Décision

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COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

250369

Cas :

CM-2008-2537 et CM-2008-2637

 

Référence :

2010 QCCRT 0305

 

Montréal, le

16 juin 2010

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Pierre Cloutier, juge administratif

______________________________________________________________________

 

 

Martin Roy

Brigitte Turcot

 

Plaignants

c.

 

9188-8206 Québec inc.

(Manoir Bellerive)

Intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 11 février 2008, Martin Roy, et le 4 mars 2008, Brigitte Turcot, (les plaignants) déposent chacun une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (L.R.Q., c. N-1.1) (la Loi). Ils y prétendent avoir été congédiés sans cause juste et suffisante par 9188-8206 Québec inc., leur employeur.

[2]                Au moment du dépôt des plaintes, 9188-8206 Québec inc. faisait affaires sous la dénomination sociale Résidence Monique Roy (la résidence). Celle-ci fait maintenant affaires sous la dénomination sociale Manoir Bellerive (le manoir).

[3]                Le manoir nie avoir congédié les plaignants et soutient qu’ils ont démissionné.

moyens préliminaires

[4]                Le manoir prétend que Martin Roy n’était pas un salarié au sens de la Loi mais un travailleur indépendant. Subsidiairement, il prétend que, s’il n’était pas un travailleur indépendant, il était un cadre supérieur et n’avait pas deux ans de service continu.

[5]                Quant à Brigitte Turcot, lors de la première journée d’audience, le manoir admet qu’elle était une salariée et qu’elle avait deux ans de service continu. Lors de l’audience du 22 avril 2010, il retire son admission et soutient qu’elle n’avait pas deux ans de service continu. Le retrait de cette admission est contesté par Brigitte Turcot. La Commission a pris sa contestation sous réserve.

questions en litige

[6]                Les questions en litige sont les suivantes : Martin Roy était-il un travailleur indépendant ou un salarié au sens de la Loi? Était-il un cadre supérieur?

[7]                Les plaignants avaient-ils deux ans de service continu? Ont-ils été congédiés ou ont-ils démissionné?

les faits

[8]                Jusqu’au début décembre 2007, Monique Roy est propriétaire de la résidence, un établissement pour personnes âgées qui héberge environ 115 personnes. Son fils, Martin Roy, travaille pour elle, de même que la conjointe de ce dernier, Brigitte Turcot.

[9]                Martin Roy est embauché par la résidence, en février 1994. Au cours des années, il occupe différentes fonctions, dont plongeur et préposé aux bénéficiaires. En avril 2001, il devient directeur adjoint. À ce titre, il a pour principale tâche de voir au bon état de l’immeuble qu’occupe la résidence, soit en faisant lui-même les réparations ou en les confiant à un autre employé ou à un entrepreneur. Il est aussi responsable du plan de sécurité-incendie, des mesures d’urgence et du projet de certification pour le renouvellement du permis de la résidence. Il maintient un lien avec les infirmières auxiliaires afin de s’assurer qu’elles ont les ressources nécessaires pour effectuer leurs tâches.

[10]           Son horaire de travail s’étale sur deux semaines. Une semaine, il travaille du lundi au jeudi et, la semaine suivante, du lundi au vendredi, toujours de 6 h 30 à               14 h 30. Cependant, comme il est sur appel 24 heures sur 24, il est payé pour 10 jours.

[11]           Entre février 1994 et la mi-décembre 2007, Martin Roy s’absente quelques fois du travail, dont en février 2005 à la suite d’un accident d’automobile qui l’empêche de travailler pendant un an. Au cours des six premiers mois, il reçoit une indemnité de remplacement de revenu de la SAAQ.

[12]           Puis, celle-ci ayant cessé de le payer, il fait des démarches pour obtenir des prestations d’sssurance-emploi-maladie. C’est pourquoi, le 4 avril 2006, la résidence lui émet un relevé d’emploi à cette fin. À la section 14 du formulaire, à la question « date prévue de rappel » la résidence coche la case « retour non prévu ». Puis, à la question        « raison du présent relevé d’emploi » elle inscrit la lettre K, ce qui signifie : autre-préciser à la case 18. Et à cette case, la résidence écrit  « accident d’automobile ».

[13]           Martin Roy explique que, vu son état de santé, la durée de son absence du travail était indéterminée. C’est pour cette raison que la résidence coche la case           « retour non prévu » sur le relevé d’emploi. Monique Roy corrobore son témoignage.

[14]           En ce qui concerne Brigitte Turcot, elle travaille pour la résidence depuis juillet 2007. D’abord embauchée comme préposée aux bénéficiaires, elle occupe successivement les postes d’infirmière auxiliaire puis d’infirmière auxiliaire-chef. Son horaire de travail est le même que son conjoint, mais elle travaille cinq jours semaine.

[15]           Le 12 décembre 2007, Monique Roy vend sa résidence au manoir dont Mehdy Rafatpanah (monsieur Rafat) est le propriétaire. La vente a un effet rétroactif au 1er jour du mois. Martin Roy n’est aucunement impliqué dans la transaction. Le manoir demande à la Commission d’émettre une ordonnance de non-publication, de non-divulgation et de non-diffusion du contenu de l’acte de vente (pièce P-1).

[16]           Préalablement à la signature de l’acte de vente, la résidence et le manoir concluent différentes ententes dont l’une, signée en octobre 2007, porte sur le préavis que la résidence doit donner aux employés. La clause pertinente de cette entente se lit comme suit :

3.                 ENGAGEMENT ADDITIONNEL

Dans le but de garder une confidentialité plus grande à cette vente à intervenir à l’égard des employés en place du vendeur, l’acquéreur demande au vendeur de ne pas donner d’avis de licenciement à ses employés avant deux (2) semaines précédant l’acte de vente à intervenir.

En conséquence, l’acquéreur s’engage et s’oblige, par les présentes, à rembourser au vendeur, sous forme d’ajustement payable comptant lors de la vente à intervenir, une somme correspondant à la moitié du montant total (somme) de tous les montants payables à titre d’avis-congé aux employés dont la loi impose une période d’avis-congé de plus de deux (2) semaines, moins un montant correspondant au paiement de deux (2) semaines à chacun de ces employés que le vendeur supportera seul.

[17]           À l’époque de la vente, une trentaine d’employés travaillent pour la résidence, la plupart à temps plein. Selon Monique Roy, il était entendu que monsieur Rafat gardait l’ensemble des employés. Martin Roy ajoute que lorsque monsieur Rafat prend possession de la résidence, il fait une réunion à laquelle il convie tous les employés. Il y déclare qu’il garde tout le monde et qu’il n’y aura pas de changement d’horaire de travail au cours des trois premiers mois.

[18]           Les employés sont informés de la vente, à la mi-novembre 2007, par lettre. Le paragraphe 1 de la lettre se lit comme ceci :

Cette présente est pour vous signifier que, à partir du 01 décembre 2007, la Résidence Monique Roy sera vendu (sic) à de nouveaux administrateurs. Nous mettons fin à vos emploies (sic) à partir de cette date. Vos cessations d’emploi ainsi que vos pourcentages de vacances vous seront alors remis.

[19]           Monsieur Rafat admet que, probablement au début janvier 2008, il réunit tous les employés pour leur dire de ne pas s’inquiéter, qu’ils continueraient de travailler pour lui. Il soutient qu’il leur explique que les horaires de travail seraient changés, mais que cela n’affecterait pas leur emploi. Il ajoute qu’il a réembauché tous les employés après qu’une indemnité de préavis leur fut versée par l’ancienne propriétaire. Tous sont demeurés dans le poste qu’ils occupaient avant la vente, sans devoir passer d’entrevue.

[20]           Angie Rafat, la fille de monsieur Rafat, soutient que lors de cette réunion les employés sont informés que la nouvelle direction ferait des modifications aux horaires de travail à compter de février 2008.

la transition

[21]           Après la vente, afin de lui permettre de comprendre le fonctionnement de la résidence, monsieur Rafat demande à l’ancienne propriétaire, Monique Roy, de continuer à l’administrer pendant deux mois. Cette dernière accepte à condition de prendre trois semaines de vacances à partir du 17 janvier 2008 et d’effectuer les deux dernières semaines à son retour. À cette occasion, elle informe monsieur Rafat que Martin Roy et Brigitte Turcot l’accompagneront au cours de sa première semaine de vacances.

[22]           Pendant la période de transition et jusqu’à son départ pour vacances, Monique Roy administre donc la résidence avec les deux directeurs adjoints, soit Johanne Dubois, infirmière-chef, responsable des infirmières auxiliaires et des préposés aux bénéficiaires, et son fils Martin Roy. Ce dernier effectue, de son propre chef ou à la demande de monsieur Rafat, des réparations à l’immeuble ou à l’intérieur de celui-ci, selon son horaire habituel, ce qui prend tout son temps. Il ne s’occupe plus de la certification, ni de maintenir un lien avec les infirmières auxiliaires.

[23]           Selon Martin Roy, au cours de cette période, il participe avec Monique Roy et monsieur Rafat à la décision de licencier un concierge qui s’est absenté du travail à quelques reprises sans motifs valables.

[24]           Monsieur Rafat et Angie soutiennent que c’est Martin Roy qui prend la décision de congédier le concierge. Ils respectent sa décision pour ne pas porter atteinte à sa crédibilité.

l’incident du 17 janvier 2008

[25]           Martin Roy raconte que le 17 janvier 2008, vers 15 h 30, la veille de son départ pour vacances, Angie Rafat lui demande de réparer une fuite d’eau alors qu’il lit dans un bureau, en attendant sa conjointe. Il avait terminé son quart de travail. Cette fuite avait été décelée un mois et demi avant, mais son origine était difficile à trouver. Comme il ne s’agissait pas d’une grosse fuite, il avait alors résolu de placer un contenant pour recueillir l’eau, en attendant d’effectuer la réparation. Ce jour-là, malgré la demande d’Angie Rafat, il refuse de la réparer, vu qu’il estime qu’il ne s’agit pas d’une urgence. Angie menace alors de lui imposer une sanction.

[26]           Brigitte Turcot confirme que cette fuite existait depuis un certain temps, trois semaines selon elle, et qu’un contenant de plastique avait été placé pour recueillir l’eau. Le 17 janvier, vers 15 h 30, elle a entendu Angie Rafat menacer Martin Roy de lui imposer une sanction disciplinaire s’il ne réparait pas la fuite d’eau.

[27]           Angie Rafat soutient que vers 8 h, ce 17 janvier, elle demande à Martin Roy de réparer un tuyau. Lorsqu’il quitte à 16 h, le tuyau n’est pas réparé et il refuse de le réparer. Il lui suggère de demander à Johanne Dubois d’appeler un plombier.

le retour de vacances

[28]           Vendredi, le 25 janvier, comme il le fait d’habitude lorsqu’il revient de vacances, Martin Roy téléphone à Johanne Dubois pour l’informer de son retour et lui faire part de sa disponibilité s’il y a une réparation urgente à faire. Il devait normalement reprendre le travail le lundi.

[29]           À l’occasion de cet appel, madame Dubois lui dit de rester chez lui, le lundi, et de ne rentrer au travail que le mercredi parce qu’une sanction disciplinaire lui est imposée à la suite de son refus de réparer la fuite d’eau, le 17 janvier. Comme Martin Roy ne reconnaît pas l’autorité d’Angie Rafat et que madame Dubois ne peut pas la lui préciser, il avise cette dernière qu’il se présenterait quand même au travail, le lundi.

[30]           Le lundi 28 janvier, Martin Roy se présente donc au manoir, accompagné de Brigitte Turcot. En l’absence de monsieur Rafat, qui est en vacances pour une semaine, ils rencontrent sa fille Angie. Selon Martin Roy, celle-ci leur fait valoir qu’elle est autorisée à prendre des décisions. Elle lui réitère que son horaire de travail est coupé de moitié, qu’il travaillerait dorénavant du mercredi au vendredi, une semaine, et les mercredi et jeudi, la semaine suivante. Il doit demeurer disponible en tout temps. Elle lui dit que cette sanction, dont la durée est indéterminée, lui est imposée parce qu’il a refusé de réparer la fuite d’eau, le 17 janvier.

[31]           Martin Roy, qui conteste l’autorité d’Angie Rafat de lui imposer une telle sanction, l’informe qu’il ne rentrera pas au travail de la semaine, qu’il attendrait le retour de monsieur Rafat. Il soutient qu’Angie Rafat menace de lui imposer une autre sanction s’il ne se présente pas au travail. Au cours de leur échange, elle leur mentionne que la sanction s’applique aussi à Brigitte Turcot, vu qu’elle est solidaire avec lui. Devant leur refus de quitter les lieux, elle menace d’appeler la police.

[32]           Brigitte Turcot corrobore le témoignage de Martin Roy au sujet de la modification de l’horaire de travail de ce dernier et de l’application de cette sanction à elle. Johanne Dubois l’en avait d’ailleurs informée lorsque Martin Roy lui avait téléphoné, le vendredi 25 janvier.

[33]           Angie Rafat affirme qu’elle n’avait pas l’autorité, pas plus que Johanne Dubois, d’imposer une sanction à Martin Roy. Elle admet cependant que l’horaire de travail de ce dernier a été modifié, mais nie avoir modifié celui de Brigitte Turcot. Lorsque Martin Roy lui dit qu’il ne rentrerait pas le mercredi, elle lui répond qu’il devra apporter un billet médical.

[34]           Lors de sa rencontre avec Angie Rafat, le lundi 28 janvier, Martin Roy exige qu’elle lui rembourse des achats (230 $) qu’il a effectués pour la résidence au cours des six dernières semaines, dont des couvercles de néons. Comme Angie Rafat ne peut pas les lui rembourser, il reprend les couvercles de néons qu’il avait déjà installés.

le concentrateur d’oxygène

[35]           Avant de quitter le manoir, Martin Roy emporte un concentrateur d’oxygène qui se trouvait au poste des infirmières auxiliaires. Il raconte à ce sujet que, la veille de son départ pour vacances, sa mère lui avait demandé de lui rapporter cet appareil. Il y en avait deux au manoir et l’un d’eux n’était pas inclus dans la vente.

[36]           Or, sans le lui dire, sa mère avait elle-même emporté le concentrateur d’oxygène, ce qui a eu pour effet qu’elle s’est retrouvée avec les deux appareils. Monique Roy corrobore ce témoignage. Elle ajoute qu’après son retour de vacances, elle a rapporté un des concentrateurs au manoir, à la suite d’un appel de Johanne Dubois.

[37]           Pour sa part, Angie Rafat raconte que, lorsque Martin Roy prend le concentrateur d’oxygène, il lui dit qu’il le vendrait pour se rembourser. Il se rend aussi dans le bureau pour s’emparer de la petite caisse, mais il en est empêché.

[38]           Le 5 février, Angie Rafat dépose une plainte à la police dans laquelle elle accuse Martin Roy d’avoir volé le concentrateur d’oxygène. Cette plainte est retirée en janvier 2009, à la suite de discussions entre monsieur Rafat et Monique Roy.

la suite des événements

[39]           Le mercredi 30 janvier 2008, Martin Roy et Brigitte Turcot ne se présentent pas au travail. Martin Roy prétend qu’Angie Rafat lui laisse un message sur sa boîte vocale l’avisant qu’une autre sanction lui sera imposée, vu son absence. Par la suite, il appelle à la résidence aux deux jours demandant que monsieur Rafat le rappelle, ce que ce dernier ne fait pas.

[40]           Brigitte Turcot affirme qu’après la rencontre du lundi matin, Angie Rafat leur téléphone pour qu’ils se présentent au travail, le mercredi. Ils refusent parce qu’ils veulent discuter avec monsieur Rafat, avant, et non avec Angie. Or, monsieur Rafat ne les a jamais rappelés.

[41]           Angie Rafat soutient que, dès son retour de vacances, son père lui demande de communiquer avec Martin Roy et Brigitte Turcot pour les rencontrer. Elle laisse un message dans la boîte vocale du cellulaire de Brigitte Turcot et un autre au domicile de Martin Roy, à l’intention de ce dernier.

[42]           À la suite de ce message, Martin Roy lui laisse à son tour un message lui mentionnant qu’il attend le retour de sa mère, qui est encore en vacances, et qu’il veut consulter. Il lui dit aussi que lui et Brigitte Turcot ne démissionnent pas, mais qu’ils ne pensent pas revenir travailler pour le manoir. Ils ne veulent pas fixer un rendez-vous avec elle. À un moment donné, il lui dit de ne plus le rappeler.

[43]           Monsieur Rafat prétend qu’une semaine après être revenu de vacances, il laisse un message à Martin Roy parce qu’il veut régler la situation. Ce dernier ne lui retourne pas son appel. Il affirme qu’Angie Rafat et Johanne Dubois laissent plusieurs messages à Martin Roy, mais que ce dernier ne rappelle pas.

La modification de l’horaire de travail

[44]           Comme la preuve du manoir sur ce sujet est remplie de contradictions, la Commission a choisi de la relater selon l’ordre où elle fut présentée, de sorte que ces contradictions, voire ces invraisemblances, ressortent manifestement, sans qu’il y ait besoin d’insister davantage.

Le témoignage de monsieur Rafat

En interrogatoire principal

[45]           Monsieur Rafat soutient qu’il prend officiellement la résidence en charge, à la mi-janvier 2008. Au cours des semaines où il était en formation auprès de madame Roy, il avait constaté que tous les employés avaient un horaire de travail de 40 heures et que certains n’étaient pas occupés tout le temps. Il avait décidé de réduire le nombre d’heures de travail de tous les employés, sauf celui des infirmières auxiliaires.

[46]           Cette réduction ne valait que pour un mois et il devait réévaluer le tout après ce délai. Un des buts de cette réduction était de diminuer la masse salariale, même s’il n’avait pas de difficultés financières, et de donner un meilleur service. Monsieur Rafat affirme que, de façon concomitante, il augmente un peu le salaire des employés. La décision de modifier l’horaire de travail des employés a été prise de concert avec Johanne Dubois. Il avait eu deux ou trois rencontres avec cette dernière à ce sujet, rencontres auxquelles Martin Roy avait été convié, mais auxquelles il n’avait pas assisté.

[47]           Après trois mois, il a constaté qu’il avait pris une bonne décision. Avec l’argent qu’il a sauvé, il a augmenté les services et les salaires. Il a aussi embauché plusieurs personnes à temps partiel, ce qui lui permet de donner un meilleur service.

[48]           Quant à la modification de l’horaire de travail de Martin Roy, il avait constaté qu’il n’avait pas besoin de lui à six heures du matin. Il a décidé de ne plus le payer le vendredi où il n’était que de garde et de lui couper une journée par semaine.

En contre-interrogatoire

[49]           Lorsqu’il est interrogé par la représentante des plaignants, monsieur Rafat précise que, selon son nouvel horaire de travail, Martin Roy devait dorénavant travailler de 9 h à 17 h, quatre jours semaine, comme lui. Il ignore quelle journée devait être coupée. Il affirme que la décision a été prise avant les vacances de Martin Roy,            peut-être quelques jours avant ou pendant qu’il était lui-même en vacances, mais après l’incident de la fuite d’eau. C’est Johanne Dubois ou sa fille Angie qui devait l’informer de cette décision.

En ré-interrogatoire

[50]           En ré-interrogatoire, monsieur Rafat précise qu’avant d’augmenter les salaires des employés, il discute avec son comptable. Ce dernier lui suggère d’attendre la fin de l’année financière, à la fin septembre, avant de prendre cette décision afin de voir s’il réaliserait des profits. Il a donc plutôt versé un bonus aux employés avant de réduire leurs heures de travail, pour montrer sa bonne foi.

[51]           À l’appui de son témoignage au sujet du bonus, monsieur Rafat produit 32 chèques, chacun portant la date du 12 décembre 2007, et sur lesquels le mot                    salaire est écrit.

[52]           Concernant ces chèques, Martin Roy et Brigitte Turcot soutiennent qu’il s’agit plutôt de la première paye versée par monsieur Rafat aux employés. Habituellement, leur paye était versée par dépôt direct, mais ce service n’était pas encore disponible à monsieur Rafat. C’est pour cette raison qu’il leur fait un chèque.

Le témoignage d’Angie Rafat

[53]           Angie Rafat soutient qu’au cours des mois de décembre 2007 et janvier 2008, elle avait constaté que les employés avaient un horaire de travail de 40 heures semaine, même si la résidence n’avait besoin d’eux que 35 heures semaine. Au début février, elle et Johanne Dubois ont évalué les besoins d’employés de chaque service, d’où la modification des horaires de travail qui permettait de restructurer le budget. Cependant, après un certain temps, tous les employés ont refait le même nombre d’heures qu’ils faisaient avant.

[54]           Martin Roy est le premier dont l’horaire de travail fut modifié. L’incident de la fuite d’eau lui avait permis, tout comme à son père monsieur Rafat, de constater un problème de communication. C’est pendant que Martin Roy était en vacances que monsieur Rafat lui a parlé du changement de l’horaire de travail de Martin Roy. Monsieur Rafat voulait que les heures de travail de Martin Roy soient compatibles avec les siennes.

[55]           Selon son nouvel horaire de travail, Martin Roy ne devait pas travailler le mercredi et le vendredi. Angie Rafat ignore quelle aurait été la durée de cette modification.

[56]           À la suite de la fin d’emploi de Martin Roy et de Brigitte Turcot, la résidence émet, pour chacun, un relevé d’emploi. Elle y indique qu’ils ont quitté volontairement leur emploi. Les formulaires sont signés par Angie Rafat.

[57]           En ce qui concerne Martin Roy, le 4 juillet 2008, une lettre est transmise par le manoir à une fonctionnaire de Service Canada (assurance-emploi). Selon Angie Rafat, la lettre est rédigée par « une personne qui faisait la rédaction de textes à la résidence ». Cette personne a rédigé la lettre à la suite des renseignements qu’elle lui a donnés, mais elle ne l’a pas lue avant son envoi. Notons que cette lettre est rédigée sur du papier identifié à la résidence et que Martin Roy n’en a jamais reçu copie.

[58]           Au premier paragraphe de la lettre, on peut lire ce qui suit :

La présente est pour clarifier les raisons du départ de Monsieur Roy de son poste occupé au sein de la Résidence Monique Roy. Monsieur Roy était à l’embauche de la Résidence depuis de nombreuses années et est le fils de l’ancienne propriétaire. Suite à la réorganisation par la nouvelle administration en décembre 2007, Monsieur Roy a vu ses heures de travail diminuer de moitié puisque Monsieur Roy n’effectuait pas les tâches que nous lui demandions, à la place il se cachait dans son bureau pour fumer et naviguer sur internet. Cette mesure n’a pas plu à Monsieur Roy. Selon lui nous nous servons de cet excuse pour le «mettre à la porte». Ce qui n’est pas le cas.

(Reproduit tel quel.) (Soulignement ajouté.)

[59]           La lettre fait ensuite le récit des incidents des 17 et 25 janvier. Le verbatim de l’échange qui a eu lieu à cette dernière date, entre Martin Roy et Angie Rafat, au sujet du remboursement des achats faits par ce dernier et du concentrateur d’air y est repris. Cet échange aurait été enregistré par Angie Rafat à l’aide de son ordinateur. La lettre comporte aussi le passage suivant qui serait la transcription d’un message laissé à la résidence, par Martin Roy, le 3 février, à l’intention d’Angie Rafat:

Bonjour Angie, c’est Martin. J’veux juste aviser que pour le rendez-vous on va remettre ça à la semaine d’après. Parce qu’y a trop d’implication au niveau de la langue avec tout c’qui c’est passer avec ma famille. J’sais pas c’est quoi les choses légales qui y ‘a la-dans ont va attendre que mes parents reviennent. Moi de mon côté en attendant j’fais rien de mal j’vais simplement pas me rendre au travail j’veux absolument attendre de savoir les implications légale qui a avant de vous rencontrer de nouveau. Une affaire que est sure pour l’instant ont démissionne pas mais je crois pas qu’on va continuer de travailler pour vous anyway. On met ça sur le standby. On attend que ma mère revienne c’est tout. On s’appellera la semaine prochaine.

(Reproduit tel quel.)

[60]           Martin Roy admet avoir téléphoné à la résidence et laissé un message à l’intention d’Angie Rafat pour lui dire qu’il ne se présenterait pas au rendez-vous du mercredi, vu que monsieur Rafat n’y serait pas. Il soutient que le message transcrit par Angie Rafat ne reprend pas exactement ce qu’il a dit, mais se rappelle avoir mentionné qu’il voulait parler avec sa mère des modalités de la vente pour savoir s’il y avait une clause dans le contrat portant sur la sécurité d’emploi des employés.

[61]           Lorsqu’elle porte plainte à la police au sujet du « vol » du concentrateur d’oxygène, Angie Rafat mentionne au policier, qui la rencontre, qu’elle a coupé de moitié les heures de travail de Martin Roy, soit à deux jours semaine au lieu de quatre jours semaine. Elle lui dit aussi qu’elle et son père ont noté que Martin Roy travaillait très peu.

[62]           Le relevé d’emploi de Brigitte Turcot est accompagné d’une annexe signée par Angie Rafat. On peut y lire les passages suivants :

Brigitte worked as the head Nurse of the residence, her boyfriend, Martin Roy, worked as a caregiver.

The conflict initially began with Martin Roy.

Martin failed to accomplish the tasks management assigned to him within de delay given. This scenario happened on several occasions. As a consequence, the owner decided to reduce Martin Roy workdays. The intention was to work closely with Martin te retrain him and explain what was expected within the timeframes allocated.

Once he completed his training successfully, the owner intended to increase back his hours. Martin is known to have a high temper. When Martin called to get his schedule and realized his hours were reduced, he automatically jumped to conclusion. He was livid, did not ask for any explanations, He threatened the manager to get back his hours. He said if he didn’t get back his hours, he would quit and make sure that the head nurse, his girlfriend, would quit her job as well.

(Reproduits tels quels.) (Soulignement ajouté.)

[63]           Dans le reste de cette lettre, Angie Rafat reprend le récit des événements qui se sont produits au sujet des achats faits par Martin Roy et du concentrateur d’air.

[64]           Brigitte Turcot n’avait pas reçu de copie de cette annexe jointe par le manoir à son relevé d’emploi.

Le témoignage d’une employée

[65]           À propos de la réduction du nombre d’heures de travail, une préposée aux bénéficiaires, qui a témoigné à la demande de la résidence, se souvient que son horaire de travail a été modifié, à la suite de l’arrivée de monsieur Rafat, mais elle soutient qu’elle n’a pas travaillé moins d’heures par semaine. Le registre des salaires produit par le manoir pour soutenir sa prétention au sujet de la réduction du nombre d’heures de travail des employés, sauf des infirmières auxiliaires, indique qu’au début 2008, pour les périodes de paie se terminant aux dates suivantes : 6/01, 3/02, 2/03, 16/03, 30/03, 16/04 et 27/04, cette employée a travaillé respectivement : 80, 80, 66.5, 80, 80, 76 et 65 heures.

analyse et dispositif

[66]           Pour être admissible au recours en vertu de l’article 124 de la Loi, une personne doit être salariée au sens de la Loi, avoir deux ans de service continu, avoir été congédiée et ne pas bénéficier d’une autre mesure de réparation équivalente en vertu d’une autre loi ou d’une entente.

[67]           Comme la Commission l’a mentionné au début de la présente décision, le manoir conteste le statut de salarié de Martin Roy. Subsidiairement, il prétend qu’il était un cadre supérieur. Finalement, il soutient que ni Martin Roy, ni Brigitte Turcot n’avaient deux ans de service continu et qu’ils n’ont pas été congédiés.

[68]           La Commission traite ensemble des questions suivantes :

martin roy était-il un salarié au sens de la loi ou un travailleur indépendant? Le cas échéant était-il un cadre supérieur?

[69]           À l’article 1 (10°) de la Loi, le salarié est défini comme suit :

1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

10° «salarié»: une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire; ce mot comprend en outre le travailleur partie à un contrat en vertu duquel:

i.  il s'oblige envers une personne à exécuter un travail déterminé dans le cadre et selon les méthodes et les moyens que cette personne détermine;

ii.  il s'oblige à fournir, pour l'exécution du contrat, le matériel, l'équipement, les matières premières ou la marchandise choisis par cette personne, et à les utiliser de la façon qu'elle indique;

iii.  il conserve, à titre de rémunération, le montant qui lui reste de la somme reçue conformément au contrat, après déduction des frais d'exécution de ce contrat;

[70]           La notion de salaire est définie comme ceci au même article de la Loi :

9° «salaire»: la rémunération en monnaie courante et les avantages ayant une valeur pécuniaire dus pour le travail ou les services d'un salarié;

[71]           Quant à l’employeur, la Loi en donne la définition suivante :

7° «employeur»: quiconque fait effectuer un travail par un salarié;

[72]           Trois éléments caractérisent le statut de salarié au sens de la Loi : la prestation de travail, la rémunération et l’existence d’un lien de subordination. La situation de Martin Roy correspond-elle à ces caractéristiques? Pour répondre, il faut examiner ce qu’il faisait pour la résidence, puis pour le manoir?

[73]           Pour la résidence, Martin Roy s’occupait principalement de l’entretien de l’immeuble. Il effectuait lui-même les travaux ou les faisait exécuter par d’autres. Il ne fournissait ni les outils, ni les matériaux. Il n’avait aucune possibilité de profit ou de perte, l’une des caractéristiques du travailleur indépendant. Il répondait aux besoins des infirmières auxiliaires et, à cette fin, il était en contact avec elles. Il s’occupait aussi du  projet de certification. En tout temps, la résidence l’a considéré comme un salarié à qui elle versait un salaire.

[74]           Pour le manoir, il s’occupait essentiellement de l’entretien de l’immeuble et faisait les travaux requis par monsieur Rafat. Il ne fournissait pas les matériaux. Il recevait un salaire pour son travail. C’est ce que le manoir inscrit d’ailleurs sur le chèque qu’il lui remet, le 12 décembre 2007. C’est vraisemblablement parce qu’on considérait qu’il était un salarié que son nom apparaît sur le registre des salaires. Pour la même raison, à la fin de son emploi, le manoir lui émet un relevé d’emploi pour l’assurance-emploi. On ne remet pas un tel relevé à un travailleur indépendant. Les déclarations qu’Angie Rafat fait à l’assurance-emploi et au policier ne laissent d’ailleurs aucun doute sur le statut de Martin Roy. La Commission conclut qu’il était un salarié au sens de la Loi. Mais, était-il un cadre supérieur?

[75]           L’article 3 (6°) de la Loi prévoit que la plupart de ses dispositions ne s’appliquent pas au cadre supérieur dont le recours de l’article 124. Comme la Loi ne définit pas ce qu’est un cadre supérieur, c’est vers la jurisprudence qu’il faut se tourner pour cerner cette notion. Dans l’affaire Commission des normes du travail c. Beaulieu, (2001) R.J.D.T. 10 , la Cour d’appel résume en ces termes les éléments permettant de déterminer si un salarié est un cadre supérieur :

[24]      À mon avis, le cadre supérieur est celui qui participe à l’élaboration des politiques de gestion et à la planification stratégique de l’entreprise. Il doit avoir un grand pouvoir décisionnel et non simplement coordonner les activités de l’entreprise ou appliquer les politiques de gestion élaborées par la haute direction. Les fonctions d’un cadre supérieur ne seront évidemment pas les mêmes dans une société d’assurance opérant à la grandeur du Canada et dans une petite ou moyenne entreprise, à caractère local, telle une boulangerie. C’est pourquoi il est aussi nécessaire d’examiner le contexte particulier de l’entreprise pour déterminer si une personne est ou non un cadre supérieur. Voyons maintenant ce qu’il en est en l’espèce.

[76]           Il est surprenant qu’après avoir écrit que Martin Roy était préposé aux bénéficiaires ou un préposé à l’entretien, le manoir prétende maintenant qu’il était un cadre supérieur. Rien dans les tâches qu’il effectuait ne permet de conclure qu’il avait ce statut. Le seul fait qu’il pouvait imposer une sanction disciplinaire ou être à l’origine d’une telle sanction ne permet pas de lui attribuer ce statut.

Martin Roy et Brigitte Turcot avaient-ils deux ans de service continu pour la même entreprise?

[77]           Ce qui constitue un service continu est défini au paragraphe 12 de l’article 1 de la Loi où on y lit :

12° «service continu»: la durée ininterrompue pendant laquelle le salarié est lié à l'employeur par un contrat de travail, même si l'exécution du travail a été interrompue sans qu'il y ait résiliation du contrat, et la période pendant laquelle se succèdent des contrats à durée déterminée sans une interruption qui, dans les circonstances, permette de conclure à un non-renouvellement de contrat.

[78]           Dans le cas de Martin Roy, se pose d’abord la question de savoir si l’absence du travail à la suite de son accident d’automobile de février 2005 a interrompu la durée du service continu. Le manoir s’appuie sur le relevé d’emploi qui lui a été remis, en avril 2006, pour soutenir qu’il y a eu rupture du lien d’emploi. Or, cette preuve est contredite par le témoignage de Martin Roy et de sa mère qui, à l’époque, était propriétaire de la résidence. Ces témoignages, auxquels s’ajoute la mention « accident d’automobile » inscrite dans la case « observation » du relevé d’emploi, amènent la Commission à conclure que l’intention des parties n’était pas de rompre le lien d’emploi à ce           moment-là.

[79]           Il reste à examiner la question de la vente de la résidence. Est-ce qu’elle a eu pour effet de mettre fin au contrat des employés, dont Martin Roy et Brigitte Turcot, de sorte qu’une nouvelle période de service continu a débuté le 1er décembre 2007, lorsque monsieur Rafat prend possession de l’entreprise?

[80]           Dans une affaire comportant une certaine similitude avec la présente, Chauvette c. Méthot Johanne (Résidence Louis Bourg), 2006 QCCRT 0150 , la Commission écrit ce qui suit :

Deux ans de service continu dans une même entreprise

[23]      Le recours à l’encontre d’un congédiement fait sans cause juste et suffisante, prévu aux articles 124 et suivants de la Loi, constitue une norme de travail, comme l’a confirmé la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Produits Pétro-Canada inc. c. Moalli, (1987) R.J.Q. 261 , aux pages 268 à 270.

[24]      Par amendement apporté en 1991 (L.Q., 1990, c. 73, a. 59) à l’article 124 de la Loi, l’expression « ans de service continu pour un même employeur » a été remplacée par « ans de service continu dans une même entreprise ».

[25]      La condition d’ouverture au recours à l’encontre d’un congédiement fait sans cause juste et suffisante et qui est relative à la durée du service, s’apprécie en fonction d’une continuité de service dans une même entreprise, soit « la durée ininterrompue pendant laquelle le salarié est lié à l’employeur par un contrat de travail », cet employeur étant « quiconque fait effectuer un travail par un salarié », comme le prévoient respectivement les paragraphes 12° « service continu » et 7° « employeur » de l’article 1 de la Loi. Ces définitions doivent être retenues aux fins de l’application de la Loi.

[26]      En renfort, l’article 97 de la Loi, à la section IX relative à l’effet des normes du travail, déclare que « l’aliénation […] de l’entreprise, […] n’affecte pas la continuité de l’application des normes du travail », l’aliénation étant toute forme de transmission volontaire de sa propriété à autrui, notamment par vente.

[27]      Le 4 avril 2005, Résidence Louis Bourg, s.e.n.c. vend à madame Méthot l’immeuble, soit le terrain et la bâtisse, mais également l’entreprise, soit la résidence pour personnes âgées qu’elle exploite à cet endroit et madame Méthot continue l’exploitation de la même entreprise.

[28]      Davantage, madame Chauvette y travaille, sous la direction de madame Méthot et de son conjoint, les mardi 5, mercredi 6 et jeudi 7 avril, est en congé les vendredi 8 et samedi 9 avril et devait travailler le dimanche 10 avril si le changement d’horaire prévu avait été maintenu. Elle devait également y travailler le lundi 11 avril de même que le mardi 12 avril, si elle n’avait pas été congédiée ce même jour, après s’être présentée au travail après le dîner comme on le lui avait indiqué.

[29]      Il n’est pas nécessaire d’examiner ici la portée d’une entente qu’aurait pu prendre les parties à l’occasion de la vente de l’entreprise et visant le maintien en emploi ou le licenciement d’un salarié, puisque madame Chauvette continue à travailler dans la résidence. On peut toutefois rappeler que « l'aliénation de l'entreprise […] ne met pas fin au contrat de travail et que ce contrat lie l'ayant cause de l'employeur » (Code civil du Québec, article 2097).

[30]      Dans ces circonstances, il y a manifestement continuité de service pour la même entreprise et madame Chauvette, à la date de son congédiement, le 12 avril 2005, justifie d’un service continu dans cette résidence pour personnes âgées depuis le 13 mars 1998. Ce qui lui permet d’exercer le recours prévu à l’article 124 de la Loi.

[81]           Comme dans cette affaire, la Commission conclut que la vente n’a pas eu pour effet d’interrompre la durée du service de Martin Roy et de Brigitte Turcot auprès de l’entreprise, laquelle est demeurée une résidence pour personnes âgées. Ces derniers avaient donc deux ans de service continu à la date de la fin de leur emploi.

Martin Roy et Brigitte Turcot ont-ils démisionné ou ont-ils été congédiés?

[82]           Se pose ici la question de savoir si le manoir a modifié substantiellement l’une des conditions essentielles du contrat de travail de Martin Roy et de Brigitte Turcot et, le cas échéant, si cette modification était justifiée. Depuis l’arrêt Farber c. Cie Trust Royal, (1997) 1 R.C.S. 846 , il est établi que :

24 (l)orsqu’un employeur décide unilatéralement de modifier de façon  substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de son employé et que celui-ci n’accepte pas ces modifications et quitte son emploi, son départ constitue non pas une démission, mais un congédiement. Vu l’absence de congédiement formel de la part de l’employeur, on qualifie cette situation de             « congédiement déguisé ».  En effet, en voulant de manière unilatérale modifier substantiellement les conditions essentielles du contrat d’emploi, l’employeur cesse de respecter ses obligations; il se trouve donc à dénoncer ce contrat. Il est alors loisible à l’employé d’invoquer la résiliation pour bris de contrat et de quitter.

[83]           Débutons par le cas de Martin Roy. Le manoir admet avoir réduit ses heures de travail. C’est sur le nombre d’heures dont sa semaine de travail fut réduite que la preuve est contradictoire. Or, sur ce point, la Commission retient le témoignage des plaignants selon lequel le manoir a réduit de moitié les heures de travail de Martin Roy. C’est ce que Johanne Dubois dit aux plaignants, le 25 janvier 2008. De plus, le témoignage de ces derniers est corroboré par la déclaration qu’Angie Rafat fait au policier peu après les événements et par la lettre que le manoir envoie à « l’assurance-emploi » en juillet 2008.

[84]           Cette réduction s’appliquait-elle aussi à Brigitte Turcot? Il y a peu de preuve à ce sujet. Selon les plaignants, lorsque Johanne Dubois avise Martin Roy de la réduction de ses heures de travail, de moitié, elle mentionne que cette sanction s’applique aussi à Brigitte Turcot.

[85]           Afin de contredire cette preuve, monsieur Rafat soutient que le manoir ne pouvait pas couper les heures d’une infirmière auxiliaire parce qu’il en avait toujours besoin. Il dit avoir été surpris de constater que Johanne Turcot soit partie, lorsqu’il revient de vacances, parce qu’il avait toujours besoin d’elle. Quant à Angie Rafat, elle soutient qu’elle n’était pas au courant d’un changement d’horaire pour Brigitte Turcot et qu’elle s’attendait qu’elle rentre au travail, le lundi matin, tout comme Martin Roy.

[86]           Johanne Dubois n’ayant pas témoigné, le témoignage des plaignants selon lequel elle dit aux plaignants que la sanction imposée à Martin Roy s’applique aussi à Brigitte Turcot n’est pas directement contredit. De plus, le fait que Brigitte Turcot ne rentre pas au travail le lundi matin peut logiquement expliquer qu’on lui a dit que la sanction s’appliquait aussi à elle. La Commission conclut que le manoir a aussi réduit de moitié les heures de travail de Brigitte Turcot.

[87]           Une réduction de la moitié des heures de travail d’un employé constitue, sans aucun doute, une modification substantielle d’une condition essentielle de son contrat de travail qui a un impact important sur sa rémunération. Il reste à examiner si cette réduction était justifiée.

[88]           Le manoir fait valoir que la décision prise à l’endroit de Martin Roy s’inscrit dans le contexte d’une réduction des heures de tous les employés, sauf celles des infirmières auxiliaires, dont il aurait été le premier touché. Or, ce n’est pas ce que la preuve démontre.

[89]           En effet, non seulement la réduction des heures de travail des autres employés n’est-elle pas démontrée et paraît peu crédible, mais la preuve amène plutôt la Commission à conclure que cette décision a été prise à l’endroit de Martin Roy, à titre de sanction, parce que le manoir n’était pas satisfait de ses services, insatisfaction qui découlerait entres autres, de son refus d’effectuer une réparation avant de partir en vacances, le 17 janvier 2008.

[90]           C’est ce que, selon les plaignants, Johanne Dubois leur dit, mais c’est aussi ce qui découle de la déclaration qu’Angie Rafat fait au policier et des déclarations que cette dernière et le manoir font à « l’assurance-emploi ». Or, cette sanction, imposée de surcroît pour une durée indéterminée, ne peut pas être justifiée par le seul refus d’effectuer une réparation. Par conséquent, la Commission conclut que Martin Roy a été congédié.

[91]           Quant à Brigitte Turcot, il n’y a aucune preuve pour expliquer la réduction de ses heures de travail autre que, le 25 janvier 2008, Johanne Dubois lui mentionne que cette décision lui est imposée par solidarité. Il ne s’agit pas d’une justification valable.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                  la plainte de Martin Roy (CM-2008-2637);

ACCUEILLE                  la plainte de Brigitte Turcot (CM-2008-2537);

RÉSERVE                     sa compétence pour déterminer les mesures de réparation prévues à l’article 128 de la Loi sur les normes du travail;

INTERDIT                      la publication, la divulgation et la diffusion du contenu de la pièce P-1.    

 

 

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Pierre Cloutier

 

Me Jessica Laforest

RIVEST, FRADETTE, TELLIER

Représentante des plaignants

 

Me Annahita Kiarash

GOWLING LAFLEUR HENDERSON, S.E.N.C.R.L.

Représentante de l’intimée

 

Date de la dernière audience :

23 avril 2010

 

/cb

 

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