Décision

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Laporte c. Intact, compagnie d'assurances (Axa Assurances inc.)

2016 QCCS 3922

JD2919

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-075483-134

 

 

 

DATE :

Le 18 août 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

FRANÇOIS P. DUPRAT, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

JIMMY LAPORTE

Demandeur

c.

INTACT COMPAGNIE D’ASSURANCE (AXA ASSURANCES INC.)

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]           Le 24 juillet 2011 la résidence de Jimmy Laporte à Sainte-Anne-des-Lacs brûle. L’incendie est violent. Il ne subsiste que le périmètre des fondations et une portion de la structure du garage.

[2]           L’assureur refuse de payer la réclamation et offre une défense tous azimuts : l’incendie est criminel et provoqué avec la complicité de l’assuré. La police d’assurance est nulle ab initio vu les liens de Jimmy Laporte avec le crime organisé. L’assureur est également d’avis que la police doit de toute manière être considérée comme nulle ab initio puisque Monsieur Laporte ne peut justifier ses revenus et, en fait, n’en déclare pas et a faussement dépeint sa situation financière à son créancier hypothécaire. Au surplus, Monsieur Laporte conservait du cannabis pour fins de trafic à sa résidence et ceci amène l’application de l’exclusion pour les gestes criminels posés par l’assuré ou l’annulation de la police d’assurance vu le risque moral douteux. Enfin, le montant de la réclamation pour le contenu est exagéré ou faux et déclenche le rejet de l’indemnité.

[3]           On invoque la situation financière difficile de Monsieur Laporte pour justifier qu’il puisse bénéficier de la destruction du bien assuré et encaisser l’indemnité d’assurance.

[4]           Comme il est courant dans ce genre de dossier, la preuve de l’assureur est circonstancielle et rien ne lie l’assuré directement au sinistre.

[5]           Les admissions suivantes sont consignées au tout début de l’audition :

1)          Au moment de l'incendie, le demandeur était propriétaire de l'immeuble situé au 221Chemin des Amarantes Verts à Sainte-Anne-des-Lacs ;

2)         L'immeuble du demandeur  était assuré par la défenderesse au terme d'une police d'assurance portant le numéro 01-878-130, laquelle était en vigueur du 23 novembre  2010 au 23 novembre  2011 (Pièce P-1) sous  réserves  des allégations contenues dans la défense de la défenderesse;

3)         L'incendie est survenu le 24 juillet 2011 ;

4)         Le montant admis pour les dommages au bâtiment suite à cet incendie est de 1 140 000,00$ (sous  réserve  des limites  d'assurance  prévues  au contrat d'assurance, le cas échéant) ;

5)         La véracité et le contenu des Pièces P-1/D-1, P-5/D-7, D-5 et D-6 sont admis;

6)         La  véracité  des Pièces P-2, P-6, P-7,  P-8 et  P-9  est  admise  par  la défenderesse;

7)         La véracité des annexes a-1 à a-56 de la Pièce D-9, D-10,  D-11, D-12 et D-18 est admise par le demandeur;

8)       La véracité des Pièces D-14, D-15,   D-16 et D-16-a est admise par le demandeur mais jugé non pertinent pour  la présente  cause, une objection quant  à leur production sera formulée;

En ce qui concerne la réclamation du demandeur pour les dommages au contenu et pour  les frais  supplémentaires de subsistance, celui-ci verra à en faire la preuve requise.

Les  parties  admettent que  la  défenderesse a offert  et consigné au compte  en fidéicommis de son procureur la somme de 10 264,53$ depuis le 23 avril 2014 aux fins de remboursement des primes payées.

[6]           En cours d’audition, les parties admettent que le Tribunal, s’il fait droit à l’indemnisation pour le bâtiment, devra retenir un taux de dépréciation de 7,5%.

[7]           L’assuré rencontre son fardeau de preuve initial et il appartient à l’assureur d’établir ses divers moyens de défense.

I  LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]           Le Tribunal identifie les questions en litige suivantes :

a)    Y a-t-il incendie criminel?

b)    S’il y a incendie criminel, cet événement peut-il être lié à l’assuré?

c)    Y a-t-il lieu à la nullité de la police d’assurance?

d)    L’exclusion pour geste criminel trouve-t-elle application?

e)    Quelle est la valeur de la réclamation pour le contenu et les frais de subsistance?

f)     Y a-t-il lieu au rejet de la réclamation, vu l’exagération ou la fausseté?

II  ANALYSE

a)    Ya-t-il incendie criminel?

[9]           Selon l’assureur, l’incendie n’a rien d’accidentel. Il résulte de la présence d’une fusée routière placée dans le hall d’entrée de la résidence et qui a servi d’engin incendiaire.

[10]         Dans le contexte d’une action civile, le Tribunal se doit d’apprécier la preuve concernant un incendie volontaire selon la balance des probabilités. Ceci ressort notamment des propos du juge LeBel dans l’arrêt de la Cour d’appel American Home Assurance Company c. Auberge des Pins Inc.[1] :

24  Il faut d'abord examiner la question du fardeau de preuve. Avec égards pour son opinion sur cette question, le premier juge ne paraît pas s'être borné à insister sur le sérieux nécessaire à la preuve d'un acte criminel, en matière civile, sur la nécessité de ne pas conclure trop à la légère, sur le besoin de retrouver une preuve d'une qualité suffisante dans chacun de ses éléments. La Cour suprême avait admis, dans l'affaire Dalton, que les tribunaux avaient droit d'évaluer le poids des éléments de preuve soumis au soutien de la preuve offerte pour démontrer la commission d'un acte criminel. Elle retenait cependant le cadre de la preuve par probabilité ou par balance de probabilité (opinion de monsieur le juge Laskin, p. 171). Celle-ci constitue le standard en matière civile (voir Royer: La preuve civile, p. 62). Même dans le cas de la preuve d'un acte criminel, elle demeure la norme, en dépit de quelques hésitations jurisprudentielles. Le professeur Royer résume ainsi l'état d'une jurisprudence qu'il qualifie de constante, sous réserve de quelques variantes:

175. Balance des probabilités - En dépit de quelques hésitations, il est aujourd'hui clairement et définitivement établi que la suffisance d'une preuve en matière civile est déterminée selon la balance des probabilités, même s'il s'agit de trancher la commission ou non d'un acte criminel. Ce principe s'applique également en common law. Dans l'arrêt Industrial Acceptance Corporation c. Couture, le juge Fauteux de la Cour suprême du Canada déclare:

Il se peut qu'accusé devant les tribunaux criminels d'avoir volé ce camion, Gagnon ait une défense ou des explications à offrir et qu'un jury ne soit pas, par la preuve ci-dessus, convaincu hors de tout doute de sa culpabilité. Mais, dans une cause civile où la preuve d'un crime est matérielle au succès de l'action, la règle de preuve applicable n'est pas celle prévalant dans une cause criminelle où les sanctions de la loi pénale sont recherchées, mais celle régissant la détermination de l'action au civil.

176. Application du critère - Les degrés de probabilité varient selon la nature du fait à prouver. Aussi, sans mettre en doute le critère de la prépondérance de la preuve, les tribunaux sont plus exigeants sur la qualité de celle qui est requise pour établir un acte criminel dans un procès civil. Cette exigence est valable en droit civil et en common law et trouve sa justification dans la présomption fondamentale de la normalité, puisque la commission d'un acte criminel est un fait exceptionnel. Dans l'arrêt Croteau c. London Life, le juge Paré de la Cour d'appel s'exprime comme suit:

Je suis d'accord avec la jurisprudence de notre cour selon laquelle c'est en l'espèce la prépondérance de la preuve ou la balance des probabilités qui devraient sceller l'issue de cette cause. Mais encore fallait-il inclure dans cette preuve la présomption de faits très forte qu'une personne n'est pas censée vouloir se suicider. C'est cette présomption que j'ai gardée en mémoire en analysant la preuve et c'est à partir de cette présomption que je conclurais à l'existence d'une balance des probabilités favorable à la poursuite.

Dans la cause Maryland Casualty c. Roy Fourrures Inc., le juge Pigeon de la Cour suprême énonce ce qui suit:

A mon avis, c'est à bon droit que la Cour d'appel condamne cette manière de voir. Il est bien sûr que lorsqu'on démontre qu'une affirmation importante d'un témoin est erronée, sa crédibilité en souffre sérieusement mais, de là à conclure que tout son témoignage est à rejeter et que l'on est en présence d'un criminel coupable de parjure et d'incendiat, il y a tout de même une marge. (pp. 65 à 68) (voir aussi sur le sujet: Aubin c. Mutual Life Assurance Company of Canada[1979] 2 R.C.S. 298EYB 1979-14754228 N.R. 313, Savoie c. Compagnie d'assurance La Guardian[1985] R.D.J. 573London and Lancashire Guaranty Accident Company of Canada c. Canadian Marconi[1963] R.C.S. 106) [Le Tribunal souligne]

[11]        Il y a donc lieu de réviser les éléments de la preuve et vérifier si selon une balance des probabilités l’assureur rencontre son fardeau de preuve.

[12]        Quelques commentaires sur le bâtiment assuré. Il s’agit d’une résidence de grande dimension et luxueuse, comportant pas moins de 23 pièces réparties au sous-sol, au rez-de-chaussée et sur un étage[2]. Le plancher du hall d’entrée est en ardoise et les murs en gypse. La porte d’entrée principale est double et en bois massif.

[13]        En entrant dans la maison, à la droite, on trouve deux garde-robes ayant chacune une dimension d’environ sept pieds par six pieds. L’une des garde-robes se situe immédiatement à l’entrée du garage double attenant à la résidence.  

[14]        Il est acquis que Monsieur Laporte quitte sa résidence, avec sa conjointe Cristina Manago, en fin de journée le 21 juillet 2011. Il se rend au réservoir Baskatong pour y passer quelques jours avec des amis. Alors qu’il quitte, la femme de ménage se trouve sur place. La voiture Audi de Madame Manago demeure stationnée devant la résidence et la voiture Porsche de Monsieur Laporte se trouve sur le côté près du garage.

[15]        Nul ne sait à quel moment l’incendie débute. Un appel est logé le 24 juillet 2011 à 4 :02 a.m. aux services d’urgence par le fils d’un voisin, Monsieur Ekiel Nadeau. Cet appel est transféré au service des pompiers de la Ville à 4 :06 a.m. Le chef des pompiers, Monsieur Alain Charbonneau, estime être arrivé sur les lieux vers 4 :26 a.m. À son arrivée quelques pompiers et un officier sont déjà sur place.

[16]        Monsieur Charbonneau constate qu’il s’agit d’un assez grand bâtiment et que l’embrasement est généralisé sauf pour le garage. Le combat du brasier est essentiellement défensif puisque l’immeuble est toujours alimenté en électricité et l’équipe de délestage d’Hydro Québec n’est pas arrivé. Quoiqu’il en soit, le résultat est évident. La résidence est détruite et pratiquement rasée. C’est une perte totale autant pour le contenu que le bâtiment[3].

[17]        Monsieur Charbonneau décide de référer le dossier à la Sureté du Québec pour fins d’enquête. Il trouve curieux que le système d’alarme incendie, liée à une centrale, n’ait pas fonctionné puisque par le passé le service des pompiers est intervenu à plusieurs reprises pour des fausses alarmes. Dans sa version aux policiers le 24 juillet 2011, il écrit : de plus la rapidité du développement de l’incendie ainsi que son ampleur nous portent à croire que l’incendie s’est développé rapidement[4].

[18]        Le sergent Geneviève Lauzon de la Sureté du Québec est chargée du dossier au matin du 24 juillet 2011. Elle obtient du juge de paix magistrat un mandat lui permettant de faire enquête sur les lieux de l’incendie et d’en déterminer la cause. Madame Lauzon justifie sa demande de mandat selon des informations reçues notamment de Monsieur Charbonneau et qui lui laisse croire à un incendie criminel[5].

[19]        L’affidavit de Madame Lauzon souligne que Monsieur Charbonneau croit que la vitesse de propagation de l’incendie indique la présence d’un accélérant. Il y a eu objection à cette preuve puisque Madame Lauzon tient cette information des patrouilleurs de la Sureté et non directement de  Monsieur Charbonneau. Le Tribunal a permis la preuve non pas pour établir la véracité de cette déclaration mais plutôt pour expliquer le cheminement de Madame Lauzon pour faire enquête. Soulignons que Monsieur Charbonneau lors de son témoignage reconnait avoir fourni aux patrouilleurs une déclaration telle que le rapporte Madame Lauzon :

(…) Selon son expérience, il est impossible qu’un incendie se propage à cette vitesse et ce, partout sur le bâtiment sans qu’il y ait eu présence d’accélérant[6].

[20]         Madame Lauzon se rend sur place et y rencontre deux de ses collègues. Des photographies du périmètre intérieur et extérieur de la résidence sont prises[7]. Un croquis des lieux est préparé. C’est lors de l’examen des lieux qu’un contenant est découvert à proximité du bâtiment. Dans ce contenant les policiers retrouvent 126.79 grammes de cannabis. Cette découverte mènera à une entrevue de Jimmy Laporte au poste de police le 25 juillet 2011 et Madame Lauzon informera Monsieur Laporte de la présence de cannabis. Il est mis en état d’arrestation. Il s’est alors prévalu de son droit au silence et aucun aveu n’est obtenu[8]. Éventuellement une accusation de possession pour fins de trafic sera déposée par voie de sommation et Monsieur Laporte en sera acquitté[9]. Le Tribunal reviendra sur cet aspect du débat.

[21]        L’expertise sur la scène de l’incendie est réalisée par le sergent Patrick Bigras et son rapport est déposé en preuve de consentement sans qu’il rende témoignage[10]

[22]        La conclusion se lit :

Compte tenu de la grande destruction, nous ne pouvons de façon objective, identifier un secteur d’origine et une cause pour cet incendie. Il s’agit d’un incendie indéterminé.

L’enquête pourrait éventuellement faire la lumière sur l’origine et les causes réelles de cet incendie.

[23]        L’assureur mandate une firme d’ingénieurs en vue de déterminer la cause de l’incendie. Un premier ingénieur se présente sur les lieux le 27 juillet 2011, Monsieur Stéphane Labonté. Il est accompagné de l’expert en sinistre Pierre Godin. Ces deux personnes n’ont pas témoigné et Monsieur Labonté n’a pas préparé un rapport de sa visite.

[24]         L’assureur confie pour la suite le dossier à une unité spéciale d’enquête.

[25]        Un collègue de Monsieur Labonté, Monsieur Clément Caron, revient sur les lieux le 4 août 2011. Il est accompagné de 4 autres personnes dont deux experts en sinistre, Messieurs René Paillé et Marc Demers ainsi que de Monsieur Normand Paré, policier retraité de la police de Laval. Le but de cette visite est de procéder à un déblaiement manuel des débris  et de tenter d’établir l’origine et la cause de l’incendie. 

[26]        Une autre visite aura lieu le 9 août 2011 pour prélever des échantillons afin de vérifier la présence d’accélérant sur le site de l’incendie.

[27]        C’est lors de la fouille de ce qui représente jadis le hall d’entrée de la maison que Monsieur Paré découvre une broche métallique qui s’apparente énormément à un support d’une fusée routière. La comparaison entre le support d’une fusée routière et la pièce métallique retrouvée dans les débris laisse peu de doute qu’il s’agit bien d’un support de fusée[11]. En fait, le témoin Caron en est certain.

[28]        Le fait de retrouver un support de fusée routière n’est pas en soi un indice d’incendie volontaire. Dans le cas présent, c’est plutôt l’endroit où fut retrouvée la broche qui pousse à se questionner.

[29]        Monsieur Paré indique que c’est Monsieur Caron qui lui a indiqué la zone de fouille. En effet, le premier objectif de Monsieur Caron est de tenter de retrouver la serrure de la porte principale de la résidence dans les débris. Au cours de sa carrière de policier, Monsieur Paré a travaillé en analyse de scènes de crimes et, en outre, sur des scènes d’incendies. Il explique qu’il a commencé par le haut des débris en enlevant une couche et en recherchant tout objet non consumé tout en portant une attention particulière aux odeurs.

[30]        Monsieur Paré explique qu’il y avait environ deux pieds de cendre et de débris accumulés et qu’il enlevait deux pouces à la fois pour procéder à sa fouille. Il a d’abord trouvé au milieu de l’endroit qu’il fouillait le mécanisme de verrouillage de la porte d’entrée[12]. Il a poursuivi sa fouille et a trouvé la broche dans les débris environ à la même hauteur que le mécanisme de la porte, dans ce qui est qualifié du centre des débris. Monsieur Paré n’a pas effectué de fouille ailleurs et a remis la broche à Monsieur Caron. Il est allé à sa voiture pour prendre une fusée routière et ce, afin de faire une comparaison visuelle[13].

[31]        Monsieur Caron a préparé un rapport en date du 24 janvier 2012. Sa qualité d’expert en recherche d’incendie a été admise[14]. Il a expliqué que la méthodologie usuelle consiste d’abord à identifier la région d’origine de l’incendie en utilisant des techniques reconnues soit la reconnaissance des patrons de conflagration, l’intensité de l’incendie, son niveau et l’examen des systèmes.  Dans le cas présent, vu l’ampleur de la description, il n’a pu identifier un point d’origine précis.

[32]        En ce qui concerne la cause de l’incendie, il a procédé à l’examen de la scène à la recherche de faits objectifs et de faits subjectifs. Il a également tenu compte de la déclaration du témoin Nadeau qui a été le premier sur les lieux et qui lui a rapporté qu’il y avait des flammes au rez-de-chaussée concentrées devant la porte avant du bâtiment. Monsieur Caron explique que normalement une porte du type de celle installée à la résidence, soit en bois massif, a une bonne résistance au feu et il n’est pas usuel de voir une telle porte en flamme. Il a décidé de concentrer les fouilles d’abord devant la porte d’entrée de la résidence, soit l’endroit où Monsieur Paré a travaillé, en étant à la recherche du mécanisme de barrure de la porte. Il désirait vérifier si la porte était barrée.

[33]        Effectivement, l’examen du mécanisme de serrure confirme qu’elle était barrée à simple tour. Monsieur Caron rapporte que là où Monsieur Paré a déblayé, il y avait entre 18 pouces à 3 pieds de débris. Comme la broche a été trouvée au centre des débris, cela implique, selon Monsieur Caron, que la broche était dans la maison au moment de l’incendie et n’y a pas été placée par la suite. La logique veut aussi que la broche ne se trouvait pas au sous-sol lors de l’incendie puisque justement des débris se trouvent en dessous.

[34]        En ce qui concerne l’état des lieux lors de la visite par Monsieur Caron, il ne croit pas qu’il y a eu auparavant exploration des lieux et, mis à part le perron avant de la résidence, il n’y avait pas eu de déblayage.

[35]        Monsieur Caron précise que l’effondrement de la résidence, lors de l’incendie, se fait par couches et que si la broche de fusée routière est retrouvée environ au même niveau que la serrure, cela indique qu’elle se trouvait dans le  même secteur. Monsieur Caron exclut que la fusée routière ait pu se retrouver dans une des garde-robes situées à la droite de l’entrée de la résidence puisque ceci ne correspond pas du tout à l’endroit où la broche se trouve lors de la fouille. Monsieur Caron a également confirmé qu’une fusée routière peut brûler durant environ 20 minutes et qu’un tel objet dégage une flamme intense qui a un potentiel incendiaire très élevé[15].

[36]        Pour Monsieur Caron, la présence inexpliquée dans le hall d’entrée d’une fusée routière le porte à conclure que l’incendie est relié à un geste de nature intentionnel.  Dans son analyse et conclusion, Monsieur Caron écrit :

 Nous devons souligner que le premier témoin de l’incendie, Monsieur Nadeau, rapporte avoir observé des flammes devant l’entrée principale, située en façade,  et également avoir perçu une odeur d’essence vers le secteur du garage, le tout combiné à une propagation de l’incendie qui fut qualifié de rapide. Ces éléments à eux seuls ne permettent pas de conclure à un incendie de nature intentionnelle.

Un des faits les plus importants, en ce qui regarde cette enquête, est relié à la présence d’un support métallique de fusée routière (communément appelée «flare»). En effet, ce type d’équipement est utilisé à l’occasion pour allumer un incendie de façon volontaire.  Il est facile à lancer, brûle à haute température et est très difficile à éteindre, une fois allumé.

Dans le cas présent, nous avons retrouvé ce support dans la couche intermédiaire de débris, sous l’entrée principale. Ainsi, il est raisonnable de croire que la fusée routière en question se trouvait dans le vestibule d’entrée de la résidence. Dans la mesure où la présence d’une fusée routière dans la hall d’entrée d’une résidence unifamiliale est inhabituelle, nous devrions retenir un incendie de nature intentionnelle comme étant un scénario d’allumage plausible.

En outre, s’il s’avérait qu’aucune fusée routière ne devait se trouver à l’intérieur de la résidence et que les faits rapportés par monsieur Nadeau sont exacts, le scénario d’un incendie relié à un geste de nature intentionnelle serait la cause la plus probable à retenir[16].

[37]        Il est clair du témoignage de Monsieur Caron que la fusée routière à elle seule ne provoquerait pas un incendie sur un plancher d’ardoise ou face à un mur de gypse. Un combustible quelconque est nécessaire. 

[38]        Sur la présence de produits possiblement inflammables, Monsieur Laporte rapporte que dans son garage, il conservait certains produits inflammables, qu’il avait des génératrices ainsi que des motocyclettes. Au sous-sol de la résidence, et particulièrement dans la salle électrique qui se trouve sous le garage, il conservait divers produits de peinture tels des solvants.

[39]        Les photographies des lieux montrent plusieurs bidons d’essence à l’extérieur de la résidence[17]. La présence de ces bidons est expliquée par Monsieur Laporte qui utilisait fréquemment divers véhicules que ce soit des motocyclettes, des bateaux ou des motomarines. Monsieur Caron discute de la présence des bidons dans son rapport mais n’en tire pas une conclusion.

[40]        Monsieur Laporte a été questionné avant et durant le procès sur la possibilité de la présence d’une fusée routière dans sa résidence. Soulignons que Monsieur Laporte n’affirme pas qu’il y ait effectivement un tel objet dans la résidence.

[41]          Devant le Tribunal, Monsieur Laporte confirme qu’il n’a jamais utilisé de fusée routière. À sa connaissance, il n’y en avait pas dans la maison. Il réfère plutôt au fait que dans le cadre de ses activités de commerce automobile, il garde parfois certains objets qui proviennent d’une voiture vendue. Il explique que c’est possible qu’il ait pu garder une fusée routière qui se trouvait dans un sac d’équipement d’un véhicule. Dans le passé il a gardé des compresseurs, des pneus, des panneaux d’avertissement.

[42]         Dans l’entrevue capturée sur vidéo avec les représentants de l’assureur, il affirme qu’il avait peut-être une fusée routière dans le garage[18]. Lors de son interrogatoire statutaire il dit qu’il y aurait pu y avoir une telle fusée dans la garde-robe en entrant du garage[19]

[43]        De ces versions, le Tribunal retient qu’il est peu probable que Monsieur Laporte a effectivement conservé une fusée routière dans la résidence avant l’incendie. Il ne l’affirme d’ailleurs pas. Au-delà de ceci, et si par hasard il avait conservé une fusée routière sans le savoir, celle-ci se serait trouvée dans le garage ou dans la garde-robe attenant à la porte du garage. Dans les deux cas, ceci n’explique pas la présence, après l’incendie, du support métallique de la fusée routière dans les débris devant la porte principale de la résidence.

[44]        L’incendie se produit le 24 juillet 2011 et la broche métallique est découverte le 4 août 2011. Le Tribunal ne peut retenir que quelqu’un aurait accéder au site et aurait pu y placer la broche suite à l’incendie. Le témoignage de Monsieur Caron est clair à l’effet qu’en apparence l’endroit n’a pas été fouillé avant que Monsieur Paré ne se mette à la tâche. Il est vrai que Monsieur Caron choisit un seul endroit pour faire une fouille mais la raison qu’il exprime, soit la recherche du mécanisme de serrure, est plausible.

[45]        Bref, le Tribunal est satisfait que la preuve montre qu’une broche de fusée routière est découverte immédiatement devant la porte et que cette broche se trouvait sur place au moment de l’incendie. Rien ne peut expliquer que si la fusée routière se trouvait ailleurs dans la maison, par exemple dans une des garde-robes ou dans le garage, elle ait pu se déplacer dans le hall d‘entrée. Cela n’a aucune logique.

[46]        Il est vrai que monsieur Caron n’a pu utiliser les techniques reconnues en matière de recherche du point d’origine et de la cause de l’incendie vu l’intensité de l’incendie. Il est en mesure de conclure que l’incendie n’a pas débuté dans la partie du garage puisque la destruction y est moins intense. Il exclut le point d’origine comme pouvant être le second étage de la résidence vu la déclaration du témoin Nadeau et sa description des flammes.

[47]        Cependant, il ne peut éliminer d’autres causes potentielles comme une défectuosité du système électrique de la résidence. Monsieur Caron reconnait que la chaleur fut très intense à l’arrière du bâtiment donc dans une zone plus éloignée de l’entrée principale.

[48]        Le 11 août 2011, le site a été revu et cette fois un chien entrainé à la détection d’accélérant a été apporté sur place. Des prélèvements sont réalisés et l’analyse confirme qu’un des échantillons (H-3-0307) contient un distillat moyen de pétrole (allume charbon, diluants à peinture, nettoyeurs pour pinceaux)[20]. Cet échantillon est pris dans l’entrée de la résidence[21]. Les trois autres échantillons extraits dans d’autres secteurs de la maison sont négatifs.

[49]        Le témoin Ekiel Nadeau se rend à la résidence de ses parents dans la soirée du 23 juillet 2011. Il ne connaît pas Monsieur Jimmy Laporte et ne l’a jamais rencontré. Il n’est pas familier avec la résidence assurée et la résidence de ses parents se trouve contigüe à celle de Monsieur Laporte.

[50]        Monsieur Nadeau passe la soirée avec un ami à jouer au billard et à s’amuser. Il reconnaît qu’entre 18 heures et deux heures du matin, il a probablement bu une bouteille de 26 onces de gin avec son ami et a pu partager au moins 3 ou 4 cigarettes de marijuana. Il serait allé se coucher vers 3 heures du matin, prenant cependant une douche auparavant. Entre une demi-heure ou quarante minutes plus tard, un des chiens de la famille le réveille en jappant. Il patiente plus ou moins 20 minutes et décide finalement de se lever et d’aller voir dans le garage. Il voit par la fenêtre une lueur orange et constate que la maison de Monsieur Laporte est en feu. Il  monte à l’étage de la résidence de ses parents pour appeler le service d’urgence et décide d’aller voir s’il y a des occupants dans la résidence.

[51]        À son arrivée sur les lieux devant la résidence, il constate que le rez-de-chaussée est entièrement enflammé et il aperçoit des flammes dans les fenêtres du deuxième étage. Comme il ne connaît pas les lieux, il procède d’abord vers la gauche de la résidence mais son chemin est bloqué par des arbres. Il se souvient que le rez-de-chaussée est en flamme et que les portes avant commencent à brûler. Il décrit les flammes comme sortant par les portes. Il pousse des cris pensant ainsi alerter les occupants, le cas échéant.

[52]        Il revient de la gauche du bâtiment et marche dans le chemin d’entrée de la résidence, à proximité de la voiture Audi stationnée. Il constate que la capote de la voiture boucane. Sur l’autre coin, à droite, il aperçoit une autre voiture et voit une bombonne de gaz propane collée sur la résidence. C’est à ce moment qu’il décide par prudence de se retirer.

[53]        Il voit des morceaux du bâtiment qui tombent par fragments. La peinture de la voiture bouillonne. Il s’éloigne vers la rue, et à cet endroit, il rencontre un policier de la Sûreté du Québec à qui il s’est identifié. 

[54]        Monsieur Nadeau rapporte que lorsqu’il s’est approché du garage, il a senti ce qu’il croit être une odeur d’essence. Questionné sur ce sujet, il reconnait qu’il ne puisse identifier précisément ce qu’est une odeur d’essence mais il rapporte une odeur de gaz ou de feu dans ce secteur. C’est le seul endroit où il a par ailleurs perçu une telle odeur.

[55]          À son souvenir, il est demeuré tout au plus trois minutes près de la résidence.  Il n’a pas vu ce qui se passait au sous-sol de la maison et n’a pas vu l’intérieur du garage. Monsieur Nadeau ne s’est jamais rendu à l’arrière de la résidence et alors qu’il est allé vers la gauche, il a constaté que des fenêtres éclataient sur ce côté.

[56]        Bien que la consommation d’alcool et de drogue de Monsieur Nadeau durant la soirée précédant l’incendie fût  impressionnante, le Tribunal n’a pas de raison d’écarter sa version. Il témoigne de façon spontanée et répond directement aux questions. Au surplus, la version qu’il donne aux policiers le 24 juillet 2011 est sensiblement conforme à ce qu’il relate devant le Tribunal[22].

[57]        Selon le Tribunal, les éléments de preuve confirment qu’en toute probabilité l’incendie est d’origine volontaire et il y a lieu de retenir le rapport de Monsieur Caron.

[58]        Le chef des pompiers, Monsieur Charbonneau, ainsi que Monsieur Nadeau témoignent que l’incendie est violent et la présence d’un support de fusée routière dans la région de la porte d’entrée de la résidence est inexplicable. Le témoignage de Monsieur Caron n’a pas été contredit sur la possibilité qu’une fusée routière soit utilisée pour causer un incendie. La présence d’un liquide qui s’apparente à un diluant à peinture dans le secteur de l’entrée de la résidence n’est pas plus expliquée.

[59]        De ceci, le Tribunal conclut qu’il s’agit d’un incendie de nature intentionnelle.

b)    S’il y a incendie criminel, cet événement peut-il être lié à l’assuré?

[60]        L’assureur est d’avis que la preuve, bien que de façon indirecte, mène à une seule conclusion : Jimmy Laporte a participé à l’incendie de sa résidence.

[61]        Pour ce faire, l’assureur s’appuie sur  différents éléments de la preuve dont plusieurs touchent un motif financier. En voici un portrait : 

i)              La résidence est en vente au moment du sinistre.

[62]        Le 21 août 2008, Monsieur Laporte contracte une hypothèque auprès de la Compagnie Maple Trust au montant de 440 966,25 $ et se porte acquéreur de la résidence le 27 août 2008 pour une somme de 450 000 $[23].

[63]        Il est en preuve que la résidence a été mise en vente de juillet 2009 jusqu’en juillet 2011 sauf pour une période de deux mois. Durant cette période, seules une ou deux visites par des acheteurs potentiels ont eu lieu et aucune offre n’est reçue.

[64]        Il est clair de la preuve que Monsieur Laporte entend récupérer l’équité qu’il peut avoir dans la résidence. Ce but ultime est d’ailleurs confirmé par la mère de Monsieur, Madame Carole Viau : l’idée maîtresse est d’acheter, rénover et revendre la maison. Par le passé, Monsieur Laporte a d’ailleurs fait l’achat et la revente de plusieurs résidences.

[65]        Madame Viau, qui est également agent immobilier de profession, a eu charge de vendre la résidence. Elle détient le mandat pour la vente de la résidence à partir de janvier 2010 jusqu’au 31 décembre 2010[24]. Ce mandat est renouvelé pour un an. Monsieur Laporte lui a cependant demandé de retirer la résidence du marché en mars 2011 pour une durée de deux mois. Avant janvier 2010, c’est un autre courtier qui a mandat de vendre la résidence depuis juillet 2009.

[66]        Madame Viau confirme qu’il y a effectivement eu très peu de visites et aucune offre. Elle est d’avis qu’à cette époque, il y a peu de clients pour une maison de cette catégorie.

[67]        Alors qu’il donne une version aux policiers le 25 juillet 2011, Monsieur Laporte répond ce qui suit [25]:

  Q.       Est-ce que votre résidence était à vendre?

   R.      Non.  L’été passé elle l’a été environ deux mois.

[68]        Cette version est inexacte. La preuve administrée est limpide : Monsieur Laporte a toujours eu l’intention de vendre la résidence et, sauf pour une période de 2 mois en mars 2011, c’est ce qu’il tentait de faire.

ii)  Incapacité de trouver un financement

[69]        À partir de l’année 2011, Monsieur Laporte recherche activement un financement par l’entreprise de courtiers hypothécaires. La preuve montre qu’aucun financement n’a pu être obtenu. Questionné à ce sujet par l’expert en sinistre Demers, Monsieur Laporte indique qu’il est certain d’obtenir du financement et qu’il ne peut être refusé[26]. Lors de son interrogatoire statutaire, il dit ne pas savoir que ses demandes de financement ont été refusées[27].

[70]        Le rapport préparé par le comptable expert François Filion, pour le compte de l’assureur, détaille les recherches de financement de Monsieur Laporte en 2011[28].

[71]        De façon plus précise, le rapport de la firme Garda, daté du 26 septembre 2011, et qui fait partie du rapport comptable, explique les diverses tentatives des courtiers hypothécaires pour tenter de trouver un refinancement. Ce rapport fait référence à des démarches auprès de deux courtiers hypothécaires, le 1er mars et le 7 mars 2011[29].

[72]        Bref, peu de temps avant l’incendie, les tentatives de Monsieur Laporte de trouver du financement hypothécaires sont vaines. Par ailleurs, il est peu crédible de penser que Monsieur Laporte ne connaisse pas le résultat de ces démarches.

iii) La situation financière de Jimmy Laporte :

[73]        Une grande partie de la preuve lors de l’audience traite de la situation financière de Monsieur Laporte. Il ne fait pas de doute que Monsieur Laporte mène un style de vie dispendieux. La résidence est somptueuse, Monsieur fréquente des beaux restaurants, aime les objets de marque et les vêtements griffés. Il conduit des voitures de luxe et effectue souvent des séjours à l’étranger. Son père, Monsieur André Laporte, décrit son train de vie par l’expression : c’est un prince. D’ailleurs, son père lui avance assez souvent des sommes d’argent importantes ou, encore, lui en fait carrément don[30]. La liste d’avances montre que Monsieur André Laporte paie fréquemment des fournisseurs de son fils. Au moment de l’incendie, Jimmy Laporte doit, du moins en théorie, plus de 90 000$ à son père[31].

[74]        Sa mère, Madame Viau, dit que Jimmy est un piètre gestionnaire. Monsieur  Laporte reconnait d’ailleurs ce fait. Selon elle, son fils attend souvent à la dernière minute pour régler des comptes. Elle l’a toujours aidé, comme son père d’ailleurs.

[75]        Une entente de règlement intervient en novembre 2008 entre Monsieur Laporte et l’Agence du revenu du Canada et montre qu’il a été le sujet d’une vérification et s’est vu attribuer des revenus de 144 269 $ en 2005 et de 129 773 $ en 2006[32]. Il a déclaré initialement des revenus minimes pour ces deux années. Monsieur Laporte reçoit aussi des avis de cotisation de Revenu Québec[33].

[76]        Bien sûr ce rythme de vie a un prix. Il est en preuve qu’à partir du 3 mars 2011, le Ministère du Revenu a inscrit à l’encontre de la résidence assurée, une hypothèque légale au montant de 108 696 $[34]. Les sommes dues par monsieur Laporte sur ses cartes de crédit augmentent durant l’année qui précède l’incendie. Son entreprise de location de motoneiges dans l’Ouest canadien, Kaotic, ne génère pas de revenus selon ce que l’assuré déclare à Monsieur Demers[35]. Il faut dire que Monsieur Laporte admet d’emblée ne pas déclarer tous ses revenus et il ne s’en cache pas[36]. Selon le comptable Filion, Monsieur Laporte n’a pas les liquidités nécessaires pour faire face à ses dépenses.

[77]        Le rapport de Monsieur Filion  est fouillé et celui-ci analyse tous les aspects de la vie financière de Monsieur Laporte en fonction des renseignements reçus de l’assuré ou par l’enquête de l’assureur. Il est certain que le travail de Monsieur Filion est limité par l’information qu’il a pu recevoir de Monsieur Laporte. Or, si il y a un manque d’information ou de précision ceci ne découle que de Monsieur Laporte qui a eu plusieurs opportunités d’expliquer ses sources de revenus et ses dépenses que ce soit lors de sa rencontre avec les experts en sinistre, au moment de son interrogatoire statutaire ou, même lors du procès. Le Tribunal n’a pas de motif de ne pas accepter le témoignage de Monsieur Filion, qui n’est d’ailleurs pas contredit. Il est  utile de citer en entier le sommaire qui résume, dans l’optique du Tribunal, la situation au moment de l’incendie[37] :

L’analyse de la documentation permet de constater que :

i. pour les transactions immobilières :

a.  la vente du 117 des Diamants en 2005 peut avoir généré certaines liquidités à l’Assuré (sujet à l’obtention d’information sur le montant des rénovations effectuées et de la dette remboursée);

b. bien que la vente du 901 de l’Olympiade semble avoir généré un profit de 80 000 $, cet immeuble était grevé de deux hypothèques.  Ainsi, peu ou pas de liquidités auraient été générées par cette vente (30 000 $ selon nos calculs);

c. la vente du 743 des Pins peut avoir généré des liquidités (sujet à l’obtention d’informations sur les rénovations).  Par contre, contrairement à ce que l’Assuré mentionne, un maximum de 184 000 $ a pu être généré contrairement au montant de 370 000 $ indiqué;

 ii.         bien que l’Assuré a pu générer certains profits lors de la vente d’immeubles, selon le bilan de l’Assuré au mois d’août 2008 produit aux fins du financement obtenu auprès de Maple Trust, la valeur nette de ce dernier n’était que de 80 000 $;

iii.         selon les informations fournies par l’Assuré à Maple Trust, ce dernier avait, en 2007 et 2008, un salaire de 84 000 $ par année provenant de la Porte de Saint-Sauveur. Nous n’avons pas retrouvé un tel revenu d’emploi sur le sommaire des déclarations de revenus de 2006 à 2010, fourni par l’Assuré dans le cadre du présent dossier;

iv.         en novembre 2009, l’Assuré a reçu des avis de cotisation pour les années 2005 et 2006 concernant des revenus qui n’auraient pas été déclarés. Nous n’avons pas la source de ces revenus non déclarés.  En septembre 2011, la facture d’impôt de ces avis de cotisation s’élevait à 112 000 $.

v.          au début de l’année 2011, l’Assuré était à la recherche de nouveau financement afin, selon lui, de payer les avis de cotisation du ministère du Revenu du Québec et ses deux cartes de crédit.  Plusieurs institutions financières/courtiers ont été approchés, mais aucun financement n’a été obtenu.  Deux de ces entreprises, ont mentionné que le ratio de prêt comparativement à la valeur de la maison, ratio évalué à 70% - 75%, était trop élevé.  Rappelons que Maple Trust a octroyé un emprunt sur la base d’un ratio de 95%;

vi.      l’assuré estime que Kaotic peut générer des profits de 291 000 $ par année. Nous n’avons aucun état financier pour soutenir ces estimations. De plus, lors de son entrevue avec Marc Demers, il a mentionné qu’il n’y avait pas de profits provenant de ces opérations présentement;

vii.        l’Assuré a déclaré peu de revenus de 2006 à 2010, par rapport aux engagements qu’il avait.  Il a mentionné qu’il ne déclarait pas tous ses revenus;

viii.        sur la base des informations obtenues, nous estimons les besoins de fonds annuel de l’Assuré en 2011, afin de subvenir à ses besoins, à plus de 1000 000 $/an au moment du sinistre;

ix.                     en 2011, les revenus déclarés de l’Assuré étaient de  12 000  $, comparativement aux besoins de 100 000 $;

x.          en excluant la valeur nette potentielle sur les activités en Colombie-Britannique, information qui n’est que fragmentaire, l’Assuré a une valeur nette potentielle de 550 000 $ au moment du sinistre.  Par contre, rappelons que le prix de vente du 21 des Amarantes de 950 000 $ indiqué sur la fiche de vente soulève certains questionnements étant donné le peu d’intérêt que semble avoir soulevé la mise en vente de cette résidence à ce prix.  Un prix moins élevé a un impact direct à la baisse sur la valeur nette potentielle de l’Assuré, tel que nous l’avons calculé;

xi.         entre le 1er mars 2009 et le 22 juillet 2011, Services financiers 57, société appartenant au père de l’Assuré, a avancé plus de 100 000 $ à celui-ci. Ces avances étaient effectuées directement à l’Assuré ou servaient à payer différentes dépenses personnelles pour ce dernier (taxes du 21 des Amarantes, Lyras-courtier d’assurance, cartes de crédit etc.);

xii.        au moment du sinistre, les deux cartes de crédit utilisées par l’Assuré  avaient atteint leurs limites, ou presque, depuis des mois (total de 37 000 $) et le solde mensuel n’était pas payé depuis plus d’un an;

xiii.    entre août 2008 et juillet 2011, les sorties de fonds de l’Assuré sont estimées à plus de 1 M$ alors que ses entrées sont estimées à 420 000 $ créant un manque à gagner de près de 600 000 $.  En août 2008, l’Assuré ne présentait pas une valeur nette de 600 000 $ afin de combler ce manque à gagner : La valeur nette était d’environ 80  000 $ (ou 190 000 $ - valeur nette redressée présentée à Maple Trust).  Ainsi, il y a un écart de 520 000 $, que nous ne pouvons expliquer.

136.      Ainsi, basé sur l’information revue, il appert qu’au moment du sinistre, l’Assuré avait des problèmes de liquidités, car il n’était pas en mesure de rembourser sa dette  reliée à l’avis de cotisation reçu du gouvernement ainsi que le solde de ses cartes de crédit.  Il a tenté de chercher du financement, mais en vain.

137.      Enfin, bien que l’Assuré présente une valeur nette positive, il n’en demeure pas moins que pour le moment, cette valeur nette est en grande partie basée sur la valeur de sa résidence qui a été incendiée.  Si cet actif n’est pas vendu, l’Assuré ne peut compter sur un montant appréciable de liquidités rapidement, afin de rembourser ses créanciers.

[78]        Le Tribunal conclut que la situation financière de Monsieur Laporte est difficile au moment du sinistre. Il éprouve des problèmes de liquidités et la preuve montre qu’il encourt des déboursés plus importants que les revenus qu’il peut gagner. Au surplus, son plan de générer de l’équité en rénovant et vendant la résidence assurée ne fonctionne pas puisqu’il ne trouve pas d’acheteur. Enfin, il est incapable de se refinancer ce qui aurait pu lui apporter un soulagement financier.

[79]        Il est bien établi par la jurisprudence que le fait d’être en position financière difficile ne conduit pas à une présomption que le sinistre résulte des faits et gestes de l’assuré. Dans Fontaine c. Société mutuelle d'assurance contre l'incendie de l'Estrie[38], le juge André Biron, alors à la Cour supérieure, écrit :

92  (…) Les difficultés financières ne rendent pas les incendies accidentels plus probables. Et il ne vient pas à l'idée d'un assuré honnête, qui est en difficulté financière, que la loi l'oblige d'avertir l'assureur qu'il y a maintenant plus de chance qu'il devienne criminel!

[80]        La précarité financière peut expliquer la raison qui pousserait une personne à vouloir détruire le bien assuré. La juge Lemelin dans Mica Canada Inc. c. General Accident Compagnie d’Assurance du Canada cerne ce principe[39] :

 [184] Le Tribunal retient que Mica avait des difficultés financières sérieuses au moins en 1991 et en 1992 avant l’incendie.  On ne peut déduire de ce constat l’implication des assurés dans un incendiat. Identifier un mobile possible n’est qu’un élément qui devient important lorsque joint à d’autres faits probants significatifs, comme l’indice d’un incendie intentionnel et l’opportunité pour les assurés d’allumer ce feu, ce qui n’est pas le cas ici.  Même si Général Accident avait prouvé un incendie intentionnel, elle n’aurait pas convaincu le Tribunal que l’incendiaire agissait pour et à la connaissance des assurés.

[81]        Le Tribunal doit déterminer si la preuve, par une balance des probabilités, permet d’inférer que Monsieur Jimmy Laporte est impliqué dans l’incendie de sa demeure. Dans Barrette c. Union canadienne compagnie d’assurances, la Cour d’appel discute des présomptions de faits. Le Tribunal retient particulièrement le passage suivant :

34  L'exercice prévu à l'article 2849 C.c.Q. consiste en deux étapes bien distinctes. La première, établir les faits indiciels. Dans cette première étape, le juge doit, selon la balance des probabilités, retenir de la preuve certains faits qu'il estime prouvés. Dans une deuxième étape, il doit examiner si les faits prouvés et connus l'amènent à conclure, par une induction puissante, que le fait inconnu est démontré.

35  Le juge doit se poser trois questions :

1.  Le rapport entre les faits connus et le fait inconnu permet-il, par induction puissante, de conclure à l'existence de ce dernier?

2.  Est-il également possible d'en tirer des conséquences différentes ou même contraires? Si c'est le cas, le fardeau n'est pas rencontré.

3.  Est-ce que dans leur ensemble, les faits connus tendent à établir directement et précisément le fait inconnu?[40] [Soulignements du Tribunal]

[82]        Il a été question au cours du procès du fait que le frère de Jimmy, Steven, a été assassiné en mars 2012. Ce fait n’a aucune pertinence pour le Tribunal et l’assureur n’apporte pas d’autres éléments de preuve à ce sujet. De même, le père de Jimmy Laporte, André Laporte, a fait l’objet de diverses condamnations et d’accusations criminelles plusieurs années avant l’incendie[41]. Le père a été le sujet d’écoute électronique dans le cadre du projet Colisée en 2003 et, aurait semble t-il, des liens avec le crime organisé[42]. C’est avec raison que le procureur de Monsieur Jimmy Laporte s’est objecté à la pertinence de tels documents. La preuve ne permet pas de conclure que Monsieur Jimmy Laporte mène une vie criminelle. Que Monsieur André Laporte ait été l’objet d’accusations dans le passé n’établit absolument rien eu égard à la participation de Jimmy Laporte dans l’incendie.    

[83]        L’assureur a également fait référence à l’homicide d’un ancien partenaire d’affaire de Monsieur Jimmy Laporte, un dénommé Sean Ludlow. Cet événement serait survenu, selon la compréhension du Tribunal, en 2001 ou 2002. Difficile d’y voir quelque pertinence que ce soit.

[84]        Établir que le père de son assuré mène une vie de crime, ne rend pas autant l’assuré coupable par ce lien de sang. La preuve de l’assureur rappelle la fable de La Fontaine du Loup et de l’Agneau; l’agneau protestant de son innocence se fait dire que si ce n’est pas lui, c’est donc son frère. Et que si ce n’est son frère, c’est un de ses semblables. Monsieur Jimmy Laporte n’a pas à répondre de ce que son père a pu, ou pas, commettre. Précisons que Monsieur Jimmy Laporte n’a pas de casier judiciaire et n’a jamais fait faillite.

[85]        Monsieur Laporte souscrit un contrat pour un système d’alarme lié à une centrale le 15 janvier 2009[43]. Il s’agit en fait du système déjà installé par les propriétaires antérieurs de la résidence, les parents de la conjointe de Monsieur Jimmy Laporte. Le système en place est décrit comme une protection intrusion, c'est-à-dire des alarmes de détection de mouvements lorsque le système est armé. Le système comprend également trois détecteurs de fumée et un détecteur de monoxyde de carbone avec une sirène. Ces détecteurs sont toujours en fonction, que le système soit armé ou pas, et la centrale d’alarme sera informée s’il y a une alarme. La seule condition pour que cette alarme fonctionne c’est qu’il y a ait une ligne téléphonique en place.

[86]        Monsieur Laporte dit qu’il activait rarement le système intrusion puisqu’il a des chiens à la maison. Il explique également qu’il y a eu plusieurs fausses alarmes dont une dernière alors qu’un pompier lui suggère de faire vérifier son système puisque l’alarme de monoxyde s’est déclenchée, semble t-il sans raison, dans le garage. Il n’a jamais fait effectuer cette vérification. 

[87]        Monsieur Alain Charbonneau énumère les dates auxquelles le service incendie reçoit une communication de la centrale pour des alarmes non fondées: 18 août, 25 novembre et 16 décembre 2008, 17 janvier 2009, 27 mars, 4 mai et 17 mai 2011. Ces deux dernières dates confirment le déclenchement du détecteur de monoxyde de carbone. Le dossier de la centrale montre également une autre fausse alerte le 18 mai 2011 mais sans que les pompiers se déplacent. Une note au dossier indique à cette date que Monsieur Laporte prendra un rendez-vous avec un technicien pour faire retirer l’alarme dans le garage[44].  

[88]        Par la suite, Monsieur Laporte décide de mettre fin à son abonnement de ligne téléphonique terrestre. Il explique ne jamais l’utiliser faisant plutôt des appels avec son cellulaire. Il interrompt son abonnement de téléphone et de télévision[45]. Il témoigne ne pas réaliser alors que cela arrêterait le système incendie, c'est-à-dire la liaison avec la centrale. Le dossier de la centrale confirme qu’effectivement, à partir du 28 juin 2011, la centrale ne peut plus établir une communication avec le système. Une tentative de communiquer avec Monsieur Laporte à ce sujet est effectué le 1 juillet 2011 mais sans qu’un message fut laissé. Cela explique pourquoi le jour de l’incendie les pompiers ne sont pas alertés par la centrale mais plutôt par un téléphone de Monsieur Nadeau.

[89]        Le 25 juillet 2011, dans sa déclaration aux policiers, Monsieur Laporte déclare ce qui suit :

Q : Le système d’alarme était-il activé?

R : Non, car mon ami devait aller chercher des choses dans le garage. J’allais lui donner le code à son arrivée.

Q : Pourquoi l’alarme incendie ne s’est pas déclenchée?

R.  Je ne savais pas. J’ai eu aucun appel de Protection. C’est arrivé à deux reprises que les pompiers se sont déplacés à cause d’une alarme, dont la dernière fois au mois de mars 2011. C’était non fondé.[46].

[90]        Monsieur Laporte déclare au procès qu’il n’a aucune idée pourquoi il a dit aux policiers que le système d’alarme n’était pas activé et qu’il doit donner le code. La preuve démontre qu’effectivement, un ami de Monsieur Laporte devait aller le rejoindre au réservoir Baskatong et lui emprunter une voiture Acura.

[91]        Le rapport de la centrale indique ce qui suit :

Répondu aux questions de l’enquêtrice de la S.Q. qui désirait savoir s’il y avait eu une alarme reçue à la centrale le 24 juillet, lui ai confirmé que depuis le TTM marquant du 28 juin, le système ne semblait plus communiquer avec notre centrale et que nous n’avions pas réussi à rejoindre Monsieur Laporte pour l’informer de ce fait[47]

[92]        L’assureur invite le Tribunal à considérer l’interruption du système d’alarme incendie relié à la centrale comme un indice de la participation de Monsieur Laporte au sinistre. Pour le Tribunal, la fin de la liaison avec la centrale d’alarme est expliquée par l’assuré. On peut en tirer une conclusion négative comme l’assureur aimerait le faire mais on peut également en tirer une conclusion favorable à l’assuré.

[93]        Il est clair de la preuve que Monsieur Laporte n’est pas présent au moment où l’incendie prend naissance. Si le Tribunal accepte la présence d’une fusée routière dans la maison et la probabilité que celle-ci a été à l’origine de l’incendie, il n’en demeure pas moins que la preuve n’éclaire absolument pas le Tribunal sur la façon et le moment où l’incendiaire aurait agit.

[94]        Il est clair que la situation financière de Monsieur Laporte n’est pas enviable au moment de l’incendie mais elle n’est pas non plus catastrophique. 

[95]        La conclusion du rapport de Monsieur Filion, c’est qu’immédiatement avant l’incendie, Monsieur Laporte, notamment du fait de la résidence, présente un bilan positif. Par ailleurs, de la preuve, le Tribunal est convaincu que Monsieur Laporte cache des revenus.

[96]        L’assureur suggère en plaidoirie que les bidons vides d’essence montrent qu’un accélérant a probablement été utilisé pour la propagation de l’incendie. D’une part, la présence de ces bidons est expliquée par Monsieur Laporte et, d’autre part, de façon encore plus importante pour le Tribunal, Monsieur Caron ne semble tirer aucune conclusion de la présence des bidons. Encore une fois, il s’agit d’éléments qui peuvent être favorables ou défavorables à la thèse de l’assureur.

[97]        L’assureur fait reproche à Monsieur Laporte de ne pas avoir fait entendre au procès la femme de ménage, qui a probablement été la dernière à quitter résidence, ainsi que la conjointe de Monsieur Laporte à l’époque, Madame Manago. Or, le fardeau de la preuve n’appartient pas à Monsieur Laporte d’établir qu’il n’a pas causé l’incendie. C’est clairement à l’assureur d’établir que Monsieur Laporte a été participant dans le sinistre.

[98]        On soulève également que l’immeuble est inoccupé au moment de l’incendie et que Monsieur Laporte s’est rendu au Réservoir Baskatong de façon impromptue avec sa conjointe et ses chiens. À nouveau, le Tribunal ne peut tirer une présomption quelconque de ce fait. Il n’est pas anormal qu’au mois de juillet Monsieur Laporte se rende à cet endroit qu’il fréquentait d’ailleurs assez souvent.

[99]        En définitive, le Tribunal est incapable à partir de la preuve de lier Monsieur  Jimmy Laporte à l’incendie de la résidence. Il est vrai que l’assureur a décortiqué la situation financière de Monsieur Laporte et montre qu’il n’est pas toujours clair dans ses déclarations sur sa situation financière mais pour le Tribunal ceci est insuffisant pour dire que Monsieur Laporte a causé le sinistre.

[100]     Pour conclure, le Tribunal est d’avis que l’assureur ne remplit pas son fardeau de preuve et que les faits connus ne permettent pas, par une induction puissante, de conclure à la participation de Monsieur Laporte à l’incendie.

c)    Y a-t-il lieu à la nullité de la police d’assurance?

[101]     La position de l’assureur est fondée sur les articles 2408 et 2411 C.c.Q. qui se lisent :

Art. 2408 Le preneur, de même que l’assuré si l’assureur le demande, est tenu de déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l’établissement de la prime, l’appréciation du risque ou la décision de l’accepter, mais il n’est pas tenu de déclarer les circonstances que l’assureur connaît ou est présumé connaître en raison de leur notoriété, sauf en réponse aux questions posées.

Art. 2411 En matière d’assurance de dommages, à moins que la mauvaise foi du preneur ne soit établie ou qu’il ne soit démontré que le risque n’aurait pas été accepté par l’assureur s’il avait connu les circonstances en cause, ce dernier demeure tenu de l’indemnité envers l’assuré, dans le rapport de la prime perçue à celle qu’il aurait dû percevoir.

[102]     La police d’assurance émise par Axa assurance entrait en vigueur le 23 novembre 2010 pour une période d’une année.

[103]     Les conditions particulières indiquent que l’assuré désigné est Monsieur Jimmy Laporte et qu’en cas de sinistre au bâtiment assuré, l’indemnité est payable à l’assuré et à la compagnie Maple Trust, le créancier hypothécaire[48].

[104]     Madame Christine Laramée, courtier au Groupe Lyras, témoigne que Monsieur Jimmy Laporte est devenu son client à partir de 2004 et qu’elle a assuré ses résidences. L’assureur sur le risque est alors la Missisquoi compagnie d’assurance. Le renouvellement de la police s’effectuait de façon automatique et Madame Laramée explique qu’à partir de 2006, elle transmettait le courrier concernant les polices d’assurances au commerce du père de Jimmy Laporte, Monsieur André Laporte. Elle a rencontré Monsieur Jimmy Laporte une ou deux fois et dit que généralement elle discutait avec le père de Jimmy.  En ce qui concerne la facturation de la prime, souvent c’est Monsieur André Laporte qui venait payer au bureau directement ou il envoyait un commissionnaire. Lorsque la prime n’était pas payée, elle communiquait avec Monsieur André Laporte. 

[105]     La résidence de la rue des Amarantes est ajoutée à la police le 25 août 2008. Cette police a été renouvelée auprès de la compagnie d’assurance Missisquoi pour la période courant du 23 novembre 2008 au 23 novembre 2009. À une date que Madame Laramée ne peut spécifier, le groupe Lyras a modifié ses ententes avec Missisquoi et un transfert de portefeuille s’est fait vers la compagnie d’assurance Axa.

[106]      Le Tribunal n’a reçu aucune preuve à l’effet que des questions spécifiques sur sa situation financière auraient été posées à Monsieur Jimmy Laporte que ce soit lors  de l’ajout  de la résidence à la police de la compagnie d’assurance Missisquoi ou lorsque Axa est devenue l’assureur de la résidence.

[107]     L’assureur fait entendre trois témoins eu égard à la souscription du risque et la décision de l’accepter. Il s’agit de Dominique Roy, actuellement employé par la Royale Sun Alliance, Monsieur Claude Galarneau, maintenant retraité mais qui a une longue expérience comme courtier d’assurance, et de Monsieur Alain Le Put, directeur principal de souscription pour Intact assurance. 

[108]     La position de l’assureur peut se résumer en quatre éléments :

1              Des faux documents ont été soumis par Jimmy Laporte au créancier hypothécaire Maple Trust afin d’obtenir un prêt hypothécaire. Si Axa avait connu cette situation, cela aurait simplement entraîné un refus d’assurer;

2              L’assuré possédait du cannabis en quantité suffisante pour supposer que c’est en vue d’en faire le trafic. Comme il s’agit d’une activité criminelle, il s’agit d’un risque inadmissible et le refus d’assurer aurait suivi;

3              Le fait que l’assuré ne peut expliquer la source de ses revenus soulève un doute quant à la légitimité du risque et le risque moral ainsi que financier s’en trouvent affecté. Il s’agit d’une situation inacceptable qu’aucune prime ne peut compenser et le risque aurait été refusé;

4              L’omniprésence du père de Jimmy Laporte, André, dans la gestion des affaires de son fils pose un problème puisque le père est criminalisé et que ceci affecte le risque moral. Des sommes d’argent ont été prêtées ou avancées à Jimmy Laporte et on peut douter de la provenance de cet argent, particulièrement dans un cas où l’assuré n’a pas de sources de revenus déclarées.

[109]     La demande de prêt hypothécaire auprès de la compagnie Maple Trust est datée du 11 août 2008. On y retrouve divers renseignements concernant la résidence ainsi que des renseignements concernant Monsieur Jimmy Laporte. La demande indique que Monsieur Laporte est directeur des ventes pour La Porte de St-Sauveur Inc. depuis deux ans avec un salaire annuel de 84 000 $. Il est déclaré que son emploi antérieur, à titre de directeur commercial auprès de la même entreprise depuis cinq ans, lui rapportait des revenus de 70 000 $. On retrouve également une description de la situation financière de Monsieur Laporte concernant son actif et son passif. Le document est signé par Monsieur Laporte et précise ce qui suit :

Il est convenu et entendu entre la compagnie Maple Trust et moi-même que :

1) ce qui précède est un état complet et exact de mon actif et de mon passif à la date inscrite ci-dessous

2) toute déclaration inexacte des faits contenus dans les présentes, donne droit à la compagnie Maple Trust de refuser d’avancer une partie ou la totalité du prêt hypothécaire ou exiger le remboursement immédiat de tous les fonds avancés à la date de la demande de paiement, en plus des intérêts et des coûts.

3) la compagnie Maple Trust est autorisée à se renseigner auprès d’agence d’information sur la solvabilité et auprès d’autres prêteurs, je consens à la divulgation de renseignements sur ma solvabilité et de renseignements personnels à toute agence d’information sur la solvabilité ou personne ou institution avec laquelle j’ai ou je me propose d’avoir des rapports relativement à l’utilisation ou l’octroi de services financiers[49].

[110]     Une attestation d’emploi, datée du 15 juillet 2008, signée par Monsieur André Laporte, à titre de Président de La Porte de St-Sauveur, confirme que Monsieur Jimmy Laporte est à son emploi comme directeur des ventes depuis douze ans et que ses revenus annuels sont de 84 000 $.  Un relevé des revenus et retenues de l’entreprise de juillet 2008 montre d’ailleurs un tel salaire, ainsi qu’un avis de cotisation de l’Agence du Revenu du Canada et de Revenu Québec pour l’année d’imposition 2007[50].

[111]      Questionné sur ces documents, Monsieur Jimmy Laporte dit qu’il n’a eu aucune implication dans l’attestation d’emploi et que ce n’est pas lui qui l’a signée. Il est d’accord que le contenu est faux.  En ce qui concerne le relevé de paie, il indique ne pas en avoir pris connaissance et ne reconnaît pas plus les avis de cotisation.

[112]      Sur la demande de prêt hypothécaire auprès de Maple Trust, Monsieur Jimmy Laporte indique d’abord qu’il ne s’agit pas de sa signature. Il affirme que la signature lui semble différente. Finalement, il reconnait avoir signé des documents afin d’obtenir un prêt hypothécaire et qu’il a peut-être signé la demande.

[113]     En ce qui concerne les éléments qui forment l’actif et le passif en août 2008, il explique que c’est le courtier hypothécaire qui a rempli les documents et qu’il a signé. Le prêt a été accepté et jamais personne ne lui a demandé quoi que ce soit au sujet des renseignements fournis.

[114]     Monsieur Laporte émet l’hypothèse que, d’après lui, la plupart des courtiers hypothécaires inventent des documents afin de pouvoir obtenir le financement requis. Bref, si les renseignements sont erronés ce n’est pas de son ressort.

[115]      Pour sa part, André Laporte dit que l’entreprise La Porte de St-Sauveur a été fondée vers 1992 pour l’achat et la vente de véhicules automobiles. Selon son souvenir, cette entreprise n’opérait plus en 2008 lorsque Monsieur Jimmy Laporte a acquis la résidence. En ce qui concerne l’attestation d’emploi, il ne reconnaît pas le document, bien que la signature sur celui-ci ressemble beaucoup à la sienne.

[116]     Il témoigne à l’effet que son fils Jimmy n’a jamais travaillé pour lui et que l’entreprise n’a jamais eu d’employés et qu’aucun talon de paie n’a pu être préparé.

[117]     De cette preuve, le Tribunal retient qu’il n’est pas crédible que Monsieur Jimmy Laporte n’ait pas eu connaissance que les renseignements contenus à sa demande de prêt hypothécaire étaient faux. Il signe la demande et les renseignements personnels qui y apparaissent sont clairs et sans équivoque. Sa déclaration que les courtiers hypothécaires inventent des documents ne tient pas la route et, même si elle était ici exacte ce dont le Tribunal doute fortement, il demeure que Monsieur Laporte atteste de la véracité des renseignements fournis. La provenance des documents d’attestation d’emploi, le relevé de paie et les avis de cotisations demeure mystérieuse mais chose certaine, ils bénéficiaient à Jimmy Laporte afin d’obtenir un prêt. Les documents sont des faux.

[118]     Il est probable de penser que Monsieur Laporte n’aurait pu obtenir un prêt sans pouvoir déclarer des revenus et un historique d’emploi au créancier hypothécaire. Il a clairement menti dans sa demande de prêt.

[119]     L’assureur dit que Jimmy Laporte ne peut expliquer sa source de revenus et qu’il a caché la vérité à son créancier hypothécaire. Ces faits, selon l’assureur, corrompent de façon irrémédiable le risque moral que Jimmy Laporte présente à l’assureur.

[120]     Notons que l’assureur a refusé d’indemniser Maple Trust suite au sinistre en lui reprochant, notamment, sa négligence dans l’analyse des documents ayant mené au prêt hypothécaire[51]. En juin 2014, la Société hypothécaire Scotia aux droits de Maple Trust, a fait signifier à Monsieur Laporte un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire[52].

[121]     Soulignons qu’aucun représentant du créancier hypothécaire n’est appelé comme témoin à l’audience.

[122]     Dans l’arrêt H. & M. Diamond Ass. Inc. c. Optimun assurance générale agricole inc[53], la Cour d’appel dit ceci sur le fardeau de preuve de l’assureur dans un cas de déclarations mensongères ou de réticences par l’assuré lors de la présentation d’un risque d’assurance :

La preuve de la matérialité d'une réticence et ses conséquences sur l'aggravation du risque et par conséquent sur la validité de la police appartiennent à l'assureur. Son fardeau est lourd et, règle générale, sa simple déclaration  ex post facto est insuffisante (…)

[123]     Ce fardeau est expliqué par le juge Dalphond dans l’arrêt Compagnie mutuelle d'assurances Wawanesa c. GMAC Location ltée[54] :

 [23]           Il faut ensuite traiter du fardeau de preuve à la lumière des obligations respectives des parties.  Le professeur Deslauriers, écrit aux pages 261-264 de l’article précité :

Les trois questions qui peuvent se poser sont les suivantes : comment concilier les deux concepts? qui a le fardeau de la preuve? et qui est l’assuré normalement prévoyant?  Nous tenterons de répondre aux deux premières questions en même temps.

À notre avis, le processus devrait être le suivant.  D’abord, en conformité avec les règles de preuve, l’assureur qui prétend à la nullité du contrat devra démontrer que les circonstances omises ou mal dévoilées étaient de nature à influencer un assureur raisonnable. Cette étape doit être franchie impérativement par l’assureur, sinon il n’est pas nécessaire d’aller plus loin, la circonstance n’étant pas pertinente.

En revanche, si le juge est d’avis que l’assureur s’est acquitté de sa tâche, le fardeau reposera sur les épaules de l’assuré de démontrer que, malgré tout, il s’est  comporté comme l’aurait fait un « un assuré normalement prévoyant ».

[24]           J’en retiens que le législateur a voulu concilier les intérêts de l’assureur et de l’assuré en imposant au premier, à l’article 2408 C.c.Q., l’obligation de démontrer que les informations omises étaient de nature à influencer la décision d’un assureur raisonnable et, au deuxième, lorsque cette démonstration est faite, l’obligation de démontrer qu’il s’est, malgré tout, comporté comme l’aurait fait un assuré normalement prévoyant (art. 2409 C.c.Q.).

[25]           En l’instance, il faut d’abord déterminer si l’appelante a établi que les informations non déclarées étaient pertinentes à son appréciation du risque ou à sa décision de l’accepter au sens de l’article 2408 C.c.Q.  Si tel est le cas, il faudra ensuite déterminer si M. Rouette n’a pas fait malgré tout, au sens de l’article 2409 C.c.Q., toutes les déclarations attendues d’un assuré normalement prévoyant, en pareilles circonstances.  Quant à l’art. 2424 C.c.Q., il n’est d’aucune pertinence.

(…)

 [28]           Avec égards, l’exercice ne s’arrête pas là.  En effet, la pertinence de l’omission et le caractère raisonnable de la décision de l’assureur demeurent des questions que le juge doit trancher.  La preuve d’une pratique générale d’un milieu n’est pas synonyme de son caractère raisonnable (Roberge c. Bolduc, 1991 CanLII 83 (CSC), [1991] 1 R.C.S 374, aux pp. 434 et 437). Le professeur Bergeron écrit :

Il doit exister un lien de connexité entre la circonstance en cause et le risque pris en charge […] Ainsi, nous ne pourrions admettre chez nous la simple preuve que d’autres assureurs auraient été influencés; il faut aussi prouver que le fondement de cette influence est raisonnable[.

 [29]           Quant au professeur Deslauriers, il écrit :

En revanche, il est primordial que le juge conserve une certaine marge de manœuvre en n’étant pas lié par les conclusions des expertises qui sont présentées devant lui. C’est pourquoi nous préférons l’approche intermédiaire qui consiste à considérer la pertinence comme une question mixte de fait et de droit.

 [30]           En l’instance, l’appelante devait démontrer qu’en vertu de l’article 2408 C.c.Q. M. Rouette constituait, vu son casier judiciaire, un risque plus élevé qu’un client sans antécédent pour le genre de couverture qu’il sollicitait.  C’est d’ailleurs l’essence du témoignage du troisième représentant.  En d’autres mots, que M. Rouette était une personne à risque en raison des particularités de son agir criminel.  Il ne s’agit pas d’un élément objectif comme l’âge du conducteur et son sexe, mais plutôt d’un élément à contenu subjectif, ce qui ne le rend pas pour autant inadmissible.

[31]           Le professeur Lluelles écrit :

 L’obligation de déclaration initiale porte non seulement sur les éléments objectifs du risque (« physical hazard ») mais aussi sur ses éléments subjectifs (« moral hazard »), sous réserve, dans l’un et l’autre cas, que l’élément s’inscrive dans le cadre du contenu de l’obligation (notamment qu’il s’agisse d’un élément « pertinent » au risque et connu du preneur ou de l’assuré)[.  

 [32]           Le risque moral n’est donc pas en soi non pertinent.  Il demeure que la fragilité morale du preneur doit être pertinente à l’évaluation du risque.  Chaque cas reste alors un cas d’espèce. [Soulignements du Tribunal]

 

[124]     Selon ces principes, le Tribunal est d’avis que l’assureur démontre que le fait que Monsieur Jimmy Laporte ment à son créancier hypothécaire pour obtenir le prêt sur la résidence assurée est un élément pertinent. Les trois souscripteurs sont catégoriques sur cet aspect et le Tribunal n’a pas de motifs de mettre en doute leurs affirmations. Ce n’est pas l’existence de l’hypothèque qui crée un problème, élément connu de l’assureur, mais plutôt le fait que l’assuré obtient le prêt sous de faux renseignements.

[125]     Le Tribunal réfère aux paroles du juge Bissonnette dans l’arrêt Alliance Ins. Co. C. Laurentian Colonies qui définit le concept de ce qui peut influencer un assureur de façon importante dans l’acceptation du risque [55] :

Il ne faut pas oublier que ce n’est pas l’affirmation, l’ipse dixit d’un assureur, qui établit la matérialité d’un fait. S’il en était ainsi, il n’y aurait aucun sinistre susceptible d’une sûre indemnité. La moindre mauvaise foi permettrait à l’assureur d’en répudier les conséquences, en jurant que s’il avait connu telle circonstance particulière, il n’aurait pas assumé ce risque; de sorte que, après cinq ans ou dix ans, en dépit de la bonne foi d’un assuré qui se serait confié à l’expérience d’un courtier fort réputé auprès des assureurs, le contrat d’assurance serait frappé de nullité?  Ce n’est pas mon avis parce que l’appréciation de la matérialité n’est pas d’ordre subjectif, mais bien objectif et elle constitue une question de droit.

De récents arrêts, Cie Française du Phenix v. Bertrand; Vaillancourt v. Cie d’Assurance Mercantile et Lussier v. Cie d’Assurance d’Orford, ont émis des considérations assez élaborés sur la caractère de la matérialité.  Aussi vais-je me borner à exposer l’idée générale que je m’en fais.  C’est, à mon sens, le rapport intime et logique entre un fait omis ou atténué ou inexact, d’une part, et l’influence qu’il joue pour une juste appréciation du risque proposé à l’assureur.  D’où il suit qu’il ne suffit pas, pour l’assureur , de dire, après un sinistre, que tel fait, s’il lui avait été déclaré, lui aurait paru matériel, pour que ce dernier le soit nécessairement.  Pour savoir s’il est matériel, il faut plutôt se demander ceci :  eût-il été divulgué au moment des pourparlers sur le contrat, ce fait aurait-il eu une influence telle que l’assureur aurait refusé le risque ou exigé une plus forte prime? [Soulignements du Tribunal]

[126]     Ces propos bien qu’ils datent de plusieurs décennies sont toujours d’actualité. Le prêt est intimement lié à l’achat de la résidence et l’hypothèque affecte le bien assuré. Il n’y a rien de surprenant ou d’illogique dans l’affirmation de l’assureur que s’il avait su, au moment de l’émission de la police, que le prêt avait été consenti sous de faux renseignements, il n’aurait pas voulu du risque.

[127]     Le Tribunal conclut que l’assureur est fondé à demander la nullité de la police. Il n’aurait pas accepté le risque si la vérité touchant le financement hypothécaire avait été connue. Monsieur Jimmy Laporte a faussement dépeint sa situation dans sa demande de prêt et il s’agit pour le Tribunal d’un fait pertinent. La preuve offerte par les souscripteurs confirme qu’un refus d’assurer aurait suivi si cette situation avait été dévoilée.

[128]     Par contre, le Tribunal n’accepte pas les autres motifs de nullité soulevés par l’assureur. La preuve que Monsieur Laporte effectuait le trafic de cannabis est absente. D’ailleurs la défense au dossier de la Cour annonçait certains faits spécifiques à ce sujet qui n’ont jamais été mis en preuve[56]. Le Tribunal a déjà noté que le passé criminel d’André Laporte n’équivaut pas à celui de l’assuré. Au surplus, que le père aide son fils financièrement ne modifie pas le risque moral présenté. Suivre le raisonnement de l’assureur équivaudrait à dire que la nullité de la police serait possible dès qu’un membre de la famille a eu des démêlés judiciaires même si cette personne n’a pas d’intérêt dans le bien assuré, n’est pas un assuré et n’y réside pas.

[129]     Enfin la non divulgation de l’assuré de ses sources de revenus et sa réticence à donner à l’assureur des explications suite au sinistre et en cours d’enquête ne constituent pas aux yeux du Tribunal un motif de nullité. Si l’assureur entend dire que la source des revenus de l’assuré est importante au point où il s’agit d’un élément qui influence l’acceptation du risque, il aurait fallu qu’il questionne l’assuré sur ce sujet lors de l’émission de la police. Il est facile de prétendre qu’il s’agit d’éléments pertinents après le fait et le Tribunal n’accepte pas le témoignage des souscripteurs sur ce sujet. Pour être plus clair, le Tribunal n’a pas la preuve dans le cas présent d’un lien entre la décision d’accepter le risque et la source des revenus. Que Monsieur Laporte fasse peu de cas de ses obligations fiscales est une chose mais dire qu’il n’est pas assurable pour ce motif demanderait une preuve beaucoup plus convaincante. D’ailleurs, il faut souligner que Monsieur Galarneau témoigne que le fait que l’assuré ne déclare pas la source de ses revenus n’est pas un élément qui justifie en soit un refus d’assurer. Pour lui il s’agit d’un élément qui touche plutôt  la bonne foi de l’assuré.

[130]     Pour conclure sur la question, le Tribunal retient que l’assureur est justifié de prétendre à la nullité de la police d’assurance eu égard aux fausses déclarations de l’assuré à son créancier hypothécaire à l’époque de la souscription du risque.

            d) L’exclusion pour geste criminel trouve-t-elle application?

[131]     L’assureur prétend que Monsieur Jimmy Laporte possédait du cannabis en quantité suffisante pour présumer qu’il en faisait le trafic et que ceci amène l’exclusion de la réclamation.

[132]     Notons que la preuve confirme que le cannabis retrouvé par la Sûreté du Québec se trouvait dans un bac identifié aux couleurs de l’entreprise Kaotic, entreprise de Monsieur Laporte. Par ailleurs, le cannabis est retrouvé à l’extérieur de la résidence et tout ce que le Tribunal sait sur la suite du processus d’accusation par voie sommaire, c’est que Monsieur Laporte fut acquitté[57].

[133]     En défense, l’assureur allègue au sujet de la présence de cannabis qu’il y avait un va et vient constant chez le demandeur et que certaines personnes ne demeuraient sur place que pour quelques minutes. Or, aucune preuve n’a été administrée sur ce sujet.  L’assureur plaide dans sa défense :

 92  Ces faits soulèvent l’application de l’exclusion générale qui prévoit que la défenderesse ne couvre pas les sinistres survenant lorsque les lieux assurés, y compris le bâtiment d’habitation et ses dépendances sont  utilités en tout ou en partie pour des activités criminelles connues de l’assuré;

[134]     Il s’agit d’une référence à l’exclusion générale se retrouvant dans la première partie du contrat d’assurance - assurance de biens qui se lit[58] :

En plus des exclusions indiquées ailleurs dans le présent contrat, NOUS NE COUVRONS PAS:

1. Activités

Les sinistres survenant lorsque les lieux assurés, y compris votre bâtiment d’habitation et ses dépendances, sont utilisés en tout ou en partie pour :

(…)

c. des activités criminelles connues de l’Assuré.

[135]     Encore faudrait-il que l’assureur établisse véritablement un acte criminel alors que l’accusation porté contre Monsieur Laporte l’a été par voie sommaire et qu’il en fut acquitté[59].

[136]     Or, la preuve ne permet d’aucune façon au Tribunal de dire que le bâtiment est utilisé pour des activités criminelles connues par Jimmy Laporte.                                           Il n’y a pas matière à analyser cette question plus amplement et l’exclusion ne trouve pas application.

e)    Quelle est la valeur de la réclamation pour le contenu et les frais de subsistance?

[137]     Le Tribunal est satisfait que le témoignage de Monsieur Jimmy Laporte ainsi que celui de sa mère, Madame Carole Viau, établit que Monsieur Laporte possède effectivement des meubles de haute qualité et que lui et sa conjointe de l’époque, Madame Manago, portaient des vêtements griffés. Il n’est donc pas surprenant que la réclamation comprenne des objets de luxe.

[138]     Le travail d’évaluation de la perte a par ailleurs été particulièrement laborieux puisque suite au sinistre, Monsieur Laporte a été, pour citer les mots de sa mère, dévasté. Enfin, suite au décès de son frère Stephen, Jimmy Laporte a passé la majorité de son temps dans l’Ouest canadien, région qu’il habite au moment du procès. Autant son père que sa mère, le décrive comme s’étant détaché de sa réclamation et qu’il était difficile de discuter avec lui du détail de celle-ci.

[139]     Ceci explique que le travail d’établir une liste des biens détruits dans l’incendie effectué par Madame Francine Forest n’était pas définitif[60].  Éventuellement, l’expert en sinistre indépendant, Monsieur André Langevin, a complété ce travail et la liste n’a été terminée qu’en 2014. Notamment, c’est Monsieur André Laporte qui s’est impliqué en engageant une adjointe et en requérant l’aide de sa conjointe, Madame Diane Boyer, ainsi que l’aide de la mère de Jimmy, Madame Carole Viau, pour tenter d’établir, de la façon la plus précise possible, la liste des biens réclamés.

[140]     Monsieur Langevin a préparé une liste qui résume la position des deux parties. Après une dépréciation proposée de 43%, la réclamation de Monsieur Laporte se chiffre à 408 131,42 $, alors que l’évaluation de  l’assureur se chiffre à 320 275,42 $. Lors de leur témoignage respectif, autant Monsieur Langevin que Monsieur Bachs, évaluateur retenu par l’assureur, ont apporté certaines corrections à leur travail.

[141]     Finalement, Monsieur Bachs retient une valeur avant taxes de 317,935 90$, selon une dépréciation de 36%[61].

[142]     Il faut préciser que la valeur de remplacement, avec les taxes applicables en 2011, se chiffre, selon Monsieur Bachs à une somme de 561,886 70.  Après certaines corrections et pour tenir compte des remarques de Monsieur Langevin et de Monsieur Bachs, le procureur de Monsieur Laporte suggère d’adopter une somme de 561 955,03 $ avec taxes, et de tenir compte d’un facteur de dépréciation de 36%, ce qui donne un chiffre de 359 651 22 $.

[143]     Le Tribunal est en accord avec ce chiffre qui tient compte du témoignage de deux experts et des corrections.

[144]     En ce qui concerne les frais de subsistance, la preuve démontre que Monsieur Laporte a reçu, dans les jours qui ont suivi l’incendie, un versement de 20 000 $ sous réserve de l’enquête de l’assureur[62].

[145]     Suite à l’incendie, Monsieur Laporte séjourne à l’hôtel pour quelques jours et loue ensuite une résidence pour une période de 8 mois au coût de 20 000 $[63]. Il s’agit de la seule preuve concrète des dépenses encourues suite au sinistre. Ceci étant dit, le Tribunal peut comprendre que Monsieur Laporte a encouru des frais de logement  et de repas. Dans cette optique, le Tribunal considère que les frais de subsistance auxquels Monsieur Laporte a droit se chiffrent à la somme de 30 000 $.

[146]     La valeur de la réclamation pour le contenu est donc de 359 651 22 $ et les frais de subsistance sont évalués à 30 000 $.

f) Y a-t-il lieu au rejet de la réclamation, vu l’exagération ou la fausseté?

[147]     L’assureur prétend que Monsieur Laporte a perdu tout droit à une indemnité suite à ses déclarations mensongères relativement à la réclamation pour le contenu.

[148]     Il fait état que la description des différents objets réclamés est peu précise et que dans plusieurs cas l’assureur n’a pu déterminer l’endroit où ces biens avaient été achetés ni à quel moment. On attire l’attention du Tribunal sur certains éléments spécifiques, par exemple, un coffre d’outils dont on ne connaît pas la valeur réelle puisque les outils n’y sont pas décrits. L’assureur fait grand cas d’une réclamation pour globe terrestre, un cadeau reçu par Jimmy Laporte, et qui selon l’assureur, n’est aucunement justifié, la valeur réclamée étant excessive[64].

[149]     De son côté, le procureur de Monsieur Laporte concède qu’effectivement la liste aurait pu être mieux préparée et qu’il y a eu une certaine négligence de la part de Jimmy Laporte sur ce sujet vu son désintéressement face à la réclamation et son exil dans l’Ouest canadien.

[150]     Le Tribunal est d’avis que l’assureur se méprend sur son fardeau de preuve. Il ne suffit pas d’établir des incongruités ou des inexactitudes dans la liste pour faire tomber le droit à la réclamation.  L’article 2472 C.c.Q. se lit :

Art. 2472 Toute déclaration mensongère entraîne pour son auteur la déchéance de son droit à l’indemnisation à l’égard du risque auquel se rattache ladite déclaration.

[151]      Dans l’affaire Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody Industries Inc., la Cour d’appel précise que l’assureur, pour réussir dans un tel cas, doit montrer une intention frauduleuse[65] :

131  Selon la définition du dictionnaire Le Petit Robert, un mensonge est une « assertion sciemment contraire à la vérité, faite dans l'intention de tromper ». Par une déclaration contraire à la réalité, de façon consciente et délibérée, l'assuré a l'intention de frauder son assureur en voulant obtenir une indemnité à laquelle il n'aurait pas droit, s'il avait agi de façon honnête et de bonne foi. Par mensonge, l'assuré tente de façon dolosive de frustrer l'assureur d'une somme d'argent. L'assureur doit écarter la présomption de bonne foi rattachée à la conduite de l'assurée (art. 2805 C.c.Q.) et établir de façon prépondérante (art. 2804 C.c.Q.) une intention frauduleuse de la part de ce dernier en vue de le tromper et de s'avantager à ses dépens. La simple exagération, l'erreur de bonne foi ne suffit pas; ce qui est faux n'est pas nécessaire mensonger.

132  Puisque l'on ne peut examiner le cerveau d'une personne pour en découvrir l'intention, cette preuve de l'intention sera le plus souvent déduite de la conduite de cette personne, suivant le principe qu'une personne consciente et saine d'esprit est présumée rechercher les conséquences prévisibles et probables de ses actes volontaires. L'intention peut s'inférer des actes d'une personne, dans le contexte d'une preuve par présomption de faits. Il convient à cette fin d'examiner la conduite d'un assuré à la lumière de l'ensemble des faits pertinents. Il y a donc lieu de vérifier la portée de la conduite de l'assurée dans ce contexte factuel en vue de la qualifier à la lumière de la norme posée par l'article 2472 C.c.Q.

 

[152]      Le Tribunal est d’avis que la preuve ne montre pas une telle intention de la part de Monsieur Jimmy Laporte, c’est-à-dire qu’il avait l’intention de tromper l’assureur sur la valeur de sa réclamation et d’en tirer un avantage auquel il n’avait pas droit.  L’assureur échoue dans son fardeau.

III         CONCLUSIONS

[153]     Bien que l’incendie soit de nature volontaire, le Tribunal ne peut retenir que le demandeur y a participé.  Par contre, le Tribunal est d’avis que l’assureur est bien fondé de requérir la nullité de la police vu les déclarations inexactes de Monsieur Laporte à son créancier hypothécaire qui aurait immanquablement influencé l’assureur sur sa décision d’accepter le risque.

[154]     La prime remboursable par l’assureur, vu la nullité du contrat, se chiffre à 10 264,53 $. En cours d’audition, l’assureur a amendé sa défense et demande reconventionnelle afin que le Tribunal tienne compte, le cas échéant, du versement par l’assureur d’une somme de 20 000 $ à titre de frais de subsistance. Vu la conclusion du Tribunal sur la nullité du contrat, Monsieur Laporte doit rembourser cette somme.

[155]     En opérant la compensation, le Tribunal condamnera donc Monsieur Jimmy Laporte à payer à l’assureur la somme de 9 735,47$.

[156]     POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL :

[157]     REJETTE la requête introductive d’instance du demandeur;

[158]     DÉCLARE le contrat d’assurance portant le numéro 01-878-130 nul à compter du 23 novembre 2009;

[159]     PREND ACTE de l’offre et consignation dans le compte en fidéicommis de Me Pierre Goulet de l’ensemble des primes d’assurance qui ont été payées par le demandeur et qui totalise 10 264,53 $, le tout pour valoir consignation du remboursement des primes;

[160]     ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle et condamne le demandeur à rembourser la somme 20 000 $ à la défenderesse;

[161]     ORDONNE compensation entre la somme due au demandeur par la défenderesse et la somme due par le demandeur à la défenderesse;

[162]     ORDONNE au demandeur de payer à la demanderesse la somme de 9 735,47 $ avec intérêts et l’indemnité additionnelle depuis le 28 février 2014,


[163]     LE TOUT avec frais de justice en faveur de la défenderesse.

 

 

 

__________________________________

FRANÇOIS P. DUPRAT, j.c.s.

 

Me Gaétan H. Legris

Avocat du demandeur

 

 

Me Pierre Goulet

Avocat de la défenderesse

 

 

Date d’audience :

14, 15, 16, 17,18, 21, 22, 23 mars 2016.

 



[1]  EYB 1989-63307 (C.A.).

[2]  Voir les photographies pièce P-11, 1 à 24 ainsi que les pièces P-10-A et P-10-B.

[3]  Pièce D-8, photographies 15 à 21.

[4]  Pièce D-31.

[5]  Pièce D-3.

[6]  Précité note 4, paragr. 6.

[7]  Pièce D-36.

[8]  Pièce D-35.

[9]  Pièce D-33.

[10] Pièce D-32.

[11]  Pièce D-8, photographies 33 à 38.

[12]  Pièce D-21 et pièce D-8 (photographies 27 à 32).

[13]  Pièce D-8 (photographies 33, 34 et 35).

[14]  Pièce D-8.

[15]  Pièce D-8-A, vidéo d’une fusée routière.

[16]  Pièce D-8, page 18, Analyse et conclusion.

[17]  Pièce D-35, voir notamment photographies 9542, 9539, 9544, 9547 et Pièce D-8, photographies 10 à 14.

[18]  Pièce D-6.

[19]  Pièce D-7, pages 120 à 123.

[20]  Pièce D-8, Annexe D, résultats d’analyse en laboratoire.

[21]  Pièce D-8, l’échantillon H-3-0307 est prélevé au chiffre 8 sur le croquis, Annexe A.

[22]  Pièce D-31.

[23]  Pièce D-9, document 18 et 19.

[24]  Pièce D-10.

[25]  Pièce D-11.

[26]  Pièce D-6, pages 239 à 241.

[27]  Pièce D-7, pages 55 à 57.

[28]  Pièce D-9, page 16.

[29]  Pièce D-9, document 40.

[30]  Pièce D-9, document 42 et Pièce P-13.

[31]  Pièce D-9, page 19.

[32]  Pièce P-12.

[33]  Pièce D-9, page15.

[34]  Pièce D-9, document 20.

[35]  Pièce D-6, page 66 à 67.

[36]  Pièce D-6, pages 220-222.

[37]  Pièce D-9, pages 30 à 32.

[38]  EYB 1984-143098, (J.E. 84-354), (C.S.).

[39]  REJB 1997-02081 (C.S.), Désistement d'appel, 9 octobre 1998, C.A.M. (500-09-005453-972).     

[40]  2013 QCCA 1687.

[41]  Pièces D-14 et D-15.

[42]  Pièce D-16 et D-16-A.

[43]  Pièce D-29.

[44]  Pièce D-29.

[45]  Pièce D-6, page 98-100.

[46]  Pièce D-11.

[47]  Pièce D-29, page 3 de 6,  0025, entrée du 28 juillet 2011 à 9h30 a.m.

[48]  Voir Pièces P-1 et D-1.

[49]  Pièce D-9-16.

[50]  Pièce D-9-28.

[51]  Pièce P-8.

[52]  Pièce P-9.

[53]  1999 CanLII 13460 (QC CA).

 

[54]  2005 QCCA 197.

[55]  [1953] B.R. 241, p.277.

[56]  Défense et demande reconventionnelle du 28 février 2014, paragr. 90 à 92.

[57]  Pièce D-33.

[58]  Pièce D-1.

[59]  Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie c. Émond, 2016 QCCA 161, paragr.73-78.

[60]  Pièce P-4.

[61]  Voir pièce D-17 ainsi que pièce P-4-C.

[62]  Pièce D-27.

[63]  Pièce P-6—E et P-4

[64]  Pièce D-17 (item 401) et pièce P-4-1 (item 403), D-28.

[65]  EYB 2006-107158, 2006 QCCA 887, J.E. 2006-1358.

 

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