Lecours c. Riviere Rodriguez |
2016 QCCS 5572 |
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COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT D'ARTHABASKA |
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N° : |
415-17-001161-151 |
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DATE : |
LE 10 NOVEMBRE 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CLÉMENT SAMSON, j.c.s. |
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SIMON LECOURS |
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Demandeur |
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c. |
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CARLOS ALFREDO RIVIERE RODRIGUEZ |
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Défendeur |
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JUGEMENT EN DOMMAGES POUR DÉFAUT DE PASSATION DE TITRE |
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[1] La promesse d’achat signée par le défendeur le lie-t-elle au demandeur? Si oui, quels sont les dommages encourus par le fait qu’il n’y a pas donné suite?
[2] Le demandeur, Monsieur Simon Lecours (Monsieur Lecours) est propriétaire d’une luxueuse résidence située au […] à Victoriaville depuis une dizaine d’années au moment où il décide de la mettre en vente en septembre 2012. Il y demeure avec sa conjointe, Madame Claire Gendron.
[3] Monsieur Lecours n’est pas forcé de vendre rapidement cette résidence. Il pratique la médecine à Victoriaville. Avec sa conjointe, il caresse le rêve un jour d’aller s’établir dans un nouveau condominium qu’il a acquis, à cette même époque, à Lévis en bordure du fleuve. Entre-temps, ils peuvent, s’ils le veulent, louer ce condominium.
[4] En 2013, en prévision de sa retraite éventuelle, il tente de vendre lui-même sa résidence de la rue Leclerc. Bien qu’il ait investi davantage, il serait disposé à la laisser aller pour la somme de 795 000 $.
[5] Aucun acheteur ne s’étant manifesté, en décembre 2013, il confie la vente à des courtiers représentés par Madame Sylvie Baril. Elle lui suggère de diminuer le prix demandé à 695 000 $. Un mandat de vente est confié pour ce prix réduit. Une affiche est installée en façade.
[6] Au début de mars 2014, on frappe à la porte. Une personne intéressée par l’achat de cette résidence s’y présente. Monsieur Lecours informe cette personne de transiger avec les courtiers mandatés.
[7] Le 5 mars 2014, après avoir visité aussi d’autres résidences avec Madame Baril, le défendeur, Monsieur Carlos Alfredo Riviere Rodriguez (Monsieur Riviere), signe une promesse d’achat afin d’acquérir la résidence de Monsieur Lecours. Doivent aussi être vendus avec l’immeuble un grand nombre de meubles. Le prix total offert : 625 000 $. Si l’offre est acceptée, la signature de l’acte d’achat doit alors se faire avant le 15 juillet 2015.
[8] Cette promesse de vente-achat est assortie d’une condition qui a pour objet de protéger le promettant-acheteur :
« 6. NOUVEL EMPRUNT HYPOTHÉCAIRE
6.1 MODALITÉS - L’ACHETEUR s’engage à entreprendre de bonne foi, dans les plus brefs délais et à ses frais, toutes les démarches nécessaires pour obtenir un emprunt de 531 250 $ garanti par hypothèque; cet emprunt, portant intérêt au taux courant, lequel ne doit pas dépasser 5% l’an (calculé semi annuellement et non à l’avance), sera calculé selon un plan d’amortissement maximal de 25 ans, le solde en devenant exigible dans un minimum de 5 ans.
6.2 ENGAGEMENT - L’ACHETEUR s’engage à fournir AU VENDEUR, dans les 21 jours suivant l’acceptation des présentes, copie de l’engagement d’un prêteur hypothécaire à lui consentir un emprunt au montant prévu à la clause 6.1 ou à un montant supérieur. La réception d’un tel engagement dans ce délai aura pour effet de satisfaire pleinement aux conditions énoncées à la clause 6.1. »
[9] Le 7 mars 2014, Monsieur Lecours formule une contre-proposition. D’abord, il serait consentant à diminuer le prix demandé à 660 000 $. De plus, puisque Madame Baril lui indique que Monsieur Riviere a un bail jusqu’à la fin octobre, Monsieur Lecours lui formule la possibilité de signature de l’acte de vente chez le notaire au plus tard le 31 octobre 2014. Incidemment, cela satisfera également Monsieur Lecours puisque, devant cette offre, le couple Lecours-Gendron saisit l’occasion d’aménager dans leur condominium de Lévis au cours des prochains mois afin de s’y installer définitivement à la fin octobre lorsqu’ils auront vendu leur résidence. Ce condominium avait été payé en partie pendant sa construction par le couple Lecours-Gendron et, finalement, acheté formellement en novembre 2013.
[10] Dans les heures qui suivent, Monsieur Riviere accepte la contre-proposition.
[11] Puisque la promesse d’achat est conditionnelle à un engagement de financement hypothécaire qu’il doit obtenir dans les 21 jours de l’acceptation de cette promesse d’achat, Monsieur Riviere se met à l’œuvre dès le 7 mars 2014.
[12] Il se rend donc rencontrer Madame Natalie Desmarais de la Caisse Desjardins des Bois-Francs. Il lui présente l’essence de l’offre d’achat et désire obtenir le financement nécessaire à l’acquisition de cet immeuble et de ses nombreux meubles.
[13] Monsieur Riviere indique qu’il est ingénieur et qu’il travaillerait pour Sural, une entreprise manufacturière d’équipements en métal qui s’installe dans la région de Victoriaville. Il touche déjà un salaire de 120 000 $ qui est versé directement dans son compte de la Caisse depuis quelques temps. Son revenu 2013, alors qu’il travaillait pour cette entreprise du Vénézuéla, équivalait à 140 000 $. Il détient un placement équivalant à 120 000 $ dans une banque américaine. Monsieur Riviere se montre disposé à débourser une mise de fonds de 20 % du prix d’acquisition, soit 132 000 $, ce qui limiterait le crédit demandé à 528 000 $ et éviterait de demander une assurance hypothécaire coûteuse auprès de la SCHL. Avec ces informations, Madame Desmarais peut débuter son analyse de crédit.
[14] Le 20 mars 2014, lors d’une seconde rencontre, une promesse de prêt pour une somme totale de 528 000 $, (incluant une marge de crédit pour les meubles de la résidence) est formulée par Madame Desmarais. Elle est même rédigée en anglais pour que Monsieur Riviere (qui ne comprend pas parfaitement le français) puisse en comprendre la portée précise. Mis à part un léger écart avec le montant spécifié dans la promesse d’achat, toutes les conditions de celle-ci sont respectées.
[15] Dans le cadre de cette rencontre, cette offre potentielle de crédit est acceptée par Monsieur Riviere. Il fournit les autorisations requises pour obtenir un document démontrant qu’il détient un placement étranger et sa dernière déclaration fiscale vénézuélienne. À ses propres frais, la Caisse demande une évaluation indépendante de la valeur de la résidence.
[16] Pour permettre à Monsieur Riviere de compléter son dossier de crédit et à Madame Desmarais de l’analyser, le 25 mars 2014, les parties prorogent conventionnellement le délai de 21 jours pour le porter jusqu’au 4 avril 2014. De nouveau, le 3 avril 2014, les parties prorogent ce délai jusqu’au 25 avril.
[17] Le 24 avril 2014, la Caisse Desjardins des Bois-Francs transmet à Monsieur Riviere et à Madame Baril une confirmation de son acceptation de consentir un financement pour l’achat de l’immeuble. Le document ne mentionne pas de montant puisque ce document est aussi transmis au courtier qui, suivant les politiques de la Caisse, n’a pas à connaître ces informations :
« Par la présente, nous désirons vous confirmer que la Caisse Desjardins des Bois-Francs accepte de vous consentir un prêt hypothécaire pour l’achat d’une propriété située au […] Victoriaville Qc. »
[18] Madame Baril informe Monsieur Lecours. Personne n’est plus inquiet car la condition suspensive de la promesse d’achat est maintenant remplie.
[19] Madame Baril informe Madame Desmarais que Monsieur Riviere serait même disposé à faire un dépôt initial plus élevé. Madame Desmarais s’enquiert par courriel auprès de Monsieur Riviere qui lui répond : « 50 000 to. 60 000 ». Cette avenue ne connaîtra pas de suite.
[20] Le temps passe. En septembre, en prévision de la transaction, Madame Baril demande à Monsieur Riviere de lui indiquer le nom de son notaire pour rédiger l’acte de vente. N’en connaissant pas, Monsieur Riviere accepte la recommandation de Madame Baril et choisit le notaire Jean Boudreau.
[21] Mais, en réalité, les choses ne vont pas aussi bien pour la réalisation de cette vente.
[22] Volontairement, à cause de problèmes rencontrés avec la filiale canadienne de l’entreprise familiale Sural, Monsieur Riviere prend en juin la décision de quitter bientôt son emploi afin de retourner aux études. Il formule une demande d’inscription à l’Université McGill.
[23] En septembre 2014, Monsieur Riviere a tu son intention d’aller aux études et consent à ce que le notaire Boudreau prépare un projet d’acte de vente.
[24] En octobre 2016, Monsieur Riviere laisse son emploi et devient étudiant, bénéficiant dès lors uniquement de l’aide de ses parents et décaissant ses avoirs.
[25] À la mi-octobre 2014, Monsieur Riviere informe Madame Desmarais d’arrêter le processus de crédit car il n’a plus l’intention d’acheter la résidence de Monsieur Lecours. Dans les heures qui suivent, Madame Desmarais en informe Madame Baril.
[26] Le samedi 18 octobre 2014, après avoir échangé préalablement avec lui au téléphone, Madame Sylvie Baril rencontre Monsieur Riviere afin de l’informer des conséquences de son refus d’acquérir l’immeuble. Ces personnes se laissent et Monsieur Riviere indique qu’il a besoin de la fin de semaine pour réfléchir à tout cela.
[27] Le lundi 20 octobre 2014, rien n’y fait; Monsieur Riviere ne veut plus acheter.
[28] Madame Baril en informe Monsieur Lecours, catastrophé.
[29] Le 23 octobre 2014, le couple Lecours-Gendron, qui avait préalablement mis en marche son déménagement dans son nouveau condominium de Lévis en y investissant plusieurs dizaines de milliers de dollars, déménage, tout en étant tous deux conscients de la situation dans laquelle ils se retrouvent.
[30] Le 30 octobre 2014, Monsieur Lecours transmet une mise en demeure à Monsieur Riviere l’intimant de prendre entente avec le notaire Jean Boudreau afin d’aller signer l’acte d’achat de la résidence dont il transmet également copie. Aucune réaction de Monsieur Riviere. La deuxième mise en demeure ne connaît pas davantage de succès.
[31] En décembre 2014, une fois remis de leur déception et de leur déménagement, le couple Lecours-Gendron remet en vente l’immeuble de la rue Leclerc. Madame Baril l’annonce dans une parution de prestige et sur des sites internet.
[32] Monsieur Lecours, étant médecin pratiquant à Victoriaville et faisant maintenant l’aller-retour Lévis-Victoriaville quatre jours par semaine, s’occupe alors de la résidence inoccupée. Il n’y a dormi que 4 soirs, lors de tempêtes de neige.
[33] De décembre 2014 au printemps 2016, peu de personnes se montrent intéressées par cette résidence. Monsieur Lecours diminue à deux reprises le prix.
[34] Finalement en mars 2016, un couple se montre intéressé par la résidence. Ils formulent une offre inacceptable aux yeux de Monsieur Lecours : ils suggèrent que Monsieur Lecours prenne leur résidence de Victoriaville en échange du […], le tout assorti d’une somme d’argent. L’offre est refusée.
[35] Quelques jours plus tard, ils offrent la somme de 500 000 $.
[36] Puisqu’ils ont attendu plus d’une année avant de recevoir une seule offre d’achat, après avoir géré cette résidence inoccupée pendant tout ce temps, le couple Lecours-Gendron accepte et la vente se réalise le 8 avril 2016.
[37] Par sa procédure d’abord en passation de titre déposée en janvier 2015 et maintenant transformée en dommages à cause de la vente de la résidence, Monsieur Lecours réclame à Monsieur Riviere les dommages causés par l’inexécution de ses obligations.
[38] Après avoir rappelé les règles générales applicables en ce domaine, le Tribunal discute de chacun des arguments avancés par Monsieur Riviere. Par la suite, il discute des dommages réclamés.
[39] L’article 1396 C.c.Q. édicte qu’une offre de contracter, dûment acceptée, crée des obligations de conclure un contrat.
[40] Pour sa part, l’article 1506 C.c.Q. précise qu’une condition accomplie a, entre les parties, un effet rétroactif au jour où le débiteur s’est engagé sous condition.
[41] Dans l’arrêt Théberge c. Durette[1], la Cour d’appel nous enseigne en quelques lignes les conditions de validité d’une action en passation de titre :
« [48] On peut résumer comme suit les conditions principales de l'action en passation de titre, qui suppose évidemment une promesse valide et exécutoire :
- Mise en demeure (encore que l'absence de celle-ci ne soit pas nécessairement fatale);
- Présentation d'un acte de vente conforme à la promesse (encore que cette exigence soit interprétée et appliquée avec une certaine souplesse, et non pas de façon « stricte, rigoriste et byzantine », comme le rappelle la Cour dans Bettan c. 146207 Canada inc. et dans Morris Bailey Enterprises c. Gouverneur inc.; au même effet, voir : Belley c. Cécyre; Penterman c. Ferme brune des Alpes inc., notamment au paragr. 87);
- Offre et consignation du prix de vente indiqué à la promesse (encore que cette exigence ait elle aussi été assouplie et puisse même être exécutée postérieurement au jugement, si les circonstances s'y prêtent, comme ce fut par exemple le cas dans l'affaire Houlachi c. Bray);
- Action intentée dans un délai raisonnable.»
(références omises)
[42] Voyons les arguments invoqués à l’encontre de l’action en passation de titre de Monsieur Lecours, laquelle est aujourd’hui transformée en recours en dommages puisque la résidence de la rue Leclerc est aujourd’hui vendue.
[43] Monsieur Riviere prétend que l’action intentée en janvier 2015 par Monsieur Lecours ne respecte pas les conditions minimales pour la validité d’un recours en passation de titre.
[44] Le Tribunal ne partage pas cet avis. D’abord le recours conclut que, s’il est accueilli, le Tribunal doit ordonner à Monsieur Riviere de se rendre chez le notaire pour signer l’acte de vente et lui remettre 660 000 $. À défaut d’obtempérer, la procédure conclut à la condamnation monétaire de Monsieur Riviere après quoi, il sera déclaré propriétaire de la résidence et le jugement tiendra lieu de titre.
[45] Le projet d’acte de vente préparé par le notaire Blondeau correspond essentiellement à la promesse de vente. La mise en demeure de Me Leblond est conforme aux règles applicables en ce domaine et l’action est intentée dans un délai plus que raisonnable.
[46] Quant à l’argument que la demande de passation de titre était illusoire compte tenu de la solvabilité maintenant plus faible de Monsieur Riviere fondé sur la jurisprudence[2], cet argument est maintenant chose du passé puisque l’action a été modifiée suite à la vente d’avril 2016 et, comme le reconnaît en pareil contexte la Cour d’appel, il est préférable de choisir l’action en dommages, ce qui est maintenant précisément le cas.
[47] Monsieur Riviere plaide que la somme offerte pour l’acquisition de la résidence est trop élevée eu égard à sa valeur.
[48] Non seulement la lésion n’existe-t-elle pas entre personnes majeures, mais il y a bien plus. Le prix de 660 000 $ est représentatif de la réelle valeur de la résidence et de ses meubles. L’évaluation professionnelle obtenue par la Caisse fixe sa valeur à 632 000 $. Le Tribunal n’a pas une connaissance de la valeur des meubles vendus, mais l’écart est tel qu’il serait raisonnable de penser que la différence de 28 000 $ se rapproche sensiblement de la valeur de ces meubles.
[49] Monsieur Riviere a visité d’autres résidences haut de gamme de valeurs similaires. Il devait donc être en mesure de comparer les prix demandés.
[50] Cet argument est rejeté.
[51] Monsieur Riviere plaide que son offre de financement n’était pas conforme en ce que la Caisse Desjardins des Bois-Francs n’a pas réalisé une analyse sérieuse et, si tel avait été le cas, Monsieur Riviere n’aurait pas eu droit à une offre de financement et n’aurait pas manqué à ses obligations en n’achetant pas la résidence de Monsieur Lecours.
[52] D’abord, Monsieur Riviere plaide avoir obtenu du financement alors que, suivant ses dires, il n’aurait pas dû.
[53] Premièrement, ce fait n’a rien à voir avec Monsieur Lecours. Ce dernier est étranger au fait que la Caisse Desjardins des Bois-Francs ait offert du crédit. Chose certaine, Monsieur Riviere a obtenu ce qu’il a demandé. La condition est respectée, ni plus ni moins.
[54] Deuxièmement, faire crédit à quelqu’un est un geste de confiance. Rien n’oblige une personne à faire une enquête de crédit si elle décide de lui faire confiance et de lui prêter de l’argent. Il est étrange que le défendeur prétende en quelque sorte qu’on ne devait pas lui faire confiance!
[55] Troisièmement, la preuve ne permet pas de conclure à une faute de l’institution financière. Bien au contraire.
[56] Madame Desmarais a fait évaluer l’immeuble et cela a donné un résultat à peine moins élevé que le montant contenu dans la promesse de vente. Rappelons aussi que la promesse de vente vise aussi presque tous les meubles de la résidence qui ne sont pas tenus compte dans l’évaluation professionnelle obtenue par la Caisse. L’immeuble est une garantie réelle dont aurait été assorti le prêt.
[57] De plus, Madame Desmarais a obtenu les preuves de revenus de l’année précédente ainsi que la confirmation du dépôt régulier du salaire versé par Sural à Monsieur Riviere. Une preuve satisfaisante d’un dépôt dans une banque américaine a également été transmise à Madame Desmarais avant qu’elle ne formule une acceptation de la demande de crédit de Monsieur Riviere.
[58] Quant à la mise de fonds, Madame Desmarais a compris que la banque américaine détenait un placement de 120 000 $ en dollars américains alors que la note écrite précisait que le dépôt en argent américain équivalait à 120 000 $ canadiens. Cette erreur est sans conséquence sur la promesse de vente. Au jour de la transaction chez le notaire, Madame Desmarais aurait exigé le dépôt de cette somme et probablement de la somme que Monsieur Riviere conservait dans son propre compte à la Caisse, soit 11 000 $. Chose certaine, Monsieur Riviere voulait une promesse de crédit à hauteur de 528 000 $, ce qu’il a obtenu. La mise de fonds de 132 000 $ était pratiquement disponible lors de l’analyse de la demande de crédit.
[59] Monsieur Riviere fait reproche à Madame Desmarais de ne pas avoir révisé son offre de crédit au mois de septembre 2014. À cet égard, le tribunal est d’avis que la condition suspensive était rencontrée le 24 avril 2014 et qu’il n’appartenait pas à Monsieur Riviere de s’en plaindre ultérieurement.
[60] Puis, si tant est que l’institution financière lui avait retiré sa confiance à cause de la fin de son contrat de travail, rappelons simplement qu’il a démissionné. Il s’est lui-même placé en situation d’absence de revenus réguliers pour devenir étudiant. Il ne peut invoquer sa propre turpitude.
[61] Monsieur Riviere fait reproche à Madame Baril de ne pas avoir fait signer aux parties un document à l’effet que la condition relative au financement était formellement respectée au lendemain du 24 avril 2014.
[62] Rien dans la loi ni dans le contrat n’oblige à procéder ainsi.
[63] Le Tribunal est d’avis qu’il n’était pas nécessaire de procéder de la sorte.
[64] Cet argument n’est pas parfaitement utile dans le présent contexte puisque personne ne conteste le fait que la Caisse, après une analyse sérieuse, a promis le prêt demandé par Monsieur Riviere.
[65] Le Tribunal est donc d’avis que la procédure en passation de titre, transformée en action en dommages suite à la vente de la résidence le 8 avril 2016, est fondée et que ses motifs de contestation ne sont pas fondés. Reste la question de la quantification des dommages causés.
[66] Le Code civil prévoit que les dommages-intérêts ont pour but de compenser une perte subie et le gain dont une partie est privée. Ces dommages sont ceux qui pouvaient être prévus lorsque l’obligation a été contractée à moins que ces dommages n’aient été causés par la faute intentionnelle ou la faute lourde du débiteur, auquel cas tous les dommages qui sont une suite immédiate et directe de l’inexécution sont alors dus.
[67] Il est dès lors important pour le Tribunal de statuer sur la gravité de la faute de Monsieur Riviere.
[68] Son témoignage est franc. Il a vu que l’entreprise pour laquelle il s’est installé au Québec ne s’implantait pas de façon acceptable à ses yeux. Au lieu de se chercher un emploi ailleurs, il a simplement préféré demander son inscription à l’université McGill pour obtenir un titre officiel d’ingénieur. Il a donc abandonné son emploi et puisque l’Université montréalaise McGill se trouve à distance de Victoriaville, il a aussi préféré abandonner son projet de s’y installer.
[69] Il n’a donc aucune excuse sérieuse à faire valoir face au pétrin dans lequel il a placé le couple Lecours-Gendron.
[70] Qui plus est, même s’il a pris cette décision en juin 2014, il s’est bien gardé de partager ses intentions avec Madame Baril. Au contraire, encore en septembre, il lui a répondu qu’il ferait affaires avec le notaire qu’elle lui suggérait. Il a attendu que les boîtes de déménagement du couple Lecours-Gendron soient prêtes à être déplacées pour indiquer qu’il n’entendait plus donner suite à son engagement contractuel.
[71] Le Tribunal ne croit pas qu’il soit inconscient de ses obligations légales sous prétexte qu’il ne connaîtrait pas les lois québécoises. Rappelons qu’il est détenteur d’un MBA d’une université américaine et qu’il a vécu en Europe à titre de gestionnaire de l’entreprise familiale. Quel que soit le pays occidental dans lequel on vit, un contrat demeure un contrat.
[72] Quant à sa compréhension du français, bien qu’il s’exprime en anglais, il a su comprendre parfaitement la traduction qui lui a été faite de ses engagements. Pour preuve, au terme de l’acceptation de la contre-offre de Monsieur Lecours, il s’est rapidement rendu à la Caisse Desjardins pour effectuer l’emprunt hypothécaire nécessaire à la transaction.
[73] Le comportement de Monsieur Riviere est désarmant : il a renié sa signature sans manifester quelque regret que ce soit. Il a agi de façon intentionnelle ou du moins avec une désinvolture équivalente à une faute lourde. Il doit donc aussi assumer tout dommage qui est une suite immédiate et directe de sa décision de faire faux-bond à ses engagements envers Monsieur Lecours.
[74] La différence entre 660 000 $ et 500 000 $ est réclamée par Monsieur Lecours.
[75] La règle d’évaluation du dommage en cette matière est rappelée par la Cour d’appel dans l’arrêt Lainé c. Bérubé[3] :
« (36) Si une offre devient nulle, faute d’une partie de signer sans justification un acte de vente, l’autre a droit aux dommages-intérêts dont le montant doit être prouvé. Généralement, ces dommages résultent de la différence entre le prix convenu à la promesse et le prix obtenu lors d’une vente. »
(référence omise)
[76] Il est vrai que la différence est importante entre la valeur acceptée par Monsieur Riviere et que la vente survenue en avril 2016 (pour l’immeuble et les mêmes meubles) peut sembler importante, mais il faut replacer en contexte. D’abord, ce ne sont pas tous les acheteurs de résidences à Victoriaville qui se paient pareille résidence. Pour preuve, pendant la période de mise en vente par Monsieur Lecours personnellement, il n’y a pas eu d’offre formulée. Ensuite, pendant le mandat de Madame Baril, il n’y a eu que celle de Monsieur Riviere. Il n’est donc pas étrange que Monsieur Lecours ait dû attendre plus d’un an avant de recevoir une offre.
[77] Les efforts de remise en vente de la résidence en décembre 2014 ont été faits. Même si elle n’était plus habitée, elle n’était pas pour autant vide de contenu car les meubles y étaient demeurés en place. De plus, Monsieur Lecours s’y rendait au moins une fois par semaine, même après la prise de sa retraite.
[78] Après avoir refusé une première offre contenant un échange, Monsieur Lecours a préféré ne pas formuler de contre-offre lorsqu’il s’est vu offrir 500 000 $. Ce comportement est raisonnable dans les circonstances.
[79] La différence de 160 000 $ réclamée à Monsieur Riviere est justifiée.
[80] Monsieur Lecours a une société de gestion qui lui appartient en propre. Il a donc emprunté des sommes à sa société de gestion pour payer l’achat et l’aménagement de son condominium de Lévis. Il réclame les intérêts sur cette somme qu’il n’aurait pas autrement empruntée si la somme de 660 000 $ lui avait été versée suite à la vente de sa résidence.
[81] À compter du 8 avril 2016, il réclame des intérêts sur la différence de 160 000 $ jusqu’à la date de ce jugement.
[82] Monsieur Lecours prétend qu’il aurait droit à un intérêt de 4 %, soit celui réclamé par son institution financière lorsqu’il a remboursé sa compagnie de gestion.
[83] Le Tribunal est davantage d’avis que le taux qui peut être réclamé n’est pas celui d’un emprunt vu les liquidités qui étaient alors disponibles, mais plutôt un taux qui se rapproche d’un dépôt.
[84] Par conséquent, si un taux d’emprunt à cette époque était de 4 %, le Tribunal use de sa discrétion pour fixer un taux de dépôt à la moitié, soit 2 %.
[85] Par conséquent, le Tribunal estime raisonnable de fixer ce dommage à une somme de 18 986 $[4] pour la période avant la revente de la résidence et à 1 893 $[5] pour la période entre la vente et la date de ce jugement.
[86] Madame Gendron gère les dépenses du couple. Elle a produit un sommaire détaillé des frais d’entretien de la résidence avec toutes les pièces justificatives.
[87] Il était normal d’assurer la résidence, de payer le système d’alarme et son raccordement aux autorités policières, de payer les taxes municipales et scolaires, les frais de déneigement, d’électricité, d’entretien paysager minimum et de location du réservoir de gaz propane.
[88] La réclamation de 22 544,09 $ est fondée.
[89] La réclamation de 5 000 $ de Monsieur Lecours pour les ennuis et inconvénients supportés pendant 525 jours suite à la faute contractuelle de Monsieur Riviere semble on ne peut plus justifiée.
[90] Les frais de notaire de 1 048,24 $ réclamés sont justifiés.
[91] Les frais d’avocat pour mener jusqu’à l’audition de cette affaire sont aussi réclamés.
[92] Il n’est pas d’usage de condamner au paiement des honoraires d’avocat, la règle voulant que chaque partie assume ses propres frais d’avocats. Cela est d’autant plus vrai que, depuis l’adoption du Code de procédure civile, il n’y a plus d’honoraires même judiciaires.
[93] Toutefois, lorsque la défense est fondée sur des faits qui démontrent la mauvaise foi ou du moins, la témérité d’une partie[6], les tribunaux sont autorisés à condamner le défendeur aux frais d’avocats en demande.
[94] Dans la présente affaire, comme déjà analysé, le défendeur n’avait pas de motif de défense car il a pris la décision de ne plus acheter la résidence, ayant choisi de démissionner de son travail pour retourner aux études à Montréal. Sa témérité emporte une obligation de sa part d’assumer les frais d’avocats de Monsieur Lecours.
[95] Toutefois, puisqu’un procès aurait été du moins nécessaire pour fixer les dommages réclamés même si Monsieur Riviere avait admis sa responsabilité, le Tribunal use de sa discrétion pour fixer les honoraires dus à une somme de 15 000 $.
[96] Le défendeur est donc responsable des dommages causés au demandeur. La somme de 224 471,33 $[7].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[97] ACCUEILLE le recours du demandeur;
[98] CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 224 471,33 $ avec intérêt et l’indemnité additionnelle de l’article 1619 du Code civil du Québec;
[99] LE TOUT, avec frais de justice.
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CLÉMENT SAMSON, j.c.s. |
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Boudreau & associés |
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Me Vincent Leblond |
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296, rue Notre-Dame Est |
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Victoriaville (Québec) G6P 4A3 |
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Procureurs du demandeur |
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Roussin Larose Lessard |
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Me Daniel Roussin |
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465, rue St-Jean, bureau 301 |
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Montréal (Québec) H2Y 2R6 |
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Procureurs du défendeur |
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Date d’audience : |
8 et 9 novembre 2016 |
[1] 2007 QCCA, 42.
[2] Lainé c. Bérubé 2001 CanLII 10575, par.72.
[3] 2001 CanLII 10575 (QCCA).
[4] 525 jours / 365 jours x 2% x 660 000 $ = 18 986 $.
[5] 216 jours / 365 jours x 2% x 160 000 $ = 1 893 $.
[6] Royal Lepage Commercial c. 109650 Canadian Ltd, 2007 QCCA 915 ; Jodoin c. Massignagi 2011 QCCS 2455.
[7] 160 000 $ + 18 986 $ + 1 893 $ + 22 544,09 $ + 5 000 $ + 1 048,24 $ + 15 000 $ = 224 471,33 $.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.