Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Munn c. Commission de la fonction publique

2017 QCCS 4688

 

JG-1462

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

 

N° :

540-17-012116-165

 

 

 

DATE :

 28 juillet 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRE-C. GAGNON, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

LYNDA HALL MUNN

           Demanderesse

c.

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

TRANSCRIPTION RÉVISÉE[1] DES MOTIFS D’UN JUGEMENT

RENDU SÉANCE TENANTE LE 4 JUILLET 2017

______________________________________________________________________

 

[1]           Je suis sensible au sentiment d’injustice et de vulnérabilité qu’exprime Mme Hall Munn.

[2]           Je note ce qu’elle exprime au sujet notamment :

·        des pressions budgétaires au ministère;

·        des changements d’effectifs occasionnés principalement par plusieurs départs à la retraite et départs désirés ou indésirés;

·        du dévouement de Madame pour ses supérieurs avant et après les changements au niveau de la direction du ministère;

·        du climat de travail qui serait devenu opprimant pour elle au fil du temps;

·        de son congédiement le 12 mars 2015, congédiement que Madame prétend injuste;

·        des répercussions importantes de la perte de salaire d’environ 42 000 $ par année;

·        etc.

[3]           Je suis sensible à tout ce qui précède, mais cela n’a pas d’impact sur la grille d’analyse que je dois utiliser à cette étape ou, pour le dire autrement, sur le cadre juridique qu’impose le principe de la primauté du droit pour la décision qui doit être rendue dans cette affaire. Je ne peux intervenir sur la base de ce qui est équitable ou non.

[4]           Un pourvoi de contrôle judiciaire prévoit l’intervention de la Cour supérieure comme tribunal de droit commun pour l’ensemble des citoyens du Québec, en vue de contrôler une inégalité commise par un tribunal administratif soumis à son pouvoir de surveillance et de contrôle, pouvoir qui est conféré par la Constitution du Canada et la Constitution du Québec.

[5]           La Commission de la fonction publique (que je vais parfois appeler la « CFP »)  est l’un des nombreux tribunaux administratifs soumis au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure.

[6]           Pour le résumer avec un adage, « nul n’est au-dessus de la loi », y compris la CFP.

[7]           Cela dit, notre droit administratif a élaboré au fil des décennies des règles complexes mais cohérentes pour encadrer la supervision des tribunaux administratifs par la Cour supérieure.

[8]           Il a fallu au fil du temps trouver un équilibre savant et délicat entre, d’une part, la volonté du législateur d’habiliter des tribunaux administratifs spécialisés et efficaces, et d’autre part, la protection des citoyens contre certaines décisions des tribunaux administratifs qui seraient arbitraires et inacceptables.

[9]           La plupart de ces règles ont été élaborées par les tribunaux judiciaires beaucoup plus que par le législateur, et par la Cour suprême du Canada en particulier.

[10]        Il s’agit ici de règles de common law qui s’appliquent aussi bien au Québec que dans le reste du Canada. C’est pour cela que certains principes sont les mêmes, que l’on soit en Ontario ou en Colombie-Britannique ou au Québec.

[11]        L’arrêt Dunsmuir[2] de la Cour suprême trouvait ses origines au Nouveau-Brunswick mais depuis, les tribunaux québécois ont considéré qu’il s’appliquait tout aussi bien au Québec. L’arrêt Dunsmuir est souvent cité comme l’expression de la mise à jour par la Cour suprême des règles applicables en matière de pourvoi de contrôle judiciaire.

[12]        Depuis l’arrêt Dunsmuir qui date de 2008, la Cour d’appel du Québec et la Cour supérieure du Québec ont appliqué les principes de Dunsmuir dans des cas analogues à celui qui doit être tranché aujourd’hui.

[13]        L’arrêt Dunsmuir reconnaît deux normes de contrôle. Auparavant il y en avait trois mais depuis Dunsmuir, il y a en a deux : d’une part, celle de la décision qui doit être correcte si bien que le tribunal judiciaire peut intervenir s’il n’est pas d’accord avec la solution du litige par le tribunal administratif; et d’autre part, celle de la décision qui pourrait être incorrecte tout en se situant à l’intérieur de ce qui reste raisonnable.

[14]        Je suis d’accord avec les parties que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aujourd’hui. Je ne suis pas lié par l’accord des parties. J’ai dû faire ma propre vérification mais cette vérification se fait assez simplement en 2017.

[15]        C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique parce que la CFP est un tribunal spécialisé en matière de relations de travail, qui détient l’expertise pour apprécier si un fonctionnaire a été injustement congédié ou non; et aussi, si ce fonctionnaire s’est désisté valablement ou pas de son appel à la CFP à l’encontre de son congédiement.

[16]        Voici quelques jugements qui ont été rendus, qui servent à reconnaître l’application de la norme de la décision raisonnable. Il y a tout d’abord : Procureur général du Québec c. Boudreau[3], où la Cour d’appel considère que l’article 114 de la Loi sur la fonction publique[4] édicte une clause privative mais une clause privative partielle.

[17]        Quatre ans plus tard, dans Rivard c. Commission de la fonction publique[5], la Cour d’appel a précisé que cet article 114 exige de la Cour supérieure un exercice de retenue judiciaire face à ce que décide la Commission de la fonction publique à l’intérieur de sa sphère de compétence spécialisée.

[18]        Aussi, dans Procureur général du Québec c. Commission de la fonction publique[6], la Cour supérieure a reconnu la Commission de la fonction publique comme un tribunal spécialisé en matière de relations de travail. Cette reconnaissance est déterminante pour la sélection de la norme applicable.

[19]        Je dois donc analyser les deux décisions (CFP-1 et CFP-2) sous l’angle de la norme de la décision raisonnable.

[20]        La décision CFP-1 a été rendue le 17 décembre 2015 par la commissaire Wagner, et la décision CFP-2 a été rendue le 30 mai 2016 par la commissaire Salah.

[21]        Les deux décisions portent sur la validité du désistement exprimé par le courriel du 10 août 2015 par lequel Mme Hall Munn écrit à la commissaire Me Louise Caron,  saisie des trois appels de Mme Hall Munn. Ces deux décisions statuent qu’il s’agit d’un désistement valable entraînant la fermeture des trois dossiers et la fin de l’intervention de la Commission de la fonction publique dans la situation de Mme Hall Munn.

[22]        En effet, quand un tribunal est dessaisi parce qu’il n’y a plus aucune demande qui lui est formulée, ce tribunal cesse d’avoir compétence sur le litige (on dit en latin que le tribunal est functus officio). C’est ce que les deux décisions concluent.

[23]        En application de la norme de la décision raisonnable, la Cour supérieure ne peut intervenir que si Mme Hall Munn démontre qu’il s’agit de décisions déraisonnables, absurdes, inacceptables de la part de décideurs compétents.

[24]        Inversement, la Cour supérieure doit refuser d’intervenir si chacune des décisions CFP-1 et CFP-2 fait partie des options raisonnables auxquelles chaque décideur faisait face au moment de trancher, fait partie des « issues possibles acceptables »[7].

1          LA DÉCISION CFP-1

[25]        La commissaire Wagner refuse d’annuler le désistement des appels dans les dossiers 1301442, 1301488 et 1301489.

[26]        Le dossier 1301442 est l’appel à l’encontre du congédiement du 12 mars 2015. C’est à mes yeux l’appel le plus important des trois.

[27]        La commissaire Wagner analyse le contexte, notamment, celui prévalant  avant le courriel du 10 août 2015. Elle examine la situation prévalant le 6 août et le 9 août en particulier.

[28]        Elle se penche aussi, pour le contexte, sur certains évènements survenus après le 10 août, plus particulièrement le 11 août et le 17 août, donc après l’envoi du courriel.

[29]        Premièrement, la commissaire Wagner considère que Mme Hall Munn n’a pas agi intempestivement[8]. Il s’agit d’un désistement qui lui paraît mûr et réfléchi.

[30]        Deuxièmement, la commissaire Wagner vérifie si le désistement peut néanmoins être annulé[9]. Pour le dire autrement, il peut s’agir d’un désistement valable mais dans certains cas, le droit permet de rétracter ou de retirer un désistement.

[31]        La commissaire effectue ce deuxième volet de l’analyse en appliquant les règles générales du Code civil du Québec sur les vices de consentement. Ce sont des règles d’application générales quand une personne prétend que le geste posé doit être annulé et ne pas engendrer de conséquences juridiques.

[32]        La commissaire Wagner conclut que rien ne prouve que le consentement n’était pas libre et volontaire.

[33]        Je souligne que Me Wagner, au moment de rendre la décision CFP-1, ne dispose alors d’aucune preuve que Mme Hall Munn aurait souffert le 10 août 2015 de problèmes de santé physique ou psychique.

[34]        La commissaire conclut que Mme Hall Munn a changé d’idée après s’être désistée[10].

[35]        La commissaire ajoute que l’ignorance des conséquences juridiques de l’envoi du courriel du 10 août 2015 n’est pas un motif d’annulation[11].

[36]        La commissaire Wagner conclut que Mme Hall Munn devait se décharger du fardeau de démontrer que son désistement était vicié, qu’il était annulable en raison d’un vice de consentement. D’après la commissaire, Mme Hall Munn ne s’est pas déchargée de son fardeau de la preuve.

[37]        Je considère que cette décision fait partie des issues raisonnables et acceptables.

[38]        La teneur du long courriel du 10 août 2015 indique que Mme Hall Munn était alors exaspérée et découragée de l’attitude de son ex-employeur et qu’elle y associait aussi l’attitude « complice » de la Commission de la fonction publique, pour des raisons qui ne sont pas claires.

[39]        Mais telle exaspération, tel découragement surviennent dans le cas de bien des personnes qui ont toutes leurs capacités juridiques et qui prennent des décisions majeures pour leur avenir, décisions dont ils doivent ensuite assumer les conséquences.

[40]        Dans la vie, en général, quand quelqu’un prend une décision, il lui faut vivre ensuite avec les conséquences de cette décision.

[41]        J’ai lu à tête reposée le document P-16 dans lequel Mme Hall Munn énonce divers arguments.

[42]        Je constate que plusieurs faits qui sont énoncés auraient pu être prouvés soit devant la commissaire Wagner, soit devant la commissaire Salah, mais n’ont pas été prouvés en temps utile. Il est trop tard quand le dossier est rendu en Cour supérieure.

[43]        On ne peut de la sorte tenter de réécrire l’énoncé des faits que les deux commissaires ont eu à prendre en considération.

[44]        Mon rôle, je le répète, consiste à vérifier si, en fonction des faits qui avaient été prouvés devant l’une et l’autre des commissaires, celles-ci ont rendu des décisions raisonnables ou pas. On ne peut après qu’elles aient pris position, rajouter des faits et se demander si elles auraient pu ou auraient dû décider autrement parce que l’on rajoute maintenant des faits nouveaux, que l’on a pas cru à propos de débattre contradictoirement devant à l’époque. Quand je dis « contradictoirement », c’est que si l’on avait tenté de prouver un fait X, vu le principe du contradictoire dans notre système, la partie adverse aurait pu dire « un instant, moi j’ai aussi de la preuve à faire entendre au sujet de cette prétention X ». On ne peut pas réécrire ce qui a été prouvé ou qui n’a pas été prouvé après que les décisions CFP-1 et CFP-2 soient rendues.

[45]        Je souligne que, même si Mme Hall Munn agissait sans avocat à l’époque où la commissaire Wagner était saisie de son cas, par contre, Me Centomo agissait pour Madame à l’étape de la décision CFP-2.

[46]        Je me tourne maintenant vers l’analyse de la décision CFP-2, la décision de la commissaire Salah.

2.         LA DÉCISION CFP-2

[47]        Le cadre d’intervention de la commissaire Salah est circonscrit par l’article 123 de la Loi sur la fonction publique. On est alors rendu une étape plus loin. On ne recommence pas devant la commissaire Salah comme si la commissaire Wagner n’avait rien décidé, il faut alors procéder à l’intérieur d’un cadre beaucoup plus spécifique, l’article 123 énonçant ceci :

123.  Une décision de la Commission doit être rendue par écrit et motivée. Elle fait partie des archives de la Commission.

La Commission peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu’elle a rendue:

1°  lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2°  lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3°  lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3° du deuxième alinéa, la décision ne peut être révisée ou révoquée par le membre qui l’a rendue.

[48]        Vu que la demande touchait au paragraphe 3o de cet article, on comprend que ce n’est pas la commissaire Wagner qui s’est penchée sur la révision de sa propre décision. C’est pour cela qu’une deuxième commissaire est intervenue, la commissaire Salah.

[49]        La commissaire Salah a procédé à l’analyse des moyens de Mme Hall Munn sous chacune des facettes de l’article 123.

[50]        Elle a rejeté chacun des moyens, notamment celui voulant que Mme Hall Munn ait cru que son courriel était sans effet juridique tant qu’elle ne remplirait pas distinctement un formulaire de désistement spécifique.

[51]        La décision CFP-2 est rendue de façon méthodique et raisonnable.

3.         CONCLUSION

[52]        La Cour supérieure ne peut intervenir et casser ni CFP-1 ni CFP-2.

[53]        La Cour supérieure ne peut aller plus loin et vérifier si Mme Hall Munn a été congédiée pour une cause valable et suffisante ou non.

[54]        La Cour supérieure ne peut pas non plus calculer l’ampleur du préjudice économique que la fin d’emploi a occasionné à Mme Hall Munn.

[55]        Vu les circonstances assez pénibles pour Mme Hall Munn et vu les conséquences du présent jugement, le Tribunal statue que celle-ci ne sera pas condamnée aux frais de justice que pourrait autrement percevoir la Procureure générale du Québec.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[56]        REJETTE le pourvoir de contrôle judiciaire;

[57]        SANS FRAIS de justice.

 

 

__________________________________

PIERRE-C. GAGNON, j.c.s.

 

Mme Lynda Hall Munn

Se représente seule

 

Me Nathalie Fiset

Me Natacha Laporte

BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)

Avocats pour la défenderesse

 

Date d’audience :

4 juillet 2017

Date de demande de la

Transcription des motifs :

25 juillet 2017

 



[1] Le jugement a été rendu séance tenante. Les présents motifs ont été modifiés ou remaniés pour en  améliorer la présentation et la compréhension comme le permet l'arrêt Kellogg's Company of Canada c. P.G. du Québec, [1978] C.A. 258, 259-260, le dispositif demeurant toutefois inchangé.

 

 

[2]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

[3]     J.E. 96-280 (C.A.).

[4]    RLRQ, F-3.1.1. 

[5]     J.E. 2000-896 (C.A.).

[6]     2007 QCCS 4312.

[7]     Arrêt Dunsmuir, préc., note 2.

[8]     CFP-1, par. 39.

[9]     Idem, par. 42.

[10]    Idem, par. 49.

[11]    Idem, par. 51.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.