COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC, LE 28 AVRIL 1998
RÉGION: Québec DEVANT LA COMMISSAIRE: Me MICHÈLE CARIGNAN
ASSISTÉE DES MEMBRES: PAUL SAVARD,
Associations d’employeurs
PIERRETTE GIROUX,
Associations syndicales
DOSSIER: 88518-03-9705
DOSSIER CSST: AUDIENCE TENUE LE: 22 AVRIL 1998
111407979
À: QUÉBEC
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 406 DE LA LOI SUR LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET LES MALADIES PROFESSIONNELLES
(L.R.Q., c. A-3.001)
PARTIE APPELANTE: MONSIEUR SYLVAIN GIRARD
14, rue des Pruches
SAINTE-BRIGITTE-DE-LAVAL (Québec)
G0A 3K0
PARTIE INTÉRESSÉE: SICO INC.
2505, rue de la Métropole
LONGUEUIL (Québec)
J4G 1E5
Le 23 février 1998, Sico inc. (l’employeur) dépose une requête en révision pour cause à l’encontre d’une décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) le 19 janvier 1998.
Par cette décision, la Commission d’appel déclare que M. Sylvain Girard (le travailleur) fut victime d’une mesure prohibée par l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A‑3.001) (la loi) et qu’il a droit au salaire pour le temps supplémentaire qu’il aurait normalement exécuté les 4, 5, 7 et 11 mars 1996.
OBJET DE LA REQUÊTE
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête, de réviser la décision rendue par la Commission d’appel et de déclarer que le travailleur n’a pas été victime d’une mesure prohibée selon l’article 32 de la loi.
Le 1er avril 1998 est entrée en vigueur la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives[1]. Cette loi crée la Commission des lésions professionnelles qui remplace et continue la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles. En vertu de l’article 52 de cette loi, les affaires pendantes devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.
La présente décision est donc rendue par la soussignée en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles.
LES FAITS
La Commission d’appel résume comme suit les faits dans sa décision :
«En février 1996, le travailleur occupe l’emploi d’opérateur de chariot élévateur.
Le 29 février 1996, il est victime d’une lésion professionnelle reconnue comme telle par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission).
L’employeur offre au travailleur une assignation temporaire pour la période du 3 au 15 mars 1996. Cette assignation consiste à former le travailleur devant le remplacer pour son arrêt de travail.
Pendant cette période, le remplaçant que le travailleur formait a effectué du temps supplémentaire les 1, 4, 5, 7 et 11 mars 1996 pour un salaire de 650,78 $.
Le 14 avril 1996, le travailleur dépose une plainte à la Commission alléguant avoir été victime d’une mesure discriminatoire au sens de l’article 32 de la loi. Cette plainte est ainsi formulée:
«Suite à un accident du travail le 29 février 1996, mon employeur m’a assigné temporairement. Je devais former l’employé qui me remplaçait à mon poste de travail. Le 4,5,7 et 11 mars 1996, l’employeur refuse de me faire faire du temps supplémentaire et refuse aussi de me payer alors que j’étais assigné à mon propre poste de travail, comme formateur d’un employé qui me remplaçait.»
Le 8 octobre 1996, le conciliateur-décideur de la Commission reconnaît comme bien fondée la plainte du travailleur et l’employeur se prévaut de son droit à révision.
Lors de son témoignage devant la Commission d’appel, le travailleur précise occuper un emploi d’opérateur de camion élévateur spécialisé dans la réception de marchandises premières.
L’assignation temporaire offerte par l’employeur consistait à donner la formation requise à la personne devant le remplacer pendant son incapacité à exécuter son travail habituel.
Pendant cette période, la possibilité de faire du temps supplémentaire fut offerte au remplaçant les journées du 1, 4, 5, 7 et 11 mars 1996.
Cette possibilité ne lui fut pas offerte mais le remplaçant a accepté et fut rémunéré pour ce temps supplémentaire.
Le travailleur affirme qu’il aurait accepté de faire du temps supplémentaire pour les journées en cause.
Le travailleur affirme que de façon générale, il effectue de 150 à 175 heures de temps supplémentaire par année.
Le temps supplémentaire est rarement planifié et il est offert le jour même où il est requis.
La convention collective régissant les travailleurs et l’employeur prévoit que le temps supplémentaire requis doit prioritairement être offert aux travailleurs occupant l’emploi pour lequel ce travail est nécessaire.
En cas d’impossibilité pour le travailleur d’effectuer ce temps supplémentaire, cette opportunité est par la suite offerte aux autres travailleurs de la même classe d’emploi.
L’offre s’effectue alors en favorisant les travailleurs ayant effectué en cours d’année le moins de temps supplémentaire.
Le temps supplémentaire refusé est considéré comme du temps supplémentaire effectué pour les fins de déterminer l’ordre d’octroi de temps supplémentaire lors de refus des travailleurs réguliers.
Le travailleur déclare avoir pratiquement toujours accepté de faire du temps supplémentaire lorsque celui offert correspondait à son travail régulier. Ses rares refus le furent pour du temps supplémentaire demandé dans un travail autre que le sien.»
Après avoir apprécié la preuve soumise, la Commission d’appel conclut, entre autres, comme suit :
«Le temps supplémentaire est offert en premier lieu aux travailleurs exerçant le travail pour lequel ce temps supplémentaire est justifié.
Le travailleur affirme toujours accepter d’effectuer un tel temps supplémentaire ce que ne contredit pas l’employeur.
Le fait que le travailleur refuse environ 25 % du temps supplémentaire offert ne démontre aucunement que ce temps supplémentaire correspond à son travail régulier. Au contraire, le travailleur déclare ne refuser que le temps supplémentaire offert pour un travail autre que le sien.
Ainsi, la Commission d’appel considère que n’eut été la lésion professionnelle dont fut victime le travailleur ce dernier aurait selon toute probabilité effectué le temps supplémentaire qui fut offert à son remplaçant et en tant que travailleur, il fut privé d’un avantage couvert par l’article 180 de la loi.
Le travailleur fut donc victime d’une mesure prohibée par l’article 32 de la loi et l’employeur doit verser au travailleur l’équivalent du temps supplémentaire que le travailleur aurait perçu pour les journées des 4, 5, 7 et 11 mars 1996.
La Commission d’appel exclut la journée du 1er mars 1996, car à cette date, le travailleur était en congé autorisé et aucun temps supplémentaire ne lui aurait été offert.
La Commission d’appel n’adhère pas à la prétention subsidiaire de l’employeur à l’effet de tenir compte d’une proportion de 25 % de temps supplémentaire refusé, car la preuve révèle que le temps supplémentaire en cause dans le présent litige ne concernait que le travail régulier du travailleur et que ce dernier acceptait toujours d’effectuer ce type de temps supplémentaire.»
Dans son dispositif, la Commission d’appel conclut comme suit :
«DÉCLARE que le travailleur fut victime d’une mesure prohibée par l’article 32 de la loi;
DÉCLARE que le travailleur a droit à l’équivalent du temps supplémentaire qu’il aurait normalement exécuté les 4, 5, 7 et 11 mars 1996.»
Au soutien de sa requête, l’employeur invoque que la Commission d’appel a commis des erreurs de droit et de faits manifestes et déterminantes dans la solution de l’appel. Il allègue ce qui suit :
«a) La CALP a établi à maintes reprises que le temps supplémentaire ne constitue pas un avantage lié à l’emploi, à moins que ce travail en temps supplémentaire n’ait été offert et accepté avant l’assignation temporaire;
b) La preuve n’a pas démontré que l’intimé avait accepté préalablement à son assignation temporaire de travailler en temps supplémentaire sur son poste les 4, 5, 7 et 11 mars 1996;»
c) Or, la commissaire Godin conclut sur la base du seul témoignage de l’intimé rendu plusieurs mois après l’événement à l’effet « qu’il aurait effectué le temps supplémentaire s’il lui avait été offert », que le temps supplémentaire est un avantage au sens de l’article 180 de la LATMP, ce qui constitue une erreur de droit manifeste et déterminante;
d) La Commissaire Godin justifie son raisonnement en concluant que la preuve démontre que dans le présent cas, le temps supplémentaire effectué par l’intimé était une probabilité plutôt qu’une possibilité puisque celui-ci affirme toujours accepter de travailler en temps supplémentaire sur son travail régulier;
e) Toutefois, la preuve a plutôt démontré que l’intimé a déjà refusé de travailler en temps supplémentaire sur son poste;
f) Au surplus, l’intimé a soutenu dans son témoignage, effectuer à chaque année, de façon générale, 150 à 175 heures de temps supplémentaire;
g) Or, le témoignage de l’intimé a été contredit par les documents déposés lors de l’audition par le représentant de la requérante, M. Gilles Fortier, concernant les acceptations et les refus de l’intimé de travailler en temps supplémentaire;
h) Ces documents non contredits démontrent qu’en réalité, l’intimé a travaillé 131.25 heures en temps supplémentaire au cours de l’année 1996 et 67.60 heures pour les deux tiers de l’année 1997;
i) Sur la base de ces documents, il appert également que la proportion des refus de l’intimé de travailler en temps supplémentaire n’était pas de 25%, tel qu’indiqué à la décision de la Commissaire Godin, mais plutôt de l’ordre de 35%;
j) La Commissaire ne pouvait passer outre au caractère facultatif de l’acceptation du temps supplémentaire chez la requérante;
k) La conclusion a laquelle en arrive la Commissaire Godin procure nécessairement un avantage indu à l’intimé par rapport aux autres travailleurs de la requérante;
l) En effet, la Commissaire n’a pas tenu compte de la preuve présentée à l’effet que le 5 mars 1996, l’intimé a effectué deux heures de temps supplémentaire sur son poste d’assignation temporaire à titre de formateur, lui accordant au surplus 6 heures de temps supplémentaire sur son poste régulier à cette même date, impliquant un dédoublement des avantages conférés à l’intimé;
m) Par le biais de l’interprétation donnée à l’article 180 de la LATMP, la Commission d’appel a clairement reconnu les régimes distincts s’appliquant au travailleur en assignation temporaire d’une part et au travailleur étant en arrêt de travail d’autre part, le premier ayant le bénéfice de continuer à accumuler ses heures de travail, ce qui aura un impact sur ses vacances, congés payés et autres avantages prévus à la convention collective et ce, contrairement au travailleur en arrêt de travail;
n) Par son interprétation de l’article 180 de la LATMP, la Commissaire met de côté cette distinction établie par le législateur, ce qui constitue une erreur manifeste et déterminante;
o) L’interprétation retenue par la Commissaire pourrait mener à des situations injustes allant à l’encontre de l’esprit de la Loi comme, par exemple, permettre à un travailleur en assignation temporaire d’être rémunéré pour le temps supplémentaire effectué sur son poste régulier ainsi que pour le temps supplémentaire qu’il pourrait effectuer sur le poste qui lui est assigné temporairement;
p) La Commissaire n’était pas fondée en faits et en droit d’aller à l’encontre de l’interprétation constante de la CALP de l’article 180 de la LATMP, la preuve ne permettant aucunement d’y déroger et ne justifiant pas la création d’une nouvelle règle jurisprudentielle;»
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif donnant ouverture à la révision de la décision qu’elle a rendue le 19 janvier 1998 dans le dossier no 88518-03-9705.
Les articles 405 et 406 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) se lisent comme suit :
405. Toute décision de la Commission d'appel doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.
Cette décision est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
406. La Commission d'appel peut, pour cause, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu.
La jurisprudence établie par la Commission d’appel prévoit qu’une erreur de droit ou de faits peut donner ouverture à la révision pour cause. Toutefois, cette erreur doit être manifeste et déterminante afin de respecter le caractère final et exécutoire des décisions de la Commission d’appel.
Il va de soi que le fait de ne pas être d’accord avec l’interprétation que fait la Commission d’appel de certaines dispositions de la loi ou encore de son appréciation de la preuve ne constitue pas une erreur manifeste de droit ou de faits.
Dans le présent cas, la Commission d’appel a apprécié la preuve soumise et a conclu que le travailleur, n’eût été de sa lésion professionnelle, aurait «selon toute probabilité effectué le temps supplémentaire qui fut offert à son remplaçant et, en tant que travailleur, il fut privé d’un avantage couvert par l’article 180 de la loi». Pour cette raison, la Commission d’appel a conclu que le travailleur fut victime d’une mesure prohibée par l’article 32 et que l’employeur devait lui verser le salaire équivalent au temps supplémentaire qu’il aurait perçu pour les journées des 4, 5, 7 et 11 mars 1996.
Les membres siégeant en l’instance sont d’avis qu’il n’a pas été démontré un motif donnant ouverture à la révision de la décision.
La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime qu’il n’a pas été démontré d’erreurs de droit et de faits manifestes et déterminantes donnant ouverture à la révision de cette décision.
Il est vrai que la jurisprudence de la Commission d’appel n’est pas unanime sur cette question de droit mais cela n’en fait pas un motif donnant ouverture à la révision.
Dans le présent cas, la Commission d’appel a conclu que le temps supplémentaire constituait un avantage lié à l’emploi et il ne s’agit certainement pas là d’une erreur manifeste en droit.
Quant à la conclusion de la Commission d’appel selon laquelle la preuve démontre, selon toute probabilité, que le travailleur aurait normalement effectué le temps supplémentaire les 4, 5, 7 et 11 mars 1996 n’eût été de sa lésion professionnelle, il s’agit là d’une question d’appréciation de la preuve.
Le fait de ne pas être d’accord avec la preuve retenue n’en fait pas une appréciation manifestement déraisonnable.
Au surplus, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision tient à préciser qu’elle n’a pas à se substituer au premier commissaire dans l’appréciation de la preuve.
Aussi, le fait pour la Commission d’appel de s’être trompée de 10 % dans la proportion des refus du travailleur d’effectuer du temps supplémentaire n’est pas déterminant en l’espèce lorsqu’on prend connaissance de l’ensemble des motifs exposés par la Commission d’appel dans sa décision.
Enfin, le fait que le travailleur ait effectué deux heures de temps supplémentaire sur son poste d’assignation temporaire, le 5 mars 1996, n’empêche pas qu’il aurait pu effectuer du temps supplémentaire sur son poste régulier dans la soirée n’eût été de la lésion professionnelle. Il va de soi que si un travailleur effectue du temps supplémentaire sur son poste d’assignation temporaire qu’il n’est pas disponible et n’aurait pas normalement travaillé en temps supplémentaire sur son poste régulier aux mêmes heures.
Pour terminer, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne voit pas en quoi l’interprétation retenue par la Commission d’appel pourrait mener à des situations injustes allant à l’encontre de la loi.
Pour ces motifs, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime qu’il n’a pas été démontré de motif donnant ouverture à la révision de la décision de la Commission d’appel et qu’il s’agit plutôt ici d’un appel déguisé.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSION-NELLES :
REJETTE la requête en révision pour cause déposée par Sico inc. le 23 février 1998.
MICHÈLE CARIGNAN
Commissaire
CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS NATIONAUX
(Me Georges-Étienne Tremblay)
155, boulevard Charest Est
QUÉBEC (Québec)
G1K 3G6
Représentant de la partie appelante
LAVERY, DE BILLY
(Me Claudia P. Prémont)
925, chemin Saint-Louis, bureau 500
QUÉBEC (Québec)
G1S 2C1
Représentante de la partie intéressée
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LE TRAVAILLEUR
Commission de la santé et de la sécurité du travail et Cégelec Entreprises et Guy Leroux
CALP, dossier no 22231-61-9010, (1993-09-29), Mme la commissaire Louise Boucher;
La Succession de feu Armand Lessard et Commission de la santé et de la sécurité du travail et Société Asbestos ltée
CALP, dossier no 69709-03-9505, (1997-08-29), M. le commissaire René Ouellet;
Madame Hélène Sirois et C.A. Groupe L’Eau Vive
CALP, dossier no 36822-03-9202, (1994-11-17), Mme la commissaire Michèle Carignan;
Industries Davie inc. et Monsieur Manyse Lessard
CALP, dossiers nos 63685-03-9410 et 67685-03-9503, (1998-01-06), M. le commissaire Bertrand Roy;
Abitibi-Price inc. et Gaétan Bergeron et Commission de la santé et de la sécurité du travail
CALP, dossier no 19853-02-9006, (1992-02-14), M. le commissaire Jean‑Guy Roy;
Collins & Aikman inc. et Jean-Louis Dansereau
CALP, dossier no 62-00020-8604, (1986-12-09), M. le commissaire Guy Beaudoin;
René Simard et Sico inc.
CALP, dossier no 62595-03-9409, (1995-03-03), Mme la commissaire Michèle Carignan;
Sico inc. et Monsieur Denis Savoie
CALP, dossier no 89208-03-9706, (1998-03-02), Mme la commissaire Michèle Carignan;
Monsieur Daniel Gagnon et Sico inc.
CSST, no d’indemnisation 113724124, (1998-03-20), M. Gérard Hébert, conciliateur-décideur.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.