des épaules. Cette décision n’est pas contestée. Le litige actuel porte cependant sur les séquelles de cette lésion.
[14] Le 5 décembre 2002, la docteure Brenda Makland, orthopédiste spécialisée en chirurgie des épaules, note une tendinopathie sévère à l’épaule gauche avec un « amincissement généralisé non-réparable ». Le médecin propose un rendez-vous pour une arthrodèse de l’épaule gauche si la douleur augmente.
[15] Le 11 février 2003, le docteur Varin est désigné par la CSST pour évaluer la travailleuse. Il confirme le diagnostic de tendinite chronique des épaules et retient le 11 février 2003 comme date de consolidation. Il ajoute que des traitements analgésiques sont encore nécessaires. À l’examen, il rapporte que les amplitudes de mouvements sont les suivantes :
|
Normale |
Droite |
Gauche |
Abduction |
180 degrés |
160 degrés |
100 degrés |
Élévation antérieure |
180 degrés |
160 degrés |
100 degrés |
Rotation externe |
90 degrés |
90 degrés |
70 degrés |
Rotation interne |
40 degrés |
30 degrés |
30 degrés |
Extension |
40 degrés |
40 degrés |
20 degrés |
Adduction |
20 degrés |
20 degrés |
10 degrés |
[16] Le docteur Varin établit les pourcentages d’atteinte permanente à l’intégrité physique de la façon suivante :
Séquelles actuelles
Code 102383 tendinite, coiffe des rotateurs épaule gauche 2 %
Code 102383 tendinite, coiffe des rotateurs épaule droite 2 %
Code 104835 abduction de 100 degrés, épaule gauche 4 %
Code 104808 abduction de 160 degrés, épaule droite 1 %
Code 104933 élévation antérieure de 100 degrés, épaule gauche 5 %
Code 104906 élévation antérieure de 160 degrés, épaule droite 1 %
Code 105004 rotation externe de 70 degrés, épaule gauche 1 %
Code 105059 rotation interne de 30 degrés, épaule gauche 1 %
Code 105184 adduction de 10 degrés, épaule gauche 1 %
Séquelles antérieures à l’épaule gauche
Code 102383 Atteinte des tissus mous 2 %
Code 104817 Limitation de l’abduction ( 120 degrés retenus) 2 %
Code 104924 Limitation de la flexion antérieure (120 degrés retenus) 2 %
Code 105013 Limitation de rotation externe (50 degrés retenus) 2 %
Bilatéralité
Code 104808 abduction 160 degrés, épaule droite 1 %
Code 104906 élévation antérieure 160 degrés, épaule droite 1 %
Code 102383 tendinite, coiffe des rotateurs, épaule droite 2 %
[17] En regard des limitations fonctionnelles, le docteur Varin s’exprime comme suit :
Nous n’avons pas de limitations fonctionnelles supplémentaires à celles déjà formulées par le docteur Dextradeur concernant l’épaule gauche.
En ce qui concerne l’épaule droite, cette travailleuse devra éviter les mouvements répétitifs nécessitant de l’abduction ou de l’élévation antérieure de l’épaule droite. La limite de poids à manipuler au membre supérieur droit devrait être de 5 kg. La travailleuse ne devrait pas devoir à manipuler son membre supérieur droit à plus de 90 degrés d’élévation antérieure ou d’abduction active. [sic]
[18] Les notes évolutives au dossier de la CSST révèlent une conversation téléphonique entre le docteur Robert Belzile, médecin régional de la CSST, et le docteur Duranleau le 25 mars 2003. La note est la suivante :
Appel Dr Duranleau
Nous répondra IMC [information médicale complémentaire]
Est d’accord avec 5 pts du Dr Varin
[19] À la suite du rapport du docteur Varin, la CSST demande, le 1er avril 2003, au docteur Duranleau de compléter le formulaire Information médicale complémentaire écrite en précisant s’il est d’accord avec les conclusions du médecin désigné en regard du diagnostic, de la date de consolidation, de la nécessité, suffisance des soins ou traitements administrés ou prescrits de même qu’avec l’existence et l’évaluation des limitations fonctionnelles.
[20] Le 15 avril 2003, dans un rapport complémentaire, le docteur Duranleau indique qu’il est en en accord avec le rapport du docteur Varin. Ce rapport du docteur Duranleau n’est cependant envoyé à la CSST que le 3 octobre 2003.
[21] Entre temps, le docteur Germain Quévillon, médecin régional de la CSST, consigne aux notes évolutives du 15 septembre 2003 que « Puisque le dr Duranleau n’a pas retourné l’IMC daté du 1er avril 2003, il est pertinent de poursuivre au BEM ».
[22] Le 25 septembre 2003, le docteur David Wiltshire, orthopédiste, est ainsi désigné à titre de membre du BEM chargé de procéder à l’expertise de la travailleuse.
[23] Dans ce contexte, la travailleuse se présente au bureau du docteur Wiltshire le 8 octobre 2003. Celui-ci l’examine et produit son avis le lendemain 9 octobre 2003. Le 23 octobre suivant, le docteur Wiltshire modifie son avis en ajoutant les séquelles antérieures. Le 16 décembre 2003, il corrige ses avis des 9 octobre et 23 octobre 2003 et conclut que les séquelles sont les suivantes :
Séquelles actuelles :
Code |
Description |
Dap
|
Épaule gauche |
||
102 383 |
Atteinte des tissus mous au membre supérieur gauche avec séquelles fonctionnelles (tendinite chronique épaule gauche. |
2 % |
104 835 |
Abduction épaule gauche limitée à 110° |
4 % |
104 933 |
Élévation antérieure limitée à 100° |
2.5 % |
105 004 |
Rotation externe limitée à 70° |
1 % |
105 184 |
Perte de 10° d’adduction épaule gauche |
1 %
|
Épaule droite |
||
102 383 |
Atteinte des tissus mous au membre supérieur droit avec séquelles fonctionnelles. |
2 % |
Bilatéralité
102 383 |
Atteinte des tissus mous membre supérieur droit avec séquelles fonctionnelles
|
2 % |
Séquelles antérieures : (évaluation Dr G. Dextradeur 6-11-01).
|
||
Code |
Description |
DAP |
102 383 |
Atteinte des tissus mous de l’épaule gauche |
2 % |
104 817 |
Limitation de l’abduction de l’épaule gauche |
2 % |
104 924 |
Limitation de la flexion antérieure |
2 % |
105 013 |
Limitation de la rotation externe |
2 % |
[24] Le 6 novembre 2003, la CSST se dit liée par l’avis du BEM du 23 octobre 2003 et retient, dans une décision du 10 novembre 2003, un déficit anatomo-physiologique de 8,50 % comme l’avait retenu le docteur Wiltshire. À ce pourcentage, elle ajoute 2,20 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie pour une atteinte permanente à l’intégrité physique de 10,70 %. La travailleuse conteste cette décision qui est déclarée sans objet par la CSST à la suite d’une reconsidération administrative. Reconsidérant sa décision, le 10 janvier 2004, la CSST détermine que le pourcentage de déficit anatomo-physiologique qu’avait retenu le docteur Wiltshire est plutôt de 6,5 % auquel s’ajoute 1,80 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie, pour un total d’atteinte permanente de 8,30 %. La travailleuse conteste cette décision qui est maintenue à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
L’AVIS DES MEMBRES
[25] Le membre issu des associations d’employeurs de même que le membre issu des associations syndicales estiment que l’avis du docteur Wiltshire du BEM est irrégulier du fait qu’il a été donné alors qu’il n’y avait aucun litige entre le médecin qui a charge du travailleur (docteur Duranleau) et le médecin désigné par la CSST (docteur Varin). Ils sont alors d’avis que les séquelles résultant de la lésion sont celles évaluées par le docteur Varin dans son rapport du 11 février 2003.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[26] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le processus d’évaluation médicale, qui a conduit à l’avis du docteur Wiltshire du BEM du 23 octobre 2003, respecte les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles[1] (la loi) et si la décision de la CSST, qui découle de ce processus, doit être maintenue. Le tribunal doit également déterminer les séquelles résultant de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 23 août 2002, le cas échéant.
[27] Rappelons certaines dispositions de la loi qui encadrent le processus d’évaluation médicale, notamment les articles 205.1, 206, 212, 217, 221, 224 et 224.1 qui suivent :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui - ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
________
1997, c. 27, a. 3.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
________
1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.
________
1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
________
1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
________
1992, c. 11, a. 27.
[28] Notons que le deuxième alinéa de l’article 221 permet au membre du BEM de se prononcer sur chacun des sujets énumérés aux paragraphes 1 à 5 du premier alinéa de l’article 212, et ce, même si le médecin qui a charge de la travailleuse ou le médecin désigné par l’employeur ou la CSST ne s’est pas prononcé relativement à chacun de ces sujets. Le tribunal considère que cette disposition ne permet cependant pas à un membre du BEM de se prononcer sur l’un ou l’autre des sujets énoncés à l’article 212 alors qu’aucune conclusion médicale n’est infirmée à l’égard de l’un des cinq sujets.
[29] Soulignons que le but du processus d’évaluation médicale est de régler des litiges d’ordre médical, tel que l’énonce la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[2]. Lorsqu’aucune conclusion d’ordre médical n’est infirmée par le médecin désigné par la CSST ou par l’employeur, la CSST est liée par les conclusions du médecin qui a charge de la travailleuse et ne peut, par la suite, soumettre le tout au BEM.
[30] Or, en l’espèce, le médecin qui a charge de la travailleuse (docteur Duranleau) s’est dit en accord avec le rapport du 11 février 2003 du médecin désigné par la CSST (docteur Varin). Or, le tribunal constate qu’aucun des sujets de l’article 212 n’est infirmé par le médecin désigné par la CSST.
[31] Ainsi, en application des principes susmentionnés, la CSST était liée par les conclusions du rapport du docteur Varin du 11 février 2003, confirmé par l’avis complémentaire du docteur Duranleau du 15 avril 2003. La CSST ne pouvait donc pas soumettre le dossier au BEM.
[32] D’ailleurs, les notes évolutives de la CSST montrent que dès le 25 mars 2003, le médecin régional de la CSST savait qu’il n’y avait pas de litige entre les opinions des docteurs Varin et Duranleau, et ce, même si ce n’est que le 3 octobre 2003 que la copie du rapport complémentaire confirmant cette opinion par écrit ne lui est parvenue. La CSST n’aurait alors pas dû entamer des démarches au BEM ou, si celles-ci avaient déjà été entreprises, la CSST aurait tout simplement dû les annuler.
[33] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’avis du docteur Wiltshire du BEM émis le 9 octobre 2003 est irrégulier. Il en ressort que les décisions rendues par la CSST les 6 et 10 novembre 2003, de même que celle du 13 janvier 2004, entérinant l’avis irrégulier du BEM, sont illégales.
[34] Le tribunal constate, par ailleurs, que les évaluations des atteintes permanentes à l’intégrité physique faites tant par le docteur Dextradeur que par le docteur Varin sont non conformes au Règlement sur le barème des dommages corporels[3] (le règlement). En effet, lors de son évaluation, le docteur Dextradeur a omis d’accorder le déficit anatomophysiologique (DAP) pour l’épaule droite et pour la bilatéralité et il a fait erreur dans le pourcentage accordé pour l’abduction de l’épaule gauche. Le diagnostic de tendinite à l’épaule droite étant accepté, le docteur Dextradeur aurait dû accorder un DAP de 1 % pour la limitation de l’abduction de l’épaule droite à 160 degrés (code 104808) et 2 % pour l’atteinte des tissus mous à l’épaule droite (code 102383) de même que 3 % pour bilatéralité. Aussi, en regard de l’épaule gauche, un DAP de 2 % a été accordé pour l’abduction de 120 degrés alors que le règlement prévoit 3 % (code 104826). Or, le DAP total accordé par le docteur Dextradeur était de 8 % auquel 1,2 % devait se rajouter pour les douleurs et la perte de jouissance de la vie (code 225081), pour un total d’atteinte permanente de 9,2 % alors que le DAP aurait dû être de 15 % plus 3 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie (code 225152) pour un total de 18 %. La travailleuse a ainsi reçu l’indemnité pour dommage corporel correspondant à 9,2 % alors qu’elle aurait dû recevoir une indemnité correspondant à 18 %.
[35] Même si le tribunal n’est pas saisi d’un litige en regard du paiement de cette indemnité, il y a lieu de rétablir les pourcentages afin de déterminer correctement les séquelles antérieures à considérer dans le calcul de l’atteinte permanente résultant de le lésion du 23 août 2002. Les séquelles antérieures auraient donc dû s’établir à 18 %, au lieu de 9,2 %.
[36] En regard des séquelles actuelles, le tribunal constate que le docteur Varin a également commis des erreurs dans le calcul puisqu’il a accordé 5 % pour la limitation de l’élévation antérieure de l’épaule gauche à 100 degrés, alors que le barème prévoit 2,5 % (code 104933). Or, pour l’épaule gauche, les séquelles actuelles s’établissent à 11,5 %, pour l’épaule droite, elles sont de 4 % et 4% pour la bilatéralité de sorte que le DAP total actuel est de 19,5 % auquel il faut ajouter 4 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie (code 225205) pour un total d’atteinte permanente à l’intégrité physique de 23,5 % pour les séquelles actuelles. Le tribunal conclut ainsi que l’atteinte permanente à l’intégrité physique résultant de la lésion du 23 août 2002 est de 23,5 %, à titre de séquelles actuelles.
[37] Par ailleurs, eu égard à la compensation correspondant au préjudice corporel faisant suite à sa lésion du 23 août 2002, la travailleuse aurait droit à une indemnité équivalant à 23,5 % (séquelles actuelles) moins 18 % (séquelles antérieures), soit 5,5 %. Cependant, la CSST a compensé les séquelles antérieures à 9,2 %, sur la foi du rapport erroné du docteur Dextradeur et les séquelles de la lésion du 23 août 2003 à 8,3 %, en se basant sur cette erreur et sur le rapport également erroné du docteur Varin. En conséquence, le tribunal détermine que la CSST devra verser la différence entre ce qu’elle a versé pour la lésion du 23 août 2002, soit 8,3 % et ce qu’elle aurait dû verser compte tenu des séquelles antérieures déjà compensées, soit 14,3 % (23,5 % - 9,2 %). Cette différence s’établit à 6 % (14,3 % - 8,3%). La CSST doit donc payer une indemnité supplémentaire pour préjudice corporel correspondant à 6 %.
[38] Le tribunal conclut également que les limitations fonctionnelles sont celles retenues par le docteur Varin, soit :
En regard de l’épaule gauche :
· Éviter de soulever ou transporter des charges de plus de ½ kilogramme;
· Éviter les activités impliquant des mouvements répétitifs avec son épaule gauche;
· Éviter dans la mesure du possible les mouvements ou le positionnement de l’épaule à plus de 30 degrés d’abduction ou 45 degrés de flexion antérieure;
· Limiter le temps d’utilisation d’un clavier informatique plus de 15 minutes à l’heure.
En regard de l’épaule droite :
· Éviter les mouvements répétitifs nécessitant de l’abduction ou de l’élévation antérieure de l’épaule droite;
· La limite de poids à manipuler au membre supérieur droit devrait être de 5 kg;
· La travailleuse ne devrait pas avoir à manipuler son membre supérieur droit à plus de 90 degrés d’élévation antérieure ou d’abduction active.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de madame Carole Gagnon, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 2 mars 2004, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 23 juin 2002 a engendré une atteinte permanente à l’intégrité physique de 23,5 % à titre de séquelles actuelles;
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de verser une indemnité de 6 % pour compenser le préjudice corporel résultant de la lésion du 23 août 2002 qui n’avait pas déjà été compensé;
DÉCLARE que la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 23 juin 2002 a engendré les limitations fonctionnelles suivantes :
En regard de l’épaule gauche :
· Éviter de soulever ou transporter des charges de plus de ½ kilogramme
· Éviter les activités impliquant des mouvements répétitifs avec son épaule gauche
· Éviter dans la mesure du possible les mouvements ou le positionnement de l’épaule à plus de 30 degrés d’abduction ou 45 degrés de flexion antérieure
· Limiter le temps d’utilisation d’un clavier informatique plus de 15 minutes à l’heure.
En regard de l’épaule droite :
· Éviter les mouvements répétitifs nécessitant de l’abduction ou de l’élévation antérieure de l’épaule droite
· La limite de poids à manipuler au membre supérieur droit devrait être de 5 kg
· La travailleuse ne devrait pas avoir à manipuler son membre supérieur droit à plus de 90 degrés d’élévation antérieure ou d’abduction active.
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Marie Langlois |
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Commissaire |
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Me Marie-Josée Beaulieu DUFOUR, ISABELLE, LEDUC ET ASSOCIÉES Représentante de la partie requérante |
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MeJulie Perrier |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Voir
notamment Goderre et R. H. Nugent Equipment Rental ltée, CLP
[3] Règlement sur le barème des dommages corporels, (1987) 119 G.O. II, 5576
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.