Décision

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Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Boudreau

2015 QCCDBQ 071

CONSEIL DE DISCIPLINE

BARREAU DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

N°:

06-15-02918

 

DATE :

 23 novembre 2015    

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU

Présidente

Me CHARLES B. CÔTÉ

Membre

Me MAURICE CLOUTIER

Membre

______________________________________________________________________

 

ME DANIEL GAGNON, en sa qualité de syndic adjoint du Barreau du Québec

 

Plaignant

c.

 

« ME » BERNARD-PIERRE BOUDREAU 

 

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]          Le syndic adjoint du Barreau du Québec (le plaignant) a déposé une plainte disciplinaire contre «Me» Bernard-Pierre Boudreau (l’intimé) le 15 avril 2015. Il lui reproche d’avoir déclaré le 6 mars 2012, lors d’une enquête du Bureau du syndic, que la signature apparaissant sur un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire daté du 20 décembre 2010 était bien la sienne alors que c’était faux, contrairement à l’article 4.02.01 d) du Code de déontologie des avocats (chef 1). Il lui reproche également d’avoir fait défaut d’informer le Bureau du syndic dès qu’il a eu connaissance que son associé avait procédé à la fabrication et l’utilisation de ce faux préavis d’exercice pour obtenir un jugement, contrairement à l’article 4.03.00.01 du Code de déontologie des avocats (chef 2).

[2]          En cours d’audition, l’intimé a reconnu sa culpabilité sur le 2e chef. Il a toutefois confirmé qu’il n’admettait pas avoir commis l’infraction reprochée au 1er chef.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[3]          Les questions en litige que le Conseil doit trancher sont les suivantes :

a)    Les gestes reprochés à l’intimé au chef 1 ont-ils été prouvés ?

b)    Est-ce que l’intimé a présenté des moyens de défense valables à l’encontre des gestes reprochés au chef 1 ?

LE CONTEXTE

[4]          Alors qu’il est radié depuis le 7 mars 2013, l’intimé tente de se réhabiliter en vue de sa réinscription au Tableau de l’Ordre. Il suit presque tous les cours de l’École du Barreau à ses frais et souhaite mettre un terme aux dossiers disciplinaires pendants contre lui.

[5]          Lorsqu’il se croit prêt à présenter sa demande de réinscription, il est toujours confronté à de nouvelles embûches.

[6]          En janvier 2015, il rencontre le syndic adjoint Pierre-Gabriel Guimont, sur une base volontaire, afin de s’assurer qu’il s’est conformé à toutes les demandes du Bureau du syndic. Me Guimont lui demande alors s’il a encore quelque chose sur la conscience et, si oui, lui demande de déposer un affidavit à cet effet.

[7]          C’est dans ce contexte que l’intimé signe un affidavit circonstancié le 2 février 2015, déposé en preuve dans la présente affaire sous P-2, où il révèle qu’il n’a jamais signé, à titre de témoin, le préavis d’exercice du 20 décembre 2010 préparé par son associé, Me Christian Méthot, contrairement à ce qu’il indiquait au syndic adjoint Nicolas Bellemare dans sa lettre du 6 mars 2012. Il explique que sa signature a été imitée sans son consentement alors qu’il était à l’extérieur du pays avec sa famille. Il ajoute avoir été furieux d’apprendre ce stratagème à son retour de voyage.

[8]          Dans son affidavit, il indique que c’est à la demande de Me Méthot qu’il a transmis cette lettre à Me Bellemare qui enquêtait alors sur les apparences de conflit d’intérêts suite à la signification de ce préavis d’exercice à un ancien client. Il ajoute que c’est d’ailleurs Me Méthot qui avait préparé la lettre.

[9]          En déposant cet affidavit, l’intimé croyait, vu sa franchise, que le Bureau du syndic passerait l’éponge sur cet événement du passé et qu’aucune plainte ne serait portée contre lui à ce sujet.

[10]       L’intimé se sent donc injustement poursuivi dans la présente affaire. Il s’insurge que Me Méthot, quoiqu’une plainte ait été portée contre lui en regard du préavis d’exercice falsifié, n’a pas fait l’objet d’une plainte pour avoir lui aussi écrit au syndic adjoint Bellemare en avril 2012 que l’intimé avait bel et bien attesté de sa signature en signant le préavis d’exercice. Il s’indigne aussi du fait que le Bureau du syndic a accepté de ne pas porter plainte contre l’avocate qui a participé à la fabrication du préavis d’exercice falsifié, mais a refusé d’abandonner les charges contre lui.

ANALYSE

[11]       Les dispositions en vertu desquelles l’intimé est poursuivi devant le Conseil dans la présente affaire sont les articles 4.02.01 d) et 4.03.00.01 du Code de déontologie des avocats qui se lisent comme suit :

Chef 1

« 4.02.01. En outre des actes dérogatoires mentionnés aux articles 57, 58, 59.1 et ceux qui peuvent être déterminés en application du deuxième alinéa de l’article du Code des professions (chapitre C-26), est dérogatoire à la dignité de la profession le fait pour un avocat :

 

(…)

 

c)    de faire ou d'aider le client à faire une déclaration en droit ou en fait la sachant fausse; »

 

(nos soulignements)

 

Chef 2

 

« 4.03.00.01. L'avocat doit informer immédiatement le syndic lorsqu'il a connaissance qu'un acte dérogatoire a été commis par un autre avocat. »

[12]       Ces dispositions font partie de la section IV du Code de déontologie des avocats relative aux devoirs et obligations envers la profession.

a)    Les gestes reprochés à l’intimé au chef 1 ont-ils été prouvés?

[13]       Le dernier paragraphe de la lettre de l’intimé du 6 mars 2012 adressée au syndic adjoint Bellemare mentionne ce qui suit :

« Ma signature y apparaît qu’à titre de témoin de sa signature [celle de Me Méthot] le 20 décembre 2010, et non comme signataire du préavis d’exercice. Cette signature de témoin aurait pu être faite par quelqu’un qui n’exercerait pas la profession d’avocat et cette signature n’attestait pas le contenu du document. »

[14]       L’intimé soumet que dans sa réponse au syndic adjoint Bellemare, il n’affirme pas qu’il a signé le préavis d’exercice vu l’utilisation des mots « ma signature y apparait ». Ce n’est pas comme s’il avait écrit « j’ai signé » prétend-il.

[15]       L’intimé tente ainsi de jouer sur les mots, mais son interprétation ne passe pas la rampe. Ce paragraphe est clair et ne commande aucun exercice d’interprétation. Le Conseil en conclut que l’intimé a faussement déclaré qu’il avait signé le préavis d’exercice à titre de témoin contrairement à l’article 4.02.01 d) du Code de déontologie des avocats. Les gestes reprochés au chef 1 ont donc été prouvés.

b)   Est-ce que l’intimé a présenté des moyens de défense valables à l’encontre des gestes reprochés au chef 1?

[16]       Les moyens de défense soulevés par l’intimé se résument ainsi :

·        Il n’est pas l’auteur de la lettre du 6 mars 2012 qu’il a signée;

·        Me Méthot l’a contraint de signer la lettre du 6 mars 2012;

·        Il croyait que le Bureau du syndic ne porterait pas de plainte contre lui s’il jouait franc-jeu;

·        Le Bureau du syndic n’a pas porté plainte contre Me Méthot pour avoir fait la même déclaration dans sa lettre au syndic adjoint Bellemare en avril 2012;

·        Le Bureau du syndic a accepté de ne pas porter plainte contre l’autre avocate impliquée dans la fabrication du préavis d’exercice falsifié.

[17]       Lorsqu’on signe une lettre, on en assume le contenu. L’intimé ne peut donc pas se disculper au motif que ce n’est pas lui qui a préparé la lettre.

[18]       Il ne peut non plus se disculper en invoquant les pressions subies par son associé pour signer la lettre. Il s’est laissé convaincre qu’il était dans son intérêt et celui du cabinet de ne pas révéler au syndic adjoint Bellemare qu’on avait imité sa signature. Il doit donc assumer pleinement sa décision de signer la lettre telle que rédigée.

[19]       Le Conseil comprend la démarche de l’intimé auprès du syndic adjoint Guimond en janvier 2015. Le Conseil n’a pas de raison de douter de la croyance de l’intimé que le Bureau du syndic ne porterait pas de plainte contre lui s’il faisait preuve de transparence et de franchise. Cependant, la preuve ne révèle pas que de telles représentations lui ont été faites par le syndic adjoint Guimont. La croyance sincère de l’intimé ne repose sur aucun fait objectif. Ce moyen de défense est irrecevable[1].

[20]       Finalement, nul besoin d’exposer longuement que l’absence de plainte contre l’un pour un même acte ne constitue pas une défense pour celui qui est poursuivi. Le Conseil n’a pas juridiction pour porter un jugement sur les décisions que prend ou ne prend pas le Bureau du syndic. Il ne peut que décider du bien-fondé des plaintes dont il est saisi. Ce moyen de défense est aussi rejeté.

[21]       Le Conseil trouvera donc l’intimé coupable sous le chef 1.

[22]       Le Conseil trouvera également l’intimé coupable sous le chef 2 compte tenu de son plaidoyer de culpabilité.

 

DÉCISION

 

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT:

DÉCLARE l’intimé coupable sous les chefs 1 et 2 de la plainte tel que portée;

CONVOQUE les parties pour procéder à l’audition sur sanction à être fixée.

 

 

 

__________________________________

Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU

Présidente du Conseil de discipline

 

 

 

__________________________________

Me CHARLES B. CÔTÉ

Membre du Conseil de discipline

 

 

 

__________________________________

Me MAURICE CLOUTIER

Membre du Conseil de discipline

 

 

Me Daniel Gagnon, syndic adjoint du Barreau du Québec

Partie plaignante

 

 

« Me » Bernard-Pierre Boudreau

Partie intimée

 

 

 

 

Date d’audience :

Le 1er octobre 2015

 


Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Boudreau

                                             2016 QCCDBQ 050

CONSEIL DE DISCIPLINE

BARREAU DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

N°:

06-15-02918

 

DATE :

17 mai 2016

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU

Présidente

Me CHARLES B. CÔTÉ

Membre

Me MAURICE CLOUTIER

Membre

______________________________________________________________________

 

Me DANIEL GAGNON, en sa qualité de syndic adjoint du Barreau du Québec

 

Partie plaignante

c.

 

« Me »BERNARD-PIERRE BOUDREAU 

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 23 novembre 2015, le Conseil a déclaré l’intimé coupable des chefs 1 et 2 de la plainte déposée par le syndic adjoint du Barreau du Québec contre l’intimé le 15 avril 2015.

[2]          Le chef 1 concerne le fait d’avoir déclaré, le 6 mars 2012, lors d’une enquête du Bureau du syndic, que la signature apparaissant sur un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire daté du 20 décembre 2010, à titre de témoin de la signature de Me C. Méthot, était bien la sienne alors que c’était faux, contrairement à l’article 4.02.01 d) du Code de déontologie des avocats.

[3]          Le chef 2 a trait au défaut de l’intimé d’informer le Bureau du syndic dès qu’il a eu connaissance que son associé, Me C. Méthot, avait procédé à la fabrication et l’utilisation de ce faux préavis d’exercice pour obtenir un jugement, contrairement à l’article 4.03.00.01 du Code de déontologie des avocats.

 

QUESTION EN LITIGE

[4]          Quelle est la sanction juste et appropriée que le Conseil doit imposer à l’intimé sur les chefs 1 et 2 de la plainte considérant les circonstances de la présente affaire et le passé disciplinaire de l’intimé?

 

LA PREUVE SUR SANCTION

[5]          L’intimé est admis au Barreau du Québec en janvier 1986.

[6]          Il est cependant radié depuis le 7 mars 2013 à la suite d’une décision du Tribunal des professions[2].

[7]          Le syndic adjoint dépose une preuve documentaire comportant plusieurs décisions disciplinaires rendues à l’encontre de l’intimé dont nous traiterons au chapitre de notre analyse.

[8]          Le 24 avril 2014, alors qu’il est radié, l’intimé exerce illégalement la profession d’avocat en agissant pour le compte d’un client devant la Cour du Québec du district de Joliette et en s’identifiant sous le nom d’un autre avocat. Il plaide coupable à ces deux chefs d’infraction et est condamné par la Cour du Québec à une amende de 2 000 $ sur le premier chef et 1 500 $ sur le deuxième chef[3].

[9]          En janvier 2016, l’intimé fait également l’objet de deux chefs d’infraction d’exercice illégal de la profession d’avocat survenus les 10 décembre 2013 et 20 mars 2014 pour avoir fait croire à Mme M-J. P. qu’il était avocat en exercice et qu’il la représenterait lors de son procès fixé en juin 2014[4].

[10]       Selon les informations obtenues de Me Gaston Gauthier, avocat représentant le Barreau dans ce dossier, l’intimé s’est engagé à plaider coupable au deuxième chef alors que le premier chef sera retiré.

[11]       Lors de son témoignage devant le Conseil, l’intimé exprime sa frustration qu’une plainte disciplinaire ait été portée contre lui dans le présent dossier alors que sa démarche auprès de Me Pierre-Gabriel Guimont, syndic adjoint, visait à démontrer sa bonne foi et s’assurer que le Bureau du syndic n’avait plus rien contre lui afin qu’il puisse faire sa demande de réinscription au Barreau.

[12]       En se dénonçant lui-même pour des gestes commis en 2010, il croyait que le Bureau du syndic passerait l’éponge, d’autant plus qu’il se dit victime de ces événements.

[13]       Il revient sur le fait qu’il était en colère lorsqu’il a appris qu’on avait imité sa signature sur le préavis d’exercice et qu’il n’a pas voulu mentir au syndic adjoint à l’époque, mais a été contraint de le faire.

[14]       L’intimé dit se sentir comme un enfant à qui on demande de dire la vérité et est puni pour l’avoir fait. Il ajoute que l’hypocrisie paye donc plus que la vérité.

[15]       Il a l’impression que le Barreau n’avait plus rien contre lui, mais cherchait à l’accabler encore une fois.

[16]       Il ne comprend pas que le syndic adjoint lui dise que les infractions qu’on lui reproche sont trop graves pour être retirées alors que le Bureau du syndic a accepté de ne pas porter plainte contre une autre avocate aussi impliquée dans la falsification du préavis d’exercice.

[17]       Il reconnaît par ailleurs qu’il n’aurait pas dû se présenter devant le Tribunal au Palais de justice de Joliette en se faisant passer pour un autre avocat, mais qu’il a payé pour sa faute.

[18]       Quant à la plainte d’exercice illégal concernant des événements en décembre 2013 et mars 2014, il affirme dans un premier temps qu’il n’est pas coupable, car il était au Texas, de la mi-novembre à la première semaine de mars, pour une compétition équestre.

[19]       Il admet ensuite en contre-interrogatoire qu’il a accepté de représenter Mme M-J. P. lors de son procès fixé en juin 2014 croyant qu’il serait alors réinscrit. Il admet lui avoir demandé une avance de 5 000 $ qu’il a remboursée depuis.

[20]       Il se dit « au bout du rouleau » et ne sait plus s’il va déposer une demande de réinscription.

[21]       Il assure le Conseil qu’il n’y a pas de risque de récidive. Il ajoute ne plus être capable de se présenter devant le Conseil.

 

 

ARGUMENTATION SUR SANCTION

[22]       Le syndic adjoint plaignant soumet qu’il s’agit d’un cas de récidive, l’intimé ayant déjà plaidé coupable à une infraction d’avoir trompé le syndic et avoir fait une fausse déclaration en juin 2010, contrairement à l’article 4.02.01d) du Code de déontologie des avocats. Il s’était alors vu imposer une radiation de 12 mois[5], tel que confirmé par la Cour supérieure[6].

[23]       Il est d’avis que les risques de récidive sont très élevés et doute de la volonté de s’amender de l’intimé. Il ajoute que l’intimé est incapable d’autocritique et jette le blâme sur le Bureau du syndic.

[24]       Il ne lui accorde pas de crédibilité et argue que son passé démontre son manque d’intégrité.

[25]       Il souligne que l’intimé a pris plusieurs années avant d’avouer qu’il avait trompé le Bureau du syndic et cela même s’il affirme qu’il était furieux qu’on ait imité sa signature.

[26]       Le syndic adjoint réfère le Conseil à la décision impliquant l’ex-associé de l’intimé accusé d’avoir participé à la fabrication du faux préavis d’exercice[7]. Dans cette décision, il est mentionné qu’il arrivait régulièrement que la secrétaire de l’intimé imite sa signature sur les préavis d’exercice et qu’elle était autorisée à le faire par celui-ci. Il est également mentionné que l’intimé aurait dénoncé la situation à Me Guimont, syndic adjoint, par vengeance, selon son ex-associé.

[27]       Le syndic adjoint plaide que les infractions d’exercice illégal commises doivent être considérées comme facteur aggravant. Il dépose la décision Wickham[8] du Conseil de discipline du Barreau au soutien de ses prétentions.

[28]       Dans cette affaire, le Conseil de discipline a imposé une radiation temporaire de 5 ans à l’avocat pour avoir tenté d’induire en erreur tant le Conseil que le Bureau du syndic en leur transmettant un faux certificat médical dans le but d’obtenir une remise contrairement aux dispositions de l’article 4.02.01 d) du Code de déontologie des avocats.

[29]       Le syndic adjoint dépose également la décision Karkar[9] du Conseil de discipline dans laquelle l’avocat s’est vu imposer une radiation d’un an pour avoir fait de fausses déclarations au greffier de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR-SI) et à une préposée du bureau de l’Aide juridique de Montréal, Immigration, indiquant qu’il était présent à une audience devant la CISR-SI alors que c’était faux, contrairement à l’article 4.02.01 d) du Code de déontologie des avocats.

[30]       Le syndic adjoint recommande au Conseil d’imposer à l’intimé une sanction sévère et de tenir compte du principe de la gradation des sanctions. Il suggère une période de radiation d’au moins un an sur le premier chef et une amende supérieure à l’amende minimum sur le deuxième chef.

[31]       L’intimé plaide qu’une radiation d’une semaine est suffisante à l’instar de celle imposée à son ex-associé dans le dossier précité[10].

[32]       Il ajoute qu’il a des remords pour ce qu’il a fait, la preuve étant qu’il s’est dénoncé au Bureau du syndic.

[33]       Il termine en disant que les délais occasionnés par le dépôt de la présente plainte retardent sa demande de réinscription.

 

ANALYSE

[34]       Les gestes pour lesquels l’intimé a été déclaré coupable par le Conseil contreviennent aux dispositions des articles 4.02.01 d) et 4.03.00.01 du Code de déontologie des avocats. Ces dispositions sont ainsi libellées :

4.02.01.  En outre des actes dérogatoires mentionnés aux articles 57, 58, 59.1 et ceux qui peuvent être déterminés en application du deuxième alinéa de l'article 152 du Code des professions (chapitre C-26), est dérogatoire à la dignité de la profession le fait pour un avocat:

d) de faire ou d'aider le client à faire une déclaration en droit ou en fait la sachant fausse;

4.03.00.01.  L'avocat doit informer immédiatement le syndic lorsqu'il a connaissance qu'un acte dérogatoire a été commis par un autre avocat.

 

[35]       Le rôle du Conseil n’est pas de punir le professionnel, mais de lui imposer une sanction qui le dissuadera de recommencer et découragera les autres professionnels de l’imiter assurant ainsi en premier lieu la protection du public[11]. Il s’agit de déterminer la sanction juste et appropriée.

[36]       Pour déterminer cette sanction, il faut tenir compte des facteurs objectifs reliés à l’infraction elle-même, telles la protection du public, la gravité de l’offense et l’exemplarité, ainsi que des facteurs subjectifs reliés au professionnel, tels l’expérience, les antécédents disciplinaires, le repentir, les chances de réhabilitation, la dissuasion et les risques de récidive[12].

 

Chef 1

Facteurs objectifs

[37]       En matière de gravité objective, faire une fausse déclaration est grave pour un avocat et se situe au cœur de la profession.

[38]       Un avocat se doit de démontrer une intégrité exemplaire.

[39]       Cette conduite est particulièrement répréhensible lorsque, par surcroît, cette fausse déclaration a pour conséquence de tromper le Bureau du syndic dans le cadre de son enquête et a pour but de camoufler la commission d’un acte dérogatoire, soit la fabrication et l’utilisation d’un faux préavis d’exercice. Le Conseil considère qu’il s’agit là d’un facteur aggravant.

[40]       Le Conseil considère également comme facteur aggravant le fait que cette fausse déclaration était un geste planifié pour cacher la fabrication et l’utilisation d’un faux préavis d’exercice. L’intimé en avait discuté avec son ex-associé et avait eu le temps de réfléchir avant de décider de signer la lettre.

Facteurs subjectifs

[41]       Dans la détermination de la sanction, le Conseil doit aussi tenir compte des facteurs reliés à la personne de l’intimé.

[42]       Le passé disciplinaire de l’intimé constitue un facteur aggravant.

[43]       En février 2007, l’intimé est condamné par le Conseil de discipline à un total de 6 000 $ d’amende pour avoir donné à la profession un caractère de lucre et de commercialité en août 2002 et pour ne pas avoir fourni des explications nécessaires aux clients entre avril 2002 et novembre 2003[13].

[44]       En février 2012, après que l’intimé ait plaidé coupable à cinq chefs d’infraction, le Conseil de discipline lui impose les sanctions suivantes[14] :

·           Une amende de 2 000 $ pour avoir fait défaut de déposer la somme de 4 000 $ dans son compte en fidéicommis en décembre 2009 (chef 1);

·           Une amende de 2 000 $ pour avoir fait défaut de déposer la somme de 5 000 $ dans son compte en fidéicommis en octobre 2007 (chef 2);

·           Une amende de 10 000 $ pour avoir réclamé des honoraires injustifiés et déraisonnables de 5 000 $ en octobre 2007 (chef 3);

·           Une radiation de six mois pour avoir communiqué avec la demanderesse d’enquête pour lui demander de retirer sa plainte en juin 2010 (chef 4);

·           Une radiation de douze mois pour avoir trompé le syndic et fait une fausse déclaration contrairement à l’article 4.02.01d) du Code de déontologie des avocats en juin 2010 (chef 5).

[45]       Concernant le chef 5, l’intimé avait menti au syndic en lui transmettant un faux affidavit dans lequel il affirmait ne pas avoir communiqué avec la demanderesse d’enquête alors qu’il lui avait offert 5 000 $ pour qu’elle retire sa plainte.

[46]       Rappelons que, dans le présent dossier, l’intimé a transmis sa fausse déclaration au Bureau du syndic le 6 mars 2012, soit quelques semaines à peine après la décision du Conseil de discipline le condamnant à un an de radiation pour le même genre d’infraction. Le Conseil considère cet élément comme facteur aggravant tant au niveau de la récidive que du très court délai entre sa condamnation et la commission de l’infraction.

[47]       L’intimé était un avocat d’expérience au moment des événements. Il ne peut convaincre le Conseil qu’il a été contraint de signer la lettre contenant une fausse déclaration.

[48]       En mars 2013, le Tribunal des professions réduit à six mois la période de radiation sur le chef 5 à être purgée concurremment avec celle du chef 4[15].

[49]       En octobre 2013, la Cour supérieure rétablit la décision du Conseil de discipline imposant une radiation de douze mois sur le chef 5[16].

[50]       Malgré cette radiation, l’intimé continue d’exercer sa profession en faisant des représentations devant le Tribunal dans un dossier, en se présentant sous l’identité d’un autre avocat et en acceptant un mandat pour représenter une cliente contre rémunération[17].

[51]       Le Conseil est d’accord avec la décision Wickham précitée du Conseil de discipline du Barreau que « cette conduite, même si elle intervient postérieurement aux gestes reprochés […] doit être prise en compte à titre de facteur aggravant ».

[52]       Le 8 avril 2015, l’intimé fait l’objet d’une autre décision du Conseil de discipline[18]. Après avoir plaidé coupable aux trois infractions qui lui étaient reprochées, il se voit imposer une radiation d’un mois pour avoir fait défaut de déposer la somme de 3 000 $ dans son compte en fidéicommis en septembre 2010, une radiation de deux mois pour s’être approprié une somme de 800 $ et une radiation de deux mois pour s’être approprié une somme de 2 200 $ en septembre 2010.

[53]       Le profil de l’intimé n’a rien de rassurant.

[54]       Son comportement démontre que la radiation d’un an qui lui a été imposée pour une infraction de même nature n’a pas eu l’effet dissuasif escompté.

[55]       Son témoignage devant le Conseil n’est pas plus rassurant. Il continue de contester le processus disciplinaire dont il fait l’objet et à jeter le blâme sur le Bureau du syndic et sur son ex-associé.

[56]       Tout comme le syndic adjoint, le Conseil considère que les risques de récidive sont élevés.

[57]       Voilà autant d’éléments qui militent en faveur d’une sanction sévère.

[58]       Le Conseil considère qu’une radiation de 18 mois sur le chef 1 est une sanction juste et appropriée dans les circonstances.

[59]       Cette sanction tient compte du principe de la gradation des sanctions et a le mérite d’atteindre les objectifs de dissuasion, d’exemplarité et de protection du public.

 

Chef 2

[60]       Les gestes reprochés au deuxième chef de la plainte sont objectivement sérieux.

[61]       Il est du devoir de l’avocat de contribuer à la protection du public et de dénoncer sans délai au syndic les actes dérogatoires commis par des confrères.

[62]       Agir autrement porte ombrage à l’image de la profession.

[63]       À la décharge de l’intimé, le Conseil doit tenir compte qu’il a plaidé coupable sous ce chef à la première occasion et qu’il a volontairement informé le syndic de la fabrication et de l’utilisation du faux préavis d’exercice par son ex-associé quoique tardivement.

[64]       Le Conseil juge raisonnable la suggestion du syndic adjoint d’imposer à l’intimé une sanction de la nature d’une amende sur le chef 2. Une amende de l’ordre de 1 500 $ est appropriée dans les circonstances de la présente affaire.

[65]       Le Conseil condamnera également l’intimé aux entiers débours.

 

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT:

Sous le premier chef

IMPOSE à l’intimé une période de dix-huit (18) mois de radiation;

Sous le deuxième chef

IMPOSE à l’intimé une amende de 1 500 $;

DÉCIDE qu’un avis de la présente décision soit publié dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé avait son domicile professionnel, conformément à l’article 156 du Code des professions;

CONDAMNE l’intimé au paiement des débours, y incluant les frais de publication de l’avis de la présente décision.

 

 

 

__________________________________

Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU

Présidente

 

__________________________________

Me CHARLES B. CÔTÉ

Membre

 

__________________________________

Me MAURICE CLOUTIER

Membre

 

 

Me Daniel Gagnon, syndic adjoint du Barreau du Québec

Partie plaignante

 

 

« Me » Bernard-Pierre Boudreau

Partie intimée

 

 

Date d’audience :

   19 février 2016

 

Début du délibéré :     22 février 2016

 



[1] La Reine c. Sault Ste-Marie (Ville), [1978] 2 R.C.S. 1299

[2] 2013 QCTP 22.

[3] Pièce SP-2.

[4] Pièce SP-3.

[5]     2012 QCCDBQ 16 (CanLII).

[6]     2013 QCCS 5418 (CanLII).

[7]     Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Méthot, 2015 QCCDBQ 055.

[8]     Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Wickham 2013 QCCDBQ 030.

[9]     Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Karkar 2015 QCCDBQ 011 (en appel).

[10]     Voir note 6.

[11]    Pigeon c. Daigneault, [2003] R.J.Q. 1090 (C.A.); Pierre Bernard, « La sanction en droit disciplinaire; quelques réflexions », Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 123 et suivantes.

[12]    Pigeon c. Daigneault, précité note 10; Ouellet c. Médecins (Ordre professionnel des), 2006 QCTP 74; Goldman c. Avocats, 2008 QCTP 164 (CanLII).

[13] 2007 CanLII 21987 (QC CDBQ).

[14] Précité note 4.

[15] Précité note 1.

[16] Précité note 5.

[17] Pièces SP-2 et SP-3.

[18] Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Boudreau, 2015 QCCDBQ 26 (CanLII).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.