Conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés (Ordre professionnel des) c. Picard | 2022 QCCDCRHRI 3 |
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CONSEIL DE DISCIPLINE | ||||
ORDRE DES CONSEILLERS EN RESSOURCES HUMAINES ET EN RELATIONS INDUSTRIELLES AGRÉÉS DU QUÉBEC | ||||
CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
No : | 13-21-00025 | |||
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DATE : | 5 avril 2022 | |||
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LE CONSEIL : | Me MARIE-FRANCE PERRAS | Présidente | ||
M. SERGE S. LAVERDIÈRE, CRIA | Membre | |||
M. PIERRE LEFEBVRE, CRHA | Membre | |||
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ANDRÉ LACAILLE, CRIA, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec | ||||
Plaignant | ||||
c. | ||||
ÉRIC PICARD, CRHA | ||||
Intimé | ||||
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION | ||||
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CONFORMÉMENT À L’ARTICLE
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[1] Il est reproché à l’intimé d’avoir tenu des propos inappropriés et à caractère sexuel envers deux employées.
[2] Il lui est également reproché d’avoir communiqué avec une des demanderesses d’enquête.
[3] Et finalement, il lui est reproché d’avoir menti au syndic adjoint au cours de son enquête.
[4] Lors de l’audition de la plainte, une demande d’amendement permettant la modification de certains chefs de la plainte a été accordée par le Conseil.
[5] Dès le début de l’audition, l’intimé enregistre un plaidoyer de culpabilité aux quatre chefs de la plainte amendée.
[6] Ainsi, après s’être assuré du caractère libre et volontaire du plaidoyer de culpabilité de l’intimé, le Conseil de discipline, séance tenante et unanimement, le déclare coupable de toutes les infractions reprochées à la plainte, et ce, de manière plus amplement décrite au dispositif de la présente décision.
[7] Les parties procèdent par la suite sur sanction et suggèrent au Conseil d’imposer à l’intimé les sanctions suivantes :
[8] Les parties recommandent également que l’intimé soit condamné au paiement de tous les déboursés.
PLAINTE
[9] La plainte amendée est ainsi libellée :
[Transcription textuelle; sauf anonymisation]
QUESTION EN LITIGE
[10] Le Conseil doit-il entériner les sanctions recommandées conjointement par les parties?
[11] Pour les motifs qui suivent, le Conseil juge que la recommandation conjointe n’est pas contraire à l’intérêt public et ne déconsidère pas l’administration de la justice. Par conséquent, le Conseil y donne suite.
CONTEXTE
[12] Les parties ont produit un exposé conjoint des faits que le Conseil juge utile de reproduire :
[…]
Transcription textuelle; sauf anonymisation]
[13] Les parties produisent ce document en indiquant que ce sont là les faits qu’elles souhaitent porter à l’attention du Conseil.
ANALYSE
Le Conseil doit-il entériner les sanctions recommandées conjointement par les parties?
[14] Étant en présence d’une recommandation conjointe sur sanction, le Conseil doit déterminer s’il y donne suite.
Les principes devant guider le Conseil pour accepter ou refuser une recommandation conjointe
[15] Le Tribunal des professions enseigne qu’une suggestion conjointe ne doit pas être écartée « afin de ne pas discréditer un important outil contribuant à l’efficacité du système de justice, tant criminel que disciplinaire »[1].
[16] Ainsi, en présence d’une recommandation conjointe, le Conseil n’a pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction proposée, « mais à déterminer si elle s’avère déraisonnable au point d’être contraire à l’intérêt public et de nature à déconsidérer l’administration de la justice »[2].
[17] Dans l’arrêt Anthony-Cook[3], la Cour suprême a précisé qu’en présence d’une recommandation conjointe, ce n’est pas le critère de la « justesse de la peine » qui s’applique, mais celui plus rigoureux de savoir si la peine serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, ou serait, par ailleurs, contraire à l’intérêt public.
[18] Conséquemment, il est utile de se référer aux enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Binet[4], indiquant que les principes devant guider le juge pour accepter ou refuser une suggestion commune sont différents de ceux applicables à la détermination d’une sanction.
[19] La Cour d’appel du Québec, faisant siens les propos de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Belakziz[5], ajoute qu’en présence d’une recommandation conjointe, il est inapproprié de déterminer d’abord la sanction qui pourrait être imposée pour ensuite la comparer avec celle suggérée[6]. L’analyse doit plutôt porter sur les fondements de la recommandation conjointe, incluant les avantages importants pour l’administration de la justice, afin de déterminer si cette recommandation est contraire à l’intérêt public ou déconsidère l’administration de la justice.
[20] C’est donc à la lumière de ces principes que le Conseil doit analyser les sanctions proposées conjointement.
[21] Selon le plaignant, l’objectif non équivoque de l’article
[22] Pour lui, les infractions commises par l’intimé sont très graves et sont au cœur même de l’exercice de la profession.
[23] Ces infractions transgressent toutes les valeurs fondamentales qu’un conseiller en ressources humaines doit avoir en tête lorsqu’il exerce.
[24] Le plaignant fait valoir qu’il ne peut avoir d’infraction plus grave étant donné le statut et le rôle qu’occupait l’intimé au sein de l’entreprise.
[25] De plus, selon le plaignant, l’intimé était parfaitement au courant de ses obligations et devoirs déontologiques puisqu’il avait participé à l’élaboration de la politique de harcèlement en milieu de travail[9].
[26] Pour lui, l’intimé se devait donc de respecter et de faire la promotion de cette politique en ayant un comportement exemplaire en tout temps.
[27] Il insiste pour indiquer que ces gestes sont inacceptables et inexcusables, car l’intimé se devait d’être la référence en la matière.
[28] Il souligne que l’intimé a su profiter de la vulnérabilité des deux employées, et que cela constitue un facteur aggravant.
[29] Un autre facteur aggravant est le fait qu’il ne s’agit pas là d’un geste isolé.
[30] L’intimé n’a pas su mettre des limites entre le cadre personnel et le cadre professionnel.
[31] Le plaignant met l’accent sur le fait qu’au lieu d’adopter un comportement favorisant le maintien d’un environnement de travail exempt de harcèlement, l’intimé a créé un milieu de travail toxique.
[32] Il termine en soulignant que l’intimé n’a offert aucune excuse ni fait preuve de regrets et qu’il n’est plus digne d’exercer la profession de CRHA.
Chef 3
[33] Selon le plaignant, l’intimé a encore une fois manqué à ses devoirs et obligations en matière d’intégrité en commettant une infraction à l’article
[34] De plus, la preuve a démontré et l’intimé a reconnu avoir menti au syndic adjoint quant aux raisons véritables de son départ de son ancien emploi[10].
[35] Ce faisant, pour le plaignant, il est clair que l’intimé a cherché à entraver le travail du syndic et ce n’est certainement pas le comportement attendu d’un professionnel envers son Ordre, comme énoncé à l’article
[36] D’après le plaignant, la collaboration du professionnel est essentielle dans le cadre d’une enquête et l’intimé avait l’obligation et le devoir de s’y soumettre.
Chef 4
[37] Quant au dernier chef, bien que l’intimé ait été avisé formellement par le syndic de ne pas entrer en communication avec les deux personnes concernées pas l’enquête, l’intimé a encore une fois fait fi de ses obligations[11].
[38] Selon le plaignant, il s’agit encore une fois d’un manque flagrant de respect et de jugement.
[39] Pour l’essentiel, l’intimé est d’accord avec les représentations faites par le plaignant.
[40] Il reconnaît la gravité des faits et comprend qu’il aurait dû être vigilant dans les limites à tracer entre les cadres personnel et professionnel.
[41] Il précise qu’il n’y a pas eu de harcèlement de sa part, mais reconnaît que son comportement est inacceptable.
[42] Il reconnaît également qu’il mérite une sanction sévère.
[43] Quant aux chefs 3 et 4, il dit n’avoir rien à ajouter et est en accord avec la sanction recommandée.
[44] Le Conseil retient les facteurs suivants en ce qui concerne la gravité objective des infractions.
[45] En plaidant coupable aux chefs 1 et 2, l’intimé reconnaît avoir contrevenu à l’article 10 du Code de déontologie ainsi qu’à l’article
10. Le membre doit avoir une conduite irréprochable.
Code des professions (RLRQ, c. C-26)
59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
[46] Il est ainsi reconnu coupable d’actes contraires à des dispositions régissant la profession de conseiller en ressources humaines agréé (CRHA) et de conseiller en relations industrielles agréé (CRIA). Ces manquements minent la confiance du public à l’égard de cette profession.
[47] Dans le présent dossier, l’intimé a porté atteinte à la protection du public.
[48] En matière de gravité objective, il est difficile de trouver plus grave que les infractions pour lesquelles l’intimé a enregistré un plaidoyer de culpabilité.
[49] Les CRHA sont des experts reconnus en matière de gestion des ressources humaines et des relations au sein d’une entreprise.
[50] L’Intimé se devait de valoriser des relations de travail empreintes de respect, d’objectivité, et surtout exemptes de harcèlement sous toutes ses formes.
[51] La probité, l’intégrité et l’honnêteté constituent des qualités essentielles à tout professionnel. Or, cette obligation revêt une intensité plus élevée pour un professionnel qui occupe une position hiérarchique telle qu’occupée par l’intimé.
[52] Une de ces fonctions était certainement d’être le gardien de la politique en matière de harcèlement et à ce titre il se devait d’adopter un comportement et une attitude irréprochable.
[54] Ces éléments sont des facteurs aggravants auxquels le Conseil accorde un poids important.
[55] L’intimé n’a pas su respecter les frontières de sa vie professionnelle.
[56] Il a manqué à tous ses devoirs d’intégrité de loyauté et de dignité. Il se devait d’adopter une conduite éthique exemplaire.
[57] On ne doit pas sous-estimer l’importance que revêt le lien de confiance dans la relation professionnelle en raison notamment du rapport de force souvent inégal prévalant entre les employés et le conseiller en ressources humaines.
[58] Ces comportements n’avaient pas leur place dans les circonstances et ils ternissent l’image de la profession.
[59] En effet, les gestes pour lesquels il a été reconnu coupable entachent la réputation de centaine de membres de l’Ordre qui, comme le font la très vaste majorité des professionnels, exercent leur profession dans le respect des principes et valeurs éthiques qui les gouvernent.
[60] En terminant sur ces deux chefs, le Conseil ne peut passer sous silence le fait qu’il n’y a eu aucune mention quant au travail d’introspection que l’intimé aurait pu faire à la suite du dépôt de la plainte. Aucune excuse n’a été présentée et aucun regret n’a été manifesté. Le Conseil est ainsi resté perplexe face à ce manque d’empathie de la part de l’intimé.
[61] Par son plaidoyer sous le chef 3, l’intimé reconnaît sa culpabilité envers les articles
114. Il est interdit d’entraver de quelque façon que ce soit un membre du comité, la personne responsable de l’inspection professionnelle nommée conformément à l’article 90, un inspecteur ou un expert, dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées par le présent code, de le tromper par des réticences ou par de fausses déclarations, de refuser de lui fournir un renseignement ou document relatif à une inspection tenue en vertu du présent code ou de refuser de lui laisser prendre copie d’un tel document.
[62] Il est clair que l’intimé a voulu induire en erreur le syndic quant aux véritables raisons de son départ de la compagnie […]; un départ qui s’avère non volontaire, selon la preuve.
[63] Il ne pouvait se permettre d’offrir des demi-vérités. En étant membre d’un ordre professionnel, l’intimé se devait d’offrir toute sa collaboration.
[64] L’obligation de répondre au syndic n’est pas une option pour un professionnel, mais bien une obligation de résultat[13].
[65] Faire des déclarations contradictoires, ou encore transmettre des informations incomplètes ou fausses, il s’agit là de gestes inexcusables de la part d’un professionnel.
[66] Les conséquences d’une entrave sont sérieuses, non seulement l’entrave empêche une enquête de progresser, mais elle peut également empêcher le syndic d’intervenir en temps opportun.
[67] Par son plaidoyer sous le chef 4, l’intimé reconnaît sa culpabilité envers l’article 10 du Code de déontologie[14] ainsi qu’à l’article 74, lequel est rédigé ainsi :
74. Le membre ne doit pas, à l’égard de quiconque est en relation avec lui dans l’exercice de sa profession, notamment un autre membre de l’Ordre ou un membre d’un autre ordre professionnel, abuser de sa confiance, l’induire volontairement en erreur, surprendre sa bonne foi ou utiliser des procédés déloyaux.
Il ne doit pas s’attribuer le mérite d’un travail qui revient à une autre personne, notamment à un autre membre de l’Ordre.
[68] Quant à ce dernier chef, le Conseil ne croit pas opportun de discourir très longuement.
[69] L’intimé, bien que dûment avisé de ne pas communiquer avec d’anciens employés et les équipes de direction, a manifestement enfreint ses obligations déontologiques.
[70] Or, ce genre de réaction intimidante décourage le public de se prévaloir des mécanismes de protection que le législateur a mis en place pour assurer le bon fonctionnement de notre système professionnel.
[71] Les parties ont cependant soulevé quelques facteurs atténuants qu’ils ont considérés dans le présent dossier, à savoir :
[72] Ainsi, après avoir analysé tous les faits pertinents du présent dossier et la jurisprudence[15], de même que les fondements de la recommandation conjointe, le Conseil en vient à la conclusion qu’il n’est pas en présence d’une recommandation contraire à l’intérêt public, inadéquate ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice.
[73] Au contraire, le Conseil juge que les parties, dans les circonstances du présent dossier, ne pouvaient présenter d’autres recommandations que celles présentées, soit la radiation permanente de l’intimé et l’imposition d’une radiation temporaire d’un mois sous les chefs 3 et 4. Le Conseil donne donc suite aux recommandations des parties.
EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT LE 28 JANVIER 2022 :
Sous le chef 1 :
[74] A DÉCLARÉ l’intimé coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article
[75] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant à l’article
Sous le chef 2 :
[76] A DÉCLARÉ l’intimé coupable de l’infraction fondée sur l’article
[77] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant à l’article
Sous le chef 3 :
[78] A DÉCLARÉ l’intimé coupable de l’infraction fondée sur les articles
[79] A PRONONCÉ une suspension conditionnelle des procédures quant à l’article
Sous le chef 4 :
[80] A DÉCLARÉ l’intimé coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article
[81] A PRONONCÉ, sous le chef 4, une suspension conditionnelle des procédures quant aux articles
ET CE JOUR :
[82] IMPOSE à l’intimé, sous le chef 1, une radiation permanente;
[83] IMPOSE à l’intimé, sous le chef 2, une radiation permanente;
[84] IMPOSE à l’intimé, sous le chef 3, une radiation temporaire d’un mois;
[85] IMPOSE à l’intimé, sous le chef 4, une radiation temporaire d’un mois;
[86] ORDONNE à la secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec de faire publier un avis de la présente décision relatif aux périodes de radiation temporaire dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel, conformément au septième alinéa de l’article
[87] CONDAMNE l’intimé au paiement de l’ensemble des déboursés, conformément à l’article
[88] ORDONNE que la présente décision soit notifiée par courriel.
| ______________________________________ Me MARIE-FRANCE PERRAS Présidente
______________________________________ M. SERGE S. LAVERDIÈRE, CRIA Membre
______________________________________ M. PIERRE LEFEBVRE, CRHA Membre
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Me Nathalie Vuille | ||
Avocat du plaignant | ||
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Me Kevin Lapierre | ||
Avocat de l’intimé | ||
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Date d’audience : | 28 janvier 2022 | |
[1] Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52.
[2] Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5. Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Gougeon,
[3] R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 (CanLII),
[4] R. c. Binet,
[5] R. v. Belakziz,
[6] R. c. Binet, supra, note 4.
[7] RLRQ, c. C-26, r. 81.
[8] RLRQ, c. C-26.
[9] Pièce SP-5.
[10] Pièce SP-9.
[11] Pièces SP-7.
[12] Supra, note 10.
[13] Bégin c. Comptables en management accrédités (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 45.
[14] Supra, note 9.
[15] Conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec (Ordre professionnel des) c. Francoeur,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.