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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 4 août 2004, M. Ken Morin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête afin de faire réviser une décision rendue le 9 juillet 2004 par cette instance.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare que le diagnostic de la lésion professionnelle subie le 23 octobre 2002 par le travailleur est celui d’entorse dorsale. Le tribunal déclare que le travailleur demeure avec une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2.2 % et qu’il a droit à une indemnité pour dommages corporels de 1 653,67 $.
[3] À l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision le 22 octobre 2004 à Val D’Or, seul le travailleur était présent et représenté par une avocate.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par cette instance et de déclarer que le diagnostic de la lésion professionnelle subie le 23 octobre 2002 est une fracture des corps vertébraux D7 et D8.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Tant le membre issu des associations syndicales que celui issu des associations d’employeurs recommandent à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la requête en révision vue l’absence de motif donnant ouverture à ce recours en vertu de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif permettant la révision de la décision rendue par cette instance le 9 juillet 2004.
[7] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. (...)
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Toutefois, le législateur a prévu à l’article 429.56 de la loi que la Commission des lésions professionnelles peut, dans certains cas, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue. Cette disposition se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1°lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2°lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3°lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[9] Au soutien de sa requête en révision, le travailleur prétend que la décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. La jurisprudence[2] a établi qu’on entend entre autres, par la notion « vice de fond ... de nature à invalider la décision » une erreur manifeste de droit ou de faits qui est déterminante sur l’issue du litige. À maintes reprises, la Commission des lésions professionnelles[3] a rappelé que le recours en révision prévu à l’article 429.56 n’est pas un appel déguisé qui permet à une partie de venir compléter ou bonifier sa preuve ou son argumentation. Ce recours ne permet pas non plus au commissaire siégeant en révision de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par le premier commissaire.
[10] À l’audience, le travailleur a voulu déposer des documents pour compléter sa preuve médicale. Un de ces documents comprend les notes évolutives du Centre Lucie Bruneau, centre de traitement de la douleur, où le travailleur a suivi des traitements du 11 février 2004 au 10 mai 2004.
[11] La Commission des lésions professionnelles a refusé le dépôt de ce document puisque le recours en révision ne permet pas à une partie de venir compléter sa preuve médicale. Ces documents ne constituent pas un fait nouveau au sens de la loi puisqu’il existait avant l’audience tenue par le premier commissaire et qu’ils auraient pu être déposés au tribunal à ce moment-là.
[12] L’autre document que le travailleur veut déposer est un formulaire d’assurance complété postérieurement à la décision de la Commission des lésions professionnelles par le Dr Bellemare. La Commission des lésions professionnelles estime qu’il ne s’agit pas là d’un fait nouveau au sens de la loi et pour ce motif, le dépôt de ce document a été refusé par le tribunal.
[13] Au soutien de sa requête en révision, le travailleur fait valoir que la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur de droit manifeste et déterminante en refusant la deuxième modification au rapport final du Dr Bellemare, médecin ayant charge du travailleur. Le deuxième motif soulevé veut que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) était liée par le dernier avis émis par le Dr Bellemare conformément à l’article 224 de la loi.
[14] Le travailleur plaide, qu’en l’absence d’un avis émis par le Bureau d’évaluation médicale (le BEM) conformément à la procédure prévue à l’article 224.1 de la loi, que la CSST n’avait pas le choix de se déclarer liée par le dernier rapport final du Dr Bellemare. Il ajoute que la CSST ne peut pas choisir l’avis qu’elle veut.
[15] Avec respect pour les arguments soumis par le travailleur, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’a pas été démontré que la décision que l’on veut faire réviser est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider et cela pour les raisons suivantes.
[16] Les faits sont résumés comme suit dans la décision :
« [7]Monsieur Morin travaille comme aide-foreur pour le compte de l’employeur lorsque, le 23 octobre 2002, il fait une chute au sol après avoir été heurté à la tête et au cou par une roche qui se détache du plafond de la mine dans laquelle il se trouve.
[8]Le médecin consulté le jour même diagnostique une contusion cervico-dorsale mais il demande des examens radiologiques pour éliminer une fracture dorsale.
[9]Une radiographie simple effectuée le lendemain 24 octobre révèle, de l’avis du médecin qui l’interprète, une légère difformité cunéiforme des corps vertébraux D7 et D8 dont l’aspect est suggestif d’une variante de la normale ou d’une séquelle traumatique ancienne. Selon ce médecin, une tomographie faite le même jour ne révèle aucune fracture à D8, mais une irrégularité du cortex antérieur pouvant témoigner d’une séquelle traumatique récente à D7.
[10]À compter du 7 novembre 2002, monsieur Morin consulte le docteur Bellemare, orthopédiste. Ce médecin retient, de façon constante, le diagnostic de fractures des corps vertébraux D7 et D8 et, le 3 décembre 2002, la CSST accepte ce diagnostic comme étant en relation avec le fait accidentel dont a été victime monsieur Morin le 23 octobre 2002.
[11]Le 10 avril 2003, à la demande de l’employeur, monsieur Morin est examiné par le docteur Jean-François Fradet, orthopédiste. Il retient le diagnostic d’entorse cervico - dorsale et il estime que cette lésion n’est pas consolidée. Il considère qu’il y a lieu de poursuivre les traitements de physiothérapie prescrits par le docteur Bellemare et il suggère que ce médecin obtienne une scintigraphie osseuse pour confirmer la présence de fractures des corps vertébraux D7 et D8 puisque, selon lui, cet examen demeure généralement positif durant une période de 6 à 18 mois suivant la survenance de telles fractures.
[12]Dans un rapport médical complémentaire qu’il remplit le 6 mai 2003 après avoir pris connaissance de l’expertise médicale du docteur Fradet, le docteur Bellemare s’exprime ainsi :
« À l’item diagnostic : je ne suis pas d’accord avec le Dr Fradet. Je maintiens le diagnostic de fracture de D7 et de D8 avec des tassements respectivement de 24/31 mm à D7 et de 24/31 mm à D8 et ce, mesurés depuis la radiographie initiale.
[…]
En ce qui a trait à la scintigraphie osseuse, effectivement, celle-ci pourrait confirmer les doutes de Dr Fradet sur une fracture de D7 ou D8 mais également elle pourrait démontrer, s’il y a composante inflammatoire chez ce patient, par ailleurs porteur de psoriasis et qui a par ailleurs eu une histoire de synovectomie en bas âge, patient chez qui il faut donc suspecter la présence coexistante d’une pathologie inflammatoire. » [sic]
[13]Dans son rapport médical du 20 mai suivant, le docteur Bellemare réitère son diagnostic de fractures de D7 et D8.
[14]La scintigraphie osseuse est effectuée le 25 juillet 2003 et, de l’avis du médecin qui l’interprète, elle est normale.
[15]Le 25 septembre 2003, à la demande de l’employeur, monsieur Morin est de nouveau examiné par le docteur Fradet. Il retient le diagnostic de contusion cervicale et il estime que la lésion est consolidée au jour de son examen avec un déficit anatomo‑physiologique de 2 % pour une « entorse cervicale » et des limitations fonctionnelles.
[16]Le 21 octobre 2003, le docteur Bellemare remplit un rapport final dans lequel il conclut à la consolidation de la lésion, avec une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles. La date exacte de consolidation est difficile à lire mais elle se situe au mois d’octobre 2003. Le docteur Bellemare indique dans ce rapport que son diagnostic est « fracture D7 g vs entorse dorsale » et qu’il attend de recevoir une copie du dossier pour produire le rapport d’évaluation des séquelles permanentes.
[17]Le 24 octobre 2003, la CSST rend une décision par laquelle elle avise monsieur Morin qu’elle considère que le nouveau diagnostic d’entorse dorsale posé par le docteur Bellemare dans son rapport médical du 21 octobre 2003 est relié à l’événement accidentel du 23 octobre 2002, d’où l’objet du premier litige. Dans sa demande de révision, monsieur Morin précise qu’il s’oppose à la reconnaissance de ce diagnostic parce que c’est plutôt celui de fractures des corps vertébraux D7 et D8 qui a toujours été retenu par son médecin traitant.
[18]Cette décision de la CSST se fonde sur l’opinion exprimée par son médecin conseil le 23 octobre 2003 en réponse à une question d’une agente d’indemnisation qui s’interroge sur l’existence d’une relation causale entre l’événement et le diagnostic d’entorse dorsale posé par le docteur Bellemare dans son rapport final et ce, considérant que ce médecin a toujours posé le diagnostic de fractures de vertèbres dorsales. L’opinion de ce médecin conseil de la CSST se lit comme suit :
« Le diagnostic apparaît dans le premier rapport médical au dossier alors que l’on mentionne entorse cervico-dorsale. Le médecin a considéré le résultat de la scintigraphie osseuse pour modifier son diagnostic. Selon la RTR, la région cervico-dorsale a absorbé le contre-coup. »
[19]Également le 23 octobre 2003, l’employeur fait parvenir au docteur Bellemare l’expertise médicale faite par le docteur Fradet le 25 septembre 2003 et un formulaire dans lequel il invite celui-ci à exprimer son accord ou son désaccord avec les conclusions médicales de ce médecin désigné.
[20]Le 28 octobre suivant, en cochant la case prévue à cet effet, le docteur Bellemare indique à ce formulaire qu’il est d’accord avec les conclusions médicales du docteur Fradet. Il remplit également un rapport complémentaire dans lequel il indique ce qui suit :
« APIPP 2 % d’accord
Limitations fonctionnelles : d’accord avec Fradet
De plus : patient porteur d’arthrite psoriasique type linéaire
Bilan : aucune évidence de spondylartopathie associée. » [sic]
[21]Le 12 novembre 2003, la CSST rend une décision par laquelle elle reconsidère sa décision initiale du 3 décembre 2002 acceptant le diagnostic de fractures des corps vertébraux D7 et D8. Elle précise que, compte tenu du rapport final produit par le docteur Bellemare le 23 octobre 2003 à la suite de la scintigraphie osseuse, le diagnostic « à retenir en relation avec l’événement du 23 octobre 2002 n’est plus fracture D7-D8 mais celui d’entorse dorsale ». Cette décision n’est pas contestée.
[22]Le 4 novembre 2003, le docteur Bellemare produit un rapport médical dans lequel il pose le diagnostic de « douleur incapacitante cervico-dorsale ». Il prescrit une médication et des traitements de physiothérapie.
[23]Le 18 novembre 2003 la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que monsieur Morin demeure avec une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20 % lui donnant droit à une indemnité pour dommages corporels de 1 653,67 $, d’où l’objet du second litige.
[24]Le 25 novembre 2003, à la suite de la production par le docteur Bellemare de son rapport médical du 4 novembre 2003, madame Ryzsak, conseillère en réadaptation de la CSST, communique avec ce médecin. Tel qu’il appert des notes consignées au dossier à cette date par madame Ryzsak, le docteur Bellemare explique alors à cette dernière que la physiothérapie a été prescrite à la demande de monsieur Morin mais qu’il est d’accord avec la suggestion de la CSST, soit de diriger le travailleur vers le Centre Lucie Bruneau pour qu’il participe à un programme de gestion de la douleur. Il explique aussi que monsieur Morin l’a consulté parce qu’il n’était pas d’accord avec le déficit anatomo-physiologique de 2 % octroyé et, qu’après discussion avec le médecin qui a interprété la scintigraphie osseuse, il souhaite maintenir son diagnostic de fractures des corps vertébraux D7 et D8. Il précise également qu’il produira un rapport médical dans lequel il modifiera son opinion.
[25]À l’audience, monsieur Morin dépose un « Complément d’expertise » fait par le docteur Bellemare le 1er décembre 2003 et il précise que la CSST n’a pas rendu une nouvelle décision à la suite de la production de ce nouveau rapport. Les extraits pertinents de ce rapport sont les suivants :
« Celui-ci a été revu en date du 04-11-2003. Il se plaignait toujours de dorso-lombalgie également irradiée à la région cervicale. L’examen subjectif était essentiellement le même que celui lors du rapport d’évaluation médicale et l’examen objectif allait également dans le même sens. Le travailleur n’était pas content du DAP accordé de 2 % pour un diagnostic d’entorse dorsale. Il se questionnait également sur le fait que nous avions exclu les fractures de D7 et D8 du diagnostic. Cette journée là nous prescrivions Dilaudid et physiothérapie à raison de 1 fois par semaine.
Ultérieurement, la CSST nous avise dans une lettre datée du 12-11-2003 qu’elle refuse de reconsidérer un retour en physiothérapie et qu’elle considère le nouveau diagnostic d’entorse dorsale, excluant le diagnostic de fracture de D7 et D8.
Par contre, la CSST nous fait part de son désir d’orienter Monsieur Morin vers le programme PRÊT du centre Lucie Bruneau aux fins de réhabilitation d’une condition dorsale.
En date du 25-11-2003, nous tenons une discussion téléphonique avec Madame Sylvie Ryzak agente du travailleur.
En date du 25-11-2003, nous discutons avec le Dr Jérôme Laufer, médecin en médecine nucléaire à Val-D’Or. Celui-ci nous mentionne que la scintigraphie qui a été effectuée le 25-07-2003 soit environ 9 mois après l’événement initial, aurait fort bien pu se négativer sur de petites fractures par tassement dont la perte de hauteur est de moins de 5 % et que donc cette scintigraphie étant négative, n’excluait en rien, la possibilité de phénomène fracturaire en date du 23-10-2003.
Considérant aujourd’hui la grande discordance entre le DAP attribué et l’état physique ainsi que le niveau des limitations fonctionnelles du travailleur, nous désirons formuler le rapport complémentaire suivant :
En complément du rapport d’évaluation médicale, le diagnostic que nous retenons aujourd’hui est bel et bien celui de fracture de D7 et de D8 soit de moins de 25 % de la hauteur des corps vertébraux avec séquelles fonctionnelles. Fracture de D7 au code 204022 DAP 2 %. Fracture de D8 204022 DAP 2 %.
[…]
Les limitations fonctionnelles demeurent les mêmes.
[…]
En date du 23 octobre 2002 Monsieur Ken Morin a subi un accident de travail qui a entraîné un diagnostic tout d’abord d’entorse dorsale qui fut par la suite diagnostiquée fracture de D7-D8. Le diagnostic fut par la suite rejeté compte tenu d’une scintigraphie normale.
Après discussion avec le nucléiste, nous pouvons très bien voir en médecine nucléaire, une normalisation scintigraphique après 8 ou 9 mois de fractures minimes, spécialement chez un jeune travailleur.
Nous considérons donc, pour les fins diagnostics aujourd’hui, le diagnostic de fracture de D7 et de D8. » [sic]
[17] La première commissaire conclut que le diagnostic de la lésion professionnelle est une entorse dorsale. Le tribunal motive comme suit cette décision :
« [42]De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, un tel questionnement est cependant peu utile dans la mesure où la preuve démontre de manière prépondérante que le docteur Bellemare a bel et bien écarté son diagnostic initial de fractures des vertèbres D7 et D8 pour retenir celui d’entorse dorsale.
[43]En effet, avant de produire un rapport final complet dans lequel il évalue les séquelles permanentes résultant de la lésion professionnelle de monsieur Morin, le docteur Bellemare a pris connaissance de la seconde opinion émise par le docteur Fradet le 25 septembre 2003 voulant que le diagnostic de fractures des corps vertébraux D7 et D8 ne soit pas supporté par le résultat de la scintigraphie osseuse et, le 28 octobre 2003, il a entériné les conclusions médicales de ce médecin désigné de l’employeur relativement au diagnostic à retenir et aux séquelles permanentes à reconnaître. Le docteur Bellemare a entériné ces conclusions médicales du docteur Fradet dans le contexte de la procédure prévue par l’article 212.1 de la loi, lequel se lit comme suit :
212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 5.
[44]Suivant la jurisprudence du tribunal, le diagnostic d’une lésion est évolutif et peut être modifié en cours d’investigation, de telle sorte que celui qui a initialement été posé par le médecin traitant n’a pas nécessairement pour effet de lier la CSST2. De plus, dans le contexte de la procédure prévue par les articles 205.1 et 212.1 de la loi, un accord clair donné par le médecin traitant aux conclusions médicales d’un médecin désigné fait en sorte que ces conclusions deviennent celles valablement établies par ce médecin traitant et que la CSST est dès lors liée par celles-ci aux termes de l’article 224 de la loi3.
[45]Le fait que le docteur Bellemare n’ait pas examiné monsieur Morin le 28 octobre 2003 avant d’entériner les conclusions du docteur Fradet n’a pas pour effet d’invalider son accord dans la mesure où la preuve révèle que celui-ci avait en sa possession tous les éléments requis pour acquiescer aux conclusions de ce médecin de manière éclairée. Le docteur Bellemare était le seul médecin à suivre l’évolution de la condition médicale de monsieur Morin, il avait déjà exprimé son désaccord avec la première opinion émise par le docteur Fradet et il était bien conscient du contexte dans lequel il était appelé à commenter la seconde opinion émise par ce médecin, soit en raison du résultat d’une scintigraphie osseuse ne confirmant pas la présence de fractures de vertèbres dorsales4.
[46]Par ailleurs, le docteur Bellemare ne s’est pas limité à cocher la case du formulaire transmis par l’employeur servant à entériner les conclusions médicales du docteur Fradet puisqu’il a pris soin de préciser dans un rapport complémentaire annexé à ce formulaire qu’il était d’accord avec le déficit anatomo-physiologique de 2 % et les limitations fonctionnelles déterminées par ce médecin.
[47]La Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention de monsieur Morin selon laquelle son médecin traitant n’a pas entériné la conclusion du docteur Fradet sur le diagnostic d’une part, parce que ce dernier retient un diagnostic d’entorse cervicale et non pas d’entorse dorsale et d’autre part, parce qu’il faut retenir du rapport complémentaire qu’il annexe au formulaire que le docteur Bellemare acquiesce seulement aux conclusions de ce médecin sur la question des séquelles permanentes.
[48]Il est vrai que le docteur Fradet, même s’il retient un diagnostic de contusion cervicale, reconnaît un déficit anatomo-physiologique et des limitations fonctionnelles pour une entorse cervicale et non pas pour une entorse dorsale.
[49]La Commission des lésions professionnelles est toutefois d’avis que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, cela n’a pas pour effet d’invalider l’accord donné par le docteur Bellemare à la conclusion du docteur Fradet relativement au diagnostic.
[50]La Commission des lésions professionnelles retient en effet que le docteur Bellemare a, le 6 mai 2003, acquiescé à la suggestion du docteur Fradet d’obtenir une scintigraphie osseuse dans le but de confirmer l’existence de fractures de vertèbres dorsales étant donné le doute exprimé à ce sujet par ce médecin le 10 avril 2003 et, qu’à la suite du résultat de cet examen, il s’est interrogé sur la pertinence de retenir le diagnostic de fractures des corps vertébraux D7 et D8 plutôt que celui de fracture de D7 ou celui d’entorse dorsale. C’est ce qui ressort du rapport médical qu’il remplit le 21 octobre 2003 lorsqu’il indique dans celui-ci que le diagnostic est « fracture D7 gauche vs entorse dorsale ».
[51]La Commission des lésions professionnelles retient également que le « Complément d’expertise » produit par le docteur Bellemare le 1er décembre 2003 témoigne clairement du fait que ce médecin a, le 28 octobre 2003, compte tenu du résultat de la scintigraphie osseuse et de la seconde opinion exprimée par le docteur Fradet, bel et bien modifié son diagnostic de fractures vertébrales pour retenir celui d’entorse dorsale.
[52]Le docteur Bellemare précise en effet clairement dans ce complément d’expertise que le diagnostic de fractures de D7 et D8 a d’abord été posé et « par la suite rejeté compte tenu d’une scintigraphie normale », que lors de la consultation du 4 novembre 2002 monsieur Morin n’était pas « content du DAP accordé de 2 % pour un diagnostic d’entorse dorsale », que ce dernier l’a alors interrogé sur les raisons pour lesquelles ce diagnostic a été « exclu » et qu’il retient « pour les fins diagnostics aujourd’hui » [sic] le diagnostic de fractures de D7 et D8.
[53]Étant donné ces éléments révélés par la preuve, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il faut comprendre que, le 28 octobre 2003, le docteur Bellemare a donné son accord aux conclusions médicales du docteur Fradet relativement à une lésion de type entorse plutôt que de type fracture vertébrale. Il faut aussi comprendre que la conclusion réelle que retenait le docteur Bellemare à ce moment c’est qu’il s’agissait d’une entorse au niveau du rachis dorsal puisqu’il le précise clairement dans son complément d’expertise. Dans ce contexte, le fait que le docteur Bellemare ait entériné les conclusions médicales du docteur Fradet alors que ce dernier retenait un diagnostic d’entorse cervicale plutôt que d’entorse dorsale ne constitue pas un élément déterminant et ce, d’autant plus que le déficit anatomo-physiologique est le même dans les deux cas, soit 2 % pour une entorse avec séquelles fonctionnelles.
[54]L’opinion formulée par le docteur Bellemare le 28 octobre 2003 sur le diagnostic de la lésion qu’a subie monsieur Morin le 23 octobre 2002 et sur les séquelles permanentes résultant de cette lésion valait donc comme celle émise dans un rapport final visé par l’article 203 de la loi, lequel se lit comme suit :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1°le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2°la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3°l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
__________
1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
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2Voir à ce sujet : Campus St-Luc CH de l’U.D.M. et Wojtyniak, C.L.P. 103775-71-9807, 27 mars 2000, D. Gruffy, révision rejetée, 20 novembre 2000, G. Godin; MEP Techonologies inc. et Lefebvre, C.L.P. 115818-61-9904, 26 octobre 2000, L. Nadeau.
3Voir notamment : Ferguson et Ind. de moulage Polytech inc., C.L.P. 155516-62B-0102, 3 octobre 2001, A. Vaillancourt; Morin et 1970-0374 Québec inc., C.L.P. 135078-08-0003, 9 octobre 2001, L. Boudreault; Fox et Commission scolaire South Shore, C.L.P. 152348-62A-0012, 22 mars 2002, N. Tremblay, révision rejetée, 25 juin 2003, N. Lacroix.
4Voir à ce sujet : Lussier et Berlines RCL inc., C.L.P. 122844-05-9908, 21 septembre 2000, L. Boudreault.
(...) »
[18] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas le dernier rapport complémentaire émis par le Dr Bellemare le 1er décembre 2003. À ce sujet, la première commissaire s’exprime comme suit :
« [58]Or, dans la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles estime que le nouveau rapport final du docteur Bellemare du 1er décembre 2003 ne peut être retenu puisqu’il n’a pas été produit à la suite d’un changement d’opinion fondé sur un élément nouveau ayant un effet déterminant sur le diagnostic à retenir ou sur une évolution inattendue de l’état de santé de monsieur Morin.
[59]En effet, le docteur Bellemare n’apporte aucun élément nouveau significatif pour justifier la modification de son diagnostic. Il réfère certes à l’opinion formulée par le docteur Laufer, médecin qui a interprété la scintigraphie osseuse, mais de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, l’opinion de ce médecin ne permet pas de conclure de façon probante qu’un diagnostic de fractures vertébrales en D7 et D8 doit être retenu en relation avec le fait accidentel dont a été victime monsieur Morin. Le docteur Laufer précise simplement que la scintigraphie osseuse négative n’exclut pas selon lui « la possibilité » que de telles fractures aient pu exister et il s’agit donc là d’une seule hypothèse qu’il émet.
[60]De plus, le docteur Bellemare n’apporte aucun élément pour justifier le fait qu’il faut maintenant retenir un diagnostic de fractures des corps vertébraux de D7 et D8 et ce, en tenant compte du fait que la tomographie du 24 octobre 2002 apparaît compatible avec la présence d’une seule fracture récente en D7 et que dans son rapport médical du 21 octobre 2003 il s’est justement interrogé sur la présence d’une seule fracture à ce niveau contrairement à celle de fractures en D7 et D8.
[61]En outre, le docteur Bellemare indique dans son rapport qu’il modifie son opinion sur le diagnostic de la lésion étant donné la « grande discordance entre le DAP attribué et l’état physique ainsi que le niveau des limitations fonctionnelles du travailleur », mais plus loin dans son complément d’expertise, il précise pourtant que « les limitations fonctionnelles demeurent les mêmes ».
[62]De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, il ressort plutôt clairement d’une lecture d’ensemble du nouveau rapport final du docteur Bellemare que celui-ci a été produit dans le seul but de permettre à monsieur Morin de faire annuler le premier et ce, en raison du mécontentement exprimé par ce dernier face au nouveau diagnostic d’entorse dorsale retenu et au pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique correspondant à cette lésion. Comme l’a déjà décidé le tribunal en des circonstances similaires, un nouveau rapport final produit dans ce contexte ne constitue pas un rapport ayant une valeur liante au sens de l’article 224 de la loi7. »
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7Soucy et Les Outils Fuller ltée, C.A.L.P. 60914-60-9407, 5 mars 1996, J.-Y. Desjardins; Fata et Pavage CCA inc., [1997] C.A.L.P. 112, révision rejetée, C.A.L.P. 84456-60-9612, 25 février 1998, T. Giroux; Lamontagne-Maguire et C.L.S.C. Samuel de Champlain, C.A.L.P. 87804-62-9704, 25 février 1998, B. Lemay; Boissonneault et Imprimerie Interweb inc., [1998] C.L.P. 220 .
[19] Au soutien de sa requête en révision, le travailleur soumet que la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur manifeste en écartant le dernier rapport du Dr Bellemare du 1er décembre 2003. Il soumet que si l’interprétation du rapport de scintigraphie osseuse a modifié l’opinion du Dr Bellemare quant au diagnostic de fracture, qu’une consultation auprès d’un médecin spécialiste en médecine nucléaire était également un motif qui lui permettait de changer son opinion et d’émettre un nouveau rapport final.
[20] Avec respect, ceci est une question d’opinion. Il ne s’agit pas d’une erreur manifeste de droit. Pour la première commissaire, cette consultation de constitue pas un élément nouveau ayant un effet déterminant sur le diagnostic à retenir et cette décision est clairement motivée et rationnelle.
[21] Le fait pour le travailleur de ne pas être d’accord avec cette décision, n’en fait pas une décision comportant une erreur manifeste de droit.
[22] L’autre argument du travailleur voulant que la CSST était liée par le diagnostic émis par le médecin traitant dans son dernier rapport médical est erroné puisque la première commissaire, pour les motifs exposés dans cette décision, ne retient pas ce rapport médical.
[23] Pour conclure, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’a été démontré aucun motif permettant la révision de la décision. La présente requête équivaut à un second appel ce que ne permet pas le recours en révision.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision déposée par M. Ken Morin.
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MICHÈLE CARIGNAN |
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Commissaire |
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Me Josée Gaudet |
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GIROUARD, ADAM, ASSOCIÉS |
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Représentante de la partie requérante |
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M. Alain Côté |
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COGESIS INC. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .
[3] Moschin et Communauté urbaine de Montréal [1998] C.L.P. 860 ; Provost et Fibrex de verre inc., 83491-63-9610, 98-12-08, M. Duranceau; Vêtements Golden Bran ltée et Casale, 100304-60- 9804, 98-12-16, É. Harvey.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.