COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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Dossier : |
222334 |
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Cas : |
CM-2000-7691 |
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Référence : |
2004 QCCRT 0554 |
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Montréal, le |
29 octobre 2004 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Michel Marchand |
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Daniel Pelletier
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Plaignant |
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c. |
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Sécuritas Canada ltée |
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1] Le plaignant, Daniel Pelletier, dépose, le 22 mai 2003, une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail dans laquelle il soutient avoir été congédié sans cause juste et suffisante, le 16 mai précédent, par son employeur Sécuritas Canada ltée (ci-après « Sécuritas »).
[2] L’employeur soumet qu’après avoir suspendu le plaignant pour fin d’enquête le 28 avril 2003, il l’a congédié le 26 mai 2003, en raison de gestes de harcèlement sexuel posés dans le cadre de ses fonctions envers deux salariées. Le plaignant, lassé d’attendre, a déposé sa plainte avant que l’employeur lui remette sa lettre de congédiement.
[3] Les faits donnant ouverture à la plainte ne sont pas contestés : le plaignant est, au moment de son congédiement, un salarié de Sécuritas depuis plus de deux ans, il n’a pas d’autre procédure de réparation qui lui soit accessible et il a déposé sa plainte dans les délais requis.
[4] Avec le consentement des parties, la Commission des relations du travail décidera d’abord s’il y a ou non congédiement sans cause juste et suffisante. Elle gardera compétence, si nécessaire, pour décider ultérieurement de la réparation juste et nécessaire, après avoir permis aux parties de faire les représentations appropriées.
[5] L’enquête s’est étendue sur huit journées d’audience. La Commission retient de la preuve entendue les principaux éléments qui suivent.
[6] Daniel Pelletier travaille à la Place Bonaventure depuis 1985. Il y a d’abord été agent de sécurité pour ensuite devenir sergent et lieutenant. Le 20 octobre 1998, Place Bonaventure cède à Pinkerton ses services de sécurité. Cette dernière agence embauche alors le plaignant. Par après, Sécuritas achète l’agence Pinkerton. Le contrat de Place Bonaventure est l’un des plus importants contrats de sécurité de l’agence. Il comporte deux volets : d’une part, les activités régulières liées à la sécurité du bâtiment et de ses locataires et, d’autre part, la sécurité entourant la tenue des différents salons dans les halls d’exposition.
[7] En novembre 1999, le plaignant devient coordonnateur des halls d’exposition. Ses principales tâches consistent à organiser et à planifier les équipes d’agents de sécurité pour chacun des salons. Il doit alors préparer les horaires de travail, compléter les documents pour la préparation des paies des agents et superviser le travail des 10 à 50 agents affectés aux différents salons.
[8] En janvier 2002, Place Bonaventure nomme Carole Beaudry directrice de ses services de protection. Son mandat est de restructurer complètement les services de protection de la Place Bonaventure, autant au niveau du personnel que des équipements. Elle a un seul employé sous sa supervision qui est un technicien à la prévention des incendies, mais elle travaille en étroite collaboration avec le directeur du site de la Place Bonaventure chez Sécuritas. Par ailleurs, l’organisation des divers salons relève de la directrice des halls d’exposition, Sylvie Monroe-Cox, de son directeur adjoint, Sylvain Mathieu, et du coordonnateur du service à la clientèle, Louis Perreira.
[9] En février 2002, Daniel Pelletier devient le directeur du site de la Place Bonaventure. Il devient ainsi le plus haut gradé de Sécuritas sur le site et son supérieur hiérarchique est le directeur du bureau de Montréal, Jean Ruel. Ses tâches sont alors de procéder à l’évaluation et à la restructuration des équipes d'agents affectées aux activités régulières, soit de 15 à 20 agents, ainsi que de celles affectées aux salons. De plus, il doit assurer la liaison entre le client et la direction de Sécuritas et, pour ce faire, ses contacts passent essentiellement par Carole Beaudry. Cette dernière demande que l’on intègre des femmes dans chacune des équipes d’agents de sécurité.
[10] Michel Curtis remplace Daniel Pelletier au poste de coordonnateur des halls d’exposition. Un mois après, il est retiré du contrat à la demande de Carole Beaudry, en raison de ses nombreuses erreurs dans l’affectation des agents aux différents salons et dans la facturation de leurs heures de travail. Ensuite, Pierre Héroux occupe le poste d’avril à octobre 2002, alors qu’il est également retiré du site. Il est aussitôt remplacé par Julie Goguen. La personne qui occupe ce poste doit travailler avec le personnel de Place Bonaventure responsable des salons pour établir les besoins en matière de sécurité pour chacun des salons.
[11] Avec le temps, les relations entre Carole Beaudry et Daniel Pelletier débordent le plan strictement professionnel et elles prennent une tournure amicale. Ils se voient en dehors du travail. Carole Beaudry reconnaît avoir été reçue chez Daniel Pelletier à quelques occasions et avoir rencontré l’épouse de ce dernier sept ou huit fois. Ainsi, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2003, elle a reçu chez elle Daniel Pelletier et son épouse. Elle déclare que Daniel Pelletier aimait prendre un verre à l’occasion, ce qu’elle avait constaté en allant chez lui. Mais elle ne l’a jamais vu prendre de la boisson au travail, ni y être en état d’ébriété.
[12] Il existe une politique contre le harcèlement chez Sécuritas (pièce E-6) en vigueur depuis mars 2001. On peut, entre autres choses, y lire ce qui suit :
…
Le harcèlement se définit comme une série de commentaires ou de comportements contrariants, qui sont reconnus ou qui devraient vraisemblablement être reconnus comme importuns. Ce n’est pas l’intention du harceleur qui détermine s’il s’agit de harcèlement, mais les effets de ses actes sur la victime. N’entrent pas dans la catégorie du harcèlement, entre autres, les mesures disciplinaires justifiées imposées par la direction ou les dispositions visant à régler les problèmes de rendement ou d’assiduité, qui sont traités conformément au programme de gestion du rendement de l’entreprise.
…
Constituent des formes de harcèlement sexuel les remarques ou les gestes importuns à caractère sexuel, les contacts physiques, les regards concupiscents, les blagues sexistes, l’étalage de matériel offensant à caractère sexuel, les avances désagréables et les menaces de représailles si la victime n’accepte pas une proposition sexuelle ou refuse d’adopter l’un ou l’autre des comportements susmentionnés.
…
Les cas de harcèlement qui se produisent à l’extérieur du milieu de travail mais qui ont des répercussions sur le climat de travail, nuisant aux relations entre employés, peuvent aussi être considérés comme du harcèlement en milieu de travail.
[13] Daniel Pelletier est bel et bien au fait de l’existence de cette politique. En effet, le 27 août 2002, Jean Ruel lui a acheminé un courriel pour répondre à certaines de ses interrogations quant au comportement d’un agent de sécurité. Il lui conseille, entre autres choses, d’afficher quelques copies de cette politique dans les bureaux de Sécuritas à la Place Bonaventure et de proposer à la dame, qui se plaint de l’agent, de déposer une plainte officielle.
[14] Julie Binette est agente de sécurité chez Sécuritas depuis juillet 2000. En octobre 2002, elle est affectée à la Place Bonaventure. Elle fait des rondes de sécurité sur les étages et, en décembre 2002, Daniel Pelletier l’affecte au kiosque d’information, poste qu’elle est très heureuse d’occuper. Depuis janvier 2003, elle vit avec Réjean Pagé, un employé de bureau de Sécuritas. Elle l’a connu avant d’être affectée à la Place Bonaventure, mais elle a commencé à le fréquenter lorsqu’elle l’y a revu en novembre 2002.
[15] Aux environs du 20 mars 2003, elle est convoquée au bureau régional de Sécuritas suite à une plainte déposée contre elle. Elle y rencontre deux dames : Assunta Vendittoli, coordonnatrice aux relations de travail, et Gina Napolitano, directrice du service à la clientèle et adjointe de Jean Ruel, qui ne peut assister à cette rencontre parce qu’il est alors en vacances.
[16] Carole Beaudry a reçu un courriel d’une dame qui se plaint. Alors qu’elle déambule à la Place Bonaventure, cette dame est prise d’un malaise. Elle demande à l’agente de sécurité Julie Binette de lui permettre de s’asseoir au kiosque d’information pour reprendre ses esprits. Celle-ci refuse et lui dit plutôt d’aller s’asseoir au casse-croûte en face. Carole Beaudry achemine cette plainte à Daniel Pelletier en lui disant que le geste de l’agente est inacceptable. Celui-ci transmet la plainte à Jean Ruel. Il est alors convenu entre tous que l’agente devra suivre une session de formation pour combler ses lacunes en matière de relations avec le public.
[17] Lors de la rencontre avec Julie Binette, les deux dames lui demandent comment elle se sent dans son travail. Celle-ci leur fait alors part du comportement de Daniel Pelletier à son égard lors de la fête de Noël, qui a eu lieu le 6 décembre 2002, et du fait qu’elle le voit régulièrement en état d’ébriété.
[18] Julie Binette connaît la politique de Sécuritas contre le harcèlement. Toutefois, elle explique aux deux dames ne pas avoir porté plainte parce que, les événements s’étant déroulés à l’extérieur du travail, dans un resto-bar, elle croyait que la politique ne s’appliquait pas en pareille circonstance. Elle avait aussi peur de perdre le poste qu’elle venait d’obtenir au kiosque d’information. Les deux dames lui disent qu’elle peut porter plainte, même si les gestes sont survenus à l’extérieur du travail. Le 21 mars 2003, Julie Binette dépose une plainte écrite contre Daniel Pelletier.
[19] Dans son témoignage, elle reprend essentiellement les faits mentionnés dans sa plainte écrite. Lors de la fête de Noël, Daniel Pelletier engage la conversation au repas en lui disant qu’elle est jolie et « sexy », ce à quoi elle ne répond pas car elle est mal à l’aise. Déplorant qu’elle ait quelqu’un dans sa vie, il lui demande si elle n’est pas tentée de redevenir célibataire. Il parle aussi de « ses prouesses sexuelles » et déclare que « les gens de son âge étaient bien meilleurs au lit que les jeunes de la vingtaine, parce que lui a de l’expérience au lit ».
[20] Pendant et après le repas, Daniel Pelletier consomme passablement d’alcool. Après le repas, il s’approche d’elle sur la piste de danse, il lui prend la main et la pose sur son pénis. Surprise, elle se recule. Celui-ci avance à nouveau vers elle et, par derrière, il soulève sa jupe. Elle le repousse et replace sa jupe. Elle quitte la piste et elle appelle son copain, Réjean Pagé, pour qu’il vienne la chercher. Daniel Pelletier vient la voir et il tente de l’amener sur la piste de danse en la tirant par la main. Elle refuse en prétextant ne pas se sentir bien. Son copain vient la chercher vers 22 h pour la reconduire chez elle. Elle lui raconte les gestes dont elle a été victime de la part de Daniel Pelletier et elle lui dit ne pas savoir quoi faire. Le lundi, elle entre au travail et ne parle de l’incident à personne parce qu’elle a honte et se sent humiliée. Elle entend des agents parler de la fête de Noël en disant que Daniel Pelletier s’est comporté de la sorte parce qu’il était ivre.
[21] Julie Binette se plaint aussi qu’à plusieurs reprises elle a entendu Daniel Pelletier demander à Carole Beaudry et à d’autres personnes « est-ce que tu suces? », pour leur offrir immédiatement un bonbon dans un plat sur son bureau. Elle trouve de mauvais goût pareille farce. De même, elle l’a souvent entendu tenir des propos vulgaires en se vantant que des femmes couchent avec lui dans son bureau et que son adjointe ramasse les culottes et brassières des femmes qu’il reçoit ainsi.
[22] Elle déclare aussi qu’elle le voyait une fois par semaine en état d’ébriété sur les lieux du travail. Il consommait de l’alcool dans son bureau. Ainsi, le 18 mars 2003 lors d’une alerte à la bombe, Daniel Pelletier se retrouve au kiosque d’information en présence de Carole Beaudry et d’autres personnes alors qu’il titube, qu’il a les yeux rouges et qu’il fait des blagues à connotation sexuelle. Il est trop loin pour qu’elle puisse sentir son haleine, mais Carole Beaudry le taquine en lui disant « tu as encore pris ton sirop ».
[23] Le 27 mars, Julie Binette rencontre à nouveau Assunta Vendittoli qui est accompagnée de Philippe Yaworsky, directeur des ressources humaines chez Sécuritas, au sujet de sa plainte écrite. Après cela, elle ne retourne pas à son poste à la Place Bonaventure parce qu’elle obtient un retrait préventif de la CSST avant de partir en congé de maternité.
[24] Le dimanche 27 avril 2003, Julie Goguen appelle Jean Ruel sur son cellulaire, qui la rappelle avec l’appareil de son domicile. En larmes, elle lui raconte que Daniel Pelletier est venu chez elle et qu’elle a des choses à lui dire à son sujet. Après s’être assuré qu’elle n’avait besoin de rien, il lui donne rendez-vous pour dîner le lendemain. Toutefois, il est occupé et, le lundi matin, il lui propose plutôt de rencontrer Philippe Yaworsky. Elle accepte en lui disant qu’il faut qu’elle parle à quelqu’un. C’est la première fois qu’elle rencontre Philippe Yaworsky. Elle lui fait alors part du harcèlement dont elle est victime de la part de Daniel Pelletier.
[25] Julie Goguen a d’abord rencontré Jean Ruel dans des bars où se produisaient des amis communs faisant partie du même ensemble de musiciens. Elle lui dit qu’elle travaille comme agente de sécurité et il l’invite à postuler un poste chez Sécuritas. Effectivement, quelque temps après, il la reçoit en entrevue en compagnie de Daniel Pelletier. Toutefois, comme elle a un enfant de deux ans et comme elle ne vit pas avec le père de ce dernier, elle veut travailler uniquement de jour. Au mois d’août 2002, un tel poste se libère à la Place Bonaventure et elle accepte alors de venir y travailler comme agente de sécurité.
[26] En octobre 2002, avec l’accord de Carole Beaudry, on offre à Julie Goguen le poste de coordonnatrice des halls d’exposition. Elle occupe ce poste à compter du 28 octobre et son statut passe de salariée syndiquée à non syndiquée.
[27] Comme coordonnatrice des halls d’exposition, Julie Goguen doit travailler du mercredi au dimanche, les semaines où il y a des salons, et du lundi au vendredi, les autres semaines. En fait, lorsqu’il y a des salons, elle et Daniel Pelletier se partagent les fins de semaine pour qu’elle puisse être présente auprès de son enfant au moins une journée, l’autre journée l’enfant étant auprès de son père. Toutefois, elle doit être disponible en tout temps s’il survient une urgence. Il en va de même pour le directeur du site, et cela, 24 heures par jour. Pour cette raison, un téléphone cellulaire, avec afficheur et boîte vocale, et un téléavertisseur (« pagette ») sont fournis au directeur du site et à son adjointe, la coordonnatrice des halls d’exposition.
[28] Dès sa nomination comme coordonnatrice des halls d’exposition, Daniel Pelletier demande à Julie Goguen qu’ils se voient à l’extérieur du travail. À plusieurs reprises, il lui dit qu’ils feraient une bien meilleure équipe et que ce serait plus agréable s’ils avaient des relations plus que professionnelles, s’ils couchaient ensemble.
[29] Parce qu’il est difficile de refuser quoique ce soit à Daniel Pelletier et parce qu’elle en a envie, dit-elle, elle finit par accepter et elle l’invite chez elle, à la toute fin du mois de novembre, où elle consent à une relation sexuelle. Ils ont alors mangé une pizza avant de passer à des jeux sexuels, sans avoir une relation complète. Julie Goguen indique que Daniel Pelletier a une cicatrice d’un peu moins de deux pouces sur la poitrine à la suite d’une opération et qu’il n’est pas circoncis. Daniel Pelletier l’a quittée vers 20 h ou 20 h 30.
[30] Selon Julie Goguen, il a aussi été entendu que Daniel Pelletier passerait la nuit chez elle après la fête de Noël. Il avait trouvé un prétexte pour découcher. Toutefois, dans les jours suivants, Julie Goguen en vient à la conclusion que cette relation amoureuse n’a pas de sens et elle décide d’y mettre fin parce qu’il est marié et parce qu’il est son patron. Elle refuse qu’il passe la nuit chez elle et elle le lui annonce au cours de la fête, après le souper.
[31] Cela amène une altercation entre les deux sur le bord de la piste de danse. Il la traite de « salope et agace ». Ensuite, il vient la chercher en la tirant par le bras alors qu’elle parle avec des gens du secteur de la construction qu’elle croise régulièrement à la Place Bonaventure. Certains collègues de travail ont été témoins de son altercation avec Daniel Pelletier. Elle reconnaît que ceux-ci ont pu penser qu’elle était provoquée parce qu’elle avait, elle-même, trop bu. C’est ce que certains lui ont dit le lendemain.
[32] Après la fête, elle entre chez elle entre minuit et une heure et elle reçoit plusieurs appels de Daniel Pelletier. Le compte du cellulaire de Daniel Pelletier indique qu’il a fait cette nuit-là, entre 2 h 08 et 2 h 45, sept appels sur le cellulaire de Julie Goguen et deux sur son téléavertisseur. L’appel le plus long a une durée de 35 secondes. Ces appels ne sont d’aucune façon reliés au travail, déclare Julie Goguen.
[33] Dès le début, Daniel Pelletier se montre très contrôlant. Julie Goguen doit rencontrer régulièrement, dans le cadre de son travail, les responsables des salons d’exposition Sylvain Mathieu et Louis Perreira. Dès qu’elle les rencontre, sans que Daniel Pelletier n’en soit avisé, celui-ci se fâche. Il veut être mis au courant de tous ses faits et gestes, des appels qu’elle reçoit et de ceux qu’elle donne. Il lui dit qu’elle doit rencontrer les représentants du client en sa présence seulement. Quand elle s’absente trop longtemps de son bureau, il l’appelle sur son cellulaire pour savoir ce qu’elle fait et avec qui elle est. Cela se produit jusqu’à dix fois par jour. Par exemple, elle va fumer au quai de chargement avec d’autres fumeurs comme Sylvain Mathieu et Louis Perreira. Sitôt arrivée, elle reçoit un appel de Daniel Pelletier demandant où elle est, ce qu’elle fait. Il lui demande de revenir à son poste de travail ou il arrive peu après. Lorsqu’elle parle à un homme au travail, Daniel Pelletier vient toujours se mêler de leur conversation.
[34] Daniel Pelletier entre souvent dans le bureau de Julie Goguen en claquant la porte, il sacre après elle, il frappe sur son pupitre et il la menace de lui faire perdre son emploi en lui disant être proche de Carole Beaudry. Il lui dit à quelques reprises qu’il est responsable du départ des deux personnes qui ont préalablement occupé son poste de coordonnatrice des halls d’exposition. À deux ou trois occasions, il s’accote dans la porte pour l’empêcher de sortir de son bureau ou du sien, jusqu’à ce qu’elle l’embrasse. Il est arrivé, les stores des bureaux étant fermés, qu’elle cède plutôt que de subir une autre colère de sa part.
[35] Daniel Pelletier parle fort parce que c’est sa façon de se faire respecter par les gens. Il agit de la sorte avec elle lorsqu’elle commet une erreur, que des choses sont décidées sans que cela passe par lui ou qu’elle refuse de l’embrasser. Les choses ont empiré après qu’elle lui a dit qu’elle voulait que leur relation reste strictement au niveau professionnel.
[36] À la suite d’une intervention de Carole Beaudry à l’automne 2002, Jean Ruel envoie Réjean Pagé à la Place Bonaventure pour entrer les heures de travail et calculer la paie des agents de sécurité. Cela a pour objectif d’alléger le travail de Daniel Pelletier et Julie Goguen afin qu’ils passent plus de temps sur le plancher. Lorsqu’il vient à la Place Bonaventure, Réjean Pagé s’installe dans le bureau de Julie Goguen, ce qui a pour effet de la ralentir dans l’accomplissement de ses tâches. Daniel Pelletier fait des crises à Julie Goguen si elle ferme la porte de son bureau alors que Réjean Pagé est présent ou si elle va dîner avec ce dernier.
[37] Jean Ruel a reçu à quelques reprises des appels téléphoniques de Daniel Pelletier, qui est en colère, qui sacre et qui crie en raison d’un conflit ou d’une insécurité engendrée par un geste de son adjoint du moment. Il se met en colère parce que son adjoint a pris une initiative ou parce qu’il a parlé au client hors sa présence. Il dit avoir de la difficulté à se faire écouter et il ajoute : « s’ils veulent ma job, qu’ils me le disent et je vais m’en aller… » Jean Ruel est aussi intervenu auprès de Daniel Pelletier suite à un appel de Julie Goguen qui se plaint parce qu’il crie après elle en frappant sur son bureau et qu’il l’a fait pleurer. Les deux prédécesseurs de Julie Goguen à la coordination des halls d’exposition se sont aussi plaints des colères et insécurités de Daniel Pelletier.
[38] Jean Ruel a également mis en garde Daniel Pelletier à l’encontre de sa petite farce avec les bonbons qu’il gardait sur son bureau. Il lui a dit que cela pourrait être mal interprété par certaines personnes.
[39] Daniel Pelletier appelle souvent Julie Goguen chez elle. Les trois quarts de ces appels sont sans lien avec le travail, affirme cette dernière. La plupart du temps, il lui demande avec qui elle est, où elle est et ce qu’elle fait. Cela la dérange, surtout les appels après 20 h alors que son jeune enfant est couché. Il l’appelle sur son téléavertisseur ou laisse un message dans la boîte vocale de son cellulaire. Si elle ne le rappelle pas immédiatement, il lui fait des colères. Il lui dit en sacrant que c’est le cellulaire de l’entreprise et qu’elle doit répondre. Les appels téléphoniques ont augmenté après lui avoir dit que leur relation amoureuse n’avait pas de sens et qu’elle y mettait fin. Il l’appelle même à Noël et au Jour de l’An, alors qu’il est en vacances.
[40] Julie Goguen demande à Daniel Pelletier à cinq ou six reprises de ne pas l’appeler pour des motifs non reliés au travail. Il lui dit qu’elle doit répondre à toutes les fois qu’il appelle, parce que cela peut être important pour le travail.
[41] Julie Goguen déclare ne pas avoir dénoncé la situation vécue avec Daniel Pelletier parce qu’elle se croyait assez forte pour régler le tout par elle-même. Elle connaissait la politique en vigueur dans l’entreprise à propos du harcèlement.
[42] Elle a contacté Jean Ruel, à deux ou trois reprises, pour lui demander un transfert sur un autre contrat prétextant que les choses ne marchaient plus avec le client, plus précisément avec sa représentante Carole Beaudry. Pour elle, c’était une porte de sortie facile parce que les gens savaient Carole Beaudry exigeante et parce que pareille sortie ne causait aucun problème à personne. À chaque fois, Jean Ruel lui a demandé une lettre expliquant pourquoi elle voulait changer de contrat.
[43] Ainsi, le 26 février 2003, elle envoie un courriel (pièce P-1) à Jean Ruel. Elle s’y déclare désolée de l’avoir dérangé la veille pour lui demander de changer de contrat. Elle a changé d’idée, parce qu’elle a parlé avec Daniel Pelletier qui lui a fait comprendre des choses et qu’il lui a dit que ses rapports avec Carole Beaudry seraient limités.
[44] Le 17 mars, elle fournit à Daniel Pelletier, à la demande de ce dernier, une lettre expliquant les raisons pour lesquelles elle ne veut pas quitter son poste à la Place Bonaventure. Dans cette lettre elle écrit : « …, je sais très bien que mon comportement de ses (sic) derniers temps est inacceptable et je compte bien y remédier. » Elle précise qu’elle faisait alors allusion à des crises faites à Daniel Pelletier en présence de Carole Beaudry, à propos de choses concernant le travail et pour lesquelles Daniel Pelletier exerçait beaucoup de pression à son égard.
[45] Le 25 mars, elle adresse une lettre à Jean Ruel (pièce P - 2) dans laquelle elle explique les raisons de son manque de motivation et d’intérêt à travailler à la Place Bonaventure. Daniel Pelletiern’a jamais vu cette lettre avant les audiences, qui se lit comme suit :
Montréal, 25 mars 2003
Monsieur Ruel,
Tel que discuté avec vous, voici par écrit quelques raisons qui font en quelque sorte mon manque de motivation et d’intérêt à travailler à la Place Bonaventure. Il est à noter que cette situation n’est pas régulière mais lorsqu’elle se présente, elle pèse beaucoup sur moi.
Pour débuter, en tant que coordonnatrice pour les halls d’exposition mon but premier est le bon fonctionnement de la sécurité à l’intérieur des halls. Je dois m’assurer du bon déroulement de chaque salon, donc, faire en sortes que les demandes du client (halls d’exposition) soit très bien exécuté. Le problème est que régulièrement, la direction (halls d’exposition et Mme Carole Beaudry) se contredise sur différents points. Il est pour moi à ce moment précis difficile de gérer une demande.
Deuxièmement, à mon avis, si je peux me permettre, l’erreur est humaine. Oui, j’admets avoir fait quelques erreurs mais aussitôt réparés. Je comprends également que beaucoup de gens ont beaucoup de pression (Mme Beaudry) sauf que de là à rejeter le blâme sur moi est encore à mon avis un peu trop facile. Je me réfère à l’incident avec l’agt Pierre Fleury.
Pour terminer, j’aimerais que vous sachiez que la cliente (Mme Carole Beaudry) est très exigeante. Je dirais même qu’elle a tendance à l’exagération. Je sais que ce n’est que mon avis mais parfois, Mme Beaudry ne place pas les priorités à la bonne place. On s’occupe de ce qui est encore à mon avis banal, tandis que pendant ce temps plusieurs choses essentiel au bon déroulement de la sécurité (procédures de mesures d’urgence) traîne encore. N’ayant rien par écrit pour s’appuyer, le travail des agents devient à ce moment plutôt difficile.
Pour conclure, j’aimerais porter à votre attention qu’après cinq mois en poste, je commence à maîtriser très bien mon travail et que j’adore faire ce que je fais.
Veuillez agréer M. Ruel l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Julie Goguen.
(Reproduit tel quel)
[46] Julie Goguen, aussi, fait des colères. Carole Beaudry relate un incident en ce sens. Alors qu’elle parle au téléphone avec Daniel Pelletier, Julie Goguen entre dans le bureau de ce dernier. Celui-ci lui pose une question en relation avec un travail à faire. Julie Goguen lui répond en criant. Peu après, Carole Beaudry reparle de cet incident avec Julie Goguen, qui reconnaît sa faute. Carole Beaudry admet avoir dit à Julie Goguen qu’elle n’était pas dans une garderie et qu’elle n’était pas satisfaite de son travail, mais jamais qu’elle était incompétente. Elle a eu des discussions avec Daniel Pelletier parce que Julie Goguen perdait son temps sur le site, parce qu’elle allait souvent au quai de chargement, et parce qu’elle avait du travail en retard. Lors de réunions hebdomadaires en présence de Carole Beaudry, il est arrivé à plusieurs reprises que Julie Goguen s’obstine et fasse une crise de larmes.
[47] Par ailleurs, Carole Beaudry déclare avoir aussi été témoin de colères de Daniel Pelletier. Elle ajoute que celui-ci lui a aussi raconté avoir eu une engueulade avec Julie Goguen et l’avoir menacée de lui faire perdre son emploi en demandant une simple lettre au client.
[48] À la fin de la journée, le dimanche 27 avril 2003, Julie Goguen est chez elle à Pointe-aux-Trembles avec Sylvain Mathieu, qu’elle fréquente depuis le début du mois. Elle reçoit un premier appel de Daniel Pelletier sur son cellulaire auquel elle ne répond pas en voyant son numéro sur l’afficheur. Ensuite, elle reçoit un appel sur son téléavertisseur. Avec son cellulaire, elle lui retourne alors son appel. Daniel Pelletier lui dit qu’il veut la voir, qu’il s’en vient chez elle. Elle lui répond ne pas vouloir le voir, qu’elle n’est pas seule. Il rétorque qu’elle est seule, son enfant étant chez son père.
[49] Un peu plus tard, elle ferme le store de sa porte-fenêtre. Elle reçoit alors un autre appel sur son cellulaire auquel elle ne donne pas suite, suivi d’un message sur son téléavertisseur. Elle rappelle Daniel Pelletier. Celui-ci lui dit être devant chez elle. Elle répond ne pas vouloir le voir et qu’elle ne croit pas qu’il soit devant chez elle. Il réplique l’avoir vu fermer son store il y a un instant. Il lui dit de regarder à nouveau.
[50] Elle regarde et voit sa voiture. Elle lui répète de pas vouloir le voir et raccroche. Elle ne lui a pas dit avec qui elle est, seulement qu’elle n’est pas seule. Elle a vu passer devant chez elle sa « Mazda gris argent ». Cela la met en état de choc, les larmes lui montent aux yeux et elle tremble.
[51] Sylvain Mathieu lui conseille d’appeler la police, ce qu’elle refuse. Il lui dit qu’elle doit parler à quelqu’un et elle décide alors d’appeler Jean Ruel. Elle est en pleurs et elle lui dit qu’elle doit absolument lui parler de Daniel Pelletier, qu’il n’arrête pas de l’appeler chez elle, qu’il est devant chez elle pour lui dire qu’il vient de la voir fermer son store. Après s’être assuré que tout était correct, puisqu’il y avait quelqu’un avec elle, Jean Ruel lui donne rendez-vous pour dîner le lendemain.
[52] Le 28 avril au matin, en raison de son rendez-vous à l’heure du dîner et parce qu’elle a de la difficulté à s’éclipser sans que Daniel Pelletier la talonne, elle décide de ne pas aller travailler. Aussi, vers 5 h 15 ou 5 h 30, elle laisse un message dans la boîte vocale de Daniel Pelletier l’avisant de son absence parce qu’elle est malade. Toutefois, peu après, celui-ci laisse à son tour un message dans sa boîte vocale pour lui dire que c’est lui qui n’entre pas au travail. Elle décide alors d’entrer au travail, car il est important que l’un des deux soit au travail.
[53] Le 28 avril, Julie Goguen dîne avec Philippe Yaworsky pour lui raconter ce que lui fait subir Daniel Pelletier. Lors de cette rencontre, Philippe Yaworsky lui demande de déposer sa plainte par écrit. Elle lui transmettra le document tardivement, seulement le 10 juin 2003 (pièce E-10).
[54] Sylvain Mathieu déclare que Daniel Pelletier, lorsqu’il croise une jolie femme, a un comportement qui le met fort mal à l’aise. Celui-ci ne se gêne pas pour passer des commentaires et pour scruter de haut en bas la femme avec un regard insistant et sans aucune pudeur.
[55] Après sa rencontre avec Julie Goguen, Philippe Yaworsky rencontre Jean Ruel et ils décident de suspendre Daniel Pelletier pour fin d’enquête dès le 28 avril.
[56] Jean Ruel l’informe de sa suspension et lui dit simplement que des plaintes de harcèlement ont été déposées contre lui. Il lui dit aussi de ne pas s’en faire qu’il a déjà vu pareille chose et qu’il sait comment gérer cela, de prendre sa suspension comme des vacances et qu’il sera payé pour cette période. Il l’avise de ne pas communiquer avec personne et de ne pas se présenter à la Place Bonaventure. Officiellement, il sera en vacances.
[57] Le même jour, Jean Ruel appelle Carole Beaudry pour lui dire que Daniel Pelletier est relevé de ses fonctions pour fins d’enquête suite à des plaintes de harcèlement et ne pas pouvoir lui donner de détails pour ne pas nuire à l'enquête. Plus tard dans la journée, Daniel Pelletier communique avec cette dernière pour savoir si Jean Ruel l’a contactée. Ils échangent de l’information et ils tentent de déterminer ce qu’il en est de ces plaintes. Leur conversation porte sur un agent au quai de chargement, mais d’aucune façon il n’est alors question de Julie Goguen. Ce n’est que quelques jours plus tard que Daniel Pelletier parle à Carole Beaudry de Julie Goguen en des termes très peu élogieux.
[58] Dans les jours qui suivent, Philippe Yaworsky enquête en rencontrant les agents affectés à la Place Bonaventure. Le 6 mai, lui et Jean Ruel rencontrent Daniel Pelletier pour lui demander des explications en regard des plaintes déposées par Julie Binette et Julie Goguen. La rencontre dure deux heures.
[59] Au début, le plaignant adopte une attitude de confrontation. Lorsque les noms de Julie Binette et Julie Goguen lui sont mentionnés, il recule sur sa chaise, rougit et se tait. Dans le cas de la première, il dit qu’elle « dansait comme une topless » lors de la fête de Noël, que c’est elle qui se frotte sur lui et qu’elle est habillée « sexy ». Il a vu dans ses gestes une invitation parce qu’elle se comportait ainsi seulement avec lui.
[60] Quant à Julie Goguen, le plaignant qualifie de tumultueuses ses relations avec elle : « C’est rock-and-roll… » Elle le critique toujours. Il attaque son comportement au travail. Daniel Pelletier nie tout, y compris d’avoir eu une relation sexuelle avec Julie Goguen. Il nie l’incident du 27 avril, précisant qu’il était chez lui à ce moment-là. Il soutient l’avoir appelée en dehors des heures normales de travail seulement pour des motifs professionnels mais ne pas se souvenir exactement pourquoi.
[61] On lui montre les comptes de son cellulaire en lui laissant le temps de les examiner. Il explique avoir perdu son cellulaire lors de la partie pour l’anniversaire de son fils pour expliquer que Julie Goguen a reçu des appels où elle entendait de la musique. Un des jeunes a pu composer son numéro qui est en mémoire. Autrement, il maintient sa position, les appels sont pour des motifs professionnels.
[62] Il ne se rappelle pas avoir fait des appels à Julie Goguen dans la nuit du 25au 26 décembre alors qu’elle n’est nullement en service. Toutefois, les comptes de son cellulaire indiquent cinq appels sur le téléavertisseur de Julie Goguen entre 0 h 01 et 2 h 16 le 25 décembre 2002 et quatre autres à 15 h 26, 18 h 29, 22 h 09 et 22 h 42. De même, le 27 décembre alors qu’il est toujours en congé, comme le confirme sa feuille de temps contresignée par Carole Beaudry (pièce E-2), il place huit appels à Julie Goguen sur son cellulaire entre 18 h 45 et 23 h 48 et trois sur son téléavertisseur entre 23 h 28 et 23 h 44. Enfin, le 1er janvier 2003, il l’appelle sur son téléavertisseur à 0 h 12 et 3 h 18 et, le 2 janvier, il l’appelle sur son cellulaire à 0 h 21 et 0 h 39.
[63] Les comptes de cellulaire de Daniel Pelletier indiquent un nombre important d’appels faits après 18 h et très souvent une série d’appels successifs. À titre d’exemples, ses comptes indiquent qu’il a logé des appels au domicile de Julie Goguen le 2 décembre 2002 à 23 h 11, 23 h 31 et 23 h 33. Le 22 février 2003, il l’appelle sur son téléavertisseur à 19 h 14, 21 h 28, 21 h 50, 23 h 34 et 23 h 35 et, le lendemain, à 20 h 49 et 20 h 51. La même chose le 2 mars à 19 h 41, 21 h 04, 21 h 10 et 21 h 26. Le 15 mars, il l’appelle sur son cellulaire 20 h 58 et 21 h 23 après l’avoir appelée sur son téléavertisseur à 21 h 22. Le 10 avril, il l’appelle sur son cellulaire à 20 h 25 et 20 h 27. Le 17 avril, il l’appelle sur son téléavertisseur à 22 h 54, 22 h 56 et 22 h 57. Le 19 avril, il l’appelle sur son cellulaire dans la nuit à 2 h 33, 2 h 34, 3 h 02 et 3 h 44. Daniel Pelletier est incapable de dire pourquoi il a appelé Julie Goguen en pleine nuit.
[64] Daniel Pelletier leur déclare être victime d’une arnaque qui est le fait des filles. Il ajoute même qu’il savait qu’en amenant des filles sur le contrat, il y aurait des problèmes.
[65] Le 6 mai, les deux dirigeants de Sécuritas quittent Daniel Pelletier en lui disant de ne pas hésiter à communiquer avec eux s’il se rappelle certaines choses. Le lendemain, Jean Ruel informe Carole Beaudry que Daniel Pelletier est retiré du contrat de la Place Bonaventure et qu’il sera remplacé.
[66] Le 8 mai, Daniel Pelletier appelle Philippe Yaworsky. Il lui répète être victime d’un coup monté. Il lui raconte que Julie Goguen connaît très bien Jean Ruel et son épouse et qu’elle a un passé douteux en plus d’avoir plusieurs hommes dans sa vie en même temps.
[67] Le 21 mai 2004, Carole Beaudry envoie un courriel à Daniel Pelletier dans lequel elle s’interroge sur les plaintes portées contre lui et lui certifie n’avoir rien à voir avec cela. Elle écrit qu’il s’agit d’un coup monté pour le sortir du contrat de la Place Bonaventure. Elle ajoute qu’elle pense à quitter Place Bonaventure et, lorsqu’elle sera installée ailleurs, à venir le chercher.
[68] Ce n’est qu’après la réception des comptes de cellulaire de Daniel Pelletier et de Julie Goguen pour le mois d’avril, quelque part à la mi-mai, que Philippe Yaworsky conclut qu’il y a faute grave et qu’il décide de congédier Daniel Pelletier. En effet, le compte de téléphone cellulaire de Daniel Pelletier indique qu’il a placé des appels sur le cellulaire de Julie Goguen le 27 avril à 11 h 02, 11 h 11, 16 h 12, 16 h 37, 19 h 47, sur son téléavertisseur à 19 h 48, sur son cellulaire à 20 h 27, sur son téléavertisseur à 20 h 28, sur son cellulaire à 20 h 34 et, finalement, sur son téléavertisseur à 21 h 27 et 22 h 21.
[69] Quant au compte de cellulaire de Julie Goguen, il indique qu’elle a appelé Daniel Pelletier sur son cellulaire à 19 h 50, 20 h 30 et 22 h 24 et qu’elle a téléphoné à Jean Ruel à 20 h 55 sur son cellulaire. Enfin, ces comptes indiquent que Julie Goguen a appelé Daniel Pelletier à 5 h 35 et celui-ci cette dernière à 6 h 12.
[70] Pour Philippe Yaworsky, ces comptes permettent d’établir la vérité quant à l’incident du 27 avril. Ils confirment la version des faits donnée par Julie Goguen pour le 27 et même pour le lendemain 28. Pour sa part, Daniel Pelletier est incapable d’expliquer ses appels.
[71] Le 26 mai 2004, Philippe Yaworsky et Jean Ruel remettent en main propre à Daniel Pelletier sa lettre de congédiement (pièce E‑5).
[72] Avant la rencontre du 6 mai, Daniel Pelletier n’a aucune idée des plaintes déposées contre lui. Sa seule piste le mène vers un agent affecté au quai de chargement, qu’il a forcé à entrer au travail à ce poste alors que celui-ci ne voulait pas. C’est lors de cette rencontre qu’il apprend la nature des plaintes formulées contre lui par Julie Binette et Julie Goguen. Il en nie totalement le contenu. Il se déclare victime d’une arnaque fomentée, entre autres, par ces deux dernières personnes.
[73] Daniel Pelletier nie totalement avoir eu une relation sexuelle avec Julie Goguen et lui avoir même formulé quelque proposition que ce soit en ce sens.
[74] Il reconnaît être allé la reconduire chez elle deux fois. Une première fois, où il l’a laissé devant chez elle sans entrer. Une autre fois, il est entré et ils ont mangé de la pizza tout en bavardant.
[75] Il situe cette dernière occasion le 27 février 2003, jour de son anniversaire de naissance. Ce matin là, Julie Goguen a eu un accident avec son auto en se rendant au travail et, à la demande de Carole Beaudry, il est allé la chercher. Le soir, après le travail, il est allé la reconduire parce qu’elle n’avait toujours pas d’automobile. Il est alors entré chez elle et ils ont mangé de la pizza. Il nie avoir posé quelque geste que ce soit à caractère sexuel et avoir eu quelque relation sexuelle que ce soit avec elle à cette occasion. Il a quitté vers 20 h ou 20 h 30 pour retourner chez lui.
[76] Il nie explicitement avoir eu toute relation sexuelle avec Julie Goguen vers la fin du mois de novembre 2002, comme l’affirme cette dernière. Il soutient que la première fois où il l’a reconduite chez elle se situe quelque part entre les Fêtes et le 27 février. De même, il nie également avoir planifié de découcher de chez lui le soir de la fête de Noël, comme l’affirme Julie Goguen.
[77] Daniel Pelletier nie totalement la version des faits racontée par Julie Binette. Il ne se rappelle pas qu’il était assis à côté d’elle lors du souper. Il nie lui avoir dit qu’elle était très belle et « sexy ». Il nie lui avoir pris la main pour la mettre sur son pénis alors qu’ils sont sur la piste de danse et il nie avoir soulevé sa jupe en dansant. S’il l’a touchée, c’est parce qu’il y avait beaucoup de monde sur la piste, de sorte que les danseurs étaient tassés les uns sur les autres.
[78] Il admet, alors qu’elle était assise dans un coin, être allée la chercher en la tirant par la main pour l’amener danser. Il n’a aucune idée de l’heure à laquelle Julie Binette est partie.
[79] Par ailleurs, il admet avoir eu, ce même soir, une discussion avec Julie Goguen. Celle-ci lui avait demandé de surveiller sa consommation d’alcool parce qu’elle le supporte mal. Il est allé la chercher parce qu’elle est en boisson en présence d’un groupe de personnes autres que les agents. Le ton s’est élevé entre les deux. Il nie que l’altercation ait été provoquée par le refus de Julie Goguen qu’il passe la nuit chez elle. Il nie l’avoir traitée de « Criss de salope ». Il n’a aucune idée de l’heure à laquelle elle est partie, si ce n’est qu’elle a quitté avant lui. À part cette altercation, tout s’est bien passé lors de cette fête.
[80] Après avoir quitté la fête de Noël, il a appelé Julie Goguen, alors qu’il est dans son automobile vers 1 h ou 1 h 30, simplement pour s’assurer qu’elle s’est bien rendue chez elle, malgré leur altercation. Il l’a appelée à plusieurs reprises parce qu’elle a la mauvaise habitude de ne pas lui retourner ses appels.
[81] L’épouse de Daniel Pelletier soutient que ce dernier est entré vers 1 h 45 ou 2 h cette nuit-là. Elle s’est levée et ils ont bavardé. Elle a constaté qu’il avait pris un verre, mais son discours était cohérent.
[82] Daniel Pelletier nie avoir fait des colères à Julie Goguen ou l’avoir menacée de lui faire perdre son emploi pour obtenir ses faveurs comme elle l’en accuse. Il ne lui a jamais dit qu’il connaissait bien la cliente et qu’il lui suffirait de lui demander une lettre pour lui faire perdre son emploi. Il nie catégoriquement l’avoir forcée à l’embrasser en obstruant la sortie du bureau. La seule fois où elle l’a embrassé c’est à son anniversaire, le 27 février, et sur la joue.
[83] Toutefois, il reconnaît avoir parfois élevé le ton parce que Julie Goguen ne faisait pas toujours correctement son travail ou parce qu’elle avait cumulé du retard dans l’accomplissement de ses tâches. Il voulait tout savoir de ses faits et gestes parce qu’elle perdait beaucoup de temps et qu’elle n’était jamais au bon endroit. Ainsi, elle perdait du temps lorsqu’elle allait fumer sur le quai de chargement en y attirant quelqu’un et il lui est arrivé d’être allé la chercher pour la ramener au travail.
[84] De même, il reproche à Julie Goguen de parler directement à Luis Perreira et à Sylvain Mathieu et que ce dernier passe beaucoup de temps dans son bureau. Il lui a aussi fait une colère parce qu’elle voulait aller manger avec Réjean Pagé alors qu’elle ne dispose que de trente minutes et que Carole Beaudry lui avait fait remarquer que ce dernier dérangeait le personnel féminin.
[85] Il reconnaît avoir frappé sur le bureau de Julie Goguen lors d’une conversation où il lui reproche de lui jouer un petit jeu en le menaçant de quitter Place Bonaventure et parce qu’elle avait appelé Jean Ruel à ce sujet.
[86] Daniel Pelletier affirme n’avoir jamais appelé Julie Goguen, entre novembre 2002 et avril 2003, pour des raisons autres que reliées au travail. Il reprend dans son témoignage l’explication de l’égarement de son cellulaire lors de l’anniversaire de son fils pour expliquer que Julie Goguen a pu recevoir une fois des appels avec de la musique en arrière-plan.
[87] De plus, à la fin, le cellulaire de Julie Goguen était défectueux et il lui est arrivé que, de façon répétitive, il l’appelle sur son cellulaire, son téléavertisseur et son téléphone à la maison. Elle avait aussi la mauvaise habitude de ne pas lui retourner ses appels. À toutes les fois qu’il voulait lui parler, elle lui disait, « rappelle-moi plus tard, je ne veux pas te parler ». Après les Fêtes, il ne l’appelait pas plus qu’auparavant sur son cellulaire.
[88] Il soutient qu’il est possible qu’il l’ait appelée pour des raisons professionnelles les 27 et 30 décembre.
[89] Lorsque confronté aux comptes qui révèlent des appels très nombreux placés sur le cellulaire, le téléavertisseur et le téléphone du domicile de Julie Goguen, entre 18 h et 6 h, Daniel Pelletier est incapable de donner une justification précise, sinon que de dire que ces appels ont nécessairement été logés pour des raisons professionnelles. Quant aux appels répétitifs, il les explique parce que Julie Goguen ne répondait pas à ses appels et que cela était contraire à la politique en vigueur. L’entreprise lui fournissait un cellulaire et un téléavertisseur pour qu’elle puisse être rejointe en tout temps, elle se devait donc de retourner ses appels parce qu’ils concernaient le travail.
[90] Daniel Pelletier nie être allé chez Julie Goguen le 27 avril. Il nie catégoriquement l’avoir appelée pour lui dire qu’il se rendait chez elle et l’avoir rappelée pour lui dire qu’elle avait fermé son store. Il a passé cette journée à son domicile. Son épouse et sa fille témoignent toutes deux qu’il était à la maison le 27 avril, un dimanche, qu’ils ont soupé ensemble et qu’ils ont passé la soirée au sous-sol à regarder la télévision avec un feu de foyer.
[91] Le 27 avril, il a appelé Julie Goguen au moins deux fois pour lui dire qu’il n’entrerait pas au travail le lendemain, comme son épouse le lui avait suggéré puisqu’il ne se sentait pas bien. Celle-ci confirme lui avoir suggéré de se déclarer malade pour la journée du lundi 28 avril et elle dit avoir eu connaissance lorsqu’il a appelé son adjointe pour se déclarer malade, sans entendre la conversation.
[92] Daniel Pelletier affirme s’être reposé le 28 avril. Ce n’est que vers 9 h qu’il a appelé au bureau pour régler certains détails relatifs à l’entrée en fonction d’une nouvelle employée ce matin-là. En avant-midi et à l’heure du dîner, il communique avec Julie Goguen pour des raisons reliées au travail. En après-midi, Jean Ruel lui annonce qu’il est suspendu pour fin d’enquête suite à des plaintes de harcèlement. Malgré l’avertissement reçu, il appelle Julie Goguen pour savoir ce qui se passe. Il appelle également Carole Beaudry pour la même raison. Cette dernière lui confirme avoir reçu un appel de Jean Ruel pour lui dire qu’il était suspendu pour fin d’enquête et qu’elle n’en savait pas plus.
[93] Daniel Pelletier explique être victime d’une arnaque parce qu’il a refusé d’embarquer dans un complot pour que Carole Beaudry perde son poste auprès de la Place Bonaventure. Le 27 mars, Jean Ruel rencontre Daniel Pelletier, Julie Goguen, Réjean Pagé, et Valérie Bourassa, responsable de l’affectation des agents. Parce que Carole Beaudry est incompétente et parce qu’elle est trop exigeante, Jean Ruel leur demande leur appui pour lui faire perdre son poste. Daniel Pelletier refuse de participer à ce complot et il reproche à Julie Goguen d’être embarquée dans ce petit jeu. À partir de là, dit Daniel Pelletier, Julie Goguen et Jean Ruel ont comploté pour avoir sa tête.
[94] D’un côté, deux personnes disent avoir été victimes de harcèlement de la part de Daniel Pelletier et, de l’autre, celui-ci nie fermement les incidents dont elles l’accusent. Il faut chercher laquelle des deux versions est la plus probante pour décider de la présente affaire. Si les témoignages de Julie Binette et Julie Goguen sont tenus pour avérés, il faudra ensuite se demander si les gestes posés par Daniel Pelletier constituent du harcèlement sexuel.
[95] Il convient ici de rappeler brièvement l’état du droit en matière de harcèlement sexuel en milieu de travail. D’abord, la Cour suprême, dans l’arrêt Robichaud c. Canada [Conseil du trésor], ( [1987] 2 R.C.S. 84 ), reconnaît clairement qu’un employeur peut être tenu responsable des actes commis par ses employés lorsque ces actes sont reliés de quelque manière à l’emploi. Ensuite, dans l’arrêt Janzen c. Platy Entreprises Ltd ( [1989] 1 R.C.S. 1252 ), la Cour suprême définit le harcèlement sexuel. À la page 1284, le juge Dikson s’exprime comme suit :
Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j’estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement. (…) Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.
[96] De plus, la Charte des droits et libertés de la personne (R.L.Q., c. C-12) s’applique en l’espèce. Ainsi, son article 10 interdit de faire de la discrimination sur la base de divers motifs dont le sexe. De plus, l’article 10.1, ajouté en 1983, a pour effet de clairement interdire de harceler une personne en raison de l’un des motifs énumérés à l’article 10, notamment le sexe.
[97] Ces articles se lisent comme suit :
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
10.1 Nul ne doit harceler une personne en raison de l’un des motifs visés dans l’article 10.
[98] Dans une décision récente (Institut universitaire de gériatrie de Montréal c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2680, D.T.E. 2002T-471 ), où après avoir rappelé la définition de harcèlement sexuel donné par la Cour suprême et cité les clauses de la convention collective l’interdisant, l’arbitre Jean-Pierre Lussier écrit :
Ceci précisé, le principal problème dans un litige mettant en cause des conduites s’apparentant à du harcèlement sexuel, réside dans la preuve de la conduite fautive. Généralement, les comportements déplacés de nature sexuelle ne se font pas au grand jour, devant de nombreux témoins. C’est pourquoi certaines preuves, notamment celle d’actes similaires, revêtent une importance particulière.
À ce sujet, citant un ouvrage de Me Maurice Drapeau, l’arbitre Hamelin s’exprimait ainsi.
En matière d’infractions liées au harcèlement sexuel et compte tenu de l’absence habituelle de témoins, cette preuve d’actes similaires acquiert une importance toute particulière. Me Drapeau l’a d’ailleurs fort bien expliqué, dans les termes suivants :
« 8.2 Les moyens de preuve
Compte tenu du fait que, dans la plupart des causes de harcèlement sexuel, il sera impossible de trouver des témoins qui ont assisté aux incidents, les tribunaux d’arbitrage des droits et les tribunaux judiciaires acceptent deux moyens de preuve indirecte à titre de corroboration : la preuve d’actes similaires et la preuve d’une plainte spontanée de la victime.
Dans la cause de Graeser c. Porto, l’arbitre Zemans expose éloquemment la rationalité justifiant l’admissibilité de tels moyens de preuve indirecte « rarely will one sexually harass another in full public view (…) These events usually take place behind closed doors or with no witnesses present ».
« Extraneous sources of evidence come in play within this context, and where such is the case, the trier of fact should be receptive to [such] evidence. »
8.2.1 La preuve d’actes similaires
Afin de pallier l’absence de preuve directe, la preuve d’actes similaires, c’est-à-dire la preuve que le mis en cause aurait eu la même conduite harcelante envers d’autres employées, tend à démontrer un certain comportement type à l’égard des femmes, ce qui renforce la probabilité que la plaignante ait pu en être victime. »
Outre ces considérations sur la preuve d’actes similaires, il est important aussi de conserver à l’esprit les critères habituels d’appréciation des témoignages. L’arbitre Boisvert, saisi d’un congédiement pour des comportements sexuels inappropriés à l’égard des bénéficiaires, résumait ces critères comme suit :
Le premier critère utilisé par les tribunaux est celui de la vraisemblance d’une version. En vertu de ce critère, un tribunal appelé à choisir entre deux versions contradictoires, préférera celle qui lui apparaît la plus vraisemblable.
Un second critère est fondé sur l’intérêt d’un témoin à rendre témoignage. En vertu de ce critère, un tribunal devra étudier attentivement, avant de le retenir, le témoignage d’une personne qui a un intérêt dans le sort d’un litige, surtout lorsque ce témoignage est contraire à celui rendu par une autre personne, qui elle n’a aucun intérêt. Un troisième critère réside dans l’absence de contradictions sur des points essentiels entre plusieurs témoins qui relatent un même événement. En fait, on peut concevoir que plusieurs personnes qui vivent un même événement le perçoivent et le racontent différemment, mais de trop nombreuses contradictions, ou encore des contradictions difficilement explicables, sont souvent des indices révélateurs d’une version non crédible.
Un quatrième critère est celui de la corroboration. Confronté à deux versions contradictoires, dont l’une est corroborée par un fait incontestable, et l’autre ne l’est pas, un tribunal doit préférer la première, puisque la corroboration constitue une garantie d’authenticité.
Un cinquième critère souvent retenu par les tribunaux, veut que l’on préfère normalement le témoignage d’un témoin crédible qui affirme l’existence d’un fait au témoignage de celui qui se contente d’en nier l’existence.
(Renvois omis)
[99] C’est avec ces critères que la Commission a analysé la preuve pour en venir aux conclusions qui suivent.
[100] Dans la preuve soumise, certains faits ne font l’objet d’aucune dénégation. Il importe de les souligner car ils ajoutent au décor sur lequel se jouent les incidents les plus importants. Ainsi, la blague avec le plat de bonbons n’est pas niée, ni l’avertissement formulé à ce sujet par Jean Ruel à Daniel Pelletier. Blague que Julie Binette dénonce également dans sa plainte écrite. De plus, n’est pas contredit le témoignage de Sylvain Mathieu quant à la gêne qu’il éprouve devant l’attitude et les commentaires de Daniel Pelletier, lorsqu’ils croisent une jolie femme.
[101] La preuve démontre aussi, sans aucun doute, que Daniel Pelletier est d’un tempérament colérique et inquiet. Il s’emporte facilement en haussant le ton envers ses adjoints, y compris Julie Goguen. Carole Beaudry a été témoin de certaines de ses colères. De même, il n’est pas nié que Jean Ruel soit intervenu auprès de Daniel Pelletier à quelques occasions pour qu’il modifie son comportement à cet égard.
[102] À première vue, la plainte de Julie Binette soulève des interrogations, ne serait-ce parce qu’elle est formulée plus de trois mois après la fête de Noël et au moment où elle est, elle-même, visée par une plainte signalée par Carole Beaudry. Julie Binette fournit deux motifs pour ne pas avoir porté plainte avant. D’abord, parce qu’elle ne savait pas que la politique contre le harcèlement s’appliquait aussi lors d’activités tenues hors du lieu de travail. Ensuite, parce qu’elle venait tout juste d’être affectée au kiosque d’information par Daniel Pelletier et qu’elle ne voulait pas le perdre. Ces motifs sont crédibles. Le seul retard pour porter plainte n’est pas suffisant pour mettre en doute la véracité des accusations. Toutefois, il diminue considérablement la gravité des effets néfastes qu’a pu ressentir Julie Binette en raison des gestes posés par Daniel Pelletier. Le fait qu’elle dépose sa plainte alors qu’elle est visée par une plainte quant à son travail contribue aussi à réduire les effets néfastes.
[103] Il est possible que Julie Binette passait une période difficile à l’époque de la fête de Noël car elle venait d’apprendre qu’elle était enceinte, que le père de l’enfant était un employé de Sécuritas à la Place Bonaventure et qu’elle se demandait si elle garderait l’enfant. Mais en quoi, comme le soutient Daniel Pelletier, cet état de fait peut-il expliquer qu’elle invente des faits qui ne sont pas vrais? Si elle a connu une période difficile, c’est au moment où elle est tombée enceinte, au moment de la fête de Noël. Trois mois après, cette période difficile est passée et elle ne peut certes pas constituer une explication pour que Julie Binette accuse faussement Daniel Pelletier.
[104] La consommation d’alcool au travail n’est pas véritablement un problème chez Daniel Pelletier. Carole Beaudry ne l’a jamais vu en état d’ébriété. Elle nie avoir dit « As-tu pris ton sirop? », comme le rapporte Julie Binette. Le seul incident démontré est celui d’une bouteille de rhum reçu le jour de son anniversaire. Daniel Pelletier en a offert un verre à Louis Perreira et Sylvain Matthieu et s’en être servi un.
[105] En fait, l’accusation portée par Julie Binette quant à la consommation d’alcool de Daniel Pelletier est sans véritable fondement.
[106] Les gestes reprochés à Daniel Pelletier lors de la fête de Noël ne sont corroborés par aucun témoin, même si Julie Binette a identifié certains agents présents sur la piste de danse. Julie Binette a raconté les faits à son ami Réjean Pagé lorsqu’il vient la chercher et lui non plus n’a pas témoigné. Le seul élément de corroboration est fourni par Julie Goguen qui dit avoir vu Julie Binette quitter la fête en pleurs. Par ailleurs, Carole Beaudry affirme que Daniel Pelletier lui a raconté avoir pris beaucoup d’alcool à l’occasion de la fête de Noël avec ses employés et qu’il avait fini cela aux petites heures.
[107] Pourtant, la version de Julie Binette est crédible de par les détails qu’elle fournit, où il n’y a aucune contradiction, et de par son attitude au moment de son témoignage.
[108] Mais avant tout, ce sont les dénégations de Daniel Pelletier qui sont peu crédibles. Ainsi, lors de la rencontre du 6 mai 2003, selon Philippe Yaworsky, il nie tout ou ne se rappelle de rien lorsqu’on lui parle de la fête de Noël. Toutefois, Daniel Pelletier utilise un langage pour décrire Julie Binette qui laisse voir qu’il l’a remarquée : « elle dansait comme une topless… C’est elle qui se frotte sur lui et elle est habillée sexy… » Il ajoute que les agissements de Julie Binette sont une invitation car elle agit comme cela seulement avec lui. De ses propos, il semble que ce soit plutôt elle qui l’a provoqué.
[109] Par ailleurs, dans son témoignage devant la Commission, Daniel Pelletier utilise un autre niveau de langage. Si leurs corps se sont touchés, c’est simplement parce qu’il est à côté d’elle et parce qu’il y a beaucoup de monde sur la piste de danse. Ce changement d’attitude de la part de Daniel Pelletier tend à démontrer qu’il ment.
[110] Il est plausible que, sous l’effet de la boisson, Daniel Pelletier ait posé des gestes déplacés. Celui-ci s’est ouvert à Carole Beaudry de ce qu’il en avait pris toute une ce soir-là et d’être entré chez lui à une heure avancée. Son épouse elle-même a constaté qu’il a pris de la boisson. Mais, même si ce n’est pas au point d’être incapable de tenir une conversation cohérente, il n’empêche que sa consommation peut expliquer ses gestes.
[111] Pour ces raisons, il faut donc tenir pour avérés les incidents que Julie Binette reproche à Daniel Pelletier lors de la fête de Noël, même s’il faudra en réduire la gravité de leurs effets néfastes quand viendra le temps de déterminer la sanction appropriée.
[112] Il faut d’abord déterminer qui dit vrai quant à l’existence ou non d’une relation sexuelle entre Julie Goguen et Daniel Pelletier à la fin de novembre. Il convient de préciser que la relation sexuelle en soi n’est pas un geste de harcèlement dans la mesure où Julie Goguen y a consenti de son plein gré et en avait même envie sur le moment, dit-elle. Toutefois, dans la présente affaire, l’existence ou non de cette relation constitue un élément important dans l’appréciation des faits et pour décider de la crédibilité des personnes entendues.
[113] Pourquoi Julie Goguen reconnaîtrait-elle avoir eu une telle relation avec son supérieur hiérarchique? Elle n’a aucun intérêt à reconnaître qu’elle a rapidement succombé à ses charmes.
[114] Julie Goguen situe cette relation sexuelle quelque part à la fin de novembre. Elle ne se rappelle pas exactement à quel moment. De plus, elle reconnaît que Daniel Pelletier la reconduite chez elle une autre fois sans entrer, probablement le 27 février.
[115] Il est vrai que, selon son relevé d’heures supplémentaires (pièce E-2), Daniel Pelletier est en vacances dans la semaine du 23 novembre. Toutefois, lui-même affirme être demeuré à la maison d’où il a continué à régler les choses comme s’il était au bureau. Il se peut que sa visite au domicile de Julie Goguen se situe un peu avant ou un peu après ces quelques jours de vacances. Pour cette raison, cette semaine de vacances n’infirme pas le témoignage de Julie Goguen.
[116] De son côté, Daniel Pelletier déclare n’être entré qu’une seule fois chez Julie Goguen. Mais, il se contredit sur le moment où cela est arrivé. Lors de son témoignage dans la preuve de l’employeur en février 2004, il déclare être entré chez elle et y avoir mangé de la pizza, avant le 27 février 2003, et être allé la reconduire sans entrer, le 27 février. Lors de le reprise de son témoignage dans sa preuve en juillet 2004, Daniel Pelletier déclare être allé la reconduire une première fois, entre les Fêtes et le 27 février, sans entrer chez elle et y être allé une seconde fois, le 27 février, où il est entré et ils ont mangé de la pizza.
[117] La première version est compatible avec le témoignage de Julie Goguen, si ce n’est qu’il situe après les Fêtes, plutôt qu’à la fin du mois de novembre, le moment où il est entré chez elle.
[118] Dans sa deuxième version, Daniel Pelletier entre chez Julie Goguen le 27 février et ils mangent de la pizza jusque vers 20 h ou 20 h 30. Or, le 27 février, c’est le jour de son anniversaire. Il est surprenant que Daniel Pelletier passe ainsi deux heures à manger de la pizza chez son adjointe, qu’il ne soit pas attendu à la maison pour souligner l’événement, alors que son épouse lui a fait parvenir un bouquet de fleurs et une bouteille de rhum à son bureau dans la journée. Voilà qui milite en faveur de la version de Julie Goguen.
[119] De plus, celle-ci indique que Daniel Pelletier a une cicatrice sur la partie inférieure du torse et qu’il n’est pas circoncis. Comment peut-elle connaître ces détails alors que celui-ci affirme n’avoir jamais enlevé sa chemise en présence de son adjointe? Daniel Pelletier déclare que souvent il a parlé au travail de l’opération qu’il a subie et qui lui a laissé pareille cicatrice. Cela peut expliquer que son adjointe connaît l’existence de cette cicatrice. Mais qu’en est-il de la circoncision? La fille de Daniel Pelletier confirme qu’à sa connaissance personnelle son père n’est pas circoncis, affirmation que ce dernier n’a pas contredite. Comment Julie Goguen peut-elle connaître ce fait? Poser la question, c’est y répondre. Ces deux détails sur le physique de Daniel Pelletier donnent également à penser que Julie Goguen a raison.
[120] L’absence de contradictions et les détails fournis par Julie Goguen dans son témoignage, les contradictions et les invraisemblances dans celui de Daniel Pelletier permettent de tenir pour avérée la version de Julie Goguen voulant qu’elle ait eu une relation sexuelle avec son supérieur à la fin du mois de novembre 2002. L’existence de cette relation rend alors plausibles les autres incidents reprochés à Daniel Pelletier.
[121] Julie Goguen conclut rapidement que sa relation amoureuse avec son supérieur n’a pas de sens et elle décide d’y mettre fin. Elle lui annonce, le soir de la fête de Noël, qu’elle met fin à leur relation et que, dorénavant, leurs rapports resteront au seul niveau professionnel. On peut trouver curieux qu’elle choisisse cette soirée pour lui en faire l’annonce. Mais, cela se tient si, effectivement, elle ne veut pas qu’il vienne passer la nuit chez elle, comme planifié.
[122] Daniel Pelletier nie qu’il avait de la sorte trouvé une excuse pour découcher. Son épouse confirme qu’il ne lui a jamais dit qu’il ne viendrait pas coucher ce soir-là. Rien ne permet de dire que Daniel Pelletier avait annoncé à son épouse avant la soirée qu’il découcherait. Toutefois, il pouvait avoir prévu de l’appeler dans la soirée pour le lui annoncer.
[123] Si Julie Goguen a mis fin de la sorte à leur relation amoureuse, il est logique de croire que Daniel Pelletier a mal réagi. Or, Daniel Pelletier reconnaît avoir eu une altercation avec celle-ci lors de la fête de Noël. Toutefois, il soutient qu’elle porte sur un objet différent. Celui-ci soutient que c’est en raison de la consommation d’alcool de son adjointe. Celle-ci lui avait demandé de la surveiller. Il est allé la chercher alors qu’elle s’amuse avec un groupe autre que celui des agents de Sécuritas. Une fois encore, autant d’un côté comme de l’autre, aucun témoin n’est entendu pour corroborer l’une ou l’autre version.
[124] Mais ce qui est significatif ce sont les appels que Daniel Pelletier place à Julie Goguen cette nuit-là. Alors qu’il ignore à quelle heure elle a quitté la fête, il l’appelle à sept reprises sur son cellulaire et deux fois sur son téléavertisseur entre 2 h 08 et 2 h 45. Il veut simplement savoir si elle s’est bien rendue chez elle malgré leur altercation. Pourquoi se préoccuper de Julie Goguen après 2 h cette nuit-là, alors qu’il ne sait pas à quelle heure elle a quitté la fête? Ce n’est donc pas simplement parce qu’elle a consommé de l’alcool que Daniel Pelletier cherche à parler à Julie Goguen. Il s’est passé autre chose et cela tend à accréditer la version de Julie Goguen. Il faut tenir pour avérée la version de Julie Goguen sur ce qui s’est passé le soir de la fête de Noël.
[125] Il est évident que les comptes de téléphones cellulaires démontrent des appels persistants de la part de Daniel Pelletier auprès de Julie Goguen et cela à des heures pour les moins indues.
[126] Daniel Pelletier a relevé certaines erreurs dans les comptes déposés en preuve où un appel apparaît sur un compte mais pas sur l’autre. Or, les parties ont admis que la machine qui enregistre les appels de cellulaires peut commettre certaines erreurs. Cela explique les erreurs et non-concordances relevées par Daniel Pelletier. Toutefois, il est fort improbable que cette machine enregistre des appels qui n’ont pas été placés par le titulaire de l’appareil. Les erreurs sont plutôt dans le cas d’appels reçus qui ne sont pas enregistrés. De plus, force est de constater que les erreurs ou non-concordances relevées par Daniel Pelletier ne sont pas suffisamment nombreuses et importantes pour modifier le portrait global qui se dégage des comptes de cellulaires.
[127] Ces comptes révèlent que Daniel Pelletier appelle Julie Goguen pendant les vacances des Fêtes. Ce ne sont pas simplement des appels pour lui souhaiter de Joyeuses Fêtes, car la seule explication qu’il donne c’est que ses appels sont pour des raisons professionnelles, surtout ceux placés le 27 décembre. Or, selon sa feuille de temps contresignée par Carole Beaudry (pièce E-2) il est en vacances du 24 décembre 2002 au 3 janvier 2003. Il appelle même Julie Goguen lorsqu’il est chez Carole Beaudry au Jour de l’An. Il quitte vers 2 h ou 3 h dans la nuit. Et, cette dernière dit qu’il ne s’est rien passé cette nuit-là à la Place Bonaventure nécessitant son intervention ou celle de Daniel Pelletier. Celui-ci ment carrément dans sa tentative pour expliquer ces appels.
[128] Il ne fait nul doute que parmi les nombreux appels placés auprès de Julie Goguen, il y en a reliés strictement au travail. Ainsi, comme la plupart du temps les salons ferment leurs portent à 22 h, il est possible que le directeur du site communique avec son adjointe ces jours-là, jusqu’à cette heure-là. Or, tous les appels répétitifs, qui sont énumérés plus haut au paragraphe [63], sont placés des journées où il n’y a aucun salon d’exposition qui se tient à la Place Bonaventure selon le calendrier des salons déposé en preuve (pièce E-14).
[129] Par ailleurs, tous les appels que Julie Goguen a placés à partir de son cellulaire vers Daniel Pelletier entre 20 h et 22 h 30 l’ont été des jours où se tiennent des salons à la Place Bonaventure. Les seuls qui ne le sont pas l’ont été le 7 décembre, la nuit de la fête de Noël, et le 27 décembre alors que Julie Goguen retourne à 23 h 49 un appel de Daniel Pelletier placé à 23 h 48. Il en est de même le 15 mars, alors qu’elle retourne à 21 h 24 un appel placé par Daniel Pelletier à 21 h 22 et, le 24 avril, alors qu’elle lui retourne à 19 h 30 et 19 h 33 son appel de 19 h 26.
[130] Pour que Daniel Pelletier appelle son adjointe aussi souvent sur son cellulaire ou sur son téléavertisseur après 20 h pour des raisons professionnelles, il a dû se passer des événements marquants ou importants à la Place Bonaventure. Daniel Pelletier devrait donc être capable de se souvenir de certains de ces faits qui ont justifié son intervention et celle de son adjointe à de pareilles heures. Or, il est incapable d’identifier un seul incident de cette nature. Il se cantonne à dire simplement que tous ces appels étaient pour des raisons professionnelles. Évidemment, il est concevable qu’il ne se rappelle pas la date précise d’un incident qui l’aurait amené à contacter Julie Goguen après 20 h. Toutefois, il est invraisemblable qu’il soit incapable d’en identifier un seul. Or, Julie Goguen dit que les trois quarts des appels qu’elle reçoit de Daniel Pelletier ne sont pas reliés au travail. Les comptes de cellulaire accréditent cette dernière version des faits, à tout le moins pour ceux après 20 h.
[131] Pour expliquer la répétition de ses appels, Daniel Pelletier dit que Julie Goguen avait la mauvaise habitude de ne pas retourner ses appels. Or, en agissant ainsi elle contrevenait aux directives reçues et Daniel Pelletier aurait dû lui donner un avis disciplinaire surtout que cela s’est produit à plusieurs reprises. Rien de tout cela dans la preuve. Il faut donc croire que les appels à Julie Goguen étaient sans lien avec le travail, car son supérieur ne lui en fait pas officiellement reproche.
[132] Daniel Pelletier est incapable de fournir des explications qui tiennent quant à ses nombreux appels auprès de Julie Goguen après 20 h. Daniel Pelletier ne semble pas avoir prévu que les comptes de cellulaires pouvaient le trahir à ce point et qu’ils jetteraient par terre toute sa stratégie développée pour camoufler son comportement auprès de son adjointe. Ces comptes font de Daniel Pelletier un témoin qui n’a aucune crédibilité, d’autant qu’il s’est entêté à soutenir que tous ces appels s’expliquaient uniquement par des raisons professionnelles alors que tel ne peut être le cas à l’évidence. Il faut donc en conclure que Daniel Pelletier harcelait son adjointe par ses appels sans aucun rapport avec le travail.
[133] Il est vrai que Daniel Pelletier a toujours dit qu’il était chez lui le 27 avril et qu’il a toujours nié s’être rendu au domicile de Julie Goguen ce jour-là. Toutefois, la version de Julie Goguen quant aux événements du 27 avril doit être retenue pour avérée.
[134] La version de Daniel Pelletier ne peut pas être retenue même si son épouse et sa fille ont témoigné qu’il était à la maison le dimanche 27 avril à l’heure du souper et dans la soirée. Il faut écarter leur témoignage parce qu’elles se sont contredites. Son épouse dit qu’ils ont soupé, leur fils ayant préparé une pizza, et, ensuite, ils sont descendus au sous-sol où ils ont fait un feu de foyer et regarder la télévision. Sa fille dit qu’ils ont mangé au sous-sol en regardant la télévision après qu’un feu de foyer a été allumé. Cette dernière ne se rappelle pas qui a préparé le souper.
[135] De plus, la fille de Daniel Pelletier déclare avoir appris le 28 avril en soirée qu’une plainte de harcèlement a été déposée contre son père. On lui a alors dit que son père est censé être allé chez une de ses employées la veille. Elle et sa mère trouvaient absurde le 28 avril qu’une telle accusation soit formulée. Or, le 28 avril, Daniel Pelletier ignore tout de la teneur de la plainte de harcèlement déposée contre lui. Cela est confirmé par la preuve. D’une part, Jean Ruel, qui lui a annoncé sa suspension, précise bien qu’il ne lui a rien dit sur l’identité des personnes qui ont déposé une plainte et sur le contenu de ces plaintes. Ce n’est que lors de la rencontre du 6 mai que celui-ci et Philippe Yaworsky ont identifié ces personnes et la nature de ces plaintes. D’autre part, Carole Beaudry indique bien que lors de sa conversation avec Daniel Pelletier, le 28 avril, tous deux ignorent tout de la nature des plaintes. Ils évoquent seulement la possibilité que cette plainte ait été formulée par un agent que Daniel Pelletier a contraint à travailler au quai de chargement.
[136] Sylvain Matthieu, l’ami de cœur de Julie Goguen, est également témoin des événements vécus par cette dernière ce 27 avril. Il est avec elle lorsqu’elle reçoit les appels téléphoniques de Daniel Pelletier. Il l’entend dire : « Je ne veux pas te voir » lors du premier appel. Lors du deuxième appel, il a vu le numéro du téléphone qui entrait et il a reconnu le numéro de Daniel Pelletier, car son propre cellulaire était à côté de celui de Julie Goguen sur le comptoir de la cuisine. Il a entendu cette dernière dire « Va-t’en chez vous… Je ne veux pas te voir, je suis avec quelqu’un... » Il s’est levé pour regarder par la fenêtre et il a aperçu les feux arrière d’une automobile dans la rue. Julie Goguen lui dit alors que c’est Daniel Pelletier dans l’automobile. Même s’il n’a pas entendu les propos de l’interlocuteur de Julie Goguen, il n’en demeure pas moins qu’il corrobore pour partie la version de Julie Goguen.
[137] Enfin, les comptes des cellulaires pour le mois d’avril confirment la version de Julie Goguen. Une fois encore, ils trahissent Daniel Pelletier. D’abord, les heures des appels concordent avec la version donnée par Julie Goguen. Ensuite, pourquoi un dimanche Daniel Pelletier a-t-il besoin d’appeler aussi souvent son adjointe? Il lui a placé sept appels sur son cellulaire et quatre sur son téléavertisseur à différentes heures de la journée. Il ne peut certes pas prétendre qu’il a oublié l’incident survenu à la Place Bonaventure nécessitant qu’il communique avec son adjointe ce jour-là, la veille même de sa suspension. Daniel Pelletier n’a aucune crédibilité lorsqu’il fournit encore pour seule explication que ses appels à son adjointe s’expliquent par des raisons professionnelles.
[138] Daniel Pelletier, nie qu’il faisait des colères à Julie Goguen et qu’il la menaçait de congédiement en lui disant des choses comme « C’est grâce à moi si tu as ce poste… » ou encore « Une seule lettre de la cliente suffirait à te faire renvoyer du contrat… ». Il nie également qu’il lui bloquait parfois la porte du bureau pour pouvoir l’embrasser, ce à quoi celle-ci admet avoir consenti à certaines occasions plutôt que de subir une colère.
[139] À l’égard de ces incidents, il faut tenir pour vraie la version de Julie Goguen. D’une part, parce qu’il faut préférer la version du témoin qui affirme l’existence d’un fait à celle du témoin qui en nie simplement l’existence. D’autre part, Daniel Pelletier offre un témoignage qui, dans son ensemble, est plein de contradictions et d’oublis et qui pour partie importante est contredit par les comptes de cellulaires. Cela lui fait perdre toute crédibilité. De plus, Carole Beaudry affirme que Daniel Pelletier lui a dit avoir menacé Julie Goguen de lui faire perdre son emploi en obtenant une lettre de sa part. Elle précise qu’il utilisait ce chantage à l’occasion. Il faut donc tenir ces faits pour avérés.
[140] Daniel Pelletier soutient qu’il est victime d’une arnaque de la part de Jean Ruel et de Julie Goguen pour avoir sa peau. Pour lui, Julie Goguen est la protégée de Jean Ruel: ils se connaissaient avant l’embauche de celle-ci, elle parle fréquemment à l’épouse de celui-ci et il lui fait verser le plein salaire d’adjointe avant même que sa période de probation de trois mois ne soit terminée.
[141] Selon lui, l’arnaque commence avec la lettre que Julie Goguen envoie à Jean Ruel, le 25 mars, pour lui parler de son manque de motivation et d’intérêt (pièce P-2). Daniel Pelletier soutient que cette lettre, dont il n’a pas reçu copie, a convaincu Jean Ruel qu’il leur fallait obtenir la tête de Carole Beaudry. Jean Ruel décide alors de convoquer les dirigeants de Sécuritas sur le site de Place Bonaventure à la réunion du 27 mars.
[142] L’objectif véritable de cette rencontre est d’obtenir la tête de Carole Beaudry, parce qu’elle est trop exigeante et incompétente. Daniel Pelletier refuse alors d’embarquer dans ce complot. C’est en raison de ce refus que les deux s’organisent pour le faire congédier.
[143] Pour le faire partir, on sort des tiroirs la plainte de Julie Binette, que Philippe Yaworsky n’a pas traitée au moment où elle est portée. Ensuite, on annonce, le 7 mai, son retrait de la Place Bonaventure, ce qui a pour conséquence qu’il ne peut aller travailler sur aucun des autres contrats de Sécuritas. Ce sont deux éléments qui font partie de l’arnaque.
[144] Cette théorie de l’arnaque ne tient nullement la route. Julie Goguen et Jean Ruel se connaissaient avant l’embauche de celle-ci, il est vrai. Mais, leurs relations n’ont jamais eu le degré d’intimité que Daniel Pelletier leur accorde. Julie Goguen a rencontré l’épouse de Jean Ruel à environ cinq occasions, mais jamais elle ne l’appelle chez elle pour lui parler. Il s’agit là d’une affirmation gratuite et Daniel Pelletier a inventé une intimité à leurs relations qui n’existe pas. Le ton de la lettre du 25 mars (pièce P-2) en est aussi un reflet que Julie Goguen et Jean Ruel ne sont pas des intimes : il s’agit de la lettre d’une subordonnée à un supérieur et non celle adressée à un ami.
[145] Julie Goguen reconnaît que Carole Beaudry n’est pas entièrement satisfaite de sa prestation de travail et qu’elle s’en est ouverte à Daniel Pelletier et à Jean Ruel. Il est vrai que Julie Goguen trouve cette dernière exigeante. Elle demande même à Jean Ruel d’être retirée du contrat pour cette raison. Toutefois, ce n’est pas suffisant pour justifier un complot pour faire perdre son poste à Carole Beaudry.
[146] Par ailleurs, certains problèmes existent au niveau des relations entre les employés de Sécuritas à la Place Bonaventure. Jean Ruel en est conscient. À la rencontre du 27 mars, il est question, entre autres choses, de ces relations entre les membres de l’équipe, mais aussi de leurs relations avec Carole Beaudry. Toutefois, ce dernier point prend une grande place lors de la réunion. Jean Ruel les invite à demander à Carole Beaudry des documents et des courriels pour confirmation et à en garder copie afin de se protéger. On est loin d’un complot pour avoir la tête de celle-ci. Si Daniel Pelletier refuse effectivement d’embarquer dans ce complot, si complot il y a, la preuve ne révèle nullement ce qu’il fait pour s’en démarquer.
[147] Même Carole Beaudry dit à Daniel Pelletier ne trouver aucune preuve d’un complot, le 21 mai, dans un courriel qu’elle lui adresse (pièce E-34). Elle écrit avoir beau croire encore à un « coup monté » en parlant des plaintes déposées contre lui, mais elle est incapable d’en trouver la preuve.
[148] On peut évidemment s’interroger sur le délai entre le dépôt de la plainte de Julie Binette et le moment où on commence à s’en occuper. D’abord, Jean Ruel est en vacances au moment où cette plainte est formulée. Il en apprend le contenu à son retour et n’est pas impliqué dans le traitement de la plainte. Par ailleurs, il est vrai que cette plainte a pu être prise à la légère par Philippe Yaworsky, principalement parce qu’elle est formulée plusieurs mois après les événements principaux et, cela, au moment même où l’auteure de cette plainte est elle-même visée par une plainte. Toutefois, comme le souligne Philippe Yaworsky, il n’y a pas urgence à intervenir car la victime est en sécurité puisque Julie Binette est partie en retrait préventif en raison de sa grossesse.
[149] C’est un mois plus tard que les choses se sont véritablement enclenchées avec la plainte de Julie Goguen. Les accusations sont graves et le dernier geste reproché est dénoncé au moment où il survient.
[150] Le jour même de la dénonciation, Daniel Pelletier est suspendu pour fins d’enquête. Philippe Yaworsky tente d’obtenir des informations en posant des questions ouvertes aux agents affectés à la Place Bonaventure et sans jamais faire référence ou même simplement allusion aux deux plaintes déposées. Il n’obtient rien de significatif. Toutefois, il fait sortir les comptes de cellulaires. Ceux-ci font la preuve de très nombreux appels de Daniel Pelletier à Julie Goguen à des heures indues. Philippe Yaworsky décide alors de rencontrer Daniel Pelletier et de le confronter aux plaintes et aux comptes de cellulaires. Jean Ruel l’accompagne. Un questionnaire d’entrevue est préparé et alors que l’un pose des questions, l’autre prend en note les réponses fournies.
[151] Or, Daniel Pelletier adopte la position que l’on sait. Confronté aux comptes de cellulaire, il est incapable d’expliquer les appels à des heures indues autrement qu’en disant que c’est pour des raisons professionnelles. Il est incapable de citer un seul événement pour lequel il lui a été nécessaire de contacter Julie Goguen.
[152] Philippe Yaworsky attend les comptes de cellulaires du mois d’avril. Ils concordent en tout point avec la version de Julie Goguen, il décide alors de congédier Daniel Pelletier.
[153] En l’espèce, l’enquête de l’employeur a été faite correctement. Elle n’est pas précipitée et la décision finale est prise lorsque l’employeur obtient la corroboration des accusations portées par Julie Goguen.
[154] Comme on vient de le voir, la Commission tient pour avéré que Daniel Pelletier a posé des gestes tels que des blagues et remarques à caractère sexuel, des attouchements sur Julie Binette lors de la fête de Noël et, à l’égard de son adjointe, des menaces de congédiement, embrassements forcés, appels téléphoniques répétitifs et visite au domicile de cette dernière. Il reste à déterminer si ces gestes constituent du harcèlement sexuel et, si oui, leur gravité justifie-t-elle un congédiement?
[155] Pour faire cette évaluation, la Commission s’en réfère aux auteurs Dominique SAVOIE et Viateur LAROUCHE qui, dans un article intitulé « Le harcèlement sexuel au travail : définition et mesure du phénomène » ( [1988] 43 Relat. Ind. 509 , 524), proposent pour classifier les gestes de harcèlement selon leur forme et leur degré le tableau suivant :
LE HARCÈLEMENT
TABLEAU 1
Les formes et degrés du harcèlement sexuel au travail
Forme |
Non verbale |
Verbale |
Physique |
Degré |
|
|
|
|
|
|
|
Contrariant |
* regards, * sifflements * photos, textes, etc. |
* blagues, remarques, * questions intimes, etc.
|
* frôlement, * tapotements, etc. |
Contraignant |
* petits présents, * flânage devant domicile ou lieu de travail |
* demandes de sorties * offres concer-nant travail * offres vie hors travail, etc. |
- caresser, - embrasser, - pincer, - empoigner, - soulever vêtement, - acculer dans un coin, etc.
|
Agressant |
- lettres de menaces - visite au domicile - suivie de la personne harcelée - exhibitionnisme, etc. |
- téléphones obscènes, anonymes de menaces - insinuation à autrui - menaces concernant travail - propositions sexuelles - refus d’accepter fin des relations amoureuses, etc. |
- arracher vêtement, assaut, tentative de viol, - viol |
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* Ces comportements doivent être répétés sauf si des représailles s’ensuivent.
[156] La preuve révèle, chez Sécuritas à la Place Bonaventure, un milieu de travail où Daniel Pelletier entretenait un climat empreint de remarques et farces à caractère sexuel. Ses farces comme celle avec son plat de bonbons, ses remarques lorsqu’il croise une jolie femme et ses propos voulant que son adjointe ramasse les vêtements des femmes qu’il rencontre dans son bureau, sont l’illustration d’un milieu de travail sexiste.
[157] Face à ces accusations, Daniel Pelletier plaide que « si les gens dans un milieu ne sont pas capable d’affronter la sexualité et les remarques et les blagues à caractère sexuel, il faut qu’ils se retirent et vivent dans un monastère… » Or, pareil raisonnement est inacceptable. Toute personne a droit à un milieu de travail sain où sa dignité est respectée, comme le précise d’ailleurs la politique de Sécuritas sur le harcèlement. De plus, l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne (R.L.Q., c. C-12) stipule que « toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. »
[158] Ces gestes de Daniel Pelletier constituent du harcèlement verbal d’un niveau contrariant. À eux seuls, ces gestes ne justifient pas une sanction disciplinaire plus grande qu’un simple avertissement, à moins de récidives. En l’espèce, le seul avertissement révélé par la preuve concerne la farce avec le plat de bonbons.
[159] Les gestes posés par Daniel Pelletier lors de la fête de Noël envers Julie Binette constituent du harcèlement sexuel physique de nature contrariante et contraignante. Ces gestes sont graves en eux-mêmes. Toutefois, le retard de Julie Binette à déposer sa plainte et le moment où elle le fait, alors qu’elle-même est l’objet d’une plainte, ont pour effet de réduire considérablement la gravité des effets qui en découlent pour elle. Cette plainte de harcèlement de Julie Binette, même ajoutée au contexte de farces et remarques à caractère sexuel, ne constitue pas une cause juste et suffisante pour mettre fin à l’emploi de Daniel Pelletier, même si ce dernier a commis une faute. C’est aussi ce que semblent avoir conclu les dirigeants de Sécuritas qui ont tardé à intervenir dans ce dossier.
[160] Arrive ensuite, dans les semaines qui suivent, la plainte de Julie Goguen. Cette plainte est formulée au moment même où survient le dernier incident, soit la visite de Daniel Pelletier à son domicile. Cet incident la perturbe, car elle pleure et tremble comme en témoigne Sylvain Mathieu.
[161] Parce que la relation sexuelle s’est produite avec le plein consentement de Julie Goguen, elle ne constitue nullement un geste de harcèlement sexuel. Toutefois, ce sont les événements postérieurs, à compter du moment où Julie Goguen avise Daniel Pelletier qu’elle met fin à leur relation amoureuse, qui peuvent constituer du harcèlement parce que Daniel Pelletier n’accepte pas cette rupture.
[162] D’abord, il y a les menaces de congédiement. Un cadre dans une entreprise peut certes intervenir auprès d’un de ses employés dont le travail laisse à désirer jusqu’à le menacer de congédiement. En matière disciplinaire, le congédiement est la peine capitale qui se justifie par une faute grave ou lorsque l’employé n’apporte pas les corrections requises à des fautes répétées dont on lui a fait reproche. En l’espèce, la preuve ne révèle aucune faute grave de la part de Julie Goguen, ni aucune gradation de sanctions pouvant expliquer que la prochaine sanction, advenant récidive, sera le congédiement. Pourquoi alors des menaces de congédiement du genre : « Il suffit d’une simple lettre de la cliente… » et pourquoi faire des colères en lui disant qu’elle doit répondre à tous ses appels téléphoniques, peu importe le moment du jour? Il n’y a qu’une explication c’est que Daniel Pelletier n’accepte pas la rupture et qu’il espère encore obtenir de nouvelles faveurs de son adjointe. Ces menaces verbales dans le contexte de la présente affaire constituent du harcèlement sexuel d’un degré agressant, selon le tableau reproduit plus haut.
[163] Les embrassades forcées sont des gestes physiques de harcèlement sexuel du degré contraignant. Julie Goguen ne cède que pour éviter que Daniel Pelletier lui pique une colère. Pareil comportement de la part d’un employé cadre envers une de ses subordonnées constitue une faute.
[164] Il y a ensuite les appels téléphoniques. Daniel Pelletier soutient qu’il y a toujours eu un très grand nombre de communications téléphoniques et que les comptes cellulaires ne sont qu’une partie de la réalité parce que les appels faits sur d’autres appareils ne sont pas recensés. Le harcèlement au téléphone n’existe pas, plaide-t-il, parce que cela a toujours été le même comportement dès l’arrivée de Julie Goguen au poste de coordonnatrice des halls d’exposition.
[165] Même si tel est le cas, il n’empêche que les appels téléphoniques répétitifs en soirée, alors qu’il n’y a aucun salon et pour lesquels Daniel Pelletier est incapable de fournir un motif autre que « pour des raisons professionnelles », constituent du harcèlement. Ils sont la manifestation d’une personne qui cherche à contrôler les faits et gestes de son adjointe, par exemple le jour lorsqu’elle va fumer au quai de chargement. Mais, ils peuvent aussi être menaçants dans la mesure où ils sont faits en pleine nuit comme cela est le cas pour les quatre appels logés entre 2 h 33 et 3 h 44 dans la nuit du 19 avril 2003. Ces appels constituent un harcèlement de forme verbale d’un niveau agressant.
[166] Les menaces de congédiement et les appels téléphoniques peuvent ne pas tous revêtir un caractère sexuel direct, mais il n’empêche qu’ils sont certainement du harcèlement psychologique, soit une manipulation constituant un exercice abusif de l’autorité ou du pouvoir.
[167] Enfin, l’incident du 27 avril 2003 constitue l’incident culminant alors que Daniel Pelletier se rend au domicile de Julie Goguen. Il faut bien voir qu’il ne peut s’agir d’un simple détour anodin car Daniel Pelletier demeure à St-Bruno, sur la Rive-Sud, alors que Julie Goguen demeure sur l’Île de Montréal à sa toute extrémité est, à côté du pont Le Gardeur. Il ne fait nul doute qu’il se rend là volontairement, car il y a un premier appel pour dire qu’il s’en vient et un deuxième alors qu’il est devant l’immeuble. Ce geste de Daniel Pelletier aggrave le caractère de harcèlement parce qu’il suit d’autres gestes comme les appels faits dans la nuit du 19 avril. Il s’agit d’une faute grave
[168] Daniel Pelletier a posé des gestes de harcèlement à l’encontre de deux des employées travaillant sous sa responsabilité. Si, dans le cas de Julie Binette, la gravité des gestes posés peut être relativisée par le délai mis pour la formulation de la plainte, il en va autrement dans le cas de Julie Goguen. Cette dernière porte plainte dès le moment du dernier incident. Au début, elle espérait pouvoir gérer seule la situation. Toutefois, à l’évidence, Daniel Pelletier n’a pas lâché prise après qu’elle lui a signifié la fin de leur relation amoureuse.
[169] L’employeur ayant la responsabilité d’assurer un milieu de travail sain à ses employés, il se devait d’agir. Il ne pouvait passer sous silence les gestes de harcèlement posés par Daniel Pelletier en raison de sa politique contre le harcèlement sexuel. Il va de soi que toute sanction doit être proportionnelle aux fautes commises. Les auteurs Jean-François PEDNEAULT, Linda BERNIER et Lukasz GRANOSIK, dans leur ouvrage Les droits de la personne et les relations du travail (Édition Yvon Blais, m. à j. 14 juin 2004, p. 14-45), tenant compte de la jurisprudence, s’expriment comme suit à ce sujet :
La gravité des gestes posés constitue le plus important critère retenu en jurisprudence. Plus les gestes posés par le harceleur sont « objectivement » graves, plus la sanction est sévère. À l’inverse, des gestes moins graves justifient une mesure moins sévère.
Ainsi, de façon générale, on peut dire qu’un sifflement, des propos vulgaires et déplacés ou une blague à caractère sexuel sont jugés moins sévèrement que le fait d’avoir caressé ou embrassé la victime. Ces derniers comportements sont eux-mêmes moins agressants, donc jugés moins sévèrement, que le fait de suivre la victime à son domicile, de lui faire des menaces ou de lui arracher ses vêtements. En fait, le harcèlement « chantage au travail » est jugé plus sévèrement que le « harcèlement climat de travail hostile ».
[170] En l’espèce, il ne fait nul doute que les gestes posés par Daniel Pelletier sont graves. Toutefois, le congédiement peut sembler une sanction trop sévère aux yeux de certains. En effet, d’une part, jamais ses supérieurs ne lui ont fait reproche de sa conduite, sauf la blague des bonbons, même si Jean Ruel savait que Daniel Pelletier faisait beaucoup de blagues et remarques à caractère sexuel. D’autre part, les dirigeants de Sécuritas ont tardé à intervenir suite à la plainte de Julie Binette et le plaignant n’a jamais reçu aucun avertissement avant son congédiement.
[171] Toutefois, deux éléments justifient le caractère approprié du congédiement en l’espèce. D’abord, l’existence d’une politique claire contre le harcèlement sexuel dans l’entreprise, qui est fort bien connue de Daniel Pelletier. Celui-ci est le premier responsable de son application à titre de directeur du site de la Place Bonaventure. Ensuite, l’attitude qu’il a adoptée devant les accusations formulées contre lui. Il nie complètement avoir posé les gestes qu’on lui reproche. Or, de la preuve il appert qu’il ment. À aucun moment, que ce soit pendant l’enquête de l’employeur ou pendant son témoignage devant la Commission, il n’a démontré quelque remord. Confronté à l’évidence des comptes de cellulaires qui corroborent la version des faits formulés par Julie Goguen, il continue à nier et il accuse certaines personnes d’avoir ainsi monter une arnaque contre lui. Il ne fait preuve d’aucune compassion et d’aucun repentir à l’égard de ses victimes. Cette attitude chez Daniel Pelletier fait en sorte que le lien de confiance est irrémédiablement rompu et l’employeur n’avait d’autre choix que de procéder au congédiement du plaignant. De même, la Commission ne peut que constater que l’employeur avait une cause juste et suffisante pour le congédier.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte.
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__________________________________ Michel Marchand |
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Me Richard Cleary |
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beauchemin, Paquin, Jobin, Brisson Philpot Avocats |
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Représentant du plaignant |
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Me Daniel Leduc |
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Ogilvy Renault |
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Représentant de l’intimée |
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Date de la dernière audience : |
24 août 2004 |
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