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RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
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[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu le 19 mars 2009, une décision dans le présent dossier ;
[2] Cette décision contient une erreur
d’écriture qu’il y a lieu de rectifier en vertu de l’article
[3] Au paragraphe [11], nous lisons :
[11] La Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur avait toujours droit, en vertu de l'article 57 de la loi, au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période concernée du 9 mai au 7 octobre 2007, puisqu’il demeurait incapable, depuis le 27 février 2006, d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle.
[4] Alors que nous aurions dû lire à ce paragraphe :
[11] La Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur avait toujours droit, en vertu de l'article 44 de la loi, au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période concernée du 9 mai au 7 octobre 2007, puisqu’il demeurait incapable, depuis le 27 février 2006, d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle.
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Robert Daniel |
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Me Jean Camirand |
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Groupe AST inc. |
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Représentant de la partie requérante |
Sodexho Québec ltée et Côté |
2009 QCCLP 1989 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Saint-Jérôme |
19 mars 2009 |
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Région : |
Laurentides |
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Dossier : |
328706-64-0709 |
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Dossier CSST : |
129110649 |
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Commissaire : |
Robert Daniel, juge administratif |
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Membres : |
Jean Litalien, associations d’employeurs |
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Paul Auger, associations syndicales |
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Sodexho Québec ltée |
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Partie requérante |
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et |
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Pierre-Alain Côté |
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Partie intéressée |
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[1] Le 24 septembre 2007, Sodexho Québec ltée (l’employeur) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 13 septembre 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2]
Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 20
juillet 2007 et déclare qu'il n'y a pas matière à appliquer les dispositions de
l'article
[3] À l’audience tenue à Saint-Jérôme le 5 mars 2009, l’employeur est représenté par monsieur Gilles-Philippe Grenier qui est accompagné de son procureur Me Jean Camirand. Monsieur Pierre-Alain Côté (le travailleur) est présent.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L'employeur demande au tribunal de déclarer que la CSST devait suspendre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu à compter du 9 mai 2007 jusqu'au 7 octobre 2007.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis d’accueillir la requête de l’employeur. Il considère que, par ses agissements, le travailleur s’est placé dans une situation l’empêchant de respecter son obligation d’être disponible pour effectuer une assignation temporaire et qu’en conséquence, son droit à l’indemnité de remplacement du revenu devait être suspendu.
[6] Le membre issu des associations syndicales considère que le travailleur avait toujours droit à l'indemnité de remplacement du revenu, lequel découle uniquement de la capacité d'exercer son emploi. L'assignation temporaire prévue à la loi est secondaire au droit général et le travailleur se conformait aux exigences de cette assignation. Si l'employeur décide de congédier le travailleur, ce dernier retrouve alors son droit à l'indemnité de remplacement du revenu. La CSST était ainsi justifiée de refuser d'appliquer les dispositions de l'article 142 de la loi et la requête de l'employeur devrait être rejetée.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST était justifiée de refuser de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur.
[8] Les articles 44 et 57 de la loi traitent du droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu et du moment auquel ce droit prend fin. Ces articles se lisent comme suit :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 57.
[9] Le travailleur est victime d'une lésion professionnelle survenue le 27 février 2006 alors qu'en levant une caisse, il ressent une douleur lombaire. Un diagnostic de hernie discale L4-L5 sera finalement retenu. Cette lésion est consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles par le docteur Côté, médecin qui a charge, le 29 septembre 2007. L’atteinte permanente (2 %) et les limitations fonctionnelles seront déterminées à la suite d'un avis rendu par le docteur Jodoin, orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale, le 6 novembre 2007. Subséquemment, la CSST statue, le 19 novembre 2007, que le travailleur est capable d'exercer son emploi, malgré ses limitations fonctionnelles.
[10] Aux fins du présent litige, le tribunal retient la séquence suivante des événements :
Ø Le docteur Côté autorise une première assignation temporaire à compter du 17 avril 2006.
Ø Le 15 août 2006, l'employeur avise le travailleur par lettre de son insatisfaction face à son comportement négligent et à son manque d'organisation dans son travail. Le travailleur est suspendu sans salaire pour une journée.
Ø Le 2 novembre 2006, devant l'insatisfaction de l'employeur, quant au manquement du travailleur aux procédures et aux normes de l'établissement, le travailleur est suspendu sans salaire pour une période de trois jours.
Ø Le 15 novembre 2006, l’assignation temporaire est prolongée avec la levée de certaines restrictions quant aux charges à soulever et le nombre d'heures de travail par jour.
Ø Le 18 avril 2007, la CSST discute avec l'employeur qui l'informe que le travailleur est suspendu depuis le 12 avril 2007 avec salaire. La CSST informe l'employeur qu’elle pourrait avoir à reprendre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu si l'assignation temporaire n'est plus disponible et s’il met fin à l'emploi.
Ø Le 20 avril 2007, à la suite d'une enquête mettant en lumière que les comportements du travailleur vont à l'encontre des politiques et des « standards » de l'entreprise, l'employeur conclut qu'il y a rupture définitive du lien de confiance et met fin à l'emploi du travailleur.
Ø Le 3 mai 2007, la CSST prend note que l’assignation temporaire est cessée parce que l'employeur a suspendu le travailleur et qu'il y a une possibilité d'un congédiement définitif.
Ø Le 9 mai 2007, une visite a lieu chez l'employeur pour éclaircir la situation et voir la possibilité de la détermination d'un emploi convenable chez l'employeur, considérant la possibilité que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles. L'employeur informe la CSST du congédiement officiel du travailleur. L'employeur demande à la CSST de cesser le versement de l'indemnité de remplacement du revenu, car le poste demeure toujours disponible.
Ø Le 31 mai 2007, la CSST informe le travailleur que ce n'est pas parce qu’il a été congédié qu'un emploi convenable sera déterminé ailleurs.
Ø Le 4 juillet 2007, la CSST informe le travailleur qu'une évaluation du poste de travail du travailleur sera effectuée par une ergothérapeute.
Ø Le 7 septembre 2007, cette visite a lieu en présence du travailleur. L'employeur avise la CSST qu'il y a la possibilité d'offrir un emploi convenable si l'analyse démontre que le travailleur ne pourrait plus occuper son emploi. À ce moment, la CSST informe l'employeur qu'il devra face à l'éventualité de rétablir le lien d'emploi.
Ø Le 19 septembre 2007, l'employeur informe la CSST qu'il va réengager le travailleur et rendre à nouveau l'assignation temporaire disponible.
Ø Le 28 septembre 2007, l'employeur reçoit une autorisation du médecin qui a charge pour reprendre l'assignation temporaire et demande à la CSST de cesser le versement de l'indemnité de remplacement du revenu puisque le travailleur amorcera cette assignation à compter du 1er octobre 2007, laquelle sera effectivement reprise le 7 octobre 2007.
Ø Le 19 novembre 2007, la CSST déclare que le travailleur est capable d'exercer son emploi.
Ø Le 21 décembre 2007, le travailleur dépose une plainte, en vertu de l'article 32 de la loi, à la suite de son congédiement survenu le 18 décembre 2007.
Ø À l'audience, le procureur de l'employeur informe le tribunal qu'une entente est intervenue à ce chapitre et que le travailleur a été licencié et non congédié à cette date.
[11] La Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur avait toujours droit, en vertu de l'article 57 de la loi, au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période concernée du 9 mai au 7 octobre 2007, puisqu’il demeurait incapable, depuis le 27 février 2006, d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle.
[12] C’était le cas, le 9 mai 2007, puisque la lésion n’était pas consolidée, et également le 7 octobre 2007, même si la lésion professionnelle était consolidée depuis le 29 septembre 2007, car la détermination des limitations fonctionnelles n'était pas encore effectuée.
[13] Le législateur a prévu, à l’article 142 de la loi, la possibilité pour la CSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Cet article se lit comme suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
[…]
2° si le travailleur, sans raison valable :
[…]
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;
[…]
__________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[14] La jurisprudence[2] a précisé que l’article 142 de la loi ne permet que la réduction ou la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu et le travailleur doit être suffisamment informé de ce qui lui est reproché pour pouvoir y remédier et, ainsi éviter ou mettre fin à la suspension du versement de son indemnité. Cet article ne suspend pas le droit du travailleur à une telle indemnité.
[15] L’article 179 de la loi prévoit la possibilité pour l’employeur de procéder à l’assignation temporaire d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle. Cet article se lit comme suit :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le
médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles
__________
1985, c. 6, a. 179.
[16] Le procureur de l'employeur convient que le travailleur n'a jamais refusé d’effectuer son assignation temporaire. Il soumet toutefois, vu les circonstances particulières du présent dossier, que le travailleur s'est mis dans une position telle qu'il n'était pas en mesure d'effectuer cette assignation et qu'il n'était plus disponible pour l'occuper. Il y a eu rupture du lien de confiance et, dans le cas précis de cette assignation temporaire, ce lien était essentiel puisqu'il s'agit d'un emploi sans supervision, le travailleur exerçant son emploi dans divers arénas.
[17] Il plaide qu’accepter de verser l'indemnité de remplacement du revenu dans tous les cas où il y a un congédiement, lors d'une assignation temporaire, au motif que la fin de l'emploi relève de l'employeur, reviendrait à favoriser des situations d'abus. En effet, un travailleur pourrait faire ce qu'il veut, sans aucune conséquence, car il retrouverait toujours son droit à cette indemnité de remplacement du revenu et la CSST ne pourrait agir. Si l'employeur a un droit de faire effectuer de l'assignation temporaire, celle-ci doit être possible, et non rendue impossible en conséquence des comportements du travailleur, ce qui est le cas du présent dossier.
[18] Si le travailleur n'occupait pas son emploi après le congédiement, ce n'était donc pas en raison de son accident du travail, mais à la suite d'une rupture de son lien d'emploi. Cela a fait en sorte que l'assignation temporaire n'était plus possible et le droit à l'indemnité de remplacement du revenu n'est plus légitime, compte tenu de l'objet de la loi en son article 1. Le travailleur a ainsi mis fin lui-même, par son comportement, à cette assignation temporaire et il ne peut, de ce comportement, retirer plus de bénéfices que la loi lui permet.
[19] Dans certaines décisions, le tribunal a jugé que c’est à bon droit que la CSST était justifiée de suspendre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu, notamment dans le cas de démission de la part du travailleur[3]. Ces démissions volontaires, que ce soit pour des raisons personnelles ou non, entraînaient comme conséquence qu'il y avait une rupture du lien d'emploi et rendait alors impossible l'assignation à un travail temporaire proposé par l'employeur.
[20] D'autres décisions du tribunal sont toutefois parvenues à une conclusion différente dans des circonstances similaires. Ainsi, malgré une démission, le droit à l'indemnité de remplacement du revenu a été maintenu alors que l'assignation devenait impossible pour cause de déménagement[4], ou en considération du caractère prospectif de la mesure[5], ou pour le motif qu’aucun article de la loi ne prévoit qu'un travailleur doive conserver obligatoirement son lien d'emploi pour bénéficier du versement de l'indemnité de remplacement du revenu[6].
[21] Dans la cause Laplante et Lauzon Planchers de bois exclusifs et CSST[7], le tribunal, après analyse de la jurisprudence pertinente concernant la démission d'un travailleur au cours d'une assignation temporaire, concluait ainsi :
[40] En fait, autant la démission que la retraite sont des mesures extrêmes et en principe définitives que prend un travailleur. Il ne s’agit pas là de situations assimilables à celles édictées par le législateur à l’article 142 de la loi quand il est question de situations où un travailleur « omet » ou « refuse » de faire un travail assigné temporairement par un employeur. On n’a pas à se demander si, par sa démission, le travailleur omet ou refuse d’accomplir un travail chez l’employeur. La démission entraîne une fin d’entente contractuelle, la rupture d’un lien d’emploi. On ne doit pas y voir un geste de contestation de la part du travailleur ni si ce dernier avait une raison valable de poser un tel geste.
[41] Le droit à une indemnité de remplacement du revenu est relié à la survenance d’une lésion professionnelle au sens de la loi et les causes d’extinction de ce droit sont spécifiquement prévues à l’article 57 de la loi. Il ressort de la lecture de cette disposition législative que la démission d’un travailleur de son emploi chez un employeur ne constitue pas une des raisons qui y sont prévues. Quant aux dispositions de l’article 142 de la loi, on doit les interpréter restrictivement car il s’agit de mesures de nature punitive et d’exception eu égard à l’esprit général de la loi, qui a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires et dont l’application doit être faite de façon large et libérale.
[Nos soulignements]
[22] Dans cette décision, le juge administratif P. Sincennes poursuivait son analyse en soulignant que l'article 143 de la loi prévoit la possibilité pour la CSST de reprendre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu et même le versement rétroactif de cette indemnité de remplacement du revenu :
143. La Commission peut verser une indemnité rétroactivement à la date où elle a réduit ou suspendu le paiement lorsque le motif qui a justifié sa décision n'existe plus.
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1985, c. 6, a. 143.
[23] D’où cette conclusion de ce juge administratif :
[42] Le tribunal est d’avis que l’article 142 confère à la CSST un pouvoir de contraindre un travailleur, dans certains cas précis, à respecter les obligations prévues à la loi à défaut de quoi, son indemnité pourra être réduite ou suspendue. L’utilisation des termes « réduire » ou « suspendre » revêt un caractère temporaire et ne se veut pas permanent. D’ailleurs, les dispositions de l’article 143 prévoient la possibilité pour la CSST de non seulement mettre fin à la suspension ou la réduction d’une indemnité, mais prévoient aussi le versement rétroactif des indemnités suspendues ou réduites lorsque le motif qui a justifié sa décision n’existe plus. Il serait difficile de concevoir l’application de l’article 143 au cas d’un travailleur ayant remis sa démission à un employeur, la démission étant de par sa nature, une situation permanente et non temporaire. En d’autres termes, comment un travailleur pourrait-il bénéficier des termes de l’article 143 dans le cas d’une démission? La situation ayant mené à la suspension de l’IRR étant définitive et permanente, le travailleur ne pourrait jamais faire valoir que le motif qui avait justifié la décision n’existe plus. En d’autres termes, la suspension de l’IRR en cas de démission d’un travailleur deviendrait permanente. Ce n’est certes pas là l’intention recherchée par le législateur dans la rédaction des articles 142 et 143 de la loi.
[Nos soulignements]
[24] Le droit de retrouver l'indemnité de remplacement du revenu malgré une grève a également été reconnu, notamment dans la cause Max Meilleur & Fils ltée et Villeneuve[8], alors que le tribunal parvenait à la conclusion suivante :
[35] Dans le présent dossier, l’employeur plaide que la travailleuse n’avait pas droit de recevoir des indemnités de remplacement du revenu alors que l’entreprise était en grève. Invoquant à l’appui de ses prétentions une décision de la Commission des lésions professionnelles3, il soutient que l’article 180 précité opère un changement de statut chez le travailleur à qui un travail a été assigné temporairement car ce dernier est alors pris en charge par l’employeur et est ainsi assujetti aux conditions de travail régissant l’ensemble des employés. Sa situation demeure la même lors de la survenance d’un événement extrinsèque, comme le déclenchement d’une grève, et il ne peut pas réclamer le versement d’indemnités de remplacement du revenu.
[36] Avec déférence, le commissaire soussigné interprète la loi différemment.
[37] L’assignation temporaire d’un travail à un travailleur, en vertu des articles 179 et 180 de la loi, n’opère pas un changement de statut chez ce dernier. Il demeure une personne incapable d’exercer son emploi habituel en raison d’une lésion professionnelle et, à ce titre, il conserve le droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue à la loi.
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3 Vêtements Golden Brand Canada ltée et Cardenas et al,
[25] Et le juge administratif F. Poupart de conclure ainsi :
[38] Il faut toujours avoir à l’esprit l’objet de la loi, telle qu’exposée à son article 1, soit « la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires ». L’assignation temporaire d’un travail est l’une des mesures prévues par le législateur pour favoriser la réadaptation d’un travailleur et assurer sa réinsertion professionnelle. Cette mesure n’a pas pour effet d’éteindre les droits de ce dernier, en particulier celui qui est énoncé au premier alinéa de l’article 44. Si l’exécution du travail n’est plus possible, le versement d’indemnités de remplacement du revenu doit reprendre car ce versement n’a été interrompu que parce que l’employeur s’était engagé à payer au travailleur « le salaire et les avantages liés à l’emploi que ce travailleur occupait lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle », conformément à l’article 180 de la loi.
[Nos soulignements]
[26] Le tribunal estime qu'il y a lieu d'établir un parallèle entre ces circonstances et celles qui prévalent dans le présent dossier.
[27] Il faut noter que, dans la présente affaire, c’est l'employeur qui a choisi de mettre un terme à l'assignation temporaire en congédiant le travailleur. Le geste posé ne relève pas exclusivement de la volonté du travailleur. Il s'agit d'un geste administratif posé par l'employeur, lequel reconnaît que le travailleur n'a jamais refusé ou omis d'effectuer cette assignation temporaire.
[28] Dans la cause récente Entreprise sanitaire F.A. ltée et Tellier[9], le tribunal décidait, dans des circonstances similaires à celles du présent dossier, que :
[43] Dans le présent dossier, le tribunal retient que l’employeur a constaté le comportement inadéquat du travailleur dans l’exécution des travaux légers qui lui avaient été assignés. Le travailleur a été rencontré le 9 novembre 2007 et l’employeur lui a indiqué ce qui lui était reproché, soit d’avoir falsifié des données et d’avoir quitté son poste avant la fin de son quart de travail. L’employeur a alors décidé de le congédier et le tribunal n’a pas à se prononcer sur l’opportunité ou la validité de cette mesure.
[44] Dans les circonstances du présent dossier, le tribunal conclut que c’est uniquement le congédiement du travailleur qui, en mettant fin au lien d’emploi, a empêché la poursuite des travaux légers. Par ailleurs, le travailleur avait droit au versement de cette indemnité dans la mesure où, à la date de son congédiement le 9 novembre 2007, sa lésion professionnelle n’était pas consolidée.
[45] Il aurait pu en être autrement si l’employeur avait exigé du travailleur qu’il amende sa conduite pour ensuite, s’il constatait qu’il ne se conformait pas aux attentes, demander à la CSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu au motif qu’il refusait sans raison valable d’exécuter le travail qui lui était assigné.
[46] Compte tenu de la conclusion à laquelle en arrive le tribunal et du témoignage du travailleur qui a admis avoir falsifié des données et ne pas avoir été toujours présent pendant toute la durée de son quart de travail, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la valeur probante des rapports de filature déposés par la représentante de l’employeur.
[Nos soulignements]
[29] Ainsi, dans le présent dossier, considérant le comportement du travailleur, l'employeur aurait pu demander à la CSST de suspendre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu si le travailleur ne se conformait pas, dans l'exécution de ses tâches, aux directives émises lors de cette assignation temporaire. Ce n'est pas ce qu'a choisi de faire l'employeur, malgré les avertissements adressés au travailleur tout au cours de cette assignation. L'employeur a préféré congédier le travailleur, ce qui mettait fin à la possibilité d'assigner le travailleur à des travaux légers.
[30] Or, il n'est pas démontré au dossier que le travailleur a omis ou refusé, sans raison valable, de faire le travail que son employeur lui a assigné.
[31] Dans une autre cause récente, Charcuterie Tour Eiffel inc. et Daraîche[10], le tribunal jugeait que :
[16] La rupture du lien d’emploi faisant disparaître la relation employeur-travailleur, on pourrait alors conclure que l’assignation temporaire n’est plus possible. Par conséquent, on ne peut reprocher au travailleur d’omettre ou de refuser de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu’il est tenu de faire conformément à l’article 179 de la loi.
[17] Il importe, selon une jurisprudence du tribunal, qu’en cas de rupture du lien d’emploi, de s’attarder aux circonstances de cette rupture. On cherche notamment à savoir si celle-ci relève de la volonté du travailleur 2.
[18] Bien que le congédiement n’ait pas fait l’objet d’un contentieux quant à la justification de la rupture du lien d’emploi et considérant la mesure prévue à l’article 142 de la loi ayant un objectif de dissuasion ou de prospection, on ne peut conclure que le travailleur a, le 22 septembre 2007, sans raison valable, omis ou refusé de faire le travail que son employeur lui assignait temporairement.
[19] De fait, sans questionner « la cause juste et suffisante » de cette mesure, le tribunal, selon la preuve offerte, ne peut conclure que le travailleur a, de façon délibérée, posé un geste ayant pour but de se soustraire à cette assignation temporaire, ce qui pourrait être assimilé à une démission.
[20] En effectuant ce congédiement le 21 septembre 2007, l’employeur rompait son lien d’emploi avec le travailleur, rendant ainsi impossible l’assignation temporaire.
[…]
[22] La Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST ne pouvait suspendre les indemnités de remplacement du revenu du travailleur parce qu’il aurait omis de se présenter à un travail auquel l’employeur l’aurait assigné temporairement, celui-ci n’ayant pas à s’y présenter.
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2 Hôpital Rivière-des-Prairies et Pascal Charest, C.L.P. 280372-63-0601, le 1er mars 2007, S. Sénéchal.
[Nos soulignements]
[32] Le tribunal estime, puisque le travailleur n'a jamais refusé d’effectuer son assignation temporaire, comme en convient le procureur de l'employeur, qu'en procédant au congédiement de ce dernier, l'employeur refusait dès lors la possibilité de permettre au travailleur d'être assigné à des travaux légers et renonçait implicitement à ce droit, alors qu'il avait la possibilité de demander la suspension de l'indemnité de remplacement du revenu, s'il estimait que le travailleur ne se conformait pas à cette assignation.
[33] Dans l'affaire Centre hospitalier Gaspé et Reeves[11], alors que le lien d'emploi avait été rompu entre les parties en raison d'une entente, relativement à une retraite anticipée pour la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles a conclu que l'employeur avait renoncé implicitement à offrir à la travailleuse un travail en assignation temporaire conformément à l'article 179.
[34] Ce raisonnement était repris dans l'affaire Harvey Chaput et Distribution Gypco 1988 inc. et CSST[12], alors que la Commission des lésions professionnelles concluait, du fait que l'employeur avait mis fin à l'emploi du travailleur, qu'il renonçait implicitement à son droit d'assigner temporairement le travailleur.
[35] Il en est de même dans le cas du départ volontaire d'un travailleur alors que le tribunal jugeait que l'employeur renonçait, par le fait même, d'assigner temporairement ce travailleur[13].
[36] Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles considère que le fait de congédier le travailleur a mis fin au lien d’emploi avec l’employeur, mais que cela n’a pas d’incidence sur le droit pour le travailleur de continuer à recevoir l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il avait droit en vertu des dispositions de l’article 57 de la loi. La CSST était, dès lors, bien fondée de refuser d'appliquer les dispositions de l’article 142 en réponse à une situation reliée à l’assignation à un travail temporaire au sens de l’article 179 de la loi.
[37] Comme s'exprime la juge administrative S. Moreau dans l'affaire Charcuterie Tour Eiffel inc. et Daraîche[14] :
[23] Bien que l’employeur se considère lésé financièrement par l’impossibilité d’assigner temporairement le travailleur dans les circonstances, le présent recours n’est pas, selon le tribunal, le remède approprié.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Sodexho Québec ltée ;
CONFIRME la décision rendue le 13 septembre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était bien fondée de refuser de réduire ou de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Pierre-Alain Côté pour la période du 9 mai 2007 au 7 octobre 2007.
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Robert Daniel |
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Me Jean Camirand |
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Groupe AST inc. |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Fortin et Donohue Normick inc.,
[3] Lavallée et Accès
Formation Inc., CLP 143404-61-0007, 15 octobre 2000, B. Lemay ; Boudreault
et Michael Rossy Ltée, C.L.P.
[4] Provigo Distribution (Div. Maxi) et Belleau, C.L.P.
[5] Hôpital Rivière-des-Prairies et Charest, C.L.P. 280372- 63-0661, 1er mars 2007, S. Sénéchal
[6] SGT 2000 inc.
et Tyutyunnikov, C.L.P.
[7] Laplante et
Lauzon Planchers de bois exclusifs et CSST, C.L.P.
[8] Max Meilleur & Fils ltée et Villeneuve, C.L.P.
[9] Entreprise sanitaire F.A. ltée et Tellier, C.L.P.
[10] Charcuterie Tour Eiffel inc. et Daraîche, C.L.P.
[11] Centre hospitalier Gaspé et Reeves, C.L.P.
[12] Harvey Chaput
et Distribution Gypco 1988 inc. et CSST, C.L.P.
[13] Société de Transport de Montréal (Réseau des autobus) et Denis, C.L.P.
[14] Précitée, note 10
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