Banque de Nouvelle-Écosse c. Paquin |
2014 QCCQ 10119 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-22-210035-146 |
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DATE : |
29 octobre 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE HENRI RICHARD, J.C.Q. |
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LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE |
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Demanderesse |
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c. |
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JEAN-MARC PAQUIN, aussi connu sous le nom de Jean-Marc-Joseph-Réjean : House of Paquin |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] La Banque de Nouvelle-Écosse (BNE) demande d’être déclarée seule et unique propriétaire d’une Porsche Cayenne qui fait l’objet d’un contrat de vente à tempérament avec Jean-Marc Paquin, vu ses défauts d’effectuer les versements mensuels.
[2] Jean-Marc Paquin oppose à l’action de la BNE une série de moyens de défense mal fondés en fait et en droit et qui relèvent de l’ésotérisme à l’état pur.
[3] Ceci étant, au procès, la BNE amende son action afin de réclamer les honoraires de ses avocats au présent dossier et des dommages-intérêts punitifs, vu l’abus de droit et de procédures dont elle est victime.
[4] D’entrée de jeu, le Tribunal conclut que la requête introductive d’instance en revendication de la BNE est bien fondée, contrairement à tous les moyens de défense de M. Paquin.
[5] Les seules questions en litige sont de déterminer si la BNE est victime d’abus de droit et de procédures de la part de M. Paquin et, si oui, peut-elle réclamer les honoraires de ses avocats et des dommages-intérêts punitifs ?
Contexte et analyse
[6] Le 12 août 2011, intervient entre les parties un contrat de vente à tempérament portant sur un véhicule automobile de marque Porsche Cayenne.
[7] Ce contrat ne souffre d’aucune ambiguïté quant au droit de propriété de ce véhicule : la BNE le conserve jusqu’au remboursement intégral de toutes les sommes dues par Jean-Marc Paquin qui s’engage à lui verser mensuellement 1 166,34 $ du 12 septembre 2011 au 12 août 2015 inclusivement.
[8] La BNE publie au Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM) sa réserve de propriété.
[9] Jean-Marc Paquin transmet à la BNE les sept premiers paiements mensuels prévus à ce contrat, soit de septembre 2011 à mars 2012.
[10] Au début avril 2012, Jean-Marc Paquin achemine à la BNE un document intitulé « Notice and Demand » dans lequel il allègue que le « Promissory Note » signé avec la BNE est nul et que les paiements transmis sont effectués par ignorance de sa part et extorsion de la BNE. Ainsi, il réclame à la BNE le remboursement des paiements effectués et s’insurge du fait qu’il ne reçoit aucune réponse à cette demande à laquelle il annexe le contrat de vente à tempérament sur lequel il ajoute la note manuscrite suivante : « Accepted for value. Returned for settlement ».
[11] À la fin août 2012, Jean-Marc Paquin expédie à la BNE un chèque de 43 798,37 $ tiré de son compte bancaire auprès de la CIBC et qui règle en totalité le solde dû en vertu du contrat de vente à tempérament qui lie les parties.
[12] Au recto de ce chèque apparaît la mention « EFT ONLY FOR DISCHARGE OF DEBT ». Au procès, M. Paquin explique au Tribunal que l’acronyme EFT signifie « Electronic Fund Transfer ». Au verso du chèque, apparaît la mention « NOT FOR DEPOSIT EFT ONLY FOR DISCHARGE OF DEBT ».
[13] Le représentant de la BNE explique au Tribunal qu’à la suite de la réception de ce chèque, la BNE l’encaisse sans tenir compte des annotations qui y apparaissent puisqu’il règle en totalité la dette due par Jean-Marc Paquin.
[14] À la mi-septembre 2012, la BNE est avisée que ce chèque de Jean-Marc Paquin ne peut être compensé puisqu’il est retourné avec la mention « compte fermé ».
[15] Le 6 avril 2013, la BNE signifie à Jean-Marc Paquin un « avis de reprise de possession » du véhicule en cause.
[16] À la fin février 2014, la BNE procède, en la présente instance, à la saisie avant jugement de la Porsche Cayenne ayant fait l’objet du contrat de vente à tempérament avec Jean-Marc Paquin.
[17] Le même jour, Jean-Marc Paquin met en demeure la BNE de lui payer 1 458 296,30 $, qu’il justifie par une facture de son cru, pour confiscation illégale de sa « propriété privée » et paiement de tous les préjudices qui en découlent.
[18] Le 4 avril 2014, Jean-Marc Paquin produit au dossier de la Cour ses motifs de défense ainsi libellés :
- Juridiction Common Law;
- Achat au consommateur;
- Loi sur Lettres de change (natural man)
- Accord tacite - Lettres recommandées;
- Contrat original;
- Black’s Law - Closed account.
[19] En aucun temps M. Paquin ne produit une demande reconventionnelle ou une requête afin d’amender sa défense pour ajouter une telle demande.
[20] Pourtant, au procès, M. Paquin produit un volumineux document qui comprend un « Affirmative Defenses Fraud » et un « Counterclaim » au montant de 1 475 559,80 $.
[21] Si M. Paquin avait demandé d’amender sa défense afin d’ajouter une telle demande reconventionnelle, le Tribunal l’aurait rejetée, vu sa frivolité, l’absence totale de chance de succès et son caractère abusif. Il aurait été contraire aux intérêts de la justice d’accorder un tel amendement.
[22] Au procès, Jean-Marc Paquin fait flèche de tout bois afin de contrer l’action de la BNE. À cet effet, il invoque notamment les arguments suivants qui sont mal fondés à tous égards :
- Enrichissement injustifié de la BNE;
- La constitution des États-Unis d’Amérique et celle du Canada s’appliquent aux parties et protègent la propriété privée;
- En vertu des lois fédérales sur les lettres de change et les banques, la BNE est payée;
- L’absence de réponse de la BNE après la réception du paiement possède un effet libératoire;
- Puisque la BNE ne répond pas à sa demande d’indemnisation de plus d’un million de dollars, elle accepte tacitement de le compenser;
- Les principes de la « sécuritisation » et de la « monétarisation » trouvent application;
- La BNE procède à la vente du billet au porteur sur le marché, si bien qu’elle encaisse un profit, le libérant ainsi de toute dette;
- La Porsche Cayenne qui fait l’objet du contrat de vente à tempérament est un bien créé en vue de justifier les politiques de développement durable empêchant ainsi la BNE de faire valoir ses droits à son égard;
- Il fait valoir ses droits en tant qu’homme;
- Les principes de la proposition au consommateur en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité trouvent application;
- Il y a novation de sa dette auprès de la BNE;
- Le Tribunal doit tenir compte de l’engagement du Premier ministre Philippe Couillard dans sa lutte contre les gaz à effet de serre;
- La jurisprudence de common law trouve application;
- La saisie avant jugement pratiquée en la présente instance et l’action en revendication de la BNE constituent un « trespass against my property »;
- Le présent dossier devrait être entendu par un tribunal criminel, le présent tribunal n’étant pas le bon forum;
- Tout être humain est pourvu d’une personnalité juridique qui possède un patrimoine;
- La souveraineté individuelle dont il jouit lui attribue un pouvoir illimité de contracter;
- À la signature du contrat de vente à tempérament en cause, il est induit en erreur, si bien que ce contrat est nul et non avenu;
- La BNE ne présente aucune preuve qu’elle lui prête de l’argent;
- Il est créancier de la BNE vu ses dépôts auprès d’elle;
- La BNE ne présente aucune preuve de dommages;
- La BNE entreprend une action « suspicieuse » qui constitue une usurpation de ses droits;
- La Porsche Cayenne en cause est sa propriété;
- Puisque la BNE est représentée par une avocate spécialisée en droit bancaire, il est désavantagé.
[23] À l’appui de ses nombreux motifs de défense, Jean-Marc Paquin produit d’innombrables documents dont l’absence de pertinence est aussi évidente que la frivolité de ses arguments afin de contrer l’action de la BNE.
Freemen-on-the-Land et abus
[24] Jean-Marc Paquin est un adepte des idées promues par le mouvement connu sous les noms de Freemen-on-the-Land (Freemen) ou Sovereign Citizens (Citoyens Souverains).
[25] La Cour d’appel de l’Alberta, dans Meads c. Meads[1], rend un important arrêt qui possède notamment une valeur éducative puisqu’elle décrit le mouvement des Freemen. Elle identifie les personnes qui adhèrent aux idées de ce mouvement comme « Organized Pseudolegal Commercial Argument litigants » (« OPCA litigants »).
[26] Dans cet arrêt, la Cour d’appel de l’Alberta présente le phénomène des « OPCA litigants », leurs idées et leurs méthodes. Le but avoué de cet arrêt est de sonner une alarme auprès des autorités gouvernementales, législatives et judiciaires afin d’éradiquer l’abus grandissant des gens qui adhèrent aux idées des Freemen puisqu’ils présentent des recours, des arguments et des moyens de défense qu’elle qualifie de « pseudolegal nonsense », « contemptibly stupid » et de « bluntly idiotic substance » (par. 75 et 77).
[27] De plus, cette Cour souligne, avec justesse, qu’en aucun temps les arguments des Freemen ne sont retenus par quelque autorité judiciaire que ce soit.
[28] Pour toute personne qui veut connaître le phénomène des Freemen et comprendre ses méthodes d’intervention et ses objectifs, la lecture de cet arrêt s’impose.
[29] Pour l’essentiel, les partisans des Freemen rejettent toute autorité des gouvernements et des tribunaux.
[30] Au soutien de sa demande de condamnation de Jean-Marc Paquin à payer les honoraires de ses avocats au présent dossier et des dommages-intérêts punitifs, la BNE fait témoigner le sergent Jean-François Talbot de la Sûreté du Québec qui œuvre auprès du Service des enquêtes sur les menaces extrémistes.
[31] M. Talbot témoigne que Jean-Marc Paquin est répertorié auprès de la Sûreté du Québec comme faisant partie du mouvement des Freemen par divers comportements qui font l’objet d’enquêtes, notamment l’envoi de mises en demeure à certains juges, la publication de son certificat de naissance auprès du RDPRM, le non-paiement de ses impôts auprès des autorités fédérale et provinciale, sa contestation d’un constat d’infraction émis par un policier de la Ville de Mirabel à qui il transmet une facture de 212 100 $ et son inscription au « Uniformed Commercial Code » (UCC) du « Washington State Department of Licensing ».
[32] Le sergent Talbot explique aussi au Tribunal que Jean-Marc Paquin s’inscrit dans le mouvement des Freemen puisqu’il invoque à maintes reprises le principe de la séparation de l’être de chair et de sang avec l’entité corporative créée par les autorités américaines à son égard.
[33] Les articles 54.1, 54.2, 54.3 et 54.4 du Code de procédure civile (C.p.c.) prévoient :
54.1. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.
L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.
54.2. Si une partie établit sommairement que la demande en justice ou l'acte de procédure peut constituer un abus, il revient à la partie qui l'introduit de démontrer que son geste n'est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit.
La requête visant à faire rejeter la demande en justice en raison de son caractère abusif est, en première instance, présentée à titre de moyen préliminaire.
54.3. Le tribunal peut, dans un cas d'abus, rejeter la demande en justice ou l'acte de procédure, supprimer une conclusion ou en exiger la modification, refuser un interrogatoire ou y mettre fin ou annuler le bref d'assignation d'un témoin. […].
54.4. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d'une demande en justice ou d'un acte de procédure, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l'instance, condamner une partie à payer, outre les dépens, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et débours extrajudiciaires que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.
Si le montant des dommages-intérêts n'est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d'abus, il peut en décider sommairement dans le délai et sous les conditions qu'il détermine.
(soulignements du Tribunal)
[34] Appliquant ces dispositions, le Tribunal conclut que tous les gestes posés par Jean-Marc Paquin au présent dossier constituent un abus de droit et de procédures en ce qu’il avance des arguments manifestement mal fondés, frivoles et adopte un comportement vexatoire. Aussi, sa mauvaise foi est évidente puisqu’il utilise ses moyens de défense de manière excessive, déraisonnable et de manière à nuire à la BNE qui fait valoir un droit clair de reprendre possession du bien qui lui appartient en vertu du contrat de vente à tempérament qui lie les parties.
[35] Outre ces articles, le Tribunal réfère aux enseignements de la Cour d’appel du Québec en matière d’abus de droit et de procédures dans :
− Jean-Paul Beaudry ltée c. 4013964 Canada inc., 2013 QCCA 792;
− El-Hachem c. Décary, 2012 QCCA 2071;
− Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037;
− Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., 2010 QCCA 1600;
− Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, 2010 QCCA 1369;
− Fabrikant c. Swamy, 2010 QCCA 330;
− Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., 2007 QCCA 915;
− Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.).
[36] Vu le comportement abusif, vexatoire, téméraire et de mauvaise foi de Jean-Marc Paquin qui avance des arguments manifestement mal fondés, frivoles et qui sont de nature ésotérique, le Tribunal conclut que la BNE est victime d’abus de droit et de procédures de sa part, ce qui justifie de condamner Jean-Marc Paquin à lui payer 16 685,01 $ pour les honoraires de ses avocats justifiés par une facture du 23 avril 2014.
[37] Quant aux dommages-intérêts punitifs, l’article 1621 du Code civil du Québec prévoit :
1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
(soulignements du Tribunal)
[38] Puisque le Tribunal conclut à l’abus de droit et de procédures de Jean-Marc Paquin au présent dossier, il est justifié d’attribuer des dommages-intérêts punitifs en vertu de l’article 54.4 C.p.c.
[39] Comme l’exprime avec clarté la Cour d’appel de l’Alberta dans Meads c. Meads, l’abus grandissant des partisans des Freemen à l’encontre du système judiciaire et des droits des parties cocontractantes ou adverses doit être dénoncé et éradiqué.
[40] Jean-Marc Paquin adhère aux idées des Freemen, dont il est un partisan, et les présente d’une manière abusive afin de faire triompher une doctrine, une idéologie ou une philosophie qui démontre une déconnexion de ses partisans et adhérents avec la réalité terrestre et les règles de droit de notre société.
[41] À titre de dommages-intérêts punitifs, la BNE réclame 10 000 $ et le Tribunal conclut que cette demande est bien fondée, notamment en raison de sa fonction préventive.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal:
ACCUEILLE la requête introductive d'instance en revendication de La Banque de Nouvelle-Écosse contre Jean-Marc Paquin, aussi connu sous le nom de Jean-Marc-Joseph-Réjean : House of Paquin;
REJETTE tous les moyens de défense de Jean-Marc Paquin, aussi connu sous le nom de Jean-Marc-Joseph-Réjean : House of Paquin;
DÉCLARE bonne et valable la saisie avant jugement pratiquée en la présente instance;
DÉCLARE La Banque de Nouvelle-Écosse seule et unique propriétaire du véhicule suivant : 1 Porsche Cayenne de l’année 2008 portant le numéro de série WP1AC29P88LA91177;
ORDONNE au gardien mentionné au procès-verbal de l’huissier instrumentant de remettre ce bien en la possession de La Banque de Nouvelle-Écosse;
CONDAMNE Jean-Marc Paquin, aussi connu sous le nom de Jean-Marc-Joseph-Réjean : House of Paquin, à payer à La Banque de Nouvelle-Écosse 26 685,01 $, avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec depuis l’assignation;
LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ Henri Richard, J.C.Q. |
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Me Julie Bourduas, |
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(DE GRANPRÉ CHAIT) |
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pour la demanderesse |
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M. Jean-Marc Paquin, |
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défendeur |
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Date d’audience : |
3 septembre 2014 |
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AVIS :
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