Desrochers c. Procureur général du Québec |
2021 QCCS 311 |
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JG2098 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
GATINEAU |
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N° : |
550-17-011925-219 |
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DATE : |
8 février 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DOMINIQUE GOULET, J.C.S. |
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WILLIAM DESROCHERS |
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Demandeur |
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c. |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
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Défendeur |
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JUGEMENT ORDONNANCE DE SAUVEGARDE |
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[1] À l’occasion d’un pourvoi en contrôle judiciaire, le demandeur s’adresse au Tribunal afin d’obtenir un sursis partiel du décret 2-2021 instaurant un couvre-feu.
[2] Le 8 janvier 2021, le gouvernement du Québec adopte le décret 2-2021 imposant une interdiction à toute personne de se trouver hors de sa résidence entre 20h00 et 05h00[1].
[3] Ce décret prévoit aussi qu’une contravention à cette interdiction est passible d’une amende de 1 000 $ à 6 000 $.
[4] Le 21 janvier 2021, le demandeur dépose un pourvoi en contrôle judiciaire alléguant que le décret porte indûment atteinte à ses droits et libertés et, de façon plus générale, à ceux des citoyens du Québec.
[5] Selon ses prétentions, le couvre-feu a pour effet d’interdire la marche, la course à pied ou la circulation en voiture seul ou avec des personnes vivant dans la même unité d’habitation, ce qui n’aurait pas de lien rationnel avec la protection de la santé publique.
[6] Voici la conclusion qu’il recherche :
DÉCLARE, pour toute la durée de l’instance, que le couvre-feu imposé par le décret 2-2021 concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19 est inapplicable aux activités suivantes :
- la marche ou la course à pied par des personnes seules ou par des personnes qui vivent dans la même unité d’habitation;
- la circulation en automobile par des personnes seules ou par des personnes qui vivent dans la même unité d’habitation;
- toute autre activité ou occupation de l’espace publique qui n’implique aucun contact physique avec des personnes vivant dans une autre unité d’habitation ni aucun toucher avec une surface ou un objet potentiellement contaminé.
[7] Le 26 janvier 2021, le demandeur dépose une demande pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde par laquelle il recherche l’inapplicabilité du décret durant l’instance à l’égard des activités visées par le pourvoi.
[8] Ce présent jugement dispose de cette demande.
ANALYSE ET DISCUSSIONS
[9] Les critères applicables à l’ordonnance de sauvegarde et à la suspension d’une disposition dont l’inconstitutionnalité est alléguée sont bien connus et ont été maintes fois affirmés par les tribunaux[2]. Ils sont similaires à ceux applicables à l’injonction interlocutoire[3] à savoir :
a) Une apparence de droit aux conclusions recherchées sur le recours principal;
b) Que l’ordonnance est jugée nécessaire pour empêcher qu’un préjudice sérieux ou irréparable ne soit causé durant l’instance;
c) Que la balance des inconvénients favorise l’émission de l’ordonnance recherchée;
d) Qu’il y a urgence à intervenir[4].
[10] Avant même d’appliquer ces critères aux faits de l’espèce, le Tribunal se permet quelques commentaires généraux.
[11] Tout d’abord, accorder la suspension d’une loi ou d’un acte réglementaire commande une certaine prudence, surtout dans le contexte d’une urgence sanitaire comme la présente pandémie.
[12] Ensuite, le travail du juge ne consiste pas à statuer sur le bien-fondé ou l’opportunité du décret mais bien sur sa légalité. Bref, le Tribunal n’a pas à décider du bien-fondé des décisions prises par le gouvernement.
[13] L’Honorable Frédéric Bachand, alors à la Cour supérieure, le rappelle dans la décision Karounis c. Procureur général du Québec[5] lorsqu’il écrit :
[8] Il convient par ailleurs de garder à l’esprit un principe bien établi qui prend toute son importance dans une affaire comme celle-ci. Il s’agit du principe selon lequel il n’appartient pas aux tribunaux judiciaires de juger du bien-fondé des décisions prises par des acteurs politiques. La Cour d’appel, sous la plume du juge Jean-Louis Baudouin, en a résumé les tenants et aboutissants dans une affaire datant du début des années 90[8] :
Dans notre tradition, les tribunaux judiciaires ont un pouvoir de contrôle sur la légalité des actes de l’Administration. Cette réalité juridique bien reconnue est saine en démocratie, puisque ce pouvoir représente, pour le citoyen ordinaire, l’ultime protection contre l’arbitraire politique ou administratif. Par contre, le rôle des tribunaux reste limité. Ils n’ont pas pour mission de remplacer le pouvoir législatif, exécutif ou l’Administration ou de s’y substituer. À l’endroit du pouvoir législatif, ils peuvent seulement contrôler la constitutionnalité de la loi. À l’endroit du pouvoir exécutif et administratif, leur tâche est de s’assurer que la loi, et donc la volonté du Parlement, a bel et bien été suivie et respectée. Ils ne peuvent et ne doivent pas s’ériger en arbitres de l’opportunité, de la rationalité, de la prudence ou de la sagesse des décisions politiques ou administratives.
[14] Il importe aussi de souligner que l’analyse des critères applicables à une demande de sursis ne constitue pas une décision sur le fond du dossier. Il s’agit d’un examen sommaire fait à une étape préliminaire de l’instance ne comportant pas tous les avantages d’un procès au mérite.
[15] Sur cet aspect, le Tribunal se permet de citer la juge Chantal Masse lorsqu’elle écrit[6] :
[109] Lorsqu’il s’agit de la suspension d’une loi ou d’un décret dans le cadre d’une contestation constitutionnelle, la suspension ne sera accordée que dans les cas les plus manifestes car l’analyse nécessaire est complexe et nécessite la prise en compte d’éléments de preuve susceptibles d’être contestés en plus de l’analyse d’une preuve de justification dans certains cas. Une demande de suspension ciblée concernant un groupe identifiable pourrait toutefois être justifiée en certaines circonstances.
[16] Finalement, il y a aussi lieu de préciser qu’une demande de sursis relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal[7].
[17] Il convient maintenant d’appliquer ces principes au cas sous étude.
APPARENCE DE DROIT
[18] Sous ce volet, le demandeur doit établir l’existence d’une question sérieuse à juger c’est-à-dire que la demande n’est ni futile, ni vexatoire[8].
[19] Pour le demandeur, l’interdiction pour toute personne de se trouver hors de sa résidence entre 20h00 et 05h00 porte indûment atteinte à ses droits et libertés.
[20] Il allègue que cette interdiction l’empêche, et empêche aussi la population du Québec, d’effectuer certaines activités dont la marche ou la course à pied et cela même s’il est seul ou avec des personnes vivant sous son toit. Il en est de même relativement à la circulation automobile.
[21] Il avance également que cette mesure n’a aucun lien rationnel avec la protection de la santé de la population, ces activités n’impliquant aucun contact.
[22] Voilà pourquoi il conclut que l’interdiction est une mesure trop « large et draconienne » et que le gouvernement du Québec aurait dû prévoir des exceptions pour ce genre d’activités.
[23] Dans un autre ordre d’idée, il soulève in extremis avant l’audition une demande modifiée alléguant comme deuxième argument que le gouvernement ne peut renouveler de façon répétitive l’état d’urgence sanitaire pour adopter des mesures successives pour répondre à la pandémie. Ces décisions devraient plutôt être prises par l’Assemblée nationale.
[24] Le Tribunal n’entend pas s’attarder trop longuement sur le premier critère, le Procureur général reconnaissant qu’il y a une question sérieuse à juger.
[25] Qu’il
suffise pour l’instant de prendre acte que l’interdiction de se retrouver à
l’extérieur de sa résidence à certaines heures constitue certes une restriction
aux droits du demandeur. Est-ce que cette atteinte se justifie dans une société
libre et démocratique au sens de l’article
[26] Le critère de l’apparence de droit est donc satisfait.
PRÉJUDICE SÉRIEUX OU IRRÉPARABLE
[27] Sous ce chapitre, le demandeur n’offre que peu d’éléments.
[28] Les seuls allégués à sa demande de sauvegarde se lisent comme suit :
15. Le demandeur, au même titre que les résidents du Québec, subit un préjudice sérieux et irréparable en raison du couvre-feu;
16. En effet, il ne pourra jamais ravoir sa liberté perdue et un recours en dommages-intérêts est illusoire, voire impossible vu l’article 123 in fine de la Loi sur la santé publique qui prévoit une immunité relative.
[29] Il dépose aussi une déclaration sous serment dans laquelle il affirme être une personne privilégiant un mode de vie actif et souligne qu’en temps normal il aime marcher, courir, respirer l’air pur et admirer la nuit.
[30] Il ajoute:
Toutefois, certains jours, c’est particulièrement contrariant de constater qu’en raison de ma profession[9], je passe ma journée à lire, souvent devant un écran, et que je dois me résigner à faire sensiblement la même chose sur mon temps de qualité en fin de soirée;
[31] Que la situation soit contraignante est une chose mais en résulte-t-il pour autant un préjudice sérieux ou irréparable pour le demandeur? Le Tribunal ne le croit pas.
[32] Le couvre-feu en place est fixé à des heures précises. L’interdiction temporaire qui en découle cause certes des inconvénients au demandeur, mais la preuve est insuffisante pour conclure qu’il en subit un préjudice sérieux ou irréparable.
[33] À cet égard, le Tribunal se permet de noter qu’il s’agit ici d’une différence notable avec celle impliquant les personnes en situation d’itinérance présentée devant la juge Chantal Masse[10]. Dans ce dossier, il y avait une preuve démontrant l’impossibilité pour les personnes en situation d’itinérance de se réfugier dans une résidence et en conséquence l’impossibilité de respecter le couvre-feu. La preuve révélait aussi qu’en raison de la vulnérabilité de ces personnes, qui n’ont pas toujours accès à des refuges, l’application du décret causait un préjudice sérieux ou irréparable.
[34] Au même effet, dans la décision rendue par la juge Masse dans l’affaire impliquant le Conseil des juifs hassidiques, elle conclut que la preuve déposée établit l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable.
[35] En l’espèce et au risque de se répéter, la preuve à ce chapitre est très mince pour ne pas dire inexistante.
[36] Il appartenait au demandeur de produire une preuve précise appuyant l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable et non de s’en remettre à des allégués généraux. La démonstration du préjudice ne peut trouver son fondement sur de simples hypothèses ou suppositions non appuyées.
[37] Le juge Bachand dans la décision Karounis résume bien le droit applicable sur le sujet lorsqu’il écrit[11]:
[31] Par ailleurs, dans une affaire récente, le juge Sébastien Grammond a très justement insisté sur le fait qu’il incombe à la partie demanderesse de produire des éléments de preuve à la fois précis et détaillés sur le préjudice qu’elle allègue. Le juge Grammond a également rappelé que, à cette étape de l’analyse, il ne suffit pas de raisonner sur le fondement de simples hypothèses ou suppositions, car les preuves produites en demande doivent établir une probabilité réelle qu’un préjudice sérieux ou irréparable survienne si aucune ordonnance interlocutoire n’était émise.
[38] Le Tribunal se permet un dernier commentaire sur le sujet. Lors de l’analyse du préjudice découlant d’un refus d’accorder un sursis, le juge doit évaluer le préjudice immédiat s’il n’accorde pas le sursis et non le préjudice susceptible de découler de l’application des décrets de façon permanente au terme de l’audition au mérite[12].
[39] Or, il est un peu paradoxal de constater à la procédure sous étude que le demandeur justifie l’urgence d’agir notamment par le fait qu’il s’agit d’une interdiction temporaire susceptible de disparaître à brève échéance. Bref le préjudice subit n’est que bien temporaire de l’admission même du demandeur.
[40] En conclusion sous ce volet, le Tribunal ne voit pas à la lumière de la preuve l’existence d’un préjudice sérieux ou irréparable.
BALANCE DES INCONVÉNIENTS
[41] Le critère de la balance des inconvénients est souvent celui qui est déterminant dans les demandes de sursis impliquant les droits et libertés garantis par la Charte en raison notamment de l’intérêt public en jeu.
[42] Il est utile de citer comment le juge Bachand souligne cette importance dans la décision Karounis[13].
[37] Il est acquis que, dans les affaires de sursis - c’est-à-dire, lorsque la partie demanderesse invoquant une atteinte à ses droits et libertés fondamentaux demande à la Cour de suspendre l’application de la disposition législative ou réglementaire ayant prétendument causé cette atteinte -, l’intérêt public revêt une importance particulière à l’étape de l’analyse de la prépondérance des inconvénients. Cela s’explique par le fait que les lois et les actes réglementaires visent généralement le bien commun et la promotion de l’intérêt public. Il s’ensuit notamment que les tribunaux doivent présumer que l’intérêt public sera généralement mieux servi par le rejet de la demande de sursis. Cette présomption impose un lourd fardeau à la partie demanderesse, à un point tel que les tribunaux ont tendance à émettre de telles ordonnances seulement lorsqu’il est manifeste que la prépondérance des inconvénients favorise la position de la partie demanderesse.
[43] Sur le sujet de l’intérêt public, le juge Mainville de la Cour d’appel dans l’affaire Hak c. Procureur général du Québec[14] écrit ce qui suit :
[154] Comme le juge Beetz l’a précisé dans Metropolitan Stores, p. 147-148, le critère de l’intérêt public qui sous-tend la présomption de validité de la loi s’applique avec moins de poids lorsqu’il s’agit d’une demande d’exemption constitutionnelle dans un cas particulier que lorsqu’il s’agit d’une demande de suspension de la loi qui a un effet plus général. Cependant, la possibilité d’une exemption constitutionnelle dans un cas particulier ne peut devenir un moyen détourné de suspendre l’effet d’une loi au moyen « [d’]une avalanche de suspensions d’instance et d’exemptions dont l’ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi », comme le signalait également le juge Beetz dans Metropolitan Stores, p. 146.
[155] Il importe aussi de
noter que les critères pour obtenir une exemption constitutionnelle ont été
resserrés ces dernières années : R. c. Ferguson,
[44] Il est également intéressant de citer à nouveau la juge Masse[15] lorsqu’elle écrit :
[115] Notons qu’il est de connaissance judiciaire que les mesures liées à la pandémie, alors qu’elle perdure et entraîne de ce fait la prolongation de l’état d’urgence, font présentement et de plus en plus l’objet de contestations judiciaires. Une « avalanche » de demandes en ce sens, pour reprendre le terme utilisé par le juge Beetz dans l’affaire citée par le juge Mainville, semble se pointer. La circonspection conseillée par le juge Mainville s’impose donc avec encore plus d’acuité dans le présent dossier et ceux qui le suivront en semblable matière.
[45] Il est de plus important de rappeler qu’il existe une présomption que la loi ou un acte réglementaire[16] est adopté pour le bien commun et l’intérêt public.
[46] Dans l’arrêt Harper c. Canada (P.G.)[17], la Cour suprême écrit sur le sujet ce qui suit :
Un autre principe énoncé dans la jurisprudence veut
que, en décidant de l’opportunité d’accorder une injonction interlocutoire
suspendant l’application d’une mesure législative adoptée validement mais
contestée, il n’y ait pas lieu d’exiger la preuve que cette mesure législative
sera à l’avantage du public. À ce stade des procédures, elle est présumée
l’être. Comme les juges Sopinka et Cory l’ont affirmé dans l’arrêt RJR -
MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général),
Si la nature et l’objet affirmé de la loi sont de promouvoir l’intérêt public, le tribunal des requêtes ne devrait pas se demander si la loi a réellement cet effet. Il faut supposer que tel est le cas. Pour arriver à contrer le supposé avantage de l’application continue de la loi que commande l’intérêt public, le requérant qui invoque l’intérêt public doit établir que la suspension de l’application de la loi serait elle-même à l’avantage du public.
[47] Le Tribunal doit donc tenir pour acquis que la loi ou les actes réglementaires visent le bien commun et la promotion de l’intérêt public[18].
[48] Dès lors, à l’étape de sursis, le Procureur général n’a pas à faire la preuve que le décret est à l’avantage du public. Il est présumé l’être[19].
[49] Il revient donc à celui demandant le sursis d’établir que cette suspension de l’application du décret sert l’intérêt public. Il doit convaincre le Tribunal que l’intérêt du public sera mieux servi par l’émission d’un sursis que par le maintien du décret.
[50] Voilà le défi auquel était confronté le demandeur. Il n’a pas relevé ce défi.
[51] Le demandeur n’offre que bien peu d’appui à sa position. Il remet en question la dangerosité du virus. Il est d’avis que la situation actuelle, à savoir la hausse des décès et hospitalisations ne saurait être qualifiée d’importante et par surcroît ne vise qu’une partie de la population[20].
[52] Il allègue aussi qu’il est impossible de mesurer l’efficacité des mesures en place. Bref, il est d’avis que la situation actuelle ne milite pas en faveur d’un couvre-feu.
[53] Il invite le Tribunal à tirer ces constats à partir de graphiques et de statistiques mis en preuve.
[54] D’emblée, précisons que le Tribunal ne possède pas l’expertise pour se lancer dans ce genre d’étude statistique. Toutefois et malgré ce fait, le Tribunal ne peut s’empêcher de constater que certaines affirmations sont pour le moins étonnantes. Il existe une pandémie mondiale et nier son importance apparaît pour le moins surprenant.
[55] Ceci étant, la preuve d’expert déposée par le Procureur général est éclairante à bien des égards et démontre que le décret sert l’intérêt public.
[56] À titre d’exemple, le Docteur Litvak y explique notamment l’importance de limiter le nombre de cas d’infection, le seuil critique au niveau hospitalier presque atteint en janvier 2021 et l’importance des mesures mises en place.
[57] Il y détaille notamment les difficultés posées par le nombre de personnes hospitalisées et son impact sur le réseau de la santé.
[58] Finalement, l’expert explique que la progression des cas d’infection ainsi que l’augmentation des hospitalisations ont mené au renforcement des mesures instaurées.
[59] Voilà le contexte de l’adoption du décret en litige.
[60] Rappelons encore une fois qu’à l’étape du sursis, le Procureur général n’a pas à démontrer que le décret contesté est à l’avantage du public. Il est présumé l’être.
[61] Force est de constater que même sans cette présomption, la preuve au dossier révèle que le décret adopté est dans l’intérêt du public et qu’il a pour but de protéger la population des risques rattachés à la propagation du virus.
[62] La pandémie et son évolution constituent des circonstances exceptionnelles soulevant des enjeux de santé publique importants. Cette situation oblige le gouvernement à adopter des mesures pour réduire les risques de propagation afin de protéger la vie et la santé de la population. Voilà ce que le Tribunal retient de la preuve déposée.
[63] La juge Masse souligne aussi à juste titre ce contexte particulier de la façon suivante :
[168] Lorsqu’il y a crainte, dans un milieu comme celui du Québec, incluant le milieu montréalais, ces milieux étant ceux de la communauté juive hassidique en demande, que les hôpitaux soient débordés et procèdent au délestage ou se préparent à appliquer des modalités de délestage leur permettant de faire des choix auxquels personne ne veut songer, comme ceux d’annuler des soins au bénéfice de certains patients, même les risques les plus minimes deviennent de trop, surtout qu’en accumulant la prise de risques minimes les chances que ceux-ci se concrétisent augmentent nécessairement[21].
[64] Face à ce contexte particulier, le législateur a prévu une interdiction ciblée en se basant sur les informations scientifiques actuelles en sa possession. Il n’appartient pas au Tribunal à ce stade de s’ériger en arbitre de l’opportunité d’une telle décision.
[65] La situation actuelle constitue certes un contexte difficile, exceptionnel et une situation qui bouleverse nos vies.
[66] La Covid-19 est une maladie récente et les données permettant de la comprendre sont partielles et en constante évolution. Le décret est au même titre exceptionnel mais il s’agit selon la preuve d’une mesure mise en place dans l’intérêt public compte tenu de la gravité de la situation.
[67] En terminant, le Tribunal se doit d’aborder l’argument soulevé relativement à l’illégalité des décrets adoptés successivement. Le Tribunal se limite au commentaire suivant.
[68] Le décret a été adopté en vertu des pouvoirs dévolus au gouvernement par la Loi sur la santé qui lui accorde un pouvoir discrétionnaire. Le Tribunal présume à ce stade préliminaire du dossier que le gouvernement utilise son pouvoir réglementaire à l’intérieur des paramètres prévus par cette loi. Cet argument tardif pourra toujours être débattu au fond alors que le Procureur général du Québec pourra faire valoir sa position.
[69] En résumé, malgré l’existence d’une question sérieuse à juger, le demandeur n’a pas démontré un préjudice sérieux ou irréparable. De plus, l’intérêt public fait pencher la balance des inconvénients en faveur du Procureur général.
[70] En raison de ces conclusions, le Tribunal n’a pas à aborder le critère de l’urgence.
[71] POUR CES MOTIFS, LA COUR:
REJETTE la demande de sauvegarde;
AVEC FRAIS de justice.
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_____________________ DOMINIQUE GOULET, J.C.S. |
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William Desrochers Se représente seul |
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Me Charles Gravel |
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Me Xanthoula Konidaris |
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Bernard Roy (Justice - Québec) |
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Date d’audience : |
3 février 2021 |
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[1] Il existe des exceptions à cette interdiction.
[2]
Le Conseil des juifs Hassidiques du Québec et al. c. Procureur
général du Québec C.S. Montréal, 5 février 2021,
[3]
Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd.,
[4] Ce critère est applicable lorsque la demande de sursis revêt la forme d’une injonction provisoire.
[5] Karounis c. Procureur général du Québec, préc. note 2, par. 8
[6] Le Conseil des juifs Hassidiques du Québec et al. c. Procureur général du Québec, préc. note 2, par. 109.
[7]
Denis FERLAND et Benoît EMERY,
[8]
RJR - Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), préc. note 2;
Harper c. Canada (Procureur général),
[9] Le demandeur est avocat.
[10]
Clinique juridique itinérante c. Procureur général du Québec,
[11] Karounis c. Procureur général du Québec, préc. note 2, par. 31.
[12]
English Montreal School Board c. Procureure générale du Québec,
[13] Karounis c. Procureur général du Québec, préc. note 2, par. 37.
[14] Hak c. Procureure générale du Québec, préc. note 2, par. 154-155.
[15] Le Conseil des juifs Hassidiques du Québec et al. c. Procureur général du Québec, préc. note 2, par. 115.
[16]
Conseil régional de l’environnement de Montréal c. Québec (P.G.),
[17]
Harper c. Canada (P.G.),
[18] Karounis c. Procureur général du Québec, préc. note 2, par. 37.
[19] Harper c. Canada (Procureur général), préc. note 17.
[20] Voir aussi sur le sujet la page 3 de l’argumentation écrite du demandeur.
[21] Le Conseil des juifs Hassidiques du Québec et al. c. Procureur général du Québec, préc. note 2 par. 168.
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