Association des manoeuvres inter-provinciaux, section locale AMI, FTQ-Construction et Soucy |
2016 QCTAT 1456 |
______________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
______________________________________________________________________
[1] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail (le Tribunal) qui assume les compétences de la Commission des relations du travail (la Commission) et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal.
[2]
Le 3 juillet 2015, l’Association des manœuvres inter-provinciaux,
section
locale AMI, FTQ-Construction (le syndicat) demande la révision d’une
décision rendue par la Commission le 5 juin 2015 (2015 QCCRT 0299). Cette
demande est déposée en vertu du paragraphe 3o du premier alinéa de
l’article 127 du Code du travail[2] (le Code)[3].
[3]
La décision contestée accueille la plainte du 23 octobre 2014 déposée
par
Denis Soucy à l’encontre du syndicat, suivant l’article 27 de la Loi sur les
relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la
main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction[4]
(la Loi R-20).
[4] Le dispositif de la décision contestée se lit comme suit :
ACCUEILLE la plainte;
AUTORISE Denis Soucy à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le ministre du Travail, aux frais de l’Association des manœuvres inter-provinciaux, section locale AMI, FTQ-Construction, pour décision selon la convention collective comme s’il s’agissait d’un grief
AUTORISE Denis Soucy à se faire représenter à cette fin, aux frais de l’Association des manœuvres inter-provinciaux, section locale AMI, FTQ-Construction, par le procureur de son choix;
ORDONNE à l’Association des manœuvres inter-provinciaux, section locale AMI, FTQ-Construction de rembourser à Denis Soucy, sur présentation d'un état de compte et, le cas échéant, des pièces à l'appui, les honoraires et frais raisonnables engagés pour la présentation de sa réclamation devant l'arbitre;
RÉSERVE sa compétence pour déterminer le montant des honoraires et des frais engagés pour la présentation de cette réclamation.
[5] Monsieur Soucy exerce l’occupation de manœuvre dans l’industrie de la construction et il travaille depuis une dizaine d’années pour l’entrepreneur Ganotec inc. (l’employeur) dans le secteur industriel.
[6] À l’époque pertinente, les parties sont assujetties à l’une des quatre conventions collectives de travail de l’industrie de la construction, à savoir celle du secteur industriel, et aux fins de compréhension, il est utile de reproduire certaines de ses dispositions :
1.01 Définition : Dans la présente convention collective, à moins que le contenu ne s’y oppose, les expressions ou termes suivants signifient :
[…]
14) « congédiement » : cessation de l’emploi d’un salarié chez un employeur causée par l’imposition d’une mesure disciplinaire;
[…]
26) « mesure disciplinaire » : on entend par mesure disciplinaire une réprimande, une suspension, une mise à pied injustifiée ou un congédiement;
27) « mise à pied » : cessation temporaire ou définitive de l’emploi d’un salarié chez un employeur justifiée par un manque de travail au niveau d’un chantier ou de l’entreprise; […]
10.02 Procédure :
1) Tout grief doit être formulé par écrit et expédié à l’employeur ou son représentant dans les quinze jours ouvrables qui suivent l’évènement qui lui a donné naissance ou qui suivent la connaissance de l’évènement dont la preuve incombe au signataire du grief.
[…]
10.03 Délais : Chacun des délais dont il est fait mention dans la présente section est de rigueur et ne peut être prolongé à l’égard du grief que par une entente écrite entre les parties intéressées.
[…]
14.02 Droit de rappel :
1) Règle générale :
a) En cours d’exécution du contrat de l’employeur sur un chantier : L’employeur doit rappeler le salarié mis à pied en cours d’exécution d’un contrat sur un chantier si, dans la période de quinze jours ouvrables suivant sa mise à pied, une des tâches reliés à son métier, spécialité ou occupation redevient disponible. […]
b) À la fin de l’exécution du contrat de l’employeur sur un chantier : L’employeur doit rappeler le salarié mis à pied à la fin de l’exécution d’un contrat sur un chantier si, dans la période de dix jours ouvrables suivant sa mise à pied, une des tâches reli[é]s à son métier, spécialité ou occupation redevient disponible. […]
[7] De la preuve, la décision contestée retient principalement ce qui suit :
4. Depuis deux ans, le plaignant est mis à pied à quelques reprises alors que des salariés ayant moins d’ancienneté continuent à travailler. Quelques semaines après, il est rappelé au travail.
5. Le 14 février 2014, il est de nouveau mis à pied. Constatant que certains salariés ayant moins d’ancienneté ne le sont pas, il en discute avec le délégué syndical de chantier. Ce dernier indique au plaignant que, s’il désire en discuter avec l’employeur, qu’il ne se gêne pas, mais que, de toute façon, il sera de retour au travail dans deux ou trois semaines, soit au début du prochain arrêt planifié de production servant à l’entretien.
6. Dans les jours suivant sa mise à pied, le plaignant communique avec le directeur des ressources humaines de l’employeur pour s’enquérir des motifs de sa mise à pied, alors que des salariés moins anciens continuent de travailler. Il lui demande s’il peut être intégré à un autre poste. Le directeur lui dit qu’il vérifiera le tout auprès du responsable de chantier, soit celui chargé de l’exécution des travaux pour l’employeur.
7. Au début du mois de mars 2014, il doit se rendre auprès d’un proche parent sur le point de mourir, dans la région de Québec. Il informe le responsable de chantier de sa non-disponibilité au cours des prochains jours et lui demande la date de son rappel au travail. Le responsable lui annonce que son emploi est définitivement terminé au motif qu’il n’accepte pas que le plaignant ait communiqué avec le directeur des ressources humaines à la suite de sa mise à pied. Il ajoute que s’il est rappelé, c’est lui qui quitterait l’entreprise.
8. N’acceptant pas la situation, le 26 mars 2014, le plaignant tente de communiquer avec le syndicat, en l’occurrence le conseiller technique qui s’occupe des griefs. Après quelques messages de part et d'autre, ils se parlent le 31 mars 2014.
9. Le plaignant l’informe de sa fin d’emploi et du motif de celle-ci, qu’il trouve déraisonnable. Constatant qu’entre la date de la mise à pied, le 14 février, et la date de la communication, le 31 mars, il s’est écoulé plus de 15 jours ouvrables, le conseiller technique explique au plaignant qu’il ne peut déposer un grief, les délais prévus pour le faire étant expirés. [...]
10. Le conseiller technique demande au plaignant si, dans les 15 jours ouvrables suivant sa mise à pied, un salarié a été embauché pour effectuer son travail. Il répond qu’il l’ignore.
11. Au cours de son témoignage, le conseiller technique explique que la convention collective en vigueur ne prévoit aucune restriction ou priorité reliée à l’ancienneté lors de mise à pied. Toutefois, il existe des dispositions concernant le rappel au travail. Par exemple, si un salarié est mis à pied en cours d’exécution de contrat, l’employeur doit le rappeler au travail si, dans les 15 jours ouvrables, une des tâches reliées à son métier redevient disponible. Si cela se produit à la suite d’une fin de contrat, cette période passe à 10 jours ouvrables. [...]
12. Insatisfait de la réponse obtenue, le plaignant joint le directeur général du syndicat qui lui signifie que c’est la responsabilité du conseiller technique de s’occuper des griefs. Il communiquera avec ce dernier à trois occasions, essuyant toujours un refus quant au dépôt d’un grief.
13. À un moment non précisé, le conseiller technique demande à un représentant syndical que, lors de sa prochaine visite de chantier à la raffinerie de Suncor, il vérifie auprès du délégué syndical de chantier ce qui s’est produit. Après cette visite, le conseiller reçoit la confirmation que le responsable de chantier ne veut plus du plaignant.
14. Par la suite, le conseiller technique communique avec le responsable de chantier de la raffinerie Suncor, qui lui souligne qu’il avait déjà avisé le plaignant de ne pas communiquer avec d’autres membres de la direction, jugeant qu’il passait ainsi outre à son autorité. Le conseiller lui demande: s’il avait procédé à l’embauche d’un autre salarié dans les 15 jours suivants, le responsable répond que non.
[8] Lors de sa plaidoirie, le syndicat a fait valoir ce qui suit :
22. [...] le syndicat soutient comprendre la frustration ressentie par rapport au motif donné par l’employeur pour ne plus le rappeler au travail. Mail il ne peut rien y faire, soutenant que le dépôt d’un grief aurait été prescrit, car plus de 15 jours ouvrables (voir l’article 10.02 de la convention collective) s’étaient écoulés entre la date de la mise à pied, soit la connaissance de l’événement reproché, et la date où le plaignant communique avec le conseiller technique. Il ajoute qu’il n’y a pas de preuve que les tâches qu’il a exécutées soient redevenues disponibles dans l’un des deux délais prévus à l’article 14.02 de la convention collective. Comme seule cette disposition assure une protection d’emploi en cas de mise à pied, il ne pouvait y avoir de dépôt de grief. L’employeur reprend à son compte le deuxième argument.
[9] Après avoir cité l’article 47.2 du Code et résumé l’état du droit sur le devoir de représentation du syndicat, la décision contestée accueille la plainte déposée par monsieur Soucy à son endroit en vertu de l’article 27 de la Loi R-20.
[10] Dans ses motifs, la décision contestée expose son analyse comme suit:
25. Bien entendu sans la connaissance des faits pertinents, il est peu probable qu’une décision éclairée soit prise en regard du dépôt ou non d’un grief. Encore plus, lorsque le syndicat ne comprend pas ou comprend mal le problème qu’un membre lui soumet.
26. Une des lacunes que l’on peut reprocher au syndicat dans sa décision de ne pas déposer un grief à l’encontre de la fin d’emploi du plaignant est de mal situer le litige qui oppose le salarié à son employeur.
27. Le plaignant ne demande pas
de contester sa mise à pied du 14 février 2014, mais sa fin d’emploi annoncée
au début du mois de mars 2014 à la suite de sa communication avec le
responsable de chantier. C’est au cours de celle-ci qu’il est informé qu’il ne sera plus l’objet d’aucun rappel au travail, alors qu’il s’attendait à l’être prochainement. C’est donc à partir de cette connaissance qu’il demande au
syndicat, par message laissé
le 26 mars, suivi d’une communication le 30 mars, de prendre action. C’est à tort que le conseiller technique prend la date de la mise à pied comme point de départ du délai pour déposer un grief.
28. De plus, l’enquête du syndicat souffre d’une lacune importante. Il n’a pas vérifié de façon adéquate s’il y a eu rappel au travail d’un salarié qui a effectué les tâches du plaignant dans les 10 ou 15 jours suivant sa mise à pied. Or, selon l’employeur et le syndicat, un tel rappel irait à l’encontre de la protection accordée par l’article 14.02 de la convention collective.
29. Certes, le conseiller technique a demandé au responsable de chantier s’il y avait eu un tel rappel, mais ne l’a pas demandé à son délégué syndical de chantier alors qu’il lui était loisible de le faire. Le fait de se fier uniquement à une information provenant de l’employeur ne constitue pas une enquête sérieuse. [...]
30. Le défaut d’avoir vérifié auprès du délégué de chantier du syndicat fait en sorte que le conseiller technique n’est pas en mesure de prendre une décision basée sur les faits pertinents.
31. De plus, l’annonce du responsable de chantier au plaignant voulant qu’il ne soit plus l’objet de rappel a toutes les apparences d’un congédiement. Le responsable semble vouloir le punir pour avoir tenté de passer outre à son autorité. Cette hypothèse est plausible. Le syndicat devait la soulever et la soupeser. Or, ce ne fut pas le cas. Comme la convention collective prévoit la possibilité de contester un congédiement, ce manquement est fatal et s’additionne aux autres, qui, de toute façon, justifiaient que la plainte soit accueillie.
[11] Le syndicat et l’employeur prétendent que la décision contestée doit être révisée pour le motif qu’elle est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[12]
Ils sont d’avis qu’il ne faille pas confondre ou assimiler le régime de
relation du travail qui prévaut dans l’industrie de la construction avec celui
qui relève du Code. Pour l’un, il s’agit de prendre en compte dans les
conventions collectives la mobilité de la
main-d’œuvre alors que pour l’autre, la préoccupation se traduit généralement par
le respect de l’ancienneté.
[13] Une des particularités de l’industrie de la construction est que la notion de mise à pied dans le cadre de l’application de la convention collective est définie comme étant temporaire ou définitive. La première impliquant un droit de rappel alors que la seconde une rupture du lien d’emploi à l’expiration de certains délais fixés dans la convention collective.
[14] À la suite de sa mise à pied du 14 février 2014, monsieur Soucy n’a pas été rappelé au travail dans le délai prévu dans la convention collective. Sa mise à pied temporaire et donc devenu définitive et son lien d’emploi a été rompu, le 7 mars 2014.
[15] Monsieur Soucy avait la possibilité de contester sa mise à pied ou de prétendre qu’il avait plutôt été congédié injustement. Mais pour ce faire, il devait soumettre sa réclamation à son syndicat en temps opportun puisque celui-ci doit déposer un grief dans un délai de rigueur de 15 jours ouvrables suivant l’article 10.02 de la convention collective.
[16]
La décision contestée, après avoir retenu que monsieur Soucy avait contacté
son syndicat le 26 mars 2014 et réussit à parler à un représentant syndical, uniquement
le 31 mars 2014, aurait dû considérer que sa réclamation était tardive, puisque
tous les délais prévus dans la convention collective, dont celui pour déposer
un grief, étaient expirés.
[17] Ce faisant, le syndicat ne peut avoir commis un manquement à son devoir de représentation au sens de l’article 47.2 du Code en refusant de déposer un grief puisqu’il ne pouvait plus, de toute façon, faire valoir les droits de monsieur Soucy, qu’ils soient fondés ou non.
[18] En raison de ce qui précède, il devenait tout à fait inutile pour le syndicat d’entreprendre une enquête approfondie sur les circonstances entourant sa mise à pied ou sur le fait qu’il n’a pas été rappelé au travail par l’employeur.
[19] Rappelant les principes de droit applicable en matière de révision, monsieur Soucy fait valoir que la décision contestée ne comporte aucun vice de fond qui serait de nature à l’invalider.
[20] Selon lui, rien ne permet au Tribunal de remettre en cause l’appréciation des faits de la Commission, ni les conclusions que cette dernière en tire, à savoir que le syndicat a mal apprécié la nature de la réclamation de monsieur Soucy, qu’il a bâclé son enquête et qu’il aurait dû déposer un grief au mois de mars 2014 afin de contester la rupture de son lien d’emploi, lequel avait toutes les apparences d’un congédiement injustifié.
[21] L’article 49 (3) de la LITAT prévoit qu’une décision du Tribunal peut faire l’objet d’une révision lorsqu’elle est entachée d’un « vice de fond ou de procédure […] de nature à l'invalider ».
[22]
La notion de « vice de fond ou de procédure » a été
circonscrite par la jurisprudence, notamment dans la décision Syndicat
canadien de la fonction publique, section
locale 4479 c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des Centres
jeunesse de Montréal (STTCJM-CSN)[5]. L’extrait
pertinent se lit comme suit :
[24] Donc, lorsqu’on demande à la Commission de réviser une de ses propres décisions en vertu du paragraphe 3 du 1er alinéa de l’article 127, on ne peut pas lui demander de substituer son interprétation à celle déjà faite, on doit plutôt lui démontrer la présence d’un vice fondamental et sérieux qui doit nécessairement entraîner la nullité de la décision.
[25] La doctrine et la jurisprudence enseignent que, peuvent entre autres constituer un vice de fond ou de procédure une erreur grossière, un accroc sérieux et grave à la procédure, une décision ultra vires, c’est-à-dire rendue sans que la Commission ait eu la compétence pour le faire, une décision rendue en l’absence de preuve ou en ignorant une preuve évidente. Il faut aussi que soit démontrée la nécessité d’une correction à cause de ce vice sérieux.
(soulignement ajouté)
[23] S’exprimant au nom de la majorité sur la question de la norme d’intervention applicable, la juge Duval Hesler de la Cour d’appel dans l’arrêt M… L… c. Le Procureur général du Québec[6], écrit au paragraphe 22 que « Le tribunal administratif ne peut invalider sa propre décision qu’en présence d’un vice de fond qui rend la décision, non seulement mal fondée, mais illégale. »
[24] Comment distinguer l’un de l’autre?
[25] Dans l’arrêt CSST c. Fontaine[7], la Cour d’appel donne un certain nombre d’indices pour bien saisir la norme d’intervention applicable, tels que « la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur », en rappelant qu’il ne s’agit pas d’un appel et qu’il ne s’agit pas « de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première ».
[26] L’extrait pertinent se lit comme suit :
[50] […] On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire « un vice de fond de nature à invalider [une] décision ».
[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions». L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique» mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter» un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision). Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits»: il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision.
(références et citations omises)
[27] La décision contestée ayant accueillie la plainte du 23 octobre 2014 déposée par monsieur Soucy à l’encontre du syndicat suivant l’article 27 de la Loi R-20, est-elle entachée d’une erreur grave, évidente et déterminante?
[28] La trame factuelle retenue en preuve n’est pas contestée. Le vice de fond allégué dans le présent dossier correspond à une erreur d’interprétation de faits ou du droit.
[29] Comme exposé précédemment, lors d’une demande en révision, le Tribunal ne siège pas en appel et il ne lui appartient pas de substituer son interprétation des faits ou du droit à celle de la décision contestée. Bien plus, il est même possible que cette dernière contienne une ou des erreurs sans qu’elle soit pour autant révisable.
[30] Il ne fait toutefois aucun doute qu’une décision, dont la preuve retenue ne permet pas de soutenir ses conclusions et qui ne représente pas une issue possible raisonnable, entre dans la catégorie d’une erreur grave, évidente et déterminante assimilable à un vice de fond de nature à l’invalider.
[31] Est-ce le cas dans le présent dossier?
[32] L’analyse qui a été faite dans la décision contestée au soutien de ses conclusions repose sur ce qui suit;
· une mauvaise évaluation de la réclamation de monsieur Soucy par le syndicat;
· une enquête syndicale sommaire, voire lacunaire;
· la possibilité pour le syndicat de contester le non rappel au travail de monsieur Soucy laquelle avait, semble-t-il, toutes les apparences d’un congédiement.
[33] Ayant fait l’objet d’une mise à pied, le 14 février 2014, monsieur Soucy disposait, suivant l’article 14.02 de la convention collective, d’un droit de rappel correspondant à, tout au plus, 15 jours ouvrables. N’ayant pas été rappelé au travail dans ce délai, sa mise à pied est devenue définitive et son lien d’emploi rompu, à compter du 7 mars 2014.
[34]
Monsieur Soucy avait le droit de contester sa mise à pied ou de
prétendre qu’il avait été congédié injustement. Mais pour ce faire, il devait à
tout le moins soumettre sa réclamation à son syndicat en temps opportun puisque
celui-ci doit déposer un grief dans un délai de rigueur de 15 jours ouvrables
suivant l’article 10.02 de la convention collective. Dans le meilleur des cas
(en retenant, la date de la rupture de son lien d’emploi du 7 mars 2014 comme
point de départ de computation du délai), il avait
jusqu’au 28 mars 2014 pour le faire.
[35] La décision contestée retient de la preuve que monsieur Soucy a pris contact avec son syndicat le 26 mars 2014, mais qu’il a réussi à parler à un représentant syndical pour présenter sa réclamation, uniquement le 31 mars 2014. À ce moment, tous les délais prévus dans la convention collective, dont celui pour déposer un grief, sont expirés.
[36] Le syndicat a-t-il manqué à son devoir de représentation en refusant de déposer un grief alors qu’il ne pouvait plus, de toute façon, à ce moment faire valoir les droits de monsieur Soucy, qu’ils soient fondés ou non?
[37] Une réponse positive à cette question ne représente pas une issue possible raisonnable.
[38]
Il en va de même pour l’enquête. Une fois les délais expirés, il
devenait tout à fait inutile pour le syndicat d’entreprendre une enquête approfondie
puisque cela n’aurait rien changé, et ce, indépendamment de la déclaration du
responsable de chantier en
mars 2014, que monsieur Soucy ne serait plus jamais rappelé au travail même si cela
avait toutes les apparences d’un congédiement.
[39] Enfin, la décision contestée ne pouvait considérer que le syndicat avait commis un manquement à son devoir de représentation en faisant une enquête sommaire, voire lacunaire, en regard des circonstances entourant sa mise à pied du 14 février alors que le délai pour le dépôt du grief était échu.
[40] La décision contestée est entachée d’une erreur grave, évidente et déterminante dans la mesure où la preuve retenue ne permet pas de soutenir ses conclusions et puisqu’elle ne représente pas une issue possible raisonnable, la demande en révision doit être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la demande en révision;
RÉVISE la décision rendue le 5 juin 2015 (2015 QCCRT 0299) pour qu’elle se lise ainsi :
REJETTE la
plainte du 23 octobre 2014 déposée par
Denis Soucy à l’encontre de l’Association des manœuvres inter-provinciaux,
section
locale AMI, FTQ-Construction, en vertu de l’article 27 de la Loi sur les
relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la
main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction.
|
|
|
François Caron |
|
|
|
|
Me Robert Laurin |
|
ROBERT LAURIN, AVOCAT |
|
Pour la partie demanderesse, Association des
manœuvres inter-provinciaux, |
|
|
|
Me Éric Germain |
|
ASSELIN & ASSELIN AVOCATS |
|
Pour la partie défenderesse |
|
|
|
Me Michael D. Grodinsky |
|
BORDEN LADNER GERVAIS |
|
Pour la partie mise en cause |
|
|
|
Date de l’audience : 29 janvier 2016 |
|
|
/jt
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.